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1205. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Œuvre puissante de vie, implacable d’observation, effrayante de vérité et, sous la force, âpre et profonde, dont elle s’empreint à chaque ligne, dans le cerveau du liseur, œuvre d’un charme souverain par l’art infini qui l’anime et la science d’un style parvenu jusqu’à la maîtrise des grands maîtres, une des plus belles, à coup sûr, la plus belle, peut-être, de ce temps. […] Il put, enfin, se faire accepter comme conducteur de sleeping-car, sur une des grandes lignes d’Amérique. […] Maurice Pujo, Henry Bérenger, Desjardins… S’ils ne sont pas nombreux, ils sont de qualité et pleins d’ardente jeunesse… — Ne pourriez-vous pas m’expliquer, dans ses grandes lignes, votre religion ? […] Et puis, sous l’orage des invectives et des vociférations, sous les grands éclats d’un orgueil intolérable — j’en conviens — vous entendrez aussi saigner un cœur dans ce livre douloureux où chaque ligne est comme l’ahan, le cri de révolte, et l’acceptation finale de cette montée au Calvaire que fut, jusqu’ici, la vie de Léon Bloy. […] Et, dans un drame admirable, dans une action qui concentre en soi toute la vie, et où l’intérêt va grandissant de ligne en ligne, Émile Zola imagine de substituer à ce régime du salariat et de la haine un régime nouveau de liberté et d’amour, c’est-à-dire l’association, pour l’œuvre commune, du capital, du travail et du génie… l’union de toutes les forces créatrices qui furent si mal utilisées, séparément, et qui, par leur fusion intime, loyale, doivent conquérir toute la nature et, avec toute la nature conquise, tout le bonheur !

1206. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

La scène semble se passer dans un paysage de la Provence, de l’Italie méridionale ou de l’Afrique du Nord, car ce n’est plus la luxuriante végétation des forêts vierges, mais le feuillage sobre et la ligne accusée de l’Europe. Midi, l’heure de l’implacable clarté et du soleil vertical versant ses rayons plombés sur la terre silencieuse, l’heure qui ne laisse à l’ombre qu’une étroite ligne bleue au bord des bois où rêvent les bœufs agenouillés dans l’herbe, Midi convient à ce poëte ferme et précis, ennemi des contours vaporeux et fuyants. […] Nous transcrivons ici les quelques lignes servant de début à notre feuilleton du 27 mars 1848 ; elles donnent la note juste de l’impression ressentie à cette fiévreuse époque. […] Les esprits qu’on est convenu d’appeler pratiques peuvent mépriser ces rêveurs qui suivent la Muse dans les bois, cherchent tout un jour la quatrième rime d’un sonnet, le vers final d’un terzine, et rentrent contents le soir de quelques lignes dix fois raturées sur la page de leur calepin. […] Ces interprétations sont peut-être subtiles, mais elles ne répugnent nullement au génie hellénique, et comme elles n’ôtent rien à la pureté des lignes, au charme des coloris, et que, pour être des mythes, Danaé et Léda n’en restent pas moins d’admirables figures qu’avouerait la statuaire grecque et qui ont l’étincelante blancheur du marbre de Paros, on ne peut reprocher au poëte sa trop grande ingéniosité.

1207. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Les glaciers couvrent tout le nord de l’Europe, descendent sur nous selon une ligne allant de Londres à Vienne, un peu au-dessus. […] L’idée de constance intellectuelle ne doit pas se comprendre au sens de continuité intellectuelle ; la ligne de la civilisation est une ligne ondulée dont les sommets sont sensiblement égaux de même que les profondeurs. […] Leur génie s’exerçait comme s’exerce l’instinct, en ligne droite. […] Darwin respectait à peu près, en ses grandes lignes, l’histoire de la création des animaux, telle que la Bible la rapporte. […] C’est que je viens de lire, sans en passer une ligne, le livre de M. 

1208. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Ma ligne idéale d’élagation partait comme une flèche topographique, de l’aristocratie présumée des vertus, c’est-à-dire du sacerdoce, et s’en allait rigidement, après avoir passé par l’aristocratie de l’argent qui disparaissait dans la Mer rouge, jusqu’à l’aristocratie du Goujatisme triomphant et jusqu’aux hauts barons de la Crapule héréditaire. […] Le fond de son histoire n’a que deux lignes et ressemble à un apologue. […] La dépression occipitale est si sensible et les lignes osseuses inférieures sont dans de telles relations avec la coupole surbaissée de ce temple de la sagesse que, vu, tour à tour, de profil et de face, il offrirait à la fantaisie de Sterne les deux idées successives d’un alpha et d’un oméga. […] L’histoire de la pauvre reine n’a que quatre lignes devant Dieu. […] ces croquis, c’étaient des ébauches d’infâmes priapées ; les lignes qu’il lut, — ces lignes d’une longue et fine écriture de femme ! 

1209. (1899) Arabesques pp. 1-223

Je prie donc qu’on veuille bien accueillir les lignes suivantes comme l’exposé de conviction d’un homme qui fut longtemps sans se connaître, qui se connaît aujourd’hui, qu’on peut discuter pour certains de ses partis pris, mais dont nul n’a le droit de suspecter la sincérité. […] Je n’ai pas voulu, en publiant ces lignes, m’octroyer des éloges : je ne m’admire pas assez pour me brûler des parfums sous le nez. […] Lors même qu’il l’eût fait — ce qui n’est pas encore démontré — il se serait simplement conformé à l’exemple donné par d’autres officiers — nullement juifs ceux-là — dont la prévarication ne souleva pas de polémique, n’obtint que quelques lignes aux faits divers des journaux et fut ensevelie très vite dans le silence. […] Les lignes que les pierres dessinaient si âprement contre le ciel, l’azur sans bornes, le silence vibrant se fondent en une harmonie puissante pour me révéler, une fois de plus, la beauté de la vieille terre maternelle. […] Ses strophes, d’une cadence un peu monotone, ressemblent à des bas-reliefs allégoriques, aux lignes très nobles, dressés, à l’ombre des oliviers, sous un ciel de Provence : Le Jour s’est abattu, comme un oiseau sauvage.

1210. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Or, bien que l’idéal doive planer toujours un peu plus haut que la ligne de l’horizon au-dessus du réel, dans les œuvres des esprits supérieurs qui veulent faire avancer le monde social, afin qu’il y ait toujours un mieux moral posé devant les hommes pour les faire marcher à Dieu ; cet idéal ne doit jamais être tellement séparé du réel, c’est-à-dire des conditions bornées de la nature dans l’imparfaite humanité, qu’il sorte entièrement de l’ordre réel et qu’il devienne rêve au lieu de rester pensée. […] « — Dieu est peut-être mort, disait un jour à celui qui écrit ces lignes Gérard de Nerval, confondant le Progrès avec Dieu, et prenant l’interruption du mouvement pour la mort de l’Être.

1211. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

V Il avait environ vingt ans ; ses cheveux, secoués sur son front comme par un coup de vent perpétuel, formaient d’un côté de la tête une masse ondoyante et ruisselante le long de sa joue ; la ligne de ce front était longue, droite, renflée seulement par les deux lobes de la pensée. […] XII On voit dans ces lignes de confessions quelle pouvait être la vie des jeunes gentilshommes savoyards dans une ville de garnison.

1212. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Ainsi Villehardouin, par instinct et dès le début, était plus dans la ligne directe et dans le vrai sens de la future construction française et de sa brièveté définitive.

1213. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Donc, il est aisé de juger quel était ce seigneur à voir seulement cet héroïque front, cet air libre, ce rencontre hardi et ce visage dans lequel on ne voit que lignes d’honneur et signes de bonne fortune.

1214. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Pour lui, laissant là en arrière ses compagnons et son guide, et retrouvant son sentiment allègre des hautes Alpes, il se met à gravir seul et en droite ligne vers la cime : « Je l’atteignis en peu de temps, et, du bord d’un précipice effroyable, je vis un monde à mes pieds. » C’est ici qu’il entre dans une description parfaite et de ce que la vue embrasse du côté des plaines, et des rangées de monts qui s’étagent en amphithéâtre au midi, et des collines et pâturages plus rapprochés qui s’élèvent du fond du précipice vers la pente escarpée du Pic et forment un repos entre sa cime et sa base : Là, dit-il, j’apercevais la hutte du berger dans la douce verdure de sa prairie ; le serpentement des eaux me traçait le contour des éminences ; la rapidité de leur cours m’était rendue sensible par le scintillement de leurs flots.

1215. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Ces précautions et ces craintes se montrent à chaque ligne dans les maximes et avis que Mme de Maintenon écrivait pour les maîtresses des élèves, dès avant Saint-Cyr et dans le temps de Rueil ou de Noisy.

1216. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

— L’art en est arrivé à une époque de décadence manifeste, ceci n’est pas douteux ; un excès ridicule d’ornementation a remplacé la richesse et la pureté des lignes, etc. » Mais, en vérité, il y a bien longtemps déjà (vingt ans au moins) que M. 

1217. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

Bossuet, combattant en évêque Richard Simon et les principes de socinianisme qu’il voit poindre de toutes parts dans ses écrits, s’aperçoit bien qu’un ennemi formidable approche ; il appelle et convoque tant qu’il peut les défenseurs sur toute la ligne, mais il se trompe sur le point menacé.

1218. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Il y a même des endroits où le canal semble manquer, où la ligne est indécise, mais la source reprend aussitôt.

1219. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Veuillot, et que je les rencontre à côté de tant de jugements fermes, sagaces, bien frappés : tel est dans ce chapitre le jugement sur Hugo et sur Musset, en six lignes qui disent tout. — Entre les classiques français qu’il se mit à lire régulièrement, il n’en est aucun auquel il fut plus redevable qu’à La Bruyère ; il l’étudia à fond, tour et style.

1220. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Une lettre de Colbert (18 octobre 1680) dictait à Foucault sa ligne de conduite ; mais celui-ci n’avait pas besoin d’y être poussé : « Sa Majesté, était-il dit dans cette lettre que Colbert écrivait sans doute à contre-cœur, m’a ordonné de déclarer aux fermiers qu’elle voulait qu’ils les révoquassent (les commis qui étaient de la Religion) ; elle leur a donné seulement deux ou trois mois de temps pour exécuter cet ordre, et Sa Majesté m’ordonne de vous en donner avis et de vous dire, en même temps que vous pourriez vous servir de cette révocation et du temps qu’elle ordonne, pour les exciter tous à se convertir, Sa Majesté étant convaincue que leur révocation de leur emploi peut beaucoup y contribuer. » C’était la morale administrative avouée en ce temps là ; Foucault l’affiche et la professe avec la plus grande ingénuité dans ce Journal, écrit pourtant dans les premières années du xviiie  siècle et sous la Régence.

1221. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

On entendait dans le bois de Tanit le tambourin des courtisanes sacrées ; et, à la pointe des Mappales, les fourneaux pour cuire les cercueils d’argile commençaient à fumer. » J’admire la conscience et le pinceau du paysagiste : mais de même que Salammbô m’a rappelé Velléda, je me rappelle inévitablement ici tant de belles descriptions de l’Itinéraire, et particulièrement Athènes contemplée du haut de la citadelle au lever du soleil : « J’ai vu du haut de l’Acropolis le soleil se lever entre les deux cimes du mont Hymette… » Le panorama de Carthage vue de la terrasse d’Hamilcar est un paysage historique de la même école, et qui accuse le même procédé ; ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pris également sur nature, du moins en ce qui est des lignes principales.

1222. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Mille écluses maîtriseraient et distribueraient l’inondation sur toutes les parties du territoire ; les huit ou dix milliards de toises cubes d’eau qui se perdent chaque année dans la mer, seraient réparties dans toutes les parties basses du désert, dans le lac Mœris, le lac Maréotis et le Fleuve sans eau, jusqu’aux Oasis et beaucoup plus loin du côté de l’ouest, — du côté de l’est, dans les Lacs Amers et toutes les parties basses de l’Isthme de Suez et des déserts entre la mer Rouge et le Nil ; un grand nombre de pompes à feu, de moulins à vent, élèveraient les eaux dans des châteaux d’eau, d’où elles seraient tirées pour l’arrosage ; de nombreuses émigrations, arrivées du fond de l’Afrique, de l’Arabie, de la Syrie, de la Grèce, de la France, de l’Italie, de la Pologne, de l’Allemagne, quadrupleraient sa population ; le commerce des Indes aurait repris son ancienne route par la force irrésistible du niveau… » Le mot de civilisation ne s’est pas rencontré encore ; il n’échappe qu’à la fin et aux dernières lignes, comme le résumé de tout le tableau ; il introduit avec lui et implique l’idée morale, qui a pu paraître jusque-là assez absente : « Après cinquante ans de possession, la civilisation se serait répandue dans l’intérieur de l’Afrique par le Sennaar, l’Abyssinie, le Darfour, le Fezzan ; plusieurs grandes nations seraient appelées à jouir des bienfaits des arts, des sciences, de la religion du vrai Dieu ; car c’est par l’Égypte que les peuples du centre de l’Afrique doivent recevoir la lumière et le bonheur ! 

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