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1457. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Nobles démentis donnés à la philosophie de la sensation, dans le temps que Voltaire mettait à la mode Locke, Dont la main courageuse A de l’esprit humain posé la borne heureuse… ce qui veut dire : qui a appris à l’esprit humain à ne pas nier que la matière soit capable de penser. […] C’est l’heureux privilège de l’histoire naturelle que ses principales vérités soient à la portée de tous, et que la langue littéraire suffise à les exprimer. […] Les sondes puissantes dont on fouille le sein des mers, pour y poser les câbles électriques, dessinent successivement les vallées et les plateaux que Buffon y avait vus de l’œil de l’esprit, et permettent aux géologues d’en constater l’heureuse correspondance avec les plaines montagneuses et les plateaux élevés de la terre. […] Heureux esprit, Fleury fut toujours, et dès sa jeunesse, aux meilleurs endroits et sous les meilleurs guides pour s’instruire et se former.

1458. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Les poètes, sans parler de leurs efforts rarement heureux pour reproduire par l’harmonie imitative les voix de la nature, se sont livrés à des recherches de sonorité ou d’euphonie qui les ont menés fort loin. […] L’œuvre de Béranger fournirait, au besoin, mille preuves du profit qu’il a tiré de cette contrainte heureuse. […] Il est permis de rêver une entente plus fraternelle et plus heureuse entre les deux puissances. […] Gluck écrivait déjà : « La musique doit ajouter à la poésie ce que l’heureux accord de la lumière et des ombres, la vivacité des couleurs ajoutent à la correction et à la bonne tenue du dessin, en animant les figures sans en altérer les contours. » Seulement pour que l’accord et l’équilibre, difficiles à établir et faciles à déranger, se maintiennent, peut-être faut-il qu’il y ait fusion du poète et du musicien en une seule et même personne, et qu’en sus l’artiste doublement doué ait une égale maîtrise dans l’un et l’autre art.

1459. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

On comprend fort bien que le hasard amène dans la structure des organismes tels et tels accidents heureux, telles variations favorables à l’espèce ; mais peut-on se figurer la sensibilité au plaisir ou à la douleur comme un accident de ce genre, comme une nouveauté due à une combinaison fortuite d’éléments insensibles ? […] Quatre situations sont possibles, si on considère le rapport d’intensité entre l’énergie dépensée et l’énergie accumulée, entre le travail produit et la nutrition : 1° un excédent d’acquisition avec dépense insuffisante produit la peine négative du besoin : l’enfant bien nourri souffre de l’immobilité ; 2° un surcroît de dépense succédant à un surcroît d’acquisition produit le plaisir positif de l’exercice : l’enfant est heureux de courir, de sauter, de jouer ; 3° un surcroît de dépense avec insuffisance de réparation produit la fatigue et la douleur positive : une course trop rapide ou trop prolongée amène la lassitude ; 4° l’absence de dépense après l’épuisement produit le plaisir négatif du repos. […] On peut voir une idée profonde dans cette théorie d’Épicure que la cessation de la douleur n’est pas l’indifférence, mais le bien-être, un calme heureux, un contentement consolidé et constitutif, ἡδονή ϰαταστηματιϰή. […] Une découverte faite sans avoir été cherchée est une chance heureuse, un pur gain, une richesse inattendue, un héritage sur lequel on ne comptait pas.

1460. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Les malheureux, des pestiférés atteints d’une plaie incurable, que leur organisation fait souffrir comme celle des heureux les fait jouir ? […] Là encore il y a une sorte d’action Autant qu’un roi je suis heureux ; L’air est pur, le ciel admirable… Nous avions un été semblable Lorsque j’en devins amoureux ! […] Derrière les ennuis et les vastes chagrins Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse, Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse S’élancer vers les champs lumineux et sereins ! […] — Il n’est nul besoin, répondrons-nous, d’admettre les antiques causes finales ni un but défini de l’univers pour admettre la loi de l’évolution et pour considérer, au point de vue de cette loi, la vitalité plus intense et expansive, plus consciente et heureuse, plus féconde pour soi et pour autrui, comme supérieure, comme plus vivante et plus durable.

1461. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

C’était un homme juste. » Ici tableau patriarcal et pastoral de la richesse, de la considération, du bonheur domestique de cet homme puissant et heureux. […] Mais les jours heureux de l’impie Ne s’éclipsent pas au matin ; Tranquille, il prolonge sa vie Avec le sang de l’orphelin. […] Ils répliquent par des banalités de sagesse vulgaire qui leur donnent la supériorité facile de l’homme heureux sur le misérable. […] Parmi les hommes, les uns meurent pleins de jours, riches et heureux, les autres dans l’amertume de leur âme, sans avoir goûté aucun bien ; et cependant tous dorment ensuite également dans la poussière, et les vers rampent également sur leurs cadavres ! 

1462. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Alors, le souvenir excitant l’espérance, L’attente d’être heureux devient une souffrance ; Et l’œil ne sonde plus qu’un gouffre éblouissant, Pareil à ceux qu’en songe Alighieri descend. […] Son père, déjà vieux, riche et noble seigneur, Quoique avare, l’aimait, et n’avait de bonheur Qu’à la voir admirer, et quand on disait d’elle Qu’étant la plus heureuse, elle était la plus belle. […] Cet amour, bien qu’il aspire à la possession de la Béatrice visible à laquelle on a voué un culte pur, n’a pas besoin pour être heureux de ces plaisirs doux et amers dans lesquels tu cherchas jusqu’ici la sensualité plutôt que l’immortelle volupté des Pétrarques, des Tasses, des Dantes, seule aspiration digne de celui qui a une âme à satisfaire dans le plus divin sentiment de sa nature. […] Et nous donc, si nous avons été plus heureux, avons-nous donc été plus sage ?

1463. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Que d’admirables vues sur les passions, sur la volupté et ses dégoûts (sermon de L’Enfant prodigue) ; sur l’ambition et ses convoitises (sermon de L’Emploi du temps) ; sur l’envie et ses tortuosités (sermon du Pardon des offenses) ; sur les misères même d’une tendresse criminelle heureuse, d’un engagement de passion agréé et partagé (sermon de La Pécheresse) : Quelles frayeurs que le mystère n’éclate ! […] Ce n’est pas que le malin n’y reçût de temps en temps sa leçon au passage : dans ce même Petit Carême, Massillon, comme s’il eût présagé à l’avance l’auteur de La Pucelle, a dit : Ces beaux-esprits si vantés, et qui, par des talents heureux, ont rapproché leur siècle du goût et de la politesse des anciens ; dès que leur cœur s’est corrompu, ils n’ont laissé au monde que des ouvrages lascifs et pernicieux, où le poison, préparé par des mains habiles, infecte tous les jours les mœurs publiques, et où les siècles qui nous suivront viendront encore puiser la licence et la corruption du nôtre.

1464. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

À défaut d’invention, on fut trop heureux de trouver un sujet de critique qui, pendant deux ou trois ans, fournit matière à des quantités d’écrits et à toutes les conversations. […] L’abbé Terrasson croit déjà à son siècle comme plus tard y croira Condorcet : Les sciences naturelles, dit-il, ont prêté leur justesse aux belles-lettres et les belles-lettres ont prêté leur élégance aux sciences naturelles ; mais, pour étendre et fortifier cette union heureuse qui peut seule porter la littérature à sa dernière perfection, il faut nécessairement rappeler les unes et les autres à un principe commun, et ce principe n’est autre que l’esprit de philosophie.

1465. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

Bergeret, secrétaire du cabinet, à célébrer Louis XIV, ses guerres, ses conquêtes, le triomphe de sa diplomatie impérieuse : Heureux, disait en terminant Racine (et cette péroraison n’est pas la plus délicate partie de son discours), heureux ceux qui, comme vous, Monsieur, ont l’honneur d’approcher de près ce grand prince, et qui, après l’avoir contemplé, avec le reste du monde, dans ces importantes occasions où il fait le destin de toute la terre, peuvent encore le contempler dans son particulier, et l’étudier dans les moindres actions de sa vie, non moins grand, non moins héros, non moins admirable, que plein d’équité, plein d’humanité, toujours tranquille, toujours maître de lui, sans inégalité, sans faiblesse, et enfin le plus sage et le plus parfait de tous les hommes !

1466. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Sous la forme brusque, rien de plus fin et de plus persuasif : « Sire, je me tiens bien heureux, tant de ce qu’il vous plaît que je vous die mon avis sur cette délibération qui a été tenue en votre conseil, que parce aussi que j’ai à parler devant un roi soldat, et non devant un roi qui n’a jamais été en guerre. » Et il appuie adroitement sur cette fibre chevaleresque de François Ier, de ce roi qui, dans les fortunes de guerre, n’a jamais épargné sa personne non plus que s’il eût été le moindre gentilhomme de son royaume. […] Et son énumération achevée : Puisque donc, Sire, poursuivait-il, je suis si heureux que de parler devant un roi soldat, qui voulez-vous qui tue neuf ou dix mille hommes, et mille ou douze cents chevaux, tous résolus de mourir ou de vaincre ?

1467. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Il est fort heureux qu’il ait lu Plutarque dans son enfance et par les soins de sa mère, car il ne l’aurait sans doute pas lu plus tard ; il n’en aurait eu ni le temps ni la patience, et nous n’aurions pas cette charmante lettre, la plus jolie de celles qu’il adresse à Marie de Médicis, et qui est des premiers temps de son mariage (3 septembre 1601) : M’amie, j’attendais d’heure à heure votre lettre ; je l’ai baisée en la lisant. […] Châteaux en croupe, cela est amené et comme entraîné par la vivacité de l’action ; mais, pour paraître naturel, en est-ce moins heureux ?

1468. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

Poli, doué, à ce qu’il semble, des avantages extérieurs et d’un grand esprit de sociabilité, aimant à se répandre, à voir, à savoir, à observer, et se plaisant à verser chaque matin sur une idée aisément éclose un courant de versification facile, il était heureux et si bien dans son élément, que le dégoût ne lui serait point venu. […] Or Sénecé en a fait beaucoup de faibles, de médiocres et d’inutiles, c’est le cas de tous les auteurs d’épigrammes ; mais il en a fait aussi de bonnes, et en voici une qui me paraît excellente ; elle est imitée ou plutôt inspirée de Martial et de ses vœux de bonheur, mais avec un rajeunissement original et piquant ; elle est adressée à Bellocq, valet de chambre de Louis XIV, ancien camarade et ami intime de Sénecé : Pour être heureux, je, voudrais peu de chose Esprit bien sain, tempérament de fer, D’argent comptant bonne et loyale dose, Glace en été, bon feu pendant l’hiver ; Amis choisis, et livres tout de même ; Un peu de jeu, sans pourtant m’y piquer ; Point de procès, dispense de carême.

1469. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Son armée était rendue dans la Valteline le 24 avril 1635 ; la campagne s’ouvrait sous d’heureux auspices. […] Ce dernier combat de Morbegno, le plus glorieux des quatre que Rohan avait eu à livrer, et qui a déjà je ne sais quel brillant et comme un éclair des combats d’Italie, couronnait à son honneur cette belle campagne de 1635, où, grâce à lui, les armes du roi, moins heureuses partout ailleurs, avaient eu dans la Valteline un succès constant.

1470. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Il n’est plus question de me reposer après le dîner ni de manger quand j’ai faim ; je suis trop heureuse de pouvoir faire un mauvais repas en courant, et encore est-il bien rare qu’on ne m’appelle pas dans le moment que je me mets à table. […] Toute femme qu’elle est (notez-le bien), elle n’a pas de nerfs, de vapeurs, ni de ces nuages qui passent ; elle n’a pas cette imagination qui grossit les objets : sur un fond de santé forte, d’humeur heureuse et peut-être d’indifférence, il y a un esprit ferme, adroit et actif, de vives qualités disponibles, dressées de bonne heure à la grande vie, au train des cours, et qui cherchent leur aliment et leur plaisir dans le démêlé des intérêts, dans le maniement des ressorts, dans l’influence et la représentation continue.

1471. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Il y a de bons et beaux paragraphes, et j’en ai cité, mais peu d’heureuses pages. […] J’appelle génie quelque chose d’heureux, d’aisé, de trouvé.

1472. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Elle se dit bien vite qu’il serait heureux pour elle, au milieu de ce monde méchant et corrompu, de pouvoir se faire une petite société d’honnêtes gens et sûrs ; et en effet, lorsqu’elle les aura une fois distingués et choisis, elle s’y tiendra avec une fidélité inviolable. […] Au reste, il est plus heureux pour vous que le cœur du roi ne soit pas fort porté à la tendresse, parce qu’en cas de passion la froideur naturelle est moins cruelle que l’infidélité. » La glace était posée désormais, et c’est le vieux précepteur qui l’avait mise ; elle ne fit que s’entr’ouvrir et ne disparut jamais entièrement depuis.

1473. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

Quelque judicieux et heureux qu’ait été M.  […] On jouit, sauf quelques menaces et des veilles pénibles aux frontières, de l’unité incontestée du monde romain, de ce qu’on a appelé « la majesté de la paix romaine. » Un écrivain qui n’est pas suspect d’optimisme, Tertullien, comparait l’univers, en ce siècle heureux, au verger riant d’Alcinoüs : « Le monde, disait-il, est comme le jardin de l’Empire. » Adrien, on le sait, rassemblait dans la villa magnifique qui porte son nom des échantillons de toutes les merveilles du monde : le monde à son tour, du temps d’Adrien et de ses deux successeurs, n’était pour le Romain qu’une magnifique villa, une villa Adriana en grand.

1474. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. (Suite) »

Comme il m’aime plus que ses enfants, je l’ai attaqué du côté de la religion, et lui ai fait sentir si ce mariage (espagnol) n’était pas heureux, on s’en prendrait à lui ; que Rome donnait des dispenses auxquelles bien des honnêtes gens, dans le royaume, ne donnaient pas leur approbation ; enfin je me suis retourné de tant de manières, que le roi m’écrit qu’il a pris son parti, et qu’après avoir vaincu ses ennemis, il faut bien que tout me cède (c’est une galanterie de sa part). » Ainsi le maréchal, qui sous ses airs de soldat a des finesses de négociateur, s’est fait casuiste un moment avec Noailles ; il a eu recours à un ordre d’arguments gallicans et presque jansénistes. […] L’ancien régime ou, pour mieux parler, la vieille France, lui a dû ses derniers beaux jours de guerre heureuse, ses derniers rayons de gloire à la veille de la décadence extrême, déjà commencée.

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