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44. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 326-344

L'Orateur y est toujours entraîné par la chaîne des événemens, soit qu'il manque de force ou d'adresse pour manier son sujet, soit parce qu'il ignore que les Productions oratoires doivent avoir leur machine, comme le Poëme a la sienne. […] Thomas, on y rencontrera à chaque page des masses, des calculs, des chocs, des résultats, des machines, des points, des centres, des réactions, des secousses, des étendues, des limites, des plans, des ressorts… On y verra éternellement revenir ces expressions merveilleuses, forces de l'ame, forces du génie, forces humaines, forces réunies ; vastes édifices, vastes fondemens, vastes desseins, imagination vaste, génie vaste… Par-tout ce sont des Ouvrages immenses, des étendues immenses, des génies immenses, des ames immenses…. […] Ecoutons encore : le Maréchal de Saxe étudioit l'art qui enseigne les propriétés du mouvement, qui mesure les temps & les espaces, qui calcule les vîtesses & commande aux élémens dont il s'assujettit les forces,….. l'art de faire mouvoir tous ces vastes corps, d'établir un concert & une harmonie de mouvement entre cent mille bras, de combiner tous les ressorts qui doivent concourir ensemble, de calculer l'activité des forces & le temps de l'exécution *. […] Fidele à ses engagemens, malgré toutes les réactions, il s'est persévéramment tenu renfermé dans les formes intellectuelles & les forces combinées de son style, & s'est élevé même au dessus du niveau de son immense génie, dans son Essai sur le caractere, les mœurs, & l'esprit des Femmes.

45. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Le rythme ou l’ordre n’est donc pas, à vrai dire, quelque chose de distinct de la force même : il est simplement un moyen pour la force de se conserver aussi grande que possible en face des résistances ; l’ordre est une économie de force. […] Les Samson et les Hercule sont tout ensemble des types de force, de courage et de bonté. […] Dans la perception nous déployons notre force, en harmonie ou en conflit avec les forces extérieures : s’il y a harmonie, il y a moins de force perdue : il y a par cela même sentiment d’une vie plus intense et plus facile, il y a beauté. […] De nos jours, au contraire, la force et la beauté du corps ne sont plus notre idéal. […] est-ce parce qu’il représente à nos yeux une force de la nature, l’élasticité ?

46. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

La vie a donc son essence dans la force ou plutôt dans l’idée directrice du développement organique ; c’est la force vitale ainsi comprise qui constituait la force médicatrice d’Hippocrate, la force séminale et l’archeus faber de Van Helmont. […] Cette force vitale, dit-il, qui sans cesse lutte contre les forces physiques, agit avec intelligence, dans un dessein calculé, pour la conservation de l’organisme. […] L’eau n’a apporté rien autre chose, ni force ni principe. […] en d’autres termes, existe-t-il dans les êtres vivants une force spéciale qui soit distincte des forces physiques, chimiques ou mécaniques ? […] Notre esprit saisit cette unité comme une conception qui s’impose à lui, et il l’explique par une force ; mais l’erreur serait de croire que cette force métaphysique est active à la façon d’une force physique.

47. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Il parle pourtant des passions qui l’entraînaient ou du moins auxquelles il croyait devoir céder, faussement persuadé alors que les passions sont la mesure de la force et de l’énergie. […] Trente ans plus tard, il finira par les résoudre dans le sens favorable à l’âme, à sa force active, et encore en supposant cette force aidée et soutenue par une puissance supérieure et un esprit qui lui communique une sorte de grâce. […] Savant, il n’a ni la force d’un Fichte, ni l’audace et la trempe d’un Emerson, ce Descartes en permanence. […] L’exercice des facultés que j’ai le plus cultivées et auxquelles je tiens le plus est toujours en moi plus ou moins pénible, et je n’ai presque jamais le sentiment de force et d’aisance dans leur exercice. » Tout le journal que nous avons sous les yeux est la preuve de ce labeur et de cette difficulté continuelle. […] Mon imagination est éteinte, et il faut de l’imagination, c’est-à-dire un certain degré d’activité et de vivacité dans les idées, pour traiter un sujet quelconque, fût-il le plus abstrait possible… Je suis toujours à l’essai de mes forces ; je n’y compte pas, je commence et recommence sans fin.

48. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Étant donné un fait il y a toujours une cause, force ou nécessité, qui le produit ; sans cela, il ne se produirait pas. […] S’il y a une force qui le produit, d’autres forces peuvent le détruire. S’il vient du dedans, il dépend du dehors. — Par exemple, il y a une force qui développe le poulet et l’organise. […] Il y voyait d’abord une œuvre des forces naturelles ; il y voyait ensuite l’accomplissement d’une volonté surnaturelle. […] Ce fut un bonheur pour lui ; délivré de la concentration violente qui l’emprisonnait en lui-même, et habitué à considérer les forces comme des lois et des qualités des choses, il ne prétendit point que les forces fussent des êtres, ni que l’âme fût une force.

49. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Mais pour réduire l’homme à cet état, il faut le tourmenter sans cesse ; car tendant toujours à y échapper par la force même de la nature, pour arrêter cette tendance, il faut le précipiter par la douleur dans l’abrutissement. […] Souvent des revers et toujours du malheur au dedans de soi ; mais l’esprit vraiment remarquable, mais une intelligence éclairée, c’est l’homme qui choisit le bien et sait le faire, pour qui la vérité est une puissance de gouvernement, et la générosité un moyen de force. […] Non, je ne puis le dire, et soit que j’excite ou que je désarme l’injustice, en avouant sa puissance sur mon bonheur, je n’affecterai point une force d’âme que démentirait chacun de mes jours. Je ne sais quel caractère il a reçu du ciel, celui qui ne désire pas le suffrage des hommes, celui qu’un regard bienveillant ne remplit pas du sentiment le plus doux, et qui n’est pas contristé par la haine, longtemps avant de retrouver la force qu’il faut pour la mépriser. […] Plus l’esprit est naturel, plus il est incapable de conserver aucune force, quand l’appui de la conviction lui manque.

50. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

La vérité vraie est que l’auteur est la nature, et que, dans la vie morale comme dans la vie physique, tout se fait et s’explique par le jeu des forces naturelles. […] D’où lui vient cette force créatrice ? […] Telle est la formule de la corrélation de l’esprit avec les autres forces de la nature. […] Pour la volonté, il invoque l’expérience attestant tout ce qu’amène de fatigue et d’épuisement dans l’économie des forces organiques l’effort prolongé de la force volontaire, soit pour résister à l’assaut des passions, soit pour maintenir la concentration des facultés intellectuelles sur un objet donné. […] Tout n’est pas composition d’atomes ou résultante de forces dans l’organisation universelle.

51. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

Cette force, selon nous, fut l’intérêt même des êtres. […] Une saveur âcre ou violemment acide, comme celle du vitriol, excite en nous, par la réaction qu’elle produit, le sentiment confus d’un conflit de forces et de mouvements ; une saveur douce, celui d’un concours de forces. […] La force effective attribuée à l’objet est celle dont le sujet se voit tout d’un coup privé. […] Dès lors, à tous les points de vue, nous pouvons conclure que la sensation est la révélation d’une force qui agit en conflit ou en concours avec les forces extérieures. […] Il faut donc admettre que la sensation est un facteur efficace dans la lutte pour la vie, une des forces en action, au sens le plus général des forces, considérées comme causes de changement et de mouvement.

52. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Mais l’idée suprême qui le domine et de laquelle il ne s’écarte jamais, est celle de la toute-puissance d’action qui réside dans la volonté une fois déclarée, dans les passions une fois émues du grand nombre, dans la force des choses qui a ses effets en dépit de tous les obstacles et dont il a été suffisamment parlé ailleurs. Un pas de plus encore ; que cette force soit supposée émanée d’en haut, qu’elle ne soit que la voix humaine par laquelle se promulgue une volonté supérieure, l’instrument par lequel elle s’accomplit, et voilà que d’un seul coup on est transporté dans le système de Bossuet. […] Encore une fois, la force des choses de l’historien philosophique, laquelle résulte principalement de la nature humaine et de ses lois, ne signifie en sens mystique, pour l’historien sacré, que l’enchaînement des moyens dont la providence dispose. […] Pendant que ces causes et ces passions avaient leurs effets et leur cours, les forces naturelles, physiques, physiologiques, n’étaient pas suspendues ; la pierre continuait de peser, et le sang de circuler. […] Si le nez de Cléopâtre eût été plus court, la face de la terre eût été changée. » Gardons-nous toutefois d’exagérer : en n’appréciant que les forces morales et les circonstances historiques, M. 

53. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre septième. Les sentiments attachés aux idées. Leurs rapports avec l’appétition et la motion »

Aussi les sentiments logiques se ramènent-ils aux sentiments dynamiques, c’est-à-dire à ceux que produit l’exertion plus ou moins facile et efficace de la force. […] Ce désir est divinateur, comme tous les instincts naturels, parce qu’il est, en définitive, la force accumulée par les succès antérieurs de l’intelligence, soit dans l’individu, soit dans la race. […] L’idée de l’universel, la plus haute de toutes, puise sa force dans notre amour même de notre individualité en tant qu’intelligente ou, comme on dit, raisonnable. L’universel, en effet, est la seule satisfaction adéquate d’une pensée qui a pour condition d’existence la synthèse complète de la multiplicité dans l’unité ; l’idée universelle est le maximum d’efficacité avec le minimum de dépense intellectuelle : elle est donc une économie de force et un déploiement de puissance. […] L’intérêt est la force prédominante de l’idée du moi ; le désintéressement est la force prédominante de l’idée d’autrui.

54. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Ajoutez que, s’il est rencontré dans son âge de faiblesse par un autre homme isolé plus fort que lui, il devient à l’instant sa victime ou son esclave ; en sorte que le premier phénomène que présente la première société, c’est un maître et un esclave, un bourreau et une victime, jusqu’à ce que par les années la force du plus âgé devienne faiblesse, et la faiblesse du plus jeune devienne force et oppression, que les rôles changent, et que l’esclavage alternatif passe de l’un à l’autre avec la force brutale. […] Où peut être l’autorité d’une souveraineté sociale qui ne puise pas son droit et sa force dans la source de tout droit et de toute force, la nature et la divinité ? « Le droit, dit-il, n’ajoute rien à la force », et quelques lignes plus loin il conteste le droit à la force. […] Nullement, selon moi ; cette société politique, qui multiplie en effet les forces de l’individu par la force collective de l’association de tous, a certainement pour effet la perpétuation et l’amélioration physique de la race humaine ; mais elle a un objet de plus, une dignité de plus, une moralité de plus, un spiritualisme de plus. […] Ce n’est là ni une convention délibérée sans langue et sans raisonnement, ni un droit de la force toujours contrebalancée par cent autres forces, ni une aristocratie sans corporations, sans hérédité, sans ancêtres, ni une démocratie sans égalité possible, qui ont pu inventer et proclamer cette souveraineté chimérique de J.

55. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Thucydide nous a conservé un de ses discours, qui est remarquable par la force des pensées & l’énergie des expressions. […] Il s’appliqua à réunir deux choses qui vont rarement ensemble, la force & les graces. […] Il porta la force du raisonnement dans l’art de prêcher, comme Corneille l’avoit porté dans l’art dramatique. […] On n’y trouve ni la solidité, ni la force du premier, ni l’onction, ni l’élégance continue du second. […] Il y a des graces & de la force dans plusieurs de ses discours, mais il faut convenir, avec un excellent critique, que ces graces ont quelquefois un air d’affectation, & que sa force n’est souvent qu’un ton déclamateur.

56. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

pour les penseurs qui ont interrogé ardemment et longtemps un tel mystère, la force de Rome n’est point-là. […] On ne saurait trop le répéter : cette force immense de fondation sociale que l’Angleterre reconnaît aujourd’hui comme l’apanage de l’Église romaine, est ailleurs que dans la conception de quelques cerveaux qui ont vu un peu plus juste et un peu plus loin que les autres hommes, ou dans des règlements de ménage que le temps pouvait, à son aise, emporter. […] Sa force est incommunicable à ceux qui ne croient pas en elle. Or, cette force, il faut bien le dire aux esprits superficiels qui s’y méprennent, cette force est dans l’institution même de ses sacrements. […] Voilà le secret de la force de cohésion de ce ciment romain qui relie si subitement et si solidement les âmes entre elles, de ce socialisme divin devant lequel tous les socialismes de la terre doivent, un jour ou l’autre, s’avouer vaincus !

57. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

. — Voici la formule éternelle dans laquelle l’a conçue la nature : lorsque les citoyens des démocraties ne considèrent plus que leurs intérêts particuliers, et que, pour atteindre ce but, ils tournent les forces nationales à la ruine de leur patrie, alors il s’élève un seul homme, comme Auguste chez les Romains, qui se rendant maître par la force des armes, prend pour lui tous les soins publics, et ne laisse aux sujets que le soin de leurs affaires particulières. […] Deux moyens se présentent seuls, la force et la ruse. La force ? […] Dans cette hypothèse, qu’on explique l’établissement de la monarchie par la force ou par la ruse, les fils auraient été les instruments d’une ambition étrangère, et auraient trahi ou mis à mort leurs propres pères ; en sorte que ces gouvernements eussent été moins des monarchies, que des tyrannies impies et parricides. […] Le même Bodin qui veut conformément à son système, que la royauté romaine ait été monarchique, et qu’à l’expulsion des tyrans la liberté populaire ait été établie à Rome, ne voyant pas les faits répondre à ses principes, dit d’abord que Rome fut un état populaire gouverné par une aristocratie ; plus loin, vaincu par la force de la vérité, il avoue, sans chercher à pallier son inconséquence, que la constitution et le gouvernement de Rome étaient également aristocratiques.

58. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

La force, la loyauté guerrière, la vérité, comme attributs de la force, étaient les seules idées qu’ils eussent jamais conçues de la vertu. […] La nature morale de l’homme du Midi se perdait tout entière dans les jouissances de la volupté, celle de l’homme du Nord dans l’exercice de la force. […] L’intrépidité destructive fut changée en résolution inébranlable ; la force qui n’avait d’autre but que l’empire de la force, fut dirigée par des principes de morale. […] À travers toutes les folies du martyre, il resta dans quelques âmes la force des sacrifices, l’abnégation de l’intérêt personnel, et une puissance d’abstraction et de pensée, dont on vit sortir des résultats utiles pour l’esprit humain. […] Quelle force l’esprit humain n’a-t-il pas montrée tout à coup au milieu du quinzième siècle !

59. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Annihilez-vous pour me procurer une force. […] La morale est organisée contre la force et contre la beauté de l’homme. Elle est une force elle-même, sans doute ; mais elle est une force affaiblissante et enlaidissante. […] De là tout son goût, qui est pour la force très simple, très nette et très claire, pour l’union constante de la simplicité et de la force. […] S’il ne le voulait pas très précisément, par simple force d’inertie, par simple force de nonchalance, il ferait que rien de tout cela ne serait.

60. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVIII. Siècle de Constantin. Panégyrique de ce prince. »

Le droit de parler au peuple assemblé, dans Rome libre, avait appartenu aux magistrats, et dans Rome esclave, aux empereurs ; ce droit faisait partie de la souveraineté ; c’était une espèce de magistrature d’autant plus puissante, qu’elle commandait aux volontés en dirigeant les opinions, et que toute opinion, dans un peuple assemblé, a une force terrible, parce que la force de chacun s’y multiplie par la force de tous. […] Des principes qui tendaient à élever la faiblesse, à rabaisser l’orgueil, à égaler les rangs par les vertus, devaient donner à l’éloquence un mélange de force et de douceur ; enfin, l’étude et la méditation des livres sacrés, répandirent souvent sur ces discours une teinte orientale, inconnue jusqu’alors aux orateurs de l’empire ; d’un autre côté, le mépris d’une vaine gloire, l’absence des passions, l’impression que l’orateur faisait souvent par la seule idée du Dieu dont il était le ministre ; enfin, la persuasion qu’entre les mains de la divinité tous les instruments sont égaux, durent ou retarder, ou affaiblir les progrès de ce genre d’éloquence. […] De tout cela ensemble, dut naître un mélange de beautés et de défauts, de négligence dans le style et de grandeur dans les idées, quelquefois toute la force et toute l’impétuosité du zèle religieux, quelquefois toute la faiblesse d’une morale froide et monotone, ce qui peut souvent frapper l’imagination, ce qui doit souvent révolter le goût. […] Il est étonné que son héros, avec si peu de forces, ait tenté une guerre si importante : « Assurément, lui dit-il, vous avez quelque intelligence secrète avec l’âme universelle et divine, qui daigne se manifester à vous seul, tandis que nous, ce sont des dieux subalternes et du second ordre qui sont chargés de nous conduire. » Ensuite il ne peut comprendre qu’il se soit trouvé dans l’univers des hommes qui aient eu l’audace de résister à Constantin : « Eux qui auraient dû, lui dit-il, céder, je ne dis pas à la présence de votre divinité, mais en entendant seulement prononcer votre nom. » Bientôt après, ce lâche orateur fait un crime à son héros d’avoir combattu lui-même, et de s’être mêlé au milieu des ennemis, d’avoir par là, dit-il, presque causé la ruine de l’univers. […] Cela est juste ; c’est la médiocrité qui a besoin de récompense ; mais on suppose que le génie, qui a le sentiment de ses forces, se suffit à lui-même.

61. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ch.-V. de Bonstetten : L’homme du midi et l’homme du nord, ou l’influence du climat »

Le climat n’est pas un agent simple, une force unique : il n’est pas seulement déterminé par le degré de latitude d’un pays, comme l’indiquerait son nom et comme parut le croire Montesquieu. […] Ce n’est pas tout : la chaleur, l’électricité, la lumière, les vents, l’empire des localités, en sont autant d’éléments nouveaux, et le climat n’est que la force résultante de toutes ces forces. Continuellement en rapport et souvent en lutte avec elle, l’homme, qui n’est lui-même qu’une force volontaire et perfectible, peut tour à tour ou s’en laisser dominer, ou s’en dégager en partie, jamais totalement s’y soustraire. […] C’est cette série d’actions et de réactions, ce jeu d’influences réciproques, qu’à la rigueur il faudrait poursuivre et démêler chez les différents peuples ; mais, dans un si vaste problème, la multiplicité des termes et l’indétermination de la plupart des données surpassent les forces de toute analyse ; et, d’ailleurs, avoir ainsi posé la question, c’est déjà en avoir donné la solution la plus générale et la plus utile.

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