dit-il au vieillard, plus de festin, plus de joie ; je viens de rencontrer un de nos frères égorgé dans la rue… »« et moi aussi, dit l’orateur, j’ai vu le plus affreux des spectacles : j’ai vu dans Paris, au milieu de la pompe et de l’appareil des fêtes, j’ai vu : un corps sanglant et percé de coups. […] En effet, qu’on suppose un orateur doué par la nature de cette magie puissante de la parole, qui a tant d’empire sur les âmes et les remue à son gré ; qu’il paraisse aux yeux de la nation assemblée pour rendre les derniers devoirs à Henri IV ; qu’il ait sous ses yeux le corps de ce malheureux prince ; que peut-être, le poignard, instrument du parricide, soit sur le cercueil et exposé à tous les regards ; que l’orateur alors élève sa voix, pour rappeler aux Français tous les malheurs que depuis cent ans leur ont causés leurs divisions et tous les crimes du fanatisme et de la politique mêlés ensemble ; qu’en commençant par la proscription des Vaudois et les arrêts qui firent consumer dans les flammes vingt-deux villages, et égorger ou brûler des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, il leur rappelle ensuite la conspiration d’Amboise, les batailles de Dreux, de Saint-Denis, de Jarnac, de Montcontour, de Coutras ; la nuit de la Saint-Barthélemi, l’assassinat du prince de Condé, l’assassinat de François de Guise, l’assassinat de Henri de Guise et de son frère, l’assassinat de Henri III ; plus de mille combats ou sièges, où toujours le sang français avait coulé par la main des Français ; le fanatisme et la vengeance faisant périr sur les échafauds ou dans les flammes, ceux qui avaient eu le malheur d’échapper à la guerre ; les meurtres, les empoisonnements, les incendies, les massacres de sang-froid, regardés comme des actions permises ou vertueuses ; les enfants qui n’avaient pas encore vu le jour, arrachés des entrailles palpitantes des mères, pour être écrasés ; qu’il termine enfin cet horrible tableau par l’assassinat de Henri IV, dont le corps sanglant est dans ce moment sous leurs yeux ; qu’alors attestant la religion et l’humanité, il conjure les Français de se réunir, de se regarder comme des concitoyens et des frères ; qu’à la vue de tant de malheurs et de crimes, à la vue de tant de sang versé, il les invite à renoncer à cet esprit de rage, à cette horrible démence qui, pendant un siècle, les a dénaturés, et a fait du peuple le plus doux un peuple de tigres ; que lui-même prononçant un serment à haute voix, il appelle tous les Français pour jurer avec lui sur le corps de Henri IV, sur ses blessures et le reste de son sang, que désormais ils seront unis et oublieront les affreuses querelles qui les divisent ; qu’ensuite, s’adressant à Henri IV même, il fasse, pour ainsi dire, amende honorable à son ombre, au nom de toute la France et de son siècle, et même au nom des siècles suivants, pour cet assassinat, prix si différent de celui que méritaient ses vertus ; qu’il lui annonce les hommages de tous les Français qui naîtront un jour ; qu’en finissant il se prosterne sur sa tombe et la baigne de ses larmes : quelle impression croit-on qu’un pareil discours aurait pu faire sur des milliers d’hommes assemblés, et dans un moment où le spectacle seul du corps de ce prince, sans être aidé de l’éloquence de l’orateur, suffisait pour émouvoir et attendrir ?
Au pain du corps ajoutez celui de l’âme, non moins nécessaire ; car, avec les aliments, il fallait encore donner à l’homme la volonté de vivre, ou tout au moins la résignation qui lui fait tolérer la vie, et le rêve touchant ou poétique qui lui tient lieu du bonheur absent. […] Légende divine, d’un prix inestimable sous le règne universel de la force brutale, quand, pour supporter la vie, il fallait en imaginer une autre et rendre la seconde aussi visible aux yeux de l’âme que la première l’était aux yeux du corps. […] L’habitude, la nécessité, l’accommodation volontaire ou forcée font leur effet ; à la fin, seigneurs, vilains, serfs et bourgeois, adaptés à leur condition, reliés par un intérêt commun, font ensemble une société, un véritable corps. […] Mon peuple n’est qu’un avec moi ; les droits et les intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’entre mes mains ».
Il se fit une conspiration pour avoir son corps, comme il s’en est fait plus d’une fois pour s’emparer d’une ville. […] À l’approche du corps, tout le peuple sortit de Florence : à peine le cercueil pouvait fendre la foule. […] C’est comme si un statuaire ou un peintre voulait jeter sur le corps d’une Vénus la draperie d’une Minerve. […] Les Russes ont un esprit facile et souple ; leur langue est, après l’italien, la langue la plus douce de l’Europe ; et si une législation nouvelle élevant les esprits, fait disparaître enfin les longues traces du despotisme et de la servitude ; si elle donne au corps même de la nation une sorte d’activité qui n’a été jusqu’à présent que dans les souverains et la noblesse ; si de grands succès continuent à frapper, à réveiller les imaginations, et que l’idée de la gloire nationale fasse naître pour les particuliers l’idée d’une gloire personnelle, alors le génie qu’on y a vu plus d’une fois sur le trône, descendra peu à peu sur l’empire ; et les arts même d’imagination, transplantés dans ces climats, pourront peut-être y prendre racine, et être un jour cultivés avec succès, 82.
C’est elle qui nous montre combien l’homme est petit par le corps et combien il est grand par l’esprit, puisque cette immensité éclatante où son corps n’est qu’un point obscur, son intelligence peut l’embrasser tout entière et en goûter la silencieuse harmonie. […] Tout d’abord, on a reconnu la nature du Soleil, que le fondateur du positivisme voulait nous interdire, et on y a trouvé des corps qui existent sur la Terre et qui y étaient restés inaperçus ; par exemple, l’hélium, ce gaz presque aussi léger que l’hydrogène.
Légiste d’abord, homme d’administration et d’affaires, conseiller d’État, député, il s’est détourné des plus graves et des plus studieuses fonctions de sa vie pour se jeter à corps perdu dans, la voie retentissante du pamphlet. […] Intellectuellement orateur, mais empêtré dans un corps qui ne l’était pas, — car le corps, c’est la moitié de l’orateur, — sagace comme le bel œil noir, un peu couvert, de son portrait, le dit, mais lourd, épais et gauche de tournure et de mains, comme le dit son portrait encore, cet indigéré de discours accumulés au fond de sa pensée et qui ne passaient pas assez vite dans ses organes pour qu’il les dardât de la tribune à ses adversaires, il les expectorait dans ses pamphlets, et Dieu sait avec quelle abondance, quelle facilité, quel jet de salive !
Claude Bernard démontre que cette méthode appliquée dans l’étude des corps bruts, dans la chimie et dans la physique, doit l’être également dans l’étude des corps vivants, en physiologie et en médecine. […] Dès lors, il y a un déterminisme absolu dans les conditions d’existence des phénomènes naturels, aussi bien pour les corps vivants que pour les corps bruts. […] Mais on a nié longtemps que cette méthode pût être appliquée aux corps vivants. […] Il l’est à coup sûr, ou plutôt il est le produit variable d’un groupe d’êtres vivants, qui, eux, sont absolument soumis aux lois physiques et chimiques qui régissent aussi bien les corps vivants que les corps bruts. […] Ce sont là des esprits trop fins, dans des corps trop forts.
Humilié aux genoux de l’impitoyable Achille, baisant les mains terribles, les mains dévorantes (ἀνδροφόνους, qui dévorent les hommes) qui fumèrent tant de fois du sang de ses fils, il redemande le corps de son Hector : Μνῆσαι πατρὸς σεῖο, ………… ………………………………… …… ποτὶ στὸμα χεῖρ ὀρέγεσται. […] C’est pour lui que je viens à la flotte des Grecs ; je viens racheter son corps, et je vous apporte une immense rançon.
Enfin je n’ai jamais entendu dire que les révolutionnaires de 93 aient mis en doute l’existence des corps. […] Vous faites la science de l’homme, et vous supprimez le corps humain, comme si l’homme n’était qu’un esprit pur, ou s’il était dans le corps, selon l’expression d’Aristote, comme un pilote dans son navire ! […] De la distinction de l’âme et du corps, de Dieu et de la nature. […] Elle chercherait à tirer des sciences extérieures une idée philosophique et raisonnée des corps et une idée de la nature. Elle demanderait ce que c’est qu’un corps, soit à la physique, soit à la chimie, soit à la physiologie.
Arrivé à l’année 1814, il disait (je copie toute la page sans en rien retrancher) : « Départ avec le corps de Bernadotte pour Bruxelles, avril 1814. […] Je me jette à corps perdu du côté des Bourbons. — Mme Récamier m’y pousse
Les dieux des anciens partageant nos vices et nos vertus, ayant, comme nous, des corps sujets à la douleur, des passions irritables comme les nôtres, se mêlant à la race humaine, et laissant ici-bas une mortelle postérité ; ces dieux ne sont qu’une espèce d’hommes supérieurs qu’on est libre de faire agir comme les autres hommes. […] Mars renversé, et couvrant de son corps neuf arpents, Diane donnant des soufflets à Vénus, sont aussi ridicules qu’un ange coupé en deux, et qui se renoue comme un serpent.
Nos cuisses sont coupées par des jarretières, le corps de nos femmes étranglé par des corps, nos pieds défigurés par des chaussures étroites et dures.
Et cela aussi, fleurs et couple, s’agitait sur moi, absolument comme les flots de la mer du théâtre, et sur tout mon corps, je sentais un chatouillement dardé. […] C’étaient des jouissances, comme l’émotion d’un péril d’où l’on serait sûr de sortir, et qui vous ferait passer dans le corps un frisson de plaisir peureux. […] Au ciel du faubourg Saint-Antoine, le corps de ballet remplace les Anges et les Dominations. […] Aujourd’hui Le Figaro m’apprend qu’elle est morte… Un détail, affreusement dramatique qu’on me donne : sa mère paralysée de tout le corps n’ayant pu l’embrasser pendant son agonie, on la lui apporta morte. […] Le fœtus enfin, dessine l’être créé et le laisse apparaître : la tête n’écrase plus les membres, le corps se fonde et s’établit ; et voici, à quelques mois, l’enfant à peu près tel qu’il doit naître.
Ce principe d’utilité, qui a donné, si je puis m’exprimer ainsi, tant de corps à la littérature des Anglais, a retardé cependant chez eux un dernier perfectionnement de l’art, que les Français ont atteint ; c’est la concision dans le style. […] Il faut que la logique de l’orateur, au lieu de presser l’homme corps à corps, comme Démosthène, l’attaque avec de certaines armes convenues, dont l’effet est plus indirect.
L’action diplomatique, quand elle est réelle et effective, tient si intimement à la personne, au corps qui parle au corps, — comme dirait Buffon ; elle tient tellement à des séductions subtiles et relatives et à d’inexprimables manières, que celui qui l’a exercée n’est pas capable de la raconter. […] Les gouvernements, qui se jalousent et qui se craignent, restent les uns en face des autres avec des sentiments ou des ressentiments contenus par des prudences inquiètes… et les corps diplomatiques demeurent entre eux, croupissant dans une immobilité d’observation que leurs Correspondances attestent.
Les premiers vers du recueil que nous avons sous les yeux sont adressés à Ponsard, et cela devait être, la sympathie n’étant jamais que l’amour du soi que l’on reconnaît chez les autres : Jeune homme fortuné de qui la muse antique N’a pas de corps secret ni de voile pudique, Dis-moi près de quel bois, au bord de quel ruisseau, Tu la surpris, baignant ses pieds polis dans l’eau, Et lorsqu’elle fuyait, confuse d’être nue, Par quels discours charmants elle fut retenue ! […] Ce qui s’obtient et ce qui s’imite, c’est la manière de rire et de parler au corps avec le corps, de briser son vers, de l’enlever et de lui donner sa tournure.
Il y est à deux mains, à deux pieds, de tout son corps, qui est toute son âme ! […] Il faut du temps pour préparer ce monstrueux avatar de son corps ou de sa pensée. […] Quand l’Inspiration, dont le caractère semble être d’agrandir notre âme aux dépens de notre corps, ne nous a pas, comme dans le livre dont il s’agit ici, allégé le poids de nos organes, et qu’on a été soumis au martelage tellement appuyé de ce double coup, la sensibilité en est comme stupéfiée, on est accablé de cette matérielle perfection, et on éprouve le désir de retourner à quelque négligé divin, à quelque mal rimé, puissant ou exquis, comme Alfred de Musset ou Maurice de Guérin, par exemple.
Cette nuit encore, elle serra son beau corps dans ses bras. […] Elles voulaient se rafraîchir et baignaient ainsi leurs corps. […] tenir tête à l’ennemi. » Les coups d’épée tombaient pressés sur son corps. […] Ils s’assirent dans le sang, sur les corps meurtris de ceux que leurs mains avaient tués. […] On tortura par les flammes les corps de ces héros.
Il prétend, à travers tout, être resté un bon Français ; il a toujours l’air de ne prendre les armes que malgré lui, à son corps défendant, et parce qu’il ne peut en honneur s’en empêcher sans manquer à son devoir et au bien des Églises. […] Bref, et comme on l’a vu par le récit deRohan, après la défaite de Soubise en l’île de Ré, la paix se fit, mais non pas telle tout à fait que Rohan se plaît à le dire : le cardinal sans doute, sachant bien « que toute la prudence politique ne consiste qu’à prendre l’occasion la plus avantageuse qu’il se peut de faire ce qu’on veut », et sentant que les grandes et diverses affaires que le roi avait pour lors sur les bras ajournaient plus ou moins cette occasion, dissimula et laissa croire aux réformés qu’il ne leur était pas un irréconciliable adversaire : « Car ce faisant, dit-il, il avait moyen d’attendre plus commodément le temps de les réduire aux termes où tous sujets doivent être en un État, c’est-à-dire de ne pouvoir faire aucun corps séparé et indépendant des volontés de leur souverain. » Toutefois, par ce traité du 5 février 1626, le roi, déjà plus roi qu’auparavant, donnait la paix à ses sujets et ne la recevait pas ; et, du côté de La Rochelle expressément, il se réservait le fort Louis comme une citadelle ayant prise sur la ville, et les îles de Ré et d’Oléron comme deux autres places « qui n’en formaient pas une mauvaise circonvallation ». […] Richelieu tout le premier montra qu’au fond il jugeait mieux de Rohan lorsqu’il lui confia ensuite le corps d’armée destiné à entrer dans la Valteline, et que, dans une lettre de lui adressée à ce général victorieux, il lui dit « qu’il sera toujours très volontiers sa caution envers le roi que lui, Rohan, saura conserver les avantages acquis et ne perdra aucune occasion de les augmenter. » Mais, en ce moment de la guerre civile, ce sont deux génies, deux âmes rivales et antagonistes qui sont aux prises, et tous les défauts, toutes les complications et enchevêtrements de la conduite et du rôle de Rohan lui apparaissent : il les impute à son caractère, et il les exprime avec excès, avec injustice sans nul doute, mais avec discernement du point faible et en des termes qui ne s’oublient pas. […] Richelieu et son ardeur en cette périlleuse entreprise, l’affection qu’il met aux choses et qui le consume, éclatent en mille traits de feu dans son récit : Cependant, dit-il en un endroit, tandis que le cardinal employait tout l’esprit que Dieu lui avait donné à faire réussir le siège de La Rochelle à la gloire divine et au bien de l’État, et y travaillait plus que les forces de corps que Dieu lui avait départies ne lui semblaient permettre, on eût dit que la mer et les vents, amis des Anglais et des îles, s’efforçaient à l’encontre et s’opposaient à ses desseins… Prendre La Rochelle avant toute chose, promptement et sans rémission cette fois, c’est là son idée fixe ; c’est, selon lui, le premier remède à tout, et il y faut employer tous les moyens, toutes les inventions imaginables sans en omettre aucune ; car « de la prise de La Rochelle dépend le salut de l’État, le repos de la France, le bonheur et l’autorité du roi pour jamais. » Y aura-t-il un État dans l’État, un allié naturel et permanent de l’étranger parmi nous, un port et une porte ouverte aux flancs du royaume ? […] Telles sont les nobles et ouvertes pensées qu’il agite et qu’il poursuit sous sa pourpre, tandis que Rohan, dans son Albigeois et ses Cévennes, et qui n’ose même s’aventurer à corps perdu comme feront un jour les grands Vendéens, s’épuise, en courant de ville en ville, à vouloir établir et organiser en France une contre-France.