Tant qu’il n’y a en nous qu’un jeu d’images se conservant, puis se réveillant à un moment donné, — par exemple l’image d’une chambre et d’une dame couchée dans son lit, — il n’y a pas encore de vrai souvenir. […] Ce qui prouve que la reconnaissance est bien un jeu tropique intérieure produit par des opérations appétitives et sensitives, c’est que la mémoire, dans la reconnaissance des idées comme dans les autres actes, est sujette à des illusions et à des maladies. […] Chopin était inconscient du jeu mécanique de ses muscles, et même du jeu de ces muscles intérieurs qui sont le raisonnement et le calcul ; était-il pour cela inconscient de ces joies ou de ces souffrances intérieures, de ces intuitions du génie où vient se concentrer tout un monde ?
Michel Chevalier, en exposant le mécanisme de certaines institutions, et le jeu compliqué des intérêts, ont montré de plus quel respect inévitable le spectacle d’un pareil développement de société inspirait à l’un des esprits les moins prévenus en faveur des expériences démocratiques. […] « Il est un pays dans le monde, se dit-il, où la grande révolution sociale semble avoir à peu près atteint ses limites naturelles ; elle s’y est opérée d’une manière simple et facile, ou plutôt on peut dire que ce pays voit les résultats de la révolution démocratique qui s’opère parmi nous, sans avoir eu la révolution elle-même. » Il nous emmène donc avec lui en Amérique pour y étudier le principe dominateur et générateur des sociétés modernes, l’égalité des conditions ; pour l’y contempler en ce vaste espace, où ni les souvenirs historiques, ni les décombres d’anciennes institutions ne l’ont comprimé ; pour l’y voir en jeu et vivifié de toute sa moralité, grâce à l’esprit religieux qui, là, s’est trouvé uni dès le début à l’ardeur laborieuse.
On raisonne donc, on examine, on pose des principes, mais par jeu, pour passer le temps, sans méthode suivie, sans intention de propagande. […] « Divertissements, parties de plaisir, jeux, collations, voyages à la campagne, visites, et telles autres récréations nécessaires à quantité de gens d’études, à ce qu’ils disent, ne sont pas mon fait : je n’y perds point de temps.
Ce n’est plus qu’un exercice littéraire, un jeu de société, où il ne s’agit que de passer adroitement par les conditions convenues. […] Il dirige son action, il donne « le coup de pouce », pour amener telle situation, tel jeu de sentiment, tel tableau, sur lesquels il compte.
On voit dans une lettre de La Fontaine à mademoiselle Champmeslé, de 1678, que La Fare se partageait entre elle et le jeu. […] Charmez-vous le malheur au jeu, toutes les autres disgrâces de M. de La Fare ?
Négociateur qui ne réussissait pas toujours, mais qui avait le charme de se faire pardonner ses défaites par ceux qui l’employaient et qui défalquaient son talent de ses insuccès ; joueur effréné, mais plus heureux dans la vie qu’au jeu, il échappa à la disgrâce dont Louis XIV frappa le joueur Brienne, et, que dis-je ? […] III Eh bien, ces facultés de Lionne, auxquelles Louis XIV et Mazarin se fièrent toujours, j’aurais voulu en voir le jeu.
Par malheur, le génie de M. de Lacroix est morne, sec, empesé, pédantesque, & ne sort de sa gravité que pour lancer des pointes & des jeux de mots plus désastrueux encore que son style ordinaire.
Pour nous, les hypothèses ne sont que des jeux d’esprit, et souvent les plus ingénieuses, les plus piquantes, ne sont que les plus dangereuses pour la vérité. […] Ce théâtre était dressé sur des tréteaux dans un jeu de paume qui existait encore il y a peu d’années. […] Les nouveaux acteurs ne déplurent point, et on fut surtout fort satisfait de l’agrément et du jeu des femmes. […] Elle joignait encore au talent de la déclamation et du jeu de théâtre celui de la danse. […] De Visé y parodiait encore le jeu tragique de Molière et sa manière d’annoncer.
Le Poëte a su y mettre en jeu, & toujours à propos, les différens ressorts du Théatre pour lequel il travailloit ; bien différent en cela de plusieurs Poëtes lyriques, qui n’ont pas craint de faire hurler la musique dans des vers durs & rocailleux, & de surcharger la scene d’un spectacle parasite, qui prouve le peu de ressource de leur génie.
Irai-je appliquer tristement la règle et le compas aux jeux d’une imagination badine, et toiser les écarts d’une folie ? […] Boursault, ayant perdu tout son argent au jeu dans un voyage, et ne sachant plus que devenir, s’avisa d’écrire à M. […] La morale n’est plus qu’un jeu, si on n’y aperçoit que les spéculations creuses des philosophes, ou les lois intéressées des législateurs. […] Perdre au jeu son présent déguisé, c’est une galanterie de dupe ; la maîtresse profite du gain sans se croire obligée ; elle attribue la délicatesse de l’amant à son étourderie, à son ignorance du jeu. […] c’est comme un jeu joué, et, pour ainsi dire, une partie carrée d’assassinat !
» — « Parce que, firent-ils, ce n’est pas jeu égal : car or ni argent ne peut équivaloir à votre personne, à celle de votre femme et de vos enfants qui sont à bord. » Alors le roi se tournant vers les principaux passagers, dit : Seigneurs, j’ai ouï votre avis et celui de mes gens. […] On dirait que les objets sont nés dans le monde le jour ou il les a vus… J’ai déjà remarqué ailleurs93 qu’à l’autre extrémité de la chaîne historique on a tout le contraire de cette impression, quand on lit nos graves professeurs d’histoire d’aujourd’hui, nos auteurs de considérations politiques d’après Montesquieu, mais plus tristes que lui, tous ceux qui cherchent et prétendent donner la raison de tous les faits, l’explication profonde de tout ce qui se passe, qui n’admettent sur cette scène mobile ni l’imprévu, ni le jeu des petites causes souvent aussi efficaces que les grandes ; esprits de mérite, mais ternes et laborieux, ployant sous le faix de la maturité autant que Joinville errait et voltigeait par trop de candeur et d’enfance94. […] Froissart, l’historien littéraire de la chevalerie, s’amusera un jour à décrire ce choc des combats, ce luxe des couleurs, cet éclat éblouissant des casques et des hauberts au front des batailles : chez Joinville, ce n’est pas encore un jeu ni un art, ce n’est que l’éclair naturel et rapide du souvenir, le reflet retrouvé de cette heure d’allégresse et de soleil où l’on était jeune, brillant et victorieux.
. — La Vie d’un soldat (suite de lithographies de Delpech) : ses premiers jeux ; départ du jeune conscrit, pleurs de sa maîtresse ; équipement militaire du jeune Grivet (il est dragon) ; premier fait d’armes du jeune Grivet, il est blessé au bras, etc. — Ces diverses scènes, celle de l’Apprenti cavalier (un soldat sur un âne qui rue, 1819), et la Cuisine militaire et la Cuisine au bivouac, et le galant hussard, et le jeune invalide qui fait danser l’enfant sur la seule jambe qui lui reste, sont plutôt des caricatures du genre, et Horace Vernet ici côtoie le Charlet. […] (un cavalier appelle les poules hors du poulailler, en leur jetant du grain, tandis que le camarade, collé tout contre la porte, le sabre levé, s’apprête à les guillotiner), etc., etc. ; — de petits drâmes en plusieurs scènes : des Soldats jouant au jeu de la drogue ; les Suites du jeu de la drogue (ils se donnent, comme on dit, un coup de torchon) ; puis la Réconciliation.
Chez les Anciens, chez les Grecs du moins, l’ode, c’était le théâtre encore, elle avait devant elle la Grèce assemblée et les Jeux Olympiques. […] Les caractères se dessinent et contrastent, ils concourent tous par un jeu naturel à l’action. […] Il avait gravé au fond du cœur l’antique programme d’Horace : « Quem tu, Melpomene, semel… Celui, ô Melpomène, que tu as regardé d’un œil d’amour au berceau, celui-là, il ne sera ni lutteur aux jeux de Corinthe, ni vainqueur aux courses d’Élide, ni général triomphateur au Capitole ; mais il aimera les belles eaux de Tibur, et il trouvera la gloire par des vers nés à l’ombre des bois. » Et dans le cas présent d’ailleurs, il y avait mieux, il y avait de quoi tenter et retenir toute l’ambition d’une âme de poëte.
Comme elles sont échappées à l’auteur à l’occasion de ce qui arrivait à ses héros et à ses héroïnes, elles ont souvent la vertu de rappeler quelque joie ou quelque douleur de la vie ; et il y en a qui résument si bien une situation dramatique, que malgré soi on se laisse aller à rêver sur la scène de roman qui a dû les inspirer : l’imagination ne s’arrête pas longtemps à ce jeu qui serait bientôt un travail, mais cette excitation n’en a pas moins du charme. […] L’oreille, l’œil, trouvent leur plaisir dans le rapport harmonique de deux sons ou de deux couleurs ; mais ici c’est pour ainsi dire le plus haut degré de consonance que l’âme puisse percevoir, car en même temps toutes ses puissances sont en jeu : l’imagination, les sens sont séduits, satisfaits par un des termes de la comparaison ; la raison spéculative ou le sens du beau moral, par l’autre ; et ce double plaisir est encore surpassé par celui qui naît simultanément du rapport entre les deux termes, c’est-à-dire de la similitude même. […] Hugo : il lui doit ses plus grandes beautés et ses défauts les plus saillants ; c’est par là qu’il s’élève quelquefois à des effets jusqu’ici inconnus, et c’est là aussi ce qui le fait tomber dans ce qu’on prendrait pour de misérables jeux de mots10.
Il s’engagea alors des querelles de plume acharnées, et il se livra de furieux combats : la politique, la philosophie étaient en jeu dans les moindres questions littéraires. […] Cependant, à travers ces jeux d’une imagination agréable, il se nourrissait de tout temps de lectures solides, et il aiguisait en silence son jugement. […] Au plus vif du jeu, il les observa toujours.
Il a des défauts sans doute, quelques pointes et jeux de mots, des comparaisons trop recherchées, des ressouvenirs de César, de Pompée et de Scipion, qui reviennent trop souvent, des thèses de parti-pris qui rappellent les déclamations des anciens. […] Il est comme saisi et transporté de l’ivresse de sa nouvelle condition paternelle ; son style cette fois s’allège et bondit : Puer nobis natus est, s’écrie-t-il, comme dans la messe de Noël, il me plaît de commencer cette lettre par un passage de l’Église, à l’imitation de nos anciens avocats en leurs plaidoiries d’importance… Je suis donc augmenté d’un enfant, et augmenté de la façon que souhaitait un ancien philosophe, c’est-à-dire d’un mâle et non d’une fille ; je dirois Parisien et non Barbare, n’étoit que ce nom sonne mal aux oreilles de tous… Et il raconte comment, par jeu et par un reste de superstition d’érudit, il a voulu chercher l’horoscope de ce fils, en ouvrant au hasard quelque livre de sa bibliothèque. […] Pasquier estimait que, quelques bonnes ordonnances qu’on y pût faire, ce n’étaient que belles tapisseries qui servaient seulement de parade a une postérité, mais que le fin du jeu était d’induire les roturiers, en les flattant, à une promesse d’impôt qu’on exigeait ensuite d’eux à toute rigueur.
Vers la dixième Étude, il commence plus directement l’exposition de ses vues et des harmonies telles qu’il les conçoit, le jeu des contrastes, des consonances, des reflets et des réverbérations en toutes choses : il y a des détails très fins, mais c’est déjà bien subtil, et dans sa vieillesse, abondant de plus en plus dans son sens, il exagérera encore tous ses défauts, que nous étale démesurément son ouvrage final des Harmonies. […] Ce qui distingue à jamais cette pastorale gracieuse, c’est qu’elle est vraie, d’une réalité humaine et sensible : aux grâces et aux jeux de l’enfance ne succède point une adolescence idéale et fabuleuse. […] Trois réponses à faire à trois candidats, des regrets à donner à ceux dont ils occupaient les places, lui fournissaient des idées nombreuses et variées, des images brillantes ou aimables comme les talents qu’il avait à célébrer… Il a loué les trois récipiendaires et leurs trois prédécesseurs, mais il ne s’est pas assez arrêté sur leur éloge, et l’on peut dire qu’il les a traités comme Pindare (lisez Simonide) traitait les héros des jeux Olympiques, dont sa muse se contentait de dire un mot, pour parler ensuite de Castor et Pollux.
Ce qui est surérogatoire peut manquer sans gêner gravement le jeu des fonctions vitales. […] En même temps, les forces qui sont ainsi soulevées, précisément parce qu’elles sont théoriques, ne se laissent pas facilement canaliser, compasser, ajuster à des fins étroitement déterminées ; elles éprouvent le besoin de se répandre pour se répandre, par jeu, sans but, sous forme, ici, de violences stupidement destructrices, là, de folies héroïques. […] Dira-t-on que les jugements de valeur mettent en jeu les idéaux ?