II Voici la contemporaine de Jeanne d’Arc, l’excellente Christine de Pisan, si digne, si naïve, si pleine de vertu et de prud’homie, qui, raide comme un personnage de vitrail, s’applique, avec le grand sérieux des bonnes âmes du moyen âge, gauchement et gravement, à enserrer la langue balbutiante de son siècle dans la forme du style cicéronien comme dans un heaume lourd et trop large. […] Si je ne me trompe, nous retrouverons quelque chose de cette honnête candeur chez Madeleine de Scudéry, la vierge sage, d’âme héroïque et d’esprit prolixe Voici Marguerite d’Angoulême, très savante, très entortillée, toute fumeuse de la Renaissance, souriante, gaie et bonne à travers tout cela, avec son grand nez sympathique, le nez de son frère François Ier Puis, c’est l’autre Marguerite, Marguerite de Valois, point pédante celle-là, dégagée, galante avec une entière sécurité morale, que rien n’étonne, qui raconte si tranquillement la Saint-Barthélémy ; la première femme de son siècle qui écrive avec simplicité ; une inconsciente, un aimable monstre, comme nous dirions, aujourd’hui que nous aimons les mots plus gros que les choses Je mets ensemble les enamourées, les femmes brûlantes, les Saphos, chacune exhalant sa peine dans la langue de son temps : Louise Labé mettant de l’érudition dans ses sanglots ; Mlle de Lespinasse mêlant aux siens de la sensibilité et de la vertu, Desbordes-Valmore des clairs de lune et des saules-pleureurs… Mlle de Gournay est une antique demoiselle pleine de science, de verdeur et de virilité, une vieille amazone impétueuse que Montaigne, son père adoptif, dut aimer pour sa candeur, une respectable fille qui a l’air d’un bon gendarme quand, dans son style suranné, elle défend contre Malherbe ses « illustres vieux ». […] Pourquoi tous les enrichissements successifs de la langue littéraire ne doivent-ils rien aux femmes ?
Son nom même consacra un des mètres les plus heureux de la poésie lyrique, dans la langue du peuple nouveau qui domptait et imitait les Grecs. […] Il ne suffit pas pour cela de la sévérité de son dialogue avec Alcée, tel que le cite Aristote69 : « Je veux », disait le hardi poëte, « te dire quelque chose ; mais la pudeur m’empêche. » Et Sapho de répondre : « Si tu avais le désir de choses nobles et belles, ni ta langue ne serait liée de peur de dire le mal, ni la pudeur ne retiendrait tes regards ; mais tu parlerais librement de ce qui est légitime. » Rien de mieux raisonné, sans doute ; mais tant d’autres témoignages nous la montrent différente ! […] Cela m’a fait tressaillir le cœur de t’avoir vue, et il ne me vient plus de voix ; mais ma langue est liée ; et sous le tissu éteint de la peau je sens circuler une flamme.
Poëmes de nôtre langue, que personne ne lit plus, et qui sont tombez dans un mépris dont on ne sçait guéres les causes. […] Il n’y a que quelques sçavans qui se plaisent à l’admirer dans le grec, parce qu’ils prennent le plaisir historique et celui d’entendre une langue sçavante, pour un plaisir purement poëtique. […] Ainsi l’ancienne réputation et les langues sçavantes leur imposent, et changent tout à leurs yeux. […] Il suffit, pour prouver ma pensée, de faire attention à la maniere dont nous apprenons nôtre langue et les langues étrangeres par un commerce habituel avec ceux qui les parlent, et à la maniere dont nous apprenons les langues mortes par les livres. […] Il n’en est pas de même des langues mortes : on ne nous les apprend que par l’entremise de celles que nous connoissons déja.
C’est pitié de voir comme cette pauvre langue française se tord, se disjoint, se déhanche et se désosse, aux prises avec ces jumeaux de l’extravagance. […] De peur de ressembler à tout le monde, et pour être originaux coûte que coûte, ils ont retourné leur habit et se sont fait une langue pour leur usage particulier. […] Nous sommes le secrétaire de notre pensée, et non celui des méchantes langues. […] Sa langue, comme sa main, a de vives éclaboussures, et il ne fait pas bon s’exposer aux bourrades de son esprit. […] Grangé des poignées de sel au bout de sa langue ; seule mademoiselle Thuillier a du miel sur les lèvres.
Oui, n’est-ce pas, ou peut s’en faut, et je vous ai prouvé que la rime est un mal nécessaire dans une langue peu accentuée, la rime suffisante pour le moins ? […] vous ne trouverez ici qu’émotion réelle dans une langue parfaite, langue formée aux fortes études classiques, puis d’ensuite, les plus décisives peut-être, du moins dans les cinq sixièmes des cas. […] Quand à la langue splendide de ce roman picaresque, quant aux merveilleux chapitres intitulés : Le Château de la Misère, Effet de neige, Brigands pour les oiseaux, et tant d’autres, vieilles tapisseries que tout cela, en vérité ! […] Oui, Roger Marx est un fin, un vrai lettré, par la langue et par l’esprit et par toutes les qualités de ce titre si rarement mérité en nos jours d’impudentes usurpations. […] Son empire sur la langue était souverain.
Pendant deux heures qu’il reste au Grenier, il touche à un tas de questions anciennes et modernes, et parle spirituellement de la rapidité, à l’heure présente, avec laquelle les produits matériels passent d’un pays dans l’autre, et de la lenteur avec laquelle se transmettent les produits intellectuels, ce qu’il explique un peu par l’abandon de la langue latine, de cette langue universelle, qui était le volapuck d’autrefois entre les savants et les littérateurs de tous les pays. […] Maintenant une possession de la langue grecque, comme personne. […] Tronquoy, qui s’adonne à l’étude sérieuse, des langues chinoise et japonaise, avec l’idée de donner sa vie à la connaissance approfondie de ces langues, d’aller au Japon… Il est plein d’admiration pour la langue chinoise, qu’il dit être faite seulement par le choc des idées, avec la suppression ou la sévère abréviation de toutes les inutilités des langues occidentales. […] Il s’indigne de la langue horrifique, que parlent à l’heure présente les gens avec lesquels, il prend le train de Vincennes, quand il va à sa petite maison de campagne du parc Saint-Maur, des gens, à propos de la translation d’un cimetière, traitant les morts du vocable de « charognes », et me jette cet éloquent appel : « Est-ce que vous n’avez pas en vous le sentiment de la désespérance, en ce monde de maintenant, dont les uns portent un étron dans la main, les autres un cierge ? […] Alors une figue tombe sur la joue de l’enfant, qui ne consent à faire aucun mouvement des bras pour la prendre, mais cherche à l’attirer seulement avec sa langue : ce qui ne réussissant pas, décide le garçonnet à dire au professeur, de la mettre dans sa bouche.
Sa langue l’atteste non seulement par son antique construction et par sa primitive fécondité, mais elle l’atteste plus encore par ses étymologies, qui la rattachent évidemment à la vieille langue sacrée des Indes, le sanscrit. […] L’histoire, qui perd tant de choses sur la route des siècles, a complétement perdu les traces de cette filiation de la race allemande avec les Indes ; mais la langue est un témoin qu’on ne peut récuser. […] Blaze de Bury, écrivain de l’école ascétique, renfermé comme dans les cloîtres studieux de la religion littéraire, a publié, il y a douze ans, une complète étude sur le génie de Goethe et une incomparable traduction du drame de Faust ; nous nous en servirons, comme on se sert, dans les ténèbres d’une langue inconnue, d’une lumière empruntée qui fait rejaillir de tous les mots les couleurs mêmes de cette langue, ou comme on se sert, dans un souterrain, d’un écho qui répercute le bruit de tous les pas de ceux qui vous devancent dans sa nuit. […] En tous lieux tous les cœurs que la clarté des cieux illumine parlent ainsi chacun dans sa langue ; pourquoi ne le ferais-je pas, moi, dans la mienne ? […] Marguerite, sa cruche posée sur la margelle du puits, la tête basse et les deux mains croisées avec langueur sur sa robe, cause avec Lieichen, jeune fille à la langue affilée.
Quoi qu’il en soit, on s’extasie de surprise et d’admiration quand on voit une terre qui a perdu l’empire du monde, puis sa propre liberté, puis ses dieux, puis sa langue même ; une terre qui avait produit Cicéron, Horace, Virgile, reproduire tout à coup, dans une autre langue, mais dans un même génie, Dante, Arioste, Pétrarque, le Tasse et Machiavel. […] C’était en France que le roman était né ; les troubadours provinciaux, poètes nomades et populaires, avaient donné le nom de leur langue, roman, à ce genre de composition. […] Défiez-vous des autres : ils ne sont pas du bon temps ni de la bonne langue. […] L’imagination ne se salit pas avec lui, elle s’enjoue, si le seigneur français me permet cette mauvaise expression dans sa langue. […] Que ne puis-je vous la reproduire dans sa langue, qui n’est composée que de notes et de couleurs !
Je ne parle pas du coloris d’Homère, qu’il est impossible, à quelque traducteur que ce soit, de rendre parfaitement ; mais je parle de ses pensées, de ses images, du sublime & du merveilleux qui y règne, & qu’on peut faire passer dans quelque langue du monde que ce puisse être. […] Ce sçavant élevoit lui-même un fils, ne desiroit rien tant que de le voir avancer dans l’étude des langues, & le grondoit beaucoup de ne vouloir rien apprendre. […] On voit encore à Toulouse un exemplaire de la Philoména en langue originale, c’est-à-dire, romance ou polie, telle que la parloient alors les gens bien élevés, & surtout ceux qui vivoient à la cour. Ils la préféroient au latin qui étoit la langue commune, & qu’on avoit fort corrompu. Au milieu de toutes ces contestations sur l’époque des romans, ainsi appellés parce qu’ils étoient écrits en langue romance, remarquons combien les anciens différent de ceux de nos jours.
Devenu comme les langues d’Ésope, ce qu’il y a de meilleur ou de pire, il a eu toutes les audaces, toutes les prétentions ; il a véhiculé jusqu’au grand public les hypothèses de la science et les lieux-communs de l’histoire. […] Par des termes du terroir, il renouvelait la langue victorieuse d’oïl. Certes le vrai roman provincial, seule la langue originelle le pourrait traduire et on connaît l’extraordinaire éclat, la couleur puissante du Valet de Ferme de Batisto Bonnet (traduct. […] À l’attrait du pittoresque, au charme d’une langue riche et forte, ils ajoutent tout l’intérêt que leur vaut l’érudition sérieuse de leur auteur. […] Marcel Boulenger, qui connaît notre belle langue et l’étudie tous les jours, ne s’est jamais montré critique tendre à l’égard des solécismes d’autrui.
Il l’avait au bout de la plume comme, dans la conversation, au bout de la langue. […] La langue des arts est autre chose qu’un sémaphore perfectionne. […] Pécheur, non ; ce mot n’a point d’analogue dans la langue d’Aristote. […] C’est simple, précis, éloquent, d’un choix de langue exquis. […] Je sais la différence de la langue écrite à la langue parlée, et qu’un essai historique sur la Passion ne prête guère aux saillies de l’esprit.
Peut-être n’est-il pas encore tout à fait maître de sa langue ; il est inégal ; il laisse ses plus belles pages s’alourdir d’épithètes inopportunes, et ses plus beaux poèmes s’empêtrer dans ce qu’on appelait jadis le prosaïsme. […] Tel son système de vers français basés sur l’accent tonique ; il est vrai que le résultat, souvent manqué, car les langues ont, elles aussi, une logique assez impérieuse, était parfois heureux et inattendu avec des « hexamètres » comme celui-ci. […] Paul Adam use d’une langue vigoureuse, serrée, pleine d’images, neuve jusqu’à inaugurer des formes syntaxiques. […] Venu à Paris comme tout autre étudiant valaque ou levantin, et déjà plein d’amour pour la langue française, M. […] Moréas aime passionnément la langue et la poésie françaises et que les deux sœurs au cœur hautain lui ont plus d’une fois souri, contentes de voir sur leurs pas un pèlerin si patient et un chevalier armé de tant de bonne volonté.
Car est-ce un style, cette langue correcte, abstraite et neutre, à laquelle vous vous appliquez, soigneusement égayée par intervalles de métaphores élégantes ? […] Vous le dites, il est vrai, avec toute la France, avec les étrangers comme avec vos compatriotes, quand il est imprimé par toute l’Europe et qu’il est traduit en plusieurs langues. […] parce que, ayant eu du génie ou un grand talent, ils ont écrit et parlé à une époque où la langue avait achevé de mûrir et n’avait pas commencé de se corrompre. […] Les voyageurs en pays sauvages ont constaté que, chez les peuples qui n’ont point de grammaire, la langue est si instable que, dans un laps de temps de moins de deux années, on ne la reconnaît plus. […] La pensée des individus, et d’abord celle des peuples, sera donc ce que la langue nationale, qui est son moule nécessaire, la forcera d’être.
Il savait très-peu l’antiquité et était faible sur les langues et lès littératures anciennes ; il ne s’y est jamais remis depuis. […] On est femme après tout, et elle s’était persuadé d’après son ton que c’était un grand savant et qu’il lui dévoilerait les mystères de la langue : il lui a corrigé ses épreuves assez exactement, non pas sans lui retrancher quelques grâces. […] Cette idée, toute bête qu’elle est, ne laisse pas de me procurer une bonne petite émotion. » Ce Rabadabla, c’est le bruit cher à son petit-fils, c’est le nom même qu’il lui donne dans cette langue primitive et imitative qui recommence sans cesse auprès des berceaux. […] Les autres membres de la famille, comme je vous l’ai déjà dit, ne sont pas mal non plus ; en entendant le vieux Carle parler de son père Joseph, on éprouve du respect pour ces gens-là, et je prétends, moi, qu’ils sont nobles. » — Et c’est ainsi qu’une vive nature d’artiste sympathise avec ses semblables, les reconnaît à travers les diversités de genre et de langue, les salue, les aime, les fait revivre… et l’on est à cent lieues du cuistre, de l’être immonde, arrogant et dur.
Style ingénieux, compliqué, savant, plein de nuances et de recherches, reculant toujours les bornes de la langue, empruntant à tous les vocabulaires, prenant des couleurs à toutes les palettes, des notes à tous les claviers, s’efforçant de rendre la pensée dans ce qu’elle a de plus ineffable et la forme en ses contours les plus vagues et les plus fuyants. […] Ce n’est pas chose aisée, d’ailleurs, ajoute Théophile Gautier, que ce style méprisé des pédants, car il exprime des idées neuves avec des formes nouvelles et des mots qu’on n’a pas entendus encore. » Mettons à part, dans l’ample et belle définition de Gautier, quelques points plus particuliers et gardons-en les termes généraux tels que recherches des nuances, recul des bornes de la langue, expression d’idées neuves avec des formes nouvelles et des mots qu’on n’a pas entendus encore, tous ces soins s’appliquent parfaitement bien à toutes les époques de littérature actives et belles c’est justement cela que firent les Renaissants du xvie siècle et les Romantiques de 1830, Ronsard, comme Hugo. […] De siècle en siècle, d’âge en âge, d’école en école, on a cherché, comme dit Gautier, à reculer les bornes de la langue, à exprimer l’inexprimable, à émettre des idées neuves et à trouver des formes nouvelles. […] Émile Verhaeren écrivait ses poèmes fougueux et magnifiques et évoquait dans une langue frémissante les Campagnes hallucinées, ou les Apparus dans mes Chemins ou tel autre des nombreux recueils où s’affirmait sa maîtrise, tandis que M.
On hésitait entre la langue des anciens et l’idiome des modernes, et bien des gens croyaient que le moyen le plus sûr de marcher sur les traces d’Horace et de Virgile était encore de tâcher de les répéter dans leur langue. […] Ménage, qui était galant comme un pur érudit et sans véritable monde, lui envoyait des épigrammes en toute langue, des madrigaux grecs, latins, italiens, sur toutes sortes de beautés plus ou moins métaphoriques et allégoriques ; Huet lui répond, en lui rendant la monnaie de ses confidences : Je vous envoyai l’année passée ma première élégie, je vous enverrai bientôt mon premier sonnet, mais il est encore brut. […] Huet, que trop de savoir conduisait, comme il arrive souvent, à moins admirer, tout en reconnaissant dans ce passage le sublime de la chose racontée, se refusait à y voir, pour l’expression et même pour la pensée, rien de plus qu’une manière de dire, une tournure habituelle et presque nécessaire aux langues orientales, avec lesquelles il était si familier.
Elle fut très considérable à ses origines et dans les premiers temps de son institution : le monde et la littérature, malgré quelques révoltes çà et là, reconnurent en elle la régulatrice de la langue et du bel usage, et même un tribunal souverain du goût. […] Ce mot de libertinage, dans la langue du xviie siècle, signifie toujours la licence de l’esprit dans les matières de foi, et c’est encore dans ce sens que le prend Mme de Lambert : La plupart des jeunes gens croient aujourd’hui se distinguer en prenant un air de libertinage qui les décrie auprès des personnes raisonnables. […] La musique, la poésie, tout cela est du train de la volupté. » Je me plais à relever les expressions énergiques ou gracieuses, qui sont de la langue du xviie siècle, et qui, en même temps, tiennent déjà à celle du xviiie par la parfaite précision et l’exacte propriété. […] Toutes ces expressions que je souligne sont d’une langue ingénieuse, mais mince, et qui est sujette à se raffiner.
La conversation étant venue sur le chapitre des langues, sans se soucier de son interlocuteur qui en savait cinq et en déchiffrait deux autres, le cardinal Maury disait, en poussant toujours tout droit devant lui : Les langues sont la science des sots. […] J’ai appris l’italien comme on apprend sa langue, en écoutant : je conversais avec tout le monde, je prêchais même hardiment dans mon diocèse ; mais je ne serais pas en état d’écrire une lettre. […] qui, reprenant en ces années son Essai sur l’éloquence de la chaire, le corrigea, l’étendit, le perfectionna, et l’amena à un degré de maturité et d’élégance qui en fait un des bons livres de la langue, sous la forme nouvelle et définitive où il reparut (1810).