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915. (1921) Esquisses critiques. Première série

Derrière ces ouvrages sans épaisseur, on ne sent ni l’observateur qui fait part de son expérience, ni le passionné qui communique ses émotions. […] Cette apparente sécheresse est d’ailleurs elle aussi une acquisition volontaire de la maturité de l’artiste : une pitié profonde non moins qu’une émotion contenue se manifestent dans ses premiers livres. […] Adorateur fervent de la beauté antique, des statues grecques, des paysages siciliens, de la campagne romaine, du miracle français aussi, il a traduit sa brûlante émotion en termes qui la contiennent pudiquement, — où le sentiment personnel se voile avec discrétion. […] Un poète dont Baudelaire aurait éduqué la sensibilité ne saurait traduire ses émotions en fluides vers libres, un Claudélien ne pourrait réaliser ses fureurs dans des tragédies qu’il écrirait en alexandrins réguliers. […] Il ne faut point chercher ici l’étude complexe des détours du cœur ou l’analyse des lents développements d’une émotion qui s’impose peu à peu à un esprit qu’elle dominera.

916. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Avec quelle émotion commençant par le commencement, il entra dans le prétoire du tribunal de simple police d’un petit chef-lieu de quanton, je vous le laisse à penser. […] Quand il récitait de ses propres vers, une haute émotion faisait vibrer tout son être, superbe, et allait frapper ses auditeurs d’une sympathie irrésistible. […] Le portrait de la reine Mab, le rôle de Mercutio, toute la comédie de Comme il vous plaira sont pleins de ces qualités, qui reflètent répandues partout, en mille passages, les plus évidentes beautés côte à côte avec des orgies d’émotion. […] Mais en ce moment, je ne puis trop le dire, j’éprouve une émotion bien particulière, et je voudrais vous demander instamment votre bienveillante attention. […] Dans le recueil que nous donne aujourd’hui le nouveau poète que j’ai le plaisir de vous présenter, vous trouverez l’émotion, la belle candeur, tour à tour forte et charmante de la jeunesse — la jeunesse !

917. (1884) La légende du Parnasse contemporain

N’ayant jamais discouru devant un auditoire nombreux, je m’étais défié d’une émotion probable. […] Mais combien de fois les délices de l’émotion communiquée sont interrompus par quelque négligence de langage ou de rythme, par l’insuffisance dans l’expression et surtout par l’incohérence des images ! […] Son père, un honnête gendarme de qui, plus tard, il parlait des larmes plein les yeux, et la voix tremblante d’émotion, bien qu’il fît peu de vers sur les personnes de sa famille, son père un matin, ne l’avait pas vu s’asseoir à la table patriarcale. […] Du moins la tendresse vraie, l’émotion sincère, la passion en un mot, l’exprimaient-ils parfois ? […] L’essentiel en poésie n’est-il pas de ressentir une émotion vraie, et quel plus bel éloge pourrait-on faire d’un poète, que celui-là : « Il fit pleurer les dames de son temps ! 

918. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Au théâtre, on ne voit plus un petit nombre de juges se rassembler solennellement, moins pour savourer une émotion que pour porter un jugement. […] Je pointerais au doigt chez Victor Hugo les jeunes émotions revenues qui abaissent le vol de l’aigle jusqu’à la tendresse et font jaillir de son cœur la vérité des larmes ou du sourire. […] Je me souviens pourtant de quelques pages où l’auteur du Roi de Bohême et ses Sept châteaux parle de son enfance, aux jours de la Révolution, et raconte avec une émotion admirable la mort de Pichegru. […] Les émotions ne se ressemblent pas ; mais être ému, voilà l’important. […] Ceux qui résistaient le plus à l’enthousiasme trop bruyant d’une cabale amie, ne pouvaient se défendre à leur gré de partager l’émotion générale.

919. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Ces essais lointains d’une nourriture restée quotidienne dans tout l’Occident ne se considèrent pas sans émotions, non plus que les instruments naïfs qui servaient à la fabriquer. […] On peut étudier la poésie française pendant vingt ans, être un esprit supérieur et se montrer incapable de composer un sonnet qui satisfasse à la fois notre émotion et notre esthétique. […] On peut dire que la jalousie est partout, dans le monde animal, comme dans le genre humain, qu’on la trouve à la base de toute émotion sentimentale. […] La raison ne suffit pas à créer une œuvre d’art ; mais l’émotion artistique n’y suffit pas davantage. […] Les émotions de l’homme sont plus variées que les expressions de son visage, voilà tout.

920. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Les grandes émotions de l’Empire devaient avoir leur contre-coup et leur après-coup en littérature. « Pour moi, je l’avoue, disait un jeune colonel au spirituel M. de Stendhal, il me semble, depuis la campagne de Russie, qu’Iphigénie en Aulide n’est plus une aussi belle tragédie. » — La seconde génération de l’Empire, un peu plus tôt, un peu plus tard, devait en venir là. […] De retour en France en 1821, il publia, vers septembre, un poëme lyrique sur la mort de Napoléon, morceau étendu, plein d’harmonie, de souffle et d’émotion.

921. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Assistez à telle séance de la Chambre des députés, ou écoutez celui qui en sort tout animé de l’esprit des orateurs et vous en exprimant l’émotion, les péripéties, les jeux de scène, et puis lisez le lendemain le procès-verbal de cette séance : cela fait-il l’effet d’être la même chose ? […] Ce suicide final qu’on raconte de Lucrèce ne lui semblait peut-être qu’un retour d’accès d’un mal ancien : « L’air d’autorité, écrivait-il, ne suffit pas à déguiser ses terreurs ; voyez, il s’en revient pâle comme Dante ; l’armure déguise mal l’émotion du guerrier. » Il croyait discerner, sous cet athéisme dogmatique, comme sous la foi de Pascal, le démon de la peur.

922. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

Le cœur de l’homme, quand il est ému par l’idée de Dieu, porte ses émotions aussi loin que l’Océan porte les ondulations de ses rives. […] Quant à moi, lorsque mon âme, ou enthousiaste, ou pieuse, ou triste, a besoin de chercher un écho à ses enthousiasmes, à ses piétés ou à ses mélancolies dans un poète, je n’ouvre ni Pindare, ni Horace, ni Hafiz, poètes purement académiques ; je ne cherche pas même sur mes propres lèvres des balbutiements plus ou moins expressifs pour mes émotions ; j’ouvre les psaumes et j’y prends les paroles qui semblent sourdre du fond de l’âme des siècles et qui pénètrent jusqu’au fond de l’âme des générations.

923. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Quant à nous, si nous avions à trouver pour cette sublime libératrice de son pays et pour cette généreuse meurtrière de la tyrannie un nom qui renfermât à la fois l’enthousiasme de notre émotion pour elle et la sévérité de notre jugement sur son acte, nous créerions un mot qui réunît les deux extrêmes de l’admiration et de l’horreur dans la langue des hommes, et nous l’appellerions l’ange de l’assassinat. » XV Si on m’a accusé, avec une sorte de justice, d’avoir jugé historiquement la reine avec une sévérité regrettable mais consciencieuse au commencement de son règne, qu’on lise comment je la réhabilite sur son échafaud. […] Paris eut cependant moins d’émotion de ce meurtre que du meurtre du roi.

924. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Mais il ne tire rien de ces thèmes si riches, du moins il n’en extrait pas d’émotion ni de poésie. […] Cependant à la fin du xive  siècle les maux de l’Église et du royaume ranimèrent l’éloquence religieuse : plus d’une fois les émotions et les haines amassées dans les cœurs firent craquer les mailles serrées du raisonnement scolastique.

925. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Il était peuple par un côté : il aimait les soldats, les uniformes, le tapage des tambours, l’idée des charges furieuses et des héroïques carnages ; toute la poésie de son âme se ramassait dans ces émotions belliqueuses : il aima la guerre d’Algérie pour son scénario d’épopée militaire, encore plus que pour les résultats. […] Moins éclatant et moins tapageur fut renseignement de Jouffroy704 disciple de Cousin, et tout le contraire de Cousin : grave, sobre, précis, intérieur, contenant son émotion, détaché du christianisme avec angoisse, et reconquérant douloureusement les grandes vérités chrétiennes par la philosophie, il recherchait, avec une sincérité profonde et une réelle force de pensée, le problème de la destinée humaine, ou posait les principes du droit naturel et de l’esthétique.

926. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Restent les émotions qui sont à la portée de tout le monde, qui peuvent être communes au « peuple » et aux « habiles ». Je vois qu’ici et là elles sont inégales selon les individus ; mais entre les deux groupes je ne vois d’autre différence bien tranchée, sinon que le peuple ne tire rien de son émotion et que l’artiste en tire des oeuvres d’art.

927. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Quant à la terreur de la tragédie grecque, celle qui faisait accoucher en plein théâtre les femmes d’Athènes, nous ne voulons pas de ses émotions, parce qu’elles coûtent trop cher au goût. […] L’émotion n’est pas trop chèrement payée par le léger tort que peut faire à l’art l’irrégularité du moyen.

928. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

La corde de l’ode frappée par la main d’Eschyle, rend toutes les notes de terreur et de pitié, d’émotions et de gradations qui composent la lyre dramatique. […] Pour lui, nulle pitié et nulle émotion.

929. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

M. de Chateaubriand, qui aimait peu ses enfants les romantiques plus jeunes, était lui-même (malgré son apprêt de rhétorique renchérie) un grand romantique, et en ce sens qu’il avait remonté à l’inspiration directe de la beauté grecque, et aussi en cet autre sens qu’il avait ouvert, par René, une veine toute neuve de rêve et d’émotion poétique.

930. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

Dutrey, m’écrivait : « … Ce n’est pas sans une vive émotion que j’ai retrouvé, dans ce que vous dites de lui, l’expression si fidèle des souvenirs que m’a laissés notre longue amitié.

931. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Cette fin replonge et retrempe l’âme dans les plus fraîches émotions de la jeunesse ; vous avez senti par une tiède brise de mai la première bouffée de lilas.

932. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Il repart de chez ses amis, pour revenir de nouveau à quelque prochaine saison ; chaque retour est peint à ravir, et comme l’unique accident qui projette une émotion intermittente et croissante dans l’heureuse et monotone existence des amants : « A la fin de l’hiver de 1741, par un beau jour, Simiane venait de greffer ses poiriers ; il tenait encore sa serpette, et s’était jeté sur l’herbe.

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