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581. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

« Que ces pervers se fondent comme la pluie, comme le limaçon qui se fond en traînant sur la terre humide, comme l’avorton né avant terme et qui n’a pas vu la lumière ! […] Devant lui des jardins fertiles, descendant en pentes mourantes, le pouvaient conduire jusqu’au fond du lit du torrent dont il aimait l’écume et la voix. — Plus bas, la vallée s’ouvre et s’étend ; les figuiers, les grenadiers, les oliviers l’ombragent. […] C’était un gardeur de chèvres et d’ânesses, comme Saül et comme David, qui rappelait, du haut des rochers et du fond des précipices, ses chevreaux, à la mélodie pastorale de son roseau percé de trois notes. […] Ces versets les plus pathétiques des psaumes de David remontaient ainsi du fond de sa vallée, hélas ! et du fond de ces cœurs jusqu’au tombeau du roi.

582. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Je ne sais au fond ce qu’était Cornélie, cette mère des Gracques qui élevait des conspirateurs contre le sénat de Rome et qui les formait à la sédition, vertu des ambitieux populaires. […] Émue comme un héros au bruit du canon, intrépide contre les vociférations des pétitionnaires et des tribunes, son regard les bravait, sa lèvre dédaigneuse les couvrait de mépris ; elle se tournait sans cesse, avec des regards d’intelligence, vers les officiers de sa garde, qui remplissaient le fond de la loge et le couloir, pour leur demander des nouvelles du château, des Suisses, des forces qui leur restaient, de la situation des personnes chères qu’elle avait laissées aux Tuileries et surtout de la princesse de Lamballe, son amie. […] Ceux-là même, parmi les membres du gouvernement les plus démocrates, que l’ignorance publique a accusés de connivence perfide avec l’insurrection étaient, au fond, les plus impatients et les plus actifs dans la préparation des mesures militaires destinées à écraser cette sédition. […] Mais, sous l’extérieur d’un soldat du peuple, on apercevait au fond de son regard une arrière-pensée de prince du sang. […] Elle est une justice généreuse du cœur humain, plus clairvoyante au fond et plus infaillible que la justice inflexible de l’esprit.

583. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Au fond, parmi tous ces chevaliers, il n’y a guère que des routiers ; il n’y a que les paroles et les manières qui fassent une différence. […] N’ayant à amplifier que les thèmes plusieurs fois séculaires de l’amour courtois, est-il étonnant qu’il ait détourné du fond vers la forme l’attention de son public, et l’ait occupée toute à suivre ses allégories cherchées ou ses mètres compliqués ? […] Cependant Froissart, plus souvent que Machault, donne la sensation du fini, du parfait accord de la forme et du fond. […] Au fond, la guerre est un tournoi : vainqueur ou vaincu, on se console si l’on est déclaré preux. […] De là cette doctrine à la fois sombre et consolante, cette dureté qui se fond en espérance et tendresse.

584. (1888) Poètes et romanciers

le sans fin roule dans le sans fond. […] comme les oiseaux chantaient au fond des bois ! […] J’ai voulu voir le fond… Qui donc a la science ? […] Au fond, nous ne pouvons rien connaître en dehors des catégories de l’entendement humain. […] Le fond appartient au monde, et le monde a bientôt repris son bien.

585. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Le prince de Ligne a dit de lui : « Vauvenargues est trop triste pour un homme de guerre ; il voyait trop noir. » Il y supposait de la prétention de la part de Vauvenargues, mais ce n’était que de la mélancolie sur un fond sérieux et de la mauvaise santé. […] Si l’on allait plus au fond, même sans prétendre au technique, on trouverait les caractères des divers généraux vivement dessinés d’après leurs actions mêmes : le maréchal Daun, prudent, circonspect, méthodique, à qui il arrive un jour de galoper pour la première et la dernière fois de sa vie, et qui, après la victoire de Hochkirch, se met à écrire à Marie-Thérèse pour sa fête de sainte Thérèse la relation de la victoire, au lieu de donner les derniers ordres pour la poursuivre ; il s’appuie sur une pierre pour écrire : « Cette pierre-là fut notre pierre d’achoppement », dit le prince de Ligne qui aimait les jeux de mots, surtout si dans ces gaietés sur le mot il y avait de l’imagination. […] Ses jugements sont d’un grand prix, et le bon sens qui est au fond de son amabilité s’y décèle. […] Il y en a un sur le choix des semences aux environs des parcs ; le prince suppose toujours qu’ils ne sont point enclos de murailles et que la vue s’étend à l’entour par des éclaircies bien ménagées : il soigne alors les nuances diverses des semences dans les plaines, et veut assortir « le petit vert du lin, le mêlé, le tacheté du sarrasin, le petit jaune du blé, le gros vert de l’orge, et bien d’autres espèces que, dit-il, il ne connaît pas encore », toutes ensemble faisant le fond du tableau et qui deviennent le plaisir des yeux.

586. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Ajoutez comme fond du tableau la cour de Louis XIV, telle qu’elle se dessinait à cette heure aux yeux d’un chrétien, Mme de La Vallière pâlissante, mais non encore éclipsée, à côté de Mme de Montespan déjà radieuse ; Molière, au comble de sa faveur et de son art, et se permettant toutes les hardiesses, pourvu qu’il amusât. […] Il va sans dire que je ne prétends point en ce moment revenir sur le fond des Provinciales, rechercher de qui sont venus les premiers torts, et me constituer arbitre entre Pascal et Bourdaloue : je ne m’applique qu’à démontrer la méthode et l’art de ce dernier. […] Mais Bourdaloue et Despréaux étaient tous deux sincères ; pleins de feu, ils pouvaient quelquefois se contredire, froncer le sourcil et croiser le fer en causant : ils s’estimaient, ils étaient liés au fond par cet amour du vrai, par cette ardeur de bon jugement et cette raison passionnée qui vit dans leurs écrits à l’un et à l’autre. […] C’étaient toutes ces circonstances bien connues qui, jointes au courant principal de cette éloquence et à la puissance du fond, excitaient un intérêt dont nous n’avons plus l’idée aujourd’hui.

587. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

Elle a beaucoup de peine à nettoyer ma montre avec un vieux gant ; elle me fait voir que le fond en est toujours noir. […] Ici, dès le premier jour, cédant à un mouvement généreux, les rivalités ont désarmé, et, sans tout à fait abjurer le fond, on se concerte à l’envi pour adoucir l’exil de l’heureux mortel que la veille encore on se disputait. […] Au fond, je ne suis pas aimable ; aussi n’étais-je pas fait pour vivre dans le monde : des circonstances que je n’ai pas cherchées m’ont arraché de mon cabinet, où j’avais vécu longtemps, connu d’un petit nombre d’amis, infiniment heureux parce que j’avais la passion du travail, et que des succès assez flatteurs, dans mon genre, m’en promettaient de plus grands encore. […] je le suis de vous et de mon Horace… » Mais ces moments sont rares et passent vite ; ils font place à de longs intervalles de sécheresse et de stérilité : alors elle veut savoir ce qu’on pense d’elle au fond, si on l’aime vraiment, et de quelle manière : « Vous savez que vous m’aimez, dit-elle à Mme de Choiseul, mais vous ne le sentez pas. » Elle semble persuadée de cette terrible et cruelle maxime que j’ai vu professer à d’autres qu’elle, et dont le christianisme seul fournirait le correctif ou le remède, que « connaître à fond, et tel qu’il est, un être humain et l’aimer, c’est chose impossible ».

588. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Mlle Eugénie de Guérin, et, depuis sa mort, les autres membres de la famille, ont tenu à établir la distinction qui est à faire entre la foi de Maurice de Guérin et toutes les apparences contraires qui semblent résulter du fond même de son talent. […] Ces jolis chants et ce lavage de fontaine me donnaient à penser diversement : les oiseaux me faisaient plaisir, et, envoyant s’en aller toute bourbeuse cette eau si pure auparavant, je regrettais qu’on l’eût troublée, et me figurais notre âme quand quelque chose la remue ; la plus belle même se décharme quand on en touche le fond, car au fond de toute âme humaine il y a un peu de limon. » Elle-même, elle se laisse couler sur ce papier qu’elle quitte et reprend souvent ; elle est triste, il lui manque quelque chose, sa tranquillité n’est qu’à la surface ; cela lui faitdu bien d’écrire et lui décharge l’âme de ce triste qui parfois la trouble ; elle se sent mieux après. […] et moi là, avec je ne sais qui, car je ne voudrais pas un paysan tel que les nôtres, qui sont rustres et battent leurs femmes… » Elle n’achève pas, mais la nature a parlé, et il se retrouve là encore, au fond de ce jeu et de ce rêve d’idylle, un mari… pas trop brutal… et des enfants.

589. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Dans la plupart des cas, en effet, avec les personnages connus, mais secondaires, de l’histoire, il faut se résigner à ignorer le fond, le secret des esprits et des cœurs, la valeur absolue des talents, la trempe des caractères : les actes publics sont là, on se règle de loin là-dessus, à peu près, et il est hasardeux de conjecturer au-delà. […] … » Je m’arrête ; je n’ai gardé de poursuivre : au fond je réduis toute la contrepartie de ce portrait de Noailles par Saint-Simon, dans tout ce qu’elle a de plus affreux, à un ou deux traits, et je dis : « Somme toute, c’était un courtisan, et un courtisan ambitieux. » Ah ! […] Camille Rousset, qui ne juge le maréchal de Noailles que par ses lettres au roi et par cette Correspondance si honorable de fond et de ton, peut s’étonner de la dissemblance : ce sont en effet deux hommes. […] Il est l’antipode du courtisan ; on l’appelle à la Cour d’Argenson la bête : c’est bien lui qui a un fond de cœur de citoyen ; mais l’écorce est revêche, la parole rustique et rude, même grossière.

590. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Mais aussi, si jamais œuvres ne furent plus robustes, plus pleines, plus solidement édifiées sur le fond humain qui ne change pas, si jamais art ne fut plus sincère, plus probe et plus sûr, si jamais plus de grandeur ne fut unie à plus de clarté, et plus proportionnée à la capacité moyenne des esprits, en sorte que chacun peut trouver à comprendre et de quoi jouir même dans ce qui le dépasse infiniment, et qu’on ne saurait en épuiser la suggestivité ni en limiter la réceptivité, Boileau nous dit ou nous fait deviner comment cela s’est fait : sa doctrine met en lumière et ramène à son principe ce qui fait la beauté propre de la littérature classique et en assure la durée. […] Il y a un sentiment fin et juste de la couleur, si l’on peut dire, des expressions et des langues dans la démonstration que Boileau entreprend ; mais la gaucherie de la forme est plus sensible que la vérité du fond, et l’on ne peut s’empêcher de sourire, quand on voit Boileau alléguer Thalès, Empédocle et Lucrèce, pour faire valoir la dignité de l’eau dans l’antiquité, quand il ne veut pas qu’Homère ait parlé du « boudin » : un « ventre de truie », à la bonne heure, voilà qui est noble ; ou quand enfin il aime mieux mettre aux pieds de Télémaque une « magnifique chaussure » que de «  beaux souliers », et maintient obstinément qu’il ne faut pas appeler «  cochons » ou « pourceaux » les animaux de nom « fort noble », en grec, dont avait soin le « sage vieillard » Eumée, qui n’était pas un « porcher ». […] On n’échappe jamais à son temps, et nos défenseurs des anciens étaient au fond « modernes » jusqu’à la moelle. […] Il sentait bien qu’en dépit de tout les anciens étaient beaux : mais il s’obstinait à démontrer qu’ils avaient la noblesse, la politesse, de bons principes, de bonnes façons, tout l’extérieur enfin et le fond des « honnêtes gens », et il ne se rendait pas compte que de les défendre ainsi et se montrer incapable de se déprendre des mœurs et du goût de son siècle en ces matières, c’était une autre façon d’être « moderne », mais c’était être aussi « moderne » que les plus acharnés détracteurs de l’antiquité.

591. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Mais, au fond, cela ne fait guère honneur à l’humanité ; cela montre combien nous sommes faibles et vaniteux. […] Daudet, ou prétendent qu’il a des regrets, tout au fond. […] Alphonse Daudet avait été amené à nous révéler dans l’Immortel, des sentiments, ou plutôt une disposition d’esprit, une philosophie générale, dont je me sens, pour ma part, fort éloigné  Oui, ce qu’il y a au fond, dans ce roman anti-académique, c’est, comme l’a fait remarquer M.  […] J’ouvre encore et je lis : « … Et penchés, soufflant très fort, académiciens et diplomates, la nuque avancée, leurs cordons, leurs grands-croix ballant comme des sonnailles, montrent des rictus de plaisir qui ouvrent jusqu’au, fond des lèvres humides, des bouches démeublées laissant entendre de petits rires semblables à des hennissements.

592. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Au fond, il y a de bons et de mauvais romanciers ; et, parmi les bons, il y en a qui expriment surtout le monde extérieur et les sensations, et d’autres qui analysent de préférence les sentiments et les pensées ; et ceux-ci ne sortent pas plus de la réalité que ceux-là. […] Par suite, ce conte bleu est, au fond, une histoire physiologique ! […] Ou bien (page 167) : « Et Hubertine était très belle encore, vêtue d’un simple peignoir, avec ses cheveux noués à la hâte ; et elle semblait très lasse, heureuse et désespérée… » Etrange idée d’avoir entrouvert cette alcôve de quadragénaires au fond de cette idylle enfantine ! […] Il est vrai qu’il redevient intéressant par l’énormité de cette disconvenance du fond et de la forme.

593. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Et on a bien le sentiment au fond que toute cette croyance n’est pas bien sincère ni bien sûre d’elle-même : ce qui n’empêche pas de l’affirmer, de l’afficher et de la proclamer comme sûre et indubitable. […] Ils sentent parfois vaguement qu’ils sont des avocats qui plaident une cause ; qu’ils parlent, non en individus pensant chacun à part soi, mais comme professeurs, membres d’un parti, d’une école, etc. ; qu’ils énoncent des lèvres des vérités auxquelles ils ne croient pas très fortement au fond du cœur. […] En chacun de ceux, ou du moins chez certains de ceux qui sont les représentants d’une pensée de groupe, une dissociation doit forcément se produire à de certains moments entre l’être social qui pense sous la loi du groupe et l’individu indépendant qui a conservé en partie ou qui recouvre momentanément sa liberté de jugement et se moque au fond de lui-même de l’opinion qu’il se croit tenu d’afficher en tant qu’être social. […] Tous n’ont au fond qu’une foi : la foi en l’utilité des simulacres et des faux-semblants.

594. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

Je me suis écrié, et j’ai compris alors seulement cette phrase d’une lettre qu’elle écrivait l’an dernier, du fond de son Berry, à une personne de ses amies qui la poussait sur la politique : « Vous pensiez donc que je buvais du sang dans des crânes d’aristocrates ; eh ! […] Cette petite fille, qui se montre d’abord toute laide, qui ne se soigne pas plus qu’un méchant garçon, et qui est la bête noire du village, mais qui, au fond, se trouve avoir toutes les qualités de l’esprit, de l’imagination et du cœur, et qui finit même, sous l’éclair de l’amour, par se métamorphoser en beauté, cette petite Fanchon Fadet qui, sous sa verve de lutinerie, cache des trésors de sagesse, remplit ici le rôle qui est volontiers réparti aux femmes dans les romans de Mme Sand ; car elles y ont toujours le beau rôle, le rôle supérieur et initiateur. […] C’est Jeanne, c’est Consuelo ; au fond, tout au fond, c’est toujours cette nature de Lélia, fière et triste, qui se métamorphose, qui prend plaisir à se déguiser et à se faire agréer, sous ces déguisements, de ceux mêmes qui ont cru la maudire en face.

595. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Hoffman était celui des trois auquel, évidemment, il accordait le plus, et c’est sur la même ligne qu’il aurait aimé sans doute à être rangé, au-dessus de Dussault, à qui, sans le dire expressément, il reconnaissait plus de forme que de fond, et plus d’acquis que d’esprit. […] Au théâtre, il considérait Voltaire comme un usurpateur, comme une sorte de maire du palais qui avait fait violence aux souverains légitimes de la scène, Corneille et Racine, qui les avait tenus tant qu’il avait pu ensevelis au fond de leur palais. […] Il se livre souvent à des réflexions vagues, banales, un peu à côté de son sujet ; il ne va pas au fait ni au fond. […] Il ne permit point qu’on enveloppât sous des formes plus ou moins gracieuses un acte au fond inique.

596. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

Au fond, il aime mieux (et elle le sait bien) donner jour à sa Métaphysique et la produire en lumière, que de la sacrifier sans bruit à l’amour et au bon sens : c’est bien là l’homme de lettres dans sa vérité de nature. […] Au fond, Voltaire n’était pas et ne pouvait être un véritable amant. […] Ces pénibles impressions purent s’adoucir et se recouvrir durant les années suivantes, quand Voltaire, son premier caprice épuisé, parut être rentré dans le cercle magique de Cirey ; mais il en demeura une conviction triste et acquise au fond du cœur de Mme du Châtelet. […] Ce n’est pas qu’elle ne voie au fond à qui elle a affaire en Saint-Lambert ; il est jeune, il est léger, elle se méfie : Vous connaissez les goûts vifs, lui écrit-elle un jour en partant, mais vous ne connaissez point encore l’amour.

597. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Ici, d’ailleurs, en ce qui concerne d’Aguesseau, Saint-Simon n’est point du tout violent ; il rend au grand magistrat toutes les sortes d’hommages : Beaucoup d’esprit, d’application, de pénétration, dit-il, de savoir en tout genre, de gravité et de magistrature, d’équité, de piété et d’innocence de mœurs, firent le fond de son caractère. […] Une autre raison très fine, très judicieuse, et qui va au fond du caractère, c’est que, dans ce long usage du parquet, d’Aguesseau, esprit étendu et lumineux, s’était accoutumé à ramasser, à examiner, à peser et à comparer en tout les raisons des deux parties, « à étaler, dit Saint-Simon, cette espèce de bilan devant les juges avec toutes les grâces et les fleurs de l’éloquence », et de plus, selon la recommandation voulue, « avec tant d’art et d’exactitude, qu’il ne fût rien oublié d’aucune part, et qu’aucun des nombreux auditeurs ne pût augurer de quel avis l’avocat général serait, avant qu’il eût commencé à conclure ». […] Il honore en tout sujet, il accepte et croit la religion, sans même songer à en discuter le fond, et, d’autre part, il venge et maintient la métaphysique et le droit de recherche spéculative dans de justes bornes. […] Toute cette lettre, au fond, ne signifie autre chose, sinon que Racine fils, qui faisait d’assez beaux vers, ne paraissait nullement un homme d’esprit.

598. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Un jour que Louville entrait avec le duc de Medinaceli dans l’appartement de Mme des Ursins, où celle-ci les introduisait pour causer plus librement, d’Aubigny, qui était installé au fond, ne voyant que la princesse et la croyant seule, se mit à l’apostropher en des termes d’une familiarité brusque, et des plus crus, qui mirent tout le monde dans la confusion. […] L’esprit de Mme des Ursins est un esprit sérieux, positif, un peu sec au fond, mais ouvert, délibéré et hardi. […] Mme des Ursins, remontant au principe de la succession d’Espagne, montre quel fond on doit faire sur cette fidélité de si fraîche date des Espagnols à la maison de Bourbon, et quel en est le vrai sens politique : pour les grands, empêcher la division de la monarchie ; pour les peuples des provinces, bien vendre leurs laines. […] C’est, en effet, un trait original et des plus distinctifs du caractère de Mme des Ursins que d’avoir su être une personne aussi tranquille au fond, sous une forme aussi active et dans une destinée si agitée ; et c’est à cela qu’elle dut, après une chute si rude à soixante-douze ans, de s’en être allée mourir en paix et de vieillesse à quatre-vingts.

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