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584. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

A travers ce croisement d’idées et de sentiments, rien n’opprimait le jeu libre de la pensée et n’en forçait la direction ; les jeunes esprits avaient de quoi s’y gouverner eux-mêmes dans leur droiture et y faire leur voie. […] Or penser tout haut, devant tous, opérer sur les idées devant témoins, est un exercice brillant, un jeu plein de charme, et qui finit par envahir. […] Auprès des princes, l’intérêt personnel est tellement éveillé, les mauvaises passions humaines sont si fréquemment en jeu, que, s’il nous fallait agir d’après nos sensations réelles et nos vraies émotions, nous donnerions à qui nous observe un triste spectacle.

585. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Laurent de Médicis, témoin des jeux de ce génie enfant, qui dépassait du premier jet ses modèles et ses maîtres, se prit d’une tendre et paternelle admiration pour Michel-Ange ; il lui donna une chambre dans son propre palais ; il l’admit à sa table, où Laurent le Magnifique, entouré de ses enfants, des poëtes, des savants, des philosophes, des artistes les plus renommés de la république, prolongeait dans la nuit les entretiens dignes des temps de Périclès, pour faire rejaillir jusque sur le père de Michel-Ange les bontés qu’il avait pour le fils. […] V Pierre de Médicis, qui venait de succéder à Laurent le Magnifique et qui avait contracté une amitié de jeune homme avec le commensal des jardins et du palais de son père, continua sa faveur à Michel-Ange ; il lui commanda différents bas-reliefs ; il se fit même un jeu de son génie et lui fit exécuter, un jour d’hiver, une gigantesque statue de neige pour décorer ses jardins. […] On y voyait encore des tambours, des sonneurs de clairons, et d’autres figures innombrables, leurs habits empaquetés sous le bras, qui couraient tout nus vers la mêlée, et des attitudes pittoresques s’y prêtaient à tous les jeux du pinceau, les uns debout, les autres agenouillés, ceux-ci pliés en deux, ceux-là se relevant de terre, tous formant des groupes admirablement combinés pour faire éclater la supériorité de l’artiste dans cette partie de l’art.

586. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

« Parmi les habitués du théâtre Feydeau, que charmait sa tenue décente autant que son jeu naturel, ne s’est-il pas trouvé un homme du monde, un lettré, un rimeur versé dans l’art d’Ovide, lequel, frappé et peut-être ému des rares aptitudes poétiques de la jeune artiste, sut tout de suite les apprécier et offrir des conseils accueillis avec une gratitude ingénue ?  […] Je lis dans une lettre de Marceline : « Valmore a rêvé de solliciter l’Odéon… Ce serait comme administrateur qu’il voudrait ce théâtre, et je t’avoue que j’aimerais mieux présentement pour lui cette carrière que celle d’acteur, car son genre est perdu en province. » Cela signifie qu’il paraissait « vieux jeu », — en province ! […] Dans un coin du salon, on jouait au whist ; dans un autre coin, on causait, ou l’on s’amusait au jeu des petits papiers, quiproquos ou bouts-rimés.

587. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Le jour de la visite que fit la reine Christine à l’illustre compagnie (11 mars 1658), c’est Mézeray qui, faisant l’office de secrétaire, lut, à l’article Jeu du Dictionnaire, cette locution proverbiale qui fit rire, dit-on, du bout des dents la princesse : « Jeux de prince, qui ne plaisent qu’à ceux qui les font.

588. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Si l’on allait plus au fond, même sans prétendre au technique, on trouverait les caractères des divers généraux vivement dessinés d’après leurs actions mêmes : le maréchal Daun, prudent, circonspect, méthodique, à qui il arrive un jour de galoper pour la première et la dernière fois de sa vie, et qui, après la victoire de Hochkirch, se met à écrire à Marie-Thérèse pour sa fête de sainte Thérèse la relation de la victoire, au lieu de donner les derniers ordres pour la poursuivre ; il s’appuie sur une pierre pour écrire : « Cette pierre-là fut notre pierre d’achoppement », dit le prince de Ligne qui aimait les jeux de mots, surtout si dans ces gaietés sur le mot il y avait de l’imagination. […] Coup d’œil sur Belœil, avait-il intitulé son essai (1781) par un de ces jeux de mots et de ces sortes de calembours qui sont un de ses petits travers.

589. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Il y a pourtant dans ce morceau de Bertin des endroits qui décèlent le poète :         Et peut-être par intervalle Un vers pur et facile étincelle en mes jeux. […] Quant à Chapelle et Bachaumont, que tout cela dépasse, ne voyons dans leur production si goûtée que ce qui y est et ce qu’ils y voyaient, un jeu d’esprit bien plutôt qu’un voyage, et tout sera bien.

590. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

— Mais ceci est de tous les temps : ce qui est plus particulièrement du nôtre, c’est l’application perpétuelle de la science à tout ce qui améliore et perfectionne la vie : l’éclairage, le chauffage de nos maisons, cette eau qui d’elle-même monte à tous les étages, ces jeux de lumière et de soleil où se peignent comme magiquement nos portraits, ces nouvelles rapides que nous recevons d’une santé chérie avec la vitesse de la foudre, cette vapeur furieuse et soumise qui nous emporte presque au gré de la pensée, tout cela nous pose à chaque instant des problèmes que la paresse seule de l’esprit pourrait ne pas agiter et ne pas s’inquiéter de résoudre. […] Certes le physicien de Philadelphie, même en n’ayant pas raison sur tous les points, aurait eu beau jeu à triompher en public de celui que toutes ses nobles études n’empêchèrent pas d’assister aux convulsions et de croire aux miracles du cimetière de Saint-Médard.

591. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

L’emmenant à Grosbois, l’initiant à ses manuscrits les plus secrets et à ses papiers d’État, il l’engageait toujours, après ces choses essentielles, à n’en pas négliger d’autres moins petites et moins inutiles qu’on ne le croiraiti, à se faire du monde plus qu’il n’était, à jouer quelquefois (le jeu crée des relations, rapproche les distances, adoucit des inimitiés) ; il en venait jusqu’à lui donner des leçons sur les façons de faire sa cour et de réussir auprès du vieux cardinal. […] À cela et à ses vues encore vagues sur lui, mais qui allaient à le faire un jour ou ministre, ou ambassadeur, ou même premier président du Parlement, d’Argenson, sans trop résister, répondait toutefois en rappelant ce qui lui manquait : qu’il était honteux et timide au premier abord ; qu’il avait été mal élevé sur un point ; que son père, en portant ses préférences trop longtemps sur son cadet et en le méconnaissant hormis dans les deux dernières années de sa vie, l’avait découragé ou trop habitué à se renfermer en lui, et « avait par là engourdi son entrée dans le monde » ; qu’il était balourd au jeu, qu’il s’y ennuyait et ne savait qu’y perdre son argent, etc., etc.

592. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

De cette contradiction aussi bien que de cet accord il résulte un double effet singulièr et comme un double jeu, où tout est calculé, où la pensée se déjoue et se rajuste, où l’on est contrarié par la forme, satisfait par le raisonnement, impatienté et vaincu, et qui a bien de l’originalité dans son artifice. […] et je n’ai été amené à dessiner ce jeu de contrepartie que par l’excès d’application qu’il a fait de sa méthode à La Fontaine.

593. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

La politique et la guerre sont pour lui un jeu savant, un jeu d’échecs où il s’agit d’être le plus habile et le plus fort.

594. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

Était-ce un calcul, était-ce un pur exercice d’école et un jeu ? […] Ne demandez pas la raison à ces récits et à ces jeux de l’enfance et du caprice.

595. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Il ne manquerait cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille, s’appelât travailler. » Il se flatte aujourd’hui d’avoir à peu près réalisé ce plan qu’il s’était proposé, d’avoir vécu en sage et en philosophe, étranger à ce qu’on appelle succès, indifférent à ce qu’on appelle gloire, et de s’être uniquement « attaché, en cultivant les lettres, à mettre en jeu les ressources de son intelligence, dans l’espoir de prendre une idée de l’ensemble des choses de ce monde où il ne fera que passer, et de purifier, autant qu’il est possible, son esprit et son âme par la méditation et l’étude. » Ce sont ses propres termes, et je n’ai pas voulu affaiblir l’expression de cette satisfaction élevée ; mais il est résulté de cette conscience habituelle de sa propre sagesse et de cette confiance tranquille en soi, qu’il a été enclin à voir les autres plus fous ou plus sots qu’ils n’étaient peut-être ; il se disait, en les écoutant, en les voyant animés de passions diverses : « Est-il possible que tous ces gens-là ne soient point raisonnables et sages comme moi-même ?  […] Delécluze, ayant chacun leur arrière-pensée, l’un d’écrire à Londres en sortant de là, l’autre d’écrire le soir, pour son bonnet de nuit, étaient donc à deux de jeu.

596. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

C’est par ce jeu prudent et serré, et par l’habileté de ses manœuvres, qu’il parvint à couvrir Arras, cette capitale de l’Artois, sur laquelle l’ennemi avait d’abord jeté ses vues et qui lui aurait ouvert l’entrée dans l’intérieur du royaume. […] L’entrée en jeu cependant n’était plus tout à fait la même pour la campagne de 1712 que pour les années d’auparavant ; un grave affaiblissement avait atteint les forces alliées : Marlborough était tombé en disgrâce.

597. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Necker ; des manifestations populaires entouraient son hôtel, et lorsqu’il offrait sa démission le jour même, le roi dut insister pour qu’il restât à son poste ; la reine, qui pour la première fois entendait de près ces sortes de clameurs, déjà menaçantes, ajouta que « la sûreté personnelle du roi y était intéressée. » Necker céda aux royales instances ; et aussitôt après, dès le lendemain, on recommençait le même jeu ; la cabale du comte d’Artois reprenait le dessus ; on faisait un rassemblement de troupes ; on menaçait l’Assemblée nationale. […] Il y a jeu dimanche, mardi et jeudi ; dîners en public dimanche et jeudi, et peut-être grand couvert dimanche.

598. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Parce qu’on a réussi dans quelques exemples notables à ce jeu d’élévation et de rabaissement, voilà qu’il prend à chacun les idées et les fantaisies les plus singulières à propos des personnages célèbres du passé : ceux-ci, on se contente de les diminuer, de les amoindrir ; ceux-là, on veut les dégrader à tout prix, les abîmer et les abattre ; quelques autres, au contraire, en petit nombre, on n’est occupé qu’à les grandir et à les transfigurer, c’est-à-dire encore à défigurer leur caractère. […] Le jeu joué était celui-ci.

599. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Lui, il ne voulut jamais en croire ses jeux, et il mourut dans son aveuglement classique, soutenant qu’une telle impiété, une absurdité aussi monstrueuse que celle des sceptiques ou des négateurs d’Homère ne méritait même pas d’être réfutée8. […] On a souvent cité le joli mot de Boissonade qui, publiant son édition d’Homère (1823) et ne consentant point à a admettre les raisons de Wolf, mais ne se sentant point non plus de force à les combattre, se retranchait derrière Aristophane et disait avec je ne sais quel personnage de la comédie : « Non, tu ne me persuaderas pas, même quand tu m’aurais persuadé. » Il tirait ainsi son épingle du jeu.

600. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Nulle plaisanterie dans ses vers, nul jeu de mots sur sa condition habituelle ; le four ne revient pas là sous toutes sortes de formes, et le poëte, un moment soustrait aux soins vulgaires, s’efforce bien plutôt de les oublier, de les ennoblir en les idéalisant. […] Le fagot était fait une heure avant la nuit, et on en profitait pour des jeux.

601. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Arnould Fremy n’a pas voulu entrer dans l’examen de l’auteur par ce côté qui, selon nous, était le plus indiqué, et qui laissait d’ailleurs tout son jeu à la critique et à l’érudition ; il semble, en vérité, qu’il se soit dit, avant tout, qu’il y avait quelque chose à faire contre André Chénier, sauf à fixer ensuite les points ; l’historique assez inexact qu’il trace des vicissitudes et du succès des œuvres est empreint à chaque ligne d’un accent de dépréciation qui a peine à se déguiser. […] » Et il part de là pour réfuter : c’est se faire beau jeu en commençant.

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