/ 4127
54. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Mauvais côtés et défauts, et comment l’esprit du calvinisme est un schisme dans la littérature française. […] Il fit de prodigieux efforts d’esprit pour la faire prévaloir. […] A ne regarder dans Calvin et Rabelais que les excès de leur tour d’esprit particulier, on ne comprendrait pas que la perfection de l’esprit français dût être le fruit d’une contradiction si étrange. […] Là est le mauvais côté de l’esprit de Calvin. […] Dans un esprit médiocre, le penchant à l’injure vient d’intempérance et de faiblesse, dans un esprit supérieur, c’est le plus souvent la marque de l’excès de confiance dans sa logique.

55. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

C’est par les sciences que l’esprit moderne est arrivé à se distinguer nettement de l’Antiquité. […] Dès lors cet esprit moderne s’est senti émancipé ; il a jeté son bagage, il a marché à la légère. […] Rigault avait à remplir, et sur lequel il a semé avec infiniment d’esprit toutes les variétés d’une érudition curieuse et piquante. […] c’est la richesse d’un vif et fertile esprit dans un premier ouvrage où l’on ne veut rien sacrifier. […] Rigault n’y a vu qu’un grotesque : pourquoi l’esprit serait-il si rigoureux contre l’esprit ?

56. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Joseph de Maistre »

— du Joseph de Maistre irréprochable, qui, dégagé de tout alliage, sonne l’or pur de son propre esprit ! […] Dans un pays comme la Russie, où la richesse est plus nécessaire que partout ailleurs, même qu’en Angleterre, Joseph de Maistre ne pouvait payer un secrétaire, et le plus souvent n’avait pas assez d’argent pour prendre une voiture. « On me dit, — écrit-il avec cette philosophie que j’appelle, moi, une sainteté, et qui fut toujours si piquante d’esprit quand elle était le plus touchante de résignation, — on me dit que j’ai de l’esprit, mais je ne puis cependant pas faire avec de l’esprit une berline !  […] Jamais l’esprit, cet esprit qui est toujours un peu diable, n’est-ce pas ? […] C’est que Joseph de Maistre a encore plus le génie de l’esprit que l’esprit du génie. Il a beau avoir de la grandeur de tête et de la vertu, Joseph de Maistre a un esprit du diable, comme on dit dans le pays des gens d’esprit, mais c’est le diable avant sa chute, dans le temps qu’il était ange encore et qu’il s’appelait Lucifer !

57. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « J.-J. Weiss  »

Tant d’esprit, de verve, d’imagination drolatique ! […] C’est un esprit qui se livre. […] La comédie que nous donnait toutes les semaines l’esprit de M.  […] Il saisit un reflet du monde dans un esprit, et de cet esprit dans un autre. […] L’esprit de M. 

58. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Il y a deux sortes d’esprits absolus : les absolus du sens propre, et les absolus de la foi. […] Mais parce qu’ils ont été violents tous les deux, ils ne prendront pas place parmi les grands écrivains et les grands esprits, avec cette différence que de Maistre paraîtra toujours plus près d’être un grand esprit, et Lamennais un grand écrivain. […] Elle est moins touchée des lois générales de l’esprit que de ses diversités individuelles. […] Celle-ci se rapproche plus d’un traité ; elle a la prétention de régler les plaisirs de l’esprit, de soustraire les ouvrages à la tyrannie du chacun son goût, d’être une science exacte, plus jalouse de conduire l’esprit que de lui plaire. […] On parle des auteurs de comédies comme d’agréables esprits qui ont fait passer de bons moments à leurs contemporains ; on parle des auteurs de tragédies comme d’esprits fourvoyés qui ont eu le travers de viser au génie.

59. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

De jeunes esprits impatients, plus légers ou plus hardis, trouvaient que ce régime se prolongeait beaucoup et qu’il y avait lieu d’y jeter de la variété et de l’imprévu. […] Tous deux ont cet avantage de si bien raisonner en gens d’esprit qui décomposent leur sujet et le traitent à faux ou à côté du vrai dans tous les sens, qu’ils vous impatientent, vous irritent et vous forcent, pour peu que vous ayez un esprit franc, à mieux raisonner, ou du moins à conclure mieux qu’eux. […] Ce n’est point là l’esprit d’une assemblée de gens de lettres, et l’Académie ne tend à l’uniformité que par voie d’éclaircissement et non pas par voie de contrainte. […] Selon lui, Descartes a renouvelé pour ainsi dire l’esprit humain, en substituant la raison à la prévention. […] Si l’on souffre que de faux principes leur gâtent l’esprit et le jugement, il n’y a plus de ressource.

60. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Obligés de haïr tout ce qui a aidé l’esprit moderne à sortir du catholicisme, ces frénétiques s’engagent à haïr toute chose : Louis XIV, qui, en constituant l’unité centrale de la France, travaillait si efficacement au triomphe de l’esprit moderne, comme Luther, la science comme l’esprit industriel, l’humanité en un mot. […] Voltaire se moque de la Bible, parce qu’il n’a pas le sens des œuvres primitives de l’esprit humain. […] Il faut un certain courage pour résister à la réaction que ces fats provoquent chez les esprits droits. […] De là l’extrême rabais où est tombé le titre de bon esprit. Ce titre, qui devrait être le plus beau des éloges, est devenu presque synonyme d’esprit faible et est accordé avec une étrange libéralité ; on accorde, en effet, volontiers aux autres les qualités auxquelles on ne tient pas pour soi-même, et on pense qu’en accordant aux autres le bon esprit on fera entendre qu’on est soi-même un grand ou brillant esprit.

61. (1890) L’avenir de la science « XXI »

je ne sais quelle timidité s’est emparée chez nous des esprits. […] Le travail de l’esprit ne serait sérieusement menacé que le jour où l’humanité serait trop à l’aise. […] Il faut s’attendre à tout dans ces grandes crises de l’esprit humain, aux sublimités comme aux folies. […] des gens qui, pour gagner quelques sous de plus, sacrifieraient l’humanité et la patrie, auraient le droit de dire à l’esprit : « Tu n’iras pas plus loin ; n’enseigne pas ceci ; car cela pourrait remuer les esprits et faire tort à notre commerce !  […] Vous blâmez le XVIIIe siècle, qu’autrefois vous aimiez ; blâmez donc aussi la Renaissance, blâmez tout l’esprit moderne, blâmez l’esprit humain, blâmez la fatalité.

62. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

… Il a l’attrait du mystère et du mensonge, l’attrait d’un grand esprit masqué, ce qui est bien plus qu’une belle femme masquée ! […] Stendhal, malgré l’énergie d’un esprit dont la principale qualité est la vigueur, a subi comme les plus faibles cette tyrannie des habitudes de la pensée. […] Nous avons voulu nous expliquer cette puissance d’un esprit si particulier, souillé par une détestable philosophie au plus profond de sa source, qui n’a ni la naïveté dans le sentiment, ni l’élévation souveraine, car pour être élevé il faut croire à Dieu et au Ciel, ni aucune de ces qualités qui rendent les grands esprits irrésistibles. […] Depuis que cette Correspondance est publiée, beaucoup d’esprits ont travaillé à la gloire de Stendhal. […] Assurément il eût mieux valu ne pas les penser et ne pas les soutenir, mais il ne s’agit pas ici du fond des choses et du mutisme radical de l’esprit de Stendhal en fait de morale, il s’agit seulement de signaler la fermeté d’un caractère dont la force augmentait encore celle d’un esprit qui, naturellement, savait oser.

63. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Le caractère de cet esprit faux ou sincère (et, pour nous, il manquait de sincérité) est d’attirer comme une énigme. […] … Il a l’attrait du mystère et du mensonge, l’attrait d’un grand esprit masqué, ce qui est bien plus qu’une belle femme masquée ! […] Stendhal, malgré l’énergie d’un esprit dont la principale qualité est la vigueur, a subi, comme les plus faibles, cette tyrannie des habitudes de la pensée. […] Nous avons voulu nous expliquer cette puissance d’un esprit si particulier, souillé par une détestable philosophie au plus profond de sa source, qui n’a ni la naïveté dans le sentiment, ni l’élévation souveraine (car, pour être élevé, il faut croire à Dieu et au ciel), ni aucune de ces qualités qui rendent les grands esprits irrésistibles. […] Depuis que cette Correspondance est publiée, beaucoup d’esprits ont travaillé à la gloire de Stendhal.

64. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Son rôle est de mimer la vie de l’esprit, de mimer aussi les situations extérieures auxquelles l’esprit doit s’adapter. […] Mais le cerveau, justement parce qu’il extrait de la vie de l’esprit tout ce qu’elle a de jouable en mouvement et de matérialisable, justement parce qu’il constitue ainsi le point d’insertion de l’esprit dans la matière, assure à tout instant l’adaptation de l’esprit aux circonstances, maintient sans cesse l’esprit en contact avec des réalités. […] En pareil cas, est-ce l’esprit même qui est dérangé, ou ne serait-ce pas plutôt le mécanisme de l’insertion de l’esprit dans les choses ? […] Et tel est aussi le rôle du cerveau vis-à-vis de l’esprit en général. Dégageant de l’esprit ce qui est extériorisable en mouvement, insérant l’esprit dans ce cadre moteur, il l’amène à limiter le plus souvent sa vision, mais aussi à rendre son action efficace.

65. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

La gaieté de l’esprit est facile à tous les hommes qui ont de l’esprit ; mais c’est le génie d’un homme et le bon goût de plusieurs qui peuvent seuls inspirer la véritable comédie. […] Il y a quelquefois dans Congrève de l’esprit subtil et des plaisanteries fortes ; mais aucun sentiment naturel n’y est peint. […] Shéridan a composé en anglais quelques comédies où l’esprit le plus brillant et le plus original se montre presque à chaque scène ; mais outre qu’une exception ne changerait rien aux considérations générales, il faut encore distinguer la gaieté de l’esprit, du talent dont Molière est le modèle. […] Les Anglais ont très rarement admis sur la scène le genre d’esprit qu’ils nomment humour ; son effet ne serait point théâtral. […] Il y a rarement de la finesse dans les esprits qui s’appliquent toujours à des résultats positifs.

66. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

L’esprit de la Réforme du Seizième Siècle contenait deux tendance différentes, un esprit de liberté et d’examen, un esprit d’enthousiasme et de foi religieuse. […] Au fond, l’esprit de la Réforme, soit qu’il conduisît à l’incrédulité, soit qu’il s’arrêtât dans certaines limites, était un esprit sublime, un esprit d’enthousiasme et de foi. […] Mais cet esprit novateur, cet esprit qui renverse toute tradition, toute autorité, et qui cherche, devient nécessairement un esprit de doute et de scepticisme, aussitôt qu’il a passé certaines limites et qu’il ne veut plus connaître de point d’arrêt ; et il devient nécessairement un esprit d’athéisme, s’il poursuit encore longtemps sa course sans rencontrer Dieu. […] Non, l’esprit de l’Allemagne, l’esprit religieux du Protestantisme, abandonné à lui-même, ne pourra conduire l’Humanité au but de ses destinées. […] Décomposant alors son âme en deux, c’est-à-dire idéalisant en deux personnages l’esprit du bien et l’esprit du mal, l’esprit qui en lui cherche l’avenir et l’esprit qui lui dit que ses espérances sont des rêves, l’esprit qui souffre et qui aime et l’esprit qui n’aime pas, il place Méphistophélès à côté de Faust ; et son œuvre principale fut terminée.

67. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Le mouvement et le courant de son esprit empêchèrent l’ennui de germer dans les eaux vives de l’intelligence française. […] Les styles pesants sont le témoignage des esprits lourds qui ne peuvent se débarrasser de la lourdeur des mots. […] Ses rois donnent leurs noms aux monnaies, mais ce sont ses écrivains qui donnent leur esprit aux règnes. […] L’esprit des parlements n’est à nos yeux qu’un esprit de corps qui bornait son indépendance à lui-même. […] Les intérêts ne les passent pas, mais l’esprit passe par-dessus les fleuves et les montagnes.

68. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

C’est en gens d’esprit qu’il fallait les faire parler. […] Beaucoup d’esprit peut servir également à se connaître et à s’ignorer. Il suffit d’un peu de vanité pour faire d’un homme d’esprit un sot. […] Inconséquence d’esprit, non de conduite, dans un temps où les mœurs conservaient l’art d’écrire en vers comme un amusement, et où la philosophie commençait à l’attaquer comme un vain emploi de l’esprit. […] Le malheur des esprits fins, c’est qu’on leur prête encore plus de finesse qu’ils n’en ont.

69. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVII. Morale, Livres de Caractéres. » pp. 353-369

Il y a dans les tours & dans les images une variété ingénieuse qui frappe les esprits les moins attentifs. […] Il y a beaucoup à profiter dans ce livre pour le cœur & pour l’esprit. […] Il seroit peut-être à souhaiter qu’on fit l’esprit de M. […] Son traité de l’Amitié, ses Avis à son fils, à sa fille, sont pleins d’esprit & de délicatesse. […] Denesse & les autres écrits du même auteur, sont les productions d’un philosophe & d’un homme de bien, dont l’esprit étoit solide & orné ; mais qui a peu de style, & qui manque de nerf dans l’esprit.

70. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Les dîners littéraires »

pourquoi des gens de talent et d’esprit, fatigués d’écrire, appesantis, ne dîneraient-ils pas ensemble, pour se donner le ton qu’ils n’ont plus ? […] De leur aveu, et c’est le nôtre aussi, l’esprit français n’est plus qu’une tradition perdue. […] C’est un homme d’esprit, qui sait ce qu’il veut faire et qui réussit. […] Mais enfin, nous le demandons, ces dîners, entrepris dans un but un peu coquet, peut-être un peu fat, de dévouement à l’esprit français, ont-ils abouti… littérairement ? […] À ce compte-là, ce n’est pas l’esprit qui y gagnerait, mais le restaurant !

71. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Ce mot remplissait les imaginations et contentait les esprits les plus sévères. […] Dans tous les deux je remarque un jugement plus ferme et plus sûr qu’étendu ; un esprit net et droit plutôt que vaste ; trop peu de cette sensibilité qui vient d‘une âme que les passions ont remuée, mais beaucoup de facilité à prendre feu sur les ouvrages de l’esprit. […] J’ai dit quelle était la disposition des esprits au commencement du dix-septième siècle. […] C’est pour s’emparer de l’esprit des autres qu’un auteur fait faire un si violent effort au sien. […] Ces misères de la gloire littéraire firent tourner son esprit à la dévotion.

/ 4127