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34. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Or, le savant déçu par la science, même poursuivie avec succès, est aussi dramatique personnage que l’artiste heureux dégoûté de son art. […] Son savant est un conseiller municipal matérialiste. […] Demeurent, ou bientôt demeureront les seuls savants sincères, c’est-à-dire progressistes. […] En vérité, pour caractériser cet esprit fort, quel besoin d’un terme vague et savant, quand il en est un si français et qui le formule si bien ? […] C’est exactement ce que les savants appellent phénomène.

35. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Investi de la double aptitude de la science et de l’art d’écrire, le plus savant de tous les arts, Buffon est, au moins, toujours l’ordre, s’il n’est pas toujours la vérité ! […] Flourens a voulu nous peindre, consacrant à l’homme un talent très vif de biographe et au savant une science qui a l’accroissement de presque un siècle de plus. […] Flourens, il est vrai, n’est pas un savant délivrés ou d’idées pures, c’est un naturaliste, un expérimentateur, c’est-à-dire un esprit incessamment à l’affût du caractère interne ou externe des choses, et, pour cette raison, il ne pouvait guère oublier les caractères de l’homme dans le contemplateur du belvédère de Montbar. Dès les premières pages de cette biographie, où le savant que nous allons retrouver dans les Travaux et idées de Buffon se sent et pèse si peu, je vois, avant toute vocation scientifique, cette faculté de l’ordre que j’ai signalée et qui est la maîtresse-faculté et la faculté maîtresse dans Buffon. […] Si, vous autres savants, vous vous laissez entraîner ainsi hors du vrai limité, impérieux, immuable, que voulez-vous que nous devenions, nous, devant les beautés littéraires de cet homme qui fut certainement, en définitive, plus un grand artiste dans l’ordre scientifique qu’un savant !

36. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Edgar Quinet »

Il lance le sien, le ballon de sa Genèse, à lui, Nadar-Quinet, au nez de Moïse, qu’il ne cassera pas Ce n’est pas qu’il parle une seule fois, en le nommant, de Moïse, en ses deux volumes, dans sa neuve fierté de savant fabriqué à la vapeur. […] Edgar Quinet, auteur d’Ahasvérus, de Napoléon et de Merlin, qui n’a jamais pu être un poète, tout en se crevant comme la grenouille de la fable pour le devenir, a-t-il cru que ce dernier coup de tête, de se faire savant, lui serait une ressource ? […] Il n’a pas, dans Son livre, pour les savants, l’exactitude du savant ; il n’a pas non plus la beauté d’imagination du poète, pour les poètes ; — et il n’arrive, en se mettant une jambe deci dans la poésie, et une jambe de la dans la science, qu’à être le colosse de Rhodes de l’amphigouri ! […] Elle fait comprendre, en le montrant, cet être hybride et manqué, qui n’est ni un savant ni un poète, mais quelque chose des deux, cette espèce de Centaure intellectuel dont la partie inférieure n’est pas un cheval, comme le Centaure mythologique, mais une autre bête que je ne nommerai pas. […] Ils n’ont, comme tous les savants dans les sciences matérielles, que des causes secondes sous la main.

37. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Sur l’École française d’Athènes »

Le ministre de l’instruction publique, à qui toutes les pensées généreuses conviennent si naturellement265, n’a pas négligé celle-ci entre tant d’autres ; il a envoyé en Grèce un savant conseiller de l’Université, M.  […] L’ancienne Université y tenait pourtant par principes ; lorsque des amateurs instruits, comme Guys dans ses Lettres sur la Grèce, protestaient contre cette routine si pleine de cacophonie, les savants de profession, comme Larcher, s’efforçaient de démontrer que ce n’était pas routine, mais raison, et ils répondaient, sans se déconcerter, aux exemples tirés de la tradition, qu’après la prise de Constantinople par les Turcs, les savants grecs qui s’étaient réfugiés en Italie y avaient porté leur prononciation vicieuse. […] Et à qui donc devrait-on l’introduction, la naturalisation de la langue grecque en Occident, sinon à ces savants des xive et xve siècles, aux Chrysoloras, aux Théodore Gaza, aux Chalcondyle, aux Lascaris, à ceux enfin qui arrivaient tout pleins, comme d’hier, des antiques trésors, qui les possédaient par héritage et par usage, en vertu d’une tradition bien prolongée sans doute, mais ininterrompue  ? […] Sans se croire tout à fait au temps où le savant Philelphe épousait une femme grecque pour mettre la dernière main à son érudition et se polir à la langue jusque dans son ménage, on peut se dire que, du moment que la Grèce renaît aux doctes et sérieuses études de son passé, elle est plus voisine que nous du but et infiniment plus près de redevenir vivante.

38. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

Je veux seulement montrer comme les savants l’appliquent et sont forcés de l’appliquer. […] C’est en effet ce que les savants font tous les jours et sans l’interpolation toute science serait impossible. […] Il est clair qu’ils ne sont pas les mêmes pour le savant et pour l’ignorant. Mais peu importe, car si l’ignorant ne les voit pas tout de suite, le savant peut arriver à les lui faire voir par une série d’expériences et de raisonnements. […] Si l’on en croyait Tolstoï, les savants feraient ce choix au hasard, au lieu de le faire, ce qui serait raisonnable, en vue des applications pratiques.

39. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Rien n’autorise à penser qu’à cet égard il se séparât bien nettement de la plupart des médecins et des savants du xviiie  siècle ; mais ce qui ressort de plusieurs de ses discours, c’est que du moins il ne prenait aucune part au fanatisme négatif dont plus d’un était atteint, et que Condorcet, par exemple, professait. […] Il y est apprécié à sa hauteur comme savant : « Pour savoir tout ce que vaut M. de Buffon, il faut, messieurs, l’avoir lu tout entier. » On a dit de nos jours que Buffon n’avait été apprécié à ce titre de savant et non plus seulement d’écrivain que depuis une quinzaine d’années. […] Je n’ai point parlé de lui comme savant, comme anatomiste ; ceux qui sont compétents en ces matières lui accordent de l’étendue, des vues comparatives, et une faculté de généralisation qui ne nuisait nullement chez lui à l’examen du détail et à ses travaux particuliers comme observateur. […] Il poursuivait en apparence et avec le même zèle ses travaux de savant, et continuait de remplir ses fonctions de secrétaire de la Société royale. […] L’Académie française, comme toutes les sociétés savantes, était menacée d’une prochaine suppression.

40. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre III. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire sacrée & ecclésiastique. » pp. 32-86

Ce savant Ecrivain s’étoit chargé de revoir l’ouvrage du P. […] Voulez-vous un livre beaucoup plus savant & plus exact ? […] On sçait comment ce savant composa ce grand ouvrage. […] Nous avons obligation au savant & modéré M. […] Ce savant homme avoit formé son style sur les meilleurs modèles des premiers tems de l’Académie françoise.

41. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

M. de Saumaise, par exemple, est pour lui le type du grand homme littéraire contemporain, le demeurant des savants de la grande bande ; il l’appelle habituellement « ce grand héros des belles-lettres ». […] Les savants de Hollande, ces savants en us qu’il exalte tant, ne le reconnaissaient pas du tout comme un des leurs. […] Pellisson, le père Rapin et un petit nombre de savants gens du monde en étaient. […] Il restait presque tout seul du nombre des savants de Hollande. […] Flourens dans le Journal des savants (novembre et décembre 1847) ; — et aussi on se rappelle involontairement cet incomparable discours, dans Le Malade imaginaire, lorsque M. 

42. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Reçu avocat en novembre 1688, il prit sa profession très au sérieux, ne visa pas à être seulement un avocat élégant et beau plaideur comme Patru, mais voulut être et fut, en effet, un jurisconsulte appliqué, savant, un praticien habile et des plus consultés. […] On ne tire de lui rien de précis ; il ajourne, il est malade, il ne sait quand il travaillera ; « enfin, c’est un sot homme. » On voit par les lettres de Marais et du président Bouhier en quelle médiocre estime le tenaient ces vrais savants : lui, il n’était qu’un courtier de savants. […] Mais les savants à hébreu sont peu communicatifs. » Marais a raison, et il n’a manqué à Bayle, à « ce charmant auteur », comme il l’appelle, que la coupe française pour ainsi dire. […] Le savant historien ne convient pas du tout de cette omission, et il m’a fait, dans le temps, l’honneur de m’adresser une réclamation à laquelle j’ai promis de faire droit au moment où je réimprimerais ces articles. […] J’ai interrogé à ce sujet notre maître en Cicéron comme en tant d’autres choses, le savant doyen de notre Sorbonne littéraire, M. 

43. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Il commence à connaître le monde, les savants, M.  […] L’obscénité de Bayle (on l’a dit avec raison) n’est que celle même des savants qui s’émancipent sans bien savoir, et ne gardent pas de nuances. […] Le bon et savant Dugas-Montbel, dans les derniers mois de sa vie, avouait ne plus supporter que cette lecture d’érudition digérée et facile. […] Dans une note du Journal des Savants (juin 1836), M.  […] Le Clerc prétend du sien tirer d’autres usages ; Il est savant, exact, il voit clair aux ouvrages ;

44. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

Dans la discussion d’un point même d’histoire et de littérature, un digne savant ne se permettra pas plus une idée collatérale qu’un bon chimiste une métaphore dans un narré d’analyse. […] Joubert, dans une de ses plus vraies et de ses plus ingénieuses pensées, a dit : « Les savants fabriqués sont les eaux de Baréges faites à Tivoli. […] Dégager de notre Académie des Inscriptions les savants par essence des savants par art et même sans art, serait chose plus amusante qu’on ne croit. […] Les savants y ont encore échappé toutefois ; on les respecte. […] Les véritables précédents des journaux littéraires sont dans la correspondance des savants du xvie  siècle et de leurs successeurs de Hollande.

45. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Jugé digne de succéder à Buffon pour son fauteuil à l’Académie française, choisi pour son médecin par la reine Marie-Antoinette, Vicq d’Azyr embrasse dans sa courte et brillante carrière tout l’espace qui fut accordé à ce règne de Louis XVI depuis Turgot jusqu’au 21 janvier : après en avoir partagé et secondé dans sa mesure toutes les réformes et les espérances, il survit peu à cette ruine, à celle des académies dont il était membre, et de la société savante dont il était l’âme ; il périt comme une victime morale, sous une impression visible de deuil et de terreur. […] Ce fut sans doute lorsqu’il se tut pour écouter son semblable, pour recueillir ses paroles, pour se pénétrer de son esprit. » Et lorsque ces marques de respect et d’attention sont accordées à l’extrême jeunesse d’un homme studieux et déjà savant, la jouissance chez celui-ci est plus grande ; l’amour-propre s’y décore de chaleur et de sympathie. […] Dans les académies savantes, ce sont, au contraire, des vérités nouvelles qu’on cherche à découvrir, et celui qui invente ne se plie pas sans peine à des lois que la convention a dictées. […] Un des premiers grands éloges qu’il eut à prononcer fut celui de Haller, lu le 20 octobre 1778 ; il y peint assez bien le savant robuste et athlétique ; le Buffon suisse, cette espèce d’Hercule de la science physiologique, opiniâtre, actif, ambitieux, universel. […] Mais un savant qui se renferme dans sa bibliothèque, loin de toute société, peut-il se passer d’une compagne qui rende sa solitude aimable ?

46. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

La rencontre qu’il fit de l’abbé de La Caille dans une société le rendit élève de ce savant homme en astronomie. […] Savant déjà illustré dans la haute carrière, on le voit concourir en 1767 et en 1769 pour les Éloges de Charles V et de Molière, proposés par l’Académie française, et obtenir un accessit et une mention ; en 1768, il concourut pour l’Éloge de Pierre Corneille à l’Académie de Rouen et obtint également un accessit. […] Il faut y voir plutôt une noble construction, conçue en idée et en présence de l’Histoire naturelle de Buffon : des discours généraux en tête, puis une narration suivie, faite pour être lue et, jusqu’à un certain point, entendue de tous, des gens du monde comme des savants ; la discussion des faits, les preuves ou éclaircissements étaient rejetés dans une seconde partie du volume, plus particulièrement destinée aux astronomes et aux savants, mais nullement inaccessible au reste des lecteurs, pour peu qu’ils fussent attentifs et curieux. […] Il en était de lui comme de l’abbé Barthélemy et de Vicq d’Azyr : le savant aspirait à plaire, et il y réussissait. […] Letronne, composé par ce savant dans sa jeunesse et quand il partageait encore quelques-unes des illusions scientifiques du xviiie  siècle.

47. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Telle est l’âme des vrais savants, un foyer d’enthousiasme, voilé souvent sous les nuages de la méditation, dans les intervalles laborieux de la recherche, mais toujours brûlant au dedans. […] Nul n’est digne du nom de savant s’il ne sent ce qu’il y a d’inachevé dans son œuvre. Et en cela le savant ressemble à l’artiste ; il n’y a de grand artiste que celui qui cherche toujours au-delà. […] Une des plus graves erreurs du poète, à mon avis, c’est le choix qu’il a fait de rythmes trop savants, trop particuliers, trop limités. […] Avec son imagination savante, quels riches tableaux il aurait pu tracer !

48. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Mais avant de le faire, et de venir ainsi à ce qui est votre objet, je dirai un mot de votre méthode — méthode dont je comprends qu’elle déroute un certain nombre de savants. […] Tel est, je crois, le raisonnement « subconscient » de certains savants. […] Un de nos grands médecins était là, qui fut un de nos grands savants. […] C’est la petite jeune fille qui avait raison, et c’est le grand savant qui avait tort. […] J’arrive à la cause plus profonde qui a retardé jusqu’ici la « recherche psychique » en dirigeant d’un autre côté l’activité des savants.

49. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Sainte-Beuve, empêché par sa santé, la page suivante, qui est un hommage tout littéraire rendu au savant et à l’ami : « Messieurs, ce ne serait point à moi de venir prononcer quelques paroles en l’honneur du savant homme dont le cher et respecté souvenir nous réunit dans cette commémoration funèbre : ce serait à quelqu’un de ses vrais collègues, de ses pairs (parcs), de ses vrais témoins et juges en matière d’érudition : mais ils sont rares, ils sont absents, dispersés en ce moment ; — mais quelques-uns de ces meilleurs juges de l’érudition de Dübner sont hors de France, à Leyde, à Genève, dans les Universités étrangères ; mais Dübner en France, aussi modeste qu’utile, aussi absorbé qu’infatigable dans ses travaux, n’appartenait à aucune académie, et tandis que son illustre compatriote et devancier parmi nous, M.  […] « Oui, je le remarque avec peine, avec regret pour la France, l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres a laissé vivre et mourir, sans se l’associer, ce savant homme si essentiel, dont la perte est reconnue aujourd’hui, par tous ceux qui ont droit d’avoir un avis en ces matières, comme immense et presque irréparable. […] « Aux savants seuls il appartient de fixer le rang qu’occupera Dübner dans l’histoire des progrès de la philologie et de la critique au xixe siècle : on devra toutefois considérer, en appréciant ses mérites, qu’il ne lui fut jamais donné de les développer en pleine liberté dans un travail tout à fait original et individuel ; il était toujours plus ou moins commandé par les conditions matérielles des publications auxquelles il s’employait. […] Victor Le Clerc et précisément comme d’un candidat possible pour l’Académie des Inscriptions, le savant et pédant doyen lui répondit de sa voix la plus aigre : « Nous avons résolu à l’Académie de ne nommer personne pour de simples recensions de textes. » M.  […] Selon l’un de ces savants et spirituels universitaires, Dübner aurait été injuste envers M. 

50. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

« Il ne trouvait rien effectivement, dit le savant auteur de sa vie, qui lui parût moins solide que de s’occuper de nombres tout simples et de figures imaginaires, comme si l’on devait s’en tenir à ces bagatelles, sans porter la vue au-delà. […] D’Alembert aurait aujourd’hui le sort de Varignon et de Duhamel, dont les noms encore respectés de l’École n’existent plus pour le monde que dans les éloges académiques, s’il n’eût mêlé la réputation de l’écrivain à celle du savant. Un poète avec quelques vers passe à la postérité, immortalise son siècle, et porte à l’avenir les hommes qu’il a daigné chanter sur sa lyre : le savant, à peine connu pendant sa vie, est oublié le lendemain de sa mort. […] C’est Corneille, Racine, Boileau, ce sont les orateurs, les historiens, les artistes, qui ont immortalisé Louis XIV, bien plus que les savants qui brillèrent aussi dans son siècle. […] Dans les sciences, celui qui vient le dernier est toujours le plus instruit : voilà pourquoi tel écolier de nos jours est plus avancé que Newton en mathématiques ; voilà pourquoi tel qui passe pour savant aujourd’hui, sera traité d’ignorant par la génération future.

51. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

Lorsque les savants, qui seuls parlent d’eux avec compétence, auront assez répété à la masse ignorante et superficielle ce que furent Geoffroy Saint-Hilaire, Ampère et Cuvier, ce triumvirat de génie, ces grands hommes, trop enterrés dans leur science même et la technicité de leur langage, ne seront plus cachés par l’éclat de personne et auront sur leur nom autant de rayons qu’on leur en doit. Seulement, jusque-là, ne nous étonnons pas que Humboldt, qui est moins un savant, dans le sens profond et découvrant du mot, qu’un magnifique beau parleur scientifique, tienne toute l’oreille et toute l’attention d’un public, pour lequel il a voulu, et presque exclusivement, parler ! […] c’est l’écrivain, bien plus que le savant, qui fait la valeur du Kosmos, et à cet égard celui qui l’écrivit pense comme ceux qui le lisent, le docte comme les ignorants ! […] Du reste, il n’y a pas que ce beau langage, à triple détente ou à triple illusion, qui fait croire peut-être aux savants qu’ils sont des poètes, — aux poètes qu’ils sont des savants, — et aux ignorants sans imagination (la foule) qu’ils sont des poètes et des savants tout à la fois, — il n’y a pas que cette langue confuse, qui plaît aux esprits troublés dont elle augmente le trouble, avec quoi l’on puisse expliquer la popularité de Humboldt et le prosternement général devant son génie.

52. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

Lorsque les savants qui seuls parlent d’eux avec compétence auront assez répété à la masse ignorante et superficielle ce que furent Geoffroy Saint-Hilaire, Ampère et Cuvier, ce triumvirat de génie, ces grands hommes, trop enterrés dans leur science même et la technicité de leur langage, ne seront plus cachés par l’éclat de personne et auront sur leur nom autant de rayons qu’on leur en doit. Seulement, jusque-là, ne nous étonnons pas que Humboldt, qui est moins un savant, dans le sens profond et découvrant du mot, qu’un magnifique beau parleur scientifique, tienne toute l’oreille et toute l’attention d’un public, pour lequel il a voulu, et presque exclusivement, parler ! […] c’est l’écrivain, bien plus que le savant, qui fait la valeur du Kosmos, et à cet égard celui qui l’écrivit pense comme ceux qui le lisent, le docte comme les ignorants ! […] Du reste, il n’y a pas que ce beau langage, à triple détente ou à triple illusion, qui fait croire peut-être aux savants qu’ils sont des poëtes, — aux poëtes qu’ils sont des savants — et aux ignorants sans imagination (la foule) qu’ils sont des poëtes et des savants tout à la fois, il n’y a pas que cette langue confuse qui plaît aux esprits troublés, dont elle augmente le trouble, avec quoi l’on puisse expliquer la popularité de Humboldt et le prosternement général devant son génie.

53. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. […] Tels sont les magnifiques objets sur lesquels roulent ces éloges savants. […] Les uns, nés dans la pauvreté, ou se précipitant dans une indigence volontaire, aiment mieux renoncer à subsister qu’à s’instruire ; les autres, nés dans ce qu’on appelle un rang, bravent la mollesse et la honte, et ont le double courage et de devenir savants et de l’avouer. […] L’homme peu instruit voit une surface d’idées qui l’intéresse ; l’homme savant découvre la profondeur cachée sous cette surface ; ainsi il donne des idées à l’un, et réveille les idées de l’autre. […] Je ne puis finir cet article sur les éloges des gens de lettres et des savants, sans parler encore d’un ouvrage de ce genre, qui porte à la fois l’empreinte d’une imagination forte et d’un cœur sensible ; ouvrage plein de chaleur et de désordre, d’enthousiasme et d’idées, qui tantôt respire une mélancolie tendre, et tantôt un sentiment énergique et profond ; ouvrage qui doit révolter certaines âmes et en passionner d’autres, et qui ne peut être médiocrement ni critiqué ni senti : c’est l’éloge de Richardson, ou plutôt, ce n’est point un éloge, c’est un hymne.

54. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 88-90

DACIER, [Anne] fille du savant M. […] Dacier, née à Saumur en 1651, morte à Paris en 1720, a été la femme la plus savante ou la plus érudite que la France & peut-être les autres pays aient produite. […] Un Savant d’Allemagne la pria d’inscrire son nom avec une sentence parmi ceux des Hommes célebres qu’il avoit vus dans ses Voyages.

55. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Après son premier jet poétique et sa première moisson si riche, si puissante et comme indomptable, il s’apaisa, parut avoir tout donné, et se mit à étudier le monde en savant. […] Il avait fort souffert du premier accueil que les savants de profession avaient fait à ses idées ; et, même dans ses derniers jours, la blessure n’était pas encore guérie. […] Quand il se mettait sur la prévention, sur la petitesse d’esprit avec laquelle tels ou tels savants se refusent à accepter ce qui ne leur est pas présenté par un homme du métier, il ne tarissait pas. […] il aurait dû se borner à n’être, comme savant, que le premier des amateurs. […] Ils ont une manière de blâmer fine et galante : au contraire, nos savants allemands croient toujours qu’il faut se dépêcher de haïr celui qui ne pense pas comme nous.

56. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

C’est là, messieurs, que les savantes recherches de M.  […] Le savant M.  […] De savants hommes estiment qu’elle n’était pas autre que la langue romane. […] Quelques savants même en ont douté ; mais on peut leur opposer une très forte autorité. […] L’opinion des savants, et des plus savants, est, à cet égard, fort diverse.

57. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

L’influence provençale vint, aux enviions de 1150, interrompre le courant du lyrisme original de la France, et susciter chez nous une poésie artificielle et savante : mais en même temps, mettant les vers lyriques en honneur, elle contribua à sauver quelques débris de la production populaire des siècles antérieurs ; elle éveilla sur eux la curiosité qui les lit écrire et nous les a transmis. […] Mais ces empreintes de la personnalité sont bien légères, et cessent vite : et, au contraire, le trait le plus sensible de notre lyrisme savant, c’est combien du premier au dernier jour il n’a été que fade convention, monotone recommencement et méthodique exploitation de thèmes communs. […] Dans le lyrisme savant, en résumé, rien n’est populaire, ni fond, ni forme ; par le raffinement des pensées, par l’artifice des vers, ces œuvres procèdent d’une essentielle aversion pour le vulgaire naturel : au bon sens, elles substituent l’esprit, et se proposent le plaisir d’une élite d’initiés, non l’universelle intelligibilité. […] Paris, les Origines de la poésie lyrique en France, journal des Savants, nov., déc. 1891, mars et juillet 1892. […] L’entrelacement des rimes est emprunté aux chansons savantes. — Virelis : tient du rondet et de la ballette : ABccabAB.

58. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Les lettres françaises doivent à ce beau dessein deux ouvrages charmants, la Pluralité des mondes et les Éloges des savants. […] Les Éloges des savants. […] Faire siéger dans la même Académie, à côté des savants français, les savants étrangers, c’est une des plus grandes idées inspirées à Louis XIV par Colbert. […] On n’a que faire, d’ailleurs, d’être un savant pour goûter, dans le recueil de Fontenelle, les fins portraits qu’il a tracés. […] Dans les Éloges des savants, loin de rabaisser les illustres, il élève les plus humbles.

59. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Le savant n’a pas de style. […] Les poètes savants commencent à parler. […] Essayez de distinguer la porte d’un savant de celle d’un marchand ! […] Car les savants n’ont détruit que dans le but d’édifier. […] En France, un noble savant, M. 

60. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Aujourd’hui le savant admet des forces ou des lois ; c’est toujours quelque chose qui gouverne le phénomène. […] Ce qui sépare encore le savant systématique du savant expérimentateur, c’est que le premier impose son idée, tandis que le second ne la donne jamais que pour ce qu’elle vaut. […] Peu importe au savant d’avoir la vérité absolue, pourvu qu’il ait la certitude des relations des phénomènes entre eux. […] Cependant Bacon n’était point un savant, et il n’a point compris le mécanisme de la méthode expérimentale. […] Il faut sans doute que dans ce travail successif le savant connaisse ce qu’ont fait ses devanciers et en tienne compte.

61. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

Il ne se peut rien de plus opposé : c’est un journal tout intime, écrit par un savant pieux, qui vit dans l’étude et dans la continuelle présence de Dieu, qui s’interroge à chaque heure sur toutes ses actions, sur ses sentiments les plus secrets, et qui se confesse, à vrai dire, — mêlant à tout, à ses traverses de fortune, à ses joies et à ses tribulations domestiques, comme à ses éruditions profanes, la pensée chrétienne la plus vigilante et la prière. — « Avez-vous lu le journal de Casaubon ? […] Casaubon est un des savants les plus solides, les plus substantiels de son temps, un des derniers de cette grande race du xvie  siècle qui en compte de si prodigieux ; mais en même temps il n’a rien, pour l’emphatique et le farouche, de ces grands preux de pédanterie, comme on a pu appeler les Scaliger. […] Mais le journal, à cette date, est déjà commencé ; nous avons un guide sûr, un témoin confidentiel de chaque jour : profitons-en pour pénétrer dans le cabinet et dans le cœur du plus honnête des savants. […] alliance étroite et bien rare, chez un savant du xvie  siècle et un homme de la Renaissance, de ce culte des lettres profanes avec le culte du Dieu toujours présent et vivant ! […] Le plus grand inconvénient pour notre savant dans cette nouvelle et dernière patrie, c’est que le goût du roi le dirigea sur la théologie et le poussa à écrire contre Baronius.

62. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Un savant fait oublier un savant ; un poëte ne fait pas oublier un poëte. […] La science est un acquêt de l’homme, la science est une échelle, un savant monte sur l’autre. […] Un savant géomètre magicien, le même qui conseilla à Valens de décapiter tous ceux dont le nom commençait par Théod. […] Les savants sont pris de scrupules devant l’étude. […] Pascal savant est dépassé ; Pascal écrivain ne l’est pas.

63. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Mme Stern n’est en réalité qu’une volontaire, toujours en révolte contre son organisme féminin, et la volonté n’a jamais mieux démontré qu’elle n’est pas le talent et qu’elle peut être l’impuissance… Savante, dit-on, du moins de pose savante ; allemande d’éducation intellectuelle ; hégélienne peut-être et, dans tous les cas, très digne de l’être, elle a trouvé que ce n’était pas encore assez de savoir l’allemand et elle s’est mise à apprendre le hollandais pour faire le livre que voici. […] Cela demandait une étude trop continue et trop à fond pour un simple bas-bleu, qui tient à passer pour savante, mais qui a, dans sa robe, tout autre chose qu’un Bénédictin. […] C’était Mlle de Lézardière, savante peut-être comme Mme Daniel Stern ne l’est pas. […] … Et comme à, ses yeux parmi les hommes, les plus mâles dans l’ordre intellectuel et moral sont les plus savants, les plus philosophes, les plus puritains, elle se fait, à bras raccourci, savante, philosophe, puritaine. Savante, elle avale le hollandais, fâcheuse pilule !

64. (1890) L’avenir de la science « I »

L’homme parfait serait celui qui serait à la fois poète, philosophe, savant, homme vertueux, et cela non par intervalles et à des moments distincts (il ne le serait alors que médiocrement), mais par une intime compénétration à tous les moments de sa vie, qui serait poète alors qu’il est philosophe, philosophe alors qu’il est savant, chez qui en un mot, tous les éléments de l’humanité se réuniraient en une har-monie supérieure, comme dans l’humanité elle-même. La faiblesse de notre âge d’analyse ne permet pas cette haute unité ; la vie devient un métier, une profession ; il faut afficher le titre de poète, d’artiste ou de savant, se créer un petit monde où l’on vit à part, sans comprendre tout le reste et souvent en le niant. […] Or l’humanité cultivée n’est pas seulement morale ; elle est encore savante, curieuse, poétique, passionnée. […] Mais ce qui pourra devenir possible dans une forme plus avancée de la culture intellectuelle, c’est que le sentiment qui donne la vie à la composition de l’artiste ou du poète, la pénétration du savant et du philosophe, le sens moral du grand caractère, se réunissent pour former une seule âme, sympathique à toutes les choses belles, bonnes et vraies, et pour constituer un type moral de l’humanité complète, un idéal qui, sans se réaliser dans tel ou tel, soit pour l’avenir ce que le Christ a été depuis dix-huit cents ans  un Christ qui ne représenterait plus seulement le côté moral à sa plus haute puissance, mais encore le côté esthétique et scientifique de l’humanité.

65. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Francis Wey » pp. 229-241

Comme les rats de La Fontaine : Qui, les livres rongeants, Se font savants jusques aux dents, Wey est bien savant jusque-là, mais il les montre toujours dans un sourire très franc, ces dents saines que la science n’a pas gâtées et sur lesquelles le Pédantisme n’a jamais allongé son insupportable moue et fait son museau de dignité. […] Le meilleur, en lui, c’est l’antiquaire, c’est le déchiffreur de titres, c’est le savant, — un savant rare, le savant qui ne rabâche jamais !

66. (1915) La philosophie française « II »

Si, pour mesurer la profondeur de leur pensée et pour la comprendre pleinement, il faut être philosophe et savant, néanmoins il n’est pas d’homme cultivé qui ne soit en état de lire leurs principales œuvres et d’en tirer quelque profit. […] Ailleurs, en Allemagne par exemple, tel philosophe a pu être savant, tel savant a pu être philosophe ; mais la rencontre des deux aptitudes ou des deux habitudes a été un fait exceptionnel et, pour ainsi dire, accidentel. […] Bien rares, en France, sont les savants, les écrivains, les artistes et même les artisans qui s’absorbent dans la matérialité de ce qu’ils font, qui ne cherchent pas à extraire — fût-ce avec maladresse, fût-ce avec quelque naïveté — la philosophie de leur science, de leur art ou de leur métier.

67. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XII. Des livres de jurisprudence » pp. 320-324

Collection savante, qui suffit seule pour se mettre au fait de tout ce qui concerne les matieres canoniques & bénéficiales. […] Cet important ouvrage est précédé d’une histoire du droit canonique fort savante. […] Si les livres précédens ne suffisoient pas, on pourroit se procurer tous les traités que le savant Gibert a donné sur les matieres bénéficiales.

68. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Il a donc été écouté, mais pas avec toute l’attention et le silence qui sont dus à tout organe de l’enseignement public, et auxquels avait droit particulièrement un savant qui est maître en son genre. […] Charles Nodier, Victor Hugo, avaient énergiquement tonné contre la bande noire ; des savants positifs, les antiquaires de Normandie, M. de Caumont, Auguste Le Prévost, un si bon et si aimable esprit, décrivaient et remettaient en honneur les monuments, églises, restes d’abbayes et de moutiers, de leur riche province ; pionniers utiles, ils amassaient des matériaux pour un futur classement complet qui se ferait d’après l’observation comparée des caractères. […] Que de courses archéologiques je me rappelle et à Paris et hors de Paris, à l’abbaye de Saint-Denis, à l’église de Sarcelles, à Écouen, ou tout simplement au réfectoire de Saint-Martin des Champs, en la compagnie de ces savants hommes ; que d’occasions de bien savoir et d’apprendre, dont j’ai trop peu profité ! […] Viollet-Le-Duc se sépare des architectes classiques proprement dits, à le suivre dans les fines et savantes explications qu’il a données de l’architecture française des XIIe et XIIIe siècles, sa grande et principale étude, son vrai domaine royal, si je puis ainsi parler, et à y reconnaître avec lui, sous des formes si différentes à l’œil, et si grandioses à leur tour ou si charmantes, quelque chose de ces mêmes principes et de ce libre génie dont l’art s’est inspiré et s’inspira toujours aux époques d’invention heureuse et de florissante originalité ; tellement qu’à ne voir que l’esprit, il y a plus de rapport véritable entre les grands artistes de la Grèce et nos vieux maîtres laïques bâtisseurs de cathédrales, qu’entre ces mêmes Phidias ou Ictinus d’immortelle mémoire et les disciples savants, réguliers, formalistes, qui croient les continuer aujourd’hui. […] Viollet-Le-Duc, il a rencontré ou saisi l’occasion de parler de lui avec éloge dans le Journal des Savants (mars 1864) : il a rendu pleine justice à l’archéologue et l’érudit.

69. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

À une époque où l’on demande avant tout au savant de quoi il s’occupe et à quel résultat il arrive, la philologie a dû trouver peu de faveur. […] Sans doute plusieurs des philologues, dont les savantes études nous ont ouvert l’antiquité, n’ont rien vu au-delà du texte qu’ils interprétaient et autour duquel ils groupaient les mille paillettes de leur érudition. […] La Chine, l’Inde, l’Arabie, la Syrie, la Grèce, Rome, les nations modernes ont connu ce moment où le travail intellectuel de spontané devient savant et ne procède plus sans consulter ses archives déposées dans les musées et les bibliothèques. […] Un savant élève de M.  […] Pourquoi un des plus beaux génies des temps modernes, Herder, dans ce traité De la Poésie des Hébreux, où il a mis toute son âme, est-il si souvent inexact, faux, chimérique, si ce n’est pour n’avoir point appuyé d’une critique savante l’admirable sens esthétique dont il était doué ?

70. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Bien des chances lui étaient offertes dès lors, et dans le siècle suivant, par la dispersion de la Grèce sur tant de points du monde, par cet appel qu’une langue, une civilisation savante et victorieuse venaient faire aux intelligences diverses de tant d’indigènes d’Europe, d’Asie et d’Afrique, rapprochés par la conquête d’Alexandre. […] Empreints par leur date et l’état du monde gréco-barbare d’un caractère de curiosité savante et de subtilité, ils gagnaient surtout à se rapprocher et à s’étayer de quelques découvertes de la science. […] À l’invocation du dieu, au récit savant, pour être plus religieux, de son antique légende, succède cette pensée que Jupiter est particulièrement le dieu des rois ; et de là, un tableau pompeux de la royauté même. […] Ainsi, dans l’hymne de Callimaque à Apollon, ce dieu privilégié de la cour savante de Ptolémée, l’érudition moderne a relevé, comme une imitation du Psalmiste, ces vers pieusement adulateurs : « Qui lutte avec les dieux soit en guerre avec mon roi ! […] Mais la protection lui manqua, comme la liberté, sous le long règne de Hiéron II ; et il tourna son espérance vers cette cour nouvelle d’Alexandrie, qui de toutes parts recueillait les savants et les livres.

71. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Louÿs, Pierre (1870-1925) »

Pierre Louÿs est tout à fait un poète : sa forme savante qui gênait l’émotion a soudain pu l’enserrer. […] Soyez sûrs que les cendres de Gautier ont frémi de joie, à l’apparition de ce livre, et que, dans le paradis des lettrés, l’ombre de Flaubert hurle, à l’heure qu’il est, des phrases de Pierre Louÿs, les soumet à l’infaillible épreuve de son gueuloir, et qu’elles la subissent victorieusement… Enfin voilà donc un jeune, un vrai jeune — Pierre Louÿs n’a pas vingt-six ans — qui nous donne un beau livre ; un livre écrit dans une langue impeccable, avec les formules classiques et les mots de tout le monde, mais rénovés et rajeunis à force de goût et d’art ; un livre très savant et où se révèle, à chaque page, une connaissance approfondie de l’antiquité et de la littérature grecque, mais sans pédantisme aucun et ne sentant jamais l’huile et l’effort ; un livre dont la table contient sans doute un symbole ingénieux et poétique, mais un symbole parfaitement clair ; un livre, enfin, qui est vraiment issu de notre tradition et animé de notre génie et dans lequel la beauté, la force et la grâce se montrent toujours en plein soleil, et inondées d’éclatante lumière ! […] Pierre Louÿs lui-même, en guise d’avant-propos aux Lectures antiques, que depuis quelque temps il publie régulièrement dans le Mercure de France, nous a conté qu’un savant professeur de faculté, ancien élève de l’École d’Athènes, et à qui il avait envoyé son ouvrage, lui répondit qu’il avait, avant lui, lu l’œuvre de Bilitis.

72. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XV. Le fils du sérigne »

Le fils du sérigne (Ouolof) Samba Atta Dâbo, l’exorciste, m’a raconté ceci : Il y avait un sérigne165 très savant qui envoya son fils voyager : « Pars demain matin de bonne heure, lui recommanda-t-il, et la première chose que tu trouveras sur ton chemin, avale-la. […] répond le savant marabout, celui-ci a dit vrai en se donnant ce nom. […] Marabout, savant musulman.

73. (1875) Premiers lundis. Tome III « Instructions sur les recherches littéraires concernant le Moyen Âge »

Les questions se multiplient en avançant vers le xvie  siècle, et je n’énumère pas tout ce qu’on pourrait demander d’utile et de nouveau à cette époque véritablement savante, où la connaissance directe de l’Antiquité et l’essor du génie moderne redoublent d’émulation. […] L’imprimerie n’a pas mis au jour, autant qu’il serait naturel de le croire, tous les écrits importants des savants du xvie  siècle et du xviie . […] On a publié, il y a quelques années, un ouvrage mathématique de Descartes, qu’on ne s’attendait pas à rencontrer : il peut en être ainsi, à plus forte raison, de ses savants prédécesseurs du xvie  siècle, de Viète, par exemple. […] Il importe, pour combler une grande lacune dans notre histoire littéraire, de connaître et de recueillir de plus en plus complètement les monuments de cette période, que les Bénédictins et leurs savants continuateurs n’ont fait qu’entamer. […] Tout ce qu’on en pourra découvrir et recueillir sera porté à l’information des personnes savantes qui se sont occupées plus particulièrement de cette branche de notre littérature, et qui sont désormais maîtres reconnus en pareille matière.

74. (1890) L’avenir de la science « Sommaire »

Des savants orthodoxes. […] Le savant seul a le droit d’admirer. […] La langue ancienne, bannie de l’usage, reste sacrée, savante, classique. […] Le savant seul a le droit d’admirer. […] Le peuple n’aime pas les sages et les savants.

75. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Indépendant, paisible, il s’est fait de l’exclusion des passions, de la vie intellectuelle et contemplative une philosophie, une morale, un bonheur : sa carrière nous offre l’unité d’une belle existence de savant, tout dévoué à la science et à son œuvre. […] On peut en croire Cuvier : Buffon est un grand esprit de savant. […] Les philosophes lui en voulurent : ils ne lui pardonnèrent pas de ne vouloir être que savant dans une œuvre de science. […] Son esprit de savant accoutumé à considérer l’immensité des périodes géologiques et la lenteur des transformations de l’univers n’avait pas la fièvre, l’impatience, les révoltes, les illusions puériles, les faciles espérances qui échauffaient les esprits de ses contemporains : il ne croyait pas aux brusques renversements qui renouvellent le monde, il ne croyait pas surtout toucher de la main l’ère de la raison universelle et du bonheur parfait.

76. (1890) L’avenir de la science « VII »

Hâtons-nous de le dire : il sera injuste d’exiger du savant la conscience toujours immédiate du but de son travail, et il y aurait mauvais goût à vouloir qu’il en parlât expressément à tout propos ; ce serait l’obliger à mettre en tête de tous ses ouvrages des prolégomènes identiques. […] Autrefois il y avait place pour ce petit rôle assez innocent du savant de la Restauration ; rôle demi-courtisanesque, manière de se laisser prendre pour un homme solide, qui hoche la tête sur les ambitieuses nouveautés, façon de s’attacher à des mécènes ducs et pairs, qui pour suprême faveur vous admettraient au nombre des meubles de leur salon ou des antiques de leur cabinet ; sous tout cela quelque chose d’assez peu sérieux, le rire niais de la vanité, si agaçant quand il se mêle aux choses sérieuses ! […] Le curieux et l’amateur peuvent rendre à la science d’éminents services ; mais ils ne sont ni le savant ni le philosophe. […] Mais ce qu’il importe de maintenir, c’est que cette curiosité n’a aucune valeur morale immédiate et qu’elle ne peut constituer le savant.

77. (1890) L’avenir de la science « XX »

Perdiguier a beau nous dire que son histoire est pour les ouvriers ; que tous ses devanciers ont traité l’histoire en hommes classiques, en pédants de collège ; je ne sache pas qu’à y ait deux histoires, une pour les lettrés, une pour les illettrés ; et je ne connais qu’une seule classe d’hommes capables de l’écrire : ce sont les savants brisés par une longue culture intellectuelle à toutes les finesses de la critique. […] Le goût du riche, en effet, faisant le prix des choses, un jockey, une danseuse qui correspondent à ce goût sont des personnages de plus de valeur que le savant ou le philosophe, dont il ne demande pas les œuvres. Voilà pourquoi un fabricant de romans-feuilletons peut faire une brillante fortune et arriver à ce qu’on appelle une position dans le monde, tandis qu’un savant sérieux, eût-il fait d’aussi beaux travaux que Bopp ou Lassen, ne pourrait en aucune manière vivre du produit vénal de ses œuvres. […] Être savant, sage, philosophe ?

78. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Avertissement de l’auteur »

Après un petit nombre de séances, une maladie grave m’empêcha, à cette époque, de poursuivre une entreprise encouragée, dès sa naissance, par les suffrages de plusieurs savants du premier ordre, parmi lesquels je pouvais citer dès lors MM.  […] Cette première partie n’a point encore été formellement publiée, mais seulement communiquée par la voie de l’impression, à un grand nombre de savants et de philosophes européens. […] Il y a, sans doute, beaucoup d’analogie entre ma philosophie positive et ce que les savants anglais entendent, depuis Newton surtout, par philosophie naturelle.

79. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

Ce n’est pas seulement un littérateur, c’est un savant ; mais c’est un savant dont l’esprit agile ne s’est point exclusivement cantonné dans les questions de critique ou d’histoire littéraire. Pour ma part, j’aime ces Centaures intellectuels, moitié savants, moitié artistes, et M. d’Héricault en est un… D’une main alerte et compétente, il a touché à une foule de sujets, même au roman. […] Ce savant, ce lettré, maniait le fusil du chasseur. […] Mais les habitudes du savant, du chercheur, de l’observateur, l’ont emporté sur les puissances de l’artiste.

80. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Un savant jésuite, le père Hardouin, s’était jeté aussi à la traverse dans le combat et avait publié une Apologie d’Homère (1716) : mais quelle apologie ! […] Quant à ce qui est de sa personne et de son caractère dans la société, un certain abbé Cartaud de La Vilate nous la représente sous une forme grotesque et ridicule qui ne fut jamais la sienne : « J’ai ouï dire, prétend-il facétieusement, à une personne qui a longtemps vécu avec elle, que cette savante, une quenouille à son côté, lui récita l’adieu tendre d’Andromaque à Hector avec tant de passion qu’elle en perdit l’usage des sens. » Ce sont là des exagérations et des caricatures sans vérité ; il ne faudrait pas croire que Mme Dacier fût devenue en vieillissant une demoiselle de Gournay, une sorte de sibylle qui représentait avec emphase et solennité le bon vieux temps. Saint-Simon, le maître et le juge des mœurs sévères et bienséantes, a dit : La mort de Mme Dacier fut regrettée des savants et des honnêtes gens. […] Sa fille se fit catholique après sa mort, et se maria à Dacier, garde des livres du Cabinet du roi, qui était de toutes les Académies, savant en grec et en latin, auteur et traducteur. […] Elle n’était savante que dans son cabinet ou avec des savants ; partout ailleurs simple, unie, avec de l’esprit, agréable dans la conversation, où on ne se serait pas douté qu’elle sût rien de plus que les femmes les plus ordinaires.

81. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Mais ce n’est pas du latin savant, du latin cicéronien, c’est du latin vulgaire parlé par le peuple et graduellement altéré, que sont sortis, après des siècles de tâtonnement, les différents dialectes provinciaux dont était celui de l’Île-de-France, lequel a fini par se subordonner et par supplanter les autres ; lui seul est devenu la langue, les autres sont restés ou redevenus des patois58. […] Ils n’ont pas été transportés d’un jour à l’autre et faits de toute pièce, tout roides et tout neufs, d’après une langue savante et morte, que l’on ne comprend que par les yeux et plus du tout par l’oreille. […] Quand ils ont été écrits pour la première fois, ils ne l’ont pas été par des savants. […] La difficulté est surtout pour les mots savants et d’origine plus récente, importés à partir du xvie  siècle, depuis l’époque de la Renaissance, et la plupart tirés du grec avec grand renfort de lettres doubles et de syllabes hérissées. […] Sans doute l’introduction de la plupart de ces mots s’étant faite par les savants et d’autorité, pour ainsi dire, non insensiblement et par le peuple, ce ne saurait être à la manière du peuple et, comme cela s’est passé pour le premier fonds ancien de mots latins, par une usure lente et continuelle, que la simplification devra s’opérer.

82. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

N’oublions Pas que, nonobstant cet aveu il est déjà bien petit dans le monde savant le nombre des intelligences embrassant dans leurs conceptions l’ensemble même d’une science unique, qui n’est cependant à son tour qu’une partie d’un grand tout. […] Qu’en même temps, les autres savants, avant de se livrer à leurs spécialités respectives, soient rendus aptes désormais, par une éducation portant sur l’ensemble des connaissances positives, à profiter immédiatement des lumières répandues par ces savants voués à l’étude des généralités, et réciproquement : à rectifier leurs résultats, état de choses dont les savants actuels se rapprochent visiblement de jour en jour. […] En un mot, l’organisation moderne du monde savant sera dès lors complètement fondée, et n’aura qu’à se développer indéfiniment, en conservant toujours le même caractère. […] Les véritables savants, les hommes voués aux études positives, en sont encore à demander vainement à ces psychologues de citer une seule découverte réelle, grande ou petite, qui soit due à cette méthode si vantée. […] Encore même, ces notions si clairsemées, proclamées avec tant d’emphase, et qui ne sont dues qu’à l’infidélité des psychologues à leur prétendue méthode, se trouvent-elles le plus souvent ou tort exagérées, ou très incomplètes, et bien inférieures aux remarques déjà faites sans ostentation par les savants sur les procédés qu’ils emploient.

83. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Saumaise en prit des copies qui circulèrent dans le monde savant et furent longtemps la friandise des plus doctes. […] Les savants vivaient donc, ils vivront longtemps et toujours sur l’Anthologie publiée et commentée par Jacobs ; mais les profanes étaient exclus. […] Dehèque (car c’est lui), un savant modeste, aimable, qui n’a cessé, dès sa tendre jeunesse, de cultiver les lettres grecques au milieu des soins d’une administration laborieuse, et que l’Institut a fini par reconnaître et adopter pour l’un des siens ; M.  […] Trois savants hommes, dans la seconde moitié du siècle dernier, se sont attachés à le faire connaître, à dégager son œuvre, sa personnalité en tant que poète, Reiske, Ilgen et Meinecke : ces noms, familiers aux savants, présentent l’idée d’une érudition profonde unie à un goût sûr ; on ne court pas risque de s’égarer en les suivant, et en ayant de plus M.  […] Enfin, un jeune savant de Bordeaux, helléniste de la première distinction, mort depuis, M. 

84. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

« Il paraîtrait, remarque sir Walter Scott, que les allusions classiques sont familières aux soldats français, ou bien que, sans être plus savants que d’autres, ils sont flattés qu’on les suppose capables de les comprendre. […] « Des ânes », dit il avec un tour particulier d’atticisme que nous ne pensions pas de mise dans l’illustre Édimbourg, « des ânes, seules bêtes de somme qu’on puisse se procurer facilement en Égypte, servaient de monture  aux savants attachés à l’expédition, et portaient leurs  instruments scientifiques. Le général avait donné  l’ordre qu’on veillât à leur sûreté, et il fut obéi ;  mais comme ces citoyens avaient peu d’importance aux yeux des soldats, de longs éclate de rire, partaient de tous les rangs, lorsque, se préparant à recevoir les mameluks, les généraux de division criaient avec le laconisme militaire : — Placez les ânes et les savants au milieu du carré […]   — Les soldats s’amusaient aussi appeler les ânes des demi-savants : mais, dans les moments difficiles, ils injuriaient ces malheureux serviteurs, et les savante avaient leur  part aux reproches du soldat, qui s’imaginait que le but de l’expédition était de satisfaire leur passion pour des recherches auxquelles le militaire prenait fort  peu d’intérêt. » — Il ne sait donc pas, celui qui a écrit ces lignes, que cette noble armée, de laquelle il lui plaît de faire une cohue de goujats, prenait aussi sa part des souvenirs magnifiques dont elle était environnée, qu’elle enterrait ses moite avec orgueil au pied de la colonne de Pompée, et qu’elle battait des mains avec enthousiasme à la vue des ruines de Thèbes !

85. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre I. Les travaux contemporains »

Quelque discrédit qu’il ait encouru par ses présomptueuses hypothèses, il n’en est pas moins, au dire des savants les plus compétents, l’un des fondateurs de l’anatomie du cerveau. […] Je n’ai pas à décider si les ingénieuses expériences qu’il a instituées sont aussi décisives qu’il le dit, et je laisse volontiers les savants se prononcer sur ce point ; mais on ne peut contester qu’il ne soit entré dans la vraie voie, et même qu’il n’ait établi certains faits importants avec beaucoup de solidité ; en un mot, il est impossible de traiter du cerveau et de la pensée sans tenir compte de ses recherches. […] Un autre savant, le docteur Lélut (de l’Institut), s’est aussi fait une place dans la science par ses belles études sur la physiologie de la pensée, et il a publié récemment un intéressant ouvrage sur ce sujet, suivi de quelques mémoires spéciaux pleins de faits curieux. […] Dans un tout autre esprit, un savant éminent de l’Allemagne, M. 

86. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Cette objection n’est pas très-démonstrative, car, outre que beaucoup de savants physiologistes soutiennent aujourd’hui que les nerfs sont creux, cela importe assez médiocrement ; si l’on considère, en effet, les esprits, animaux comme un fluide analogue aux fluides impondérables, ils n’auraient guère besoin, pour traverser les nerfs, d’un tube visible à nos sens, la lumière et la chaleur traversant des corps qui nous paraissent parfaitement pleins. […] Ce savant était arrivé à cette conclusion : « Lorsqu’un organe des sens est soumis à une excitation prolongée, il oppose une résistance qui croît avec la durée de cette excitation. […] Jusqu’ici point de difficultés, et nous accorderons aisément tout ce qui précède au savant anatomiste qui ne fait ici qu’appliquer à une cellule nerveuse, ce que Leibniz disait de la monade, c’est que chacun de ses états représente tous les états antérieurs et en est comme le résumé. […] Non-seulement nous ne comprenons pas et nous ne comprendrons jamais comment des traces quelconques imprimées dans notre cervelle peuvent être perçues de notre esprit ou y produire des images, mais, quelque délicates que soient nos recherches, ces traces ne se montrent en aucune façon à nos yeux, et nous ignorons entièrement quelle est leur nature. » Le savant et profond physiologiste allemand Müller s’exprime en termes non moins significatifs.

87. (1881) Le roman expérimental

Le savant demeure un érudit, mais il devient un poète. […] Il n’est plus un croyant, mais il n’est pas un savant. […] Ni croyant ni savant, poète, voilà son étiquette. […] Nous faisons une besogne identique à celle des savants. […] La besogne a été la même pour l’écrivain que pour le savant.

88. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

La vérité ne saurait différer d’elle-même, et la vérité du savant ne saurait contredire la vérité de l’artiste. […] L’artiste trouvera dans la science des bases plus stables, et le savant puisera dans l’art une intuition plus assurée. […] Newton a dit que celui qui se livre à la recherche des causes premières donne par cela même la preuve qu’il n’est pas un savant. […] Le savant ne cherche donc pas pour le plaisir de chercher, mais pour le plaisir de trouver. […] En un mot, si les savants sont utiles aux philosophes et les philosophes aux savants, le savant n’en reste pas moins libre et complétement maître chez lui, et je pense, quant à moi, que les savants dans leurs laboratoires font leurs découvertes, leurs théories et leur science sans les philosophes.

89. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

On sent sous ce philologue un savant, un philosophe, un artiste. […] Le savant, l’érudit, qui contribue à cette connaissance totale en se gardant des interprétations hâtives et incomplètes qui en retarderaient le progrès est donc l’homme du monde qui se conforme le mieux à la pensée divine. Et c’est pour cela que la passion scientifique a chez quelques savants la sérénité et l’énergie d’une foi religieuse et qu’ils apparaissent à la foule avec quelque chose de l’antique prestige des prêtres. […] Enfin ce savant de tant de patriotisme et cet érudit de tant de philosophie est, par surcroît, un artiste, un poète. […] Paris comprend le moyen âge, mais qu’il le sent, qu’il a pénétré l’âme de nos aïeux et qu’il a su la faire revivre, sans quitter l’attitude du savant, par la vivacité de son impression, et, sans quitter le ton de l’exposition scientifique, par la magie des mots.

90. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — Notice sur M. G. Duplessis. » pp. 516-517

Il savait à fond les deux langues classiques et savantes, et il y joignait la connaissance exacte de presque toutes les langues vivantes, l’allemand, l’anglais, l’espagnol, etc. […] Duplessis ; il a lui-même cité ce mot d’un savant étranger : « La connaissance des livres abrège de moitié le chemin de la science, et c’est déjà être très avancé en érudition que de connaître exactement les ouvrages qui la donnent. » M.  […] C’est qu’il appartenait à cette race, totalement éteinte aujourd’hui, de savants modestes et laborieux qui cultivent la science pour elle-même et qui trouvent plus de charme à orner et à fortifier leur intelligence dans le silence du cabinet, que de satisfaction à mettre l’univers dans la confidence de leurs moindres travaux ou de leurs plus insignifiantes découvertes.

91. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lundberg » pp. 169-170

Le savant, l’ignorant, les admire sans avoir jamais vu les personnes, c’est que la chair et la vie y sont. […] C’est que celui-ci ne s’est jamais occupé de l’imitation rigoureuse de la nature ; c’est qu’il a l’habitude d’exagérer, d’affaiblir, de corriger son modèle ; c’est qu’il a la tête pleine de règles qui l’assujettissent et qui dirigent son pinceau, sans qu’il s’en apperçoive ; c’est qu’il a toujours altéré les formes d’après ces règles de goût et qu’il continue toujours de les altérer ; c’est qu’il fond, avec les traits qu’il a sous les yeux et qu’il s’efforce en vain de copier rigoureusement, des traits empruntés des antiques qu’il a étudiés, des tableaux qu’il a vus et admirés et de ceux qu’il a faits ; c’est qu’il est savant, c’est qu’il est libre, et qu’il ne peut se réduire à la condition de l’esclave et de l’ignorant ; c’est qu’il a son faire, son tic, sa couleur auxquels il revient sans cesse ; c’est qu’il exécute une caricature en beau, et que le barbouilleur, au contraire, exécute une caricature en laid. […] Voltaire fait l’histoire comme les grands statuaires anciens fesaient le buste ; comme les peintres savants de nos jours font le portrait.

92. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Grote, doublé de notes savantes et comme escorté à tout instant de textes originaux, nous arrivât par les soins d’un traducteur familier avec la langue grecque ; et pour tout indianiste initié au sanscrit, le grec n’est qu’un développement relativement aisé et comme une branche collatérale et dérivée de ses premières et hautes études de linguistique. […] Ce savant Villoison, qui avait publié le manuscrit de Venise, croyait n’avoir fait qu’apporter un dernier trésor, et le plus riche de tous, dans le temple consacré au vieil Homère ; en réalité il avait apporté un arsenal, un brûlot, une machine de guerre : de cette édition comme du cheval de bois sortit toute une année d’assaillants. […] D’ingénieux et savants disciples de Wolf poussèrent à bout les conséquences de ce système négatif et prétendirent ne laisser aucun coin de refuge à l’ancienne croyance9. […] On a pu dans ces derniers temps, par analogie avec d’autres époques légendaires mieux connues, distinguer divers moments durant cette période ; il y eut probablement d’abord l’âge des chants narratifs de peu d’étendue, de ce qu’on appelait épos : l’âge de l’épopée a suivi, dans lequel ces chants plus simples étaient repris, remaniés, et transportés avec souffle dans des compositions plus larges et déjà savantes. […] Ils viennent d’être le sujet d’une savante étude et d’un examen vraiment critique de la part d’un des jeunes représentants de l’école française.

93. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Il fallut que le savant Huet le rappelât à la modération, et lui fît sentir qu’il ne représentait pas à lui seul toute l’Antiquité. […] Il les raille à merveille, et se joue de ces renommées de savants acquises à grand fatras. Il nous montre le procédé par lequel on les fabrique, et, si cette raillerie ne saurait en aucun temps atteindre les dignes et véritables érudits, elle frappait d’aplomb sur « un certain peuple tumultueux de savants » qui, à cette époque, se maintenait encore. […] Des savants ont disserté à ce sujet. […] L’auteur y mêlait, par une diversité agréable et judicieuse, les princes, les cardinaux, les ministres d’État, les hommes de guerre, les savants, les poètes, les ingénieurs, les artistes, ceux qu’on appelait encore à cette date les artisans.

94. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

C’est là qu’il s’installe volontiers, fréquentant parmi les purs concepts, les amenant à des concessions réciproques, les conciliant tant bien que mal les uns avec les autres, s’exerçant dans ce milieu distingué à une diplomatie savante. […] Quand on ne connaît pas la limite de son droit, on le suppose d’abord sans limite ; il sera toujours temps d’en rabattre. » Voilà ce que s’est dit le savant ; et il s’en serait tenu là s’il avait pu se passer de philosophie. […] Alors, que des savants qui philosophent aujourd’hui sur la relation du psychique au physique se rallient à l’hypothèse du parallélisme, cela se comprend : les métaphysiciens ne leur ont guère fourni autre chose. […] nous l’arrêterons, et nous lui répondrons : vous pouvez sans doute, vous savant, soutenir cette thèse, comme le métaphysicien la soutient, mais ce n’est plus alors le savant en vous qui parle, c’est le métaphysicien. […] Des savants d’une compétence indiscutable la combattent aujourd’hui, en s’appuyant sur une observation plus attentive des lésions cérébrales qui accompagnent les maladies du langage.

95. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Il sollicita donc un de ses savants amis et voisins, Paul Thomas, sieur de Girac, un galant homme de son pays d’Angoumois, ami des lettres pour elles-mêmes, grand lecteur des anciens, des Latins, des Grecs, et sachant même un peu d’hébreu, de lui écrire ce qu’il pensait des lettres de Voiture. […] Que si toutefois on lui avait dit qu’il était savant, comme il aurait fait le modeste ! […] Une fois appelé sur le terrain par Balzac et mis en situation de répondre à M. de Girac, il semble qu’il n’y avait rien de plus simple que le rôle de Costar : il n’avait qu’à relever ce qui lui paraissait peu juste dans la critique du savant ami de Balzac, à balancer lui-même les éloges entre le mort et le vivant, et à se faire honneur par un ton d’impartialité généreuse et un air de fidélité envers une chère mémoire. […] L’un avait pour admirateurs et pour disciples des hommes savants de la province, de forte étude et de doctrine, des demeurants du xvie  siècle, gardant un reste de la toge romaine, et qui prenaient au sérieux son élévation de ton et sa magniloquence empruntée ; l’autre avait pour adorateurs et défenseurs passionnés des gens du monde, des femmes, des militaires, des petits-maîtres ou qui voulaient s’en donner l’air. […] Il le reprenait ensuite lorsqu’il faisait le savant et qu’il citait, en écrivant particulièrement à Costar, force passages d’auteurs latins.

96. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

J’en connais un, un seul, j’en conviens ; mais c’est beaucoup encore, et pour comble de bonheur, c’est dans mon pays qu’il existe… Savant et modeste Abauzit ! […] Savant en toute chose, nullement inventeur, possédant les mathématiques, la physique, l’histoire, bon critique, théologien moraliste, peu soucieux de métaphysique ou de dogmes, pratique avant tout, chrétien comme Channing ou comme Locke, le bibliothécaire de Genève, était un sage aimable, discret, nullement ennuyeux. […] Sayous, qui a autrefois extrait et publié, des Voyages de ce savant, les parties pittoresques et descriptives, propres à être goûtées de tous les lecteurs. […] Mais faut-il donc, pour cette république studieuse et intelligente, parce qu’elle est devenue démocratique dans sa forme, dans son ménage intérieur, lui faut-il renoncer à l’idée de voir sortir désormais de son sein des continuateurs et de dignes héritiers de ces hommes qui ont exercé sur leur temps une action si suivie, si salutaire, qui ont rempli dans le monde savant une telle fonction, plus efficace et plus utile encore que brillante ? […] Le rôle de Genève n’a pas changé, et le côté par lequel elle intéresse l’Europe savante et pensante n’a fait, ce me semble, que se rajeunir.

97. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Nous avons en commun, les savants et nous, toute l’infirmité humaine, la courte vue, l’attention vacillante, les passions aveugles, l’impuissance à sortir de soi, le risque perpétuel de se tromper et d’être trompé. […] Nous pouvons donc, non pas emboiter le pas aux savants dans leurs démarches, mais nous remplir de l’esprit auquel ils doivent leur conquêtes. […] Bien des généralisations y ont été reconnues fausses ou hasardées, ou prématurées, renvoyées à un avenir lointain ou même incertain… Il y a cependant une attitude de l’esprit à l’égard de la nature qui est commune à tous les savants… » Une attitude d’esprit à l’égard de la réalité, voilà bien ce que nous pouvons prendre aux savants ; transportons chez nous la curiosité désintéressée, la probité sévère, la patience laborieuse, la soumission au fait, la difficulté à croire, à nous croire aussi bien qu’à croire les autres, l’incessant besoin de critique, de contrôle et de vérification. […] Tandis que les savants, les historiens même essaient d’éliminer de la connaissance leurs modifications individuelles, nous sommes forcés, nous, d’admettre les nôtres.

98. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Pendant longtemps elle ne se lassa pas de persécuter les savants et les força à vivre en dehors du genre humain. […] Les purs savants regardent le Cosmos comme une œuvre un peu légère. […] Pour les gens du monde le Cosmos est un livre trop savant. […] Il était trop écrivain pour faire un livre de savant, et trop savant pour faire un livre d’écrivain. […] ce serait un grand progrès que d’avoir la science et de ne pas être un savant !

99. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre V. Un livre de Renan et un livre sur Renan » pp. 53-59

Renan est celle d’un grand savant, très lettré, très réfléchi et très sain. […] Renan est un savant, point seulement un penseur méditant sur la science. […] Le savant a droit à une retraite, c’est la philosophie.

100. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

C’est un écrivain, comme s’il n’était pas un savant. Et un savant, comme s’il n’était pas un écrivain. […] il s’agit simplement pour nous des Contes d’un vieil enfant 30 à des enfants plus jeunes, et surtout d’impression profonde et sincère, et voilà pour quoi nous croyons que les contes en question auraient gagné à avoir une origine plus obscure et moins savante ; car, en fait de récits merveilleux et de légendes, tout ce qui nous vient par les livres nous vient diminuant. […] Nous sommes, nous, de ceux-là qui croient que rien ne vaut, pour un conteur, le premier récit, le récit immédiat, cueilli n’importe où, mais en dehors des livres et de leurs abominables coquetteries, savantes ou littéraires.

101. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 340

Il ne s’est pas borné à traduire avec élégance & précision : il a éclairci son texte par des Notes savantes, qui y répandent le plus grand jour ; &, ce qui n’est pas un petit mérite, c’est que ces Notes annoncent encore plus l’Homme de goût que le Savant.

102. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Œuvres de Louise Labé, la Belle Cordière. »

Francis Wey,, dans un spirituel Rapport adressé au Comité des travaux historiques51, a cité de ce poème des vers descriptifs fort exacts sur l’avalanche, sur sa formation et sa marche ; mais là encore ce qui domine chez Peletier, dans cet ouvrage qu’on a bien fait de réimprimer et qui est, en effet, une curiosité locale, je le demande, est-ce bien le poète, celui qui mérite qu’on l’appelle et qu’on le salue de ce nom, et n’est-ce pas plutôt le savant encore, l’observateur, le physicien et le curieux de la nature ? […] Abel Jeandet sur le savant et trop savant Pontus de Tyard52, poète, philosophe, mathématicien, astronome, qui savait tout, de qui l’on avait pu dire, en parodiant le mot d’Ovide : Omnia Pontus erat, et qui, devenu dans sa vieillesse évêque de Châlon, s’honora par son courage en face de la Ligue. […] Aussi, je ne saurais être de l’avis que j’ai vu quelque part exprimé par un savant, homme de grand détail (M.  […] Il est certain qu’elle eut une jeunesse fort émancipée et à demi virile, et qu’elle trancha de l’amazone ; mais ensuite, et quelles que fussent les chansonnettes et les propos légers, tels que ceux que nous venons de lire, il paraît bien qu’elle vécut à Lyon fort considérée, fort entourée de tout ce qu’il y avait de mieux dans la ville, et de tout ce qui y passait de voyageurs savants et distingués qui se faisaient présenter chez elle : car elle avait une maison, un salon ; on y faisait de la musique, on y lisait des vers, on y causait de sciences et de belles-lettres. […] Voir le numéro du mois d’août 1839 de la Revue des Sociétés savantes, publiée sous les auspices du ministre de l’Instruction publique.

103. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Un savant homme, qui s’est appliqué depuis à l’histoire des sciences dans l’antiquité, M.  […] La plus remarquable et la plus savante est, à coup sûr, celle que M.  […] Tout cet attirail est nécessaire à la suite d’un corps d’armée si savant. […] Dans une édition que j’ai sous les yeux et qui n’est pas la première, dans l’édition de 1561, je note tout d’abord une disparate : ce sont des distiques grecs de Jean Dorât qui sont en tête et par lesquels le savant maître félicitait Du Bellay de son apologie de la langue française ([mots en grec]). […] Le tome 1er seul avait paru (1866), (chez Lemeire, éditeur, passage Choiseul, 47.) — Cette Étude, que nous réimprimons aujourd’hui, est extraite du Journal des Savant.

104. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

On s’affranchissait de l’Antiquité et des langues savantes ; on voulait savoir sa langue maternelle, et on s’adressait aux grammairiens de profession. Des gens du monde se portaient comme intermédiaires entre les savants proprement dits et les salons : on voulait plaire tout en instruisant. […] Ainsi Mlle de Scudéry n’est point sans se faire à elle-même bien des objections sur les inconvénients d’être femme bel esprit et d’être femme savante. […] Sa conclusion, qu’elle ne donne encore qu’avec réserve (car en telle matière qui touche la diversité des esprits, il ne saurait y avoir de loi universelle), sa conclusion, dis-je, est qu’en demandant plus de savoir aux femmes qu’elles n’en ont, elle ne veut pourtant jamais qu’elles agissent ni qu’elles parlent en savantes : Je veux donc bien qu’on puisse dire d’une personne de mon sexe qu’elle sait cent choses dont elle ne se vante pas, qu’elle a l’esprit fort éclairé, qu’elle connaît finement les beaux ouvrages, qu’elle parle bien, qu’elle écrit juste et qu’elle sait le monde ; mais je ne veux pas qu’on puisse dire d’elle : C’est une femme savante ; car ces deux caractères sont si différents, qu’ils ne se ressemblent même point. […] Lorsqu’elle mourut, le 2 juin 1701, le Journal des savants du mois suivant (11 juillet) enregistra ces pompeux éloges.

105. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

« Ce serait ici le lieu, continue le savant historien, de caractériser ces cérémonies, de les mettre sous les yeux, dans le détail le plus exact, telles qu’elles se pratiquent, en traduisant simplement cet article du cérémonial authentique de la nation, sans aucune réflexion de ma part. […] Cette qualité de chef de la littérature les met dans le cas de connaître par eux-mêmes les plus savants hommes de l’empire, de suivre tout ce qui a rapport aux sciences, de faire accueil aux grands ouvrages et aux grands écrivains, et de les affectionner. […] Seulement l’Encyclopédie chinoise fut recueillie et rédigée sous les yeux et par les soins du gouvernement, pendant une période de quinze ans, et confiée aux premiers lettrés et savants de l’empire. […] Nous le disons hardiment ; si on pouvait montrer sur les cartes d’aujourd’hui le pays de chacun et ses limites, les savants et les antiquaires d’Europe se mettraient à genoux pour avoir ce morceau, qui manque totalement à l’Europe et est en effet très piquant et très curieux. […] Les savants qui ont composé cette Encyclopédie littéraire n’ont aucun système et ne tiennent à aucune opinion.

106. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Il a beaucoup d’expressions de cette sorte, fraîches ou fortes, et presque toujours vives, dont il nourrit et anime sa diction ; il dira, parlant des enfants : « Il faut leur grossir le cœur d’ingénuité, de franchise, d’amour, de vertu et d’honneur. » Il dira, parlant de la ditférence trop souvent profonde et de l’abîme qu’il y a, — qu’il y avait alors, — entre le sage et le savant : « Qui est fort savant n’est guère sage, et qui est sage n’est pas savant. […] Cela est d’autant plus remarquable que ce livre fut composé par l’auteur encore très jeune et au sortir des écoles ; après l’avoir laissé dormir quelques années, il se décida à le faire imprimer et à dire hautement son avis, qui était celui de beaucoup de gens, au risque seulement de déplaire à ceux (car il y en avait) « qui prenaient Charron pour Socrate et l’Apologie de Raimond Sebond pour l’Évangile. » — À cela près, disait-il, je ne laisse pas d’estimer Charron, et de croire qu’il doit être estimé savant, et encore plus judicieux ; que son livre De la sagesse est fort bon en gros, et qu’il y a fort peu de savants hommes en France qui n’aient profité de sa lecture. […] Il est fort savant, sanguin, mélancolique, qui a fort voyagé.

107. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

L’inconvénient du système de La Rochefoucauld est de donner pour tous les ordres d’action une explication uniforme et jusqu’à un certain point abstraite, quand la nature, au contraire, a multiplié les instincts, les goûts, les talents divers, et qu’elle a coloré en mille sens cette poursuite entrecroisée de tous, cette course impétueuse et savante de chacun vers l’objet de son désir. […] Il ne ressemblait en rien à cet illustre savant que tout Paris connaît78, et qui, lorsqu’il vient y passer quelques mois, a tellement soif de parler (non de causer) qu’il s’arrange de manière à être difficilement interrompu. Cet illustre savant, qui fait ses phrases très longues, a imaginé de ne reprendre haleine qu’au milieu et jamais à la fin de sa période. […] C’est le même qui, parlant de Mme de La Fayette et de sa liaison avec M. de La Rochefoucauld, sur laquelle, dans ses lettres à Ménage, elle se taisait volontiers, dira : « C’était là, probablement, la partie délicate et réservée sur laquelle la belle dame ne consultait guère ses savants amis. » C’est lui qui, parlant de ce monde délicat des Longueville et des La Vallière, de leurs fragilités et de leur repentir, s’écriera tumultueusement : Ah ! […] Le savant qui y avait servi de modèle est mort depuis.

108. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

On aurait, pour cette sorte de biographie collective de tout un genre si considérable, à profiter et à s’aider d’un savant travail récent, d’un chapitre substantiel et complet de M.  […] Du Méril estime que « les six légendes que Hrotsvitha a mises en dialogue sont sans doute de véritables essais dramatiques imités de Térence, mais d’une imitation toute littéraire, sans aucune pensée de représentation : c’est un livre qui ne s’adresse qu’à des savants. » Et il s’applique à démontrer cette opinion. […] Daignons donc nous bien figurer l’effet que devaient produire de telles représentations, réglées en quelque sorte sur l’hymne, contenues au sanctuaire, graves, pathétiques, touchantes et toujours augustes, — je ne dis pas précisément sur le peuple, il ne comprenait que l’ensemble, le mouvement et la mimique en quelque sorte, l’image majestueuse des choses, il ne savait pas les langues savantes, — mais sur tout ce qui était clerc et lettré. […] Ce drame, dont la composition remonte au xiie  siècle, est au premier rang parmi les très-rares échantillons que l’on possède du drame purement religieux, — ou hiératique comme disent les savants, — en vieille langue française. […] Édélestand du Méril est un savant qui passe tant et de si longues heures solitaires dans son cabinet, et qui a tellement fui la popularité et le bruit, qu’on l’a pris au mot en France : il est plus apprécié en Europe que dans son pays.

109. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

On a passé des siècles à raisonner sur la force vitale ; et des gens fort savants, à Montpellier, dépensent encore en son honneur la moitié de leur temps et tout leur esprit. […] Tous ces mots savants désignent des choses vagues qui ont l’air de lutter, de s’accoupler, et d’agir bien au-dessous des événements dans un bas-fond obscur. […] Ayant considéré le génie d’un poëte, d’un politique, d’un savant, j’ai trouvé que ce nom m’apparaissait lorsque j’apercevais l’action principale de leur vie, avec les facultés et les inclinations qui les y portaient. […] D’où vient ce mélange de termes populaires et de termes savants de vieilleries et de néologismes ? […] Les savants disent que la science de M. 

110. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 371

Comme Savant & comme Littérateur, il honora également les deux Académies dont il étoit Membre. […] Outre ces Eloges, M. de Boze a composé plusieurs savantes Dissertations & une Histoire de l’Empereur Tétricus, établie sur une suite de Médailles.

111. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 347

Bouhier, [Jean] Président au Parlement de Dijon, sa partie, de l’Académie Françoise, né en 1673, mort en 1746, Homme Savant, fort zélé pour les Lettres, mais peu élégant dans son style. […] Il faut bien se garder de confondre ses Remarques sur Cicéron avec sa Traduction ; l’érudition saine dont elles sont enrichies, suffit pour faire une réputation à ce savant Littérateur.

112. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Conclusion de ce livre » p. 247

C’est elle qui fonda l’humanité chez les Gentils, gloire que la vanité des nations et des savants a voulu lui assurer, et lui aurait plutôt enlevée. […] On peut dire en effet que dans les fables, l’instinct de l’humanité avait marqué d’avance les principes de la science moderne, que les méditations des savants ont depuis éclairée par des raisonnements, et résumée dans des maximes.

113. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

Mais ici Hirondelle, appuyée par les savants, devait l’emporter. […] Vaugelas faisait le plus grand cas, au contraire, de ces idiots, c’est-à-dire de ceux qui étaient nourris de nos idiotismes, des courtisans polis et des femmelettes de son siècle, comme les appelait Courier ; il imitait en cela Cicéron qui, dans ses doutes sur la langue, consultait sa femme et sa fille, de préférence à Hortensius et aux autres savants. […] Le savant ici s’est vengé, et il est content. […] Gaston Paris, un jeune savant, fils de savant ; — photographier, au sens moral ou figuré également, etc. […] Sous prétexte de continuer ce curieux, mais interminable Dictionnaire historique, elle abandonne et néglige de tenir au courant son Dictionnaire de l’usage ; elle se laisse devancer et déborder par tous les lexicographes libres et les Furetières du dehors, Furetières plus probes et plus savants que ceux d’autrefois et envers qui elle affecte de se donner presque les mêmes torts.

114. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Les savants bénédictins, et, de notre temps, M.  […] Le peu qu’il a d’idées générales, il les a apprises et les exprime dans la langue savante, la langue des clercs, le latin. […] Je sais que ce désordre, chez les écrivains habiles, n’est qu’une interversion calculée et savante de l’ordre naturel ; mais encore, pour s’y reconnaître, faut-il que l’esprit passe par deux états. […] Ainsi l’écrivain doit réunir deux qualités qui semblent s’exclure : il doit être savant et inspiré. S’il n’est que savant, il répétera froidement et sans effet ce qui a été mieux dit par d’autres ; s’il n’est qu’inspiré, il risquera de parler dans une langue qui ne sera comprise que de lui.

115. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 447

Castellan, [Pierre] Evêque de Tulle, & grand Aumônier de France, mort à Paris en 1552, étoit l’homme le plus savant & le plus éloquent de son temps ; ce qui ne prouve pas qu’il dut l’être beaucoup. […] Ceci n’est pas encore un grand éloge : le Monarque pouvoit se contenter à peu de frais, & le Savant paroître merveilleux avec une érudition fort ordinaire.

116. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Quitard »

Dans un temps où la division du travail, qui pulvérise tout, hommes et choses, et en raffine encore la poussière, multiplie le nombre des spécialités en tout genre la parémiographie, puisqu’il faut l’appeler par son nom… comme la peste, — mais ce n’est pas la peste, — est une spécialité philologique, taillée dans un pan de la philologie générale comme une province dans un empire, et qui suffit à l’ambition d’un honnête savant. Cet honnête savant, c’est aujourd’hui Quitard, qui est spirituel aussi et même aimable dans son livre, — ce naïf et vieux sujet des proverbes le lui permettant. […] il me fait l’effet plutôt d’un homme posé et reposé dans une érudition tranquille comme un chanoine dans sa stalle à vêpres ; d’un de ces calmes amoureux, à trois mentons, qui aime sa parémiographie sans que la tête lui tourne et qui la cultive à ses heures ; enfin d’un de ces esprits savants jusques aux dents, et ronds de la graisse des vieux livres, lesquels, quand ils trottent, trottent menu ! […] Déjà dans la préface de son Dictionnaire il nous avait dit — et c’était à nous faire venir l’eau à la bouche, à la bouche trompée, — « qu’il avait d’abord conçu son Dictionnaire de manière à suivre la langue proverbiale des troubadours jusqu’à nos jours et à former trois gros volumes in-8o », mais que prudemment il l’a diminué de deux volumes « parce qu’il aurait été trop difficile de rencontrer un éditeur », et c’est devant cette fuite d’éditeur que son épicurisme de savant s’est déconcerté et qu’il a sacrifié deux chers volumes à cette panique.

117. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 20-21

Le Monde savant ne pourra donc qu’adopter avec reconnoissance l’Eloge sublime qu’en a fait M. de Buffon, dans sa Réponse à son Discours de réception à l’Académie Françoise. […] Des mœurs simples & pleines d’honnêteté, un cœur sans cesse ouvert à la bienfaisance, des procédés pleins de droiture & de candeur, une conversation animée par la franchise & la vivacité, formoient les principaux traits de son caractere, & rendront sa mémoire toujours chere à ceux qui savent apprécier l’homme honnête, le vrai Citoyen, le Savant modeste, & le sage Littérateur.

118. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 325

Il est plus justement recommandable par les savantes Dissertations dont il a enrichi les Mémoires de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres. […] Rollin disoit de ce Savant, « qu’il réunissoit dans un degré éminent la délicatesse de la Littérature à la profondeur de l’érudition » ; éloge qui ne doit rien à l’amitié qui les unissoit.

119. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Des livres classiques. » p. 533

C’est que ce ne peut être l’ouvrage que d’hommes méthodiques et profonds ; il n’est pas donné à un demi-savant, pas même à un savant, d’ordonner les vérités, de définir les termes, de discerner ce qui est élémentaire et essentiel de ce qui ne l’est pas ; d’être clair et précis. […] C’est une tâche à distribuer à tous les savants de l’Europe.

120. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 165-166

MABILLON, [Jean] Bénédictin, né dans le Diocese de Reims, en 1632, mort à Paris en 1707 ; Savant, dont les Ouvrages sont immenses & très-utiles pour la plupart. […] du Pin, qui s’exprime ainsi au sujet de ce Savant : Il seroit difficile de louer ce Religieux, comme il le mérite ; la voix du Public & l’estime générale de tous les Savans font son éloge beaucoup mieux que tout ce que nous pourrions en dire.

121. (1870) La science et la conscience « Avant-propos »

La science et la conscience, affirmant le oui et le non sur les attributs essentiels à la nature humaine, deviennent ainsi suspectes, l’une aux savants, l’autre aux moralistes. […] Si ce travail peut attirer l’attention des savants et des penseurs de toutes les écoles sur le problème capital qui en fait l’objet, et de provoquer une solution décisive après un examen approfondi, il n’aura pas été tout à fait inutile à la philosophie de notre temps.

122. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

» C’était lui, l’illustre savant, qui avait du génie ; son fils avait un talent qui se cherchait encore. […] Mais pour l’Égypte ce fut autre chose : il ne l’aborda pas seulement en amateur et en touriste, il y mit une ardeur, une application spéciale de savant. […] Villemain ; on lui adjoignit un savant artiste dessinateur, et il partit sans tarder. […] J’ai dit qu’il vivait avec le savant M.  […] Ampère dans le monde littéraire et savant, sa renommée eût gagné peut-être s’il eût un peu plus concentré ses travaux.

123. (1904) Zangwill pp. 7-90

Telle est bien l’ambition inouïe du monde moderne ; ambition non encore éprouvée ; le savant chassant Dieu de partout, inconsidérément, aveuglément, ensemble de la science, où en effet peut-être il n’a que faire, et de la métaphysique, où peut-être on lui pourrait trouver quelque occupation ; Dieu chassé de l’histoire ; et par une singulière ironie, par un nouveau retour, Dieu se retrouvant dans le savant historien, Dieu non chassé du savant historien, c’est-à-dire, littéralement, l’historien ayant conçu sa science selon une méthode qui requiert de lui exactement les qualités d’un Dieu. […] L’effort divin qui est en tout se produit par les justes, les savants, les artistes. […] Je jouis ainsi des voluptés du voluptueux, des débauches du débauché, de la mondanité du mondain, de la sainteté de l’homme vertueux, des méditations du savant, de l’austérité de l’ascète. […] Les découvertes du savant sont mon bien ; les triomphes de l’ambitieux me sont une fête. […] « Les savants positivistes auront toujours une difficulté capitale contre ce que vous venez de dire, et aussi contre plusieurs des vues que nous ont développées Philalèthe et Théophraste.

124. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Lorsque l’on sait à quel esprit sain, ferme, vigoureux, on a affaire en Ramond, lorsqu’on a pu apprécier ses qualités sûres comme savant, comme observateur, lorsqu’on voit Laplace avoir assez de confiance en lui pour adopter et enregistrer dans la Mécanique céleste la réforme numérique dont était susceptible le coefficient d’une de ses formules, on se demande quelle sorte d’intérêt et de zèle celui qu’on a connu en ces dernières années le moins mystique des hommes pouvait apporter dans cette intimité de chaque jour avec Cagliostro. […] Plus d’un savant, sans doute, avait déjà considéré les Pyrénées à des points de vue tout spéciaux, mais aucun avec ce sentiment de la nature uni à une science positive aussi étendue et aussi solidement diverse. […] En effet, celle du savant, celle du conquérant même, est peu de chose auprès ; la mémoire de l’un et de l’autre expire dans le gouffre des siècles que le poète franchit : sans Homère, il n’y aurait plus de Troie, et de tout son siècle il ne reste rien que lui-même. Mais en même temps et en attendant que cette épopée encore à naître fut venue, Ramond, vers 1807, savait fort bien déterminer le caractère littéraire d’un siècle qui était le sien et qui a aussi sa force et son originalité : On le dépréciera tant qu’on voudra ce siècle, disait-il, mais il faut le suivre ; et, après tout, il a bien aussi ses titres de gloire : il présentera moins souvent peut-être l’application des bonnes études à des ouvrages de pure imagination, mais on verra plus souvent des travaux importants, enrichis du mérite littéraire… Nos plus savants hommes marchent au rang de nos meilleurs écrivains, et si le caractère de ce siècle tant calomnié est d’avoir consacré plus particulièrement aux sciences d’observation la force et l’agrément que l’expression de la pensée reçoit d’un bon style, on conviendra sans peine qu’une alliance aussi heureuse de l’agréable et de l’utile nous assure une place assez distinguée dans les fastes de la bonne littérature. Il ne disait pas assez en parlant ainsi ; il ne disait pas que dans ses propres écrits comme dans ceux d’un bien petit nombre de savants exacts, il était entré quelque chose de la beauté de l’art et de la magie du talent, et qu’il y aurait à citer des disciples de premier ordre dans la postérité de Buffon : lui-même, fût-il le seul, en serait la preuve.

125. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Après cela, que cette idée se présentât à eux sous les termes de πολιτεία, παιδεία, ou tout autre, je laisse aux savants à le déterminer ; mais je suis certain que les Grecs, par leur brillant, leur éducation, leur art, leur génie actif et persuasif, leur faculté colonisatrice, avaient essentiellement et au plus haut degré le sentiment de cette chose que les modernes appellent civilisation ; ils l’avaient, comme tout ce qu’il leur fut donné d’avoir, d’une manière exquise ; ils en avaient même le sentiment en ce qui est de l’humanité, de la philanthropie : il suffit de se rappeler ce bel article de traité que Gélon imposa aux Carthaginois vaincus, et que Montesquieu a consacré par un chapitre de l’Esprit des Lois. […] « Il m’apparaît surtout dans le savant modeste, dans le professeur, le médecin, l’ingénieur, le marin, le mineur, et aussi, je ne craindrai pas de le dire, dans l’égoutier, le pompier, le soldat, le terrassier, le maçon, le mécanicien, l’ouvrier des fabriques, les chefs et sous-chefs de l’industrie ! […] Il y entrerait beaucoup de savants, mais non pas des savants seuls. Le savant, à proprement parler, et tant qu’il habite dans sa sphère, est difficile à entraîner ; il se prête peu à un certain mode d’exaltation : il sait trop bien que le plus grand développement de l’humanité se passe dans un pli du vaste sein de la nature et n’en sort pas : cela ne laisse pas de calmer et d’apaiser.

126. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Des observations et des investigations précises vinrent donner à cette activité du jeune savant un champ plus sûr, et où il devait laisser sa marque. […] Walckenaer aimait l’administration ; il s’y entendait, et plus tard il y mettait même peut-être un peu d’amour-propre, lui qui en montrait si peu ; il ne se vanta jamais d’être un savant, et il se piquait d’être un administrateur. […] Walckenaer, on a vu le savant M. de Chézy, dans ses traductions de poèmes orientaux, chercher à reproduire je ne sais quel modèle d’élégance cérémonieuse et uniforme, plutôt que de calquer avec simplicité et énergie les originaux qu’il avait sous les yeux et qu’il admirait. […] Patin, a discuté dans trois articles du Journal des savants 21 plusieurs des vues et des explications du biographe. […] Elle l’aura traité, le bon et savant vieillard, en le recevant parmi les Ombres, comme elle eût fait le vénérable M. d’Andilly, en le baisant de sa lèvre vermeille sur les deux joues, ou sur ses beaux cheveux blancs au front.

127. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

Comme les savants du xvie  siècle, il sait tout, et il fait de tout. […] C’est en lisant ces morceaux de forte et savante structure et dont rien ne donnait l’idée avant lui, qu’on aperçoit aisément, pour peu qu’on soit au fait de ces questions, quel pas M.  […] Et surtout l’esprit d’un nouveau confrère, rigoureux, exact et plus savant (sans mentir), plus sûr de son fait en ces matières que nous ne le sommes généralement, eût pu nous être d’un usage et d’un recours journalier. […] Elle a autrefois chassé Furetière pour avoir osé entreprendre une telle rivalité ; elle n’a pas voulu du savant Ménage qui était également coupable du même délit. […] Ne dites point que c’est la maison d’Horace, mais tout simplement celle du savant le plus étranger aux besoins et le plus aisément content de peu.

128. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Comme il y a quatre ans entre Amphitryon et les Femmes savantes, il est peu probable que Molière préparât les Femmes savantes ou même songeât à les faire en 1668. […] Il y a dans les Femmes savantes une comédie, une farce et une thèse. […] Dans les Femmes savantes ? […] — Mais il y a un préjugé dans les Femmes savantes. […] Il ne faut pas, quand on est femme, être savante : pourquoi ?

129. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

. — La simultanéité « savante », dislocable en succession : comment elle est compatible avec la simultanéité « intuitive » et naturelle. — Examen des paradoxes relatifs au temps. […] On peut donner de la simultanéité les définitions les plus savantes, dire que c’est une identité entre les indications d’horloges réglées les unes sur les autres par un échange de signaux optiques, conclure de là que la simultanéité est relative au procédé de réglage. […] La simultanéité savante lui paraît donc toujours pouvoir se convertir pour lui en simultanéité intuitive, et c’est la raison pour laquelle il l’appelle simultanéité. […] Vous donneriez à la simultanéité savante un autre nom, au moins quand vous parlez philosophie. […] , vous pratiquez d’une simultanéité à l’autre, de la simultanéité naturelle à la simultanéité savante, une transfusion de réalité.

130. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 157-158

Bailly, de l’Académie des Sciences, M. l’Abbé Arnaud, M. l’Abbé Barthelemy, &c. regardent cette savante Production comme la meilleure qu’on ait encore publiée sur la théorie de la Musique. […] En remontant jusqu’à la source primitive d’un systême de musique connu à la Chine depuis plus de quatre mille ans ; en approfondissant les principes sur lesquels ce systême appuie ; en développant ses rapports avec les autres sciences ; en déchirant ce voile épais qui nous a caché jusqu’ici la majestueuse simplicité de sa marche, ce Savant eût pénétré peut-être jusque dans le Sanctuaire de la Nature… Son Ouvrage nous eût peut-être fait connoître à fond le plus ancien systême de musique qui ait eu cours dans l’Univers [celui des Chinois] ; & en l’exposant avec cette clarté, cette précision, cette méthode qu’on admire dans son Mémoire, il eût servi comme de flambeau pour éclairer tout à la fois & les Gens de Lettres & les Harmonistes : les premiers, dans la recherche des usages antiques, & les derniers dans celle du secret merveilleux de rendre à leur Art l’espece de toute-puissance dont il jouissoit autrefois, & qu’il a malheureusement perdue depuis. »  

131. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 430-432

Ses différens Mémoires sur les objets les plus intéressans de l'Anatomie, de la Physiologie, de la Thérapeutique ; sur l'établissement de la Société Royale de Médecine que le Roi vient de former ; sur les inconvéniens des cimetieres dans les Villes, &c. n'offriront sans doute rien de piquant à la curiosité des Esprits légers & frivoles ; mais la reconnoissance éclairée du vrai Citoyen, dédommagera M. de Vicq. de la privation de ces sortes de suffrages que le Savant utile doit compter pour rien. […] Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que les succès rapides de ce savant Médecin, dont la jeunesse en promet de plus grands, lui ont attiré des ennemis d'autant plus aigris qu'ils courent la même carriere, & que leur haine n'a pris sa source que dans le sentiment de la supériorité de ses talens, employés par le Gouvernement.

132. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Au temps de Grimm, c’était encore l’habitude d’appeler extraits les articles qu’on écrivait sur les livres, et ces extraits, autorisés et consacrés par l’exemple du Journal des savants, se bornaient le plus souvent en effet à une exacte et sèche analyse de l’ouvrage : « sous prétexte d’en donner la substance, on n’en offrait que le squelette ». […] C’était un extrême que cette première méthode adoptée par le Journal des savants, le plus ancien des journaux littéraires, et qui consistait à donner un compte rendu pur et simple, une sorte de description du livre, très peu différente souvent d’une table des matières. Le but, pourtant, et l’utilité de cette méthode, à une époque où les communications étaient moins faciles, était de tenir les savants des divers pays au courant des écrits nouveaux, et de les leur offrir du moins par extraits fidèles et sûrs, en attendant qu’ils pussent se procurer l’ouvrage même. […] Un biographe nous raconte que jeune, étudiant à l’université de Leipzig, Grimm avait surtout été frappé de la lecture du traité Des devoirs de Cicéron, expliqué par le savant Ernesti, et qu’il en avait emporté une impression profonde. […] Le savant bibliographe M. 

133. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Sans doute il a dû trouver en des temps plus voisins quelque descendant de ces vieux et respectables maîtres, qui l’aura introduit dans leur familiarité : car l’idée ne lui serait jamais venue de restituer immédiatement leur faire et leur dire, ainsi que l’a tenté de nos jours le savant et ingénieux Courier. […] Aussi, en publiant ses savantes recherches sur nos anciennes fables, M.  […] Un critique éclairé du Journal des Débats, séduit par quelques traits de vague ressemblance, et cédant aussi à cette influence secrète qu’exerce le paradoxe sur les meilleurs esprits, estime que La Fontaine doit beaucoup « et à nos contes, et à nos poëmes, et à nos proverbes, depuis le Roman de Renart, dont on ne me persuadera jamais qu’il n’ait pas eu connaissance, jusqu’aux farces de ce Tabarin qu’il cite si plaisamment dans une de ses fables. » Quant aux farces de Tabarin, quant à nos contes, à nos poëmes imprimés, je pourrais tomber d’accord avec le savant critique ; mais le Roman de Renart, alors manuscrit et inconnu, où le bonhomme l’eût-il été déterrer ? […] La Fontaine ayant appris que le savant Huet désirait voir la traduction italienne des Institutions de Quintilien par Toscanella, qu’il possédait, s’empressa de la lui offrir en y joignant cette Épitre naïve en l’honneur des anciens et de Quintilien : ce qui prouvait, dit Huet, la candeur du poëte, lequel, en se déclarant pour les anciens contre les modernes dont il était l’un des plus agréables auteurs, plaidait contre sa propre cause.

134. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVII. Romans d’histoire, d’aventures et de voyages : Gebhart, Lemaître, Radiot, Élémir Bourges, Loti » pp. 201-217

Léon Cahun, savant sûr et écrivain probe, honorait d’une mâle collaboration. […] Détestable écrivain, penseur nul, savant de détails mais fermé à l’intuition exacte, vive, nue et crue d’une civilisation, il s’attachait à l’exactitude morte, et il n’avait jamais songé que des hommes avaient pensé d’autre sorte que lui dans les cuirasses et parmi les tapisseries qu’il exhumait. […] Dès lors, quelle meilleure détente que de laisser courir cette imagination, avec la sécurité que les paysages et les figures qu’elle s’amusera à combiner seront tout de même de bon aloi historique, puisque cette imagination vagabonde est encore une imagination de savant. […] Il est ingénu et savant, mais sa théologie ne l’embarrasse point.

135. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

Wallon, qui est un savant et qui les a tous consultés, a résolu de dire son mot après eux sur cet homme, unique dans l’Histoire, et auquel aucun de ceux qui ont régné n’a ressemblé. […] Ils sont même allés, pour prouver qu’en Saint Louis le Roi foulait aux pieds quelquefois le Saint, jusqu’à inventer cette fameuse Pragmatique si longtemps invoquée, qui fit, jusque de Bossuet, une dupe si coupable, et dont une Critique plus avisée et plus savante a démontré récemment la fausseté, comme si on avait eu besoin de cette démonstration, maintenant irréfragable, pour être sûr de la fausseté de cet acte, évidemment stupide avant d’être faux ; car je ne sache pas que l’Église, qui a canonisé Saint Louis, ait eu jamais l’habitude de canoniser ceux qui la canonnent — c’est-à-dire ses ennemis ! […] Wallon est trop sensé et trop savant pour tomber dans ces erreurs et dans ces impostures. […] Qu’importe qu’il soit inférieur par d’autres côtés ; que la composition y manque de rigueur ; que les chapitres, très savants, du reste, sur les organisations militaires, judiciaires, littéraires, économiques, du temps de Saint Louis, y soient trop séparés du récit avec lequel ils auraient pu s’assimiler !

136. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

Mais l’antiquité de ce mode d’expression n’en suppose pas dès le commencement la variété savante et l’habile artifice. […] Soit que cette poésie des hymnes homériques célèbre les grands spectacles de la nature, soit qu’elle rappelle les traditions du culte mythologique, jamais rien de subtil, comme dans les hymnes savants de Proclus, ou dans les réminiscences tardives placées sous le nom d’Orphée. […] Mais cela même laissait apparaître bien des différences entre l’impétueux génie, la licence effrénée d’Archiloque, et la grâce à la fois épicurienne et savante d’Horace. […] Nul doute qu’il ne lui ait emprunté souvent de ces inventions de langage, de ces grâces originales qui sont le charme d’une poésie savante et pourtant naturelle.

137. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre V »

Dès le début, en effet, les naturalistes prétendirent faire œuvre de savants et le clamèrent bien haut. […] Trousseau, dès le milieu du siècle, avait signalé l’abus de cette méthode qui torture la langue grecque et entasse les savants solécismes. […] Délibérément donc il écarta de ses descriptions le terme savant, taré pour lui de partialité scientifique, souvent insuffisant sous une allure pédante, pour lui substituer le verbe impersonnel et vrai.

138. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Il y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathématiques ; qui, à seize, avait fait le plus savant traité des coniques qu’on eût vu depuis l’antiquité ; qui, à dix-neuf, réduisit en machine une science qui existe tout entière dans l’entendement ; qui, à vingt-trois, démontra les phénomènes de la pesanteur de l’air, et détruisit une des grandes erreurs de l’ancienne physique ; qui, à cet âge où les autres hommes commencent à peine de naître, ayant achevé de parcourir le cercle des sciences humaines, s’aperçut de leur néant, et tourna ses pensées vers la religion ; qui, depuis ce moment jusqu’à sa mort, arrivée dans sa trente-neuvième année, toujours infirme et souffrant, fixa la langue que parlèrent Bossuet et Racine, donna le modèle de la plus parfaite plaisanterie, comme du raisonnement le plus fort ; enfin qui, dans les courts intervalles de ses maux, résolut, par abstraction, un des plus hauts problèmes de géométrie, et jeta sur le papier des pensées qui tiennent autant du Dieu que de l’homme : cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal. […] Quand on songe que Bagnoli, Le Maître, Arnauld, Nicole, Pascal, s’étaient consacrés à l’éducation de la jeunesse, on aura de la peine à croire, sans doute, que cette éducation est plus belle et plus savante de nos jours. […] S’il ne s’est point plongé dans les idées du jour, c’est qu’il leur a été supérieur : nous prenons sa puissance pour sa faiblesse ; son secret et le nôtre sont renfermés dans cette pensée de Pascal : « Les sciences ont deux extrémités qui se touchent : la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent les hommes en naissant ; l’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien, et se rencontrent dans cette même ignorance d’où ils sont partis ; mais c’est une ignorance savante qui se connaît.

139. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « A Monsieur Naigeon » pp. 9-14

Il y a telles de vos notes qui sollicitent une place dans les savants recueils de notre Académie des inscriptions : d’autres montrent de la finesse, du goût, de la philosophie, de la hardiesse ; toutes annoncent l’ami des hommes, l’ennemi des méchants, et l’admirateur du génie. Les savants et les ignorants de bonne foi vous ont rendu justice : les savants, qui ont apprécié la difficulté de vos recherches ; les ignorants de bonne foi, comme moi, pour qui vous avez dissipé les obscurités de Sénèque.

140. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

J’ai dit un jour qu’il prononçait les finales « euse » comme nous autres Lorrains, exactement, mais Emile Hinzelin m’aide à saisir une nuance plus exacte de la vérité : mon ami, lui aussi, croyait reconnaître du lorrain dans cet accent du Rethelois un peu dur et prolongeant la fin des phrases, mais un savant archéologue, qu’il a rencontré à Vouziers, et qui fut le condisciple de Taine, lui a signalé quelques différences. […] On peut encore rappeler utilement que ce territoire produisit le savant et mystique Gerson, Mabillon, l’une des gloires de notre érudition nationale. […] S’il est vrai que les nations sont constituées par une poussière de fellahs, cet homme savant et vénérable en prend trop aisément son parti ; il a trop peur que la raison pure intervienne et dérange ces sommeils, cette belle ordonnance animale…‌ Mais, à peine ai-je écrit ce mot « servilité » que je l’efface et je reviens au terme exact : discipline.

141. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Hoffmann, cette indignation prophétique n’ont point empêché l’auteur d’Adrien de se placer ensuite, et dans le journal même de Geoffroy, au rang des critiques les plus habiles et les plus savants. […] Quelques savants regardent comme un tissu de mensonges l’histoire des premiers siècles de Rome ; le combat des Horaces et des Curiaces leur paraît une fable. […] Il est plus que probable qu’il savait peu ou point de chimie, de géométrie et d’algèbre ; mais ses œuvres démontrent qu’il était très savant en morale, en histoire, en politique, en littérature. […] Ce peuple savant et poli semble avoir employé le beau idéal uniquement pour l’expression des formes physiques, et presque jamais pour celle des caractères, des sentiments et des idées morales. […] Rotrou a mis dans la bouche du païen Marcel plusieurs des objections que Celse faisait autrefois contre les chrétiens : le savant Origène nous les a conservées, mais il les réfute victorieusement ; au lieu que le comédien Genet, qui n’est pas un père de l’Église, y répond assez mal.

142. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLVI » pp. 183-185

Le Journal des Savants contient des articles de M. […] Tout le mouvement de la librairie savante, de ce qu’on peut appeler encore de ce nom, est dans le même sens.

143. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Il a essayé, selon ses propres paroles, « de civiliser la doctrine en la dépaysant des collèges et la délivrant des mains des Pédants290 » ; à ceux qui n’étaient pas des savants, et ne lisaient latin ni grec, aux femmes, il a offert la substance de l’antiquité. […] Le culte souvent aveugle des formes anciennes était le dogme fondamental de cette critique : et elle parvint à l’imposer à la légèreté indépendante de la société polie. l’homme qui nous représente éminemment l’influence des doctes sur le monde, l’homme qui fit plus que personne pour opérer la transformation des théories savantes en préjugés mondains, fut le bonhomme Chapelain291, qui se place entre Ronsard et Boileau, comme ayant fait faire un progrès décisif à la doctrine classique. […] Voilà pourquoi il écrit en français, non pas en latin : le bon sens n’est pas le privilège des savants qui, au contraire, sont souvent en ces matières plus aveuglés que les autres par un faux respect des anciens. […] L’opposition au cartésianisme vient des savants et des théologiens : les honnêtes gens se trouvèrent cartésiens du premier coup. […] Il était très consiédré de Richelieu, et il fut de même en grand crédit auprès de Colbert, dont il fut le principal agent dans la répartition des libéralités royales entre les principaux savants et écrivains de France et d’Europe ; très écouté à l’Hôtel de Rambouillet, il eut jusqu’à la fin, en dépit de Boileau, l’estime et l’amitié de Montausier, de Retz, de Mme de Sévigné.

144. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

La débauche de Rabelais se passait surtout dans son imagination et dans son humeur : c’était une débauche de cabinet, débauche d’un grand savant, plein de sens, et qui s’en donnait, plume en main, à gorge déployée. […] Exposé dans un théâtre public, on me dissèque : un savant médecin explique devant tous, à mon sujet, comment la Nature a fabriqué le corps de l’homme avec beauté, avec art, avec une parfaite harmonie. […] On rappelle les passages des anciens qui en ont parlé ; au besoin on se fait apporter les livres ; sans s’en apercevoir, l’élève devient aussi savant qu’un Pline, « et n’étoit médecin alors qui en sût la moitié autant qu’il faisoit ». […] Il est remarquable comme Rabelais veut que son royal élève soit en quête et curieux de toutes choses utiles, de toute invention moderne, afin qu’il ne se trouve empêché ni étonné nulle part comme tant de petits savants qui ne savent que les livres. […] Cependant il restera toujours en propre à celui-ci l’attrait singulier qui tient à une certaine difficulté vaincue, à une certaine franc-maçonnerie, bachique à la fois et savante, dont on se sent faire partie en l’aimant.

145. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

S’il fut de cette école, une plus large fatalité de refléter tout ce qui l’environne, d’accaparer inconsciemment toutes les tendances a fait de lui (c’est sa personnalité, si l’on veut) un candide et très sérieux incohérent : symboliste par Mallarmé, impressionniste par sa fréquentation des peintres pointillistes, scientifique, philosophique, et même teinté du socialisme puéril qui court les rues, lorsque s’avérèrent scientifiquement mes Théories de philosophie et d’art, et aussi parce qu’un de ses amis s’occupe de sciences transcendantes — en même temps qu’il est pénétré inéluctablement de son hérédité sémite compliquant encore l’hétérogénéité, Il arrive enfin, après de prolixes et diffus articles, à cette déclaration éminemment neuve que le Rythme est en tout, à cette erreur scientifique que tout est cyclique, — et pour œuvre, il donna ce livre, les Palais nomades, qui trahit ses velléités de lui donner un lien méthodique, et où ce moderniste à outrance fait à chaque page surgir des souvenirs de Palestines et des Tribus, de Babylones et d’Afriques, parmi des gestes de Mages : et, pour le développement des Rythmes, en pressant les images en chaos et les mots et les phrases sans nul effet à satiété répétés, simplement il allongeait ou raccourcissait extraordinairement l’alexandrin, dont il a sainte horreur pour n’en comprendre pas la mathématique savante. […] mon ironie et dès l’entrée en l’art ma méditation scientifiquement s’avère ont levé une rationnelle révolte, J’ai dit : Le devoir du Poète ; maintenant, est : « de penser et de savoir, selon en premier lieu la pensée et le savoir du savant qui expérimenta, et ensuite, lorsque, lui, le savant, est pour longtemps épars, de, induisant et déduisant plus vite et plus loin, d’un nœud génial, lois et loi et lois aidantes, synthétiser en une parole multiple et logique et musique ! […] « Tant que de même la poésie, présentement après la musique et le savoir du savant, première désormais ! dominera : et de même elle sera, synthétiquement savante et philosophique expérimentalement en une langue ailleurs inouïe, ou elle n’a plus droit d’exister.

146. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Plusieurs parlementaires ont proposé une loi protégeant les savants qui inventent ou qui découvrent de nouvelles formules. […] L’objection est d’une hypocrisie savante. […] Si les savants parviennent à se nourrir, c’est en exerçant un autre métier que le leur : ils sont presque tous professeurs. […] Certes l’écrivain, de même que le savant, ne cherche pas, en principe, à faire une fortune avec ses livres. […] J’ai montré ici quelle est la situation présente de l’écrivain ou des savants.

147. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Goffic, Charles (1863-1932) »

Cela est à la fois très simple et très savant… Il n’y a que Gabriel Vicaire et lui à toucher certaines cordes de cet archet-là, celui d’un ménétrier de campagne qui serait un grand violoniste aussi. […] Cela est à la fois très simple et très savant… Il n’y a que Gabriel Vicaire et lui à toucher certaines cordes de cet archet-là, celui d’un ménétrier de campagne qui serait un grand violoniste aussi. » M. 

148. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tisseur (Les frères Barthélémy, Jean, Alexandre et Clair) »

Louis Aurenche Nous faisons la connaissance des quatre frères Tisseur : Barthélemy, un sensitif et un amoureux ; Jean, savant et poète, plus savant que poète ; Alexandre, voyageur à la narration colorée, et enfin le dernier disparu, Clair, le plus poète des quatre, littérateur du plus haut mérite, d’un parfait et pur hellénisme, dans l’œuvre duquel se joue doucement un rayon de l’art antique.

149. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Nous ne sommes pas de grands savants, nos connaissances sont peu étendues. […] Tant de propositions qui devinrent, par la suite, du domaine populaire y avaient été préalablement agitées par les fins esprits du temps, et consignées dans les secrets rituels des Initiés, des Savants et des Mystagogues. […] Ainsi s’accentua, chaque jour, la distance mentale qui sépare l’élite savante du reste de la nation.

150. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

C’était un de ces bons esprits, en très-grand nombre, qui furent comme les ouvriers chargés des taches secondaires dans le grand travail de la Renaissance, Il correspondait en grec avec le savant Budé, l’ami d’Érasme, le protecteur des lettrés auprès des rois Louis XII et François Ier, un des hommes qui ont rendu le plus de services aux lettres, sans pourtant laisser aucun écrit durable. […] Au commencement, il ne fit que l’éluder il ne se trouvait pas assez savant, et il voulait ajouter à ses connaissances. […] Son éditeur lui avait demandé, dit-on, quelque ouvrage qui le dédommageât du peu de débit des livres savants. […] Jean Du Bellay, évêque de Paris, envoyé en ambassade à Rome par François Ier, voulut avoir auprès de lui un savant si joyeux et un bouffon d’un esprit si solide. […] Quoiqu’il parût aimer tout de l’antiquité, il en préféra cependant la partie scientifique, et, entre le latin et le grec, il eut plus de goût pour le grec, ce sans lequel, dit Gargantua à son fils, c’est « honte qu’une personne se dise savant. » Ses préférences scientifiques s’expliquent-elles par sa profession de médecin, ou n’est-ce pas plutôt son goût pour les choses positives qui lui avait donné l’idée de se faire médecin ?

151. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Mais il perfectionna l’art de Saint-Gelais avec les doctrines et sous l’influence de la poésie savante de Ronsard. […] Ronsard ayant à choisir entre le grec et le latin pour en tirer ses doctes obscurités, avait préféré au mot âme le mot entéléchie comme plus savant, et parce qu’aucune analogie ni ressemblance quelconque avec notre langue ne l’exposait à être compris de la foule. […] En même temps il marquait d’une main ferme la limite dans laquelle la poésie française pouvait être savante. […] Les odes de l’un avaient eu le tort de servir de modèles à la poésie savante ; les sonnets de l’autre étaient coupables de toutes les fadeurs de la poésie amoureuse. […] La ruine de la poésie savante entraînait la ruine de la langue gréco-latine de Ronsard ; la guerre à l’imitation italienne faisait disparaître les subtilités et les équivoques de Desportes.

152. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Même ces pièces diverses portaient les noms des villes et des bourgs où elles avaient été représentées pour la première fois : Atellanæ fabulæ, les atellanes, du nom d’une ville élégante : Atella, située entre Naples et Capoue, au beau milieu des délices romaines. — Poésies fescéniennes, du nom d’une ville de la Toscane savante. […] Appelez seulement Liszt ou madame Pleyel à poser leurs mains savantes sur ces touches silencieuses, et vous entendrez les douleurs, les lamentations, les délires chantants que peuvent contenir ces quatre morceaux de bois d’ébène. — Vous voyez donc qu’il n’y a pas à se désespérer encore, et que même avec cette chance unique de produire une idée nouvelle, il ne faudrait pas se trop lamenter sur la destinée de ce bel instrument. […] Ce petit cri d’oiseau joyeux est remplacé par une déclamation savante : ce geste d’enfant par les belles révérences. […] Récemment encore, le roi venait d’écrire le nom de Molière sur cette glorieuse liste de gens de lettres et de savants, honorés des libéralités de Sa Majesté, et le poète s’était empressé de remercier le roi, à la façon d’un poète comique pour qui tout est sujet de comédie et même un compliment. […] Il a tort et grand tort de nommer en toutes lettres son ennemi Boursault, comme il aura tort, plus tard, de mettre l’abbé Cottin tout vif dans Les Femmes savantes ; il ne faut pas tuer les gens à coups de massue, un petit coup d’épingle, à la bonne heure ; et puis si vous tuez votre homme aujourd’hui que vous restera-t-il le lendemain ?

153. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Déporté aux Instituts, classé et étiqueté comme un savant, M.  […] Et non pas la science philosophique, — parce que la science philosophique raisonne et que la vraie science ne raisonne pas, — mais la science qui compte les grains de poussière, la science qui suppute, la science atomistique, hypothétique, amphigourique, hiératique même, — les savants, pour M.  […] Renan, ce sont les savants. […] Il fut officiellement classé, coté et paraphé comme philosophe et comme savant. […] Même au Journal des savants, l’a-t-on discuté ?

154. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 465-468

Malgré le goût du Siecle pour les choses frivoles, on a accueilli, avec autant d’admiration que de reconnoissance, le savant Ouvrage qu’il a publié sous le titre d’Histoire véritable des temps fabuleux, dans lequel il nous apprend que tout ce qu’Hérodote, Manéthon, Eratosthène & Diodore de Sicile racontent de l’Egypte & des Egyptiens, n’est qu’une imitation défigurée & pleine d’erreurs des endroits de l’Ecriture-Sainte, qui concernent cette nation & la contrée qu’elle habitoit. […] D’après cette analogie si caractérisée, le savant Auteur prétend que les Prêtres Egyptiens ayant eu connoissance des Livres Hébreux, & que, s’étant apperçus qu’ils contenoient des détails sur leur patrie, ils s’en servirent pour se fabriquer des Annales & une longue suite de Rois, dont les noms, altérés à la vérité, se trouvent dans l’Historien sacré.

155. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

La poésie artistique cependant n’a pas disparu : mais par une étrange corruption se réalise un type paradoxal de forme poétique sans poésie ; le néant de l’âme féodale crée pour s’exprimer un art très savant et très insignifiant. […] Charles V était un clerc : il avait étudié les sept arts, la théologie ; il s’entourait d’astrologues, de docteurs, de savants. […] Souvent l’écrivain hésite entre un gallicisme et un latinisme de syntaxe ; il renforce le mot populaire d’un mot savant, transcription fidèle du terme latin. […] Mais le caractère le plus saillant de sa langue, et il en est de même chez tous les savants et lettrés du temps, c’est l’abondance des mots que l’écrivain dérive ou décalque du latin. […] Quand la vulgarité pittoresque du français résistait à la gravité de la langue savante, le rédacteur ou traducteur insérait au milieu de son latin l’idiotisme, le proverbe, la métaphore populaire : de là les sermons appelés macaroniques.

156. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

Entre les savants proprement dits et les directeurs effectifs des travaux productifs, il commence à se former de nos jours une classe intermédiaire, celle des ingénieurs, dont la destination spéciale est d’organiser les relations de la théorie et de la pratique. […] Or nous verrons bientôt que, tout bien considéré, il n’est pas possible d’en distinguer moins de six ; la plupart des savants en admettraient même vraisemblablement un plus grand nombre. […] (1) Il faut d’abord remarquer, comme une vérification très décisive de l’exactitude de cette classification, sa conformité essentielle avec la coordination, en quelque sorte spontanée, qui se trouve en effet implicitement admise par les savants livrés à l’étude des diverses branches de la philosophie naturelle. […] Je me bornerai seulement à faire observer que, s’il est éminemment applicable à l’éducation générale, il l’est aussi particulièrement à l’éducation spéciale des savants. […] Comme de telles conditions sont bien rarement remplies de nos jours, et qu’aucune institution régulière n’est organisée pour les accomplir, nous pouvons dire qu’il n’existe pas encore, pour les savants, d’éducation vraiment rationnelle.

157. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

c’est un savant. N’être qu’un savant ! […] Taine y gagnerait, s’il n’y avait pas en lui des choses indestructibles à toute méthode inventée par les hommes : — il ne serait qu’un savant ! […] Je ne sais pas s’il était alors professeur, ou si c’est depuis qu’il l’est devenu ; mais, alors, il n’avait pas pris le parti de n’être qu’un savant. […] Moïse et sa baguette avaient toujours manqué, et Moïse, ici, c’est l’homme renseigné, c’est le savant.

158. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Est-ce pour faire amende honorable, pour faire pénitence d’avoir publié les charmants Mémoires inédits de Fléchier sur les Grands-Jours, que le même savant éditeur nous donne aujourd’hui les Lettres de Rancé ? […] Gonod sont de différentes dates et adressées à plusieurs personnes ; sauf un très-petit nombre, elles se divisent naturellement en trois parts : 1° celles à l’abbé Favier, l’ancien précepteur de Rancé ; 2° celles à l’abbé Nicaise, de Dijon, l’un des correspondants les plus actifs du xviie siècle, et qui tenait assez lieu à Rancé de gazette et de Journal des Savants ; 3° celles à la duchesse de Guise, fille de Gaston d’Orléans et l’une des âmes du dehors qui s’étaient rangées sous la direction de l’austère abbé. […] Cet abbé Nicaise, que Rancé avait connu durant son voyage de Rome, était, comme on sait, le plus infatigable écriveur de lettres, le nouvelliste par excellence et l’entremetteur officieux entre les savants de tous les pays ; c’était un Brossette avec beaucoup plus d’esprit et de variété ; il ne résistait pas à l’idée de connaître un homme célèbre et d’entretenir commerce avec lui. […] C’est toujours un rôle délicat de donner des conseils sur un ouvrage dans lequel on se trouve loué, soit que, comme M. de La Rochefoucauld, on revoie d’avance l’article que Mme de Sablé écrivait pour le Journal des Savants sur le livre des Maximes, soit qu’ici, comme Rancé, on soit simplement consulté par l’auteur sur la Relation d’un voyage à la Trappe, et qu’on lui suggère quelque idée de ce dont il serait plus à propos de parler : « Comme, par exemple, du nouvel air que vous respirâtes en arrivant dans la terre où habitent des gens qui font précisément et uniquement dans le monde ce qu’ils sont obligés d’y faire, etc., etc. ; faire un petit éloge de la solitude et des solitaires, autant que le peu de moments que vous les avez vus vous ont permis de les connoître, etc., etc. » Hâtons-nous de corriger ce que notre remarque semblerait avoir d’un peu railleur et enjoué, en déclarant qu’à part ce passage, rien dans cette correspondance n’accuse le moindre vestige subsistant d’amour-propre mondain ni de vanité.

159. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Jamais les difficultés, cherchées et multipliées à plaisir d’artiste, de la prosodie et du rythme n’ont été mieux déguisées par la simplicité mélodique du sentiment ; et jamais la banalité du sentiment éternel n’a été mieux relevée par la recherche, la complication adroite de l’art… Aujourd’hui, M. de Banville, après avoir publié deux livres de poésies remarquables, et répandu dans les journaux, dans les revues, de nombreuses pages d’une prose savante, correcte, pleine de nombre et de mouvement, est encore considéré par bien des gens comme un jeune écrivain dont le talent promet. […] Hippolyte Babou Les Odes funambulesques, c’est vous trait pour trait, c’est vous tout entier, avec votre fougue savante et votre lyrisme excessif, avec vos gammes tournoyantes d’allégresse, avec cette double force native qui ne s’est révélée qu’à demi, je le crois, dans les Cariatides et dans les Odelettes… J’ai entendu dire un jour à quelqu’un, qui songeait sans doute au vers de Boileau : La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir, que vous étiez le commandeur de la rime. […] Mais Banville est le roi des rimes, Les rimes sont parfois maussades ; Il les faut alors supplier, Les noyant d’autant de rasades Qu’en eût pu boire un templier ; Elles sont dures à plier À de si savantes escrimes Où Boileau n’est qu’un écolier : Mais Banville est le roi des rimes. […] Il mit tout son orgueil à devenir savant, à comprendre le murmure des choses.

160. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Ce sont là de ces choses qu’un savant ne doit pas avouer.” » Une dernière lettre de lui à Mlle Ludmilla Assing, nièce chérie de son ami Varnhagen, témoigne que l’ombre de la mort n’avait point atteint le cœur. […] On se reprocha d’avoir été la dupe de la fausse conduite d’un homme qui n’avait de sacré que lui-même, et, si sa réputation de savant resta la même, sa réputation de bonhomme déclina peu de jours après sa mort. […] Telle est l’impression que ce double caractère de ses traits avait toujours produite involontairement sur moi : un savant véritable, enclin au mépris de la race humaine et dans lequel la science seule était vraie ; mais une science bornée, comme une science moderne, qui faisait calculer, mais qui ne faisait point penser, et qu’on pouvait écrire en chiffres au lieu de l’écrire en enthousiasme et en contemplation. […] Le premier mot de Job poussait l’esprit de l’homme mille et mille fois plus loin et plus haut que tout le savant verbiage du philosophe prussien : Ubi est Deus ? […] Le savant traducteur anglais, M. 

161. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Ammonius Saccas, le fondateur de la plus haute et de la plus savante école philosophique de l’antiquité, était un portefaix. […] Quelle douleur pour le savant et le penseur de se voir par leur excellence même isolés de l’humanité, ayant leur monde à part, leur croyance à part ! […] Je les aime… Toutefois le savant ne peut prendre ce parti, quand il le voudrait, car ce qui lui a été démontré faux est pour lui désormais inacceptable. […] Il faudra traverser un autre Moyen Âge, pour renouer le fil brisé de la tradition savante. […] Et, vis-à-vis de tout cela, quelques obscurs savants, pauvres, sans appui dans les masses, Galilée, Descartes.

162. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

A Zurich, au contraire, il se trouva au centre d’un petit cercle de savants et d’artistes que l’exil ou d’autres hasards y avaient amenés. […] Simrock, qui part du point de vue du simple savant, dit : « La légende de Tristan est celle qui est la plus intimement liée à la légende de Siegfried. […] Ce drame qui doit agir directement sur les sens, ne demande pas de savant commentaire. […] de tous les chevaliers, il est le plus savant, le plus artiste ; il parle toutes les langues, il joue de tous les instruments, il écrit des « lays » et de la musique75. […] Serait-ce le moment de réfuter cette armée de savants, d’esthéticiens, de critiques qui nous prouvent que la suprême qualité de Tristan est son grand défaut ?

163. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Voltaire en parle dans quelques lettres à des savants italiens, mais il ne l’avait évidemment pas lu tout entier (chose difficile), et on a vu plus haut qu’il en parle comme d’une monstruosité poétique. […] Artaud était un diplomate et un savant français, résidant tantôt à Florence, tantôt à Rome. […] Ses liaisons avec le monde savant et lettré de Rome n’étaient pas moins intimes. […] Artaud n’était pas poète, j’en conviens ; mais il était savant. […] Il nous suffit d’avoir donné au lecteur, qui voudra lire les trois poèmes tout entiers, la clef de ces interprétations retrouvées et présentées par un judicieux et savant esprit.

164. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Quintilien en développa dignement les savantes beautés. […] La fable d’Héliodore est bien éloignée de la savante intrigue de nos bons romans. […] Les savants n’en disent mot. […] Un savant célèbre, M.  […] Sa muse savante et mystique toucherait plutôt à l’autre extrémité du mauvais goût.

165. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Les avantages d’une telle palestre savante, d’un tel séminaire intellectuel, sont au-delà de ce qu’on peut dire, et c’est ainsi qu’en doivent juger surtout ceux qui ont été privés de cette haute culture privilégiée, de cette gymnastique incomparable, ceux qui, guerriers ordinaires, sont entrés dans la mêlée sans avoir été nourris de la moelle des lions et trempés dans le Styx. […] A ce rude métier, il devint ce qu’il est surtout et au fond, un savant, l’homme d’une conception générale, d’un système exact, catégorique, enchaîné, qu’il applique à tout et qui le dirige jusque dans ses plus lointaines excursions littéraires. […] Le savant critique l’attaque et l’investit, comme ferait un ingénieur ; il la cerne, la presse et la resserre, sous prétexte de l’environner de toutes les conditions extérieures indispensables : ces conditions servent, en effet, l’individualité et l’originalité personnelle, la provoquent, la sollicitent, la mettent plus ou moins à même d’agir ou de réagir, mais sans la créer. […] On n’y réussit d’abord qu’incomplétement, et l’on pourrait citer plus d’une exception heureuse, plus d’un élève distingué qui, par son tour et son ressort d’esprit déjoua le régime mortifiant de ces froides années, — l’israélite Bréal, l’ingénieux mythologue de l’école de Renan ; le protestant George Perrot, savant archéologue et voyageur ; le spirituel voltairien Goumy, et bien d’autres encore. — (Voir à l’Appendice, à la fin du volume, une lettre d’un ancien élève sur l’École normale de ce temps ; j’aime à noter et à recueillir ces témoignages directs.) […] Taine m’écrit à ce sujet que je l’ai fait trop savant en ce qui est des mathématiques : « J’ai à peine touché les mathématiques ; je n’ai fait qu’effleurer l’analyse : j’en entends l’idée et la marche, voilà tout. » Ses études se sont presque toutes concentrées autour de la psychologie, et c’est pourquoi il dut s’appliquer principalement à la physiologie humaine et comparée.

166. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Nos savants se sont, en général, rigoureusement renfermés dans les études spéciales, et n’ont pas cherché à élargir leur popularité par la séduction des hypothèses générales et des vastes perspectives systématiques. […] Toute sa vie de savant, d’écrivain, d’homme de cabinet, est le résultat d’un acte, d’un acte volontaire et libre qui représente une belle dépense d’énergie. […] Mais ce savant, qui n’a jamais cessé de pratiquer et de recommander la recherche méthodique du vrai, la poursuite courageuse de la connaissance rationnelle, savait les limites de la raison et de la science. Du christianisme de sa jeunesse il avait retenu une certitude, que toute son expérience de savant confirma : que la morale n’est point affaire de science, mais article de foi, que le bien et la vertu tirent leur valeur de ce qu’on les choisit librement, gratuitement, et qu’enfin, si on ne courait chance d’être dupe en se désintéressant, en se sacrifiant, ni le désintéressement ni le sacrifice n’auraient grand mérite. […] On hésitait à prendre au sérieux un savant qui tirait tant de révérences à l’idéalisme, un critique qui ne semblait occupé qu’à donner de l’eau bénite.

167. (1890) L’avenir de la science « XVI »

De là encore la superbe poésie de ces types primitifs où s’incarnait la doctrine, de ces demi-dieux qui servent d’ancêtres religieux à tous les peuples, Orphée, Thot, Moïse, Zoroastre, Vyasa, Fohi, à la fois savants, poètes, législateurs, organisateurs sociaux et, comme résumé de tout cela, prêtres et mystagogues. […] Il y a des poètes, des savants, des philosophes, des moralistes, des politiques ; il y a même encore des théologiens et des prêtres 151. […] L’humanité ne sera savante que quand la science aura tout exploré jusqu’au dernier détail et reconstruit l’être vivant après l’avoir disséqué. Ne raillez donc point le savant qui s’enfonce de plus en plus dans ces épines. […] Une conséquence de cette manière simple de prendre la vie, c’est d’apercevoir la physionomie des choses, ce que ne font jamais les savants analystes, qui ne voient que l’élément inanimé.

168. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Il en est résulté que sa grande et ambitieuse tentative, qui mécontentait et inquiétait les hommes religieux et le clergé, ne satisfaisait point d’ailleurs les savants et le petit nombre des libres philosophes ; elle avait contre elle les croyants, et n’avait pas pour elle les physiologistes. […] En effet, les savants de nos jours s’aventurent peu dans les questions générales ; mais le clergé est redevenu important, considérable, et il est naturel que l’on compte avec lui. […] Qu’on lise les huit articles qu’il a publiés dans le Journal des savants (août 1851-avril 1852), et qui ne sont pas finis ; les deux articles qu’il a publiés dans la Revue des deux mondes (1er août 1851 et 15 mai 1852) : c’est une peinture toujours nouvelle, toujours recommençante, et ne craignant pas même de se recopier (il n’y a pas de redites en amour)16, de cette personne « aux grâces immortelles », et à qui il ne reconnaît plus de défauts. […] [NdA] Ainsi, dans l’article de la Revue des deux mondes du 15 mai 1852, on est tout surpris de relire des passages entiers qui étaient dans l’article du Journal des savants du mois de mars précédent. […] [NdA] Journal des savants de 1851, p. 714.

169. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Galilée seul fit exception comme savant, et offrit l’instrument exact à l’âge qui succéda. […] Le public, à son tour, on peut le dire, n’avait pas civilisé non plus les savants. […] Mais Naudé, nous l’avons dit, ne faisait aucun cas des romans et contes en langue vulgaire, et ne daignait s’enquérir de leur plus ou moins d’agrément ; s’il s’est montré quelque peu savant en us, ç’a été par cet endroit. […] Sur ce terrain-là, il n’a pas son esprit habituel : ce n’est plus qu’un savant du xvie  siècle en colère. […] Cette cour était devenue sur la fin un guêpier de savants qui s’y jouaient des tours ; Naudé n’y tint guère.

170. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 230-234

Dans cette importante discussion, tout est appuyé sur les preuves les plus incontestables ; on cite, dans les Langues originales, les passages qui viennent au secours des assertions ; on les traduit le plus souvent en faveur de ceux qui n’entendent pas les Langues savantes. […] Il ne falloit rien moins qu’un Savant éclairé & laborieux, pour se charger de ce travail.

171. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 343-347

Freret, & le zele de ses Editeurs a moins contribué à la gloire de ce Savant, qu’a fournir un répertoire aux Incrédules, à l’Auteur du Dictionnaire philosophique, entre autres, qui s’est souvent paré de son érudition. […] « Ce Savant connoissoit, dit l’Auteur de son Eloge historique*, tous les Romans & les Théatres de presque tous les peuples, comme si ses lectures n’avoient jamais eu d’autre objet…..

172. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VII. Des ouvrages périodiques. » pp. 229-243

Wolfius, savant Allemand, s’avisa de nous la contester pour en revêtir Photius qu’on doit ranger plûtôt dans la classe des bibliographes que dans celle des journalistes. […] Mais après le vingt-cinquiéme volume de cet ouvrage savant & curieux, il lui donna celui de Bibliothèque choisie, pour servir de suite à la Bibliothèque universelle. […] Bonami, de l’Académie des inscriptions & belles-lettres, homme savant & poli.

173. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Nos plus délicates recherches spirituelles ne nous donnent que des motifs de savante incertitude. […] Les idées des savants gouvernent le monde. […] Les idées des savants n’arrivent au monde que transformées par le soin détestable de ces ministres. Et, à vrai dire, ce ne sont pas les idées des savants qui gouvernent le monde, mais, plus exactement, les contresens que les imbéciles ont faits sur les idées des savants. […] Un jour, il présidait un congrès de savants.

174. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

» Elle était savante et connaissait la nature des enchantements. […] Ce sont des philosophes, ce sont des savants que nous rencontrons chaque jour dans la rue, et M. de Wyzewa a fait en sorte que le Galiléen, l’emportant cette fois encore, confondît d’un mot le savant et le philosophe. […] Elle est secrète et veut des connaisseurs savants et délicats pour la goûter dans une chambre close. […] Ernest Renan, il était délicieux ; en lui le bonhomme faisait la fusion du savant et du poète. […] Marcel Schwob, qui est un philosophe et un artiste, est aussi un savant.

175. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Nisard »

Mais à part ce mérite, partagé par tant de savants d’alors, de déterreurs d’une société finie et de langues mortes, quoi donc pourrait recommander, à l’attention et même à la curiosité, l’existence imperceptiblement domestique ou publique d’hommes perdus dans des études effrayantes sur des vocables latins ou grecs, et dont les travaux, utiles comme le mortier et les pierres qui ont servi à bâtir un monument, ne sont pas plus regardés que ce mortier et ces pierres, quand le monument est debout ? […] Tufière énorme, qui cachait sous les rides bilieuses du front de l’érudit l’orgueil d’une naissance chimérique, plus intraitable encore que son orgueil de savant, Joseph Scaliger, dans les mains d’un écrivain moraliste et d’une certaine vigueur de pinceau, serait une figure et un caractère.

176. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Une de ses tantes Saugrain avait épousé un des frères de Bure, l’un des savants libraires que nous avons encore connus. […] Le savant voyageur Lechevalier, celui de la Troade, qui portait intérêt au brillant élève, ne l’appelait plus depuis ce jour que « le chancelier de Zénobie. » Cependant il n’y avait que le prix d’honneur, c’est-à-dire le premier prix de discours latin, qui exemptât de la conscription : on fit valoir, à l’appui du discours français du jeune lauréat, sa santé délicate, sa taille frêle, sa poitrine un peu rentrée, et il ne partit pas. […] Ilarriva ainsi à s’en servir très suffisamment comme homme d’esprit, comme homme de goût et de lettres, non à en user familièrement dans l’entretien et les relations journalières, ni à les posséder non plus en vrai savant, à les rapprocher, à les rejoindre, à les déduire, à les expliquer l’une par l’autre. […] Il y avait alors, non loin de lui, des savants, des convertis aussi dans leur genre, qui faisaient de leur religion grand bruit et qui embouchaient la trompette à la porte du temple : lui, il était le plus éloigné d’en agir de la sorte, il ne puisait dans sa foi que des motifs de consolation intérieure. […] Il serait difficile cependant de surprendre dans aucun des articles écrits par lui, qui se rapportent à sa dernière période de croyance, la moindre trace de ses préoccupations austères et sombres, si ce n’est peut-être dans un article du Journal des Savants d’octobre 1859 : à l’occasion d’un livre de M. 

177. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Les savants musiciens des siècles scolastiques sentirent que les sons employés par leurs devanciers ne suffisaient plus à traduire la multiplicité naissante des émotions. […] Mais les savants compositeurs scolastiques ne furent point, comme les Grecs des esprits positifs et raisonnables. […] Alors la musique populaire, qui avait eu un développement parallèle à celui de la musique savante, vint au salut de l’an émotionnel. […] Pendant que les savants compositeurs détruisaient la langue musicale ancienne, une nouvelle langue était fournie à la musique par ces chansons populaires. […] Son œuvre demeure, pour nous, d’une compréhension malaisée ; il emploie un langage encore indécis, moyen entre la langue des vieux savants, à nous secrète, et la langue nouvelle qui venait du peuple.

178. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

C’est par elle que Bacon caractérise la méthode que suivaient les savants de son temps et qu’il combat. […] Mais pour que les faits ainsi définis pussent être assignés, en tant que choses, à l’observation du savant, il faudrait tout au moins que l’on pût indiquer à quel signe il est possible de reconnaître ceux qui satisfont à cette condition. […] On peut donc croire que, pourchassé de science en science, ce préjugé finira par disparaître de la sociologie elle-même, sa dernière retraite, pour laisser le terrain libre au savant. […] Ce n’est pas, sans doute, que le concept vulgaire soit inutile au savant ; il sert d’indicateur. […] C’est dire que ce côté n’est pas celui par où le savant peut aborder l’étude de la réalité sociale.

179. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Enfin, il est également vrai que le premier qui ait popularisé en France, non dans la langue des savants, comme Érasme, mais dans la langue de tous, les premières vérités de la philosophie chrétienne, c’est Calvin. […] Il termina ses premières études à Paris, sous Mathurin Cordier, habile et savant professeur. […] Ainsi se forma le corps de la doctrine calviniste, le Livre-Somme, qui, de 1536 jusqu’à la fin du xviie siècle, fut dans toutes les mains savantes, et qui, au xvie  siècle, fut comme le formulaire de toute l’Europe théologique. […] Béda objectait à Budé, en présence de François Ier, qui le consultait sur la fondation de chaires de langues savantes, que ces langues enfanteraient des hérésies71. Voilà ce qui fit une si grande nouveauté de ce livre, où Calvin se montrait à la fois profond hébraïsant, latiniste consommé, également savant dans les deux antiquités, et rendant sensible toute cette science par le langage le plus approprié et le plus clair.

180. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

L’amour pur d’Armande et de Bélise dans les Femmes savantes, celui même de Cathos et de Madelon dans les Précieuses ridicules n’ont d’autre défaut que d’être affectés et de couvrir le néant sous un pathos ridicule. […] On peut se moquer des savants, des poètes, des philosophes, des hommes religieux, des politiques, des plébéiens, des nobles, des riches bourgeois. […] C’est la critique complète, à la fois élevée et savante, indulgente et impitoyable. […] Faites le tableau des hommes d’intelligence qui ont puissamment poussé à la roue, vous aurez des penseurs et des écrivains, comme Luther, Voltaire, Rousseau, Chateaubriand, Lamartine, mais très peu de savants ou de philosophes techniques. […] L’humanité, il faut le reconnaître, n’a pas marché jusqu’ici d’une manière assez savante, et bien des choses ont été (passez-moi le mot) bâclées dans la marche de l’esprit humain.

181. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Avec une intelligence forte et un travail vigoureux, on pouvait sans doute tenir le grand chemin, parcourir la route entière des études classiques, et au plus vite, en toute hâte, se diriger encore à temps, si l’on en avait la volonté, vers les études spéciales, mathématiques et autres, qui ouvraient l’entrée des grandes écoles savantes ; mais la question alors était tout ou rien, et un faux pas au terme faisait échouer. […] Arago soutenait une thèse, celle des sciences contre les langues anciennes savantes : tant qu’il parlait science il avait raison, et il ne devenait choquant que lorsqu’il attaquait à outrance ce qu’il eût suffi de circonscrire et de limiter. […] Saint-Marc Girardin défendait les études classiques avec l’autorité qu’il a et la grâce qu’il y savait mettre : notre cœur à nous qui sommes plutôt du vieux monde, était pour lui ; et pourtant notre raison, notre bon sens reconnaissait qu’il y avait du vrai dans les assertions positives du savant qui voulait faire brèche, et qui représentait toute une race vigoureuse d’esprits. […] Devait-elle être modifiée, et plus que modifiée, renouvelée de fond en comble et sur d’autres bases, comme l’exigeaient des savants distingués, et (en laissant M.  […] [NdA] C’est à propos de l’Académie de Philadelphie dont il était l’un des principaux fondateurs, et qui avait dévié de sa destination première en admettant dans une trop forte proportion l’enseignement du grec et du latin, que Franklin dans sa vieillesse exprimait de la sorte son opposition à l’envahissement prolongé des langues savantes et à la part disproportionnée qu’elles prenaient dans l’éducation de ceux qui devaient avoir, toute leur vie, autre chose à faire.

182. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

A dix-neuf ans, il méditait un voyage vers ces contrées centrales de l’Afrique qui n’ont encore été explorées que rarement et par quelques voyageurs, la plupart victimes de leur curiosité intrépide et savante. […] Les Touâreg du Sud, appartenant à l’Afrique centrale, ont été l’objet il y a quelques années, d’une exploration attentive de la part du docteur Barth, de Berlin, que notre jeune homme appelle « son savant ami et protecteur », et dont il s’attache à suivre la trace et les méthodes dans sa courageuse entreprise23. […] C’est ainsi qu’en ont jugé, en France et à l’étranger, les sociétés savantes et les rapporteurs les plus compétents. […] Ceux qui ont vécu dans les montagnes, au voisinage des glaciers, savent que chaque chose a son nom ; les habitants du pays ou, à leur défaut, les savants, ont tout observé, tout nommé. […] Ne laissons pas aux Anglais et aux Allemands tout l’honneur de ces courageuses et savantes expéditions.

183. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Sans ambition, sans passion violente, entremêlant une libre étude, souvent opiniâtre, à des distractions de société, à des lectures en commun, à de petits concerts, négligé et oublié de son évêque, il vivait ordinairement à Aubagne au sein de sa famille et faisait de temps en temps à Marseille ou à Aix des voyages qui entretenaient ses relations avec les savants du pays. […] Le jeune abbé, invité par lui à ses dîners des mardis et des mercredis, y connut les savants du jour, les hommes de lettres de l’Académie des inscriptions, et quelques gens du monde qui se piquaient d’érudition et d’art ; il ressentit la première fois en leur présence quelque chose de ce même respect et de cette émotion qu’il avait prouvés à quinze ans en voyant d’abord M. de La Visclède : Ce profond respect pour les gens de lettres, dit-il, je le ressentais tellement dans ma jeunesse, que je retenais même les noms de ceux qui envoyaient des énigmes au Mercure. […] Ôtez ce mot de grandeur, ôtez ces noms de Platon et d’Aristote qui sont de trop, il reste vrai que l’abbé Barthélemy avait la plus belle tête ; trop de maigreur, mais tous les avantages extérieurs qui préviennent, et des manières qui faisaient de ce jeune savant le plus naturel des gens du monde : « L’abbé Barthélemy est fort aimable et n’a d’antiquaire qu’une très grande érudition » ; c’est ce que dit Gibbon et ce que répètent tous ceux qui l’ont connu. […] Mais ce Muselli, comme presque tous les savants d’Italie, a grand désir de tenir par quelque lien à l’Académie des inscriptions de France, et Barthélemy prie M. de Caylus de négocier auprès de l’Académie en faveur dudit Muselli pour une place de correspondant, en s’arrangeant toutefois pour qu’on lui renvoie, à lui Barthélemy, la conclusion de l’affaire : Je passerai à Vérone, dit-il ; s’il me cède la médaille, je lui donnerai quelques espérances ; s’il me la refuse, je lui ferai peur de mon opposition à ses désirs ; le tout fort poliment. […] Tout cela est dit en riant, et de ce ton d’homme du monde qui, chez Barthélemy, ne cesse d’accompagner le savant et d’écarter doucement le pédant.

184. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Chacun de ses savants écrits, ses Études d’histoire religieuse, ses Essais philosophiques et littéraires s’enlevaient rapidement, et il avait atteint, auprès du public lettré, à ce degré le plus désirable de considération et d’intérêt soutenu, au-delà duquel il n’y a plus que la vogue avec ses inconstances. […] Aussi sa sérénité d’homme d’étude et de savant, même en son plus grand redoublement de labeur, ne fut-elle jamais troublée. […] Eugène Burnouf, esprit supérieur, pour la méthode et le tact scientifique, il concourut par de savants Mémoires pour des prix proposés par l’Institut. […] Après avoir donné à la revue qui paraissait sous le titre de La liberté de penser un morceau très-remarqué entre autres, De l’Origine du langage (1848), il signala bien tôt son entrée à la Revue des Deux Mondes (1851), et presque en même temps au Journal des Débats (1852), par une suite d’essais ou d’articles, parfaits, excellents, où se produisait sur maint sujet d’histoire, de littérature ou d’art, et sous une forme également grave et piquante, cet esprit savant, profond, délicat, fin, fier et un peu dédaigneux.

185. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

C’est de là que, trois ans après, il écrivait la lettre suivante à l’un de ses anciens amis de la Congrégation de Saint-Maur, dom de La Rue, savant éditeur d’Origène. […] Prevost, que l’on trouve tous les jours plus aimable, savant et spirituel. […] Ce supérieur général, grossier, sans naissance, sans mérite, aux manières dures, et qui ne fait nul cas des savants parce qu’il ignore jusqu’aux premiers éléments des sciences, n’est autre peut-être que celui à qui Prévost adressait cette lettre railleuse et à demi menaçante en partant ; je le soupçonne fort d’être le général de la Congrégation de Saint-Maur, dom Alidon en personne. […] Le père Erasmos, qui unit en lui deux hommes si divers, si dissemblables, tour à tour savant aimable et moine bourru, nous apparaît plein de vie dans sa singularité ; de tels originaux se copient et ne s’inventent pas.

186. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

L’auteur des Prédicateurs avant Bossuet, le savant et fin commentateur des Oraisons funèbres et du Discours sur l’histoire universelle, vient de publier, avec introduction, notices et notes, un recueil de textes choisis, de 660 pages, et ces textes ne sont pas de Bossuet ! […] Si je ne me trompe, nous retrouverons quelque chose de cette honnête candeur chez Madeleine de Scudéry, la vierge sage, d’âme héroïque et d’esprit prolixe  Voici Marguerite d’Angoulême, très savante, très entortillée, toute fumeuse de la Renaissance, souriante, gaie et bonne à travers tout cela, avec son grand nez sympathique, le nez de son frère François Ier  Puis, c’est l’autre Marguerite, Marguerite de Valois, point pédante celle-là, dégagée, galante avec une entière sécurité morale, que rien n’étonne, qui raconte si tranquillement la Saint-Barthélémy ; la première femme de son siècle qui écrive avec simplicité ; une inconsciente, un aimable monstre, comme nous dirions, aujourd’hui que nous aimons les mots plus gros que les choses  Je mets ensemble les enamourées, les femmes brûlantes, les Saphos, chacune exhalant sa peine dans la langue de son temps : Louise Labé mettant de l’érudition dans ses sanglots ; Mlle de Lespinasse mêlant aux siens de la sensibilité et de la vertu, Desbordes-Valmore des clairs de lune et des saules-pleureurs… Mlle de Gournay est une antique demoiselle pleine de science, de verdeur et de virilité, une vieille amazone impétueuse que Montaigne, son père adoptif, dut aimer pour sa candeur, une respectable fille qui a l’air d’un bon gendarme quand, dans son style suranné, elle défend contre Malherbe ses « illustres vieux ». […] …  Puis c’est, à l’arrière-plan, Mme des Houlières, besoigneuse, « ayant eu des malheurs », intrigante, cherchant à placer ses deux filles, suspecte d’un peu de libertinage d’esprit, avec je ne sais quoi déjà du bas-bleu et de la déclassée… Voici, en revanche, deux perles fines, deux fleurs de malice et de grâce : Mme de Caylus, si vive, si espiègle et si bonne, et la charmante Mme de Staal-Delaunay, qui fait penser, par son changement de fortune et par la souplesse spirituelle dont elle s’y prête, à la Marianne de Marivaux  Une révérence, en passant, à la sérieuse et raisonneuse marquise de Lambert, et nous sommes en plein xviiie  siècle, parmi les aimables savantes et les jolies philosophes. […] Une femme, Mme Ackermann, très studieuse et très savante, d’existence unie et qui n’a pas eu de très grands malheurs, s’avise, dans son âge mûr, d’écrire des vers.

187. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre II. Des livres de géographie. » pp. 5-31

L’auteur connu par sa savante Histoire du Languedoc, étoit très-laborieux ; il ne lui est échappé que peu de fautes, & il y a des notices très-bien faites des pays qui nous intéressent le plus. […] Elle est à présent en 10. de l’édition de 1767., revue par un savant connu. […] Le principal objet des voyages de ce Savant fut la Botanique. […] in-12. sont d’un voyageur qui réunissoit l’exactitude d’un savant & la curiosité d’un philosophe.

188. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « J.-J. Ampère ; A. Regnault ; Édouard Salvador »

Les savants le trouvaient un poète, les poètes en faisaient un savant, et le public, qui n’est ni savant ni poète, était de l’avis des uns et des autres.

189. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

À côté d’eux un certain nombre de philosophes et de savants de l’Institut. […] Qu’il écoute plutôt sur quel ton les savants parlent de la science des littérateurs ! […] Quel drame intime s’engage chez le savant en lutte contre les créations mêmes de son génie ! […] Ces savants ont fait école : ils ont vu aussitôt accourir à eux la foule des demi-savants et des faux savants. […] Le savant désordre et la déroute concertée de ce costume n’est qu’une variété du dandysme.

190. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

C’est là qu’en sont arrivés, je ne dis pas tous les savants, grâce au ciel, mais un certain nombre d’entre eux, qui, rangés sous la bannière de M.  […] Les philosophes n’ont pas une idée scientifique de la nature, et les savants n’ont pas une idée scientifique de Dieu. […] Puis elle demanderait à toutes les sciences réunies, y compris les mathématiques, une idée savante et profonde de la nature. […] Or les savants, dans chaque ordre de sciences, distinguent les théories des vérités constatées et démontrées. […] Les savants, dans les autres ordres de connaissances, ne commettent pas une pareille faute.

191. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Deux jeunes savants du plus grand mérite, MM.  […] Soyons savants et rendons Loulou savante ; mais attachons-nous à l’esprit et non point à la lettre. […] La critique savante de M.  […] Pâris n’est pas seulement un savant. […] Prospero est lui-même un savant.

192. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gautier, Judith (1845-1917) »

Judith Walter a écrit, et cette strophe délicieuse et savante évoque son image, bien mieux que je n’ai su le faire : Derrière les treillages de sa fenêtre, une jeune femme qui brode des fleurs brillantes sur une étoffe de soie, écoute les oiseaux s’appeler joyeusement dans les arbres. […] J « Fleurs de luxe, de charme et de beauté, que l’on cultive encore aujourd’hui et qui seront bientôt les seuls vestiges du Japon splendide d’autrefois, … artificielles princesses choisies parmi les beautés les plus rares, élevées dans tous les raffinements du goût aristocratique, instruites des rites et de l’étiquette, savantes, virtuoses en tous les arts, jeunes, passionnées, enivrantes et… accessibles », ces Princesses d’amour, dans la cité d’amour, content et vivent des histoires d’amour évoquant les précieux décamérons et les merveilleuses « Mille et Une nuits ».

193. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Quatrième faculté d’une Université. Faculté de théologie » pp. 511-518

En Espagne, où le mérite conduit à l’épiscopat et la protection de l’évêque aux fonctions subalternes, le haut clergé est savant et respectable et le bas clergé ignorant et vil. […] Séparer le séminaire des écoles, c’est séparer la théorie de la pratique, c’est donner la préférence à la science sur les mœurs ; cependant il est évident qu’un prêtre, sinon ignorant, du moins très-médiocrement instruit, peut être un très-bon prêtre, et cela aussi facilement qu’un savant ecclésiastique peut être un très-mauvais ecclésiastique. […] C’est ainsi qu’on formerait un bon et savant ecclésiastique en Italie, en France, en Angleterre, en Espagne, en Portugal.

194. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Laïs de Corinthe et Ninon de Lenclos » pp. 123-135

Un homme plus savant sur la Grèce que Debay, malgré son séjour dans le Péloponèse, et dont le talent a pour caractère distinctif une sagacité redoutable, Prosper Mérimée, a regretté quelque part, avec le sentiment d’une curiosité indigente et trompée, cette absence de mémoires, qui nous enlève d’un seul coup la moitié du monde grec sans espoir de la retrouver, et précisément la moitié dans laquelle se produisaient, en se variant, l’influence et l’action des courtisanes. Pour obvier à cet inconvénient, qui frappe de stérilité la biographie que l’auteur du livre dont il est question voulait écrire, non pour Laïs elle-même, mais pour l’honneur de cette chose que Laïs représente dans le monde ancien et Ninon dans le monde moderne, et que nous ne savons comment nommer avec décence, Debay a découvert (nous ne dirons pas qu’il l’a inventé un manuscrit grec dont l’original, trouvé, dit-il, au couvent de Mégaspitron, et confié aux soins de Vietti le Polyglotte, a complètement disparu depuis la mort de ce savant. […] Les mots de Ninon sont trop connus, ses lettres authentiques et les livres qui nous parlent d’elle ne sont point des manuscrits grecs, confiés à des savants qui meurent (peut-être du plaisir de les lire), et qui ne se retrouvent plus.

195. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Vous répudieriez nos éloges, habitué que vous êtes à n’estimer que les jugements de vos pairs, et, dans les débats scientifiques que soulèvent tant d’idées neuves, vous ne voudriez pas voir des appréciations littéraires venir se mêler au suffrage des savants que rapproche de vous la confraternité de la gloire et du travail. Entre vous et vos savants émules nous n’avons point à intervenir. […] Il y a quelque chose que nous savons reconnaître dans les applications les plus diverses ; quelque chose qui appartint ou même degré à Galilée, à Pascal, à Michel-Ange, à Molière ; quelque chose qui fait la sublimité du poète, la profondeur du philosophe, la fascination de l’orateur, la divination du savant. […] De là vos savantes recherches sur les maladies du vin, de la bière, des vers à soie, puis sur ces terribles accidents de la machine humaine, le charbon, la septicémie, la rage, qui peuvent amener la mort à l’organisme par lui-même le plus sain et le plus robuste. […] Vous avez mille fois raison, Monsieur, quand vous mettez au-dessus de tout pour le progrès de l’esprit humain le savant, qui fait des expériences et crée des résultats nouveaux.

196. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Flourens promet de continuer cette série consacrée à populariser les méthodes des savants célèbres, et qui, remontant en arrière par les noms les plus en vue, complète très bien les éloges qu’il est chargé annuellement de faire des modernes académiciens décédés. […] Il y a le Fontenelle bel esprit, coquet, pincé, damoiseau, fade auteur d’églogues et d’opéras, rédacteur du Mercure galant, en guerre ou en chicane avec les Racine, les Despréaux, les La Fontaine ; le Fontenelle loué par de Visé et flagellé par La Bruyère ; et à travers ce Fontenelle primitif, à l’esprit mince, au goût détestable, il y en a un autre qui s’annonce de bonne heure et se dégage lentement, patiemment, mais avec suite, fermeté et certitude ; le Fontenelle disciple de Descartes en liberté d’esprit et en étendue d’horizon, l’homme le plus dénué de toute idée préconçue, de toute prévention dans l’ordre de la pensée et dans les matières de l’entendement ; comprenant le monde moderne et l’instrument, en partie nouveau, de raisonnement exact et perfectionné qu’on y exige, s’en servant avec finesse, avec justesse et précision, y insinuant l’agrément qui fait pardonner la rigueur, et qui y réconcilie les moins sévères ; en un mot, il y a le Fontenelle, non plus des ruelles ni de l’Opéra, mais de l’Académie des sciences, le premier et le plus digne organe, de ces corps savants que lui-même a conçus dans toute leur grandeur et leur universalité quand il les a nommés les états généraux de la littérature et de l’intelligence. […] Disciple de Descartes en philosophie, mais disciple libre et qui se permettait de juger son maître, il comprit qu’il y avait un rôle à prendre, un milieu à tenir entre les gens du monde et les savants, et que l’esprit, qui, d’un côté, servait à entendre, pouvait servir, de l’autre, à exprimer. […] Tous les savants se mirent à disserter, à disputer sur cette dent d’or ; on en écrivit deux ou trois histoires. […] Il a parfaitement défini cette suite d’éloges ingénieux, véridiques et succincts, où tout ce qui est obscur est éclairci, tout ce qui est technique généralisé, et où chaque savant n’est loué que pour ce qu’il a laissé d’important et de durable : « Il loue, a dit de lui M. 

197. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Non-seulement nous remarquons ici, comme dans le cas précédent, que le transport des fardeaux est l’effet principal et ordinaire de la machine ; mais nous jugeons qu’il est sa cause ; un savant mécanicien s’est proposé ce but ; et le but a déterminé la quantité du fer, la disposition des roues, l’établissement des pistons, l’épaisseur de la chaudière, le choix du combustible, et le reste. […] Orateur ardent et grave, peintre passionné des angoisses philosophiques, après avoir construit plusieurs morceaux de la science, il a souffert qu’une équivoque involontaire, fruit d’un penchant secret, vînt rompre le tissu serré et savant de sa morale. […] Si quelques savants attaquaient la révélation, des savants plus nombreux défendaient la révélation. Le savant Boyle avait pu, sans ridicule, léguer une somme d’argent pour faire prêcher huit sermons par an « contre les athées, les déistes, les païens, les mahométans et les juifs. » Newton commentait l’Apocalypse, et le célèbre mathématicien Barrow ne lui avait cédé sa chaire que pour entrer dans la prédication.

198. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Les travaux classiques et sincères des savants jésuites qui habitèrent pendant soixante ans (sous Louis XIV) le palais des empereurs de la Chine, qui compulsèrent toutes les bibliothèques de l’empire et qui traduisirent tous ces principaux monuments littéraires, parlent de ces livres sacrés de la Chine comme nous en parlons. […] Voici ce qu’un des savants religieux chinois, chrétien compagnon du père Amyot, écrit lui-même sur les Kings : « Les livres des Babyloniens, dit-il, des Assyriens, des Mèdes, des Perses, des Égyptiens et des Phéniciens ont été ensevelis avec eux sous les ruines de leur monarchie. Les savants de l’Europe ont beau élever la voix pour célébrer ces anciennes nations, ils ne peuvent presque en parler que d’imagination, puisqu’ils ne les connaissent que par des étrangers qui, les ayant connues trop tard, n’en ont parlé que par occasion, et ont laissé beaucoup d’obscurités dans les fragments disparates qu’ils ont recueillis de leur histoire. […] Nos savants distinguent quatre sortes ou classes de livres anciens ; donnons une petite notice de chacune…………………………………………………………………………………… « Les Kings ont été recouvrés par nos sages, et ce qu’on avait de plus précieux sur l’antiquité n’a pas été perdu. […] Il faut excepter les savants professeurs français, les Russes et les Anglais missionnaires des langues de la politique et du commerce.

199. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VIII. Les écrivains qu’on ne comprend pas » pp. 90-110

Nombre de savants : Élisée Reclus et Jules Soury, Gaston Paris et Charles Seignobos sympathisent avec les jeunes. […] Mais tout de même ils les comprennent, les aiment, les estiment. — Nous chérissons entre les poètes mûris un Heredia, épris de toutes histoires et de toutes écritures, entre les critiques un Céard, savant compréhensif, entre les romanciers un Hennique, artiste de souplesse, ennobli d’érudition. […] Uri, pourraient traduire un texte en latin savant et en latin populaire sans presque un mot commun dans les deux thèmes. […] Il y a des lumières rares, dons des chimies nouvelles et savantes, pour qui la rétine vulgaire est un mauvais photomètre.

200. (1890) L’avenir de la science « XII »

Les rares savants et penseurs, qui, à cette époque, ont cherché par la vraie méthode, alors inaperçus ou per-sécutés, sont à nos yeux sur le premier plan ; car seuls ils ont été continués ; seuls ils ont eu de la postérité. […] Molière, si enclin à se moquer des savants en us, ne serait-il pas quelque peu surpris de se voir tombé entre leurs mains ? […] Jusqu’à quel point résisteront-elles toujours aux doctes attaques des savants, il est impossible de le dire. […] Le savant proprement dit ne songe pas à l’immortalité de son livre, mais à l’immortalité de sa découverte.

201. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

Ces extravagances avaient leur origine dans le mémoire d’un savant chimiste, M.  […] Couerbe sur la chimie du cerveau ont été entièrement détruits et réfutés par un savant mémoire de M.  […] Vogt nous dit avec ce ton de mépris bien peu digne d’un savant : « La gent philosophe, qui n’a vu de singes que dans les ménageries et les jardins zoologiques, monte sur ses grands chevaux, et en appelle à l’esprit, à l’âme, à la conscience et à la raison !  […] Je n’aime pas entendre un naturaliste dire : « Il nous sera fort égal que le démocrate des Etats du Sud trouve dans les résultats de nos recherches la confirmation ou la condamnation de ses prétentions. » Après tout, pour être savant, on n’en est pas moins homme.

202. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Telle science obtient tout à coup la faveur publique : on s’en occupe avec enthousiasme et ferveur, le public s’y met de moitié avec les savants, et sa sympathie est une sorte de collaboration ; mais bientôt il se refroidit et il se lasse : de nouveaux objets l’attirent, de nouveaux talents sollicitent son attention, et il va porter ailleurs le bruyant tribut de son admiration superficielle. La science courtisée naguère se voit oubliée et dédaignée pour des rivales plus jeunes et plus brillantes ; elle est renvoyée aux écoles et abandonnée aux savants. […] Aux yeux du plus grand nombre, la science ne vaut que par son utilité ; mais il n’en est pas ainsi du vrai savant : son seul objet est de connaître pour connaître ; la science a une valeur intrinsèque, indépendante de ses résultats. […] Un illustre érudit du xviiie  siècle, le chef de l’école de Leyde, Tibère Hemsterhuys, se plaignait que de son temps « l’histoire de la philosophie, cette matière si riche des recherches savantes, n’eût pas encore attiré les études de la critique, qu’elle fût livrée à des compilateurs sans génie et sans lettres, qui ne connaissaient les philosophes anciens que par de vicieuses traductions, et qui tiraient d’une lecture superficielle un résumé aride et sans intelligence37. » Il y a un siècle à peine que ces paroles ont été prononcées.

203. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé aux funérailles de M. Stanislas Guyard, Professeur au Collège de France »

On sentait, derrière sa modestie, les qualités essentielles du savant, la droiture et l’indépendance du caractère, la sincérité absolue de l’esprit. […] Les questions délicates relatives au khalifat de Bagdad, l’histoire des Ismaéliens et des sectes incrédules au sein de l’islam, la métrique arabe, où tant de choses nous surprennent, les formes bizarres de ce qu’on appelle les pluriels brisés, chapitre si curieux de la théorie comparée des langues sémitiques, furent pour notre savant collègue l’objet de travaux approfondis, toujours fondés sur l’étude directe des sources.

204. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Eugène Chapus »

Avec tout ce que nous savions de l’auteur, nous pouvions craindre que ces livres, d’une spécialité si restreinte et d’une technologie presque savante, pensés par un talent très fin, très particulier, très genuine, — comme ils disent si bien en Angleterre, — lequel ajoutait son originalité native à tous les schibboleth d’une société très élevée qui a aussi son genre de langage, ne franchît pas les limites de cette société et y concentrât son succès. […] Il est savant, renseigné, détaillé, plein de faits qui, sous la plume pittoresque de l’auteur, deviennent des peintures : paysages ici, portraits là.

205. (1895) Hommes et livres

Ils voulaient rester de bons moines en devenant de grands savants. […] Et voilà nos deux savants qui s’en vont, dans leur robe noire de Bénédictins, écouter l’office luthérien, ou voir célébrer dans une synagogue la fête des Tabernacles. […] C’est le temps du reste où les Bénédictins élargissent le champ de leurs travaux, et font choix de leurs sujets en purs savants, et non plus en chrétiens. […] Les règles ont été formulées en Italie, en Espagne, en Angleterre, aussitôt et parfois plus tôt que chez nous, et par d’aussi savants hommes. […] et le savant oncle Thomas, qui a fait de si belles remarques sur l’antiquité, grâce à quoi nous savons que « les enfants d’Athènes pleuraient quand on leur donnait le fouet » !

206. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Jamais on n’aura mieux vu combien l’esprit humain est incompressible, et combien il est chimérique de prétendre l’enfermer dans les règles étroites d’un système qu’à notre époque, où à côté d’une brillante école de romanciers uniquement épris de réalités, s’est formée une école de poètes réfugiés, comme le savant de Hawthorne en sa serre, dans un monde absolument artificiel. […] Il a inventé plusieurs rythmes très vivants sous son souffle, et il a introduit dans la poésie savante les vers sans rime correspondante de notre poésie populaire. […] Mais pour se servir de ce vers compliqué et savant, il fallait du génie et une oreille musicale, tandis qu’avec les règles fixes, les écrivains les plus médiocres peuvent, en leur obéissant fidèlement, faire, hélas ! […] Les symbolistes attendaient qu’en ses vieux jours ce poète savant et charmant chantât, à leur venue, le cantique de Siméon. […] Vous savez combien la langue de Rabelais est riche, savante ; vous savez qu’elle est lourde à force de richesse ; que c’est un entassement prodigieux de belles formes de langage, un magasin confus de mots et d’idées.

207. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Le jugement féminin est peut-être sur ce point plus sûr que celui de nos savants. […] Le savant écrit l’histoire précise et détaillée du monde, le poète en fait pour ainsi dire la légende. […] L’hypothèse est une sorte de roman sublime, c’est le poème du savant. […] En même temps, c’étaient des savants. […] Herbert Spencer, il faut mentionner particulièrement un ouvrage du savant éditeur d’André Chénier, M. 

208. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Il y eut un moment d’hésitation et d’attente durant lequel grossissait et s’amoncelait, avant d’éclater, cette indignation des savants. […] Vous voyez dans ce prélude que cette espèce de savants a pris parti contre M. de La Motte. […] J’ai marqué les erreurs de l’abbé et de son ami : ce qu’il faut dire maintenant à leur avantage, c’est qu’ils pensaient par eux-mêmes, qu’ils voyaient clair là où leur vue portait ; qu’ils avaient raison contre ceux qui prétendaient trouver dans les poèmes d’Homère un dessein moral réfléchi, et de plus une règle et un patron de composition savante pour tous les poèmes épiques à venir ; c’est enfin qu’en forçant les adversaires à déduire leurs raisons et à débrouiller leur enthousiasme, ils hâtaient le moment où l’on saurait faire les deux parts, et où l’admiration pour Homère ne serait plus qu’une libre, une vive et directe intelligence de ses beautés sans aucune servitude. […] Ce petit homme-là n’avait jamais eu quinze ans, n’avait jamais été amoureux comme les bergers, et n’avait jamais appris à jouer de la flûte auprès du divin Daphnis : Il façonnait ma lèvre inhabile et peu sûre À souffler une haleine harmonieuse et pure ; Et ses savantes mains, prenant mes jeunes doigts, Les levaient, les baissaient, recommençaient vingt fois, Leur enseignant ainsi, quoique faibles encore, À fermer tour à tour les trous du buis sonore. […] Une telle prose savante s’impose autant d’entraves et de lois secrètes que la poésie.

209. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Il avait appris aussi à dessiner la machine ;’on l’avait appliqué à cette branche de mécanique délicate et savante, les instruments de précision. […] Or, il s’agit de trouver, de ressaisir exactement ce propos, et à l’endroit le plus intéressant, le plus significatif. — J’ai vu ou entrevu autrefois en Suisse un bien savant homme et des plus sagaces, M. de Gingins ; il était sourd, mais complètement sourd, comme une souche ou un rocher ; de jour, dans le tête-à-tête, personne ne s’en serait douté ; il en était venu, à force de finesse, à deviner les paroles au mouvement des lèvres. […] Un ami du savant Tillemont, M.  […] Et ce sera conséquemment 1701 qui sera la première année du xviiie  siècle de l’Église. » Mais encore un coup, cela est bon pour un ami du savant chronologiste Tillemont. […] Henri Delaborde, dans son savant et intéressant article sur la lithographie (Revue des Deux Mondes du 1er octobre 1863).

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