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29. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Considérez les chefs de l’opinion publique, les promoteurs de la philosophie nouvelle : à divers degrés, ils sont tous versés dans les sciences physiques et naturelles. […] Selon que l’autorité est aux mains de tous, ou de plusieurs, ou d’un seul, selon que le prince admet ou n’admet pas au-dessus de lui des lois fixes et au-dessous de lui des pouvoirs intermédiaires, tout diffère ou tend à différer dans un sens prévu et d’une quantité constante, l’esprit public, l’éducation, la forme des jugements, la nature et le degré des peines, la condition des femmes, l’institution militaire, la nature et la grandeur de l’impôt. […] Tel est d’abord le climat, c’est-à-dire le degré du chaud et du froid, du sec et de l’humide, avec ses conséquences infinies sur le physique et sur le moral de l’homme, par suite sur la servitude ou la liberté politique, civile et domestique. […] Considérons les débuts de la vie, l’animal au plus bas degré de l’échelle, l’homme à l’instant qui suit sa naissance. […] Pareillement, de plusieurs idées générales du même degré, nous en extrairons une autre plus générale, et ainsi de suite, pas à pas, en cheminant toujours selon l’ordre naturel, par une analyse continue, avec des notations expressives, à l’exemple des mathématiques qui passent du calcul par les doigts au calcul par les chiffres, puis de là au calcul par les lettres, et qui, appelant les yeux au secours de la raison, peignent l’analogie intime des quantités par l’analogie extérieure des symboles.

30. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Mais quel degré d’importance relative faut-il attribuer à ces trois fonctions universellement reconnues et quelle est celle qui constitue par essence le souvenir ? […] Ces représentations offrent tous les degrés de vivacité et de ténacité. […] On peut donc admettre, avec Bain et Spencer, que, pour se rappeler la couleur rouge, il faut éprouver, à un certain degré, quelque chose de l’état cérébral et mental que la couleur rouge produit. […] Nous prenons pour un degré de quantité ce qui est réellement une qualité. […] Ces remarques sont importantes pour établir le degré d’influence que les idées peuvent avoir sur la production des émotions.

31. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

“Je puis assurer à Monsieur, dit-il, que le bain est au même degré qu’hier.” — “Monsieur ! […] Après cela, que cette idée se présentât à eux sous les termes de πολιτεία, παιδεία, ou tout autre, je laisse aux savants à le déterminer ; mais je suis certain que les Grecs, par leur brillant, leur éducation, leur art, leur génie actif et persuasif, leur faculté colonisatrice, avaient essentiellement et au plus haut degré le sentiment de cette chose que les modernes appellent civilisation ; ils l’avaient, comme tout ce qu’il leur fut donné d’avoir, d’une manière exquise ; ils en avaient même le sentiment en ce qui est de l’humanité, de la philanthropie : il suffit de se rappeler ce bel article de traité que Gélon imposa aux Carthaginois vaincus, et que Montesquieu a consacré par un chapitre de l’Esprit des Lois. […] Volney se propose, au terme de son programme et comme couronnement, l’examen de ces deux questions : 1º à quel degré de sa civilisation peut-on estimer que soit arrivé le genre humain ? […] Napoléon s’y suppose en idée maître et roi durant dix ans, et il en ressuscite toutes les merveilles, étendues, agrandies, multipliées, selon les données incomparables du génie moderne ; je ne me refuserai pas à rappeler les principaux traits du tableau : « Mais à quel degré de prospérité, s’écrie tout à coup l’historien conquérant, pourrait arriver ce beau pays, s’il était assez heureux pour jouir, pendant dix ans de paix, des bienfaits de l’administration française ! […] Duveyrier, d’après son père, nous rapporte là de Mirabeau, est vrai de bien d’autres à tous les degrés.

32. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

Non, répond de Hartmann, reprenant une théorie exposée autrefois par Wundt45 ; le plaisir et la douleur, en eux-mêmes, peuvent bien présenter divers degrés de force, mais aucune différence de qualité. […] C’est par une abstraction artificielle qu’on sépare des émotions une qualité tout intellectuelle qui serait indifférente, pour ne leur laisser qu’un degré intensité qui seul serait agréable ou pénible. […] Qu’on m’arrache une dent, ou que mon ami meure, « cela peut changer le degré, mais non la nature de ma douleur ». […] Chez les enfants et les sauvages, les sons et les couleurs ont un caractère d’émotion beaucoup plus tranché que chez l’homme adulte et civilisé : les sauvages sont irrités, comme les animaux, par la vue d’un rouge éclatant ; le son énergique d’un instrument comme la trompette les excite à un haut degré ; d’autres sensations visuelles ou auditives produisent un effet déprimant ; toutes semblent provoquer des sentiments de plaisir ou de déplaisir, par rapport auxquels nous, au contraire, nous sommes « blasés ». […] En premier lieu, nous l’avons vu, le sentiment n’est pas la représentation même, ni un rapport de représentations, il n’a pas non plus pour cause unique la représentation ; mais, selon nous, la représentation à quelque degré, ou plutôt, comme disent les Allemands et les Anglais, la présentation accompagne toujours le plaisir ou la peine et, sans en être la condition unique, elle est cependant une de ses conditions.

33. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 31, de la disposition du plan. Qu’il faut diviser l’ordonnance des tableaux en composition poëtique et en composition pittoresque » pp. 266-272

Après avoir supposé que le vingtiéme degré de sa balance marque le plus haut point de perfection, où il soit possible d’atteindre en chacune de ces parties : il nous dit à quel degré chaque peintre est demeuré. Mais pour n’avoir pas distribué l’art de la peinture en cinq parties, ni divisé ce qu’on appelle en general l’ordonnance, en composition pittoresque et en composition poëtique, il tombe dans des propositions insoutenables, comme est celle de placer au même degré de sa balance Paul Veronése et le Poussin en qualité de compositeurs.

34. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

La rêverie est dans les degrés intermédiaires. […] Elle peut l’être à un degré éminent. […] Chacun comprend qu’il la doit chercher spécialement dans les passages qui produisent à son plus haut degré l’impression poétique, par opposition à ceux qui ne la produisent à aucun degré. […] La poésie, à son plus haut degré d’élévation, est tout extérieure. […] La rêverie, à ce degré, est une sorte d’ivresse qui se paie.

35. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Par quelle série de degrés transitoires l’instinct de la Fourmi sanguine s’est-il développé ? […] Mais la sélection naturelle ne saurait dépasser ce degré de perfection architectural ; car le rayon de l’Abeille domestique, autant du moins que nous en pouvons juger, est arrivé à la perfection absolue sous le rapport de l’économie des matériaux. […] Nous manquons de degrés de transition pour nous aider à conjecturer quelles ont pu être les phases de développement des autres. […] Par la sélection longtemps continuée des parents féconds qui produisirent le plus de neutres ainsi avantageusement modifiés, tous les neutres arrivèrent par degrés à présenter le nouveau caractère acquis. […] Je ne puis donc voir aucune difficulté à ce que, sous des conditions de vie changeantes, la sélection naturelle accumule de légères modifications, en quelque direction et jusqu’à quelque degré que ce soit.

36. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Leur organisation tout entière semble être devenue plastique, et tend à s’éloigner au moins en quelque degré de celle du type originel. […] Comme plusieurs des raisons qui m’ont amené à cette opinion sont en quelques degrés applicables à d’autres cas, je les exposerai succinctement. […] Or, un tel concours de circonstances extraordinaires présente le plus haut degré d’improbabilité. […] D’après ce qu’on sait des Chiens, cette hypothèse présente un haut degré de probabilité, si on ne l’applique qu’à des espèces étroitement alliées, bien que pourtant il faille avouer qu’elle n’est appuyée sur aucune expérience. […] Les effets de la variabilité sont modifiés à divers degrés par l’hérédité et la réversion des caractères.

37. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

On cite, par exemple, le passage où Platon, marquant divers degrés d’intelligence chez les hommes et le rang analogue qui leur est dû dans la Cité, exprime ces différences par les valeurs inégales des métaux. […] Et, chose extraordinaire, en même temps qu’elle conserve au plus haut degré l’empreinte d’une race particulière et séparée, elle est, par la force et la vérité des mouvements, par l’abondance de la passion, le langage qui parle le mieux au plus grand nombre des âmes humaines. […] C’est dans les herbages abondants qu’il me fera reposer et près des eaux doucement ruisselantes qu’il me conduira. » Et ailleurs, avec plus d’étendue, dans un de ces cantiques nommés cantiques d’ascension que le peuple chantait en montant les degrés du temple : « Oh ! […] Il s’agit surtout de ce qui éclate dans beaucoup d’autres, la magnificence des images, l’excès de la passion, le tour extraordinaire de la pensée, ces choses admirables, mais humaines, parce qu’elles ne semblent que le suprême effort et le plus haut degré des dons qui sont en nous. […] Ce que l’on a nommé l’inspiration, c’est ce moment où l’âme, ravie au-dessus d’elle-même, épuise le dernier degré de douleur, de joie, d’amour, qu’il lui soit possible d’atteindre sans briser sa faible enveloppe et s’échapper d’ici-bas.

38. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Premier degré de ma fortune. […] Deuxième degré. […] Troisième degré. […] Quatrième degré. […] Sixième degré.

39. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

C’était se méprendre singulièrement sur le sens et la portée de cette assimilation, dont l’objet n’est pas de ravaler les formes supérieures de l’être aux formes inférieures, mais, au contraire, de revendiquer pour les premières un degré de réalité au moins égal à celui que tout le monde reconnaît aux secondes. […] Or il s’en faut que la sociologie en soit arrivée à ce degré de maturité intellectuelle. […] On nous accorde aujourd’hui assez volontiers que les faits de la vie individuelle et ceux de la vie collective sont hétérogènes à quelque degré ; on peut même dire qu’une entente, sinon unanime, du moins très générale, est en train de se faire sur ce point. […] Si, au-dessus des divinités locales ou familiales, elle en imagine d’autres dont elle croit dépendre, c’est que les groupes locaux et familiaux dont elle est composée tendent à se concentrer et à s’unifier, et le degré d’unité que présente un panthéon religieux correspond au degré d’unité atteint au même moment par la société. […] L’individu les trouve toutes formées et il ne peut pas faire qu’elles ne soient pas ou qu’elles soient autrement qu’elles ne sont ; il est donc bien obligé d’en tenir compte et il lui est d’autant plus difficile (nous ne disons pas impossible) de les modifier que, à des degrés divers, elles participent de la suprématie matérielle et morale que la société a sur ses membres.

40. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Rossi, sont tous, à des degrés divers, philosophes et publicistes, et leur philosophie contient les principes de leur politique. […] Cet éminent penseur n’était pas sans doute un philosophe, et il avoue lui-même qu’il avait peu de goût pour la métaphysique ; mais il possédait au plus haut degré et pratiquait merveilleusement la méthode philosophique : il avait cet esprit de réflexion et de généralisation qui, partout dans les faits particuliers, cherche et découvre les lois générales. […] Mais chacune de ces écoles se partagent en nuances diverses qui servent de transition de l’une à l’autre : de telle sorte qu’il est possible, en descendant de degré en degré, de passer sans interruption des théories les plus contraires à la Révolution jusqu’aux doctrines les plus révolutionnaires. […] Ajoutez à cela le suffrage universel, mais à deux degrés ; vous avez toute la théorie politique de Destutt de Tracy dans son Commentaire de l’esprit des lois : ouvrage éminent, d’ailleurs, et qu’il ne faut pas juger seulement par l’échantillon de cette constitution toute spéculative.

41. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Aucun philosophe ne croit aujourd’hui à l’existence de pensées pures et pourtant particulières, distinctes des images qui leur sont associées, et seulement exprimées par ces images qui ne les constituent à aucun degré. […] Le sens commun conçoit les genres un peu autrement que ne fait l’histoire naturelle, et les descriptions du psychologue ne peuvent concorder exactement ici avec les définitions du logicien ; pour le psychologue et pour le sens commun, les espèces font partie du genre à des degrés divers, les unes plus les autres moins ; ces degrés disparaissent si l’on envisage les genres et les espèces du point de vue du naturaliste et du logicien ; tous deux introduisent arbitrairement dans la réalité psychique ou naturelle une rigueur mathématique étrangère aux données de l’observation. […] On peut ajouter que, entre les pensées les plus particulières et les pensées les plus générales, il y a continuité ; les degrés inférieurs de la généralité admettent encore l’image-signe, et le besoin d’un signe arbitraire croît avec la généralité des idées. […] L’idée générale, une fois formée, peut s’accroître par l’adjonction de faits nouveaux ; elle peut croître ou décroître en intensité selon la fréquence des remémorations et le degré de l’attention ; mais, si elle meurt, elle meurt tout entière, elle ne saurait être décomposée. […] Ou l’emploie pour désigner, — soit un très faible degré de conscience : or un fait de conscience, quelqu’en soit le degré, est quelque chose d’incontestablement psychique, partant de psychologique ; — soit un phénomène nerveux non accompagné de conscience, mais que, par analogie et induction, il est possible de définir en termes de conscience, c’est-à-dire en termes psychologiques.

42. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

Il semble donc bien qu’il y ait une différence de degré, et non pas de nature, entre l’affection et la perception. […] Et ce n’est pas seulement une différence de degré qui sépare la perception de l’affection, mais une différence de nature. […] Il faut tenir compte de ce que percevoir finit par n’être plus qu’une occasion de se souvenir, de ce que nous mesurons pratiquement le degré de réalité au degré d’utilité, de ce que nous avons tout intérêt enfin à ériger en simples signes du réel ces intuitions immédiates qui coïncident, au fond, avec la réalité Même. […] Il ne pourra donc subsister entre la perception et la mémoire qu’une simple différence de degré, et pas plus dans l’une que dans l’autre le sujet ne sortira de lui-même. […] Que si, au contraire, nous trouvons qu’il n’y a pas entre le souvenir et la perception une simple différence de degré, mais une différence radicale de nature, les présomptions seront en faveur de l’hypothèse qui fait intervenir dans la perception quelque chose qui n’existe à aucun degré dans le souvenir, une réalité intuitivement saisie.

43. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

L’idée que toutes nos sensations sont extensives à quelque degré pénètre de plus en plus la psychologie contemporaine. […] Il faut remarquer que la première distinction ne comporte pas de degrés : la matière est dans l’espace, l’esprit est hors de l’espace ; il n’y a pas de transition possible entre eux. […] Ainsi, entre la matière brute et l’esprit le plus capable de réflexion il y a toutes les intensités possibles de la mémoire, ou, ce qui revient au même, tous les degrés de la liberté. […] Et la distinction ne reste-t-elle pas tranchée, l’opposition irréductible, entre la matière proprement dite et le plus humble degré de liberté ou de mémoire ? […] Or, nous l’avons montré, la perception pure, qui serait le plus bas degré de l’esprit, — l’esprit sans la mémoire, — ferait véritablement partie de la matière telle que nous l’entendons.

44. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

Il n’en est plus de même plus tard, du moins au même degré. […] L’originalité sentimentale présente des degrés et des aspects infinis. […] Il y a bien des formes de vie et bien des degrés de vitalité. Il y a aussi bien des formes et des degrés de beauté. […] D’après Nietzsche, la beauté est le signe auquel se reconnaissent les nobles exemplaires humains, à un degré supérieur ces « superbes plantes tropicales, ces êtres d’élite qui pourront s’élever jusqu’à une tâche plus noble et jusqu’à une existence plus noble, semblables à cette plante grimpante d’Asie, ivre de soleil — on la nomme Sipo-matador — qui enserre un chêne de ses lianes multiples, tant qu’enfin, bien au-dessus de lui, mais appuyée sur ses branches, elle puisse développer sa couronne dans l’air libre, étalant son bonheur aux regards de tous » (Par-delà le Bien et le Mal).

45. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

De degré en degré vous arrivez aux poissons, aux amphibies, dans lesquels le cerveau (c’est-à-dire les deux hémisphères) est déjà visible, et présente à un degré rudimentaire la forme qu’il conservera dans toute la série des vertébrés. […] On a donc pensé à peser les cerveaux aux différents degrés de la série animale, et à comparer cette échelle de poids avec l’échelle d’intelligence des différentes espèces. […] C’est ce qu’il a fait lui-même dans un savant mémoire17 où il établit, contre l’opinion reçue, que le degré du développement de l’intelligence, loin d’être en raison directe de l’étendue relative de la surface du cerveau, semble bien plutôt en raison inverse18.

46. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Puisqu’on s’appuyait ainsi sur un axiome cartésien, on n’aurait pas dû oublier que, suivant Descartes, ce ne sont pas seulement les attributs humains, c’est en général tout ce qui est doué d’un certain degré de perfection, c’est-à-dire de réalité, qui doit être conçu en Dieu d’une manière absolue. […] Ici encore je ne connais aucune mesure qui permette de fixer le degré d’union en deçà ou au-delà duquel on sera ou l’on ne sera pas panthéiste. […] Elle est dans Descartes, je le reconnais, mais à quel faible degré ! […] Ce n’est pas que je veuille dire qu’avant cette grande époque on n’ait eu à aucun degré l’idée de la personne humaine. Partout où il y a une législation, on distingue à quelque degré la personne et la chose.

47. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

C’est donc simplement le degré de résistance qui, par le degré d’effort qu’il exige pour être surmonté, caractérise l’attention volontaire. La distinction de l’attention volontaire et de l’attention spontanée n’est qu’une distinction de degré. […] Même aujourd’hui, les sensations les plus indifférentes, si elles ont le degré d’intensité voulu pour être affirmées, ont par cela même le degré d’intensité voulu pour être aperçues et remarquées, conséquemment le degré d’intérêt nécessaire pour provoquer une certaine direction de l’appétition ou de la volonté. […] Il y a une onde nerveuse qui tend à se propager et se propage toujours à quelque degré. […] L’expression a divers degrés, selon que l’analogie est plus ou moins grande entre l’objet représenté et la représentation qui en est le substitut.

48. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Les choses prises sur le vrai, dans le vif, voilà son champ et son horizon ; l’art au premier degré et de premier jet, ce fut le sien. […] La salle de Constantine à Versailles témoigne de ce plus haut degré de son talent8. […] Il serait juste, pour apprécier tout le degré de mérite de ces premiers dessins d’Horace Vernet, de songer à ce qu’était alors l’art lithographique et à l’inexpérience de reproduction dont le talent avait à triompher. […] Sans se contraindre à aucun style, à aucun genre, à aucune espèce de sujets, il s’est mis à reproduire tous les objets qui frappent journellement son imagination si mobile et si heureuse ; aussi est-il éminemment le peintre de la France et du xixe  siècle, par la manière dont il représente notre nature et notre époque ; aussi a-t-il un degré de vérité, de grâce, de génie, que le talent ne doit jamais qu’à la présence immédiate des objets qu’il veut peindre. […] Mais que ce premier groupe confus, où se dessinaient tant de promesses, et s’avançant sous une inspiration commune, sous un même souffle, avant les divisions et les rivalités introduites bientôt par la critique, avait pourtant un charme, une nouveauté, un air d’union et de force, quelque chose dont l’impression ne s’est plus retrouvée depuis à ce degré, même quand chacun s’est ensuite développé dans sa voie !

49. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

A force de raisonnements, nous pouvons établir que nos sensations sont les signes plus ou moins fidèles des choses, mais c’est là une question de degré : tout est signe fidèle et infidèle à la fois. […] Ou plutôt, ces deux effets sont toujours simultanés, mais à des degrés divers, qui déterminent ou une attitude plus proprement idéationnelle, ou une attitude plus proprement volitionnelle. […] S’il existe d’autres êtres sentants qui aient des sensations différentes des nôtres, nous ne pouvons nous figurer d’avance la qualité spécifique de ces sensations, mais nous pouvons prédire que, quelles qu’elles soient, elles ont des degrés et une plus ou moins grande intensité ; sinon, ce seraient des ombres passives projetées sur un mur passif. […] On dit : « J’éprouve à la température de 30 degrés une certaine sensation de chaleur ; j’en éprouve une autre à la température de 20 degrés ; chacun de ces deux états de conscience forme une espèce distincte ; ils se ressemblent, ils appartiennent au même genre, qui est la sensation de chaleur. […] Si nous examinons avec soin l’idée de l’étendue, nous reconnaissons qu’elle est un ensemble de sensations possibles, d’actions possibles sur nos sens, et que ces actions ne sauraient se concevoir sans un degré d’intensité quelconque.

50. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

» Cette méthode si défectueuse paraît cependant avoir fourni quelques résultats importants, et M. le docteur Broca affirme que le degré de capacité des crânes correspond au degré d’intelligence des différentes races. […] Selon moi, l’idiot est celui dont le cerveau contiendrait le moins de phosphore ; le fou, celui dont le cerveau en contiendrait trop ; l’homme ordinaire, celui qui en aurait peu ; l’homme de génie, celui dont la cervelle en serait saturée à un degré convenable. » En Allemagne, Feurbach avait pris tellement au sérieux cette théorie du phosphore, qu’il n’hésitait pas à signaler comme une cause de l’affaiblissement des caractères en Europe l’usage exagéré de la pomme de terre, qui contient peu de phosphore. […] C’est en comparant le singe aux races inférieures de l’humanité, en montrant que l’intelligence va en se dégradant toujours dans les diverses races humaines, et qu’aux plus bas degrés elle est à peine supérieure à celle du singe ou de quelque autre animal. […] Un tel fait n’indique-t-il pas qu’il y a entre les degrés les plus distants de l’espèce humaine un lien fraternel ?

51. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Essai, sur, les études en Russie » pp. 419-428

Il y a des pays où l’on ne peut entrer dans aucune charge quand on n’a pas pris ses degrés dans l’université. […] Tout homme qui a pris ses degrés dans une université est en droit d’y donner des cours particuliers aux étudiants qui voudront le payer, quoiqu’il n’y ait que les professeurs publics de gagés et d’obligés à des leçons gratuites. […] Cette science si utile, et qui a été portée en France à un si haut degré de perfection, n’a pas encore, dans les universités des autres pays, la considération qu’elle mérite. […] Les professeurs des différentes facultés, indépendamment de leur devoir d’enseigner, forment encore un corps particulier, qui a son travail et ses séances, et auquel ceux qui, sans être professeurs publics, ont pris leurs degrés, peuvent être agrégés. […] A cette époque, le monde était si ancien, que les fils des hommes avaient poussé leurs connaissances au plus haut degré.

52. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Cet effacement est plus ou moins grand pour un même esprit, selon les diverses sortes de sensations, et c’est ce que l’on exprime en disant que tel homme a surtout la mémoire des formes, tel autre celle des couleurs, tel autre celle des sons. — Pour mon compte, par exemple, je n’ai qu’à un degré ordinaire celle des formes, à un degré un peu plus élevé celle des couleurs. […] On peut suivre tous les degrés par lesquels l’image ordinaire atteint ce comble de minutie et de netteté. […] Les grands musiciens ont à un degré éminent cette audition interne. […] Les sensations produites en nous par le monde extérieur s’effacent alors par degrés ; à la fin, elles semblent suspendues, et les images, n’étant plus distinguées des sensations, deviennent des hallucinations complètes. […] Par degrés, toutes les sensations extérieures s’effacent, ou du moins cessent d’être remarquées ; au contraire, les images intérieures, faibles et rapides pendant la veille complète, deviennent intenses, distinctes, colorées, paisibles et durables ; c’est une sorte d’extase accompagnée de détente générale et de bien-être.

53. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 78-80

Vainement y chercheroit-on de l'enthousiasme, de la Poésie, du dessin dans le plan, du coloris dans les images, de l'énergie dans l'expression, qualités indispensables au genre lyrique, duquel on peut dire, Qu'il n'est point de degrés du médiocre au pire. […] l'Abbé Reyrac, n'ont pu leur donner le moindre degré de chaleur & de vie.

54. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Ils n’ont point de valeur en eux-mêmes, et représentent seulement les divers degrés de notre science de la nature. […] Rien de plus ordinaire aujourd’hui, rien de plus généralement admis (excepté dans les plus bas degrés de la controverse) que ce procédé qui consiste tout d’abord à faire la part du vrai chez ses adversaires, et en général chez tous les penseurs. […] En politique, on fait comme on peut ; en philosophie, on ne devrait concilier qu’en expliquant, c’est-à-dire en liant les vérités l’une à l’autre par degrés intermédiaires. Quelques esprits ont clairement aperçu ces difficultés, et ils ont dit que l’éclectisme est un degré nécessaire de la philosophie, mais que ce n’est pas encore la vraie philosophie elle-même. […] Ils connaissent tous les degrés du vrai, et n’en dédaignent aucun, aussi éloignés d’un pédant scepticisme que d’un dogmatisme outré.

55. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

La vérité est sans doute que, comme tous les hommes qui se distinguent en quelque fonction déterminée de l’activité humaine, l’artiste possède à un degré éminent quelque faculté particulière, et toutes les autres au degré moyen. […] Ce n’est qu’une question de degré. […] Ils le sont même parfois à un degré si surprenant, qu’il est évident qu’ils le font exprès. […] Tout n’est pas adorable au même degré dans le monde. […] Restait à savoir s’il a au même degré l’imagination créatrice.

56. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Ainsi, par la suite des siècles et des hasards, la langue française se formait, s’enrichissait, s’épurait par degrés. […] Le théâtre, dans une farce d’un grand homme66, nous en a conservé la peinture ; et si on excepte le degré d’exagération théâtrale qu’il faut toujours pour que la fiction produise l’effet de la vérité, et que le ridicule soit en saillie, les portraits étaient ressemblants. […] Ce n’est que lentement, et par degrés, que l’âme se replie sur elle-même. […] Il faut que, semblable au mécanicien qui compare les forces et les résistances, elle connaisse l’homme et ses passions ; qu’elle calcule et les effets qu’elle veut produire, et les instruments qu’elle a ; qu’elle estime par quel degré il faut ou ralentir, ou presser le mouvement. […] La société, après les guerres civiles, dut acquérir en France ce degré de perfection qui, est nécessaire pour les arts, et qui, portée à un certain point, les anime, mais qui au-delà peut les étouffer et les corrompre : heureusement elle n’était point encore parvenue à cet excès ; et de la perfection de la société et du goût, jointe à celle de la langue, devait naître peu à peu celle de l’éloquence.

57. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Son style alors s’amollira par degrés, et l’harmonie, dans les instants de repos, ne sera plus qu’un murmure. […] Ces petits enfants à genoux, qui prient Dieu pour leur aïeule, donnent des coups de pinceau à la Delille : … par degrés s’affaisse la lumière, L’ombre joyeuse danse autour du noir foyer. […] L’un de ses romans surtout présente d’un bout à l’autre cette inadvertance à un incroyable degré.

58. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

Les héros, récemment sortis des géants, étaient au plus haut degré grossiers et farouches, d’un entendement très borné, d’une vaste imagination, agités des passions les plus violentes ; ils étaient nécessairement barbares, orgueilleux, difficiles, obstinés dans leurs résolutions, et en même temps très mobiles, selon les nouveaux objets qui se présentaient. […] la pensée n’atteint pas ici le plus haut degré du sublime, parce que l’amant ne la particularise point en la restreignant à lui-même ; c’est au contraire ce que fait Térence, lorsqu’il dit : Vitam deorum adepti sumus, Nous avons atteint la félicité des dieux. […] Mais le même poète dans une autre comédie porte le sentiment au plus haut degré de sublimité en le singularisant et l’appropriant à celui qui l’éprouve, Deus factus sum, je ne suis plus un homme, mais un Dieu.

59. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Les diverses sensations n’ont pas toutes cette aptitude au même degré. — Exemples. — Circonstances générales qui augmentent cette aptitude. — L’attention extrême, volontaire ou involontaire. — Par là s’explique la persistance des impressions d’enfance. — En quoi consiste l’attention. — Concurrence entre nos diverses images. — La loi de sélection naturelle s’applique aux événements mentaux. — Autre circonstance qui augmente l’aptitude à renaître. — La répétition. — Exemples. — Pourquoi ces deux circonstances augmentent l’aptitude à renaître. […] Quoique d’ordinaire le temps affaiblisse et entame nos impressions les plus fortes, celles-ci reparaissent entières et intenses, sans avoir perdu une seule parcelle de leur détail, ni un seul degré de leur vivacité. […] L’impression primitive a été accompagnée d’un degré d’attention extraordinaire, soit parce qu’elle était horrible ou délicieuse, soit parce qu’elle était tout à fait nouvelle, surprenante et hors de proportion avec le train courant de notre vie ; c’est ce que nous exprimons en disant que nous avons été très fortement frappés ; nous étions absorbés ; nous ne pouvions songer à autre chose ; nos autres sensations étaient effacées ; toute la journée suivante, nous avons été poursuivis par l’image consécutive ; elle nous obsédait, nous ne pouvions la chasser ; toutes les distractions étaient faibles contre elle. […] Étant donnée une image quelconque à un moment quelconque, on pourra toujours expliquer sa présence actuelle par le commencement de renaissance qu’elle avait dans l’image ou sensation précédente, et sa netteté, son énergie, sa facilité à renaître, toutes ses qualités intrinsèques par le degré d’attention et par le nombre de répétitions qu’auparavant, soit en elle-même, soit dans la sensation correspondante, elle aura subies ; toutes remarques comprises dans notre loi fondamentale qui constate dans la sensation et dans son image la tendance à renaître, et qui partant assure à l’image commencée, à l’image accompagnée d’attention, à l’image fortifiée par des répétitions, une prépondérance qui aboutit. […] Ainsi, la mémoire humaine est un vaste bassin où l’expérience journalière déverse incessamment divers ruisseaux d’eaux tièdes ; ces eaux plus légères restent à la surface, recouvrant les autres ; puis, refroidies à leur tour, elles descendent au fond par portions et par degrés, et c’est l’afflux ultérieur qui fait la nouvelle superficie.

60. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Le thermomètre oscille entre 22 et 23 degrés centigrades, ce qui n’est point une chaleur accablante. […] À cette heure, où la moyenne thermométrique est comprise entre 33 et 34 degrés centigrades, la voix des mammifères et des oiseaux se tait. […] Cela se retrouve dans la faune de tous les climats, mais nulle part au même degré de perfection que sous les tropiques. […] « Mais ce sommet est préparé par tout ce qui précède, et la question de matière pure ou de principe incorporé dans la matière est la même à tous les degrés de l’échelle. « Les principes incorporés peuvent varier et varient, en effet, à chacun de ces degrés ; mais la question de l’incorporation, c’est-à-dire de la simplicité ou de la dualité de substance, est partout la même.

61. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Puis, nous ne pouvons être juges du degré de reconnaissance qu’il devait à MM. de Port-Royal. […] Il faudrait savoir d’abord si la première de ces sensibilités ne suppose pas la seconde, et à un degré éminent, et n’en est pas la forme supérieure et l’expression souveraine. […] C’est peut-être vrai si l’on considère l’effet produit sur certains auditeurs et si l’on fait abstraction de la forme ; mais ici justement la forme est tout, presque tout, et l’on ne saurait baptiser « romantiques » les œuvres de nos classiques qui peuvent prêter à ces remarques ; car ni le degré inférieur du tragique n’équivaut au comique, ni le degré supérieur du comique n’équivaut au tragique. […] Il faut bien reconnaître qu’au temps de Racine on n’avait pas, au même degré qu’aujourd’hui, l’intelligence du passé, le sentiment et le goût de l’exotique, la notion de la variété profonde des types humains. […] Il arrive parfois (et la tragédie n’exprime que des passions exceptionnelles au moins par leur degré) que sous l’homme civilisé surgisse un sauvage poussé par la force aveugle des nerfs et du sang.

62. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Prenant l’homme pour centre de ses tableaux, il ne voulait étudier l’univers, les animaux, les plantes, les minéraux que par rapport à ce roi de la création et selon le degré d’utilité qu’il en pouvait tirer : c’était là un ordre moral et d’artiste plutôt que de savant. […] Buffon est un grand esprit éducable, et ce sont les degrés successifs de cette éducation positive qu’il est curieux de pouvoir suivre. […] Ce fut là le dernier degré de splendeur de l’aimable science. Ainsi parle Linné : et, en regard, il nous faut voir Buffon seul en été à six heures du matin, à Montbard, montant de terrasse en terrasse et en ouvrant les grilles qui fermaient chaque suite de degrés, arrivant ainsi d’un pas seigneurial jusqu’au cabinet d’étude à l’extrémité de ses jardins, et n’en sortant que pour se promener lentement, la tête pleine de conceptions, dans les hautes allées d’alentour, où nul n’oserait le venir troubler. […] Ses idées relatives à l’influence qu’exercent la délicatesse et le degré de développement de chaque organe sur la nature des diverses espèces, sont des idées de génie qui doivent faire la base de toute histoire naturelle philosophique, et qui ont rendu tant de services à l’art des méthodes qu’elles doivent faire pardonner à leur auteur le mal qu’il a dit de cet art.

63. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Ce petit drame dit des Trois Maries se retrouve à des degrés divers de développement, mais sous forme également liturgique et toute latine, dans des textes qui nous ont été conservés du moyen âge. […] Il y a eu incontestablement en ces siècles reculés une première époque assez simple et sévère, fervente, se suffisant à elle-même, et dont on peut retrouver à certain degré le sentiment, l’esprit d’édification et d’adoration, en se replaçant par la pensée en présence de cette liturgie vivante, à distance respectueuse de l’autel, au vrai point de vue des fidèles d’alors et des célébrants. […] Ce témoignage sincèrement rendu à ce qu’on appelle le haut moyen âge, il faut voir le drame religieux se détachant par degrés de l’autel, traduit, délayé en langue vulgaire (et bien vulgaire en effet) ; il nous paraîtra déchu. […] C’était un premier degré de sécularisation, un premier pas vers le profane ; mais ce pas ne se fait pas encore hors de l’Église ; si l’on sort du sanctuaire, on ne sort pas de la nef. […] C’est ainsi que, par degrés, on en vient aux drames les plus anciens composés d’un bout à l’autre en langue vulgaire ; et, dès ce moment, on sort tout à fait du sanctuaire et même de l’église.

64. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

De telles idées, en un mot, à ce degré de crudité et de réaction, tendaient à ramener violemment cette société vers un état à jamais détruit et de toutes parts dépassé ; et, si l’on n’y parvenait pas, elles n’allaient à rien moins qu’à faire jeter, comme on dit, le manche après la cognée, à faire désespérer de tout, du présent et de l’avenir. […] Rubichon nous marque le degré le plus hardiment rétrograde. […] Et l’on ne saurait concevoir pour les âmes un exercice plus salutaire que l’effort à faire pour triompher de l’orgueil et de l’esprit de domination, qui n’ont jamais été plus redoutables que quand ils ont pu se fonder sur la défense des grands intérêts sociaux. » On n’arrive pas du premier jour à ce degré de conviction et de vertu. […] « Les individus s’exercent à la tolérance, comme les enfants à la marche, par l’effort de chaque jour et en s’exposant d’abord à tomber. » Je ne sais pas de plus belle page de moralité sociale à méditer, qu’on soit prêtre ou fidèle, ministre ou dépositaire du pouvoir à quelque degré, juge, militaire, — car les militaires eux-mêmes devraient s’accoutumer à être discutés dans ce futur régime, et M. de Turenne en personne, s’il revenait, n’échapperait point à la critique. […] Le Play, qui sait qu’il faut un degré d’optimisme pour l’action et qui s’est voué de cœur et d’esprit à l’apostolat du bien, ne s’en tient pas à ces vues générales et négatives.

65. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

Cela arrive évidemment à quelque degré à tous les enfants durant une certaine période de la première éducation. […] Si l’image tactile échappe au souvenir, c’est qu’elle est non seulement délaissée par l’attention, mais encore très faible par elle-même, trop faible pour être remémorée ; c’est qu’elle ne possède qu’un degré de conscience infinitésimal. […] Depuis de longues années, nous ne la remarquons pas ; elle a dû, dès lors, en vertu des lois de l’habitude, descendre progressivement tous les degrés de la conscience ; elle ne peut en posséder aujourd’hui qu’un degré infinitésimal, inappréciable, subjectivement identique à zéro143. […] Elle nous conduit uniquement à considérer comme possible ou probable une conscience infinitésimale de l’image tactile ; or, à ce degré inobservable, nous n’avons jamais nié l’image tactile. […] En résumé, l’idée du moi ou du mien a deux degrés : — implicite, elle résulte de l’absence de la perception externe ; — explicite, elle résulte de la reconnaissance.

66. (1762) Réflexions sur l’ode

C’est sans doute parce qu’il portait au plus haut degré le mérite de l’expression et du nombre ; deux choses dont l’effet devait être très grand dans une langue riche et musicale comme celle des Grecs, mais dont le prix est fort affaibli pour nous dans une langue morte, que nous ne savons pas prononcer et que nous entendons mal. […] Je suis bien éloigné, en hasardant ce parallèle, de prétendre affaiblir la juste admiration qu’on doit à ce poète, celui de tous les anciens qui a réuni au plus haut degré le plus de sortes d’esprit et de mérite, l’élévation et la finesse, le sentiment et la gaieté, la chaleur et l’agrément, la philosophie et le goût. […] C’est en se montrant peu à peu que la lumière se fait sentir et aimer ; c’est en avançant par degrés insensibles, qu’elle en fait désirer une plus grande.

67. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tailhade, Laurent (1854-1919) »

Théodore de Banville Voici un des plus beaux et des plus curieux livres de poèmes qui aient été écrits depuis longtemps (Le Jardin des rêves), un livre qui s’impose à l’attention, car il est bien de ce temps, de cette heure même, et il contient au plus haut degré les qualités essentielles à la jeune génération artiste et poète, c’est-à-dire, à la fois, la délicatesse la plus raffinée et la plus excessive, et le paroxysme, l’intensité, la prodigieuse splendeur de la couleur éblouie. […] Des mysticités douteuses et trop parées, une madone telle que l’eût priée Baudelaire, mais combien plus sombre d’avoir oublié de l’être, combien plus triste de sourire ainsi… C’est surtout par les couleurs de son inspiration, par ce lyrisme mystique et sensuel qui, à ce degré, n’est que de ce siècle, que Laurent Tailhade nous appartient.

68. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre II. Causes générales qui ont empêché les écrivains modernes de réussir dans l’histoire. — Première cause : beautés des sujets antiques. »

Rome et Athènes, parties de l’état de nature pour arriver au dernier degré de civilisation, parcourent l’échelle entière des vertus et des vices, de l’ignorance et des arts. […] Ils n’ont point commencé par le premier pas ; ils ne se sont point formés eux-mêmes par degrés : ils ont été transportés du fond des forêts et de l’état sauvage, au milieu des cités et de l’état civil : ce ne sont que de jeunes branches entées sur un vieux tronc.

69. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Ils montent par degrés, parcourent les intervalles et ne s’élancent pas au but du premier bond ; leur génie grandit avec le temps et s’édifie comme un palais auquel on ajouterait chaque année une assise ; ils ont de longues heures de réflexion et de silence durant lesquelles ils s’arrêtent pour réviser leur plan et délibérer : aussi l’édifice, si jamais il se termine, est-il d’une conception savante, noble, lucide, admirable, d’une harmonie qui d’abord saisit l’œil, et d’une exécution achevée. […] D’où il suit que, dans les ouvrages des esprits supérieurs, il est un degré relatif où chaque esprit inférieur s’élève, mais qu’il ne franchit pas, et d’où il juge l’ensemble comme il peut. […] Mais nous laisserons pour aujourd’hui la tour de Montlhéry et l’œuvre de Shakspeare, et nous essaierons de monter, après tant d’autres adorateurs, quelques-uns des degrés, glissants désormais à force d’être usés, qui mènent au temple en marbre de Racine. […] Les impressions pieuses et sévères qu’il avait reçues de ses premiers maîtres s’affaiblirent par degrés dans le monde nouveau où il se trouva entraîné. […] Si les esprits supérieurs, les génies à pic, ne prêtent pas pied à divers degrés aux esprits inférieurs, ils en portent un peu la peine, et ne distinguent pas eux-mêmes les différences d’élévation entre ces esprits estimables, qu’ils voient d’en haut tous confondus dans la plaine au même niveau de terre.

70. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Aucun écrivain, avant M. de Chateaubriand, n’avait eu cet art au même degré. […] Ne tromper personne, à commencer par soi-même, ne s’en faire accroire ni à soi ni aux autres ; n’être ni dupe, ni charlatan à aucun degré ; ne jamais aller prendre et montrer des vessies pour des lanternes (je parle à la Rabelais), ou des phrases brillantes pour des idées, ou de pures idées pour des faits ; mettre en tout la parfaite bonne foi avant la foi ; c’est aussi là un programme très-sain et un bon régime salubre pour l’esprit. […] Tradition ou légende, tout lui est bon, pourvu que le tour d’imagination qui lui est cher y trouve son compte ; il n’admet à aucun degré la critique historique, appliquée aux choses sacrées : elle l’incommode. […] Cette légende n’est admissible à aucun degré.

71. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « « L’amour » selon Michelet » pp. 47-66

C’est l’amour des sens à ses divers degrés, de la simple débauche à la pure folie passionnelle. À son degré supérieur, cet amour-là est « le grand amour », celui qui rend idiot et méchant, qui mène au meurtre ou au suicide, et qui n’est qu’une forme détournée et furieuse de l’égoïsme, une exaspération de l’instinct de propriété. […] … » Et c’est pire encore, lorsque Michelet badine, car ce poète est dépourvu d’esprit à un surprenant degré. « Voici votre sujet, ô Reine ! […] Et l’on sait bien que l’homme n’est pas sublime à ce point, mais on soupçonne aussi que la femme n’est pas, à ce degré, blessée, malade, infirme, irresponsable, incapable de se défendre contre les autres et contre elle-même.

72. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

Ainsi le degré d’effort ou de force dépensée mesure non-seulement la résistance, mais l’inertie, le poids et les propriétés mécaniques de la matière. La continuation de l’action musculaire donne des idées de durée et d’étendue. « La différence entre six pouces et dix-huit pouces est représentée par les différents degrés de contraction de quelque groupe de muscles ; ceux, par exemple, qui fléchissent le bras, ou ceux qui en marchant fléchissent ou étendent le membre inférieur. » Enfin la connaissance que nous avons du degré de rapidité de nos mouvements, nous permet d’estimer la vitesse des autres corps en mouvement ; la mesure étant d’abord empruntée à nos propres mouvements. […] Il n’est pas vrai qu’une augmentation dans l’énergie vitale coïncide toujours avec une augmentation dans le degré de plaisir.

73. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Th. Gautier. Émaux et Camées »

Mais ici, dans Émaux et Camées, quoique le titre du livre indique, avec une précision coupante, la préoccupation matérielle de cette imagination objective, le poète n’est déjà plus matérialiste au même degré. […] Certainement le poète, dans cette transformation, n’est pas spirituel comme on pourrait le désirer, mais il est plus diaphane, et sa poésie, je ne parle pas seulement de ses vers, l’intimité de sa poésie y gagne un degré supérieur de transparence et de lumière. […] Gautier, que la faculté de l’expression, arrivée à ce degré fulgurant de supériorité, crée la poésie et la créerait encore, quel que fût le système d’idées dans lequel se plaçât le poète, — fût-ce même dans le plus abaissé de tous !

74. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

C’est en partant d’eux que nous devons remonter, de degré en degré, jusqu’au mouvement originel. […] La différence entre elles n’est pas une différence d’intensité, ni plus généralement de degré, mais de nature. […] Mais c’est là une différence de degré plutôt que de nature. […] Certes, il y a bien des degrés de perfection dans le même instinct. […] Entre les animaux et lui, il n’y a plus une différence de degré, mais de nature.

75. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

On passe, par degrés insensibles, des souvenirs disposés le long du temps aux mouvements qui en dessinent l’action naissante ou possible dans l’espace. […] Pour montrer comment un souvenir pourrait, de degré en degré, venir s’insérer dans une attitude ou un mouvement, nous allons avoir à anticiper quelque peu sur les conclusions de notre prochain chapitre. […] De degré en degré, on sera amené à définir l’attention par une adaptation générale du corps plutôt que de l’esprit, et à voir dans cette attitude de la conscience, avant tout, la conscience d’une attitude. […] À vrai dire, il n’y a jamais là qu’une question de degré : raffinée ou grossière, une langue sous-entend beaucoup plus de choses qu’elle n’en peut exprimer. […] C’est alors par degrés successifs que l’idée arrive à prendre corps dans cette image particulière qui est l’image verbale.

76. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature, par M. Paul De Saint-Victor. »

Oui, M. de Saint-Victor, classique en cela, classique dans la plus large acception sans doute, classique toutefois, comme le pourrait être un fils retrouvé de Chateaubriand, a au plus haut degré et possède en toute sincérité la religion de l’art, la religion littéraire ; à la manière dont je les lui ai vu quelquefois défendre, dans la conversation comme dans ses écrits, j’ai compris qu’il a bien réellement des dieux, et il a eu droit, par une sorte d’invocation, de les inscrire dès le début au frontispice de son livre. […] Il tient en tout à observer les degrés ; il ordonne volontiers la littérature et l’art comme Raphaël ordonne l’École d’Athènes, et comme Ingres son plafond ; chaque génie, chaque talent y est à son plan et selon sa mesure ; Gil Blas n’y est pas mis de niveau avec le Don Quichotte : rien de plus vrai ni de mieux senti ; mais il n’y a pas seulement des degrés, il y a des exclusions, il y a des anathèmes : c’était à peu près inévitable.

77. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

Cependant les philosophes anglais, en général, ne se permettent pas de tout examiner ; et l’utilité, qui est le mobile de leurs efforts, leur interdit en même temps un certain degré d’indépendance. […] Les Anglais, dans leurs poésies, portent au premier degré l’éloquence de l’âme ; ils sont de grands écrivains en vers ; mais leurs ouvrages en prose participent très rarement à la chaleur et à l’énergie qu’on trouve dans leurs poésies. […] La langue anglaise n’a pas encore acquis peut-être le degré de perfection dont elle est susceptible.

78. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Il rencontra devant les degrés maint ennemi vigoureux. […] Ceux qui étaient dans la salle en auraient voulu sortir ; mais Dancwart n’en laissa aucun ni monter ni descendre les degrés. […] Irinc, le très-hardi, leva son bouclier au-dessus de sa tête ; mais quand cet escalier eût eu trois fois plus de degrés, Hagene ne lui eût pas laissé porter un seul coup. […] Il bondit en bas des degrés à sa rencontre, lançant un javelot et brandissant son épée ; sa colère était terrible. […] Avec quelle promptitude Hagene s’élança des degrés au devant de lui.

79. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Il semble bien que cela soit impossible ; et s’il faut les classer, mettre les unes en lumière, laisser les autres dans la pénombre ou dans les ténèbres de l’oubli, d’après quel principe instituer entre elles des degrés et une sorte de hiérarchie ? […] Nous pouvons dire déjà que toute œuvre qui a réussi à atteindre un haut degré dans l’un ou l’autre de ces cinq ordres de beauté mérite par cela seul de ne pas rester confondue dans la foule. […] A cette formule, autour de laquelle nous n’avons cessé de tourner : Il y a pour une œuvre littéraire (à ne considérer que ses qualités intérieures) cinq ordres différents de beauté ; elle est supérieure, si elle possède à un degré très élevé une des qualités essentielles à l’un de ces ordres ou, à un degré suffisamment élevé, la plupart des qualités qu’il comporte. […] Supposons après cela qu’une œuvre appartenant à un ordre supérieur soit supérieure elle-même dans cet ordre et qu’elle ait de plus à un degré élevé ou du moins suffisant les qualités d’ordre inférieur qui lui sont nécessaires ; nous pouvons dire qu’elle aura une valeur plus haute que les œuvres les plus parfaites dont la beauté serait purement sensorielle, sentimentale ou intellectuelle.

80. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Je le crois bien : il y a un degré d’incisif dans l’observation, de révolte dans l’impression morale, et de fougue dans le talent, qui exclut l’adresse et le ménagement politique. […] Saint-Simon, au premier bruit de la rechute et de l’agonie, court donc chez la duchesse de Bourgogne, et y trouve tout Versailles rassemblé, les dames à demi habillées, les portes ouvertes, un pêle-mêle confus, et une des occasions les plus belles qu’il ait jamais rencontrées de lire à livre ouvert dans les physionomies des acteurs : « Ce spectacle, dit-il, attira toute l’attention que j’y pus donner parmi les divers mouvements de mon âme. » Et il se met à exercer sa faculté de dissection et d’analyse sur chaque visage en particulier, en commençant par les deux fils du moribond, par leurs épouses, et ainsi par degrés sur tous les intéressés : Tous les assistants, dit-il avec une jubilation de curieux qui ne se peut contenir, étaient des personnages vraiment expressifs ; il ne fallait qu’avoir des yeux, sans aucune connaissance de la Cour, pour distinguer les intérêts peints sur les visages, ou le néant de ceux qui n’étaient de rien ; ceux-ci tranquilles à eux-mêmes, les autres pénétrés de douleur, ou de gravité et d’attention sur eux-mêmes pour cacher leur élargissement et leur joie. […] Il oublie que cette sagacité, poussée à ce degré, est un don qui, heureusement, n’a été accordé qu’à un petit nombre. […] Salomon a dit quelque part dans le livre des Proverbes : « Comme on voit se réfléchir dans l’eau le visage de ceux qui s’y regardent, ainsi les cœurs des hommes sont à découvert aux yeux des sages. » Mais il est difficile de rester prudent et sage quand on lit à ce degré jusqu’au fond dans l’âme des autres hommes ; il est difficile, même lorsqu’on n’en abuserait point pour des fins intéressées et sordides, de ne point haïr, de ne point mépriser, de ne point marquer ses propres antipathies et ses instincts ; et le faible de Saint-Simon comme homme, de même qu’une partie de sa gloire comme peintre, est de s’être livré avec passion et flamme à tous les mouvements de réaction que cette seconde vue, dont il était doué, excitait en lui. […] Ainsi donc, sans prétendre garantir l’opinion de Saint-Simon sur tel ou tel personnage, et en en tenant grand compte seulement en raison de l’instinct sagace et presque animal auquel il obéissait et qui ne le trompait guère, on ne peut dire qu’en masse il ait calomnié son siècle et l’humanité ; ou, si cela est, il ne l’a calomniée que comme Alceste, et avec ce degré d’humeur qui est le stimulant des âmes fortes et la sève colorante du talent.

81. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Necker au milieu d’un cercle de gens de lettres, dont la conversation parcourait des sujets qui ne lui devinrent familiers que par degrés ; mais il y avait autre chose encore. […] Necker, elle n’a plus de regret ; elle le voit souvent à Paris et à Saint-Ouen ; à première vue, elle le préfère à tous les encyclopédistes, économistes et autres ; elle l’étudie et cherche à se rendre compte par degrés de son originalité, de son genre et de sa mesure d’agrément : Ce M.  […] Necker semblait également leur avoir communiqué et qui se liait au précédent, c’était de respecter très fort et de proclamer très haut les droits de l’humanité, d’estimer peut-être le genre humain en masse au-dessus de sa juste valeur, et à la fois de ne point accorder toujours aux individus avec qui il était en rapport le juste degré d’estime qui pouvait leur appartenir. […] Necker, on le verra, possédait à un haut degré cette finesse et presque ce raffinement d’observation, qui faisait de lui un homme très spirituel ; on se demande seulement si c’est là un des traits qui devaient se relever avec tant de soin dans un portrait de Colbert. […] Elles ont, dès leur entrée dans un salon, une manière de saluer, une manière de s’asseoir, une manière de regarder autour d’elles, qui désigne déjà leur degré de confiance, et ce qu’elles pensent de leur proportion avec les autres.

82. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Encore faut-il que le trouble atteigne pour cela un certain degré. […] Il n’y a rien en nous qui nous appartienne absolument et ne soit, à quelque degré, social. […] Comme l’invention encore, il peut avoir tous les degrés de nouveauté, de fécondité, de force et d’importance. […] M. de Curel présente à un haut degré le type imaginatif. […] Souvent le développement et son contraire se produisent à des degrés divers dans un même ensemble psychique.

83. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

La fermentation est au plus haut degré, les plus folles espérances sont entretenues et caressées avec enthousiasme ; on se propose l’exemple de l’Espagne, et si la guerre vient à éclater, toutes les contrées situées entre le Rhin et l’Oder seront le foyer d’une vaste et active insurrection… » Il faut lire toute cette lettre dans les Mémoires mêmes où elle est produite39. — M.  […] Loin de nier l’espèce de police à laquelle il se livrait, il en explique à merveille et avec esprit les difficultés dans un pays si vaste et chez un peuple à imagination vive, doué à ce degré de la faculté d’illusion : « L’établissement et la direction d’une agence assez nombreuse d’observation militaire formait alors, nous dit-il, l’une de mes plus laborieuses attributions. […] Il n’était pas jusqu’à l’observateur du dernier degré qui, au lieu de me donner la simple note de ce qu’il avait vu de ses propres yeux, ne fît un roman d’armée russe à sa façon. […]  » J’eus bien de la peine à ramener au degré de précision nécessaire ces renseignements, qui semblaient toujours avoir été pris à l’aide d’un microscope. » On ne saurait mieux dire.

84. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Goethe voulait peindre un être souffrant par toutes les affections d’une âme tendre et fière ; il voulait peindre ce mélange de maux, qui seul peut conduire un homme au dernier degré du désespoir. […] La lecture de Werther apprend à connaître comment l’exaltation de l’honnêteté même peut conduire à la folie ; elle fait voir à quel degré de sensibilité l’ébranlement devient trop fort pour qu’on puisse soutenir les événements même les plus naturels. On est averti des penchants coupables, par toutes les réflexions, par toutes les circonstances, par tous les traités de morale ; mais lorsqu’on se sent une nature généreuse et sensible, on s’y confie entièrement, et l’on peut arriver au dernier degré du malheur, sans que rien vous ait fait connaître la suite d’erreurs qui vous y a conduit. […] Un joug volontaire met cependant obstacle, à quelques égards, au degré de lumières qu’on pourrait acquérir en Allemagne, c’est l’esprit de secte : il tient dans la vie oisive la place de l’esprit de parti, et il a quelques-uns de ses inconvénients.

85. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

C’est, répond Spencer, qu’elle est associée au souvenir de la poursuite, de l’attaque et du repas ; elle fait donc renaître à un certain degré les sentiments et les mouvements impliqués dans les actes de poursuivre, de saisir, de dévorer. […] « Ressentir à un faible degré les états de conscience impliqués dans les actes de prendre, de tuer et de dévorer, c’est avoir le penchant à prendre, à tuer et à dévorer. […] Pour lui, la tendance active qui se manifeste au fond de toute impulsion n’est que la tendance de la représentation dominante à se maintenir contre les représentations opposées, à atteindre son summum d’intensité et à s’élever ainsi dans la conscience au plus haut degré de clarté possible. […] C’est seulement par le passage à un degré de conscience plus élevé que l’impulsion primitive, qui tendait à s’exercer pour s’exercer, à se décharger pour se décharger, comme fait la force accumulée, devient un désir conscient de sa direction et de son but.

86. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — III »

La conscience s’empare des phénomènes et les possède d’autant mieux qu’ils s’écoulent plus lentement : passé un certain degré de véhémence, elle cesse de percevoir, avec le changement qui est le mode du mouvement dans l’objet, l’objet lui-même. […] Elle est du mouvement ralenti, au degré et dans les limites où la perception dans la conscience de l’objet par le sujet devient et demeure possible.

87. (1772) Éloge de Racine pp. -

Chacun des arts de l’esprit a été imaginé par degrés, et développé successivement. […] Cette action se modifia par degrés, devint plus ou moins attachante, plus ou moins vraisemblable. […] Il en fut parmi nous le premier modèle, et le porta au dernier degré de perfection. […] Mais cette impression si vive et si prompte s’affaiblit par degrés. […] C’est qu’ils sont à peu près sûrs de ne pas écrire comme lui, parce que l’examen du style peut être porté à un certain degré d’évidence ; au lieu qu’ils n’ont pas renoncé au génie que chacun définit à sa manière, et auquel tout le monde a des prétentions.

88. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Puis, de degré en degré, nous verrons la perfection décroître jusqu’à notre monde sublunaire, où le cycle de la génération, de la croissance et de la mort imite une dernière fois, en le gâtant, le circulus originel. […] Il ne restera plus alors, pour expliquer les caractères spécifiques de chacun de ces degrés de réalité intermédiaires, qu’à mesurer la distance qui le sépare de la réalité intégrale : chaque degré inférieur consiste en une diminution du supérieur, et ce que nous y percevons de nouveauté sensible se résoudrait, du point de vue de l’intelligible, en une nouvelle quantité de négation qui s’y est surajoutée. […] Mais, du point de vue d’où nous l’envisageons, c’est une différence de degré plutôt que de nature. […] Et elle est plus près de cette doctrine qu’elle ne se l’imagine ; car si, dans la considération de la matière, de la vie et de la pensée, elle remplace les degrés successifs de complication, que supposait le mécanisme, par des degrés de réalisation d’une Idée ou par des degrés d’objectivation d’une Volonté, elle parle encore de degrés, et ces degrés sont ceux d’une échelle que l’être parcourrait dans un sens unique. […] Aussi, quand un penseur surgit qui annonça une doctrine d’évolution, où le progrès de la matière vers la perceptibilité serait retracé en même temps que la marche de l’esprit vers la rationalité, où serait suivie de degré en degré la complication des correspondances entre l’externe et l’interne, où le changement deviendrait enfin la substance même des choses, vers lui se tournèrent tous les regards.

89. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

Elle est bornée en sa vivacité : dans la chaîne infinie des choses, elle conçoit bien la dépendance qui unit des anneaux médiocrement éloignés, mais pour ceux qu’une longue distance sépare, il faut qu’on lui montre les chaînons intermédiaires ; elle ne peut franchir d’un coup qu’un bien petit nombre de degrés dans l’échelle des idées et des sentiments. […] Au reste, il y aura, selon l’écrivain, selon le sujet, selon le lecteur, mille degrés depuis la simplicité rigoureuse jusqu’à la plus souple complexité. […] Entre ces deux mouvements, il y a une infinité de degrés, selon qu’on précipitera plus ou moins le passage d’une idée à l’autre, selon qu’on s’arrêtera plus ou moins à considérer et à détailler chaque idée.

90. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

En gravissant les degrés de l’échafaud de la reine, ils étaient montés à l’histoire, et nous espérions qu’ils y resteraient, — dans l’histoire. […] Comparez-les à toute cette société puissante, idéale et réelle de Balzac, et réelle au même degré qu’idéale, quoique l’idéal dans Balzac atteigne à une telle élévation ou à une telle profondeur que les imaginations qui ne peuvent le suivre l’accusent de manquer de réalité ! Comparez cette variété d’intelligences qui représentent, sous les noms de Daniel Darthès, de Michel Chrétien, de Canalis, de Bianchon, de Nathan, de Bixiou, de Blondet, etc., chacun un degré de l’esprit humain et de la civilisation parisienne, et mettez-les à côté des cinq gringalets pervers de MM. de Goncourt, Mollandeux, Nachette, Couturat, Malgras et Bourniche, ces gamins grandis et pourris sur leur tige de voyou (un mot de messieurs de Goncourt !).

91. (1842) Discours sur l’esprit positif

L’adoration des astres caractérise le degré le plus élevé de cette première phase théologique, qui, au début, diffère à peine de l’état mental où s’arrêtent les animaux supérieurs. […] Alors, en effet, régnera partout, sous divers modes, et à différents degrés, cette admirable constitution logique, dont les plus simples études peuvent seules nous donner aujourd’hui une juste idée, où la liaison et l’extension, chacune pleinement garantie, se trouvent, en outre, spontanément solidaires. […] Il importe néanmoins de reconnaître, en principe, que, sous le régime positif, l’harmonie de nos, conceptions se trouve nécessairement limitée, à un certain degré, par l’obligation fondamentale de leur réalité, c’est-à-dire d’une insuffisante conformité à des types indépendants de nous. […] C’est, en effet, le même problème humain, à divers degrés de difficulté, que de constituer l’unité logique de chaque entendement isolé ou d’établir une convergence durable entre des entendements distincts, dont le nombre ne saurait essentiellement influer que sur la rapidité de l’opération. […] Aussi, bien loin de jamais remettre en question ce que celle-ci a vraiment décidé, les saines spéculations philosophiques doivent toujours emprunter à la raison commune leurs notions initiales, pour leur faire acquérir, par une élaboration systématique, un degré de généralité et de consistance qu’elles ne pouvaient obtenir spontanément.

92. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

J’ai souvent aimé à me figurer, moyennant quelques images qui parlent aux yeux, ces degrés successifs d’approximation, en quelque sorte décroissante, par où passe inévitablement l’histoire, toujours refaite à l’usage et dans l’intérêt des vivants. […] Il y avait là un premier droit divin qui n’est pas sans doute tout à fait celui qu’on professait sous Louis XIV, qui n’a pas été transmis à la monarchie de saint Louis sans interruption, que la féodalité a coupé à plus d’un endroit, et qui a dû se retremper, dans l’intervalle, à l’onction romaine ; mais enfin c’était un droit divin très-profond, très-vénéré, qui impliquait l’hérédité, sinon par ordre de primogéniture, du moins par égal partage entre tous les fils ; qui constituait la qualité de prince du sang comme quelque chose de très à part et d’inamissible ; qui excluait toute aristocratie dominante et proportionnait le rang des chefs au degré dans lequel ils approchaient le roi. […] M. de Saint-Priest possède à un haut degré les qualités littéraires : il en faisait déjà preuve dans sa jeunesse, et, quoiqu’il l’ait sans doute oublié lui-même aujourd’hui, d’autres que l’inexorable Quérard se souviennent encore de gracieux essais par lesquels il préludait avec aisance et goût dans la mêlée, alors si vive. […] Malgré les édits sans nombre, ce riant paysage des Géorgiques ne s’effaça que par degrés et disparut lentement devant le soleil du christianisme. […] Cependant, si les vices qui ont déshonoré la Grèce s’y retrouvent dans toute leur laideur, ils ne s’y montrent plus dans leur audace ; ils ne sont plus attribués qu’à des êtres difformes ou ridicules, placés par l’esprit, le cœur et le sang, au dernier degré de l’échelle sociale.

93. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Selon nous, l’utilité peut constituer parfois dans les objets un premier degré de beauté très inférieure ; mais l’utilité n’est belle que dans la mesure où elle ne s’oppose pas à l’agréable, où elle est même pour ainsi dire de l’agréable fixé, de l’agréable pressenti : il faut que l’utile nous fasse jouir d’avance d’un effet qui charme. […] Si donc nous croyons que tout ce qui est utile, c’est-à-dire adapté à une certaine fin, ordonné pour cette fin, apporte par cela même à l’intelligence une satisfaction et acquiert ainsi quelque degré de beauté, loin de nous la pensée que tout ce qui est beau doive, pour être admiré, justifier d’une utilité pratique, et qu’on doive, par exemple, connaître « l’emploi d’un vase antique » avant de le trouver beau. […] Il est à remarquer que l’utile a ordinairement un côté social, et par là encore il acquiert un certain degré élémentaire de beauté, car nous sympathisons avec tout ce quia un but social et humain, avec, tout ce qui est ordonné en vue de la vie humaine, surtout de la vie collective. […] La solidarité et la sympathie, des diverses parties du moi nous a semblé constituer le premier degré de l’émotion esthétique ; la solidarité sociale et la sympathie universelle va nous apparaître comme le principe de l’émotion esthétique la plus complexe et la plus élevée. […] Comme la volonté et la sensibilité, l’imagination même est intéressée dans le raisonnement le plus abstrait, et la preuve, c’est que nous nous figurons toujours le raisonnement : c’est une véritable construction que nous voyons s’élever devant nous, tantôt une échelle dont nous montons ou descendons les degrés, tantôt un savant arrangement de lignes concentriques de circonvolution.

94. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

Dès que l’idée en est venue à son dernier degré de perfection, le mot éclôt, se présente et la revêt. » Cela est vrai, mais au fond cela ne dit pas grand’chose. […] Le difficile, c’est d’atteindre ce dernier degré où l’idée se parfait dans le mot propre et définitif.

95. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre III. Partie historique de la Poésie descriptive chez les Modernes. »

Pétrarque, l’Arioste et le Tasse l’élevèrent à un haut degré de perfection. […] Elle y perdit par degrés ses manières affectées ; mais elle tomba dans un autre excès.

96. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

Le suffrage à deux degrés introduirait un principe aristocratique bien meilleur. […] Cela ne se fera pas aussi vite que le croit l’école socialiste, toujours persuadée que les questions qui la préoccupent absorbent le monde au même degré. […] Les deux degrés corrigeraient ce que le suffrage universel a nécessairement de superficiel ; la réunion des électeurs au second degré constituerait un public politique digne de candidats sérieux. […] Dans ce système, les opérations pour le choix des électeurs du second degré seraient, il est vrai, publiques ; mais il y aurait là une garantie de moralité. […] Les électeurs du second degré seraient des aristocrates locaux, des autorités, des notables nommés presque à vie.

97. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

De loin en loin il devise avec ses voisins qui ont juste le même degré d’information que lui. […] Désormais, dans chaque commune, cent électeurs du premier degré nommeront un électeur du second degré. […] Toujours, dans une démocratie, le suffrage à deux degrés choisit mieux que le suffrage direct. […] Il semblait qu’il n’eût pas d’amour-propre, même au degré permis. […] Jusqu’à quel degré doit-on transformer le modèle vivant, et comment le refondre sans détruire son être intime ?

98. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

. — C’est comme trois degrés gravis, successivement, par le public parisien, vers l’Initiation Wagnérienne ! […] Ce troisième degré de Wagnérisme, auquel il se tient, a été dépassé, en de nombreux pays : on salue Wagner, héritier des Maîtres classiques, et dramaturge. C’est un quatrième degré, auquel les Français arriveront, sans doute. […] Là est le haut degré, auquel on doit arriver, progressivement. […] Le quatrième degré serait de reconnaître en lui le dramaturge, héritier des maîtres classiques.

99. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

Et qu’on me permette ici une réflexion générale qui s’applique à cette époque et à beaucoup d’autres : il y a, dans les divers états de la société et aux divers degrés de la civilisation, des facultés nécessaires et des talents qui, répandus par la nature sur certains hommes, diffèrent beaucoup moins qu’on ne suppose de ces mêmes talents, développés à des époques en apparence plus favorisées. […] Villehardouin, par exemple, pour nous en tenir à lui, possédait à un haut degré le don de la parole et l’art d’insinuer les conseils que d’ordinaire la prudence lui dictait : c’est un témoignage qu’ont rendu de lui ses contemporains, et c’est ce qui ressort et s’entrevoit aussi d’après l’Histoire qu’il a laissée. […] La parole est une faculté qui, à toutes les époques, et dans un degré éminent, est donnée naturellement à quelques-uns : c’est entre la parole parlée et cette même parole écrite que la plus grande différence a lieu et qu’il se fait un naufrage de bien des pensées. […] à quelques pas de là, Commynes, mandé par le doge de bon matin, voit en entrant tous ces mêmes visages non plus abattus, mais fiers et radieux ; on lui signifie le traité conclu, hostile à la France, et le nom des puissances confédérées : c’est à lui, à son tour, tout avisé qu’il est, d’avoir le cœur serré et le visage défait, car il n’avait eu vent de rien de précis jusqu’à cette heure, le secret avait été rigoureusement observé ; à force de voir traîner les choses en longueur, il avait fini par les croire échouées : en descendant les degrés du palais, il trahissait aux yeux de tous son étonnement manifeste et sa perte de contenance.

100. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

était aussi différent de Fauriel par ses origines morales que deux esprits peuvent l’être : nourri du christianisme domestique le plus pur et le plus fervent, il abordait Dante comme le jeune lévite approche de l’autel et monte les degrés du sanctuaire. […] Il est bien prouvé que de même qu’on a dit qu’un peu de philosophie et de science éloigne de la religion et que beaucoup de philosophie y ramène, de même il y a un degré de poésie qui éloigne de l’histoire et de la réalité, et un degré supérieur de poésie qui y ramène et qui l’embrasse. […] Dante fier, sombre, bizarre et dédaigneux dans cette partie de son poème, apparaît différent à mesure qu’on avance ; son côté tendre, affectueux et touché, ses trésors de mélodie et de tendresse, les nombreuses comparaisons d’abeilles, de colombes et d’oiseaux, qui lui échappent si souvent et qui s’envolent sous ses pas, toutes ces grâces plus fraîches à sentir dans un génie grandiose et sévère, appartiennent aux deux dernières parties de son poème et s’y développent par degrés.

101. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

C’était donc le chef le plus désigné et le plus qualifié pour conduire l’Université sans imprudence et sans faiblesse, pour manier les corps savants et traiter pertinemment avec eux, pour répandre dans le pays, à tous les degrés, le goût de l’instruction saine, des études et des recherches ; et c’est ce qu’il fit en partie pendant quelques bonnes et fécondes années. […] Il a possédé au suprême degré la quatrième des qualités, la puissance de la parole ; il n’a pas eu l’intelligence sympathique des idées générales et des passions publiques, ou du moins il l’a eue en partie, seulement pour ce qui est des idées, mais plutôt au rebours en ce qui est des passions et pour les combattre comme dans un duel à mort. […] Par quels degrés de maturité et de perfectionnement, par quels âges successifs son éloquence passa-t-elle durant quinze années ? […] Il est, parmi nous, l’exemple le plus éclatant de ce genre d’illusion que crée le talent de la parole porté à ce degré.

102. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Il ne serait pas juste de vanter autant la puissance intérieure de l’homme, si ce n’était pas, par la nature et le degré même de cette force qu’on doit juger de l’intensité des peines de la vie. […] Loin de moi cependant ces axiomes impitoyables des âmes froides et des esprits médiocres ; on peut toujours se vaincre, on est toujours le maître de soi ; et qui donc a l’idée non seulement de la passion, mais même d’un degré de plus de passion qu’il n’aurait pas éprouvé, qui peut dire, là finit la nature morale ? […] Une belle cause finale dans l’ordre moral, c’est la prodigieuse influence de la pitié sur les cœurs ; il semble que l’organisation physique elle-même soit destinée à en recevoir l’impression ; une voix qui se brise, un visage altéré, agissent sur l’âme directement comme les sensations ; la pensée ne se met point entre deux, c’est un choc, c’est une blessure, cela n’est point intellectuel, et ce qu’il y a de plus sublime encore dans cette disposition de l’homme, c’est qu’elle est consacrée particulièrement à la faiblesse ; et lorsque tout concourt aux avantages de la force, ce sentiment lui seul rétablit la balance, en faisant naître la générosité ; ce sentiment ne s’émeut que pour un objet sans défense, qu’à l’aspect de l’abandon, qu’au cri de la douleur ; lui seul défend les vaincus après la victoire, lui seul arrête les effets de ce vil penchant des hommes à livrer leur attachement, leurs facultés, leur raison même à la décision du succès ; mais cette sympathie pour le malheur est une affection si puissante, réunit tellement ce qu’il y a de plus fort dans les impressions physiques et morales, qu’y résister suppose un degré de dépravation dont on ne peut éprouver trop d’horreur. […] On pourrait, avec le même degré de certitude, présager quels seraient les résultats des étonnantes victoires des Français, s’ils en abusaient, s’ils adoptaient à cet égard un système révolutionnaire.

103. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

Les hommes ont commencé par améliorer leur situation sur la terre, soit par un instinct plus ou moins semblable à celui des animaux, soit par une sorte de tâtonnement empirique, se développant au jour le jour, en raison des circonstances et des besoins : c’est ainsi que se formèrent les premières industries et les premières sociétés ; puis un premier degré de réflexion survint. […] Il donne lui-même pour exemple la cohésion des fluides, qui est le premier degré de la consistance et de la solidité. […] Regnault a démontré que la loi de Mariotte n’est applicable à la dilatation des gaz que jusqu’à un certain degré : Mariotte s’était arrêté trop tôt. […] Ce qu’il blâmait dans la méthode hypothétique, c’était de s’élever subitement de quelques faits particuliers aux plus hautes généralités, à ce qu’il appelait les axiomes généralissimes ; il recommandait au contraire de ne s’élever que par degrés dans la voie des généralités, et c’est pourquoi il disait, faisant allusion à un mythe célèbre de Platon, que ce qu’il faut à l’homme, ce ne sont pas des ailes, c’est du plomb.

104. (1757) Réflexions sur le goût

Mais trop exclusivement appliqué à ce qui est l’objet de la raison, ou plutôt du raisonnement, son imagination se bornait à enfanter des hypothèses philosophiques, et le degré de sentiment dont il était pourvu, à les embrasser avec ardeur comme des vérités. […] Faute de suivre cette méthode, l’imagination échauffée par quelques beautés du premier ordre dans un ouvrage, monstrueux d’ailleurs, fermera bientôt les yeux sur les endroits faibles, transformera les défauts même en beautés, et nous conduira par degrés à cet enthousiasme froid et stupide qui ne sent rien à force d’admirer tout ; espèce de paralysie de l’esprit, qui nous rend indignes et incapables de goûter les beautés réelles. […] Si ces lumières peuvent diminuer nos plaisirs, elles flattent en même temps notre vanité ; on s’applaudit d’être devenu difficile, on croit avoir acquis par là un degré de mérite.

105. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

Les qualités d’un poète sont aussi, à un degré moindre, celles de ses lecteurs. […] Il fallait, pour toucher le fond du plaisir du beau, remonter aux perceptions mêmes, aux états perceptifs de la vue ou de l’ouïe, lesquels sont agréables ou désagréables selon la nature et le degré de l’excitation. […] Ici encore il faut distinguer, comme je l’ai fait plus haut, une règle méthodique, laquelle consiste à passer de la psychologie des plus géniaux à ceux qui le sont au degré moindre, et une doctrine, qui peut tenir en deux mots.

106. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Et il atteignit un si profond degré de difformité sous la plume de Zola, qu’un degré de plus n’était pas possible. […] La rouerie s’éleva, dans quelques femmes rares et abominables, à un degré presque satanique.

107. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre II. Des Époux. — Ulysse et Pénélope. »

Cependant elle se lève, et, descendant les degrés, elle franchit le seuil de pierre, et va s’asseoir à la lueur du feu, en face d’Ulysse, qui était lui-même assis au pied d’une colonne, les yeux baissés, attendant ce que lui dirait son épouse. […] Les transports qui suivent la reconnaissance des deux époux ; cette comparaison si touchante d’une veuve qui retrouve son époux, à un matelot qui découvre la terre au moment du naufrage ; le couple conduit au flambeau dans son appartement ; les plaisirs de l’amour, suivis des joies de la douleur ou de la confidence des peines passées ; la double volupté du bonheur présent, et du malheur en souvenir ; le sommeil qui vient par degrés fermer les yeux et la bouche d’Ulysse, tandis qu’il raconte ses aventures à Pénélope attentive, ce sont autant de traits du grand maître ; on ne les saurait trop admirer.

108. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Ces premiers hommes, qu’on peut considérer comme représentant l’enfance de l’humanité, durent posséder à un degré merveilleux la faculté de la mémoire, et sans doute il en fut ainsi par une volonté expresse de la Providence ; car, au temps d’Homère, et quelque temps encore après lui, l’écriture vulgaire n’avait pas encore été trouvée (Josèphe, Contre Apion). […] Il est impossible d’être à la fois et au même degré poète et métaphysicien sublimes.

109. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Croire, c’est connaître et comprendre en quelque degré. […] tous ces degrés de la vie se retrouvent dans l’humanité. […] Ainsi l’histoire n’est point une anomalie dans l’ordre général ; voilà pourquoi elle est vérifiable à tous ses degrés par tous les degrés de l’existence universelle, comme ces degrés, différents et semblables, sont vérifiables les uns par les autres. […] et ces idées générales, est-il impossible de les élever à un plus haut degré de généralité encore ? […] Dans chaque peuple il y a toujours, il y a nécessairement trois degrés, trois époques.

110. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Car, à un degré modéré et dans les limites du moraliste, elle avait l’imagination inventive ; ses pensées, loin de rester à l’état de maximes, entraient volontiers en jeu et en conversation dans son esprit ; elle savait faire vivre et agir sous quelques aspects des caractères qui n’étaient pas de simples copies. […] Duclos n’a jamais été mieux atteint de tout point que dans un feuilleton du 6 août 1810 : Boileau est placé à son vrai degré de supériorité en plusieurs feuilletons de pluviôse an XIII. […] Guizot que de conquérir, d’échauffer par degrés à ses convictions, à ses espérances, et de renouveler enfin, en se l’associant, cet autre esprit déjà fait, auquel longtemps le cadre de M. […] Comment l’initier par degrés à la vie, l’éclairer sans le troubler, le laisser heureux sans le tromper ? […] Cette idée qu’elle avait de l’espèce d’illusion, ou même de mensonge, inhérent à l’art, ne l’empêchait pas, vers la fin, d’être extraordinairement émue, et au-delà du degré ou l’on en jouit, de certaines représentations ou lectures, et de n’en pouvoir supporter l’effet.

111. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XI : Distribution géographique »

La dissemblance des habitants de différentes régions peut être attribuée, au contraire, à des modifications résultant de la section naturelle, et en moindre degré à l’action directe des conditions physiques. Le degré de cette dissemblance doit dépendre de ce que les migrations des formes organiques dominantes ont pu s’effectuer d’une région à l’autre plus ou moins aisément, et à une époque plus ou moins éloignée. […] Comme la variabilité de chaque espèce est une faculté indépendante et très variable en degré, et que la sélection naturelle ne s’empare des variations produites qu’autant qu’elles profitent à chaque individu dans la bataille complexe de la vie, il en résulte que la somme des modifications subies par différentes espèces n’est point une quantité constante. […] Ne serait-ce pas une étrange anomalie qu’en descendant un degré plus bas dans la série, jusqu’aux individus de la même espèce, une règle tout opposée prévalût, c’est-à-dire que les espèces, au lieu d’être locales, fussent formées à la fois en deux ou trois régions complétement séparées ? […] Les glaces flottantes auront pu s’étendre successivement dans toutes les mers sur un rayon de cinquante degrés tout autour du cercle décrit par le pôle, c’est-à-dire jusqu’au-delà de l’équateur dans l’Atlantique.

112. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

On peut critiquer cette distinction ; car, d’ordinaire, la passion ne s’éveille pas sans susciter à quelque degré l’imagination, et, réciproquement, il n’est pas d’imagination sans quelque passion. […] Cette prise de possession du corps n’a pas lieu tout d’un coup, mais par degrés. […] Plusieurs acceptions des mots parler et dire font allusion à la parole intérieure calme, ou à des degrés intermédiaires entre la forme calme et la forme vive [voir chap.  […] Sans parler ici de l’ivresse, tous ces effets de l’imagination et de la passion se retrouvent à un plus haut degré d’exaltation, et surtout à l’état continu, chronique, chez les aliénés. […] Mais c’est qu’alors la passion s’en mêle à quelque degré, et, si la volonté intervient, elle ne fait que servir d’appoint à la passion.

113. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

De quelle manière la vie à ses différents degrés se trouve-t-elle coordonnée et transformée dans l’homme, depuis la végétation obscure des ongles et des cheveux, jusqu’à la pensée la plus rationnelle ? […] Ils lui accordent bien d’entrer en rapport avec le non-moi par la pensée et l’intelligence ; d’en connaître et d’en réfléchir les lois, d’en posséder la science, quoique encore cela soit impossible, sans que l’activité matérielle s’en môle à un certain degré ; mais dès que le moi désire modifier activement, transformer, embellir ce monde extérieur, ils l’arrêtent, ils l’avertissent comme s’ils n’en avaient que fort précairement le droit et le pouvoir ; de même en effet qu’ils nient la continuité entre le moi et la vie dite de nutrition, de même aussi ils nient la continuité essentielle du moi avec la vie dite de relation ; entre la pensée et l’acte, entre la volonté et l’acte, il y a pour eux un abîme, de même qu’il y en avait un entre la sensation et la pensée. […] Il se sentait donc opprimé, envahi par l’activité matérielle du non-moi ; il travailla durant des siècles à s’en affranchir ; il lutta corps à corps avec lui, et dans cette lutte de violence et de ruse, il acquit une vigueur, une souplesse singulières, des membres plus nerveux, des organes plus prompts, des sens plus aigus ; l’effroi stupide et la haine farouche firent place par degrés au sentiment de la supériorité et à l’orgueil radieux de la conquête : Apollon était vainqueur du Python.

114. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Et ainsi (car telle est la duperie des mots) ni dans son plus faible degré, ni dans son degré le plus fort, cet amour-là n’implique « l’amour ». […] Je ne conçois ni Didon, ni Paolo, ni Hermione, ni Oreste philosophes à ce degré, ou dilettantes (car Dechartre est dilettante aussi, sur tout ce qui n’est point son amour).

115. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

C’est déjà un salutaire exemple que de voir des hommes, si comblés par la renommée, se recueillir pour donner à des œuvres qui ont eu dès longtemps leur succès, et qui n’en sont plus à attendre la faveur publique, ce degré de perfection et de fini qui n’est sensible qu’à des lecteurs attentifs, et qui ne s’apprécie que si l’on y regarde de très près. […] Lui, si doué de la nature, il ne s’y confie pourtant que jusqu’à un certain degré. […] Ainsi dans ce tableau littéraire du xviiie  siècle, lorsqu’il a La Henriade à juger, il donne toutes les bonnes raisons de ne point l’admirer, de ne la ranger à aucun degré à côté des œuvres épiques qui durent ; mais quand il faut conclure formellement, il recule, il fléchit ; le juge se dérobe, et, en quatre ou cinq endroits tout à fait évasifs, il essaie d’espérer que La Henriade traversera les siècles, qu’elle est après tout une œuvre durable, qu’elle tient un rang à part, une première place après les œuvres originales.

116. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

La mécanique gesticulatoire était montée comme tout à l’heure la mécanique verbale. » On doit aussi remarquer les degrés divers et les singulières modifications que peut présenter le fait général de l’aphasie. […] Il est bien difficile de juger d’une manière exacte du degré d’intelligence d’une personne qui a perdu le moyen de s’exprimer. […] Réciproquement, M. le docteur Vulpian a trouvé une destruction absolue de la troisième circonvolution gauche, coïncidant avec un très-léger degré d’aphasie.

117. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Ce mérite inespéré n’était ni l’observation, ni l’étude, ni le renseignement, ni la science exacte et forte, technique et claire, ni enfin aucune des qualités substantielles qu’on est accoutumé de demander aux écrits d’un homme de guerre, instruit et pénétrant, et qui se trouvaient en lui au plus haut degré de précision et de développement. […] Il n’avait pas une idée allemande, il est vrai, et sur laquelle les Schlegel pussent faire un livre ou un système ; mais c’était un esprit droit, positif, sagace, tout-puissant d’habileté, de ce grand sens qui, s’élevant d’un degré de plus, serait le génie, et qui, comme la dit Bonald, doit en remplir les interrègnes… Eh bien, la Critique littéraire a toujours un peu traité les capacités militaires comme madame de Staël traitait Wellington ! […] Quand, par exemple, nous lisons sa Grande Kabylie, qui est l’histoire pied à pied de la plus rude de nos conquêtes, nous comprenons parfaitement les résultats que devait donner cette magnifique gymnastique en permanence pendant vingt-cinq ans, cette lutte acharnée contre un peuple qui avait, au plus haut degré, toutes les énergies de la résistance !

118. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

Or, ces deux caractères universels à la prédication catholique, le père Lacordaire les posséda, pour son compte, au plus haut degré. […] Le moine a croisé ses bras sur sa poitrine muette, et il a descendu les degrés de sa chaire pour remonter ceux de l’autel. […] Jésus-Christ devient pour lui comme le portique et le degré qui conduit à la partie vraiment supérieure des Conférences, c’est-à-dire encore au gouvernement de Dieu.

119. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Les uns partent de l’inorganique et prétendent, en le compliquant avec lui-même, reconstituer le vivant ; les autres posent d’abord la vie et s’acheminent vers la matière brute par un decrescendo habilement ménagé ; mais, pour les uns et pour les autres, il n’y a dans la nature que des différences de degré, — degrés de complexité dans la première hypothèse, degrés d’intensité dans la seconde. […] Notre sentiment de la durée, je veux dire la coïncidence de notre moi avec lui-même, admet des degrés. […] Mais supposons que l’ordre soit partout de même espèce, et comporte simplement des degrés, qui aillent du géométrique au vital. […] Ce n’est pas une différence de degré, mais de nature. […] Ils traduisent la différence de nature, et non pas seulement de degré, qui sépare l’homme du reste de l’animalité.

120. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

. — Par degrés, elles s’opposent aux sensations passagères et dépendantes, et semblent des données d’une espèce distincte et d’une importance supérieure. — Développement de cette théorie par Stuart Mill. […] La différence entre six pouces et dix-huit pouces est exprimée pour nous par les différents degrés de contraction de tel ou tel groupe de nos muscles, de ceux par exemple qui fléchissent le bras, ou de ceux qui, dans la marche, fléchissent ou étendent le membre inférieur. […] Quand nous sommes ainsi devenus sensibles à la dimension, nous n’avons plus besoin d’employer les mesures de longueur, et c’est là un talent acquis qui facilite beaucoup d’opérations mécaniques ; par exemple, pour dessiner, peindre, graver, et dans les arts plastiques, il faut absolument avoir acquis ce discernement des plus délicates différences. » Reste un troisième point de vue ; car il y a non seulement divers degrés d’intensité et de durée, mais divers degrés de vélocité dans nos mouvements musculaires, et la même contraction des mêmes muscles éveille en nous deux sensations musculaires différentes, selon qu’elle est rapide ou lente. […] Je passe ma main, en appuyant, le long de ce bord de table, à plusieurs reprises, de gauche à droite, puis de droite à gauche, toujours avec la même vitesse, c’est-à-dire avec le même degré d’effort locomoteur. […] Elle forme donc un groupe tranché parmi mes souvenirs et mes prévisions ; elle se distingue des autres par le degré précis d’intensité de la première sensation musculaire composante, par le degré précis de durée de la seconde sensation musculaire composante, et en outre par la nuance particulière de la sensation de tact adjointe ; le pouvoir de provoquer ce groupe est ce que nous nommons la résistance et l’étendue de la table. — D’où l’on voit que toutes les propriétés sensibles des corps, y compris l’étendue, par suite la forme, la situation et le reste des qualités tangibles, ne sont, en dernière analyse, que le pouvoir de provoquer des sensations.

121. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Par exemple, comment expliquer que certains goûts, certaines odeurs soient désagréables à tous les degrés ? […] Un goût nauséabond est désagréable en lui-même à tous les degrés, faut-il croire qu’il commence par nous donner un plaisir inconscient ? […] L’agrément du bleu doit donc tenir plutôt au mode qu’au degré de faction nerveuse. […] Pour lui, la vie est un effort continuel, et la conscience de cet effort est, à un degré plus ou moins intense, douleur. […] Mais, à un degré plus haut de l’échelle des êtres, le plaisir devient, par l’intermédiaire de l’idée qui l’anticipe, le sur aiguillon de l’activité.

122. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Or, Massillon possède au plus haut degré cet art du développement ; on pourrait même dire que c’est là son talent presque tout entier. […] Il semble être né exprès pour justifier le mot de Cicéron : « Summa autem laus eloquentiae est, amplificare rem ornando… Le comble et la perfection de l’éloquence, c’est d’amplifier le sujet en l’ornant et le décorant. » Il est maître unique dans ce genre d’amplification que Quintilien a défini « un certain amas de pensées et d’expressions qui conspirent à faire sentir la même chose : car, encore que ni ces pensées ni ces expressions ne s’élèvent point par degrés, cependant l’objet se trouve grossi et comme haussé par l’assemblage même ». […] Massillon orateur, si nous avions pu l’entendre, nous aurait tous certainement enlevés, pénétrés, attendris : lu aujourd’hui, il n’en est pas de même, et, considéré comme écrivain, tous ne l’admirent pas au même degré. […] Et après qu’il avait ainsi fait frissonner, en la touchant au passage, la plaie cachée de chaque auditeur, après qu’il avait dû sembler en venir presque aux personnalités auprès de chacun, Massillon se relevait dans un résumé plein de richesse et de grandeur ; il se hâtait de recouvrir le tout d’un large flot d’éloquence, et d’y jeter comme un pan déployé du rideau du Temple : Non, mon cher auditeur, disait-il aussitôt en rendant magnifiquement à toutes ces chutes et toutes ces misères présentes des noms bibliques et consacrésa, non, les crimes ne sont jamais les coups d’essai du cœur : David fut indiscret et oiseux avant que d’être adultère : Salomon se laissa amollir par les délices de la royauté, avant que de paraître sur les hauts lieux au milieu des femmes étrangères : Judas aima l’argent avant que de mettre à prix son maître : Pierre présuma avant que de le renoncer : Madeleine, sans doute, voulut plaire avant que d’être la pécheresse de Jérusalem… Le vice a ses progrès comme la vertu ; comme le jour instruit le jour, ainsi, dit le Prophète, la nuit donne de funestes leçons à la nuit… Ici l’écho s’éveille et nous redit ces vers de l’Hippolyte de Racine : Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes… Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés… On a souvent remarqué que Massillon se souvient de Racine et qu’il se plaît à le paraphraser quelquefois.

123. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Considérez notre littérature depuis le Moyen-Age, rappelez-vous l’esprit et la licence des fabliaux, l’audace satirique et cynique du Roman de Renart, du Roman de la Rose dans sa seconde partie, la poésie si mêlée de cet enfant des ruisseaux de Paris, Villon, la farce friponne de Patelin, les gausseries de Louis XI, les saletés splendides de Rabelais, les aveux effrontément naïfs de Régnier ; écoutez dans le déshabillé Henri IV, ce roi si français (et vous aurez bientôt un Journal de médecin domestique, qui vous le rendra tout entier, ce diable à quatre, dans son libertinage habituel) ; lisez La Fontaine dans une moitié de son œuvre ; à tout cela je dis qu’il a fallu pour pendant et contrepoids, pour former au complet la langue, le génie et la littérature que nous savons, l’héroïsme trop tôt perdu de certains grands poëmes chevaleresques, Villehardouin, le premier historien épique, la veine et l’orgueil du sang français qui court et se transmet en vaillants récits de Roland à Du Guesclin, la grandeur de cœur qui a inspiré le Combat des Trente ; il a fallu bien plus tard que Malherbe contrebalançât par la noblesse et la fierté de ses odes sa propre gaudriole à lui-même et le grivois de ses propos journaliers, que Corneille nous apprît la magnanimité romaine et l’emphase espagnole et les naturalisât dans son siècle, que Bossuet nous donnât dans son œuvre épiscopale majestueuse, et pourtant si française, la contrepartie de La Fontaine ; et si nous descendons le fleuve au siècle suivant, le même parallélisme, le même antagonisme nécessaire s’y dessine dans toute la longueur de son cours : nous opposons, nous avons besoin d’opposer à Chaulieu Montesquieu, à Piron Buffon, à Voltaire Jean-Jacques ; si nous osions fouiller jusque dans la Terreur, nous aurions en face de Camille Desmoulins, qui badine et gambade jusque sous la lanterne et sous le couteau, Saint-Just, lui, qui ne rit jamais ; nous avons contre Béranger Lamartine et Royer-Collard, deux contre un ; et croyez que ce n’est pas trop, à tout instant, de tous ces contrepoids pour corriger en France et pour tempérer l’esprit gaulois dont tout le monde est si aisément complice ; sans quoi nous verserions, nous abonderions dans un seul sens, nous nous abandonnerions à cœur-joie, nous nous gaudirions ; nous serions, selon les temps et les moments, selon les degrés et les qualités des esprits (car il y a des degrés), nous serions tour à tour — et ne l’avons-nous pas été en effet ? […] Renan, dans ses diversions vers l’Art, n’a rien écrit de plus fin, de plus pénétrant, de plus touchant, que ce qu’il a donné sur la Tentation du Christ, d’Ary Scheffer ; c’est dans ce morceau d’une parfaite élégance et d’un exquis raffinement moral qu’il nous a peut-être livré le plus à nu le secret de son procédé, la nature et la qualité de son âme, et la visée de son aspiration dernière : « Toute philosophie, dit-il, est nécessairement imparfaite, puisqu’elle aspire à renfermer l’infini dans un cadre limité… L’Art seul est infini… C’est ainsi que l’Art nous apparaît comme le plus haut degré de la critique ; on y arrive le jour où, convaincu de l’insuffisance de tous les systèmes, on arrive à la sagesse… » Ceux qui craignaient d’abord que, malgré les précautions sincères de M.  […] Non, l’Histoire de Jésus, quel que soit le degré, quels que soient la nuance et le sens de l’adoration (car il accepte le mot), n’est pas en de mauvaises mains.

124. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

On diffère ici sur le plus ou le moins : les uns veulent tout, les autres s’arrêtent à un degré plus ou moins avancé. […] Je ne sais si je fais injure à mes semblables, mais il me semble que les premiers progrès des hommes en société se sont opérés et accomplis de la sorte : je me figure des peuplades, des réunions d’hommes arrêtés à un degré de civilisation dont ils s’accommodaient par paresse, par ignorance, et dont ils ne voulaient pas sortir, et il fallait que l’esprit supérieur et clairvoyant, le civilisateur, les secouât, les tirât à lui, les élevât d’un degré malgré eux, absolument comme dans le Déluge de Poussin, celui qui est sur une terrasse supérieure tire à lui le submergé de la terrasse inférieure : seulement dans le tableau de Poussin, le submergé se prête à être sauvé et tend la main, et, souvent, au contraire, il a fallu, en ces âges d’origine et d’enfance, que le génie, le grand homme, le héros élevât les autres d’un degré de société malgré eux et à leur corps défendant, en les tirant presque par les cheveux : tel et non pas moindre je me figure qu’a dû être son effort.

125. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

Il est plus difficile qu’on ne le croirait de saisir tout d’une venue les grands hommes en tout genre : il faut du temps et passer par plus d’un degré pour arriver à les embrasser dans leur ensemble. […] Chacun, dès que le grand homme paraît et se déclare, après l’avoir admis volontiers au premier degré, s’empresse aussitôt de le continuer à sa guise, de l’achever à sa manière et selon ses goûts, de lui dicter son rôle de demain ; et si le personnage ne répond pas à cette idée qu’on s’en fait et ne suit pas le programme, on est bien près de le renier, de s’écrier qu’il fait fausse route et qu’il se perd, ce qui arrive quelquefois, mais par d’autres raisons le plus souvent que celles dont on se payait d’abord assez à la légère. […] Montaigne, bien que si curieux et si amoureux du vrai, l’a dit : « Il ne faut pas guetter les grands hommes aux petites choses. » Ce qui me frappe, au degré de connaissance où nous sommes arrivés sur Napoléon, c’est combien quelques-uns de ceux qui le voyaient de plus près, et qui avaient même eu le plus d’occasions de causer avec lui, l’ont méconnu dans son unité, l’ont cru décousu, fragmentaire, ayant des éclairs et des tonnerres sans doute, mais sans cette continuité de vues et de calculs, sans cette fixité ardente qu’il apportait dans la suite de ses desseins. […] Évidemment, en tout ceci, il ne tenait pas assez compte de l’étoffe dont sont faits les peuples, et c’est ce qui l’abusa en 1812 lorsqu’il engagea cette lutte formidable avec son ancien allié de Tilsitt, redevenu par degrés son ennemi.

126. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Ils sont légion : Retz et la Rochefoucauld, deux adversaires politiques, deux rivaux de gloire littéraire ; Scarron, Molière, Boileau, trois maîtres, à des degrés divers, du comique et de la satire ; Mme de Sévigné, la reine du style épistolaire ; Cyrano de Bergerac, malgré son nom de ; consonance gasconne ; Bachaumont et son ami Chapelle, le bon buveur, qui doit son surnom au village de la Chapelle, devenu aujourd’hui un faubourg de Paris agrandi ; Patru, Chapelain, Conrart, les petits grands hommes de l’Académie naissante ; d’Aubignac, un auteur de pièces sifflées qui se venge en se faisant le législateur du Parnasse ; le galant abbé Cotin, ce martyr de la critique littéraire, d’autres encore, sans compter les peintres Lesueur et Lebrun, attestent la fécondité alors décuplée de la grande ville. […] La mer aussi n’a conquis les âmes que par degrés. […] On voit par là combien il importe à l’historien de déterminer dans chaque période quel est le genre, et, si je puis ainsi parler, quel est le degré des beautés naturelles qu’on a su y apprécier. […] Il suffit de quelques degrés de plus ou de moins dans la moyenne de la température pour qu’une époque s’éclaire d’un rayon de gaieté ou s’embrume de tristesse. « Si les glaciers reculent, écrit Michelet57, l’été est fort, la moisson abondante, les subsistances faciles et l’aisance assure la paix.

127. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

Lisez pourtant, parcourez les œuvres de tous, vous y verrez à divers degrés les mêmes sujets de tristesse, vous y entendrez les mêmes soupirs et, par moments, les mêmes cris : « Mais toi, idole de ma jeunesse, Amour dont je déserte le temple à jamais, s’écrie George Sand dans les Lettres d’un voyageur, adieu ! […] Notre jeune siècle poétique et lyrique, par cela même qu’il ne sait pas vieillir et qu’il étale à ce degré devant tous sa misérable faiblesse, trahit son point vulnérable, l’inspiration morale positive et la foi qui lui ont trop fait défaut.

128. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

« Elles doivent être relatives au physique du pays, au climat, glacé, brûlant ou tempéré ; à la qualité du terrain, à sa situation, à sa grandeur ; au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs ou pasteurs ; elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut souffrir ; à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs manières. […] Comme on distingue les climats par les degrés de latitude, on pourrait les distinguer, pour ainsi dire, par les degrés de sensibilité. […] « Les relations nous disent que le nord de l’Asie, ce vaste continent qui va du 40e degré ou environ jusqu’au pôle, et des frontières de la Moscovie jusqu’à la mer Orientale, est dans un climat très-froid ; que ce terrain immense est divisé de l’ouest à l’est par une chaîne de montagnes qui laissent au nord la Sibérie et au midi la grande Tartarie ; que le climat de la Sibérie est si froid, qu’à la réserve de quelques endroits, elle ne peut être cultivée ; et que, quoique les Russes aient des établissements tout le long de l’Irtis, ils n’y cultivent rien ; qu’il ne vient dans ce pays que quelques petits sapins et arbrisseaux ; que les naturels du pays sont divisés en de misérables peuplades, qui sont comme celles du Canada ; que la raison de cette froidure vient, d’un côté, de la hauteur du terrain, et de l’autre, de ce qu’à mesure que l’on va du midi au nord les montagnes s’aplanissent ; de sorte que le vent du nord souffle partout sans trouver d’obstacles ; que ce vent qui rend la Nouvelle-Zemble inhabitable, soufflant dans la Sibérie, la rend inculte ; qu’en Europe, au contraire, les montagnes de Norvége et de Laponie sont des boulevards admirables qui couvrent de ce vent les pays du nord ; que cela fait qu’à Stockholm, qui est à 59e degrés de latitude ou environ, le terrain produit des fruits, des grains, des plantes ; et qu’autour d’Abo qui est au 61e degré, de même que vers les 63e et les 64e, il y a des mines d’argent, et que le terrain est assez fertile. « Nous voyons encore dans les relations que la Grande Tartarie, qui est au midi de la Sibérie, est aussi très-froide ; que le pays ne se cultive point ; qu’on n’y trouve que des pâturages pour les troupeaux ; qu’il n’y croît point d’arbres, mais quelques broussailles, comme en Islande ; qu’il y a, auprès de la Chine et du Mogol, quelques pays où il croît une espèce de millet, mais que le blé ni le riz n’y peuvent mûrir ; qu’il n’y a guère d’endroits, dans la Tartarie chinoise, aux 43e, 44e et 45e degrés, où il ne gèle sept ou huit mois de l’année ; de sorte qu’elle est aussi froide que l’Islande, quoiqu’elle dut être plus chaude que le midi de la France ; qu’il n’y a point de villes, excepté quatre ou cinq vers la mer Orientale, et quelques-unes que les Chinois, par des raisons de politique, ont bâties près de la Chine ; que, dans le reste de la Grande Tartarie, il n’y en a que quelques-unes placées dans les Boucharies, Turkestan et Charrisme ; que la raison de cette extrême froidure vient de la nature du terrain nitreux, plein de salpêtre et sablonneux, et de plus de la hauteur du terrain.

129. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Si les yeux s’ouvrent, c’est qu’ils font un effort pour mieux voir l’objet qui étonne ; un degré de plus, et l’ouverture des yeux marquera l’effroi. […] Celles qui n’avaient qu’un tiers ou deux de terre végétale furent encore irritables, quoique à un degré moindre, et ne purent fleurir. […] Chez l’homme, les muscles de la face sont relativement petits et très mobiles : c’est pour cette raison que la figure est le meilleur indice du degré d’intensité dans le sentiment. […] Quand une blessure est faite à l’animal, elle est ressentie à des degrés divers par tous les segments dont il se compose, et la réaction se propage aussi de segments en segments. […] Notre moralité est tout ensemble une expression visible de notre personnalité propre et du degré d’impersonnalité auquel nous sommes parvenus ; nos actions sont les signes de nos idées et de notre vouloir.

130. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

La résolution, enfin, ne peut pas ne point nous donner une impression de force personnelle portée au plus haut degré d’intensité. […] Le plus bas degré de cette détermination, celui où la contrainte est encore le plus manifeste, c’est l’impulsion résultant d’une sensation, par exemple d’une douleur intense. […] Donc, à tous les points de vue et à tous les degrés, la liberté est désirable, et son idée doit exercer une action. […] Au fond, il s’agit de développer en nous une puissance consciente et intelligente ; donc, plus j’ai conscience, plus la puissance croit : l’idée même de la puissance s’ajoute à la puissance réelle et l’élève à un degré supérieur. […] Je ne me confère aucune puissance par la conception d’une puissance sans objet ; mais, d’autre part, il n’est pas vrai que l’idée de l’objet agisse seule, par son degré de désirabilité intrinsèque, sans que l’idée de ma puissance personnelle vienne y ajouter son action.

131. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

On verra que l’individualité comporte une infinité de degrés et que nulle part, pas même chez l’homme, elle n’est réalisée pleinement. […] La science porte cette opération au plus haut degré possible d’exactitude et de précision, mais elle n’en altère pas le caractère essentiel. […] La force de la preuve serait d’ailleurs proportionnelle au degré d’écartement des lignes d’évolution choisies, et au degré de complexité des structures similaires qu’on trouverait sur elles. […] Mais cette action présente toujours, à un degré plus ou moins élevé, le caractère de la contingence ; elle implique tout au moins un rudiment de choix. […] La vision se retrouvera donc, à des degrés différents, chez les animaux les plus divers, et elle se manifestera par la même complexité de structure partout où elle aura atteint le même degré d’intensité.

132. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Il a l’air d’un homme qui a vu du pays plutôt que d’un homme comme il faut qui a voyagé ; il a tout à fait secoué cette réserve qui entre si ordinairement dans le caractère anglais ; et cependant il ne s’ouvre point doucement et par degrés comme font les gens de manières polies, mais il vous éclate au visage tout à la fois. […] Le poète suit les divers degrés de perfectionnement et montre à plaisir la tapisserie dont bientôt on revêtit le bois des sièges dans les anciens jours, tapisserie à l’étroit tissu, richement brodée, « où l’on pouvait voir s’étaler la large pivoine, la rose en fleur tout épanouie, le berger à côté de sa bergère, sans oublier le petit chien et le petit agneau avec leurs yeux noirs tout fixes et tout ronds, et des perroquets tenant une double cerise dans leur bec. » — Tous ces riens sont agréablement déduits et relevés de couleurs, comme le ferait au besoin l’abbé Delille ou comme un spirituel jésuite n’y manquerait pas non plus dans des vers latins. […] On a ici tous les degrés de transition de la chaise au fauteuil, et du fauteuil double ou de la causeuse au canapé et au sopha, ce trône définitif du luxe et de la mollesse. […] Aucun sopha alors ne m’attendait à mon retour, et je n’avais point besoin de sopha alors ; la jeunesse répare la dépense de ses esprits et de ses forces en un rien de temps ; par un long exercice elle n’amasse qu’une courte fatigue ; et quoique nos années, à mesure que la vie décline, s’enfuient bien rapidement et qu’il n’y en ait point une seule qui ne nous dérobe en s’en allant quelque grâce de jeunesse que l’âge aimerait à garder, une dent, une mèche brune ou blonde22, et qu’elle blanchisse ou raréfie les cheveux qu’elle nous laisse, toutefois le ressort élastique d’un pied infatigable qui monte légèrement le degré champêtre où qui franchit la clôture ; ce jeu des poumons, cette libre et pleine inhalation et respiration de l’air qui fait qu’un marcher rapide ou qu’une roide montée ne sont point une fatigue pour moi ; tous ces avantages, mes années ne les ont point encore dérobés ; elles n’ont point encore diminué mon goût pour les belles vues naturelles ; ces spectacles qui calmaient ou charmaient ma jeunesse, maintenant que je ne suis plus jeune, je les trouve toujours calmants et toujours ayant le pouvoir de me charmer.

133. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Le goût des lettres, à quelque degré et sous quelque forme qu’il se produise, est un noble goût, ou tout au moins un goût innocent. […] Décidément, à ses yeux, « La Rochefoucauld, depuis la découverte du Mémoire de 1649, prend place avant Pascal dans l’histoire de la langue. » On avait dit, à propos du livre des Maximes publié en 1665, que l’auteur avait « cette netteté et cette concision de tour que Pascal seul, dans ce siècle, avait eues avant lui. » M. de Barthélémy s’empare de cet éloge : « C’est donc au duc à qui en revient désormais tout l’honneur, dit-il ; la date du Mémoire ne peut le lui laisser contester. » Mais la difficulté n’est pas dans la date ; le Mémoire de 1649, si on le lit de sang-froid et sans se monter la tête, n’offre pas précisément cette netteté et cette concision de tour, ou du moins ne l’offre pas à un haut degré : il a d’autres qualités, mais pas celles-là éminemment. […] Le Mémoire où il a condensé son ressentiment et sa plainte nous donne exactement à mesurer de quel faîte d’ambitieuses espérances il fut précipité, non en un seul jour et en une seule fois, mais par degrés et comme de cascade en cascade. […] Chacun, quoi qu’il fasse, y porte son intérêt le plus fin, je veux dire son idéal secret, composé du moi subtilisé, quintessencié, poussé au plus haut degré et au sublime.

134. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Ce ne fut guère qu’après 1830 que la critique d’art acquit, avec un développement croissant, un plus haut degré de précision et de compétence en chaque branche spéciale. […] Est-ce à dire que Théophile Gautier, en nous montrant les tableaux, ne les différencie pas à nos yeux et ne nous avertisse pas du degré d’estime qu’il y attache ? […] Lisez-le bien dans cette suite de descriptions auxquelles on impute une teinte d’indulgence trop uniforme : le degré de blâme ou d’approbation résulte, pour les lecteurs attentifs, du degré d’attention et de développement qu’il y met, et aussi de la qualité de couleur qu’il y apporte.

135. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Rien de plus humiliant pour l’esprit, et j’avoue que lorsqu’on se voit d’une telle infériorité (fût-on Voltaire ou Gœthe, car il n’y a guère ici de degrés), devant les maîtres de l’analyse, on est tenté de désirer que cette langue des nombres soit une de celles dont l’enseignement devienne obligatoire de bonne heure à toute intelligence digne et capable d’y atteindre. […] Il ouvre des vues, même lorsqu’il a l’air d’être frivole ; il pose à merveille le principe qui doit dominer un tel sujet, où il ne peut y avoir que des degrés de probabilité qui s’éloignent ou se rapprochent plus ou moins de la certitude. […] Qui nous dit que la grande Humanité collective n’est pas formée par une suite non interrompue d’humanités individuelles, assises à tous les degrés de l’échelle de la perfection ?  […] Certes, plus l’homme comprend ces lois merveilleuses de l’univers, et plus aussi il se rend digne de la condition humaine la plus élevée, telle que l’ont faite les sciences et le sublime effort de quelques-uns ; plus l’homme approche d’un Pythagore ou d’un Archimède, d’un Newton ou d’un La Place, et plus il doit ressentir une joie plénière devant des lois de plus en plus approfondies ou conjecturées ; mais, même à des degrés infiniment moindres, il lui est loisible encore de participer à ces nobles « délices des êtres pensants ».

136. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Puis de nouveaux fragments furent publiés, le recueil se grossit par degrés, et l’on put craindre de voir s’étendre indéfiniment l’héritage d’une destinée poétique dont le fil avait été sitôt tranché. […] Eh bien, André Chénier n’en est, lui, à aucun degré ; car, en étudiant beaucoup et en ayant une connaissance plus que suffisante de l’antiquité, il n’a pas su dans ses imitations observer la mesure ni maintenir sa propre originalité. […] de quel ordre précisément est-il, et à quel degré sur la colline ? […] onsard, l’auteur de Lucrèce, lui sont certainement redevables à des degrés différents.

137. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Mais ces différents degrés dans le pardon chrétien, ce premier degré où l’on pardonne pour être pardonné, c’est-à-dire par crainte ou par espoir, cet autre degré où l’on pardonne parce qu’on se reconnaît digne de souffrir, c’est-à-dire par humilité, celui enfin où l’on pardonne par égard au précepte de rendre le bien pour le mal, c’est-à-dire par obéissance, ces trois manières, qui ne sont pas encore le pardon tout-à-fait supérieur et désintéressé, m’ont remis en mémoire ce qu’on lit dans l’un des Pères du désert, traduit par Arnauld d’Andilly : « J’ai vu une fois, dit un saint abbé du Sinaï, trois solitaires qui avoient reçu ensemble une même injure, et dont le premier s’étoit senti piqué et troublé, mais néanmoins, parce qu’il craignoit la justice divine, s’étoit retenu dans le silence ; le second s’étoit réjoui pour soi du mauvais traitement qu’il avoit reçu, parce qu’il en espéroit être récompensé, mais s’en étoit affligé pour celui qui lui avoit fait cet outrage ; et le troisième, se représentant seulement la faute de son prochain, en étoit si fort touché, parce qu’il l’aimoit véritablement, qu’il pleuroit à chaudes larmes. […] Contrairement à ceux qui, n’approuvant plus une révolution et cessant de rien accepter d’une assemblée, s’abstiennent, se retirent plus ou moins, et émigrent à quelque degré, il y a ceux qui restent dedans, contestent à haute voix, disputent pied à pied, et meurent quand il le faut, mais en proférant des mots qui retentissent ; en regard du système de l’émigration, il y a le système qui se personnifie en Kersaint et qu’on pourrait appeler de son nom.

138. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Revenons maintenant de ces éléments à ces ensembles mêmes, afin d’apprécier l’action qu’ils doivent exercer sur les idées sociales, par le degré de leur unité. […] Si l’on veut, l’Empire romain est un État ; il n’est à aucun degré une nation. […] La centralisation maîtrise donc décidément jusqu’aux nations qui lui paraissaient le plus hostiles ; si l’état présent de leurs institutions nous révèle que l’idée de l’égalité pénètre toutes les nations modernes occidentales, il nous apprend aussi que toutes à des degrés différents, s’unifient. […] La centralisation contribue avec d’autres conditions au triomphe des idées égalitaires ; si, par un heureux concours, ces autres conditions se rencontrent, à un très haut degré, dans quelque société, quoi d’étonnant à ce que celle-ci, même peu centralisée, soit poussée pourtant dans le sens de la démocratie ?

139. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Jouffroy dit quelque part et prouve partout « qu’il avait à un assez haut degré le sens psychologique, et une grande inclination pour la science des faits intérieurs67. » Rien de plus naturel que ce goût dans un homme intérieur. […] C’est le premier degré de son développement. […] La sensibilité se porte hors d’elle, et se répand vers la cause qui l’affecte agréablement : c’est le second degré. […] Le mouvement précédent était purement expansif, celui-ci est attractif ; par le premier, la sensibilité allait à l’objet agréable ; par le second, elle y va encore, mais pour l’attirer et le rapporter à elle : c’est le troisième et dernier degré de son développement.

140. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Les points de vue et les perspectives qu’on a sur elle n’ont cessé de varier aussi et de se diversifier selon les degrés successifs que cette étude a parcourus, et selon les points du temps où le spectateur s’est trouvé placé : chaque siècle depuis le xvie a eu de ce côté son belvéder différent. […] Mais nul ne fit plus alors pour ce renouvellement et, en quelque sorte, cette création moderne du sentiment antique que l’illustre auteur du Génie du Christianisme ; aucun de nos écrivains, depuis Fénelon, n’avait eu à ce degré l’intelligence vive du génie grec, et si Fénelon en avait goûté et rendu surtout les grâces simples et l’attique négligence, il était réservé à notre glorieux contemporain d’en exprimer plutôt les lignes grandioses et la sublimité primitive. […] L’antiquité est bonne à tous, et elle l’est à tous les degrés.

141. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

L’air et les aliments font le corps à la longue ; le climat, son degré et ses contrastes produisent les sensations habituelles, et à la fin la sensibilité définitive : c’est là tout l’homme, esprit et corps, en sorte que tout l’homme prend et garde l’empreinte du sol et du ciel ; on s’en aperçoit en regardant les autres animaux, qui changent en même temps que lui, et par les mêmes causes ; un cheval de Hollande est aussi peu semblable à un cheval de Provence qu’un homme d’Amsterdam à un homme de Marseille. […] Jamais leur discours ne dévie ni ne bondit ; ils vont pas à pas, de degré en degré, d’une idée dans l’idée voisine, sans omissions ni écarts.

142. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Pourtant, le nombre et la nature des parties élémentaires dont est composée la société, la manière dont elles sont disposées, le degré de coalescence où elles sont parvenues, la distribution de la population sur la surface du territoire, le nombre et la nature des voies de communication, la forme des habitations, etc., ne paraissent pas, à un premier examen, pouvoir se ramener à des façons d’agir ou de sentir ou de penser. […] C’est donc qu’il n’y a entre eux que des différences dans le degré de consolidation qu’ils présentent. […] Mais il est permis de croire que les inductions de la première de ces sciences sur ce sujet sont applicables à l’autre et que, dans les organismes comme dans les sociétés, il n’y a entre ces deux ordres de faits que des différences de degré.

143. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

Jusqu’à quel point s’étend cette conquête nouvelle de l’art ; jusqu’à quel degré est-il possible de la féconder ; et contient-elle en elle-même un art tout nouveau dont nous entrevoyons à peine les promesses, ou bien doit-elle éternellement demeurer à l’état de vague et de nuageux ? […] Comment le mal augmente, quel remède on y trouve, et par quels degrés Eugène en vient à changer sa vieille et bonne moitié, qui se résigne d’elle-même au divorce, contre la petite nièce de quatorze ans qui a fini par en avoir seize, c’est ce que le lecteur ne manquera pas de lire tout au long dans Hoffmann avec plus d’un sourire entremêlé d’attendrissement.

144. (1875) Premiers lundis. Tome III «  La Diana  »

En revenant au discours du Forez, on retrouve là dans la piquante théorie de la noblesse qui, à la bien entendre, n’est plus un privilège et doit se répartir à divers degrés entre tous les individus d’un même pays, une variante ingénieuse pour exprimer ce sentiment patriotique d’union. […] Une idée utile et toute pratique, une chaleureuse et patriotique étincelle, c’est ce que nous nous sommes plu à relever dans un discours, spirituel assurément, mais qui n’aurait pas été remarqué à ce degré s’il n’avait été l’expression de convictions senties, et s’il n’était venu à la suite et en compagnie d’actions nées du cœur.

145. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

L’auteur qui a porté au plus haut degré de perfection, et le style, et la poésie, et l’art de peindre le beau idéal, Racine, est l’écrivain qui donne le plus l’idée de l’influence qu’exerçaient les lois et les mœurs du règne de Louis XIV sur les ouvrages dramatiques. L’esprit de chevalerie avait introduit dans les principes de l’honneur un genre de délicatesse qui créait nécessairement une nature de convention ; c’est-à-dire qu’il existait un certain degré d’héroïsme, pour ainsi dire indispensable à la noblesse, et dont il n’était pas permis de supposer qu’un noble pût être privé.

146. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

L’antiquité ne les connut pas ; l’Égypte, la Chine, l’antique Chaldée ne furent à aucun degré des nations. […] L’idée d’une différence de races dans la population de la France, si évidente chez Grégoire de Tours, ne se présente à aucun degré chez les écrivains et les poètes français postérieurs à Hugues Capet.

147. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre II : Termes abstraits »

Peut-être, en effet, n’a-t-on pas assez remarqué que l’abstraction a ses degrés comme le nombre a ses puissances : Rouge est un abstrait, couleur est plus abstrait, attribut encore plus abstrait. […] Mais si la philosophie parvenait à noter d’une manière suffisamment précise les degrés ascendants de l’abstraction, comme l’arithmétique détermine les puissances croissantes d’un nombre ; si elle parvenait, autant que le comporte la nature des choses, à faire pour la qualité ce qui a été fait pour la quantité ; si elle parvenait à résoudre les plus hautes abstractions dans les abstractions inférieures, et celles-ci dans les concrets, il semble que bien des questions vaines et des difficultés factices disparaîtraient.

148. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

La température ambiante était de 8 degrés. La température de l’animal était primitivement de 38 degrés 1 /2, elle était, au bout d’une heure un quart, arrivée à 12 degrés 1/2. […] Au bout d’une heure, sa température était descendue à 25 degrés ; au bout de cinq quarts d’heure à 22 1/2 ; au bout d’une heure et demie à 20 degrés. […] Leur température initiale, prise dans le rectum, était de 38 degrés. […] On a placé l’appareil ainsi disposé dans un bain à une température de 40 degrés environ.

149. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Son tour arriva ; il s’élança à la tribune, des murmures accueillirent ses premiers mots, puis des menaces ; il se troubla, et par degrés ses paroles changèrent de sens, jusqu’à ce qu’enfin, comme à l’Homme sans nom, une parole inconnue, une parole qui n’était pas la sienne, vint se placer sur ses lèvres. Il s’en retourna égaré à son banc, ayant voté la mort. — Ce qui est vrai de l’Homme sans nom l’est aussi à quelque degré, j’en suis certain, des personnages introduits ailleurs par M. […] Buloz l’avait vu et avait essayé de le faire parler), ses refus calculés de prononcer une seule parole qui donnât tort aux violents, m’apprirent qu’il n’avait lui-même qu’à un assez faible degré, nonobstant son renom de générosité, le sens spontané de la justice17. […] Il est impossible de dire à quel degré de gêne il en serait venu si une sœur ne lui était morte peu après qu’il eut épuisé ses ressources, et ne lui avait laissé de quoi payer ses dettes et subsister. […] Ballanche, je dois le reconnaître, avait l’air des plus dégagés et des plus désintéressés sur les nouvelles qui arrivaient à chaque instant de Paris, et dont le résultat n’était plus douteux. « Je crois bien, lui dis-je, que pour le coup nous allons franchir deux degrés d’initiation à la fois. » Et il se prit à rire.

150. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Dans toutes les couches d’air qui se refroidissent au-delà d’un certain degré, la vapeur incluse se dépose en rosée. […] À tous les degrés, le caractère général est un caractère abstrait, d’autant plus abstrait qu’il est plus général, et d’autant plus général qu’il est plus abstrait. […] D’abord l’idée naît avec le signe ; ensuite elle est rectifiée par degrés. […] Par cette opération, la mécanique acquiert des cadres semblables à ceux de la géométrie, et les faits se conforment aux cadres dans le premier cas de la même manière et au même degré que dans le second. […] Nous construisons l’utile, le beau et le bien, et nous agissons de manière à rapprocher les choses, autant que possible, de nos constructions. — Par exemple, étant données des pierres éparses et brutes, nous les supposons équarries, transportées, empilées à l’endroit où nous voulons habiter, et, conformément à l’idée du mur ainsi construit, nous construisons le mur réel qui nous préservera du vent. — Étant donnés les hommes qui vivent autour de nous, nous sommes frappés d’une certaine forme générale qui leur est propre ; nous remarquons à un plus haut degré, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, les signes extérieurs de telle qualité ou disposition bienfaisante pour l’individu ou pour l’espèce, agilité, vigueur, santé, finesse ou énergie93 ; nous recueillons par degrés tous ces signes ; nous souhaitons contempler un corps humain en qui les caractères que nous jugeons les plus importants et les plus précieux se manifestent par une empreinte plus universelle et plus forte, et, s’il se trouve un artiste chez qui ce groupe de conditions conçues aboutisse à une image expresse, à une représentation sensible, à une demi-vision intérieure, il prend un bloc de marbre et y taille la forme idéale que la nature n’a pas su nous montrer. — Enfin, étant donnés les divers motifs qui poussent les hommes à vouloir, nous constatons que l’individu agit le plus souvent en vue de son bien personnel, c’est-à-dire par intérêt, souvent en vue du bien d’un autre individu qu’il aime, c’est-à-dire par sympathie, très rarement en vue du bien général, abstraction faite de son intérêt ou de ses sympathies, sans plus d’égard pour lui-même ou pour ses amis que pour tout autre homme, sans autre intention que d’être utile à la communauté présente ou future de tous les êtres sensibles et intelligents.

151. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

Divers états et degrés de la représentation contredite. — Cas où elle est faible. — Cas où elle est intense. — Cas où elle se transforme en sensation. — Théorie physiologique de ces divers états. — Action persistante des centres sensitifs. — Action en retour des hémisphères sur les centres sensitifs. […] État anormal et degré maximum de la représentation. — Alors la sensation antagoniste est nulle et la représentation contradictoire n’est pas un réducteur suffisant. — La représentation contradictoire n’est efficace que sur les groupes d’images dont le degré est le même que le sien. […] III Ici, il faut distinguer : car la représentation contredite peut avoir plusieurs degrés, depuis l’émoussement et la faiblesse extrême jusqu’à l’énergie et la précision complète, et, au-delà encore, jusqu’à l’exagération maladive qui la transforme en sensation. — À l’état normal, pendant la veille, nos images demeurent plus ou moins vagues et incolores ; même dans la rêverie intense, les figures que nous imaginons, les airs que nous fredonnons mentalement, n’ont pas la netteté des figures que nous voyons les yeux ouverts et des airs qu’un instrument de musique envoie à nos oreilles ; l’image d’une sensation visuelle ou auditive n’est que l’écho affaibli de cette sensation. — Mais, dans la maladie, l’image s’exagère jusqu’à se transformer en sensation complète. […] En deux mots, elle crée des illusions et des rectifications d’illusion, des hallucinations et des répressions d’hallucination. — D’une part, avec des sensations et des images agglutinées en blocs suivant des lois que l’on verra plus tard, elle construit en nous des fantômes que nous prenons pour des objets extérieurs, le plus souvent sans nous tromper, car il y a en effet des objets extérieurs qui leur correspondent, parfois en nous trompant, car parfois les objets extérieurs correspondants font défaut : de cette façon, elle produit les perceptions extérieures, qui sont des hallucinations vraies, et les hallucinations proprement dites, qui sont des perceptions extérieures fausses. — D’autre part, en accolant à une hallucination une hallucination contradictoire plus forte, elle altère l’apparence de la première par une négation ou rectification plus ou moins radicale : par cette adjonction, elle construit des hallucinations réprimées qui, selon l’espèce et le degré de leur avortement, constituent tantôt des souvenirs, tantôt des prévisions, tantôt des conceptions et imaginations proprement dites, lesquelles, sitôt que la répression cesse, se transforment, par un développement spontané, en hallucinations complètes. — Faire des hallucinations complètes et des hallucinations réprimées, mais de telle façon que, pendant la veille et à l’état normal, ces fantômes correspondent ordinairement à des choses et à des événements réels, et constituent ainsi des connaissances, tel est le problème.

152. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Et même cette idée qu’il avait allait un peu au-delà de ce qu’exigeait à l’ordinaire le public : mais, au fond, il ne déroutait pas les spectateurs, et ne leur présentait rien que leur degré de culture ne leur figurât aisément : ainsi il atteignait son but, qui était seulement d’empêcher leur attention de se détourner sur le détail et l’accessoire, et de la ramener tout entière sur la peinture des passions. […] Viennent ensuite la clarté, sans laquelle ni la vérité ne se fait sentir, ni l’émotion ne se dégage — et la précision, par laquelle on ne reconnaît pas vaguement, en gros, la nature de l’objet, mais on le voit dans un degré particulier de force et de beauté, tel qu’il est en effet, mais revêtu par votre expression, d’après votre sensation, d’un caractère unique. […] Au troisième degré sont les lois particulières des genres. […] Qu’on médite ce petit morceau, et l’on verra que si l’élégance et la noblesse consistent essentiellement à donner à l’œuvre poétique un caractère esthétique et littéraire, qui fait que jamais elle n’est vulgaire, même en exprimant les vulgarités de la nature, le sublime est le degré suprême de la beauté : mais ce degré, c’est tout simplement, pour transposer dans notre langage l’idée de Boileau, c’est l’intensité expressive d’un mot, d’un tour, qui réalise en perfection l’effet voulu et prévu par l’artiste.

153. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

« Le critérium subjectif de la vérité est l’impensabilité (unthinkableness) de sa négative, en d’autres termes la réduction à : A est A. » « La conscience n’est infaillible que quand elle est réduite aux propositions identiques. « Là et là seulement, il n’y a point de faillibilité. » Comme il y a place pour l’erreur partout où la proposition n’est pas identique, et comme une probabilité variable en degrés est tout ce que nous pouvons atteindre dans la plupart de nos conclusions, il est facile d’étendre le principe logique qui détermine l’infaillibilité aux degrés variables de probabilité, et par suite de rendre l’erreur impossible. […] Les degrés variables de probabilité dépendront de la possibilité d’admettre une négative198. […] En descendant au plus bas degré de l’échelle animale, nous ne trouvons aucune trace du système nerveux ; en remontant nous trouvons un simple ganglion avec ses prolongements ; plus haut quelques ganglions et des sens rudimentaires ; plus haut des organes, des sens plus complexes et un cerveau rudimentaire ; chez l’homme enfin des organes complexes et un cerveau complexe. […] Quoique, depuis Hartley, les progrès de la science aient donné un haut degré de probabilité à la doctrine générale des vibrations ; cependant, même maintenant, notre connaissance des sensations est beaucoup plus certaine que celle des vibrations impliquées.

154. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Au regard historique, il n’est point de société dans la formation de laquelle il n’entre à quelque degré, et dans nombre de cas, loin qu’il entraîne des conséquences défavorables, on va voir qu’il est un des éléments constitutifs de la réalité sociale ou l’un des artifices grâce auxquels elle s’est fortifiée. […] L’idée chrétienne fut à l’origine, pour tous les groupes indistinctement de cette société en formation, une attitude d’utilité, sous la condition de ne réaliser qu’en partie ses conséquences : dans cette limite, elle abaissa l’égoïsme individuel jusqu’au degré qui permet la vie sociale. […] La méconnaissance de soi-même et de ses vrais besoins entraîne ici ses conséquences funestes : la collectivité est menacée de payer de sa ruine le défaut de jugement qui lui fait prendre pour une vérité d’application universelle, ce qui fut une attitude d’utilité pour un groupe déterminé, différent d’elle et d’un degré plus intense de brutalité. […] Le principe de modération qui, émanant de ses anciens impératifs, a pénétré dans sa physiologie et l’a mis au point de la vie sociale, ne pouvant plus être retranché, le nouveau principe de modération imposé par la vérité étrangère va accroître la force d’inhibition qui contraignait l’énergie du groupe : cette énergie va se trouver abaissée au-dessous du degré qui permet à un groupe social de maintenir son intégrité et son existence parmi les autres groupes. […] Elle risque ainsi d’y introduire, au-delà de son degré bienfaisant, ce poison chrétien qui, en son état de pureté, est mortel.

155. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Même dans la science, si on trouve la vérité « en y pensant toujours », on n’y pense toujours que parce qu’on l’aime. « Mon succès comme homme de science, dit Darwin, à quelque degré qu’il se soit élevé, a été déterminé, autant que je puis en juger, par des qualités et conditions mentales complexes et diverses. […] Avec les capacités modérées que je possède ; il est vraiment surprenant que j’aie pu influencer à un degré considérable l’opinion des savants sur quelques points importants. » A ces diverses qualités, il faut en ajouter une dont Darwin ne parle pas et dont ses biographes font mention : la faculté de l’enthousiasme, qui lui faisait aimer tout ce qu’il observait, aimer la plante, aimer l’insecte, depuis la forme de ses pattes jusqu’à celle de ses ailes, grandir ainsi le menu détail ou l’être infime par une admiration toujours prête à se répandre. […] Il faudrait seulement s’entendre bien sur le degré et le mode de signification qui caractérise la valeur littéraire d’une œuvre. […] Le génie n’est pas seulement un reflet, il est une production, une invention : c’est donc surtout le degré d’anticipation sur la société à venir, et même sur la société idéale, qui caractérise les grands génies, les chorèges de la pensée et du sentiment. […] A Paris, l’hétérogénéité sociale atteint un tel degré que personne ne se trouve empêché de manifester son originalité ; et, comme tout artiste est orgueilleux de ses facultés, il n’en est que fort peu, et des plus médiocres, qui consentent à se renier, et à flatter pour un plus prompt succès le goût de telle ou telle section du public. » Aussi, dans un milieu aussi défini socialement que le Paris de la fin du second empire et du commencement la troisième république, les esprits les plus divers ont trouvé place (voir M. 

156. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Sans doute celle-ci admet différents degrés d’intensité ; sans doute aussi entre elle et la forme calme il y a continuité : il est impossible de dire à quel degré d’intensité la parole intérieure cesse d’être calme ; mais, d’une part, il suffit de considérer quelques cas bien nets pour apercevoir les caractères distinctifs de la forme vive ; d’autre part, la parole intérieure calme paraît être un état limite ; entre elle et le silence intérieur il n’existe pas d’intermédiaire. […] La parole intérieure calme est donc l’expression légitime, normale, de tout un ordre de fonctions psychiques ; elle exprime ce qu’on peut nommer d’un seul mot la réflexion, c’est-à-dire l’état psychique où l’internité de nos phénomènes est apparente et déclarée, où l’âme, se connaissant, sait qu’elle se connaît, et n’externe à aucun degré, ni sérieusement ni par jeu, ce dont elle a conscience. […] L’âme a, pour ainsi dire, surveillé l’écho dans son évolution décroissante, et, à un certain degré d’affaiblissement, le trouvant approprié à ses besoins, elle l’a arrêté, cultivé, choyé, exercé, entretenu, fixé ; elle s’en est emparé, elle se l’est approprié, et ce qui était quelque chose de la parole est devenu quelque chose de la pensée. […] La parole intérieure proprement dite est l’écho affaibli d’un écho déjà plus faible que le son primitif ; mais, se trouvant maintenu par un effort incessant et insensible à un certain degré d’intensité [ch.

157. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Mais en 1794, il n’en est pas à cette solution dernière, religieuse, à laquelle il ne s’élèvera que par degrés, et, quoique sans parti pris et sans décision absolue, il incline à tout rapporter à l’état physique et à la machine : Je ne prétends rien décider à cet égard. […] Mon imagination est éteinte, et il faut de l’imagination, c’est-à-dire un certain degré d’activité et de vivacité dans les idées, pour traiter un sujet quelconque, fût-il le plus abstrait possible… Je suis toujours à l’essai de mes forces ; je n’y compte pas, je commence et recommence sans fin. […] C’est une vraie misère de vivre sur la terre. » Il a besoin d’un secours extérieur encore, mais, cette fois, de ce secours invisible qui opère par la grâce et moyennant le canal de la prière. « La plus fâcheuse des dispositions, dit-il, est celle de l’homme qui, se méfiant de lui-même au plus haut degré, ne s’appuie pas sur une force supérieure et ne se livre à aucune inspiration ; il est condamné à être nul aux yeux des hommes comme à ses propres yeux. » Il connaissait bien cet homme-là. Nul n’a agité plus habituellement que lui et n’a plus pressé en tous sens les rapports du stoïcisme et du christianisme, essayant de les concilier, oscillant de l’un à l’autre, mais, après chaque oscillation, s’approchant d’un degré de plus du christianisme vif et complet, tel qu’il est dans saint Paul, dans L’Imitation, dans les Lettres spirituelles de Fénelon. — « Douleur, tu n’es pas un mal », dit le philosophe stoïcien que le mal dévore.

158. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Or, pour qui sait voir et observer, ces deux faits (que je n’entends encore une fois ni égaler ni juger en eux-mêmes) sont un grand enseignement, une mesure très-sensible de l’état du goût, du degré de température, et du niveau d’aujourd’hui. […] Il s’agissait, après des désastres inouïs et des ruines de tout genre, de tout recomposer, de retrouver sous les sanglants décombres la statue de la Loi, la pierre et le calice de l’autel, le trône lui-même avec ses degrés. […] Napoléon était de ceux qui sentent tout ce qu’une grande époque littéraire ajoute à la gloire d’un règne ; il essaya de classer, d’échelonner sur les degrés du trône les gens de lettres de son temps, de dire à l’un : Tu es ceci ; et à l’autre : Tu feras cela. Par malheur, il n’admettait à aucun degré l’indépendance de la pensée, et il oubliait que le talent n’est pas un vernis qu’on commande sur la toile à volonté ; il faut que tout le tableau ressorte du même fond.

159. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

Tous les trois, doués ainsi diversement, mais au plus haut degré, du talent de la parole, ils ont possédé moins également celui d’écrire. […] Le marchand et le journaliste sont par lui dans le temple et montent jusque sur les degrés de l’autel.

160. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

N’est-il pas vrai qu’il lui sera possible et convenable de signaler dans chaque progrès de la Révolution un progrès de l’idée qui l’enfanta, de suivre cette idée dans l’ensemble des faits par lesquels elle éclate, et de la montrer, presque toujours vague encore à son origine, se dégageant, se précisant en même temps qu’elle s’exagère, et de degré en degré passant sans interruption jusqu’à ses dernières conséquences ?

161. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Ce qu’il y a de plus sacré dans la morale, ce sont les liens des parents et des enfants : la nature et la société reposent également sur ce devoir, et le dernier degré de la dépravation est de braver l’instinct involontaire qui, dans ces relations, nous inspire tout ce que la vertu peut commander. […] Il y a dans ces liens une inégalité naturelle qui ne permet jamais une affection de même genre, ni au même degré ; l’une des deux est plus forte, et par cela même trouve des torts à l’autre, soit que les enfants chérissent leurs parents plus qu’ils n’en sont aimés, soit que les parents éprouvent pour leurs enfants plus de sentiments qu’ils ne leur en inspirent.

162. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

Si d’autres peuples ont été plus heureux, si, à l’étranger, plusieurs habitations politiques sont solides et subsistent indéfiniment, c’est qu’elles ont été construites d’une façon particulière, autour d’un noyau primitif et massif, en s’appuyant sur quelque vieil édifice central plusieurs fois raccommodé, mais toujours conservé, élargi par degrés, approprié par tâtonnements et rallonges aux besoins des habitants. […] Boutaric, j’ai pu dépouiller une multitude de documents manuscrits, la correspondance d’un grand nombre d’intendants, directeurs des aides, fermiers généraux, magistrats, employés et particuliers, de toute espèce et de tout degré pendant les trente dernières années de l’Ancien Régime, les Rapports et Mémoires sur les diverses parties de la maison du roi, les procès-verbaux et cahiers des États généraux en cent soixante-seize volumes, la correspondance des commandants militaires en 1789 et 1790, les lettres, mémoires et statistiques détaillées contenus dans les cent cartons du Comité ecclésiastique, la correspondance en quatre-vingt-quatorze liasses des administrations de département et de municipalité avec les ministres de 1790 à 1799, les rapports des conseillers d’État en mission à la fin de 1801, la correspondance des préfets sous le Consulat, sous l’Empire et sous la Restauration jusqu’en 1825, quantité d’autres pièces si instructives et si inconnues, qu’en vérité l’histoire de la Révolution semble encore inédite.

163. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

Racine, celui des quatre amis dont le caractère avait le plus d’élévation, celui à qui les autres étaient le moins nécessaires, celui dont la marche était la plus sûre à la cour, n’aidait de son talent, ni même n’accréditait par une approbation éclatante, ni la satire directe, ni la comédie satirique ; mais s’il n’était pas celui qui se fît le plus craindre de l’ennemi, c’était celui qui flattait le plus noblement le maître, celui dont l’éloge avait le plus de poids, et qui donnait à l’agrégation des quatre amis le plus de sûreté et de stabilité, parce qu’il était celui qui affectionnait le plus les autres et avait au plus haut degré leur confiance. […] Le cynisme prive de tous les charmes qu’elle répand dans la vie sociale à tous les degrés des liaisons et des intimités qu’elle procure, Le goût veut donc, comme la morale, que moins les mœurs sont pures, et plus on les déguise sous un langage exempt de leur souillure.

164. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

La passion de la gloire ne peut être trompée sur son objet ; elle veut, ou le posséder en entier, ou rejeter tout ce qui serait un diminutif de lui-même ; mais l’ambition a besoin de la première, de la seconde, de la dernière place dans l’ordre du crédit et du pouvoir, et se rattache à chaque degré, cédant à l’horreur que lui inspire la privation absolue de tout ce qui peut combler ou satisfaire, ou même faire illusion à ses désirs. […] Dans ces temps, pour dominer à un certain degré les autres hommes, il faut qu’ils n’aient pas de données sûres pour calculer à l’avance votre conduite, dès qu’ils vous savent inviolablement attachés à tels principes de moralité, ils se postent en attaque sur la route que vous devez suivre. […] Des crimes de tout genre, des crimes inutiles aux succès de la cause, sont commandés par le féroce enthousiasme de la populace ; elle craint la pitié, quel que soit le degré de sa force, c’est par de la fureur, et non de la clémence qu’elle sent son pouvoir.

165. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

Il recueille les misérables, les nourrit, les occupe, les marie ; mendiants, vagabonds, paysans fugitifs affluent autour du sanctuaire : Par degrés leur campement devient un village, puis une bourgade : l’homme laboure dès qu’il peut compter sur la récolte et devient père de famille sitôt qu’il se croit en état de nourrir ses enfants. […] Par degrés, entre le chef militaire du donjon et les anciens colons de la campagne ouverte, la nécessité établit un contrat tacite qui devient une coutume respectée. […] S’il est intelligent et bon fermier d’hommes, s’il veut tirer meilleur profit de sa terre, il relâche ou laisse se relâcher par degrés les mailles du rets où ses vilains et ses serfs travaillent mal parce qu’ils sont trop serrés.

166. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre III. Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés » pp. 55-71

Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés Sommaire. […] Cette qualité abstraite est la cause de toute la série ; elle la force à être infinie ; c’est elle seule que nous apercevons ; quand nous disons que nous concevons la série comme infinie, cela signifie seulement que nous démêlons cette propriété de régénération inépuisable : nous ne saisissons que la loi génératrice ; nous n’embrassons pas tous les termes engendrés. — Mais pour nous l’effet est le même ; car, appliquant la loi, nous pouvons définir n’importe quel terme de la série, mesurer exactement le surcroît d’approximation qu’il apporte au quotient, chiffrer rigoureusement le degré d’inexactitude que la division renferme encore, si ou l’arrête là. […] Quand nous apprécions une distance, il faut bien qu’elles soient présentes ; et pourtant nous ne les démêlons plus, quelque envie que nous en ayons ; elles sont pour nous comme si elles n’étaient pas ; il nous semble que nous connaissons, directement et sans leur entremise, la position que seules elles dénotent ; si parfois elles nous frappent, c’est en s’exagérant, par exemple lorsque, obligés de lire de trop près ou de trop loin, nous éprouvons dans les muscles de l’œil une fatigue notable ; hors de ces cas, elles sont invisibles et comme évanouies. — Pareillement, un compositeur qui vient de lire un air d’opéra ne se souvient pas des croches, des blanches, des clefs, des portées, et de tout le barbouillage noir sur lequel ses yeux se sont promenés, mais seulement de la série des accords qu’intérieurement il a entendus ; les signes se sont effacés, les sons seuls surnagent. — Quand il s’agit de mots, nous pouvons marquer les divers degrés de cet effacement.

167. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

Nul doute qu’il ne fût possédé au plus haut degré de l’espérance messianique, et que son action principale ne fût en ce sens. « Faites pénitence, disait-il, car le royaume de Dieu approche 302. » Il annonçait une « grande colère », c’est-à-dire de terribles catastrophes qui allaient venir 303, et déclarait que la cognée était déjà à la racine de l’arbre, que l’arbre serait bientôt jeté au feu. […] Tel était le degré d’autorité conquis par le baptiste qu’on ne croyait pouvoir trouver au monde un meilleur garant. […] Comme les anciens prophètes juifs, il était, au plus haut degré, frondeur des puissances établies 319.

168. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

Or on sait d’ailleurs par induction la limite où pour la vapeur d’eau finit cette période ; c’est tel degré du thermomètre pour telle quantité de vapeur d’eau suspendue dans l’air. […] Rapprochement des molécules, équilibre au-delà de tel degré de rapprochement entre les forces attractives et répulsives des molécules, tels sont les deux intermédiaires par lesquels la première donnée de notre loi, le refroidissement, se rattache à la seconde, la liquéfaction. […] Il a fallu la grande induction de Newton pour reconnaître que l’attraction des molécules croît en raison inverse du carré de leurs distances, d’où il suit que, passé un certain degré de proximité, les forces attractives doivent faire équilibre aux forces répulsives ; et il a fallu les inductions d’autres physiciens pour reconnaître quel degré de refroidissement amène ce degré de proximité entre les molécules de la vapeur d’eau. — Mais, si les procédés de la découverte ont été différents, la structure des choses s’est montrée la même. […] C’est ce que nous avons fait ici même ; nous sommes d’abord descendus par degrés jusqu’aux derniers éléments de la connaissance, pour remonter ensuite d’étage en étage jusqu’aux connaissances les plus simples, et de là, encore par degrés, jusqu’aux plus complexes ; dans cette échelle, chaque échelon s’est relié ses caractères par l’entremise des caractères qui s’étaient manifestés dans les échelons inférieurs. […] Par exemple, le maximum de densité ou de rapprochement des molécules de l’eau est à + 4 degrés et non pas au-dessous.

169. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Au dix-huitième siècle, sauf dans les jours de grand apparat, on le voit, degré à degré, descendre de son piédestal. […] Une grande dame « salue dix personnes en se ployant une seule fois, et en donnant, de la tête et du regard, à chacun ce qui lui revient267 », c’est-à-dire la nuance d’égards appropriée à chaque variété d’état, de considération et de naissance. « C’est à des amours-propres faciles à s’irriter qu’elle a toujours affaire, en sorte que le plus léger défaut de mesure serait promptement saisi268 » ; mais jamais elle ne se trompe, ni n’hésite dans ces distinctions subtiles ; avec un tact, une dextérité, une flexibilité de ton incomparables, elle met des degrés dans son accueil. […] Un étranger reste stupéfait en voyant de quelle démarche adroite et sûre elle circule parmi tant de vanités en éveil, sans jamais donner ni recevoir un choc. « Elle sait tout exprimer par le mode de ses révérences, mode varié qui s’étend par nuances imperceptibles, depuis l’accompagnement d’une seule épaule qui est presque une impertinence, jusqu’à cette révérence noble et respectueuse que si peu de femmes, même à la cour, savent bien faire, ce plié lent, les yeux baissés, la taille droite, et une manière de se relever en regardant alors modestement la personne et en jetant avec grâce tout le corps en arrière : tout cela plus fin, plus délicat que la parole, mais très expressif comme moyen de respect. » — Ce n’est là qu’une action et très ordinaire ; il y en a cent autres et d’importance : imaginez, s’il est possible, le degré d’élégance et de perfection auquel le savoir-vivre les avait portées. […] Lisez plutôt ce haut fait de Mme de Lauzun à Chanteloup : « Savez-vous, écrit l’abbé, que personne ne possède à un plus haut degré une qualité que vous ne lui connaissez pas, celle de faire les œufs brouillés ? […] Sous sa pression, comme sous le doigt d’un sculpteur, le masque du siècle se transforme par degrés et perd insensiblement son sérieux : la figure compassée du courtisan devient d’abord la physionomie enjouée du mondain ; puis, sur cette bouche souriante dont les contours s’altèrent, on voit éclater le rire effronté et débridé du gamin296.

170. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Quoique Bacon me laisse beaucoup de choses à désirer, il est néanmoins pour moi, non seulement moins repoussant que Condillac, mais encore cent degrés au-dessus. […] Je conçois que ces points-là ont pu nuire à mes ouvrages, parce que le monde ne s’élève pas jusqu’au degré où, s’il était juste, il trouverait abondamment de quoi se calmer et me faire grâce, au lieu qu’il n’est pas même assez mesuré pour me faire justice. […] M. de Chateaubriand, par exemple, qu’il eut occasion de voir vers l’époque d’Atala et du Génie du christianisme, et à qui il adressa de belles observations critiques dans son Ministère de l’homme-esprit (observations que M. de Chateaubriand ne lut jamais), n’avait gardé de Saint-Martin qu’un souvenir inexact et infidèle ; il lui est arrivé de travestir étrangement, dans un passage des Mémoires, la rencontre qu’il eut avec lui ; et lorsqu’il eut été averti par moi-même que Saint-Martin avait parlé précisément de cette rencontre et en des termes bien différents, il ne répara qu’à demi une légèreté dont il ne s’apercevait pas au degré où elle saute aujourd’hui à tous les yeux. […] [NdA] Si l’on en veut une preuve que j’ose dire inimaginable, on n’a qu’à lire la pensée suivante où l’illusion pacifique, jointe à la préoccupation de soi et à la confiance qu’on a d’être l’objet spécial de la prédilection divine, passe tous les degrés : Je me suis senti tellement né pour la paix et pour le bonheur, et j’ai eu de si fréquentes expériences que l’on m’avait même dès ce monde comme environné du lieu de repos, que j’ai eu la présomption de croire que dans tous les lieux que j’habiterais il n’arriverait jamais de bien grands troubles ni de bien grands malheurs.

171. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Ainsi, en France, avons-nous vu, à des degrés différents, Nicole pour Arnauld, l’abbé de Langeron ou le chevalier de Ramsai pour Fénelon ; ainsi eût été Deleyre pour Rousseau, si celui-ci avait permis qu’on l’approchât. […] Le grand poëte n’avait cessé d’être de loin son « étoile polaire. » En recevant le volume de poésies, Gœthe reconnut vite un de ses disciples et de ses amis comme le génie en a à tous les degrés ; non content de faire à l’auteur une réponse de sa main, il exprima tout haut la bonne opinion qu’il avait conçue de lui. […] Il est sans doute, à quelque degré, de la famille des Brossette et des Boswell, de ceux qui se font volontiers les greffiers et les rapporteurs des hommes célèbres ; mais il choisit bien son objet, il l’a adopté par choix et par goût, non par banalité ni par badauderie aucune ; il n’a rien du gobe-mouche, et ses procès-verbaux portent en général sur les matières les plus élevées et les plus intéressantes, dont il se pénètre tout le premier et qu’il nous transmet en auditeur intelligent. […] Il craignait toujours, plus tard, en se ressouvenant, de ne pas ressaisir au degré voulu la vivacité et l’éclat de ses impressions premières ; il attendait pour écrire que le parfait réveil se fît en lui, que les heures passées se peignissent dans sa mémoire toutes brillantes et lumineuses, que son âme eût retrouvé le calme, la sérénité et l’énergie où elle devait atteindre pour être digne de voir reparaître en soi les idées et les sentiments de Gœthe ; « car j’avais affaire, disait-il, à un héros que je ne devais pas abaisser. » Ainsi pénétré du noble sentiment de sa mission, il la remplit avec une piété que nous ne trouverons jamais trop minutieuse ; et les grands traits, d’ailleurs, il ne les a pas omis, et il nous permet, ce qui vaut mieux, de les déduire nous-mêmes peu à peu de la réalité simple : « Gœthe vivait encore devant moi, s’écrie-t-il en une de ses heures de parfait contentement et de clarté ; j’entendais de nouveau le timbre aimé de sa voix, à laquelle nulle autre ne peut être comparée.

172. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Je m’explique bien vite : l’art dont nous sommes ne s’en va pas, si vous le voulez ; mais il se généralise et il s’étend de plus en plus et à un tel degré, ce me semble, qu’il s’efface déjà à vue d’œil et que ce sera de moins en moins une distinction d’y exceller. […] Villemain excita en lui jusqu’à l’exaltation tout ce qu’il avait d’inclination littéraire ; il eut au plus haut degré le sentiment de sa vocation en ce genre ; il eut comme une vision de tout l’avenir qui lui était réservé s’il eût cultivé exclusivement les Lettres ; il lut page à page toute cette histoire de travaux, d’émotions, de succès, d’influence, qui aurait pu être la sienne aussi, et que son dévouement à des devoirs religieux avait tout entière annulée ; il vit à la fois tout ce qu’il avait sacrifié, et fut tenté (car c’est bien ainsi qu’il voyait la chose) d’un amer et indicible regret. […] Manuel, cultivées, attendries tout exprès et juste à point pour rester à ce degré sensibles aux qualités non voyantes, non perçantes, non fulgurantes, à ce qui effleure et à ce qui n’enfonce pas ? […] Les Fauriel, les Ozanam et tant d’antres vaillants pionniers y ont sué sang et eau sous nos yeux et ont dû y mettre la hache et la cognée pour nous frayer la route jusqu’à ce divin Paradis. — Et Shakespeare donc, est-ce qu’il n’en a pas été ainsi, et par combien de phases ou de degrés n’a-t-on pas eu à passer à son égard ?

173. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

C’est à la littérature imprimée, à celle d’imagination particulièrement, aux livres auparavant susceptibles de vogue, et de degré en degré à presque tous les ouvrages nouveaux, que le mal, dans la forme que nous dénonçons, s’est profondément attaqué. […] Quelle que soit la légitimité stricte du fond, n’est-il pas triste pour les lettres en général que leur condition matérielle et leur préoccupation besogneuse en viennent à ce degré d’organisation et de publicité ? […] Que serait-ce qu’une Société qui, comprenant la presque totalité des littérateurs du jour à tous les degrés de l’échelle, deviendrait pour eux une espèce d’assurance mutuelle contre la critique et pour la louange ?

174. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

L’auteur de Gil Blas le savait bien : son personnage, pour rester un type naturel et moyen, avait donc besoin de n’être à aucun degré monté au ton d’un stoïcien ni d’un héros. […] « C’était commencer le métier d’intendant par où l’on devrait le finir. » Le troisième volume, publié en 1724, et qui est le plus distingué de tous, nous montre Gil Blas montant par degrés d’étage en étage ; et, à mesure que la sphère s’élève, les leçons peuvent sembler plus vives et plus hardies. […] Loin de s’améliorer, il arrive, en ce moment d’ivresse, au pire degré de faute où il soit tombé, à l’insensibilité du cœur, à la méconnaissance de sa famille et de ses premiers amis. […] On descend de là, par un rang de degrés de chaque côté, dans un berceau.

175. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Tout homme de lettres proprement dit, s’il a été célèbre et s’il a eu de l’action sur son temps, s’il a été centre à quelque degré, excite plus de curiosité et soulève plus de propos et d’intérêt en divers sens que souvent il n’en mérite. […] La Harpe, qui n’est pas à beaucoup près au premier rang de ce groupe de critiques-poètes, mais qui y appartient à quelque degré, a partagé cet honneur et cet inconvénient. […] Dépendant du monde, des salons et même des libraires, il lui aurait fallu un grand art, un esprit d’adresse et de conciliation pour s’élever insensiblement au degré d’autorité où il aspirait, et il n’avait pour lui qu’une grande âpreté et rigueur de caractère : Impiger, iracundus, inexorabilis, acer, a-t-on dit de lui comme d’Achille. […] II, p. 339), acquiert un nouveau degré de certitude du témoignage de Laya.

176. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Ce que nous voudrions, s’il y avait moyen de régler les points, c’est qu’on pût, même en littérature, se donner le droit de fredonner, avec le plus spirituel des mondains : Dans mon printemps j’ai hanté les vauriens, et qu’on se rangeât par degrés ensuite. […] Il n’admettait à aucun degré les tentatives dites romantiques qui se faisaient dans les divers genres, et c’était pour lui une religion de conscience de tout repousser.

177. (1874) Premiers lundis. Tome I « Tacite »

Les degrés vers le mieux ne sont pour lui que des quantités infiniment petites, tendant à une limite qu’elles n’atteindront jamais, et de laquelle, toutes ensemble, elles n’approchent pas sensiblement ; ce sont des pas de Lilliputiens pour gravir une immense montagne. […] La perfection du genre consiste donc à atteindre ce degré extrême de l’approximation, à ôter ainsi aux traducteurs à venir l’espoir raisonnable d’aller au-delà, et à donner dans une langue moderne le dernier mot sur un grand écrivain de l’antiquité.

178. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

On a prétendu que la décadence des arts, des lettres et des empires devait arriver nécessairement, après un certain degré de splendeur. […] Il fallait que les avantages de la société devinssent universels ; car tout dans la nature tend au niveau ; mais les douceurs de la vie privée, la diffusion des lumières, les relations commerciales établissant plus de parité dans les jouissances, apaiseront par degré les sentiments de rivalité entre les nations.

179. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Chapitre VIII La mécanique cérébrale Jusqu’ici, nous ne nous sommes occupé que des rapports extrinsèques de la pensée et du cerveau, En effet, que la masse, le poids absolu ou relatif, les lésions matérielles, les développements anormaux, puissent correspondre à un certain degré d’intelligence, ce sont là des relations tout empiriques qui ne disent rien à l’esprit, de simples rapports de coïncidence et de juxtaposition qui laissent parfaitement obscure la question des vrais rapports, des rapports intrinsèques et essentiels du cerveau et de la pensée. […] Cette objection est très-forte contre le système du docteur Briggs, qui supposait que les fibres cérébrales, semblables aux cordes d’un instrument, ont des vibrations différentes selon la longueur et le degré de tension ; mais si l’on suppose les fibres cérébrales divisées en parties infiniment petites, plongées dans un milieu élastique très-subtil, tel que l’éther, on peut concevoir que des vibrations propagées par l’éther se communiquent à chacune de ces parties infinitésimales de la fibre cérébrale.

180. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

Il n’a point essayé de rendre l’adultère ou joli, ou imposant, ou intéressant, ou excusable à quelque degré que ce soit. […] Très concluant et supérieur de bon sens en tout ce qui touche à la politique de Henri IV, aux difficultés de son temps, aux luttes des partis et aux impossibilités d’une situation connue et fréquente dans l’histoire et qui doit toujours y amener les mêmes catastrophes, il ne l’est plus au même degré en tout ce qui touche aux passions de ce premier roi Bourbon, qui introduisit la bâtardise dans la maison royale de France et qui abaissa la notion sainte de la famille aux yeux de son peuple.

181. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Leopardi »

Être poétique dans un degré quelconque, c’est avoir dans un degré quelconque quelque chose de spontané, d’élancé et d’involontaire dans la pensée.

182. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

La littérature n’a pas cessé d’être à ce degré de langueur et d’effacement qu’il nous a été si cruel de constater déjà. […] Deux degrés de corruption de plus et un de scepticisme, et ce lymphatique anglais, fils de la Douleur et de l’Obstacle, aurait endormi son génie dans tous les dons que Dieu lui avait faits !

183. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Mais un art qui ne s’inspirerait que de ces sujets-là ne serait-il pas un art particulariste, un art de classe au suprême degré ? […] La compréhension esthétique est extrêmement variable selon le degré de culture de chacun. […] Chez tous, il y a le pouvoir de comprendre et d’être ému, mais ce pouvoir n’a pas chez tous le même degré d’intensité. […] Art et Religion, en somme, sont accessibles à tous dans un même sens, mais à des degrés divers, et non d’une façon absolue et identique. […] Par une opération très simple de multiplication ou de subdivision, on obtenait, sans erreur possible, tous les degrés voulus de vitesse, de légèreté ou de gravité.

184. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Sa misère n’est que d’un degré plus profonde que celle du fier Ajax, s’écriant : « Je me sauverai malgré les Dieux. » Et même est-il bien permis de dire que cet espoir de salut manque complètement à Satan ? […] Sa chanson est au plus haut degré philosophique et révolutionnaire. […] Rousseau, l’initiateur de ce mouvement, Rousseau, qui fit sortir l’art des maisons et des palais pour l’introduire sur une plus grande scène, et dont la poésie, sous ce rapport, est à la poésie de ses devanciers comme le lac de Genève est aux jardins de Versailles ; Rousseau, dis-je, avait en même temps, à un degré supérieur, l’idée générale, l’idée philosophique, l’idée sociale. […] L’amour de l’Humanité à un haut degré et dans un large sens lui faisant défaut, et l’amour individuel se trouvant lui manquer aussi, en apparence par le simple effet d’un hasard, mais en réalité par l’imperfection des choses d’ici-bas, il tombe sous l’empire exclusif de ce sentiment d’artiste qu’il a pour la Nature. […] Voilà comment il est immoral et impie aux yeux de beaucoup, moral et à un certain degré religieux aux nôtres.

185. (1904) En méthode à l’œuvre

*** Mais (de quelques mots sur l’Expression poétique et les métriques), il est heureux de dire que presque partout une intuition, une spontanéité plus qu’une attention demeurée latente, sut plus ou moins apporter la vraie expression poétique, — don rare, d’ailleurs, qui n’est point l’expression proprement dite ou descriptive, non plus qu’allégorique : mais suggestive, qui doue le réel de prolongement dans le rêve, dans le non-perçu, et, à son degré conscient, rend participante du Tout universel toute partie de l’Œuvre poétique. […] L’évolution n’est pas en « expansion » continue, — mais, continuement reprise par la seconde action de double-Loi, quand elle se restreint aux degrés où le Moins l’emporte sur le Plus sont les périodes de décours et de décadence, dans la nature et les êtres. […] Que l’on admette selon les grammaires usuelles, que les lettres-consonnes n’aient point de son par elles-mêmes, ou que l’on veuille entendre selon moi qu’elles représentent une sorte de préparation à valeur primitive, des organes de la voix saisis par l’instinct et la sensation pour parvenir à l’articulation pure des voyelles, — et qu’elles soient donc inséparables d’elles pour ce que, elles aussi, à degrés moindres, sonnent ou consonnent en devenir de timbres-vocaux : il sied de leur reconnaître, stridantes, explosives, martelantes, percutantes, pénétrantes et stridentes, des qualités spéciales de « Bruits ». […] Parlerons-nous de répétitions de sons, pareils ou à divers degrés de hauteur et d’étendue, pour créer ainsi qu’une atmosphère hallucinée. […] Brutale s’il est nécessaire, mais savante continuement : trouvant entre les timbres-vocaux la nuance transitoire, et, pour les consonnes, les remplaçant entre elles, opérant les permutations phoniques de leurs degrés, — l’Allitération, ainsi, devient en elle-même telle qu’une adventice série instrumentale… Pour terminer, sans rappeler sa particularité de couleur et de timbre, il sied dire de « l’e muet » quel précieux élément instrumental il est, — qui peut toutes nuances selon sa place, depuis donner une valeur pleine, ou éteindre et lui-même et presque les sonorités qui l’entourent.

186. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

« Exposer dans des cours publics les idées qu’on croit nouvelles, m’a toujours paru le meilleur moyen de se rendre raison du degré de clarté qu’il est possible de répandre sur ces idées : aussi ai-je tenté ce moyen en deux langues différentes, à Paris et à Berlin. […] Ce tableau est précédé de considérations sur les différents degrés de jouissance qu’offrent l’étude de la nature et la connaissance de ses lois. […] C’est un beau titre de gloire pour Varenius, que sa Géographie générale et comparée ait pu fixer à un haut degré l’attention de Newton. […] Soumise, bien qu’à un moindre degré que les plantes et les animaux, aux circonstances du sol et aux conditions météorologiques de l’atmosphère, par l’activité de l’esprit, par le progrès de l’intelligence qui s’élève peu à peu, aussi bien que par cette merveilleuse flexibilité d’organisation qui se plie à tous les climats, notre espèce échappe plus aisément aux puissances de la nature ; mais elle n’en participe pas moins d’une manière essentielle à la vie qui anime notre globe tout entier. […] Comme compensation, et sans compter les descriptions, peut-être même un peu trop fréquentes, de grottes, de sources et de clairs de lune, ce poète, qui possédait à un si haut degré le talent de peindre, nous a laissé un récit singulièrement exact et intéressant, même pour la géologie, d’une éruption volcanique près de Méthone, entre Épidaure et Trézène.

187. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

On l’y verrait se développer lentement et soutenir une guerre presque permanente contre l’empire, lequel, arrivé à ce moment au plus haut degré de la perfection administrative et gouverné par des philosophes, combat dans la secte naissante une société secrète et théocratique, qui le nie obstinément et le mine sans cesse. […] Il avait soixante-deux ans quand le prophète de Nazareth était au plus haut degré de son activité, et il lui survécut au moins dix années. […] Je les rapprocherais volontiers des légendes de Saints, des Vies de Plotin, de Proclus, d’Isidore, et autres écrits du même genre, où la vérité historique et l’intention de présenter des modèles de vertu se combinent à des degrés divers. […] Mais une chose résulterait certainement avec un haut degré de vérité de ces naïfs récits, c’est le caractère du héros, l’impression qu’il faisait autour de lui. […] Les contradictions sur les temps, les lieux, les personnes étaient regardées comme insignifiantes ; car, autant on prêtait à la parole de Jésus un haut degré d’inspiration, autant on était loin d’accorder cette inspiration aux rédacteurs.

188. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Nous disions que la conscience est d’autant mieux équilibrée qu’elle est plus tendue vers l’action, d’autant Plus chancelante qu’elle est plus détendue dans une espèce de rêve ; qu’entre ces deux plans extrêmes, le plan de l’action et le plan du rêve, il y a tous les plans intermédiaires correspondant à autant de degrés décroissants d’« attention à la vie » et d’adaptation à la réalité 48. […] Entre la perception et le souvenir il y aurait une différence d’intensité ou de degré, mais non pas de nature. […] S’il n’y a entre le souvenir de la sensation et la sensation elle-même qu’une différence de degré, la sensation deviendra souvenir avant de s’éteindre. […] Mais la suggestion n’est à aucun degré ce qu’elle suggère, le souvenir pur d’une sensation ou d’une perception n’est à aucun degré la sensation ou la perception mêmes. […] Mais la quantité, à son tour, peut être extensive ou intensive, car l’image comprend un nombre déterminé de parties, et elle présente un certain degré de force.

189. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Je ne fatiguerai pas le lecteur à suivre chez lui cette interprétation et cette vue du Messie montré de loin à tous les pas, à tous les degrés et à travers tous les accidents de l’histoire juive : cette vue est capitale chez l’auteur ; il ne peut un seul instant la laisser absente ni s’en distraire. […] En nous supposant dociles, — plus dociles que nous ne l’avons été, — il nous a tenus par la main et nous a conduits où il voulait, au plus haut degré de l’autel d’où nous voyons désormais toute chose, le passé et l’avenir, la terre et le ciel. […] Locke, Jean-Jacques, Channing, tous les chrétiens, à quelque degré qu’ils le soient (et je les prends, on le voit, aussi inégaux que possible), sont d’accord là-dessus.

190. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Les succès de l’amour-propre, le dernier degré des jouissances de la personnalité, la gloire, que vaut-elle auprès d’être aimé ? […] C’est ainsi que dans des degrés différents, l’amour bouleverse le sort des cœurs sensibles qui l’éprouvent. […] Il n’est pas vrai du tout, que dans la moralité du cœur humain, un lien ne confirme pas un penchant ; il n’est pas vrai, qu’il n’existe pas plusieurs époques dans le cours d’un attachement, où la moralité ne resserre pas les nœuds qu’un écart de l’imagination pouvait relâcher ; les liens indissolubles s’opposent au libre attrait du cœur : mais un complet degré d’indépendance rend presque impossible une tendresse durable ; il faut des souvenirs pour ébranler le cœur, et il n’y a point de souvenirs profonds, si l’on ne croit pas aux droits du passé sur l’avenir, si quelque idée de reconnaissance n’est pas la base immuable du goût qui se renouvelle : il y a des intervalles dans tout ce qui appartient à l’imagination, et si la moralité ne les remplit pas, dans l’un de ces intervalles passagers, on se séparera pour toujours.

191. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

En réalité, il y a toute une classe d’intelligences élevées qui sont peu armées pour inventer, mais qui ont l’esprit d’analyse, l’esprit de synthèse, et le tact d’appréciation à un haut degré. […] Voici à quel degré, vous fait pour semer et vous pour récolter, vous en êtes dans l’évolution sociale. […] Personne au degré des frères Rosny, des puissants auteurs de Daniel Valgraive, de l’Impérieuse bonté et des Âmes perdues, ne saurait parler de l’évolution de la littérature vers la morale et la religion de l’humanité.

192. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Formes et lumière ; coloris, valeurs ; leur degré d’objectivité. […] Vielé-Griffin et de Régnier sont tous deux poètes subjectifs, mais à des degrés très différents. […] La couleur, à moins qu’effacée, annonce une sorte de matérielle présence dont ne s’accommode point le mystère de la légende et de la mélancolie : les teintes plates et amorties comme en réalisèrent les Florentins lui conviennent davantage, et M. de Régnier sait en disposer les degrés par des relations lumineuses d’une parfaite justesse.

193. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Mais, pour être littéraire} il faut qu’une œuvre, quelle qu’elle soit, provoque ce genre de plaisir particulier qu’on a nommé le plaisir esthétique ; il faut qu’elle éveille, de façon forte ou légère, un sentiment qui a mille formes et mille degrés, le sentiment du beau. […] Mais on doit examiner les sentiments à d’autres points de vue. — Quel est leur degré d’intensité ? […] Au reste, ici comme toujours, entre les deux extrêmes il y a place pour une foule de degrés intermédiaires.

194. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

M. de Chateaubriand y régnait, et, quand il était présent, tout se rapportait à lui ; mais il n’y était pas toujours, et même alors il y avait des places, des degrés, des apartés pour chacun. […] C’est ainsi qu’une femme, sans sortir de sa sphère, fait œuvre de civilisation au plus haut degré, et qu’Eurydice remplit à sa manière le rôle d’Orphée. […] Elle avait au plus haut degré non cet esprit qui songe à briller pour lui-même, mais celui qui sent et met en valeur l’esprit des autres.

195. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie-Antoinette. (Notice du comte de La Marck.) » pp. 330-346

Un tel point de vue n’est pas le mien ; il saurait être difficilement celui des hommes qui n’ont été élevés à aucun degré dans la religion de l’ancienne monarchie, et c’est là, on n’en saurait disconvenir, le cas de l’immense majorité dans les générations actuelles et dans celles qui se préparent. […] C’est la plainte perpétuelle qui revient sous la plume du comte de La Marck dans la Correspondance secrète qu’on vient de publier : La reine, écrivait-il au comte de Mercy-Argenteau (30 décembre 1790), la reine a certainement l’esprit et la fermeté qui peuvent suffire à de grandes choses ; mais il faut avouer, et vous avez pu le remarquer mieux que moi, que, soit dans les affaires, soit même simplement dans la conversation, elle n’apporte pas toujours ce degré d’attention et cette suite qui sont indispensables pour apprendre à fond ce qu’on doit savoir pour prévenir les erreurs et pour assurer le succès. […] Prisonnière dans son intérieur, en proie à de continuelles angoisses, on la voit s’épurer à côté de cette sœur si sainte, Madame Élisabeth, se ranger et se fortifier de plus en plus dans ces sentiments de famille et de religion domestique qui ne consolent à ce degré que les âmes naturellement bonnes et non corrompues.

196. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Quand il veut faire travailler à Pauline La logique de Condillac, lui faire apprendre par coeur L’art poétique de Boileau, dont il dira ensuite pis que pendre, ses conseils partent évidemment d’un fonds moins important, moins vraiment stendhalien que lorsqu’il veut lui faire prendre, en 1805, l’habitude d’analyser les personnes qui l’entourent (« l’étude est désagréable, mais c’est en disséquant des malades que le médecin apprend à sauver cette beauté touchante ») ou lorsqu’il contracte dans ses premières relations montaines l’aptitude à traduire par une algèbre psychologique les valeurs les unes dans les autres (" notre regard d’aigle voit, dans un butor de Paris, de combien de degrés il aurait été plus butor en province, et, dans un esprit de province, de combien de degrés il vaudrait mieux à Paris. " ) c’est à cette époque que Stendhal s’accoutume (héritier ici de Montesquieu qui ne paraît point, je crois, dans ses lectures) à rattacher instantanément un trait sentimental à un état social, à mettre en rapport par une vue rapide le système politique d’un pays avec ses façons de sentir. […] Ils partaient, oublieux, vers cette lueur éthérée et azurée qu’entrevoit sous les paupières closes, le regard dilaté par l’amour… etc. » Le rythme de l’étreinte corporelle n’est que présage dans l’amour total, mais l’amour lui-même n’est que présage pour cette région plus vaste du rythme universel, il n’est lui-même que l’un des couples de Watteau, le plus près, levé droit, de l’étang azuré ; les autres s’approchent, faits à son image et qui épousent son mouvement, et il existe un certain degré de musique, point étranger à l’Embarquement, où l’on sent à la fois et que l’amour n’est plus rien et que rien n’est plus qui ne soit l’amour.

197. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Il fallait un certain degré d’abstraction pour concevoir la forme et la couleur séparées. […] La Grèce eut le même bonheur que l’Italie, à un degré plus éminent encore. […] Ballanche possède cette double vue historique au plus remarquable degré. […] La chute originelle de l’homme n’est pas autre chose qu’un degré d’initiation prématurément franchi. […] Il y a certains degrés de la corruption que ne franchissent jamais les hommes doués du sentiment du beau.

198. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Tous les hommes sont raisonnables de la même raison qui se communique à eux selon divers degrés. […] Pour s’émouvoir à certaines idées, ne faut-il pas les avoir eues en un degré quelconque ? […] Le goût porté au degré suprême, c’est le génie, si vous y joignez toutefois un élément de plus. […] En général il manque un peu d’éclat et de coloris, mais il est au plus haut degré expressif. […] La morale s’étend partout où se trouve en un degré quelconque l’idée du bien.

199. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Il était de cette race de rêveurs opiniâtres et doux qu’on appelle, selon les genres et les degrés, La Fontaine ou Panard, qui n’ont point souci d’eux-mêmes, et qui jettent leurs fleurs ou leurs fruits sans les compter. […] Je n’ai pas à voir s’il n’abuse point quelquefois par trop de mollesse et de rondeur : mais il a au degré suprême la grâce suave et la vénusté.

200. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « La poésie »

On a là sur l’Iliade, sur la question homérique, sur le degré et la nuance d’originalité de l’Énéide, sur cette autre originalité un peu rude et barbare, mais puissante et pleine de sève, qui se révèle dans la chanson de Roland à Roncevaux, on a le dernier mot de la critique sous forme rapide et sobrement élégante. […] Le tombeau de Jésus-Christ retombera entre les mains des infidèles, mais les membres de Jésus-Christ seront libres. » Et c’est ainsi que renseignement secondaire initie les jeunes filles au sentiment vrai de nos origines modernes, et les émancipe, les aguerrit par degrés en leur donnant sous cette forme agréable la clef des vicissitudes et des révolutions de l’histoire générale : c’est quelque chose déjà que de les guérir d’un convenu dans le jugement des œuvres de l’esprit et de l’imagination.

201. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Mais dans cette horrible ivresse, l’homme se sent condamné à un mouvement perpétuel ; il ne peut s’arrêter à aucun point limité, puisque la fin de tout est du repos, et que le repos est impossible pour lui ; il faut qu’il aille en avant, non qu’au-devant de lui l’espérance apparaisse, mais parce que l’abîme est derrière, et que, comme pour s’élever au sommet de la montagne Noire, décrite dans les Contes Persans, les degrés sont tombés à mesure qu’il les a montés. […] Un certain degré de peine décourage et fatigue ; l’irritation du crime attache à l’existence par un mélange de crainte et de fureur ; elle devient une sorte de proie qu’on conserve pour la déchirer.

202. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

si l’on n’est pas content de l’activité de son ami, si l’on croit avoir à s’en plaindre, à la perte de l’objet de ses désirs viendra bientôt se joindre le chagrin plus amer de douter du degré d’intérêt que votre ami mettait à vous seconder. […] Dès qu’un homme et une femme ne sont point attachés ailleurs par l’amour, ils cherchent dans leur amitié tout le dévouement de ce sentiment, et il y a une sorte d’exigence naturelle, entre deux personnes d’un sexe différent, qui fait demander par degrés, et sans s’en apercevoir, ce que la passion seule peut donner, quelque éloigné que l’un et l’autre soit de la ressentir ; on se soumet d’avance et sans peine à la préférence que son ami accorde à sa maîtresse ; mais on ne s’accoutume pas à voir les bornes, que la nature même de son sentiment met aux preuves de son amitié ; on croit donner plus qu’on ne reçoit, par cela même qu’on est plus frappé de l’un que de l’autre, et l’égalité est aussi difficile à établir sous ce rapport que sous tous les autres ; cependant elle est le but où tendent ceux qui se livrent à ce lien.

203. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

L’esprit est plus agité que l’âme ; c’est lui qu’il faut nourrir, c’est lui qu’on peut animer sans danger, le mouvement dont il a besoin se trouve tout entier dans les occupations de l’étude, et à quelque degré qu’on porte l’action de cet intérêt, ce sont des jouissances qu’on augmente, mais jamais des regrets qu’on se prépare. […] L’homme passionné et l’homme stupide éprouvent par l’étude le même degré d’ennui, l’intérêt leur manque à tous les deux ; car, par des causes différentes, les idées des autres ne trouvent en eux aucune idée correspondante : l’âme fatiguée s’abandonne enfin à l’impulsion qui l’entraîne et consacre sa solitude à la pensée qui la poursuit ; mais elle ne tarde pas à se repentir de sa faiblesse ; la méditation de l’homme passionné enfante des monstres, comme celle du savant crée des prodiges.

204. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

Comment l’affection, le mal sacré de l’art, la science successive de la vie, ont-elles, par degrés, amené en lui cette transformation, ou du moins cette alliance du poète au savant, de celui qui chante à celui qui analyse ? […] Il se retira « dans sa tour d’ivoire », et là, sur le plus haut degré, l’œil baigné de ciel, il continuait son œuvre ; il écrivait les Destinées, poèmes philosophiques plus graves peut-être encore, plus sévères que les Poèmes antiques et modernes.

205. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

L’état quelconque du mouvement qu’il immobilise apparaît sous le regard de la conscience, comme le seul état parfait ; il emporte la foi absolue en lui-même et fait tenir le nombre illimité des possibles dans les limites qui le définissent. « Je suis, dit-il toujours, la vérité et la vie. » Et la force avec laquelle ce pouvoir d’arrêt s’affirme sous forme de vérité dans le monde moral traduit expressément le degré du pouvoir de réalisation dont il est l’interprète. […] Cet équilibre est-il trop tôt ou trop fréquemment rompu, la force d’arrêt et d’association qui contredit le pouvoir de mouvement et de dissociation s’exerce-t-elle trop faiblement, voici une série d’avatars qui n’aboutissent point à se formuler, qui ne parviennent point à ce degré de fixité où un état de conscience les enregistre.

206. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Il avait déjà revêtu de pourpre et d’or les nuages qui flottent autour de son trône occidental ; le soir s’avançait tranquille, et par degrés un doux crépuscule enveloppait les objets de son ombre uniforme. […] Ève, au contraire, s’abandonne ; elle est communicative et séduisante ; elle a même un léger degré de coquetterie.

207. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Dupont-White »

Magistrature, armée, sacerdoce, triple force de l’ordre éternel, appuyées à la force triple de la famille représentée par ses chefs, voilà la force majeure des pays, et visiblement, pour qui sait ouvrir les yeux et regarder, les deux degrés électoraux que Dieu a rangés autour du pouvoir, et dont, en réalité, seul il dispose. […] Malgré la force d’un esprit qu’il finira par énerver, et sur laquelle nous avons assez insisté, l’auteur de l’Individu et l’État a prouvé une fois de plus, et pour son compte, à quel degré la manie des théories vagues et l’idéologie philosophique portait malheur à la netteté de la pensée.

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