Le procédé littéraire est presque tout scientifique, on devine à quelles observations, à quels efforts l’auteur s’est astreint pour arriver à bien connaître le mécanisme du rêve, pour s’en rendre maître et réussir à nous donner ces contes saisissants de vérité. […] Franc-Nohain, poète de genre comme les petits maîtres hollandais furent peintres de genre ; l’inimitable et cocasse et divin Franc-Nohain, le Thackeray et l’Addison français, le poète de Flûtes, la Chanson des Trains et des Gares, La cuisinière bourgeoise ; le conteur d’Au Pays de l’instar, l’historiographe du fonctionnaire de la IIIe République et du gendarme, M. […] Pierre Loti, avec le Mariage de Loti, Ramuntcho, Madame Chrysanthème, Azyadé, le Roman d’un spahi, Vers Ispahan, est un des maîtres de l’exotisme. […] Henry Bordeaux est un des maîtres de ce soir.
Maudit maître à écrire, n’écriras-tu jamais une ligne qui réponde à la beauté de ton écriture. […] Si un élève de l’école de Raphaël ou des Carraches en avoit fait autant, n’en auroit-il pas eu les oreilles tirées d’un demi-pied ; et le maître ne lui auroit-il pas dit, petit bélître, à qui donneras-tu donc de la grandeur, de la solennité, de la majesté, si tu n’en donnes pas à la religion, à la justice, à la vérité. […] Il me semble que celui qui entend ces mots, qui est votre maître, pour avoir osé un pareil attentat, doit avoir les yeux baissés. […] Arrangez par derrière ce groupe, un écuyer immobile qui tiene la bride de la pie du maréchal ; qu’il regarde aussi son maître mort ; et qu’il tombe de grosses larmes de ses yeux.
Comme on dit dans ce jargon moderne qui a remplacé la langue de Bossuet, « on a sécularisé l’histoire. » Les laïques et les philosophes, voilà les maîtres des temps futurs ! […] L’antagonisme de la foi et de la raison, cet antagonisme profond comme l’homme et comme sa chute et qui est toute la métaphysique du catholicisme, — la lutte éternelle de ces deux principes dans le monde, — la nécessité, même pour la foi, de la puissance temporelle de la Papauté, contrairement à l’idée moderne que la Papauté gagnerait en autorité parmi les peuples en reprenant la robe déchirée de saint Pierre et en retournant aux Catacombes, — l’envahissement des dignités ecclésiastiques par les puînés des grandes maisons séculières, — le transport du saint-siège à Avignon, ces deux fautes que la papauté a rachetées en les payant avec des malheurs, — enfin cette préparation incessante, énorme et troublée du protestantisme, qui, si Luther avait manqué, se serait appelé d’un autre nom, tout cet ensemble, complet sinon de détail, au moins de déduction et de contour, promet et indique la main d’un maître. Le maître a abdiqué avant de régner. […] Ce n’est pas un homme de génie ; mais la vérité absolue du point de vue catholique dispense de cette terrible nécessité d’avoir du génie, et ce n’en est pas moins un maître.
Il semble être né exprès pour justifier le mot de Cicéron : « Summa autem laus eloquentiae est, amplificare rem ornando… Le comble et la perfection de l’éloquence, c’est d’amplifier le sujet en l’ornant et le décorant. » Il est maître unique dans ce genre d’amplification que Quintilien a défini « un certain amas de pensées et d’expressions qui conspirent à faire sentir la même chose : car, encore que ni ces pensées ni ces expressions ne s’élèvent point par degrés, cependant l’objet se trouve grossi et comme haussé par l’assemblage même ». […] Et après qu’il avait ainsi fait frissonner, en la touchant au passage, la plaie cachée de chaque auditeur, après qu’il avait dû sembler en venir presque aux personnalités auprès de chacun, Massillon se relevait dans un résumé plein de richesse et de grandeur ; il se hâtait de recouvrir le tout d’un large flot d’éloquence, et d’y jeter comme un pan déployé du rideau du Temple : Non, mon cher auditeur, disait-il aussitôt en rendant magnifiquement à toutes ces chutes et toutes ces misères présentes des noms bibliques et consacrésa, non, les crimes ne sont jamais les coups d’essai du cœur : David fut indiscret et oiseux avant que d’être adultère : Salomon se laissa amollir par les délices de la royauté, avant que de paraître sur les hauts lieux au milieu des femmes étrangères : Judas aima l’argent avant que de mettre à prix son maître : Pierre présuma avant que de le renoncer : Madeleine, sans doute, voulut plaire avant que d’être la pécheresse de Jérusalem… Le vice a ses progrès comme la vertu ; comme le jour instruit le jour, ainsi, dit le Prophète, la nuit donne de funestes leçons à la nuit… Ici l’écho s’éveille et nous redit ces vers de l’Hippolyte de Racine : Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes… Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés… On a souvent remarqué que Massillon se souvient de Racine et qu’il se plaît à le paraphraser quelquefois.
Flourens, qui est l’un des maîtres de cette école, a présenté en ce sens son Histoire des travaux et des idées de Buffon, et il annote l’édition présente dans le même esprit. […] Isidore Geoffroy Saint-Hilaire : Et les maîtres de la science eux-mêmes ne se séparaient pas ici de la foule.
Le chanoine Maucroix, l’ami et le camarade de La Fontaine, n’était pas autre chose, et il avait quelques-uns des traits délicats du maître. […] Si Dieu, qui est le maître, m’eût voulu tirer d’ici, il eût fallu obéir avec toute la soumission dont j’étais capable ; mais je suis assez content de revoir le soleil, même d’entendre les carrosses qui me rompent la tête ; ombre, livres et petits repas consumeront ce qu’il plaira à Dieu qu’il me reste de vie, et un peu de griffonnage45 !
C’est un grondeur et un mécontent par humeur que d’Aubigné ; il était inapplicable en grand et n’aurait su devenir tout à fait homme d’État ni principal capitaine ; il était né ce que nous appelons de nos jours un homme d’opposition : pourtant, dès qu’on le presse et qu’on lui met la main au cœur, comme il est fier de son Henri IV, du « grand roi que Dieu lui avait donné pour maître », dont les pieds lui ont servi si souvent de chevet ! […] Quand on a beaucoup lu ces auteurs du xvie siècle et des précédents, après qu’on a rendu justice à toutes les qualités de couleur, d’abondance, de franchise, de naïveté ou de générosité première qu’ils ont volontiers ; après qu’on a payé un tribut de regret sincère à ce qui s’est, à cet égard, retranché depuis et perdu, il reste pourtant une qualité qui est nôtre, qui est celle de tout bon écrivain depuis Pascal, et qu’on arrive à goûter, à estimer, j’ose dire à bénir de plus en plus ; qualité bien humble et bien essentielle, imposée désormais aux médiocres comme aux plus grands, et que Vauvenargues a appelée le vernis des maîtres, je veux parler de la netteté.
Bergeret, secrétaire du cabinet, à célébrer Louis XIV, ses guerres, ses conquêtes, le triomphe de sa diplomatie impérieuse : Heureux, disait en terminant Racine (et cette péroraison n’est pas la plus délicate partie de son discours), heureux ceux qui, comme vous, Monsieur, ont l’honneur d’approcher de près ce grand prince, et qui, après l’avoir contemplé, avec le reste du monde, dans ces importantes occasions où il fait le destin de toute la terre, peuvent encore le contempler dans son particulier, et l’étudier dans les moindres actions de sa vie, non moins grand, non moins héros, non moins admirable, que plein d’équité, plein d’humanité, toujours tranquille, toujours maître de lui, sans inégalité, sans faiblesse, et enfin le plus sage et le plus parfait de tous les hommes ! […] En vingt-quatre heures il s’est rendu maître de quatre villes assiégées tout à la fois.
Charron ne s’en tint pas aux armes de noblesse, il prit la devise morale de son maître et de son ami ; et dans la maison qu’il fit bâtir à Condom, l’an 1600, il fit graver ces mots : « Je ne sais. » Montaigne disait : « Que sais-je ? […] Il est ici-bas logé au dernier et pire étage de ce monde, plus éloigné de la voûte céleste, en la cloaque et sentine de l’univers, avec la bourbe et la lie, avec les animaux de la pire condition…, et se fait croire qu’il est le maître commandant à tout, que toutes créatures, même ces grands corps lumineux, incorruptibles, desquels il ne peut savoir la moindre vertu, et est contraint tout transi les admirer, ne branlent que pour lui et son service… Ici Charron combine et resserre deux passages différents ; il écourte Montaigne, mais il ne saurait faire oublier ni supprimer cette admirable interrogation que l’on dirait de Pascal s’adressant des objections à lui-même : Qui lui a persuadé que ce branle admirable de la voûte céleste, la lumière éternelle de ces flambeaux roulant si fièrement sur sa tête, les mouvements épouvantables de cette mer infinie, soient établis et se continuent tant de siècles pour sa commodité et pour son service ?
Il faut donc prendre ces harangues pour de simples paroles assez exactement recueillies, où le maître (car Henri IV en est un) dit à sa manière à ceux dont il a besoin et qui lui résistent, qui lui viennent faire remontrance, des vérités parfois rudes, mais qu’il sait égayer d’un geste ou d’un sourire. […] Montluc a parlé quelque part de cette antique qualité de la noblesse de France, à laquelle il suffit d’un petit souris de son maître pour échauffer les plus refroidis : « Et sans crainte de changer prés, vignes et moulins en chevaux et armes, on va mourir au lit que nous appelons le lit d’honneur. » Henri exprime ce même feu de dévouement en deux mots et en le peignant aux yeux.
De retour à Paris, il s’enferma dans un collège auprès de Jean Dorat pour maître, et pendant sept ans (1542-1549), avec quelques condisciples de sa trempe et qu’il excitait de sa propre ardeur, il refit de fond en comble son éducation, il lut tous les poètes anciens, surtout les Grecs, chose très neuve alors en France. […] À l’instar de ces maîtres, il apporte aux Français l’ode, le nom et la chose, et il se pique de l’offrir dans toute sa variété.
Quoi qu’il en soit, ce poète de Toulouse, qui végéta toute sa vie dans les fonctions de président au présidial d’Aurillac, est un digne représentant des poètes disgraciés par la fortune, et dont le mérite n’a pu triompher d’une mauvaise étoile ; il a droit de se citer lui-même en exemple au malheureux Acanthe, et, pour mieux le consoler encore, il lui retrace les malheurs de leur père commun et de leur maître, Apollon. […] Et quant à l’objection qu’on ne peut chanter dignement et prendre tout son essor quand on est occupé des soins vulgaires et des besoins de la vie, il n’a qu’une réponse à faire au triste Acanthe, il n’a, dit-il, à lui donner qu’un avis pour que les bienfaits du maître l’aillent chercher ; Le voici, cher Acanthe, en un seul mot : Excelle.
Je ne suis plus le maître de mon nom ni de ma personne, et vous ne pouvez pas juger de ma position, qui n’est pas agréable, je vous assure. » « Je ne m’appartiens pas, j’obéis à ce qui m’entoure », c’est l’aveu perpétuel et le refrain à voix basse de ce triste et abandonné prince. […] Je voudrais pouvoir être à la Convention, ôter mes souliers et les jeter à la tête du président et de Santerre, qui n’auront pas honte d’insulter leur maître et leur souverain. » Je m’emportai sur ce sujet, et le duc d’Orléans paraissait de fort mauvaise humeur.
Un cordonnier-poëte ouvrait la marche et précédait le cortège de ces évangélistes d’un nouveau genre, jetant l’injure à qui lui déplaisait24 en même temps qu’il entonnait les louanges du maître ; cela osait s’intituler : Mémoires de Béranger. […] Le chansonnier, alors dans toute sa vogue de popularité, lui rend hommage et, avant de l’appeler son ami, l’appelle son maître ; il le secourt de sa bourse, il lui cherche des souscripteurs pour je ne sais quel recueil qui ne se publiera jamais25 ; il le remonte surtout moralement.
Il est alors comme les monarques de l’Orient dont un regard tire l’esclave de sa poussière et l’y laisse retomber. » « À l’égard des princes, je dirais comme les Protestants pour un plus haut Maître : le service sans le culte. » « La plus dangereuse des flatteries est l’infériorité de ce qui nous entoure. » « C’est prodigieux tout ce que ne peuvent pas ceux qui peuvent tout ! […] Cela s’applique à Mme Swetchine tout comme à son maître saint Augustin.
Mazères semble avoir pour lui l’ancienneté des titres, leur parfaite convenance dans la circonstance présente, une collaboration heureuse avec des maîtres illustres de la scène, et, en son propre et seul nom, des pièces agréables, dont une, faite de verve, le Jeune Mari, est restée au répertoire ; ce qui était fort compté en d’autres temps. […] Il a donné, depuis, un résumé de son enseignement, en publiant une Histoire de la Littérature française, Gautier, son maître.
Il était parvenu à triompher d’eux tous au moment de la majorité du jeune roi qui se déclara pour lui : devenu à son tour premier ministre (1677), maître de la personne du roi et du gouvernement de l’État, il ne sut pas justifier les espérances qu’avait fait concevoir son élévation. […] Les Espagnols, devenus les maîtres de sa personne, voulurent, dès les premiers jours, l’assujettir aux moindres formalités dont se composait alors en Espagne l’esclavage des femmes et des reines.
L’opinion de Schiller sur Mme de Staël est la plus équitable, et les signes éclatants en même temps que les lacunes et les limites de cette nature extraordinaire sont relevés par lui et marqués de main de maître : « Mme de Staël, écrivait-il de Weimar à Goethe, resté d’abord à Iéna (21 décembre 1803), Mme de Staël justifiera pleinement l’idée que vous avez prise d’elle a priori ; elle est tout d’un jet ; point de mélange, rien de faux ni de pénible en elle. […] Or, le maître et l’oracle en telle matière l’a observé, « le genre de bien-être que fait éprouver une conversation animée ne consiste pas précisément dans le sujet de cette conversation ; les idées ni les connaissances qu’on peut y développer n’en sont pas le principal intérêt ; c’est une certaine manière d’agir les uns sur les autres, de se faire plaisir réciproquement et avec rapidité, de parler aussitôt qu’on pense, de jouir à l’instant de soi-même, d’être applaudi sans travail, de manifester son esprit dans toutes les nuances par l’accent, le geste, le regard ; enfin, de produire à volonté comme une sorte d’électricité qui fait jaillir des étincelles, soulage les uns de l’excès même de leur vivacité, et réveille les autres d’une apathie pénible ».