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273. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Le critique a des amis, je l’espère, mais il ne doit pas avoir d’amitiés littéraires quand même, et qui le déterminent ou l’enchaînent d’avance à un jugement trop favorable. […] Un critique, qui est encore plus légitimiste que religieux, tel que M. de Pontmartin, devrait être, ce semble, plus courtois qu’un autre, et M. de Pontmartin, l’est en effet souvent ; il raconte lui-même agréablement qu’on lui a reproché trop de facilité et de complaisance de jugement, et de se montrer trop coulant à dire : « Beau livre, charmant livre, excellent livre !  […] Sur maint sujet moderne, il reste dans une moyenne de jugement très-bonne, très-suffisante. […] Ma conclusion bien sincère sur l’ensemble du talent de M. de Pontmartin, et malgré toutes ces critiques auxquelles je me suis vu forcé, ayant à combattre avec lui pied à pied et me trouvant réduit à la défensive, est qu’il y a de la distinction, de l’élégance, que c’est un homme d’esprit et d’un esprit délicat, auquel il n’a manqué qu’une meilleure école, et plus de fermeté dans le jugement et dans le caractère, pour sortir de la morale de convention et pour atteindre à la vraie mesure humaine, sans laquelle il n’est pas de grand goût, de goût véritable.

274. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

La funeste rhétorique a là son trépied et donne le diapason aux discussions publiques. » Ce jugement qu’il rapporte, presque en ayant l’air d’y adhérer, n’empêche pas M.  […] Après le départ de Mme Récamier, je réfléchissais aux jugements de ce monde : il a souvent accusé cette jolie femme de coquetterie, de légèreté, et je la voyais livrée à un sentiment si profond de regret, elle exprimait en si peu de mots et avec tant de douceur ses plaintes, que j’ai plus d’une fois pensé que tous les succès de Mme de Staël ne valaient point une semblable amitié. […] Voici cette lettre qui contient un jugement définitif impartial, et qui, si on pouvait oublier tout ce qu’on sait et négliger le détail pour ne juger que de l’ensemble, devrait être le dernier mot sur un grand esprit, trop souvent calomniateur de lui-même. […] Mais je suis tout étonné du jugement sévère qui perce dans votre lettre sur lui.

275. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Ceux au contraire qui croient qu’une âme est tout un monde, qu’un caractère éminent n’est jamais trop approfondi, ceux qui mêlent à leur jugement sur Mme Roland un culte d’affection et de cœur, trouveront ici mille raisons de plus à leur sympathie et démêleront une foule de détails aussi respectables que charmants. […] C’était au physique comme un redoutable jugement de la nature qui passait au creuset chaque beauté. […] Je crains pourtant que ce ne soient les Mémoires qui, en ramassant dans une seule scène le résultat de jugements un peu postérieurs, aient altéré sans façon un souvenir dès longtemps méprisé. […] Ou était en 93 ; bien des années d’absence et les dissentiments politiques avaient relâché, sans les rompre, les liens des anciennes compagnes ; Mme Roland, captive sous les verrous de Sainte-Pélagie, attendait le jugement et l’échafaud.

276. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

C’est l’abbé de Pradt qui a dit cela en tête d’un de ses écrits (Les Quatre Concordats) ; et, sans regarder toutes les paroles que jetait cet homme d’esprit comme autant d’oracles, il est juste de tenir compte de ses jugements, surtout quand il s’agit du style de pamphlets, de brochures politiques, de ce style qui prend et mord sur le public, même en matière sérieuse : l’abbé de Pradt s’y connaissait. […] Ce qui ressort des premiers travaux de ce jeune homme, déjà arrivé à l’âge de trente ans, c’est l’indépendance du jugement, l’habitude d’avoir son avis en toute matière sans en demander la permission à son voisin ; et le besoin d’exprimer cet avis hautement et devant le public. […] C’est dans cette ferme et saine disposition de jugement qu’était Mallet, lorsque, la presse devenant libre, et l’Assemblée constituante aspirant à la souveraineté, il dut rendre compte de ses séances dans la partie politique du Mercure, dont il était rédacteur depuis cinq ans. […] Dès le début, on sent l’homme désabusé qu’un devoir ramène sur la scène bien plus que l’illusion ou l’espérance : Lorsqu’on a atteint quarante ans, et qu’on n’est pas absolument dépourvu de jugement, on ne croit pas plus à l’empire de l’expérience qu’à celui de la raison : leurs instructions sont perdues pour les gouvernements comme pour les peuples ; et l’on est heureux de compter cent hommes sur une génération à qui les vicissitudes humaines apprennent quelque chose.

277. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

Si la différenciation des mots est reçue sans conteste, celle des jugements auxquels ils correspondent, n’est pas également pratiquée.‌ […] Toutefois, dominé par l’exclusivisme atavique de son jugement non moins que par l’opinion vulgaire entachée d’erreur, il agit presque toujours comme si les siècles écoulés n’avaient pas modifié du tout au tout la conception nationale de l’homme antique. […] L’important est de se placer pour un moment au point de vue de l’ensemble humain et de se départir de ces jugements particularistes, indispensables lorsque l’objet d’analyse n’est qu’un fragment isolé de son milieu, mais qui deviennent dangereux lorsque l’horizon d’étude s’élargit. […] Comment voulez-vous que son jugement soit équitable s’il méconnaît une moitié des éléments en jeu ?

278. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

L’ordre s’organisant avec l’Empire, la liberté revenant avec la Restauration, un jugement philosophique et moral sur la poésie d’Horace, un touchant et cordial éloge du feu duc Matthieu de Montmorency, ont tour à tour fourni aux développements de l’orateur et aux applaudissements de l’auditoire. Mais c’est quand M. de Lamartine, au terme de son discours, est venu à jeter un regard en arrière et autour de lui, quand il a porté sur le xviiie  siècle un jugement impartial et sévère, quand il s’est félicité de la régénération religieuse, politique et poétique de nos jours, qu’il appelle encore une époque de transition, et qu’il s’est écrié prophétiquement : « Heureux ceux qui viennent après nous ; car le siècle sera beau » ; — c’est alors que l’émotion et l’enthousiasme ont redoublé : « Le fleuve a franchi sa cataracte, a-t-il dit ; plus profond et plus large, il poursuit désormais son cours dans un lit tracé ; et, s’il est troublé encore, ce ne peut être que de son propre limon. » Puis il a insinué à l’Académie de ne pas se roidir contre ce mouvement du dehors, d’ouvrir la porte à toutes les illustrations véritables, sans acception de système, et de ne laisser aucun génie sur le seuil.

279. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

Quoique la plaisanterie ne puisse se passer aussi facilement qu’un ouvrage philosophique d’un succès national, elle est soumise comme tout ce qui tient à l’esprit, au jugement du bon goût universel. […] La nation étant plus une, l’écrivain prend l’habitude de s’adresser dans ses ouvrages au jugement et aux sentiments de toutes les classes ; enfin les pays libres sont et doivent être sérieux.

280. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Le premier s’est moqué de la bonne foi de son lecteur ; le second a révélé de honteuses turpitudes, en se proposant, même au jugement de Dieu, pour un modèle de vertu. […] C’est le jugement de La Harpe, dont il faut toujours citer l’autorité en critique.

281. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

Un homme qui invente mal, qui produit sans jugement, ne mérite pas le nom d’inventeur. […] C’est un homme doüé d’un jugement sain, d’une imagination prompte, et qui conserve le libre usage de ces deux facultez dans ce boüillonnement de sang qui vient à la suite du froid que la premiere vûë des grands dangers jette dans le coeur humain, comme la chaleur vient à la suite du froid dans les accès de fiévre.

282. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 30, objection tirée des bons ouvrages que le public a paru désapprouver, comme des mauvais qu’il a loüez, et réponse à cette objection » pp. 409-421

Quoique le grand Corneille soit generalement parlant bien supérieur à Rotrou, n’y a-t-il point plusieurs tragédies de Corneille, je n’en ose dire le nombre, qui perdroient le prix contre le Venceslas de Rotrou, au jugement d’une assemblée équitable. […] Au jugement de tout le monde il méritoit de marcher immédiatement après Menandre.

283. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre II. Comment les nations parcourent de nouveau la carrière qu’elles ont fournie, conformément à la nature éternelle des fiefs. Que l’ancien droit politique des romains se renouvela dans le droit féodal. (Retour de l’âge héroïque.) » pp. 362-370

L’histoire de France nous raconte que dans l’origine les rois étaient les chefs du parlement, et qu’ils commettaient des pairs au jugement des causes. Nous voyons de même chez les Romains qu’au premier jugement où, selon Cicéron, il s’agit de la vie d’un citoyen, le roi Tullus Hostilius nomma des commissaires ou duumvirs pour juger Horace.

284. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

mon cueur, Vous me pensez femme sans jugement, Et tout cela augmente mon ardeur. […] demanda un jour ironiquement Élisabeth au duc de Norfolk, qu’on croyait épris de sa prisonnière. — Madame, répondit le duc soulevé d’horreur par ces témoignages, je n’épouserai jamais une femme dont le mari ne peut dormir en sécurité sur son oreiller. » Ni les accusations, ni les justifications ne paraissant satisfaisantes, Élisabeth rompit les conférences sans prononcer de jugement. […] Les conseillers d’Élisabeth lui représentèrent pour la première fois la nécessité du jugement de la reine d’Écosse et de sa mort pour la paix du royaume, et peut-être pour la sécurité de sa propre vie. […] Elle écrivit à tous ses parents et à tous ses amis de France et d’Écosse. — « Mon bon cousin, disait-elle au duc de Guise, celuy que j’ay le plus cher au monde, je vous dis adieu, estant preste par injuste jugement d’estre mise à mort, telle que personne de nostre race, grasces à Dieu, n’a jamays receue, et moins une de ma qualité ; mais mon bon cousin, louez-en Dieu, car j’estois inutile au monde en la cause de Dieu et de son Église, estant en l’estat où j’estois ; et j’espère que ma mort tesmoignera ma constance en la foy, et promptitude de mourir pour le maintien et restauration de l’Église catholique en ceste infortunée isle ; et, bien que jamais bourreau n’ait mis la main en nostre sang, n’en ayez honte, mon amy, car le jugement des hérétiques et ennemys de l’Église, et qui n’ont nulle jurisdiction sur moy, royne libre, est profitable devant Dieu aux enfants de son Église ; si je leur adhérois, je n’aurois ce coup. […] Vostre affectionnée cousine et parfaitte amye, Marie, R. d’Écosse, D. de France. » Quand on lui lut la ratification de son jugement et l’ordre d’exécution signé par Élisabeth : « C’est bien, dit-elle tranquillement ; voilà la générosité de la reine Élisabeth !

285. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

le jugement. […] Souffrir des imperfections dans un personnage épique, c’était manquer de jugement. […] Virgile, à son tour, manque de jugement, quand il représente son Enée, à la vue de la tempête qui se déchaîne, frissonnant d’effroi : Extemplo Æneæ solvuntur frigore membra. […] Voilà qui paraît moins mal jugé ; mais, prenons-y garde, Perrault est janséniste : dans son jugement sur les Provinciales, s’il y a de l’admiration pour Pascal, il y a encore plus d’esprit de parti. […] Ses poésies, comme ses doctrines, ne sont que des apparences ; et son nom, entre ceux que le genre humain répète et ceux qu’il oublie, suspendu et comme réservé pour un jugement qui ne sera jamais rendu, son nom n’est ni glorieux ni inconnu : il est spécieux.

286. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Il résulte de tout cela une cause importante de relativité dans notre jugement sur les déviations morales. […] Il faut y rattacher encore indirectement bien des jugements moraux souvent implicites, peu appréciés des philosophes, mais qui tiennent leur place dans la vie. […] Et l’on peut dans la vie remarquer constamment des jugements de cette espèce, avec la beauté poétique en moins. […] L’idée du libre arbitre est admirable pour vicier les jugements moraux, en les faisant dépendre, non pas de la nature de l’être à juger, mais de l’emploi d’un pouvoir hypothétique qui ne dépend pas de cette nature, et de la résistance même à cette nature, comme si un homme pouvait résister à ses désirs et à ses idées avec quelque chose qui ne soit pas aussi son idée et son désir ! On a si bien compris le mérite et le démérite que les jugements qu’on porte sont assez souvent l’inverse exactement du jugement correct.

287. (1895) Hommes et livres

Elles ne sont pas établies sur l’exemple, mais sur le jugement naturel. » Mairet, Corneille ne parlent pas autrement. […] Pourquoi étayer toujours de citations des jugements qui vaudraient plus à n’être que des impressions personnelles ? […] C’est cette individualité dans les jugements qui a si vite donné tant d’autorité à M.  […] Il faut espérer que le jugement provoqué par M.  […] Mais quand on fait appel au jugement de la conscience, les seules émotions qui puissent s’y associer sont l’admiration et l’indignation.

288. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

La raison de ce jugement inique ou juste, c’est que les hommes ne voient aucun genre d’utilité générale à encourager les succès des femmes dans cette carrière, et que tout éloge qui n’est pas fondé sur la base de l’utilité, n’est ni profond, ni durable, ni universel. […] D’abord on n’accordait aux applaudissements que des phrases ; bientôt, pour obtenir ces applaudissements, on a cédé des principes, proposé des décrets, approuvé jusqu’à des crimes ; et par une double et funeste réaction, ce qu’on faisait pour plaire à la foule, égarait son jugement, et ce jugement égaré exigeait de nouveaux sacrifices.

289. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Il cherche, dans l’œuvre littéraire, l’expression, non plus d’une société, mais d’un tempérament : tous ses jugements sur les livres sont des jugements sur les hommes. […] Par cette dernière considération, Taine arrive à faire enfin une place dans sa critique au jugement du « style », de la « forme », de la « technique ».

290. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Les morts alors ressusciteront, et le Messie procédera au jugement 772. Dans ce jugement, les hommes seront partagés en deux catégories, selon leurs œuvres 773. […] C’était la religion pure, sans pratiques, sans temple, sans prêtre ; c’était le jugement moral du monde décerné à la conscience de l’homme juste et au bras du peuple.

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