Voltaire, en ce temps-là, revenu de Prusse, et avant de se fixer près de Genève, essayait de cette vie nouvelle à Lausanne, où il passa surtout les hivers de 1756, 1757 et 1758 ; il y trouvait avec étonnement un goût pour l’esprit qu’il contribuait à développer encore, mais qu’il n’avait pas eu à créer : On croit chez les badauds de Paris, écrivait-il, que toute la Suisse est un pays sauvage ; on serait bien étonné si l’on voyait jouer Zaïre à Lausanne mieux qu’on ne la joue à Paris : on serait plus surpris encore de voir deux cents spectateurs aussi bons juges qu’il y en ait en Europe… J’ai fait couler des larmes de tous les yeux suisses. […] Il était resté quelque chose de ces souvenirs de Lausanne dans l’esprit de Voltaire, lorsque, dix ans plus tard, il écrivait à Mme Necker, devenue grande dame à Paris, et qui réunissait alors à son dîner des vendredis les beaux esprits philosophes : Vous qui, chez la belle Hypatie, Tous les vendredis raisonnez De vertu, de philosophie, etc. […] C’est dans le salon de Mme Necker, et sous son inspiration, que naquit d’abord, en 1770, l’idée d’élever une statue à Voltaire.
Le Brun, dans l’orgueil de sa conscience solitaire, souriait de pitié lorsqu’il entendait dire que La Harpe avait en vers quelque chose du « style de Jean Racine » ; mais, si La Harpe, s’autorisant de Voltaire, en venait à parler à la légère de ce grand Corneille, « le raisonneur ampoulé », comme on le voit qualifié dans la correspondance de Ferney, oh ! […] Voltaire, au milieu de tous les éloges qu’il prodigue à son disciple, a lâché un mot terrible, en ce qu’il va dans La Harpe au fond de l’homme même : « C’est un four qui toujours chauffe et où rien ne cuit. […] De là un déluge de plaisanteries sur la religion ; l’un citait une tirade de La Pucelle ; l’autre rappelait ces vers philosophiques de Diderot… La conversation devient plus sérieuse ; on se répand en admiration sur la Révolution qu’avait faite Voltaire, et l’on convient que c’est là le premier titre de sa gloire : « Il a donné le ton à son siècle, et s’est fait lire dans l’antichambre comme dans le salon. » Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, que son coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant : « Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois qu’un misérable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre.
Non que le révérend père fût prude ou timoré ; il note les épithètes de Voltaire et des poètes galants et la grossièreté même ne le rebuta pas, mais c’est précisément parce qu’il est bien de son temps qu’il est épouvantable. […] En reprenant les mots abeille, volupté et yeux, on trouve dans le catalogue du prieur des Célestins : Abeille : badine — bourdonnante — diligente — importune — imprudente (Voltaire) — industrieuse — laborieuse — ménagère — mouchetée — ouvrière — piquante — prévoyante — vagabonde ; Volupté : douce — efféminée, — enfantine — étudiée — fine (Voltaire) — folâtre — grossière — lâche — obscène — prodigue — profane — pure — riante — sévère — subtile — sucrée ; Yeux : abusés — assassins — attendris — bandés — bouchés — chassieux — cruels — délicats — ébaubis — éblouissants — éloquents — ennemis — éplorés — fistuleux — fondus — gémissants — homicides — hypocrites — impudiques — langoureux — noyés — pochés, etc.
En poétique, Voltaire montre le même mépris de toutes ces vaines théories qui troublent le monde. […] C’est ici le lieu de mettre sous les yeux du lecteur un certain nombre de passages tirés de la correspondance de Voltaire, qui prouvent que je n’ai pas trop hasardé, lorsque j’ai dit qu’il haïssait secrètement les sophistes. Du moins l’on sera forcé de conclure (si on n’est pas convaincu) que, Voltaire ayant soutenu éternellement le pour et le contre, et varié sans cesse dans ses sentiments, son opinion en morale, en philosophie, et en religion, doit être comptée pour peu de chose.
Qu’est-ce ■qui distingue particulièrement Voltaire de tous nos jeunes littérateurs ? […] Voltaire sait beaucoup et nos jeunes poètes sont ignorants. L’ouvrage de Voltaire est plein de choses ; leurs ouvrages sont vides.
Voltaire, suivant Gœthe, a été un génie multiple pour lequel il déroule une longue litanie d’éloges ; suivant Joseph de Maistre, ce fut un petit esprit et un grand corrupteur, auquel il consent qu’on élève une statue, à condition que ce soit par la main du bourreau.
C’était le contraire pour Voltaire, le seul vrai, le seul grand poète du xviiie siècle. […] Chez Voltaire, les œuvres font défaut souvent ; mais tant que la personne est là, là aussi est le poète. […] Au xviiie siècle, il n’y a de tout à fait poète que Voltaire dans la poésie railleuse et légère, et ensuite André Chénier dans la poésie sérieuse et renouvelée. […] La Nature seule peut créer le génie : à celui qui doit venir et en qui noirs avons espérance, nous dirions : « Il n’y a plus de théories factices, de défenses étroites et convenues ; le champ entier de la langue et de la poésie est ouvert devant vous, depuis l’âpre simplicité des premiers trouvères jusqu’à l’habile hardiesse des plus modernes, depuis la Chanson de Roland jusqu’à Musset : langue de Villon, langue de Ronsard, langue de Régnier, langue de Voltaire, quand il est en verve, langue de Chénier (je ne parle pas des vivants), tout cela est votre bien, votre instrument ; le clavier est immense.
À quelques pas de là, je visitai aussi la petite maisonnette carrée et le petit jardin de chartreux de l’Arioste, l’Homère du badinage, l’Horace et le Voltaire de l’Italie, mais plus ailé qu’Horace et plus gracieux que Voltaire. […] Nous trouvons dans une lettre de Voltaire à Chamfort du 16 novembre 1774, une appréciation admirablement juste de cet Arioste que le Tasse allait surpasser dans le sujet, en l’imitant dans la forme. Nous sommes heureux de rencontrer dans l’esprit si juste et si infaillible de Voltaire notre propre opinion de l’immense supériorité de l’Arioste sur son copiste naïf mais négligé, la Fontaine. « À propos, Monsieur », dit Voltaire, « vous me reprochez, mais avec votre politesse et vos grâces ordinaires, d’avoir dit que la Fontaine n’était pas assez peintre.
Voltaire même, tout en le mesurant, affectait de le grandir. […] Voltaire et J. […] Voltaire avait abrité en Suisse, à soixante-deux ans, son génie, au moment où sa vie littéraire finissait, et où il commençait sa vie philosophique. […] D’ailleurs, à l’exception de Voltaire, qui avait trop de muscles dans la pensée pour recourir à l’enflure, tout le dix-huitième siècle déclamait un peu : Diderot, Thomas, Buffon, Guibert, Raynal, Marmontel, la cour entière de philosophes et d’hommes de lettres groupés autour de M.
On pouvait donc, à la rigueur, se risquer à répéter le vieux train de calomnies qui va de Pasquier à Pascal, de Pascal à Voltaire, et de Voltaire qui tombe si bas, qu’on se détourne avec dégoût de toute cette plèbe de noms ennemis. […] Qu’on se rappelle la grave affaire des billets de confession, que les bouffonneries de Voltaire n’ont pas rapetissée dans l’opinion des hommes qui s’entendent à la conduite des peuples ! […] Le cardinal de Bernis, l’ami de Voltaire et la bouquetière de madame de Pompadour, ne pouvait pas se déshonorer, mais l’archevêque de Séville, le grave et profond cardinal de Solis, avait, lui, un honneur à perdre, un noble passé à sacrifier, et il perdit l’un et sacrifia l’autre en acceptant de son gouvernement la mission de faire nommer un pape s’engageant d’avance et par écrit à la destruction des Jésuites.
Son ami ne fit aucune réponse satisfaisante ; il ignorait presque le nom de Voltaire. […] Voltaire n’y causait guère avec Piron, et Vauvenargues, bien que logé rue du Paon, n’y allait pas30.
J’ose dire que ce sont ceux de sa race, et qu’ils apparaissent dans les moeurs régnantes comme dans les écrits populaires, depuis les fabliaux jusqu’à Rabelais et Montaigne, depuis La Fontaine et Molière jusqu’à Voltaire et Béranger. […] Avec Rabelais, Voltaire et Molière, il est notre miroir le plus fidèle.
C’est même parfois — je le dis en rougissant et bien bas un député républicain qui veut interpeller un ministre républicain qui prend l’alarme parce qu’un professeur a imprimé un peu plus de mal de Voltaire, que n’exige l’orthodoxie des étranges démocrates qui conçoivent la République et la Science sur le type de l’Église et du Syllabus. […] Il y aura toujours de l’inconnu dans Montaigne et Pascal, dans Bossuet et Rousseau, dans Voltaire et Chateaubriand, dans bien d’autres encore, et de la contradiction à proportion de l’inconnu.
Il avait retourné le mot de Voltaire, et il s’écriait, lui aussi : Écrasons l’infâme ! […] Il tendit d’une manière tranchée à instituer le duel entre ce qu’il appelait les fils des croisés et les fils de Voltaire.
À des distances très grandes, à des intervalles de siècles, les corrélations se manifestent, surprenantes ; l’adoucissement des mœurs humaines, commencé par le révélateur religieux, sera mené à fin par le raisonneur philosophique, de telle sorte que Voltaire continue Jésus. […] Les aurores à côté des aurores, le renouvellement indéfini des météores, les mondes par-dessus les mondes, le passage prodigieux de ces étoiles incendiées qu’on appelle comètes, les génies, et puis les génies, Orphée, puis Moïse, puis Isaïe, puis Eschyle, puis Lucrèce, puis Tacite, puis Juvénal, puis Cervantes et Rabelais, puis Shakespeare, puis Molière, puis Voltaire, ceux qui sont venus et ceux qui viendront, cela ne te gêne pas.
Chez lui la raison éclaire le sentiment ; le sentiment échauffe la raison, et de cet heureux accord se forme le goût que Voltaire définit justement « la suite d’un sens droit et le sentiment prompt d’un esprit bien fait ». […] Supposons que Voltaire fasse représenter de nos jours une tragédie ; M. de Carné la trouvera exécrable parce qu’elle est de lui ; M.
Qui ne sait tout ce que Voltaire montra de mauvaise humeur contre le projet d’une traduction complète de Shakespeare ? Voltaire cependant venait de flétrir de sa plume cynique et impie l’un de nos plus beaux souvenirs historiques ; et il recueillait des applaudissements égaux pour toutes ses injustices, comme si on eût voulu verser le discrédit à la fois sur notre passé et sur notre avenir.
» — Thiers aurait dit encore : « Qu'on nous donne en France les colléges des jésuites, et dans vingt ans je vous promets un Voltaire. » — Quinet va publier un volume, résultat de ses leçons de l’année, et qui a pour titre : l’Ultramontanisme.