/ 1939
1163. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

J’estime que j’ai eu toutes les joies de la terre, tout le bonheur humain, et que je puis m’en aller paisible.

1164. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXX. De Fléchier. »

Ne pouvant encore s’autoriser contre l’usage, il fit connaître à ses amis qu’il allait à l’armée faire sa cour qu’il lui coûtait moins d’exposer sa vie que de dissimuler ses sentiments, et qu’il n’achèterait jamais ni de faveurs, ni de fortune aux dépens de sa probité. » Je pourrais encore citer d’autres endroits qui ont une beauté réelle ; mais le discours en général est au-dessous de son sujet ; on y trouve plus d’esprit que de force et de mouvement ; on s’attendait du moins à trouver quelques idées vraiment éloquentes sur l’éducation d’un dauphin, sur la nécessité de former une âme d’où peut naître un jour le bonheur et la gloire d’une nation ; sur l’art d’y faire germer les passions utiles, d’y étouffer les passions dangereuses, de lui inspirer de la sensibilité sans faiblesse, de la justice sans dureté, de l’élévation sans orgueil, de tirer parti de l’orgueil même quand il est né, et d’en faire un instrument de grandeur ; sur l’art de créer une morale à un jeune prince et de lui apprendre à rougir ; sur l’art de graver dans son cœur ces trois mots, Dieu, l’univers et la postérité, pour que ces mots lui servent de frein quand il aura le malheur de pouvoir tout ; sur l’art de faire disparaître l’intervalle qui est entre les hommes ; de lui montrer à côté de l’inégalité de pouvoir, l’humiliante égalité d’imperfection et de faiblesse ; de l’instruire par ses erreurs, par ses besoins, par ses douleurs même ; de lui faire sentir la main de la nature qui le rabaisse et le tire vers les autres hommes, tandis que l’orgueil fait effort pour le relever et l’agrandir ; sur l’art de le rendre compatissant au milieu de tout ce qui étouffe la pitié, de transporter dans son âme des maux que ses sens n’éprouveront point, de suppléer au malheur qu’il aura de ne jamais sentir l’infortune ; de l’accoutumer à lier toujours ensemble l’idée du faste qui se montre, avec l’idée de la misère et de la honte qui sont au-delà et qui se cachent ; enfin, sur l’art plus difficile encore de fortifier toutes ces leçons contre le spectacle habituel de la grandeur, contre les hommages et des serviteurs et des courtisans, c’est-à-dire contre la bassesse muette et la bassesse plus dangereuse encore qui flatte.

1165. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Le cardinal de Fleuri fut modeste et simple ; il eut l’ambition de l’économie et de la paix, deux choses qui font le bonheur des États, mais qui n’ébranlent point les imaginations.

1166. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

N’essayez donc pas de prétendre, ne vous flattez pas, même dans le passé, qu’il ait pu jamais exister un grand état de société humaine dépouillé de tout instinct d’agitation généreuse, déchu de l’indépendance sous toutes ses formes, s’enfermant avec quiétude et bonheur dans le cercle de la conquête, et n’aspirant qu’au pain du jour, dans l’égalité de l’esclavage.

1167. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

» — C’est un honnête homme, a-t-il ajouté, et il a eu le bonheur d’être blessé !  […] Elle était absente du cœur de l’artiste qui peignit cette toile sombre, elle est absente de presque tous les cœurs, l’espérance d’une absolution divine, d’une innocence reconquise, d’un bonheur éternel promis au plus coupable des coupables. […] Il s’agit de ton bonheur. […] Ils ne demandaient qu’à vivre, et leur part de bonheur, leurs songes d’avenir, ils les ont donnés pour cet autre rêve, la Patrie ! […] Ce dernier mouvement était pour eux le précurseur de la mort, leurs yeux décolorés s’ouvraient vers le ciel ; un rire de bonheur contractait leurs lèvres ; on eût pu croire qu’une consolation divine adoucissait leur agonie, que dénonçait une salive épileptique.

1168. (1802) Études sur Molière pp. -355

Flaminio, de son côté, ne se pique pas de discrétion ; il fait confidence de son mariage à son frère Silvio, et celui-ci ne sait comment arranger ce prétendu hyménée avec le bonheur qu’il a de passer toutes les nuits sous le balcon de Beatrix, à l’entretenir de son amour. […] Ma mémoire me sert encore assez bien, pour que je puisse dire à nos jeunes premiers 15 : si vous avez jamais le bonheur de jouer la belle scène qui donne le titre à la pièce, ne cherchez pas à mettre la manière à la place de la nature. […] Le spectateur apprend, par la bouche de Mercure, que Jupiter, sous les traits d’Amphitryon, est avec Alcmène, et que, pour prolonger son bonheur, il a triplé la durée de la nuit. […] Jupiter, au bruit du tonnerre, apprend à son rival qu’il l’a remplacé pendant qu’il se battait, lui promet un bonheur infini, et remonte vers l’Olympe. […] Le Mercure du poème latin débite tout uniment le prologue au public ; le Mercure du poème français, en s’adressant à la Nuit, qu’il prie de tripler le bonheur de Jupiter, ne détruit pas l’illusion, et remplace, par un dialogue charmant, l’ennui d’un long monologue ; cependant Boileau préférait le prologue latin61.

1169. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Il le faut, que je vous revoie pour croire à mon bonheur ! […] Toutefois, dans la pièce du Lac, Lamartine a modifié avec bonheur plusieurs passages. […] — Il faut en user, — soupirait la Voyageuse, — en jouir, épuiser tout de suite le fragile bonheur qu’elles peuvent nous donner, car demain, d’autres les remplaceront. […] « Mes amis, écrivait-elle à Sainte-Beuve, sont mon seul bonheur. […] Ils ne parviennent jamais à l’unité d’un grand rôle ; emportés un instant avec bonheur, ils tombent tout à coup à plat.

1170. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Ô bonheur ! […] Cette comédie, dont le nœud est suffisant, se dénoue avec bonheur. […] ô bonheur ! […] la santé, la vie et l’éclat de rire, la chance, la fortune, le bonheur ! […] Dans deux jours, dans trois jours, demain, peut-être, quel bonheur !

1171. (1924) Critiques et romanciers

Si vous êtes venu à la même vérité, il vous fera songer à tant de frivolité qui vous rend tièdes, indignes de votre bonheur, si peu émus de charité apostolique. […] Paul Bourget les pose, il les a toujours observées avec bonheur. […] Et le désastre sera le pire, à notre époque où le « prochain bonheur » est signalé : « L’Idée illumine. […] Et cette morte lui enseigne le pardon, l’abnégation, l’éternel bonheur. […] Et, par bonheur, ce n’est pas mon affaire de discuter ses arguments et de savoir si l’on aurait dû suivre ses conseils.

1172. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

En principe il dit : « J’ose supposer qu’un ministre éclairé et magnanime, un prélat humain et sage, un prince qui sait que son intérêt consiste dans le grand nombre de ses sujets et sa gloire dans leur bonheur, daigne jeter les yeux sur cet écrit informe et défectueux. […] Ce fut une courte période de bonheur pour Voltaire que cette judicature du Parlement Maupeou, qui alla do février 1771 à septembre 1774. […] L’existence de la divinité, puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes et le châtiment des méchants ; la sainteté du Contrat social et des lois : voilà les dogmes positifs. […] Dans les idées de Voltaire l’histoire universelle se distribue ainsi : Antiquité : despotisme absolu de l’Etat, ordre, tranquillité parfaits ; persécution et guerres religieuses inconnues ; bonheur universel. — Un petit peuple d’Orient connaît « les deux puissances », l’une spirituelle et l’autre temporelle, et leurs luttes. De lui naît le christianisme qui établit ce départ d’une façon plus précisé et dans tout l’univers : guerres religieuses, tous les Etats troublés, assassinats, guerre civile permanente, misère et malheur universel. — Avenir : Retour au système antique, concentration des deux puissances en une seule main, despotisme absolu, spirituel et temporel, de l’Etat, ordre, tranquillité, bonheur.

1173. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Jaloux du bonheur de Timbrée, il ne songe plus qu’à le traverser, et met dans ses intérêts un autre jeune homme qui, affectant pour Timbrée un zèle officieux, va le prévenir qu’un de ses amis faisait de fréquentes visites nocturnes à sa fiancée, et offre de lui donner le soir même les preuves de sa perfidie. […] De même Jago n’est pas simplement un ennemi irrité et qui veut se venger, ou un scélérat ordinaire qui veut détruire un bonheur dont l’aspect l’importune ; c’est un scélérat cynique et raisonneur, qui de l’égoïsme s’est fait une philosophie, et du crime une science ; qui ne voit dans les hommes que des instruments ou des obstacles à ses intérêts personnels ; qui méprise la vertu comme une absurdité et cependant la hait comme une injure ; qui conserve, dans la conduite la plus servile, toute l’indépendance de sa pensée, et qui, au moment où ses crimes vont lui coûter la vie, jouit encore, avec un orgueil féroce, du mal qu’il a fait, comme d’une preuve de sa supériorité. […] Gianetto, enivré de son bonheur, oublie le pauvre Ansaldo jusqu’au jour fatal de l’échéance du billet. […] Dans une classe subordonnée, Lorenzo et Jessica nous donnent le spectacle de ce tendre badinage de deux jeunes époux si remplis de leur bonheur qu’ils le répandent sur les choses les plus étrangères à eux-mêmes et jouissent des pensées et des actions les plus indifférentes, comme d’autant de portions d’une existence que le bonheur envahit tout entière. […] Shakspeare est presque le seul poëte dramatique qui n’ait pas craint de s’arrêter sur le tableau du bonheur ; il sentait qu’il avait de quoi le remplir.

1174. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Le bonheur politique, comme le bonheur domestique, n’est pas dans le bruit ; il est le fils de la paix, de la tranquillité, des mœurs, du respect pour les anciennes maximes du gouvernement, et de ces coutumes vénérables qui tournent les lois en habitudes et l’obéissance en instinct. » Et l’auteur montre que tel a été le caractère constant et le régime de la maison de Savoie, en qui il loue surtout le talent de gouverner sans jamais se brouiller avec l’opinion. […] Madame de Staël, qui, à la rigueur, avait déjà débuté par ses Lettres sur Jean-Jacques, et qui devait accomplir un jour sa course généreuse par ses éloquentes et si sages Considérations, laissait échapper alors ses réflexions, ou plutôt ses émotions sur les choses présentes, dans son livre de l’Influence des Passions sur le Bonheur  ; mais ce titre purement sentimental couvrait une foule de pensées vives et profondes, qui, même en politique, pénétraient bien avant. […] Il se sentait heureux quand il pouvait dire nous  ; il est vrai que ce bonheur-là lui fut accordé bien rarement. […] Il suffit qu’elles vivent avec honneur un certain laps d’années, et qu’elles procurent durant ce temps à un certain nombre de générations repos et bonheur, de la manière dont celles-ci l’entendent.

1175. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Qu’il soit ou ne soit pas destiné au bonheur, il est certain du moins que jamais la vie ne lui est plus supportable que lorsqu’il agit fortement ; alors il s’oublie, il est entraîné, et cesse de se servir de son esprit pour douter, blasphémer, se corrompre et mal faire. » M. […] Le résultat historique de telles préparations inaccoutumées allait éclater avec bonheur, dès le début de son troisième volume, par l’admirable exposé de la campagne de l’Argonne. […] Thiers a trouvé dans ses goûts éclairés et actifs, dans sa curiosité infatigable, inventive, et dans son bonheur d’apprendre, bien mieux qu’une consolation et qu’un refuge ; on serait tenté par moments de croire qu’il s’y oublie, tant il s’y enchante.

1176. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Il est à remarquer qu’on ne voit rien de pur et de sincère, qu’il y a du bien et du mal en toutes les choses de la vie, qu’il faut les prendre et les dispenser à notre usage, que le bonheur de l’un seroit souvent le malheur de l’autre, et que la vertu fuit l’excès comme le défaut. […] Vous, Mitton, le couvrez ; vous ne l’ôtez pas pour cela… » En effet, selon Mitton, « pour se rendre heureux avec moins de peine, et pour l’être avec sûreté sans craindre d’être troublé dans son bonheur, il faut faire en sorte que les autres le soient avec nous » ; car alors tous obstacles sont levés, et tout le monde nous prête la main. « C’est ce ménagement de bonheur pour nous et pour les autres que l’on doit appeler honnêteté, qui n’est, à le bien prendre, que l’amour-propre bien réglé. » C’est à cela que Pascal semble répondre directement dans son apostrophe à l’aimable égoïste.

1177. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

. — Faut-il que j’aie du bonheur, pour que cette enfant-là m’ait rappelé la grande coquine de lettre ! […] Je fus révolté en le lisant : eût-on à se plaindre d’un collègue, il y a des jours de bonheur et de joie qu’il ne faut pas corrompre d’une injure, surtout quand on ne peut pas être relevé. […] C’était une jeune Anglaise, d’une candeur et d’une bonté modestes, qui lui assurait le bonheur ; elle lui promettait aussi un jour une immense fortune.

1178. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Adorant et superbe, mâle et probe, il déduit l’épouvantable fatigue du Pêcheur descendu dans les caves de sa conscience, l’inaltérable dégoût du Voyant spirituel mis en face des iniquités et des fautes accumulées dans ces redoutes et il affirme aussi, après le cri de foi dans la rédemption, le bonheur surhumain d’une vie nouvelle, l’indicible allégresse d’un cœur neuf éclairé, tel qu’un Thabor, par les divins rayons de la mystique Supéressence. […] Avec la tempête du Vaisseau Fantôme, qui dure tout un acte, tour de force inouï réussi avec un bonheur insolent, avec le pélerinage de Tannhaeuser, avec les torrents d’eau du Rheingold, les torrents de feu de la Walkyrie, les bruits de la forge et les murmures de la forêt dans Siegfried, c’est, dans toute son œuvre un véritable envahissement de musique descriptive ; ce qui n’empêche pas les wagnériens de combattre au premier rang des ennemis du genre pittoresque. […] Reste l’exemple de Richard Wagner : certes, il a employé la description, et avec un bonheur insolent (une insolence que M. 

1179. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Pour moi, je ne croirai jamais que la jeunesse peigne ainsi la jeunesse, que le bonheur peigne ainsi la félicité, et si je n’avais pas dans mon âme la certitude que, comme tout véritable grand homme, Shakespeare a dû cruellement souffrir de la vie, je n’en douterais plus après avoir lu Roméo. […] L’un, c’est la Pensée assez intense pour arriver à la folie ; — l’autre, la Sensation assez passionnée pour arriver à la souffrance ; car Dieu ne veut pas plus qu’on s’enivre avec sa pensée qu’il ne veut qu’on s’enivre avec son bonheur ! […] Voilà du moins ce que François Hugo a bien vu… Le sentiment de la famille, qu’il a, lui aussi, jusqu’au courage et quelquefois littérairement jusqu’au défaut, de cette fois, lui a porté bonheur.

1180. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Or, Paul Féval a le bonheur d’appartenir à la province qu’a le moins touchée cette influence de Paris, qui finira par égratigner et mettre en poussière jusqu’aux granits de ses dolmens ! […] Brucker aura donc porté bonheur autant au talent de Paul Féval qu’à son âme. […] » et j’aurais bien demandé à Paul Féval la permission de l’embrasser pour m’avoir fait ce bonheur-là.

/ 1939