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496. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

L’instinct du public en jugeait mieux que l’enthousiasme des érudits. […] Les arts sont en effet des domaines distincts, circonscrits dans des limites hors desquelles les séductions même du génie ne peuvent nous entraîner ; car ces limites ne sont elles-mêmes que les dispositions et les instincts de notre esprit. Par un de ces instincts que développe et fortifie en nous l’éducation, nous cherchons l’idéal de la tragédie au-dessus de nos têtes, dans les événements considérables qui affectent directement des personnes illustres.

497. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

On connaissait Chateaubriand ; mais, avec un instinct plus juste que celui des prétendus néo-catholiques, pleins de naïves illusions, ces bons vieux prêtres se défiaient de lui. […] Ce n’est pas que les instincts qui plus tard m’entraînèrent hors de ces sentiers paisibles n’existassent déjà en moi, mais ils dormaient. […] J’ai toujours ainsi été très injuste d’instinct envers la bourgeoisie.

498. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Ils eurent des instincts plutôt que des études ; ils furent des poètes et non des théoriciens. […] Obstacles matériels Cette critique militante, qui est la difficulté et le triomphe du genre, qui, par les qualités qu’elle exige, netteté, décision, hardiesse, instinct heureux et pressentiment du goût public, convient si bien à l’écrivain français, a eu quelques beaux jours dans le premier quart du siècle. […] Le juge littéraire doit avoir l’instinct du vrai, le sens de l’art.

499. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Son instinct politique n’est jamais en défaut. […] En écrivant l’histoire de ce politique aveugle et maladroit, qui a perdu, en se donnant tant de peine, la partie contre les instincts, les idées et les intérêts du monde moderne qui devait tout emporter, s’est-il douté, Forneron, que ce qui sauverait Philippe II du mépris et de l’horreur des hommes (chose singulière, quand il s’agit d’un pareil homme !) […] La dernière pensée, en effet, qu’il y ait dans le cerveau des hommes, est pour l’intérêt d’une conservation dont les bêtes elles-mêmes ont l’instinct.

500. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

X Elle est là toute, en effet, dans ces pages : instincts, passions, habitudes, double empreinte de l’esprit et de la volonté, puissances et impuissances ! […] J’avoue qu’en la lisant, cette correspondance, le cœur m’a failli une minute… Il y a là-dedans une honnêteté si naturelle et si foncière, une telle santé d’instinct, une telle naïveté de noblesse, une si forte simplicité de mœurs, que j’ai été touché et aurais été entraîné vers l’homme de cœur, si l’homme de l’idée fausse, — de l’inoubliable idée fausse, — ne m’avait raffermi dans mon horreur première. […] Mais les entrailles du père, l’instinct patriarcal de l’homme familial, qui apparaît, entre sa femme et ses enfants, au jour de la Correspondance, ont ici, heureusement, été plus forts que les systèmes du philosophe, et l’involontaire christianisme de la nature de Proudhon a entraîné sa réflexion aux mêmes conséquences que Bonald, le catholique et grand Bonald !

501. (1901) Figures et caractères

Il a, comme l’a dit Taine, « l’instinct de la vérité ». […] Il a un instinct presque animal de sa conservation. […] Si cet instinct ne peut pas se réaliser, il peut au moins se reconnaître ; infirme, il est clairvoyant. […] Il semble que, par instinct, il attende. […] C’est bien ce double instinct qui trouva son exemple clans Verlaine et dans Mallarmé.

502. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

les jeunes poètes d’aujourd’hui, surtout ceux qu’on appelle les « symbolistes », il me semble que Lamartine doit leur plaire infiniment, et qu’il a souvent fait par instinct ce qu’ils veulent faire avec préméditation. […] instinct d’une autre vérité, Qui guide par sa force et non par sa clarté, Comme on guide l’aveugle en sa sombre carrière Par la voix, par la main, et non par la lumière. Noble instinct, conscience, ô vérité du cœur ! […] La science toute seule, l’accroissement du pouvoir sur la nature, sans un accroissement équivalent de l’esprit de charité et de renoncement, n’a rien qui puisse atténuer chez les hommes les instincts égoïstes de l’humanité première : il n’apporte point au progrès de l’humanité un élément nouveau ; il met seulement, chez les mieux doués et les plus intelligents, au service de ces instincts, de nouveaux instruments par où s’aggrave encore l’antique et fatale inégalité. […] Il est dans la nature Je ne sais quelle voix sourde, profonde, obscure Et qui révèle à tous ce que nul n’a conçu ; Instinct mystérieux d’une âme collective, Qui pressent la lumière avant que l’aube arrive, Lit au livre infini sans que le doigt écrive, Et prophétise à son insu.

503. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

C’est là encore un exemple de sensations sans intervention du cerveau proprement dit. » — D’autre part, les lobes cérébraux étant intacts, si l’on blesse ou détruit les tubercules quadrijumeaux, l’animal devient aveugle, en gardant néanmoins toutes ses idées tous ses instincts et toutes ses autres sensations. […] Par une autre conséquence, les instincts manquent ; car les instincts sont constitués par des groupes d’images dont l’association est innée. […] En effet, toutes les images dont l’enchaînement irrégulier fait le rêve et dont l’enchaînement régulier fait la veille étaient absentes ; il ne restait que des sensations rares, intermittentes, celles que l’expérimentateur éveillait, et, avec elles, les tendances sourdes et les mouvements involontaires qui les suivent. — Une poule survécut dix mois à la même mutilation, et, au bout du cinquième mois, était grasse, très forte, très saine ; mais les instincts, la mémoire, la prévision, le jugement étaient abolis. […] Dans la première, l’animal (chien, lapin) éthérisé perd son intelligence, sa volonté, ses instincts, toutes ses facultés, moins ses sensations brutes.

504. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Tout grand poète est philosophe d’instinct et d’inspiration ; tout grand philosophe est poète. […] La même confiance que demande la réalité vous est demandée ; vous sentez par instinct que le poète a dit vrai ; l’idée ne vous vient pas de le démentir. […] À l’instinct ? […] Or, l’intérêt, l’instinct, l’habitude, c’est le moi vu de trois côtés différents ; ou, si l’on veut, ce sont des forces auxquelles on cède, non des autorités auxquelles on obéit ; et cela est si vrai que le devoir, dans la plupart des cas, consiste précisément à résister à l’intérêt, à l’instinct et à l’habitude. […] L’instinct en déciderait tout aussi bien ou tout aussi mal ; ce n’est pas la peine de faire un système.

505. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Ces inégalités peignent bien le Germain solitaire, énergique, imaginatif, amateur de contrastes violents, fondé sur la réflexion personnelle et triste, avec des retours imprévus de l’instinct physique, si différent des races latines et classiques, races d’orateurs ou d’artistes, où l’on n’écrit qu’en vue du public, où l’on ne goûte que des idées suivies, où l’on n’est heureux que par le spectacle des formes harmonieuses, où l’imagination est réglée, où la volupté semble naturelle. […] Et véritablement ce procédé, qui est l’imitation de la nature, est le seul par lequel nous puissions pénétrer dans la nature ; Shakspeare l’avait pour instinct et Gœthe pour méthode. […] Chez lui comme chez eux, l’homme spirituel et intérieur se dégage de l’homme extérieur et charnel, démêle le devoir à travers les sollicitations du plaisir, découvre Dieu à travers les apparences de la nature, et, au-delà du monde et des instincts sensibles, aperçoit un monde et un instinct surnaturels. […] » Il y a en nous un instinct qui dit non. […] On déchaîna les instincts et l’on renversa les barrières.

506. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Dieu a fait ces machines à bienfaits ; ils obéissent à leur instinct. » Voyez comme il aime à matérialiser les choses dans l’expression ! […] Le génie est plus près de l’instinct que de l’esprit, cependant il est fort au-dessus de l’esprit.

507. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Je crois que M. de Feuquières pourra bien jouer des siennes et faire valoir des sentiments fondés sur des raisons bonnes pour ceux qui ne voient pas les choses… » Je ne me fais pas juge entre Catinat et Feuquières, ce serait une grande impertinence ; je ne me fais point le défenseur de Feuquières, ce n’est point mon rôle, et il y aurait à ceci de l’impertinence encore et, qui plus est, de l’injustice ; mais enfin, pour voir le double côté de la question, pour l’envisager à sa juste hauteur et la dégager autant que possible des personnalités dont elle est restée masquée jusqu’à ce jour, qu’on veuille supposer un instant ceci : il y a dans l’armée de Catinat un militaire, incomplet dans la pratique, mais d’un génie élevé, qui a, dès 1690, l’instinct et le pressentiment des grandes opérations possibles sur cet admirable échiquier de la haute Italie ; ce militaire, à tout moment, conçoit ce qu’on pourrait faire et ce qu’on ne fait pas ; il blâme, il critique, il raille même, il hausse les épaules, il est ce qu’on appelle un coucheur, et ce qu’on appelait alors être incompatible : tel était Feuquières, qui à des vues supérieures joignait, il faut en convenir, une malignité particulière. […] M. de Tessé, obéissant à ses instincts et donnant cours à ses talents, s’était arrangé pour entrer en relations secrètes avec le duc de Savoie, et Catinat, informé de ce double rôle qu’autorisait la Cour, n’en avait conçu nulle jalousie ; il croyait peu à la réussite de cette intrigue et s’occupait surtout de son métier.

508. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

que mes instincts sauvages m’ont toujours bien servie ! […] On serait trop tenté vraiment, à voir le détail d’une telle vie, et quel mal infini eut de tout temps à se soutenir et à subsister cette famille d’élite et d’honneur, ce groupe rare d’êtres distingués et charmants, comptant des amitiés et, ce semble, des protections sans nombre, chéris et estimés de tous, on serait tenté de s’en prendre à notre civilisation si vantée, à notre société même, à rougir pour elle ; et surtout si l’on y joint par la pensée le cortège naturel de Mme Valmore, cette quantité prodigieuse de femmes dans la même situation et « ne sachant où poser leur existence », courageuses, intelligentes et sans pain, « toutes ces chères infortunées » qui, par instinct et comme par un avertissement secret, accouraient à elle, qu’elle ne savait comment secourir, et avec qui elle était toujours prête à partager le peu qui ne lui suffisait pas à elle-même !

509. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Le poëte trouve la région où son génie peut vivre et se déployer désormais ; le critique trouve l’instinct et la loi de ce génie. […] Aveugle et rapide en son instinct, il porte du premier coup la main au sublime, au glorieux, au pathétique, comme à des choses familières, et les produit en un langage superbe et simple que tout le monde comprend, et qui n’appartient qu’à lui16.

510. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

« La Révolution était un instinct chez lui, non une religion. […] Indépendamment de son idéal, il avait l’instinct politique.

511. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Je sentais d’instinct que cet homme était d’une race supérieure à la mienne, et que le génie l’avait marqué au front. […] Fontanes, l’homme aux habiles pressentiments, pouvait deviner ces choses et n’en pas moins pousser sa pointe : il avait ses éperons à gagner, a-t-on dit, contre la nouvelle Clorinde ; et d’ailleurs, sans chercher tant d’explications, il suivait son instinct de critique en même temps que d’homme du monde, très-décidé à n’aimer les femmes que quand elles étaient moins viriles que cela.

512. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Ce sont des motifs humains, non leurs instincts d’animaux, qui les rapprochent ou les brouillent. […] Comme on n’y saisit pas d’intention de faire vrai, on n’y trouve guère aussi trace d’observation : quand le trait est juste, c’est d’instinct, par une bonne fortune de l’œil et de la main.

513. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Mais qu’importe que notre vertu nous soit peut-être une source aussi abondante de souffrances que nos instincts mauvais et nos passions intéressées ! […] Octave Feuillet résume comme il suit : Développer à toute leur puissance les dons physiques et intellectuels qu’il tenait du hasard, faire de lui-même le type accompli d’un civilisé de son temps, charmer les femmes et dominer les hommes, se donner toutes les joies de l’esprit, des sens et du pouvoir, dompter tous les sentiments naturels comme des instincts de servage, dédaigner toutes les croyances vulgaires comme des chimères ou des hypocrisies, ne rien aimer, ne rien craindre et ne rien respecter que l’honneur : tels furent, en résumé, les devoirs qu’il se reconnut et les droits qu’il s’arrogea.

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