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1217. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

On monte l’escalier obscur, on sait où mettre la main pour trouver le bouton de la serrure, on s’imagine soi-même à table, à la place accoutumée, on revoit à droite la carafe et à gauche la salière, on savoure intérieurement le goût d’un certain plat du dimanche, on s’étonne, en levant les yeux, de ne pas voir, au même endroit du mur, une vieille gravure que, tout enfant, on a regardée. […] Tout était expliqué ; ma mémoire, excellente pour les mots, gardait le souvenir de ces noms associés, sur lesquels mes yeux avaient dû se porter, alors que je cherchais (et cela avait eu lieu deux mois auparavant) un dépôt d’eaux minérales. […] Nous quittons alors notre lecture ou notre conversation, nous écartons toutes les préoccupations intérieures et toutes les sensations extérieures que le dedans et le dehors pourraient jeter à la traverse ; nous fermons les yeux, nous faisons le silence en nous et autour de nous, et, si l’air recommence, nous écoutons. […] Quand, à la couleur et à la forme, nous prévoyons le goût d’une gelée de groseille, ou quand, les yeux fermés, sentant le goût de cette gelée, nous imaginons sa teinte rouge et le lustre de sa tranche vacillante, nous avons en nous des images avivées par la répétition. […] Il regardait alors les mots de sa liste écrite, et, toutes les fois que les mêmes mots écrits frappaient ses yeux, il les comprenait parfaitement60. » Cette suppression des aptitudes ordinaires fait comprendre la résurrection d’aptitudes perdues.

1218. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Puis en pleurant dans ces yeux où il a fixé son asile, l’amour faisait sortir de ces larmes si belles et si touchantes de brillantes et douces étincelles. » VIII Mais le sonnet n’est qu’un soupir, court et fugitif comme lui ; c’est vrai, cependant il résume une passion en un mot, et ce mot est immortel. […] « Ranime, ô mon esprit, tes facultés endormies ; chasse de tes yeux ce sommeil perfide qui leur dérobe la vérité ; réveille-toi enfin, et reconnais combien est vaine, inutile et trompeuse toute action qui n’est pas dirigée par une raison supérieure à nos désirs. […] Ces attraits de la beauté qu’Amour présentait à tes yeux, et qui te séduisirent dès tes plus jeunes ans, t’ont privé de toute la paix et de tout le bonheur dont tu devais jouir. […] « Le temps destructeur t’avait couvert de ses ombres affreuses ; la triste vieillesse s’était appesantie sur toi, et voici que tu reparais à nos yeux avec un visage aimable et riant, le front ceint de fleurs odorantes ! […] Si nous étions à Florence, nous éprouverions quelque consolation, ne fût-ce qu’à revoir Laurent, lorsqu’il rentre chez lui ; mais ici nous sommes dans une anxiété continuelle, et quant à moi, la solitude et l’ennui me tuent ; la guerre et la peste sont sans cesse présentes à mes yeux : je déplore nos maux passés, j’anticipe sur ceux de l’avenir, et je n’ai plus à mes côtés ma chère madame Lucretia, dans le sein de laquelle je puisse épancher mes inquiétudes. » À sept ans, Jean, depuis Léon X, dont la vocation était de devenir un grand pape, recevait des bénéfices ecclésiastiques de Louis XI.

1219. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Accorts et neufs, assez, peut-être, à leur apparition, ces articles se sont fanés depuis, — sort commun à ces sortes d’écrits, — et je me souciais peu de les remettre sous les yeux du lecteur. […] Les peaux décolorées par les fards, les yeux cerclés de vert ou de bleu, les sangs pauvres et les nerfs détraqués des races vieillies, les humeurs fantasques précédant les maladies mentales, les vierges d’une perversité précoce, les vices qui s’épanouissent comme des moisissures sur le fumier des sociétés en décomposition, toutes les dépravations savantes des civilisations faisandées, ont naturellement la séduction des choses rares pour le décadent qu’horrifient les simples amours comprises de tout le monde. […] Consultons encore sur ce sujet Edgar Poë : « Deux choses sont éternellement requises : l’une, une certaine somme de complexité, ou plus proprement, de combinaison ; l’autre, une certaine quantité d’espritsuggestif, quelque chose comme un courant souterrain de pensée, non visible, indéfini… C’est l’excès dans l’expression du sens qui ne doit être qu’insinué, c’est la manie de faire du courant souterrain d’une œuvre le courant visible et supérieur qui change en prose, et en prose de la plate espèce, la prétendue poésie de quelques soi-disant poètes. » Et puis Stendhal n’a-t-il pas écrit : « Malgré beaucoup de soins pour être clair et lucide, je ne puis faire des miracles ; je ne puis pas donner des oreilles aux sourds ni des yeux aux aveugles ?  […] « Mais, au-dessus de ces deux aiguilles, il s’en trouve une bien autrement agile et dont l’œil suit difficilement les bonds ; elle a vu soixante fois l’espace avant que la seconde y marche et que la troisième s’y traîne. […] Mais les jeunes poètes ont du sang jusques aux yeux en luttant contre les monstres affenés par Nicolas Boileau ; on vous réclame au champ d’honneur, et vous vous taisez, maître Banville !

1220. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Il nous remet notre vie sous nos yeux, laissant la peine dans le passé, et nous réchauffant par les images du plaisir. […] Si d’ailleurs quelque endroit, plein chez eux d’excellence, Peut entrer dans mes vers sans nulle violence, Je l’y transporte, et yeux qu’il n’ait rien d’affecté, Tâchant de rendre mien cet air d’antiquité85 . […] Les Fables, à mes yeux, font tort aux Contes. […] Quand les prudes réclamèrent, et que Tartufe se fut récrié en se couvrant les yeux, l’excuse que donna le poète prouva qu’il ne se rendait guère compte de son crime. « Je dis hardiment, écrit-il, que la nature du conte le voulait ainsi » ; et il s’autorise des préceptes d’Horace sur les genres90. […] On d’un plomb qui suit l’œil, et part avec l’éclair, Je vais taire la guerre aux habitants de l’air.

1221. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Celle qui les écrivait n’ignorait pas qu’elles seraient montrées ; celle qui les recevait souffrait qu’on y jetât les yeux ; car comment résister au plaisir de laisser voir aux autres qu’on est aimée ? […] Outre le plaisir qu’elle fait à tous les esprits délicats, il l’aimait à cause du dix-septième siècle dont on a dit qu’il était le dernier représentant et dont ces lettres sont remplies ; il l’aimait pour son aimable langue qu’il pratiquait, et pour son esprit dont il avait le tour, étant lui-même, aux yeux des gens auxquels il s’ouvrait, rare sans être extraordinaire, et donnant du prix à ce qu’on pensait en commun avec lui. […] S’il y a tant de choses et de personnes à admirer dans ses Mémoires, elles le doivent à son honnêteté, peut-être même à ses pieuses retraites de tous les ans au couvent de la Trappe, d’où il rapportait, sinon la charité, du moins l’horreur pour la calomnie ; elles le doivent à ce désintéressement des grands peintres, qui, en présence du modèle, ne sont à certains moments qu’un œil sûr et une main fidèle au service du vrai. […] Tout ce mouvement autour du mourant, d’abord de respect et d’intérêt pour une vie de si grande importance, puis, à mesure que les chances de guérison diminuent, d’ambition et de précautions avec le règne futur ; ces appartements du duc d’Orléans encombrés, « à n’y pas mettre une épingle », quand le roi est désespéré, vides et déserts sur le bruit qu’il est mieux ; ces valets qui pleurent, les seuls vrais amis du monarque ; la froide et triste octogénaire qui assiste l’œil sec à sa longue agonie, profitant des courts répits du mal pour faire ajouter à la part des bâtards, et quand le roi n’est plus qu’un moribond qui ne peut plus ni ôter ni donner, n’attendant pas la fin et se sauvant à Saint-Cyr ; ces grandes et touchantes paroles du roi ; cette attente de la mort dans la majesté qu’il mettait à toutes ses actions, sans défaillances, sauf celles de la nature quand le combat va finir ; cette inquiétude du chrétien, qui craint que ses souffrances ne soient une trop faible expiation de ses fautes ; tout cela raconté au jour le jour, dans l’ordre où chaque chose arrive, parmi des détails sur le service intérieur, l’étiquette, les allées et les venues des courtisans et des gens de service, les messes entendues dans le lit et les derniers repas du mourant ; tout cela, dans son abandon, égale l’art le plus consommé. […] C’est l’avantage de la fresque sur la peinture à l’huile, si poétiquement exprimé par Molière : La paresse de l’huile, allant avec lenteur, Du plus tardif génie attend la pesanteur   ; Et sur cette peinture on peut, pour faire mieux, Revenir quand on veut, avec de nouveaux yeux.

1222. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Notre amitié fut ainsi quelque chose d’analogue à celle des deux yeux quand ils fixent un même objet et que, de deux images, résulte au cerveau une seule et même perception. […] Nous demander un service serait à nos yeux un acte de corruption, une injustice à l’égard du reste du genre humain ; ce serait au moins reconnaître que nous tenons à quelque chose. […] Il est hors de doute qu’en ce point, comme en beaucoup d’autres, mes principes cléricaux, conservés dans le siècle, m’ont nui aux yeux du monde. […] Une des idées que j’ai le plus souvent à combattre, c’est que l’amitié, comme on l’entend d’ordinaire, est une injustice, une erreur, qui ne vous permet de voir que les qualités d’un seul et vous ferme les yeux sur les qualités, d’autres personnes plus dignes peut-être de votre sympathie. […] Victor Le Clerc faisait revivre devant mes yeux toutes les qualités d’étude et de savante application de mes anciens maîtres.

1223. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

Un raisonnement exact est la réunion idéale d’objets dans leurs vrais rapports de coexistence et de succession : c’est voir avec l’œil de l’esprit. […] Ainsi l’œil distingue une masse complexe que nous appelons fleur ; mais il ne distingue rien de ce dont la fleur est composée. […] Bien des gens qui accorderont que la douleur causée par le feu n’est pas une copie du feu, soutiendront que l’apparence produite sur les yeux par le feu, est l’apparence réelle du feu, indépendamment de la vision humaine. […] Nous voyons les objets simples avec nos deux yeux ; mais nous entendons aussi les sons simples avec deux oreilles ; nos deux narines nous donnent une odeur simple ; nos cinq doigts nous donnent les objets simples. […] Le génie clair et précis de la France rougit pour un temps de sa clarté ; et dans la seule crainte de paraître superficiel et immoral, rejeta l’aide de la science et se mit à marmotter d’une manière pitoyable sur le Moi, l’œil interne, l’Infini, le Vrai, le Beau, le Bien » 237. — Le jugement est sévère, au moins dans la forme ; mais nous nous sommes borné à traduire.

1224. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

En un mot, malgré tant de disparates capables de faire ouvrir les yeux, tout ce que cet Ecrivain a produit, a été accueilli, cru, préconisé ; il est devenu l’idole de son Siecle, & son empire sur les Esprits foibles ne sauroit être mieux comparé qu’à celui du grand Lama, dont on révere, comme chacun sait, jusqu’aux plus vils excrémens. […] Que dirons-nous du Télémaque, qui est & sera toujours un vrai Poëme aux yeux des Connoisseurs, comme nous l'avons* prouvé ? […] Ajoutons seulement, qu’on aura peine à croire, en le lisant, qu’un Auteur ait pu débiter tant de faussetés manifestes, travestir tant d’événemens, les présenter d’un profil si contraire à la bienséance & à la vérité, sous les yeux d’une infinité de gens, témoins oculaires des faits qu’il y dénature. […] Ils conviennent que parmi les Ouvrages de M. de Voltaire, il y en a quelques-uns d’excellens ; mais ils soutiennent [on commence à les croire, & on les croira de plus en plus] qu’il y en a beaucoup de médiocres & un grand nombre de mauvais : que le talent de saisir les rapports éloignés des idées, de les faire contraster, semble lui être particulier ; mais qu'il y met trop d'affectation, & que les productions de l'art sont sujettes à périr : qu'il n'a que l'éloquence qui consiste dans l'arrangement des mots, dans leur propriété, & non celle qui tire sa force des pensées & des sentimens, qui est la véritable : qu'il n'a aucun systême suivi, & n'a écrit que selon les circonstances, & presque jamais d'après lui-même : que le plus grand nombre de ses Ouvrages ne sont faits que pour son Siecle, & que par conséquent la Postérité n'en admettra que très-peu : que si la gloire du génie n'appartient qu'à ceux qui ont porté un genre à sa perfection, il est déjà décidé qu'il ne l'obtiendra jamais, parce qu'il ressemble à ce fameux Athlete, dont parle Xénophon, habile dans tous les exercices, & inférieur à chacun de ceux qui n'excelloient que dans un seul : que son esprit est étendu, mais peu solide ; sa lecture très-variée, mais peu réfléchie ; son imagination brillante, mais plus propre à peindre qu'à créer : qu'il a trop souvent traité sur le même ton le Sacré & le Profane, la Fable & l'Histoire, le Sérieux & le Burlesque, le Morale & le Polémique ; ce qui prouve la stérilité de sa maniere, & plus encore le défaut de ce jugement qui sait proportionner les couleurs au sujet : qu'il néglige trop dans ses Vers, ainsi que dans sa Prose, l'analogie des idées & le fil imperceptible qui doit les unir : que ses grands Vers tomdent un à un, ou deux à deux, & qu'il n'est pas difficile d'en composer de brillans & de sonores, quand on les fait isolés : enfin, que la révolution qu'il a tentée d'opérer dans les Lettres, dans les idées & dans les mœurs, n'aura jamais son entier accomplissement, parce que les Littérateurs qu'il égare, & les Disciples qu'il abuse, en les amusant, peuvent bien ressembler à Charles VII, à qui Lahire disoit, On ne peut perdre plus gaiement un Royaume ; mais qu'il s'en trouvera parmi eux, qui, comme ce Prince, ouvriront les yeux, chasseront l'Usurpateur, & rétabliront l'ordre. […] Cette raison n'a jamais vu les objets que comme elle pouvoit les voir, c'est-à-dire avec l'œil du préjugé, variant sans cesse selon l'impulsion momentanée.

1225. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

C’est le visionnaire de l’observation ; ses yeux grossissent et enflamment tout, le danger se reflète dans son imagination en monstrueuses images ; il a dans l’esprit cette tête de Méduse que Pallas portait sur son égide d’or. — Quel tableau que celui des Sept Chefs trempant leurs mains dans un bouclier noir où bouillonne le sang d’un bœuf égorgé, et jurant de détruire Thèbes, par toutes les Divinités du carnage ! […] et l’œil des ménagères se remplit de larmes cuisantes. […] Un ciel constellé remplit l’orbe de ce bouclier, et la pleine lune, « Œil de la nuit », s’arrondit au centre de son champ d’étoiles. — La porte d’Électre est échue par le sort à Capanée, géant de taille et d’orgueil. […] Mais il n’a que le visage et le nom d’une vierge, car il marche l’œil farouche et l’esprit furieux. » Sa lance est son dieu, c’est par elle qu’il jure l’écroulement de Thèbes. […] Elle est là qui me presse les yeux secs de larmes ; elle me dit : la victoire d’abord et le reste après. » Les femmes insistent encore, attestant les Dieux qu’un sacrifice suppliant fléchira peut-être ; mais le fils maudit se sent condamné, et il accepte désespérément sa réprobation. — « Les Dieux depuis longtemps nous ont rejetés, ils ne demandent que notre mort.

1226. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Entrez à cette fête heureuse des yeux enchantés et des oreilles charmées, vous n’entendrez parler que de l’amour, vous n’avez sous les yeux que des faces amoureuses et tout au moins des galanteries à brûle-pourpoint ! […] Mais à l’aspect de cette ingénue, de cette jeune fille riante, et de ces beaux yeux qui brillent si doucement, je me mets inévitablement à songer combien de méchants vers, combien d’horribles parodies, combien d’affreux quolibets, combien de sales équivoques deviendront la pâture quotidienne de cette jeunesse honnête et florissante ! […] Quelques lecteurs croient « néanmoins le payer avec usure s’ils disent magistralement qu’ils ont lu son livre, et qu’il y a de l’esprit ; mais il leur renvoie tous ces éloges qu’il n’a pas cherchés par son travail et par ses veilles ; il porte plus haut ses projets ; il agit pour une fin plus relevée ; il demande aux hommes un plus grand et un plus rare succès que les louanges et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs. » Ce sont là des pages admirables et tout à fait dignes que le critique honnête homme les ait sans cesse sous les yeux. […] La ville et la cour avaient les yeux fixés sur eux ; ils vivaient avec Molière, ils créaient avec lui ses comédies ; ils étaient les instruments immédiats de cet infatigable génie ; chaque jour leur amenait un nouveau chef-d’œuvre, une plaisanterie nouvelle, un personnage nouveau.

1227. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Ils se sont plu à retracer à la génération actuelle, sous mille formes diverses, quelle avait été l’énergie de ses ancêtres : et cette génération, qui recueillait dans le calme le bénéfice de cette énergie qu’elle avait perdue, contemplait avec curiosité, dans l’histoire et sur la scène, les hommes des temps passés, dont la force, la détermination, l’activité, le courage, revêtaient, aux yeux d’une race affaiblie, les annales germaniques de tout le charme du merveilleux. […] Cette insouciance, mise sous les yeux du spectateur, le frappe beaucoup plus qu’un simple récit n’aurait pu le faire. […] La manière dont Schiller développe les motifs qu’on leur présente, et gradue l’effet que produisent sur eux ces motifs ; la lutte qui a lieu dans ces âmes farouches entre l’attachement et l’avidité ; l’adresse avec laquelle celui qui veut les séduire proportionne ses arguments à leur intelligence grossière, et leur fait du crime un devoir, et de la reconnaissance un crime ; leur empressement à saisir tout ce qui peut les excuser à leurs propres yeux, lorsqu’ils se sont déterminés à verser le sang de leur général ; le besoin qu’on aperçoit, même dans ces cœurs corrompus, de se faire illusion à eux-mêmes, et de tromper leur propre conscience en couvrant d’une apparence de justice l’attentat qu’ils vont exécuter ; enfin le raisonnement qui les décide, et qui décide, dans tant de situations différentes, tant d’hommes qui se croient honnêtes, à commettre des actions que leur sentiment intérieur condamne, parce qu’à leur défaut d’autres s’en rendraient les instruments, tout cela est d’un grand effet, tant moral que dramatique. […] Buttler, après avoir raconté ses efforts pour convaincre ses complices, finissait par ces vers : Lorsque je leur ai dit que, s’offrant à leur place, D’autres briguaient déjà mon choix comme une grâce, Que le prix était prêt, que d’autres, cette nuit, De leur fidélité recueilleraient le fruit, Chacun a regardé son plus proche complice ; Leurs yeux brillaient d’espoir, d’envie et d’avarice ; D’une sombre rougeur leurs fronts se sont couverts ; Ils répétaient tout bas : d’autres se sont offerts. […] Il n’y a personne, je le pense, qui, laissant errer ses regards sur un horizon sans bornes, ou se promenant sur les rives de la mer que viennent battre les vagues, ou levant les yeux vers le firmament parsemé d’étoiles, n’ait éprouvé une sorte d’émotion qu’il lui était impossible d’analyser ou de définir.

1228. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Seulement, les yeux pleins de rêve. […] Marianne, qui a les yeux baissés et mouillés de larmes, l’écoute cependant. […] Velléda reconnaît un garçon qu’elle vit en rêve et qui a des yeux farouches et doux. […] Les ténèbres gagnent ses yeux. […] » regardait le poète dans les yeux, le consultait et l’alarmait délicieusement.

1229. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

On en trouve quelques exemples dans le stile satirique et badin, et quelquefois même dans le stile sublime et poétique : des ruisseaux de larmes coulérent des yeux de tous les habitans. […] C’est ce qui fait l’hypotypose, l’image, la peinture ; il semble que l’action se passe sous vos yeux. […] On dit aussi par métaphore que la géographie et la chronologie sont les deux yeux de l’histoire. […] Cette observation a lieu aussi à l’égard des autres tropes ; par exemple : lumen dans le sens propre signifie lumière : les poètes latins ont doné ce nom à l’oeil par métonymie, les yeux sont l’organe de la lumière, et sont, pour ainsi dire, le flambeau de notre corps. […] Où vous voyez que lumen signifie l’oeil, il n’y a rien de si ordinaire dans les poètes latins que de trouver (…) pour les yeux ; mais ce mot ne se prend point en ce sens dans la prose.

1230. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Ayant ensuite joint ses deux vieilles mains, et levant les yeux vers le ciel : Seigneur, dit-il, je te rends grâces de tout mon cœur ; j’accepte avec joie le présent que tu me fais ; qu’il soit le bienvenu ! […] « Cependant l’heure du repas approchait, chacun était pourvu de sa corneille, et je n’en avais point ; ce qui me tenait à cœur, c’était de me faire accompagner dans cette brillante société par quelque corneille qui ne me déshonorât point à ses yeux. […] Ce jeune homme vertueux et sage baissa les yeux, et garda un moment le silence ; puis il me dit avec assurance : Je le veux bien, marchons ! […] Moi, garrotté et maltraité par eux, m’attendant à de plus grands maux encore, je levais mes yeux vers le Christ, en disant : Dieu juste ! […] « Laurenzino, dit Benvenuto, s’y employa très froidement, en regardant le duc de mauvais œil.

1231. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

est-ce cet Alexandre sur qui la terre entière a les yeux ? […] Quoique cette cérémonie ne passât pas à leurs yeux pour une marque d’idolâtrie, elle n’était pas moins étrangère aux mœurs des Macédoniens, et devait nécessairement leur paraître un acte humiliant et digne de vils esclaves. […] Trop indulgent pour la tyrannie nécessaire aux yeux des uns, trop ennemi des tyrans aux yeux des autres, on n’a plus qu’à périr ou par ses premiers amis ou par ses récents ennemis. […] « Phaléas pourrait ici répondre que c’est là précisément ce qu’il a dit lui-même : car, à ses yeux, les bases de tout État sont l’égalité de fortune et l’égalité d’éducation. […] On ne remarque point le mal tant qu’il est léger ; mais il s’accroît, et il frappe alors tous les yeux.

1232. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Veut-on une autre preuve, plus éclatante encore, de cette vérité qui devrait sauter aux yeux ? […] Flosshilde Comme ton agrément éjouit mon œil ! […] Maintenant elle baise son œil, pour qu’il l’ouvre. […] Alberich dont les yeux attirés puissants par le brillement, s’attachent fixes à l’Or. […] Alberich, ses yeux fixés sur l’Or, écoute le bavardage des Filles.

1233. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Au contraire, l’étendue avec ses parties plus ou moins distinctes, mais certainement étalées devant les yeux, « se laisse percevoir en un seul moment par un grand nombre de sensations actuelles ayant des différences spécifiques (signes locaux) ». Pour percevoir l’étendue, l’enfant et l’animal n’ont qu’à ouvrir les yeux : c’est un spectacle actuel et intense, tandis que, pour le temps, c’est un « songe effacé ». […] En faisant attention, nous accommodons les muscles des yeux, des oreilles, etc. […] Essayez, les yeux fermés, de vous figurer la durée pure, en oubliant tout ce qui vous entoure. […] Nous étendons la main, et l’espace s’ouvre devant nous, l’espace que des yeux immobiles ne pourraient saisir avec la succession de ses plans et la multiplicité de ses dimensions.

1234. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Ainsi, quand le muscle droit externe de l’œil droit est paralysé, le malade essaie en vain de tourner l’œil du côté droit ; pourtant les objets lui paraissent fuir à droite, et puisque l’acte de volonté n’a produit aucun effet, il faut bien, disait Helmholtz 5, que l’effort même de la volonté se soit manifesté à la conscience. — Mais on n’a pas tenu compte, répond M. James, de ce qui se passe dans l’autre œil : celui-ci reste couvert pendant les expériences ; il se meut néanmoins, et l’on s’en convaincra sans peine. C’est ce mouvement de l’œil gauche, perçu par la conscience, qui nous donne la sensation d’effort, en même temps qu’il nous fait croire au mouvement des objets aperçus par l’œil droit. […] Tantôt les yeux s’ouvrent tout grands, tantôt les sourcils se contractent fortement le corps est baigné de sueur ; la circulation se modifie ainsi que la respiration 14. » — N’est-ce pas précisément à cette contraction des muscles intéressés que nous mesurons l’intensité d’une douleur ? […] Le psychophysicien va plus loin encore : il prétend que notre œil évalue lui-même les intensités de la lumière.

1235. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Il est vrai que le problème reparaît alors à nos yeux pour les habitants du Soleil, par exemple. Je dis « à nos yeux », car pour un physicien solaire la question ne concernera plus le Soleil : c’est maintenant la Terre qui se meut. […] S’il se plaçait en n’importe quel point équidistant des deux horloges, et s’il avait d’assez bons yeux, il saisirait dans une intuition instantanée les indications données par les deux horloges optiquement réglées l’une sur l’autre, et il les verrait marquer à ce moment la même heure. […] Donc, à ses yeux, le réglage des deux horloges s’est opéré de telle manière qu’elles donnent la même indication là où il n’y a pas simultanéité, mais succession. […] En vertu de sa définition, alors, (car nous supposons que l’observateur en S est relativiste), les horloges qui marquent la même heure dans le système S′ ne soulignent pas, à ses yeux, des événements contemporains.

1236. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Mme Dacier nous a peint son père, bel homme, quoique d’une taille peu dégagée, blond, avec des yeux d’un bleu remarquable ; extrêmement bon, mais un peu brusque ; vif, plein de feu dans le moment, sans rancune, et bien qu’ayant rompu presque tout commerce avec le monde, toujours ouvert et tendre à l’amitié : Quoiqu’il fût, dit-elle, dans un des plus beaux pays du royaume, où l’on peut se promener le plus agréablement, il ne se promenait presque jamais ; son étude, ses enfants et un jardin, où il avait toutes sortes de belles fleurs qu’il prenait plaisir à cultiver lui-même, étaient son divertissement ordinaire. […] Donnez-vous la peine d’y faire une réflexion sérieuse, et priez Dieu qu’il ouvre un jour vos yeux et votre cœur à la vérité. » Cependant Mlle Le Fèvre publia, en 1681, les Poésies d’Anacréon et de Sapho, traduites du grec en français. […] Et, dans une comparaison spirituelle, elle suppose qu’Hélène, cette beauté sans pareille chez Homère, est morte en Égypte, qu’elle y a été embaumée avec tout l’art des Égyptiens, que son corps a été conservé jusqu’à notre temps et nous est apporté en France ; ce n’est qu’une momie sans doute : On n’y verra pas ces yeux, pleins de feu, ce teint animé des couleurs les plus naturelles et les plus vives, cette grâce, ce charme qui faisait naître tant d’amour et qui se faisait sentir aux glaces mêmes de la vieillesse ; mais on y reconnaîtra encore la justesse et la beauté de ses traits, on y démêlera la grandeur de ses yeux, la petitesse de sa bouche, l’arc de ses beaux sourcils, et l’on y découvrira sa taille noble et majestueuse… C’est en ces termes véridiques et modestes que Mme Dacier annonçait sa traduction, et elle n’a rien dit de trop à son avantage.

1237. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Si je pense avec cela que cet enfant avait le meilleur cœur du monde, qu’il était né bienfaisant, qu’il avait de l’amitié pour moi, alors, mon cher frère, les larmes me tombent des yeux malgré moi, et je ne saurais m’empêcher de déplorer la perte de l’État et la mienne propre. […] Ce temps est encore très éloigné, les peuples ne sont pas encore induits par les raisonnements ; mais je crois qu’on peut, avec un œil observateur, entrevoir le germe que ces nouveautés préparent. […] Cependant avec deux gros yeux dont l’un regardait à droite et l’autre à gauche, son regard n’en avait pas moins je ne sais quelle douceur, qu’on remarquait aussi dans le son de sa voix et lorsqu’on l’écoutait, ses paroles étant toujours d’une obligeance extrême : on s’accoutumait à le voir… Il avait pour les arts, et surtout pour la musique, une véritable passion, au point qu’il voyageait avec son premier violon afin de pouvoir cultiver son talent en route. […] Camille Paganel, a eu sous les yeux « un volume des œuvres de Frédéric, avec des annotations de la main même du prince Henri : à chaque page percent la mauvaise humeur, le sentiment jaloux du vainqueur de Freyberg. » af.

1238. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

On a maintenant sous les yeux les trois temps et comme les trois actes qui constituent le drame intérieur de la vie de Maine de Biran. […] L’exercice des facultés que j’ai le plus cultivées et auxquelles je tiens le plus est toujours en moi plus ou moins pénible, et je n’ai presque jamais le sentiment de force et d’aisance dans leur exercice. » Tout le journal que nous avons sous les yeux est la preuve de ce labeur et de cette difficulté continuelle. […] C’est une vraie misère de vivre sur la terre. » Il a besoin d’un secours extérieur encore, mais, cette fois, de ce secours invisible qui opère par la grâce et moyennant le canal de la prière. « La plus fâcheuse des dispositions, dit-il, est celle de l’homme qui, se méfiant de lui-même au plus haut degré, ne s’appuie pas sur une force supérieure et ne se livre à aucune inspiration ; il est condamné à être nul aux yeux des hommes comme à ses propres yeux. » Il connaissait bien cet homme-là.

1239. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

La Beaumelle convient de tous les avantages de M. de Voltaire, et il attaque très malignement les faiblesses et les travers dont il n’y a point de grand homme qui ne soit susceptible, mais qui, présentés par une main ennemie, forment un tableau de ridicule. » Il ne lui conteste point que ses ouvrages ne soient d’un très bel esprit, il s’attache à y relever les traits de petit esprit. « Naître avec de l’esprit, dit-il quelque part, c’est naître avec de beaux yeux. Mais si ces beaux yeux avaient le regard du basilic ? […] Feuillet de Conches m’a fait voir de mes yeux les originaux des lettres, des mêmes lettres non pas transcrites, mais sophistiquées par La Beaumelle, et de celles qu’il n’a pas eu le temps d’arranger. Et dès la première lettre, nous allons juger à vue d’œil du procédé de La Beaumelle, procédé qui lui est cher et qu’il a constamment appliqué.

1240. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

— Voulant marquer que la Suède se rétablit à vue d’œil depuis la mort de Charles XII et qu’elle peut désormais rentrer en ligne dans les combinaisons d’alliance et de ligue, il dira vivement : « Nous prenons de grandes liaisons avec la Suède, afin de lui opposer (à la czarine) cette veuve reposée. » Il a de ces trouvailles d’expression à travers ses rudesses. […] C’est précisément tout ce que la France de la Révolution, la France de 89 avait à abattre, en dégageant et achevant les parties nettes et vives de l’Ancien Régime, et en y versant l’esprit d’égalité, l’esprit de bon sens et de droit commun opposé au principe monarchique du droit divin : et c’est ce qu’elle a fait à l’Assemblée constituante avec grandeur et quelque inexpérience, ce qu’avertie et mûrie elle a refait ensuite sous le Consulat avec précision et perfection, sous l’œil d’un génie, mais à l’aide des hommes modernes issus de l’ancien régime. […] Quand il espère arriver par quelqu’un au ministère, ce quelqu’un (fût-ce le valet de chambre Bachelier) prend aussitôt à ses yeux une couleur de bon citoyen. […] Bans l’un de ces remaniements ministériels auxquels il s’amuse à huis clos, on lit cet article, d’une attention touchante : « M. d’Argenson le cadet serait exclu pour toujours de toutes ces places. » C’est ainsi que, comme le loup qui rôde autour de la bergerie, il sonde de tous côtés le ministère par ses conjectures ; il s’y fraye une place, n’importe laquelle ; et, dans les moments où il espère le moins, il se croit assez important et assez dangereux aux cabales pour qu’on cherche à se débarrasser de lui : « On m’éloignera sans doute par des ambassades, et je m’y attends. » Ce Journal, monument d’une personnalité toute crue et naïve, et toute pavoisée d’honnêteté à ses propres yeux, ce singulier et bruyant soliloque d’un ambitieux sans le savoir, qui s’exalte in petto et se préconise, d’un vertueux qui grille d’envie que le pouvoir lui arrive et qui l’attend d’heure en heure pour faire, bon gré mal gré, le bonheur des hommes, est curieux pour le moraliste, non moins qu’instructif pour l’historien.

1241. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Elle n’avait pas de beauté : petite, les yeux légèrement discordants, la pointe du nez kalmouke, mais avec cela une physionomie qui exprimait la force de la vie et là pénétration de l’intelligence. […] J’ai mauvaise grâce assurément de chicaner un éditeur aimable qui rachète de légères inexpériences du métier par des mots spirituels chemin faisant, surtout par la richesse du tissu étranger qu’il développe à nos yeux, par les lettres fort belles qu’il insère à tout moment dans son texte et qui en font le prix. […] Il faut une sorte d’analogie, il faut être différemment semblables pour s’entendre tout à fait, pénétrer dans tous les replis, et acquérir cette parfaite connaissance d’un autre qui découvre entièrement son âme à nos yeux… Il me semble toujours que les âmes se cherchent dans le chaos de ce monde, comme les éléments de même nature qui tendent à se réunir ; elles se touchent, elles sentent qu’elles se sont rencontrées : la confiance s’établit entre elles sans qu’elles puissent souvent assigner une cause valable ; la raison, la réflexion viennent ensuite apposer le sceau de leur approbation à ce traité, et croient avoir tout fait, comme ces ministres subalternes qui s’attribuent les transactions faites entre les maîtres, rien que parce qu’il leur a été permis de placer leur nom au bas. […] Mlle Roxandre, aux traits réguliers, à l’œil tendre, à la voix touchante et mélodieuse (il n’y avait un peu à redire chez elle qu’à la taille), était une Grecque attrayante et persuasive qui avait gardé du charme et des douceurs ioniennes du Bosphore ; elle méritait de s’entendre dire dans sa candeur : « Il n’est pas un de vos regards qui ne soit une pensée. » Mme Swetchine, plus hardie, plus sauvage et d’une séve qui lui arrivait peut-être de par-delà le Caucase, était autrement trempée, autrement avide et d’une ambition morale plus exigeante.

1242. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Murray, frère de lord Elibank : « Je n’eus, dit-il, des yeux et des oreilles que pour regarder Mme de Boufflers et l’écouter ; tout ce qu’elle me disait me paraissait tourné différemment de ce que disaient les autres : je n’ai vu qu’elle qui ne perdît rien de son naturel, en ayant toujours de l’esprit. » Elle projetait d’aller à Londres aussitôt la paix faite, et elle mit ce projet à exécution. […] Horace Walpole, dans la description des fêtes qu’il donna à sa résidence de Strawberry-Hill en l’honneur de Mme de Boufflers, nous la montre fort agréable, mais arrivant fatiguée, excédée de tout ce qu’elle avait eu à voir et à faire la veille : « Elle est arrivée ici aujourd’hui (17 mai 1763) à un grand déjeuner que j’offrais pour elle, avec les yeux enfoncés d’un pied dans la tête, les bras ballants, et ayant à peine la force de porter son sac à ouvrage. » En fait de Français, Duclos était de la fête, lui « plus brusque que vif, plus impétueux qu’agréable », et M. et Mme d’Usson, cette dernière solidement bâtie à la hollandaise et ayant les muscles plus à l’épreuve des plaisirs que Mme de Boufflers, mais ne sachant pas un mot d’anglais. […] Pour d’Idoles, vous n’en verrez pas chez moi ; vous y pourrez voir quelquefois de leurs adorateurs, mais qui sont plus hypocrites que dévots : leur culte est extérieur ; les pratiques, les cérémonies de cette religion sont des soupers, des musiques, des opéras, des comédies, etc. » Mme de Boufflers a un tort impardonnable et ineffaçable à ses yeux. […] Le prince de Ligne, dans son Coup d’œil sur les jardins du temps, a dit : « Je ne connais rien de mieux que le jardin de la comtesse de Boufflers au Temple.

1243. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Il rassemblait non seulement tout ce qui peut contribuer au charme des oreilles, une élocution noble et coulante, une prononciation animée, je ne sais quoi d’insinuant et d’aimable dans la voix, mais encore tout ce qui peut fixer agréablement les yeux, une physionomie solaire, un grand air de majesté, un geste libre et régulier. » Cette physionomie solaire, qui était à l’ordre du jour sous Louis XIV et à l’instar du maître, répond bien aux beaux portraits peints ou gravés qu’on a de M. de Harlay : je veux parler surtout de ceux de Nanteuil, de Van Schuppen et de Champagne. Chez tous on distingue une grande douceur, de la finesse, un air de persuasion ; l’œil est riant, la lèvre est entr’ouverte et belle ; mais dans celui de Nanteuil en particulier, le plus naturel des trois, on sent la force, quelque chose de mâle dans la douceur, et de capable, à un moment, d’imposer, d’éblouir et de remplir les yeux. […] Le premier président, M. de Novion, qui avait eu la même pensée que M. de Harlay, et qui y avait obéi en réunissant chez lui les parties adverses, ne fut pas long à s’en repentir : on en vint aux injures et à s’arracher les yeux en sa présence.

1244. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

« Je crains qu’on ait beau faire, disait un plaisant de ma connaissance, et qu’il n’y en ait eu vingt-cinq. » Le plus grave inconvénient moral, et qui saute aux yeux, c’est d’obliger Chimène, dans ce court espace, à des revirements incroyables de sentiments. […] Une imagination forte et sobre nous transporte à l’action et nous fait tout voir de nos yeux, tout ce qui importe et rien que ce qui importe : « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles, Enfin, avec le flux, nous fit voir trente voiles ; L’onde s’enflait dessous, et d’un commun effort Les Maures et la mer entrèrent dans le port. […] Il est venu, comme on dit, la mettre au pied du mur, pour mieux voir de ses yeux la pure passion déployer ses ailes et s’envoler. […] « Sans faire aucun des deux ni vaincu ni vainqueur. » Elle joue, à ses propres yeux, l’indifférente et la neutre.

1245. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Les Anciens avaient Andromaque, Hector, Priam, les malheurs d’Hécube : ils y revenaient sans cesse ; leurs oreilles n’avaient jamais assez d’attente et de silence, leurs yeux n’avaient jamais assez de regards ni de larmes pour ces tragédies funestes. […] L’image de ma bonne mère, de toute ma famille, de mes bonheurs d’enfance, me sera toujours présente en même temps que vos conseils seront toujours devant mes yeux ; — j’arriverai sans expérience dans un pays nouveau qui m’a adoptée sur votre nom, je tremble à l’idée que je ne répondrai pas à l’attente ; le peu que je pourrai valoir, c’est à vous que je le devrai ; mais maintenant je sens que je n’ai pas assez profité de vos leçons si tendres : que vos bontés me suivent, je vous en conjure ! […] Et pour commencer, Madame de Provence : « La terrible épreuve de la première vue ne paraît pas lui avoir été défavorable du côté de M. de Provence : c’est l’essentiel ; il n’en est pas de même du côté de M. le Dauphin qui ne la trouve point bien du tout, et lui reproche d’avoir des moustaches : elle a de bien beaux yeux, mais avec des sourcils très épais et un front bas chargé d’une forêt de cheveux qui lui donnent un air dur dont elle n’a pas le caractère ; elle est au contraire douce et timide ; décidément M. de Provence en a l’air très épris. » Des curieux qui ont lu certaines lettres de Madame de Provence m’assurent qu’il y avait, à plus d’un égard, en cette princesse de quoi justifier ce premier signalement qui ne mentait pas autant que le croyait la Dauphine. […] Le premier volume allait paraître (chez Pion), et j’avais sous les yeux, en écrivant ces premiers articles, les bonnes feuilles de ce premier volume, mais non l’Introduction, qui n’était pas encore prête et que je n’ai lue qu’après.

1246. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Louis XIV, malgré son amitié pour Catinat, avait fini par être un peu ennuyé de cette disposition rétive, raisonneuse, de cette résistance continuelle ; et un jour Barbezieux, écrivant au maréchal, crut devoir lui en toucher un mot (22 décembre 1694) : « Par toutes les lettres que le roi reçoit de vous, il lui paraît que vous faites beaucoup de difficultés sur l’entrée de l’armée de Sa Majesté en Italie, et elle estime par tout ce que vous lui mettez devant les yeux sur cela, que votre goût n’est point de faire une guerre offensive. […] C’est un peu comme le prince Eugène, dont l’astre monte chaque jour et éclate à tous les yeux : l’astre de Villars se lève, celui de Catinat baisse, et il est déjà couché. […] Il était grand, brun, maigre, un air pensif et assez lent, assez bas, de beaux yeux et fort spirituels. […] Quand on est un guerrier brave, simple, modeste, dévoué, tout au devoir, sans jactance, quand on arrive et quand on avance par son seul mérite, quand on garde et qu’on observe un esprit de modération et d’équité dans un métier de violence, c’est qu’on a les yeux sur Catinat ; on prend de loin Catinat pour exemple et pour modèle.

1247. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

… » C’est qu’en effet n’être rien n’est pas sa vocation ; ses facultés non occupées l’agitent, le dévorent, l’étouffent, lui causent un malaise indéfinissable ; le trop d’activité renfermée simule à ses yeux l’engourdissement et une sorte de paralysie morale ; « (1810)… Dis-moi sincèrement ce que tu penses de moi. […] Il nous force de lever en haut les yeux, et de les attacher uniquement sur cette montagne qu’il nous faut gravir par des sentiers différents, mais aboutissant tous au même point, et qui elle-même nous fournit, dans l’abondance des eaux qu’elle fait couler de son sein fécond, tous les secours nécessaires pour parvenir à son sommet… Oh ! […] Que de folie, que d’inanité, à leurs yeux, dans nos désirs, nos regrets, nos craintes, nos espérances, nos vaines joies et nos douleurs encore plus vaines ! […] Quand je considère cette disposition toujours croissante à une mélancolie aride et sombre, l’avenir m’effraye ; de quelque côté que je tourne les yeux, je ne vois qu’un horizon menaçant ; de noires et pesantes nuées s’en détachent de temps en temps et dévastent tout sur leur passage ; il n’y a plus pour moi d’autre saison que la saison des tempêtes… » Ici se trahit le contemporain et le compatriote de René ; et quand je parle de René et d’Oberman à propos de La Mennais, ce ne sont pas des influences qui se croisent ni des reflets qui lui arrivent de droite ou de gauche : c’est une sensibilité du même ordre qui se développe sur son propre fond, mais qui hésite encore, qui se cherche et n’a pas trouvé son accent ; c’est un autre puissant malade, enfant du siècle, qui, dans la crise qu’il traverse et avant de s’en dégager, accuse quelques-uns des mêmes symptômes et rencontre, pour les rendre, quelques expressions flottantes dans l’air et qui se font écho.

1248. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

J’ai encore sous les yeux une lettre de M. de Talleyrand, de l’été de 1828 : ce sont des nouvelles de société, avec une pointe légère de raillerie. […] Sir Henry Bulwer est un peu doux et poli dans ses appréciations, comme il sied à un Anglais qui a tant vécu dans la haute société française ; mais voici un de ses compatriotes qui est plus haut en couleur et plus mordant : ce jugement parut dans le Morning-Post, à l’époque de la mort de Talleyrand ; je crois qu’il ne déplaira pas à cause de quelques traits caractéristiques qu’on chercherait vainement ailleurs : « Lorsque Talleyrand, nous dit l’informateur anonyme, était ici engagé dans les protocoles, lui qui dormait peu, il avait coutume de mettre sur les dents ses plus jeunes collègues, et nous avons trop bien éprouvé qu’au temps de la quadruple alliance et en plus d’une autre occasion, ses yeux étaient ouverts tandis que lord Palmerston sommeillait. […] Des yeux gris sous des sourcils touffus44, une face morte plaquée de taches, un petit visage qui diminuait encore sous son immense chevelure, le menton noyé dans une large cravate molle remontante, qui rappelait celle des incroyables et le négligé du Directoire, le nez en pointe insolemment retroussé, une lèvre inférieure avançant et débordant sur la supérieure, avec je ne sais quelle expression méprisante indéfinissable, fixée aux deux coins de la bouche et découlant de la commissure des lèvres45 ; un silence fréquent d’où sortaient d’un ton guttural quelques paroles d’oracle ; il y avait là de quoi faire, en causant, un vis-à-vis de première force à Royer-Collard, bien que celui-ci eût plus de sève et de verdeur. […] J’ai sous les yeux, en traçant ce profil, un croquis de Talleyrand dessiné par le comte d’Orsay, et qui se voit en tête du tome III du Journal de Thomas Raikes, et aussi la page 263 du même volume.

1249. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Les dehors fleuris ne m’en imposent pas, et mes yeux, demi-fermés, ne sont jamais éblouis ; trop fixes, ils ne sont point surpris. » Il étudia avec une ardeur précoce : à sept ans il savait la géographie et les voyages d’une manière qui surprit beaucoup le bon et savant Mentelle. […] Il a devant les yeux, comme un fantôme, les funérailles de Palmyre et le linceul de Persépolis. […] Son plein automne aujourd’hui est riche à tous les yeux, séduisant à voir, et chacun l’aime. […] Les idées de suicide lui reviennent en ce moment et l’obsèdent sous un aspect plus froid mais non moins sinistre, non plus avec la frénésie d’un désespoir aigu, mais sous le déguisement de l’indifférence : il en triomphe pourtant ; il devient plus calme, plus capable de cette régulière stabilité qui n’est pas le bonheur au fond, mais qui le simule à la longue, même à nos propres yeux.

1250. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Ce tableau d’alcôve au retour du bal, la blancheur de l’aube qui fait pâlir le croissant et l’ombre, tandis qu’une femme lasse, couchée et à demi sommeillante, livre aux yeux un bras nu qui pend ; le parfum qu’elle exhale, comme une fleur sous la brise des nuits, ce chant incertain accompagné de guitare au pied du balcon, toute cette scène mystérieuse qui aboutit au soupçon dans le cœur de l’époux, forme une ouverture d’un calme inquiétant, assez approchante, pour l’effet, du début de Parisina. […] J’en veux indiquer deux ou trois exemples frappants pour ceux qui savent comprendre : Ulric, nul œil des mers n’a mesure l’abîme, Ni les hérons plongeurs ni les vieux matelots ; Le soleil vient briser ses rayons sur leur cime, Comme un guerrier vaincu brise ses javelots ! […] Mais Belcolore, l’impure acharnée, cette Sirène au beau corps, à l’épaule charnue, A la gorge superbe et toujours demi-nue, Sous ses cheveux plaqués le front stupide et fier, Avec ses deux grands yeux qui sont d’un noir d’enfer, Belcolore, le brutal génie des sens, la volupté meurtrière, a suivi Frank ; elle s’est glissée sur le seuil nuptial, et entre le chaste baiser donné, et pas encore rendu69, elle trouve place pour un poignard au cœur innocent de Déidamia : Ah ! […] elles me font sortir les yeux de la tête.

1251. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

J’aurai, pour vous la remettre sous les yeux, un secours qui me deviendrait une gêne, si je pouvais avoir la prétention de mieux parler de M.  […] Qu’il y ait « deux morales », il l’avait cru à son heure, le prince aux yeux troubles et aux pensées vagues qui allait faire une des meilleures actions de son règne en élevant au premier rang le professeur du lycée Saint-Louis. […] Les yeux toujours à demi clos, il ruminait confusément l’affranchissement des nationalités, l’établissement d’une démocratie un peu socialiste et pourtant césarienne et, par là, l’achèvement historique de la Révolution française : grands desseins dont les moyens d’exécution se précisaient mal dans son imagination de doux fataliste qui, ébloui par un destin prodigieux dont il était l’heureux jouet et dont il se croyait le héros, comptait indolemment sur la vertu de son étoile. […] Plus qu’un grand ministre et plus qu’un historien illustre, Victor Duruy fut un de ces hommes qui, par la façon dont ils ont vécu, nous rendent plus claires et augmentent même à nos yeux les raisons que nous avons de vivre.

1252. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Mais elle n’arrête pas sa puissance à celui qui la fait surgir ; nous aussi, par les yeux, par l’ouïe, par le cœur, nous y participons, et d’avoir communié avec ce mirage, notre rythme intérieur a senti bondir sa force : l’approche de la Beauté nous approche de nous-même. […] L’œuvre est concordante en ses parties, les emblèmes désertant leur habituelle fonction n’y attirent point l’œil comme des écriteaux, mais disparaissent dans l’universelle gloire ; et vers les clartés descendues des verrières, au-dessus des ombres d’où jaillissent les tiges des arceaux, une patrie mystérieuse des âmes est évoquée par le conflit de mille nervures jointes comme des mains pour la prière. […] Malades et les yeux mi-clos Parmi les feuilles effeuillées, Les chiens jaunes de mes péchés Les hyènes louches de mes haines, Et sur l’ennui pâle des plaines Les lions de l’amour couchés ! […] Comme ils passaient par la roseraie Avec de si doux yeux à nul ne leur mentir.

1253. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Il vous les fit préparer sous ses yeux, sur le fourneau de sa cuisine. […] Littré nous a raconté qu’un jour, sa mère, une petite vieille débile, avec de beaux yeux, cheminant à côté de lui dans une rue de Paris, fut brutalement poussée par un ouvrier qui ne voulait pas se déranger. […] La vraie grandeur c’est d’être vu grand par l’œil des humbles. […] Cette philosophie, qui nous promettait le secret de la mort, s’excuse en balbutiant, et l’idéal, qui nous avait attirés jusqu’aux limites de l’air respirable, nous fait défaut quand, à l’heure suprême, notre œil le cherche.

1254. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Dès la première soirée, il essaie de faire entrevoir à sa marquise le secret des rouages et des contrepoids de la nature, et, pour cela, il ne voit rien de plus commode que de comparer ce grand spectacle qu’il a sous les yeux, à celui de l’Opéra. […] Hors de là, il est dans le vrai et il a l’œil dans l’avenir : « La Nature, dit-il, a entre les mains une certaine pâte qui est toujours la même, qu’elle tourne et retourne sans cesse en mille façons, et dont elle forme les hommes, les animaux, les plantes. » Et il en conclut que, puisqu’elle n’a point brisé son moule, il n’y a aucune raison pour qu’il n’en sorte point d’illustres modernes aussi grands à leur manière que les anciens. […] Il suppose avec tranquillité des choses extraordinaires et qui pourront bien arriver un jour : Nous serons un jour des anciens nous-mêmes, remarque-t-il, et il faut espérer qu’en vertu de la même superstition que nous avons à l’égard des autres, on nous admirera avec excès dans les siècles à venir : « Dieu sait avec quel mépris on traitera en comparaison de nous les beaux esprits de ce temps-là, qui pourront bien être des Américains. » C’est ainsi que Fontenelle, l’esprit le plus dégagé de soi-même, de toutes ces préventions qui tiennent aux temps et aux lieux, se propose des perspectives, des changements à vue dans l’avenir, et s’amuse à les considérer avec des yeux indifférents. […] Quoique âgé, il a dans l’œil quelque chose de vif et de fin.

1255. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Nommé en 1791 député suppléant à l’Assemblée législative, Raynouard fut alors ramené à Paris par ses devoirs publics, et il avait l’œil en même temps à ce qui pouvait aider son arrière-pensée secrète de faire son chemin dans les lettres. […] J’en ai un sous les yeux qui porte la date de l’an deuxième (1794), et, pour épigraphe, le mot de Sénèque : « Inter ruinas publicas erectum ». […] « Tout faire pour conserver, rien pour acquérir », disait-il un jour à un ami dont les yeux s’étaient un peu machinalement fixés sur un vieux tapis qui était dans l’appartement. […] Il était pressé, familier et brusque ; sa physionomie expressive s’animait d’un œil vif sous un sourcil fin et prudent.

1256. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

« La poésie est tenue de faire ouvrir de grands yeux », répétait souvent le célèbre lyrique italien Chiabrera, le type des modernes Pindares. […] Il dira dans la même ode, et toujours dans le même sentiment : Vivant, nous blessons le grand homme ; Mort, nous tombons à ses genoux : On n’aime que la gloire absente ; La mémoire est reconnaissante, Les yeux sont ingrats et jaloux. […] Quand on a lu ce plan de poésie ministérielle, adressé « au poète vertueux que j’admire et que j’aime », c’est-à-dire à Le Brun, on trouve que celui-ci l’a exécuté presque avec indépendance, bien qu’il n’ait pu s’empêcher de comparer M. de Calonne à l’aigle : Le hibou peut-il voir de son regard timide Ce que l’aigle et Calonne ont vu d’un œil rapide ? […]  » Jusqu’au terme de sa vieillesse, il conserva une fermeté rare ; la cécité, quand il en fut totalement menacé, ne l’affligeait pas, et il en a parlé avec sérénité et presque avec magnificence dans son ode sur La Vieillesse : La nuit jalouse et passagère Dont le voile ombrage mes yeux, N’est qu’une éclipse mensongère D’où l’esprit sort plus radieux.

1257. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

L’auteur ne se pique point d’être un politique ni un historien : c’est une femme qui raconte ce qu’elle a été à même de voir par ses yeux ou d’apprendre des personnes les mieux informées. […] Lorsqu’elle revient à la Cour en 1643, Mme de Motteville nous décrit les divers personnages en scène, les divers intérêts des cabales ; elle se montre à nous au milieu de ces grandes intrigues comme un simple spectateur placé dans un coin de la meilleure loge et parfaitement désintéressé : Ainsi je ne songeais pour lors qu’à me divertir de tout ce que je voyais, comme d’une belle comédie qui se jouait devant mes yeux, où je n’avais nul intérêt. — Les cabinets des rois, dit-elle encore, sont des théâtres où se jouent continuellement des pièces qui occupent tout le monde ; il y en a qui sont simplement comiques ; il y en a aussi de tragiques dont les plus grands événements sont toujours causés par des bagatelles. […] Plusieurs la regardèrent avec admiration : tous avouèrent que, dans la gravité et la douceur de ses yeux, on connaissait la grandeur de sa naissance et la beauté de ses mœurs. […] Elle avait les yeux beaux, le teint admirable, et le nez bien fait.

1258. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Clavier, et en jetant les yeux autour de lui : « Il me semble que tout ce que j’aime est ici » ; et il demande en mariage la fille aînée de son ami, laquelle était encore dans la première jeunesse. […] quelque part que je tourne les yeux, je ne vois que le crime triomphant et l’innocence opprimée… » ; ce qui, au point de vue de l’art, sent un peu trop l’avocat, le Cicéron ou le Gerbier qui plaide. […] du poison de ses yeux. […] À la longue pourtant, cette série de petites phrases si prestes fatigue un peu ; elles rentrent dans le même moule, et la plus grande preuve que Courier a une manière, c’est qu’il n’a pas été très difficile de l’imiter et de faire de lui des pastiches qui ont trompé l’œil.

1259. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Rica est l’homme moqueur, Parisien dès le premier jour et peignant avec badinage les travers et les ridicules des originaux qui passent sous ses yeux et desquels il s’accommode : Usbek, plus sérieux, résiste et raisonne ; il aborde les questions, il les pose et les discute dans les lettres qu’il adresse aux théologiens de son pays. […] C’est ainsi que dans l’Hippolyte d’Euripide, Diane, au moment où le jeune héros va mourir, s’éloigne, quoiqu’il semble qu’elle l’ait aimé : mais, si amie que soit des mortels une divinité ancienne, les larmes sont interdites à ses yeux. — L’Homme-Dieu n’était point venu. […] » C’est exactement de la même manière que, dans L’Esprit des lois, montrant un utopiste anglais qui a sous les yeux l’image de la vraie liberté, et qui va en imaginer une autre dans son livre, il dira « qu’il a bâti Chalcédoine, ayant le rivage de Byzance devant les yeux ».

1260. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Ses yeux le trahissaient ; il y voyait peu, et son œil le meilleur était affligé d’une cataracte. […] Il disait un jour à Suard jeune et à d’autres qui l’écoutaient : « Je suis fini, moi ; j’ai brûlé toutes mes cartouches ; toutes mes bougies sont éteintes. » — Il écrivait vers le même temps cette pensée d’une mélancolie haute et sereine : J’avais conçu le dessein de donner plus d’étendue et de profondeur à quelques endroits de mon Esprit, j’en suis devenu incapable ; mes lectures m’ont affaibli les yeux, et il me semble que ce qui me reste encore de lumière n’est que l’aurore du jour où ils se fermeront pour jamais. […] Quoiqu’il eût perdu presque entièrement un œil, et que l’autre eût toujours été très faible, on ne s’en apercevait point ; sa physionomie réunissait la douceur et la sublimité.

1261. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Je n’en ai pas sous les yeux le texte : il promet dans le secret de faire dire des messes s’il est guéri dans huit jours d’un mal de tête qui l’obsède. […] On a les instructions qu’il donne à Schomberg et qui sont un résumé historique aussi fort qu’habile de la situation de la France, une justification des mesures de son gouvernement, et un premier tracé de la politique nouvelle ; elles débutent en ces mots : La première chose que M. le comte de Schomberg doit avoir devant les yeux est que la fin de son voyage d’Allemagne est de dissiper les factions qu’on y pourrait faire au préjudice de la France, d’y porter le nom du roi le plus avant que faire se pourra, et d’y établir puissamment son autorité, etc. […] Aussi y eut-il un si merveilleux effet de bénédiction de Dieu envers elle, que, par un subit changement, tous ceux qui assistèrent au triste spectacle de sa mort devinrent tout autres hommes, noyèrent leurs yeux de larmes de pitié de cette désolée… Je supprime quelques traits de mauvais goût ; et il finit par remarquer que ce qu’il en dit n’est point par l’effet d’aucune partialité, que c’est la vérité seule qui l’oblige à parler ainsi, « vu qu’il n’y a personne si odieuse qui, finissant ses jours en public avec résolution et modestie, ne change la haine en pitié, et ne tire des larmes de ceux mêmes qui, auparavant, eussent désiré voir répandre son sang ». […] (Bibliothèque du roi) ; elle est ou de Richelieu ou rédigée sous ses yeux, d’un latin raffiné et aigu, mais pleine de vives et fortes pensées : Abiturus e vita loquor veritatem eo momento quo nemo mentitur… Electus in primarium Regis mei ministrum, id primum intendi ut Regem meum facerem primum Regem : volui Christianissimum esse et potentissimum ; volui primogenitum esse Ecclesiae et Europae ; volui esse justum ut sua orbi restitueret, et orbem sibi.

1262. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Peut-être ce temps glorieux pour les muses de ma patrie n’est-il pas éloigné. » Trente ans plus tard, ayant reçu du grand Frédéric un écrit sur la littérature allemande, dans lequel ce monarque, un peu arriéré sur ce point, annonçait à la littérature nationale de prochains beaux jours, Grimm, en lui répondant (mars 1781), lui faisait respectueusement remarquer que cela était déjà fait et qu’il n’y avait plus lieu à prédire : « Les Allemands disent que les dons qu’il (Frédéric) leur annonce et promet leur sont déjà en grande partie arrivés. » Tout en étant devenu Français et en se déclarant depuis longtemps incompétent sur ces matières germaniques, Grimm avait évidemment suivi de l’œil la grande révolution littéraire qui s’était accomplie dans son pays à dater de 1770, et lui-même, nationalisé à Paris, à travers la différence du ton et des formes, il mérite d’être reconnu comme un des aînés et des collatéraux les plus remarquables des Lessing et des Herder. […] Grimm (disons-le à son honneur) n’était pas aussi insensible qu’on le supposerait à ce désaccord entre les mœurs et les préceptes, et il en souffrait : Une des choses, ma tendre amie, écrivait-il, qui vous rendent le plus chère à mes yeux, est la sévérité et la circonspection sur vous-même que vous avez surtout en présence de vos enfants… Les enfants sont bien pénétrants ! […] Ma chère amie, la nature agit lentement et imperceptiblement : elle vous a donné de beaux yeux ; servez-vous-en, et agissez, je vous prie, comme elle. » Tous ses soins vont à mûrir « cette bonne tête qui a de si beaux yeux ».

1263. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Il avait mieux que de l’esprit ; mais il ressemblait en cela à ces figures qui, pour paraître belles, veulent être placées à une certaine hauteur et vues en perspective ; de près, l’œil qui ne peut en saisir l’ensemble leur accorde moins d’attention qu’à une miniature. […] Il avait pour lui ces avantages de la jeunesse et de la nature qui ne sont pas inutiles pour assurer à l’esprit toute sa valeur aux yeux du monde. D’une haute taille élégante, d’une figure régulière, avec des yeux expressifs où riait la malice, avec la riposte prompte sur les lèvres, aimant franchement ceux qu’il aimait et se passant des autres, il payait de sa personne, il avait de l’esprit argent comptant et tenait sans effort son rang dans la société. […] Mais ces critiques, aujourd’hui faciles, ne doivent point fermer les yeux sur les mérites auxquels les contemporains furent sensibles, et Talma, dans le rôle de Montcassin, jouant en face de Mme Vanhove qui faisait Blanche et qu’il aimait réellement lui-même versait et faisait couler de vrais pleurs : Contarini.

1264. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Florent et Claude Lantier parcourant plus tard les abords de Saint-Eustache, allant des charretées de choux gaufrés aux caisses de fruits parfumants, puis Florent promenant seul sa faim à travers l’accumulation énorme des nourritures de Paris, rendent ce spectacle, par le simple narré des sensations que perçoivent leurs yeux et leurs narines. […] Coupeau, gouailleur, bon enfant les yeux gais et le nez camus, un peu niais en plusieurs occasions, se trouve montré tel dans sa cour auprès de Gervaise, et résumé de même par ces mots : « avec sa face de chien joyeux » ; aux premiers chapitres du Ventre de Paris est décrite la beauté calme de Lisa, puis des actes, de raisonnable placidité, double trait que condense encore cette apposition répétée « avec sa face tranquille de vache sacrée » : Saccard, brûlé de toutes les lièvres et de toutes les cupidités, est sans cesse suivi des adjectifs « grêle, rusé, noirâtre », comme Renée, possède cette « beauté turbulente » qui concentre la physionomie ardemment avide de joie, et les passions à subites sautes, de celle dont les faits d’égarement tiennent tout le volume. […] Lebigre surveillant les conspirateurs de son arrière-boutique, les marchandes, de Glaire Méhudin, en sa grâce sommeillante, à la bilieuse Mme Lecœur, Pauline et Muche galopinant sous l’œil acéré de Mlle Saget, constituent un magnifique et divers ensemble de créatures toutes humaines. […] Mais il a le don suprême de la vie, il sait souffler sur un être et faire que les tempes battent, que les yeux regardent, que les muscles se tendent.

1265. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Le plus zélé était un israélite de vingt-deux ans, élève de l’École des ponts et chaussées, petit, chétif, les yeux ardents, presque fébriles, d’une âme forte et envahissante. […] M. le grand rabbin du Consistoire central de France, dans une lettre que j’ai sous les yeux, répond : « Mes aumôniers et moi, nous avons constaté depuis le début de la guerre chez les soldats israélites une grande recrudescence de foi religieuse s’alliant à l’enthousiasme patriotique ». […] A leurs yeux, c’était en outre une vérité de sens commun : « On ne quitte les biens de la terre que parce qu’on en trouve de plus grands au service de Dieu. » Roger Cahen, qui aimait lire Virgile dans sa tranchée, aurait pu prendre pour devise Trahit sua quemque voluptas. […] Je le verrai de mes yeux. ».‌

1266. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Par un art nouveau, que le poëte créait comme ses acteurs et son théâtre, par un secret qui n’est qu’à lui, son hymne est un drame, son accent inspiré passe à ses personnages ; et vous avez à la fois sous les yeux le délire de l’enthousiasme et l’action vraie de la scène. […] C’étaient peut-être les vers mêmes, que nous retrouvons, au début de la Théogonie108 : « Ayons les Muses en tête de nos chants, les Muses qui habitent le grand et fertile sommet d’Hélicon, et dansent de leurs pieds légers autour de la fontaine bleuâtre et de l’autel du puissant fils de Saturne ; les Muses qui, lavant aux sources du Permesse leur beauté délicate, auprès de l’Hippocrène, ou sur le divin sommet d’Holmios au plus haut de l’Hélicon, forment des chœurs gracieux, sous leurs pas tressaillants ; puis, élancées de là, sous le voile d’un épais nuage, ont marché dans la nuit, jetant d’harmonieuses clameurs, en hymnes à Jupiter porte-égide, à la sainte Junon, reine d’Argos aux brodequins dorés, à la fille du dieu porte-égide, Minerve aux yeux pers, à Phébus Apollon, à Diane chasseresse, à Neptune qui enceint la terre et l’ébranlé, à la vénérable Thémis, à Vénus aux roulantes prunelles, à Hébé parée d’une couronne d’or, à la belle Dioné, à l’Aurore, au Soleil immense, à la Lune brillante, à Latone, à Japet, au ténébreux Saturne, à la Terre, au vaste Océan, à la Nuit sombre et à la race sacrée des autres dieux : célébrons ces Muses, qui enseignaient une si belle chanson à Hésiode, occupé de paître ses agneaux, aux bords de l’Hélicon divin. » Cette poésie brillante et gracieuse, non moins ancienne que les chants homériques, mais indigène en Béotie, offerte aux yeux et gravée dans les temples de cette religieuse contrée, suffisait à dénouer la langue du jeune homme, né pour les vers, qui vivait dans ces lieux. […] La cause ancienne de cette opinion tenait sans doute à une sorte de rudesse des hommes de la Béotie, n’ayant pas eu, comme ceux d’Athènes, l’activité du commerce et des arts, vivant d’une vie plus simple, laboureurs et bergers, et ne pratiquant pas, comme les Spartiates, leurs voisins, cette forte discipline, cette vertueuse et austère pauvreté qui, seule aux yeux des Grecs, soutenait le parallèle avec la magnificence et le bon goût d’Athènes.

1267. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

Sans doute vous pouvez découvrir, sans employer vos yeux et par une pure contemplation mentale, que deux lignes ne sauraient enclore un espace ; mais cette contemplation n’est que l’expérience déplacée. […] Ce que vous avez vu les yeux ouverts, vous le voyez exactement de même une minute après, les yeux fermés, et vous étudiez les propriétés géométriques transplantées dans le champ de la vision intérieure aussi sûrement que vous les étudieriez maintenues dans le champ de la vision extérieure. […] C’est un télescope au lieu d’un œil. […] Mes yeux suivent le contour d’un carré, et l’abstraction en isole les deux propriétés constitutives, l’égalité des côtés et des angles. […] À les voir virginales et timides dans ce voile doré, on pensait aux joues empourprées, aux beaux yeux modestes d’une jeune fille qui pour la première fois met son collier de pierreries.

1268. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Sans doute vous pouvez découvrir, sans employer vos yeux et par une pure contemplation mentale, que deux lignes ne sauraient enclore un espace ; mais cette contemplation n’est que l’expérience déplacée. […] Ce que vous avez vu les yeux ouverts, vous le voyez exactement de même une minute après, les yeux fermés, et vous étudiez les propriétés géométriques transplantées dans le champ de la vision intérieure aussi sûrement que vous les étudieriez maintenues dans le champ de la vision extérieure. […] C’est un télescope au lieu d’un œil. […] Mes yeux suivent le contour d’un carré, et l’abstraction en isole les deux propriétés constitutives, l’égalité des côtés et des angles. […] A les voir virginales et timides dans ce voile doré, on pensait aux joues empourprées, aux beaux yeux modestes d’une jeune fille qui pour la première fois met son collier de pierreries.

1269. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

On se rappelle à Paris la malencontreuse journée où il essaya de répondre à Lamartine au moment de la grande défection de celui-ci : c’était, nous assuraient les témoins, un singulier et triste spectacle que, dans une situation où pourtant il y avait, rien qu’avec du bon sens, tant et de si bonnes choses à dire, de voir un orateur aussi habile, une langue aussi dorée et aussi fine que l’est Villemain, balbutier, chercher ses mots et ses raisons ; on aurait cru qu’il n’osait frapper par un reste de respect pour le génie littéraire ; que l’ombre de ce génie, un je ne sais quoi, le fantôme d’Elvire debout aux côtés du poëte et invisible pour d’autres que pour l’adversaire, fascinait son œil et enchaînait son bras. […] Une fois qu’on est à bord et dans le détail d’un esprit, on ne le juge plus guère par cette partie essentielle, qui pourtant saute aux yeux au dehors ; on est tenté de l’oublier : elle subsiste jusqu’au dernier jour et ne cesse de dominer le tout.

1270. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

avec dédain, et que l’on prise tant aujourd’hui dans Ivanhoë et dans Rob-Roy, eussent paru manquer de dignité aux yeux des fiers marquis de Louis XIV. […] Ou je me trompé fort, ou ces changements de passions dans le cœur humain sont ce que la poésie peut offrir de plus magnifique aux yeux des hommes quelle touche et instruit à la fois.

1271. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VI. De l’emploi des figures et de la condition qui les rend légitimes : la nécessité »

Les figures sont ainsi bien souvent des consolations que l’impuissance offre à la vanité, et que les grands mots déguisent à nos yeux. Les joueurs aiment à appeler une partie du nom de bataille, ils livrent combat au hasard ; un coup heureux est une victoire ; un coup malheureux est une défaite, et quand ils ont tenu longtemps, quand ils se sont obstinément, stupidement acharnés à se ruiner, ils se donnent le mérite d’une héroïque résistance et ne sont pas bien sûrs de n’avoir pas déployé la même espèce de courage que Wellington à Waterloo : s’ils nommaient les choses par les mots propres, peut-être auraient-ils moins de complaisance pour leur passion ; du moins elle ne se colorerait pas à leurs yeux d’une telle beauté ; ils céderaient peut-être autant, ils s’en feraient moins honneur.

1272. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

Cocheris jusqu’à Mme Damala, en passant par Delobelle et par Chichinette …, vous pouvez être un honnête homme, mais vous êtes à coup sûr un individu bizarre et inquiétant, d’une originalité blessante pour vos contemporains, et sur qui le gouvernement devrait avoir l’œil. […] C’est, sans doute, que j’avais encore dans les yeux l’abominable portrait de « Rachel jeune » par Dubuffe père : un front d’hydrocéphale, une tête longue comme un jour sans pain.

1273. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’état de la société parisienne à l’époque du symbolisme » pp. 117-124

J’ai, sous les yeux, l’almanach de « Paris-Parisien », pour l’année 1897, publié par la librairie Ollendorff. […] Félix Faure joue au souverain, restaure, à son profit, le cérémonial des cours, fait marquer à son chiffre les serrures de l’Élysée et passe le temps qu’il dérobe aux réjouissances, à imaginer un costume d’apparat aux vives chamarrures dont il puisse se prévaloir aux yeux des foules éblouies.

1274. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 372-383

Un vil Mortel, un nouvel Erostrate, Ose abuser du grand art d’Hippocrate ; Par le scalpel il découvre à nos yeux De nos ressorts les accords merveilleux : Il voit leur force, il prévoit leur ruine. […] « Telles que soient ces Réflexions sommaires, mes chers enfans, je les crois suffisantes pour vous donner une notion claire des objets que j’ai fait passer tour-à-tour sous vos yeux ; c’est à vous à vous approprier ces idées, à les éten dre, & à suppléer de vous-mêmes les détails que j’ai passés sous silence.

1275. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Les factieux, ayant Cromwel à leur tête, crurent leur attentat légitime, & voulurent le faire paroître tel aux yeux des nations. […] Milton, avec moins de mérite, eût encore remporté facilement la victoire aux yeux des Anglois.

1276. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les inscriptions des monumens publics de France doivent-elles être écrites en Latin ou en François. » pp. 98-109

L’ouvrage enfin eut du succès, & fit ouvrir les yeux à bien des gens, esclaves jusqu’alors de l’usage. […] Que ce marbre, à jamais, expose à tous les yeux Le malheur, le bienfait & la reconnoissance.

1277. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Des cailloux au fond d’un ruisseau se voient sans peine, parce que l’eau n’est pas profonde ; mais l’ambre, le corail et les perles appellent l’œil du plongeur à des profondeurs immenses, sous les flots transparents de l’abîme. […] Jetez les yeux sur les générations qui succédèrent au siècle de Louis XIV.

1278. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

Le chinois a ses yeux petits et obliques ; la flamande, ses grosses fesses et ses lourdes mamelles ; le nègre, son nez épaté, ses grosses lèvres et ses cheveux crépus. […] Mais le soleil de l’art n’étant pas le même que le soleil de la nature ; la lumière du peintre, celle du ciel ; la chair de la palette, la mienne ; l’œil d’un artiste, celui d’un autre ; comment n’y aurait-il point de manière dans la couleur ?

1279. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 24, objection contre la solidité des jugemens du public, et réponse à cette objection » pp. 354-365

Toutes les beautez et toutes les imperfections de ces sortes d’ouvrages sont sous les yeux du public. […] Les peintres et les poëtes, continuera-t-on, sont du moins les plus malheureux de tous ceux dont les ouvrages demeurent à découvert sous les yeux du public.

1280. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

Le savant en lui n’a pas tremblé devant les fausses sciences de son époque, et c’est comme savant, c’est comme historien qui y a regardé avec l’oeil impartial et scrutateur de l’historien, qu’il a maintenu la donnée divine de l’inspiration surnaturelle de Jeanne d’Arc. […] A nos yeux, là est l’importance de cette Histoire de Jeanne d’Arc.

1281. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

Un tel poète faisait respirer de tels parfums pour enivrer Léonora en s’enivrant lui-même, sous le nuage qui dérobait leur intelligence à tous les yeux. […] L’original de cette dépêche est sous nos yeux : Alphonse y proteste aussi énergiquement contre cette infidélité qu’il aurait pu le faire contre l’envahissement d’une de ses provinces ; on voit aussi par une lettre du cardinal de San Sisto, ministre du pape Grégoire XIII, au gouverneur de Pérouse, que les intentions d’Alphonse furent accomplies, et qu’on interdit sévèrement partout les éditions subreptices de la Jérusalem. […] Tout porte à croire qu’elle fut favorisée par la tendre pitié de Léonora et de sa sœur, la bonne duchesse d’Urbin, qui n’eurent qu’à faire fermer les yeux aux deux domestiques du palais. […] Le Tasse suivit sous ses yeux le traitement que ces hommes de l’art appliquaient au soulagement de la mélancolie, traitement conforme à celui qu’il avait suivi à Ferrare, mais secondé ici par l’air natal, la sécurité, la sollicitude d’une sœur. » La force revint avec la santé ; mais l’inquiétude d’esprit revint avec la force. […] C’est peu connaître l’Italie et les mœurs de ses cours voluptueuses, que de supposer qu’un amour chevaleresque entre un gentilhomme de haute naissance, devenu le plus grand homme d’Italie, et une princesse libre de sa main et de son cœur, chérie de son frère, honorée de toute la cour, eût été un crime si monstrueux et si irrémissible aux yeux d’Alphonse.

1282. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

., vérité élémentaire qui crèverait les deux yeux des philosophes, s’ils n’étaient borgnes. […] Batracien de bouche fendue et de gros yeux, il ressemblait à une énorme grenouille en lunettes. […] …), voilà Proudhon, et c’est comme moraliste qu’il compte à mes yeux et qu’il comptera aux yeux de l’avenir. […] Tout peuple a sa corruption, qui crève les yeux à qui veut la voir. […] Le taureau a les yeux purs, a dit un poète.

1283. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Taine a vu Bonaparte et la Révolution avec les yeux de M. Taine, et il ajoutait, ou du moins il donnait à entendre que ses yeux à lui, Desjardins, n’étant pas ceux de M.  […] Je veux dire qu’on peut bien disputer si la couleur est une qualité des objets colorés ou une pure sensation des yeux ; mais, sensation des yeux ou qualité des objets, c’est tout un pour nous, il n’importe ; et, dans l’un comme dans l’autre cas, les choses se passent de la même manière. […] et, pour des Occidentaux, quelle éducation de l’œil et de la main ! […] Aux yeux des bons juges du « parisianisme », si cela n’est qu’à moitié parisien, cela l’est trop encore pour nous.

1284. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Le couvent est là, devant vous, reproduit dans un œil qui veut n’être qu’un miroir. […] Ses yeux démentaient sa physiologie. […] » Sa littérature et sa vie ne se distinguaient plus bien à ses propres yeux. […] Les cheveux roux mettent comme un sourire dans le brun sombre des yeux. […] Ses paupières tombaient sur ses yeux.

1285. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Il ne saura que nous dire les émotions personnelles que suscitent en lui les images défilant sous ses yeux. […] Des yeux sont sur nous dont nous sentons le regard malicieux et hostile. Puisque ces yeux réclament un spectacle, on leur en donnera donc un et qui vaille la peine. […] Des jeunes gens, en quête d’un ancêtre, avaient l’œil sur lui. […] Mais, aux yeux du jeune provincial, quelle destinée !

1286. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Ils étaient déjà connus depuis longtemps ailleurs, loin de Paris, hors de France ; et en France, et à Paris qui est toute la France (au moins en littérature), on ne fait attention qu’à ce qui revient sans cesse sous les yeux, à ce qui résonne de près aux oreilles. […] Ce qui est certain, c’est qu’il est encore et toujours chrétien, en ce sens au moins que le sermon sur la montagne lui paraît d’inspiration divine et quelque chose de tel que l’humanité d’après ne doit point ressembler à l’humanité d’avant ; ce qui est certain, c’est qu’à ses yeux, comme il le dit excellemment ; et à ne parler même qu’au nom de l’histoire, « Jésus en tout est l’unique, et que rien ne saurait lui être comparé ». […] On raconte qu’Alfred de Musset, tout enfant, eut un jour de petits souliers rouges fort jolis, qu’on appelle, je crois, des mignons, et pendant qu’on les lui mettait pour aller à la promenade, comme cela tardait un peu, il s’impatientait et disait à sa bonne : « Dépêche-toi, je yeux sortir, mes mignons seront trop vieux. » Lamennais était cet enfant, et comme lui avide, à sa manière, de jouir ; en présence de la vérité qu’il essayait, il était si pressé, si impatient, qu’on aurait dit qu’à tarder d’un seul instant, elle allait devenir trop vieille.

1287. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Ce fut certainement un de ses principaux titres aux yeux du Premier Consul, le jour où il eut l’honneur d’être choisi par lui pour la première magistrature municipale de l’Empire, que d’avoir été l’exécuteur testamentaire de Mirabeau. […] Ce qui saute aux yeux, c’est que l’action de Napoléon, sa présence dans toutes les grandes mesures entreprises par M.  […] Comme le dit son ami Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, d’un mot expressif à la fois et indulgent, « ce jour-là et à cette heure-là, Frochot fut frappé d’une sorte d’apoplexie morale. » Il n’en revint, une demi-heure après, que par un autre mouvement excessif, et qui peint bien le désordre de sa pensée ; lorsqu’il apprit que tout ce qu’il avait cru d’abord n’était qu’une déception et qu’un rêve, quand les écailles tout à coup lui tombèrent de dessus les yeux : « Ah !

1288. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

… D’un cri de liberté Jamais, comme mon cœur, mon vers n’a palpité ; Jamais le rhythme heureux, la cadence constante, N’ont traduit ma pensée au gré de mon attente ; Jamais les pleurs réels à mes yeux arrachés N’ont pu mouiller ces chants de ma veine épanchés ! […] De retour à Paris avec son père, plus de jeux, un redoublement de lecture, ou, par intervalles, une sorte de rêverie nonchalante qui faisait demeurer l’enfant assise ; les bras croisés, avec ce grand œil fixe (de Minerve), sans presque aucun mouvement de paupière. […] Voici donc cette réponse : Non, tous n’ont pas changé, tous n’ont pas, dans leur route, Vu fuir ton frais buisson au nid mélodieux ; Tous ne sont pas si loin ; j’en sais un qui t’écoute Et qui te suit des yeux.

1289. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre III. Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés » pp. 55-71

Telles sont les petites sensations musculaires produites par l’adaptation de l’œil aux différentes distances ; elles sont les signes de ces distances ; c’est par elles que nous imaginons la proximité ou l’éloignement plus ou moins grand des objets. Quand nous apprécions une distance, il faut bien qu’elles soient présentes ; et pourtant nous ne les démêlons plus, quelque envie que nous en ayons ; elles sont pour nous comme si elles n’étaient pas ; il nous semble que nous connaissons, directement et sans leur entremise, la position que seules elles dénotent ; si parfois elles nous frappent, c’est en s’exagérant, par exemple lorsque, obligés de lire de trop près ou de trop loin, nous éprouvons dans les muscles de l’œil une fatigue notable ; hors de ces cas, elles sont invisibles et comme évanouies. — Pareillement, un compositeur qui vient de lire un air d’opéra ne se souvient pas des croches, des blanches, des clefs, des portées, et de tout le barbouillage noir sur lequel ses yeux se sont promenés, mais seulement de la série des accords qu’intérieurement il a entendus ; les signes se sont effacés, les sons seuls surnagent. — Quand il s’agit de mots, nous pouvons marquer les divers degrés de cet effacement.

1290. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre II. L’homme »

Je lui aurais représenté la faiblesse du personnage, et je lui aurais dit que son très-humble serviteur était incapable de résister à une fille de quinze ans, qui a les yeux beaux, la peau délicate et blanche, les traits du visage d’un agrément infini, une bouche et des regards ! […] Il a beau baisser les yeux, il voit aussi clair que personne. […] Ses yeux ont assisté à la comédie du siècle, son coeur n’y a point pris part.

1291. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

Le crâne nu, cuivré, bossué comme un antique chaudron, l’œil petit, oblique et luisant, la face camuse, la narine enflée, il ressemble, avec sa barbe courte, rare et dure, à un Socrate sans philosophie et sans la possession de soi-même. […] Telles sont les images, évidemment incomplètes, qui me viennent à l’esprit au moment où j’évoque le crâne chauve, la barbe hirsute, les petits yeux obliques, le nez kalmouk, le visage ravagé, l’âme sensuelle et dolente de Paul Verlaine… Il a donné du jour, de l’air, et une sorte de fluidité frémissante aux vers et à la strophe, qu’avait durcie et glacée la discipline des Parnassiens. […] Elle fut bientôt la seule voix qu’il écouta, et, les jours qu’il appareillait vers son rêve d’égalité et de fraternité, elle se penchait comme une chimère à l’avant de son navire, le corps hardi, les yeux fixes, la voix grande, les mains et les seins levés vers les fêtes humaines de l’avenir.

1292. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Les matins ou les nuits que j’ai goûté pour la première fois aux Dialogues philosophiques, à la Cousine Bette, à la Chartreuse, à Bouvard et Pécuchet, à En ménage, à Une belle journée, à Sous l’œil des barbares, à L’Écornifleur me demeurent d’émotion inoubliable au point que je pourrais dire maintenant s’il pleuvait ces jours-là ou quel temps il faisait. […] Mais l’autre avait tort aussi bien, et ses propres articles le condamnaient : sans doute la vie littéraire n’était pour lui qu’un prétexte à causeries d’histoire et mœurs, mais tout de même lui advenait-il de parler des livres et, bon gré mal gré, de les juger, soit de leur assigner non leur valeur absolue (ce qui n’a pas de sens), mais celle qu’ils prenaient à ses yeux. […] S’il y a, dans un ouvrage, dans un caractère, dans un tableau, dans une statue, un bel endroit, c’est là que mes yeux s’arrêtent ; je ne vois que cela ; le reste est presque oublié. » Qu’est-ce à dire ?

1293. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre I. L’intuition et la logique en Mathématiques. »

Méray n’en juge pas ainsi ; à ses yeux, cette proposition n’est nullement évidente et pour la démontrer, il lui faut plusieurs pages. […] Hermite, c’est tout le contraire ; ses yeux semblent fuir le contact du monde ; ce n’est pas au dehors, c’est au dedans qu’il cherche la vision de la vérité. […] Puis elle s’est épurée peu à peu, bientôt on s’en est servi pour construire un système compliqué d’inégalités, qui reproduisait pour ainsi dire toutes les lignes de l’image primitive ; quand cette construction a été terminée, on a décintré, pour ainsi dire, on a rejeté cette représentation grossière qui lui avait momentanément servi d’appui et qui était désormais inutile ; il n’est plus resté que la construction elle-même, irréprochable aux yeux du logicien.

1294. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné, par M. le baron Walckenaer. (4 vol.) » pp. 49-62

Toutes ces qualités et ces mérites, sauf les légers inconvénients que le goût nous obligeait de ressentir, font, à nos yeux, de M.  […] Elle disait elle-même, en se souvenant d’un ancien ami : « J’ai vu ici M. de Larrey, fils de notre pauvre ami Lenet, avec qui nous avons tant ri ; car jamais il ne fut une jeunesse plus riante que la nôtre de toutes les façons. » Sa beauté un peu irrégulière, mais réelle, devenait rayonnante en ces moments où elle s’animait ; sa physionomie s’éclairait de son esprit, et l’on a pu dire, à la lettre, que cet esprit allait jusqu’à éblouir les yeux. […] J’ai les yeux assez grands ; je ne les ai ni bleus ni bruns ; mais, entre ces deux couleurs, ils en ont une agréable et particulière ; je ne les ouvre jamais tout entiers, et quoique, dans cette manière de les tenir un peu fermés, il n’y ait aucune affectation, il est pourtant vrai que ce m’est un charme qui me rend le regard le plus doux et le plus tendre du monde.

1295. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre II. Des livres de géographie. » pp. 5-31

L’histoire des peuples éloignés de nous à des distances considérables, & sous un ciel différent du nôtre, nous transporte dans un monde où tout est nouveau à nos yeux. […] L’auteur qui a été Curé dans cette partie de l’Afrique, a tout vu de ses yeux, & il paroît par son livre qu’il voyoit en homme intelligent. […] La destinée de l’homme est d’être trompé sur ce qu’il ne voit pas de ses propres yeux.

1296. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Loin de moi, l’idée de lui faire un reproche de cette heureuse faculté, dont elle tire une grande part de son charme aux yeux des hommes. […] Cette horreur instinctive de la France pour tout ce qui vient de l’étranger se synthétise dans une conception du nationalisme couramment pratiquée sous nos yeux. […] Il marcherait aux abîmes, le sourire sur les lèvres, les yeux levés au ciel, persuadé qu’il suit la voix triomphale de la victoire et que la terre entière s’incline sur son passage.

1297. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

Ses gestes étaient rares, son ton doux et mesuré, et, pendant que ses yeux s’éclairaient de la lumière de l’intelligence, sa bouche, demi-souriante et parfois moqueuse, ajoutait les séductions de la grâce à l’ascendant de la vérité. […] Cet art d’animer les dissertations et de mettre la philosophie en dialogue indique une verve secrète et une imagination capable de peindre aux yeux les objets. […] À celle d’un grand fleuve, c’est un homme dans la force de l’âge, c’est un demi-dieu couché tranquillement au milieu des roseaux, et contemplant d’un œil satisfait les campagnes qu’il féconde et qu’il enrichit.

1298. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Ménage, administration des biens, économie domestique, à leurs yeux tout cela est bourgeois, et de plus insipide, affaire d’intendant et de maître d’hôtel. […] On compterait aisément les pères qui, comme le maréchal de Belle-Isle, surveillent de leurs yeux et conduisent eux-mêmes avec méthode, sévérité et tendresse toute l’éducation de leurs fils  Quant aux filles, on les met au couvent ; délivrés de ce soin, les parents en sont plus libres. […] Car, sans lui, comment faire avec aisance, mesure et légèreté les mille actions les plus ordinaires de la vie courante, marcher, s’asseoir, se tenir debout, offrir le bras, relever l’éventail, écouter, sourire, sous des yeux si exercés et devant un public si délicat ? […] Un cordonnier est un « Monsieur en noir », qui dit à la mère en saluant la fille : « Madame, voilà une charmante demoiselle, et je sens mieux que jamais le prix de vos bontés » ; sur quoi la jeune fille, qui sort du couvent, le prend pour un épouseur et devient toute rouge. — Sans doute, entre ce louis de similor et un louis d’or pur, des yeux moins novices auraient démêlé la différence. […] Leur moindre geste, un air de tête boudeur, ou mutin, un bras mignon qui sort de son nid de dentelles, une taille ployante qui se penche à demi sur le métier à broder, le froufrou preste d’un éventail qui s’ouvre, tout ici est un régal pour les yeux et pour l’esprit.

1299. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Dieu est donc le père du mouvement, soit que nous considérions le mouvement à la surface de notre terre et dans les phénomènes les plus habituels, soit qu’élevant nos yeux nous le contemplions dans l’infinité de l’étendue et dans l’harmonie des sphères. […] Tout ce que nos yeux peuvent découvrir lui semble connu : et l’éléphant qu’il a disséqué, et cet animal imperceptible qu’on voit à peine naître dans la pourriture et la poussière. […] Sur la scène du monde, où ce sont cependant les mêmes principes qui s’agitent et qui se combattent, il est bien plus difficile de les discerner ; ils y sont le plus souvent obscurs et douteux, même pour les yeux les plus attentifs. […] La science morale ne peut guère aujourd’hui, comme au temps de Platon, qu’en détourner les yeux, tout en plaignant les hommes d’État plus encore qu’elle ne les blâme. […] « Ainsi Platon, distinguant l’esprit et la matière, a sans cesse les yeux fixés sur la vie future, qui complète et qui explique celle-ci.

1300. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Mais dès son précédent séjour il s’est fait des amis, des amies : il a trente ans, l’œil ardent, la figure intéressante ; il aura beau dire plus tard, les sympathies vont à lui. […] Ce Dieu devient le ressort de la moralité : Julie, mariée à l’homme qu’elle n’aime pas, humiliée, désespérée, commence l’œuvre de son renouvellement en présence de Dieu, devant « l’œil éternel qui voit tout ». […] Elle n’oublie jamais qu’elle agit devant « l’œil éternel qui voit tout ». […] Il n’importe que l’enfant sache l’expérience combinée par le maître : si elle est simple, sérieuse, claire, concluante, l’enfant se laissera saisir par la vérité des choses mises sous ses yeux, et en tirera de bon cœur la conclusion pratique. […] Fatalement l’acquisition du « savoir » tend à prendre dans l’éducation la place que doit tenir la formation du jugement et du caractère : il est bon qu’un Montaigne et un Rousseau nous remettent sous les yeux les fins essentielles de l’éducation.

1301. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Il éclata en menaces contre le vieillard qui avait osé dissuader Xerxès de son entreprise ; puis, étendant vers lui ses mains armées de fers rouges, il eut l’air de vouloir lui brûler les yeux. […] Aucun espoir apparent ; la défense, aux yeux des sages, était une démence. […] Les statues de l’antique école de Dédale aux pieds joints, aux jambes parallèles, aux yeux indiqués par de simples lignes, auraient barré le passage aux Panathénées de Phidias. […] Cet Empire, si longtemps l’épouvante du monde, décroît à vue d’œil. […] Les deux Masques de la Tragédie et de la Comédie, à peine ébauchés, auraient perdu leurs yeux et leurs voix, pareils à ceux des fontaines taries dont le souffle se retire avec l’eau qu’ils ne versent plus.

1302. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Aux yeux des citoyens de la plupart des états, l’artiste est un ouvrier en articles de luxe qui fabrique des objets propres à leur faire passer une bonne soirée au théâtre, ou à les délasser, pendant quelques heures dédaigneusement perdues à lire. […] Gautier, a des yeux pour voir. […] Et ces spectacles contemporains et inévitables sont tellement inconnus à la masse des hommes, que notre école réaliste n’a d’autre mérite que de les relater fidèlement à ceux qui s’y meuvent jour par jour sous la taie de leurs yeux débiles. […] Dans les Sérénades, la pièce VIIl est assurément d’une émotion toute germanique ainsi que la pièce XI, qui débute par cette strophe : Tes yeux méchants et captieux, Comme le regard des chimères, Je veux les voir, bien que ces yeux Causent des peines très amères. […] Je veux sur un rythme poli, Comme un lac où le ciel se double, Dire le lapis lazuli, Et les yeux purs que rien ne trouble ; Et sur un rythme féminin, Comme la vipère onduleuse, Dire l’aspic et son venin, Et ta douceur, mon amoureuse.

1303. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

. — Le dogmatisme découvre et dégage les difficultés sur lesquelles l’empirisme ferme les yeux ; mais, à vrai dire, il en cherche la solution dans la voie que l’empirisme a tracée. […] Quand mes yeux me donnent la sensation d’un mouvement, cette sensation est une réalité, et quelque chose se passe effectivement, soit qu’un objet se déplace à mes yeux, soit que mes yeux se meuvent devant l’objet. […] Il y a des intervalles de silence entre les sons, car l’ouïe n’est pas toujours occupée ; entre les odeurs, entre les saveurs on trouve des vides, comme si l’odorat et le goût ne fonctionnaient qu’accidentellement : au contraire, dès que nous ouvrons les yeux, notre champ visuel tout entier se colore, et puisque les solides sont nécessairement contigus les uns aux autres, notre toucher doit suivre la superficie ou les arêtes des objets sans jamais rencontrer d’interruption véritable. […] C’est ainsi que les mille positions successives d’un coureur se contractent en une seule attitude symbolique, que notre œil perçoit, que l’art reproduit, et qui devient, pour tout le monde, l’image d’un homme qui court. […] Le changement est partout, mais en profondeur ; nous le localisons çà et là, mais en Surface ; et nous constituons ainsi des corps à la fois stables quant à leurs qualités et mobiles quant à leurs positions, un simple changement de lieu contractant en lui, à nos yeux, la transformation universelle.

1304. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Afin de mettre dans tout son jour ce titre à la direction des affaires, il voulut recevoir son roi dans une fête qui étalât à ses yeux tous les brillants prestiges des arts. […] Mais ce qui rehaussa probablement encore le prix de ces dons aux yeux du pauvre Mondorge, ce fut le bon accueil qu’il reçut de son ancien camarade. […] Ils sentirent la justesse de ses observations, ouvrirent les yeux sur la position où ils s’étaient mis, et se retirèrent. […] Mais ce qui était un éloge flatteur aux yeux du duc de Montausier passe pour une odieuse calomnie à ceux de J. […] Le livret de la fête dit que cette pièce n’avait été composée que pour offrir des Turcs et des Maures aux yeux du Roi.

1305. (1930) Le roman français pp. 1-197

Ce n’était pas, à ses yeux, « de la littérature ». […] Après un siècle écoulé, ceci n’a plus guère, à nos yeux, d’importance. […] De petits yeux, mais très vifs : yeux d’éléphant, ou de sanglier. […] À mes yeux, cela vaut tout autant, il n’y a, pour compter, que le résultat. […] » Cela est beau, à ses yeux, et il veut encore surenchérir.

1306. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Ces ouvrages n’ont pas tous, à nos yeux, le même degré d’intérêt. […] Le sénat continuait ses bassesses, comme sous les yeux du prince. […] Tibère se chargea lui-même d’une partie des poursuites, et fit torturer les prévenus sous ses yeux. […] Portons les yeux plus haut. […] Pourquoi les yeux faux et menteurs d’autrui signaleraient-ils les écarts de mon sang trop vif ?

1307. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Le hussard a de bons yeux. […] Le droit de l’Allemagne, c’est évidemment, à ses yeux, la force de l’Allemagne. […] Glesener se contente de peindre ce qu’il a sous les yeux. […] Dimoff a de bons yeux ou il a des lunettes ; et il sait lire. […] Il traversait la place ; le bruit lui fit lever les yeux.

1308. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Notre erreur durerait encore, ils seraient encore les objets de notre respectueuse jalousie, si Mme Dacier ne nous eût dessillé les yeux en nous donnant une traduction fidèle du mystérieux poème. […] On y lisait une fable injurieuse, qui commençait par ces mots : Un aveugle, ami d’un bossu, Lui dit un jour : Cher camarade, Je me suis toujours aperçu Que l’homme a l’œil faible et malade… La clef n’était pas difficile à trouver. Gacon, qui se présentait en homme droit et éclairé, remettait le couple imparfait à la raison : Messieurs, que l’ignorant vulgaire Met plus haut qu’Ésope et qu’Homère, Vous n’approchez de ces héros Que par les yeux et par le dos. […] Il continue de raisonner ainsi, dans l’hypothèse que nous sommes nés sourds, que nous ne notons la pensée que pour les yeux.

1309. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

M. de Tracy perdit Mme de Tracy le 27 octobre 1850, et, dans son culte pieux pour sa mémoire, il a cru devoir recueillir, selon qu’elle l’avait désiré, quelques-uns des écrits où elle mettait de sa pensée et de son âme : c’est un portrait de plus, et le plus vivant, qu’il a voulu que les siens eussent toujours présent devant les yeux. […] Mme de Coigny s’occupait avec intérêt de la jeune fille douce, vive et voltigeante qui s’épanouissait sous ses yeux : « Mme de Coigny me donne des leçons de prononciation, de ponctuation, et me recommande de faire des notes sur tout ce que je lis, et d’écrire tous les jours ce que je pense : c’est une façon de savoir si on est bête. » Mais ce conseil que donnait Mme de Coigny à Mlle Newton ne fut complet et ne put être suivi dans sa perfection que lorsque M.  […] C’était un nid de mésange que j’avais sous les yeux, un nid de cette mésange si jolie, si gracieuse, qui est, je crois, la plus petite de son espèce, et qui certainement n’est pas plus grosse qu’un roitelet. […] Elle disait enfin : Ma santé se rétablit à vue d’œil… Je sors, je rentre, je marche.

1310. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

. — Ainsi pour Vous déjà (car nous voyons sous nos yeux s’accomplir le mystérieux phénomène), ô le plus charmant et le plus ardent des poètes de cet âge, Vous que je n’ai pas hésité à saluer du nom de génie quand vous n’aviez que dix-huit ans, mais qui, dans vos brillants écrits, n’avez pas tenu en entier toutes vos promesses ; qui, au milieu d’admirables éclats de passion, de jets ravissants d’élégance et de grâce, avez semé tant de disparates, de taches et d’incohérences, avez laissé tomber tant de lambeaux décousus ! […] il y a bien des sens cachés. » Et ils le diront et déjà ils le disent, parce qu’ils ont besoin de faire de vous tout ce que vous auriez dû être : car vous êtes l’enfant du siècle, vous le personnifiez, à leurs yeux, et là où le périlleux modèle ne répond pas pleinement à l’idée et fait défaut, ils y mettront la main, ils vous achèveront. […] Il a pu naître sur les bords de l’Oise ; il n’y a certainement pas grandi : autrement, à défaut de son cœur, ses yeux en eussent gardé le souvenir, et ses rêves au moins lui eussent plus d’une fois rapporté le parfum des herbes et des fleurs de la rive natale. […] Pour que Villon perdît à nos yeux quelque chose de son avantage, comme paraît le désirer M. 

1311. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Je viens de compter quelques-unes des dates politiques et des événements, de cour qui font qu’à vue d’œil un salon de 1710 n’est pas un salon de 1730, ni celui-ci un salon de 1760, ni aucun de ceux-là un salon de 1780 : mais combien d’autres révolutions qui influent sur la nature des femmes, qui l’agitent et la renouvellent ! […] Rappelons-nous ce que nous-mêmes nous avons vu et observé de nos yeux, et tous ces cortèges successifs de femmes de Lamartine, de femmes de Musset, de femmes de Balzac. […] Le teint délicat rappelle la blancheur des porcelaines de Saxe, les yeux noirs éclairent tout le visage ; le nez est mince, la bouche petite, le cou s’effile et s’allonge. […] La profondeur, la réflexion, le sourire viennent au regard, et l’œil parle.

1312. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Louis XIV, pris au dépourvu, envoyait Chamlay, un militaire de confiance, le meilleur officier d’état-major et l’homme des bureaux de la guerre, auprès de Catinat pour se renseigner, tout voir de ses yeux et lui rapporter une idée nette des choses. […] « L’Empereur, parlant de Catinat, disait l’avoir trouvé fort au-dessous de sa réputation, à l’inspection des lieux où il avait opéré en Italie et à la lecture de sa Correspondance avec Louvois. » Napoléon ne le trouvait nullement comparable à Vendôme ; il eût dit de Catinat, servant sous ses ordres, ce qu’il disait de Saint-Cyr : « Saint-Cyr, général très-prudent. » Toute la manière de voir et d’agir de Catinat a été exposée au long par lui-même dans ses lettres confidentielles à son frère Croisilles ; il le fait dans une langue naïve et forte, un peu enveloppée, médiocrement polie, grosse de raisons, et qui sent son fonds d’esprit solide ; il faut en passer par là, si on veut le comprendre, et bien posséder son Catinat, nature originale et compliquée, un peu difficile à déchiffrer, et qui ne se laisse pas lire couramment : « Si je t’entretenais au coin du feu de notre campagne, disait-il à ce frère qui était un autre lui-même (31 octobre 1691), j’aurais bien du plaisir à te faire toucher au doigt et à l’œil ma conduite et les prévoyances que j’ai eues sur ce qui pouvait arriver, et comme il a fallu charrier droit pour faire aller la campagne aussi loin qu’elle a été, sans exposer tout le gros des affaires. […] Je lui ai répondu qu’il fallait se laisser juger ; que les campagnes heureuses sautaient aux yeux, que les autres demandaient trop de discours en public pour en faire connaître le mérite. […] Mais on n’en est plus à deviner après cela quelles pouvaient être ses réponses aux critiques de Feuquières : si l’on prend la peine de chercher celles-ci dans les Mémoires de leur auteur, on aura sous les yeux les pièces du procès, et surtout (car c’est le seul point qui nous intéresse aujourd’hui) l’on verra nettement dans quelle catégorie de capitaines, dans quelle école et quelle famille d’hommes de guerre il convient de ranger Catinat.

1313. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

Tous les maîtres y échouèrent : « Je l’ai appris depuis tout seul, ajoute-t-il, et, pour ainsi dire, du jour au lendemain. » Quant à écrire, il ne le sut jamais : l’orthographe de ses lettres originales est inimaginable ; mais, quand on a une fois rétabli ce détail de manière que l’œil ne soit plus déconcerté, la langue en est courante, simple, franche, corsée, semée ou lardée de traits gais, gaillards, et même parfois grandioses. […] Mais, même en tenant compte de la fantaisie qui évidemment y a eu très grande part et qui s’y donne toute carrière, le comte Vitzthum croit avoir trouvé le sens et le but de l’ouvrage : selon lui, lorsqu’il le composa, Maurice, qui avait l’œil sur le Nord et qui était dans le secret de certains projets menaçants, songeait surtout à une guerre éventuelle en Pologne et à la manière de l’y conduire : Mes Rêveries seraient donc moins un traité théorique qu’un mémoire ad hoc pour un but spécial déterminé, un ensemble de notes et d’instructions adressées au roi Auguste, son père, et qui reviendraient à cette conclusion : « Si vous voulez faire la conquête de la Pologne, voici comment il faut organiser votre armée : donnez-moi carte blanche et quarante-cinq mille hommes, en deux campagnes, sans livrer une seule bataille, je vous rendrai maître de la république ; cela ne vous coûtera pas un sou. » — Ce point de vue ingénieux et nouveau, qui donnerait une clef à une production un peu bizarre, me paraît exagéré et ne saurait guère s’appliquer qu’à deux ou trois chapitres du livre : l’exemple de la Pologne et les plans de guerre qui s’y rapportent ne viennent à l’auteur que chemin faisant. […] L’homme du Nord, doué de cette force corporelle extraordinaire, de cette activité qu’il ne savait comment dépenser et qu’il prodiguait aux fatigues, aux chasses, aux excès de tout genre, le vainqueur de Fontenoy, de Raucoux, de Lawfeld, commandant général des Pays-Bas, qu’il passait pour avoir pillés sans scrupule et rançonnés sans merci, dira de lui-même avec vérité au milieu des triomphes de la guerre dont il s’avoue rassasier et dont il a par-dessus les yeux : « Dans le poste où je me trouve, j’ai des envieux, des jaloux ; je ne puis faire que du mal sans pouvoir faire le moindre bien. Je me déplais moi-même au mal que je fais, et tout cela n’est pas agréable à un homme qui est tourné à aimer et à plaire. » Et voilà la douceur d’esprit qu’indiquait le grand peintre à la ligne sobre ; au moment où on s’y attendrait le moins, la voilà qui se dessine à nos yeux et se justifie.

1314. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Les colonels, à la tête de régiments et menant des troupes, regardaient d’un certain œil les adjudants-commandants d’état-major, colonels par assimilation : de leur côté, ces officiers supérieurs d’état-major tenaient à se dire colonels. […] Napoléon, d’ailleurs, avait l’œil sur Jomini au même moment, non pas que Ney lui eût communiqué le mémoire de son aide de camp ; mais on allait combattre les Prussiens, et Jomini avait étudié à fond dans son livre la méthode et la tactique du grand Frédéric et de ses lieutenants : il pouvait être bon à entendre et à employer. […] J’ai moi-même entendu raconter au marquis de Saint-Simon, qui était de cet état-major, combien ces jeunes officiers brillants, étourdis autant que braves, s’isolaient de Jomini, de ce confident du maréchal : il avait à leurs yeux le tort d’être à la fois étranger, savant et non viveur. […] Homme de l’art avant tout, Jomini ne pouvait retenir son impression sur la partie qu’il voyait engagée sous ses yeux, qu’il aurait voulu jouer, et dont il appréciait chaque coup à sa valeur : un coup de maître le transportait ; un coup de mazette le faisait souffrir.

1315. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Par combien de degrés l’affaire historique a marché, et qu’il y a loin de là au rapporteur philosophe qui considère et qui décompose, qui embrasse du même œil aguerri les superficies diverses, qui communique à chaque observation, même naissante, quelque chose d’antérieur et d’enchaîné ! […] Il me semble étrange que des gens qui achèteraient au poids de l’or une douzaine de portraits originaux de cette époque pour orner une galerie, ne jettent jamais les yeux sur tant de tableaux mouvants de la vie, des actions, des mœurs et des pensées de leurs ancêtres, peints sur place, avec de simples, mais fortes couleurs. » En France, Saint-Palaye déjà l’avait rappelé à l’attention des érudits ; M. de Barante le mit en valeur pour tous15. […] En un mot, s’il m’est permis de reprendre une image déjà employée, une fois entré en lice avec le roman historique, et le tournoi ouvert aux yeux des juges, il fallait tenir la gageure et ne pas recourir aux armes défendues. […] Toute la gloire du succès et l’éblouissement d’une journée immortelle ne sauraient atténuer à l’œil impartial ces faits antérieurs et les témoignages qui les éclairent.

1316. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Il s’approcha de l’instrument de mort, regarda froidement le couteau ruisselant du sang de son ami ; puis, se tournant vers le peuple et levant les yeux au ciel : “Voilà donc, s’écria-t-il, la fin du premier apôtre de la liberté ! […] “Ô ma bien-aimée, s’écria-t-il les yeux humides, je ne te verrai donc plus ! […] XIII « Une intention droite au commencement ; un dévouement volontaire au peuple représentant à ses yeux la portion opprimée de l’humanité ; un attrait passionné pour une révolution qui devait rendre la liberté aux opprimés, l’égalité aux humiliés, la fraternité à la famille humaine ; des travaux infatigables consacrés à se rendre digne d’être un des premiers ouvriers de cette régénération ; des humiliations cruelles patiemment subies dans son nom, dans son talent, dans ses idées, dans sa renommée, pour sortir de l’obscurité où le confinaient les noms, les talents, les supériorités des Mirabeau, des Barnave, des La Fayette ; sa popularité conquise pièce à pièce et toujours déchirée par la calomnie ; sa retraite volontaire dans les rangs les plus obscurs du peuple ; sa vie usée dans toutes les privations ; son indigence, qui ne lui laissait partager avec sa famille, plus indigente encore, que le morceau de pain que la nation donnait à ses représentants ; son désintéressement appelé hypocrisie par ceux qui étaient incapables de le comprendre ; son triomphe enfin : un trône écroulé ; le peuple affranchi ; son nom associé à la victoire et aux enthousiasmes de la multitude ; mais l’anarchie déchirant à l’instant le règne du peuple ; d’indignes rivaux, tels que les Hébert et les Marat, lui disputant la direction de la Révolution et la poussant à sa ruine ; une lutte criminelle de vengeances et de cruautés s’établissant entre ces rivaux et lui pour se disputer l’empire de l’opinion ; des sacrifices coupables, faits, pendant trois ans, à cette popularité qui avait voulu être nourrie de sang ; la tête du roi demandée et obtenue ; celle de la reine ; celle de la princesse Élisabeth ; celles de milliers de vaincus immolés après le combat ; les Girondins sacrifiés malgré l’estime qu’il portait à leurs principaux orateurs ; Danton lui-même, son plus fier émule, Camille Desmoulins, son jeune disciple, jetés au peuple sur un soupçon, pour qu’il n’y eût plus d’autre nom que le sien dans la bouche des patriotes ; la toute-puissance enfin obtenue dans l’opinion, mais à la condition de la maintenir sans cesse par de nouveaux crimes ; le peuple ne voulant plus dans son législateur suprême qu’un accusateur ; des aspirations à la clémence refoulées par la prétendue nécessité d’immoler encore ; une tête demandée ou livrée au besoin de chaque jour ; la victoire espérée pour le lendemain, mais rien d’arrêté dans l’esprit pour consolider et utiliser cette victoire ; des idées confuses, contradictoires ; l’horreur de la tyrannie, et la nécessité de la dictature ; des plans imaginaires pleins de l’âme de la Révolution, mais sans organisation pour les contenir, sans appui, sans force pour les faire durer ; des mots pour institutions ; la vertu sur les lèvres et l’arrêt de mort dans la main ; un peuple fiévreux ; une Convention servile ; des comités corrompus ; la république reposant sur une seule tête ; une vie odieuse ; une mort sans fruit ; une mémoire souillée, un nom néfaste ; le cri du sang qu’on n’apaise plus, s’élevant dans la postérité contre lui : toutes ces pensées assaillirent sans doute l’âme de Robespierre pendant cet examen de son ambition. […] Un historien n’a pas le droit de jeter ainsi son manteau sur les nudités hideuses de son siècle et de dire : « Tout est bien », quand le bien et le mal sont là sous ses yeux, demandant chacun qu’on lui fasse sur la terre la part que Dieu lui-même lui doit dans sa rétribution divine.

1317. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Dans quelques années (1762), il n’hésitera pas à imprimer lui-même, à Genève, sous ses yeux, en y mettant son nom, cette scandaleuse et dangereuse Pucelle, tenue sous cent clefs par Mme du Châtelet. […] Il fait des tragédies — fort mauvaises — mais qui mettent sous les yeux les conséquences du fanatisme. […] Par la bruyante publicité qu’il donnait à toutes les erreurs de la justice, Voltaire contribua plus que personne à la réforme de la procédure ; il fit éclater à tous les yeux les vices du système, il les rendit intolérables. […] Mais tandis que le mathématicien convertit ses formules sous nos yeux, et nous conduit à sa conclusion par une suite de propositions constamment évidentes, Voltaire supprime les intermédiaires ; il substitue brusquement la vérité connue à la proposition non démontrée, l’absurdité sensible à la proposition non réfutée ; et il nous laisse le soin de saisir l’équivalence des termes de chaque couple.

1318. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Il a vu passer des gens en blouse ou en redingote, gesticuler des bras, étinceler des yeux, râler ou saigner des corps : et il s’est demandé ce que cela signifiait. […] Les descriptions sont intenses, éclatantes, écrasantes, et tournent en visions hallucinatoires908 : l’œil de M.  […] Sa fantaisie effrénée anime toutes les formes inertes ; Paris, une mine, un grand magasin, une locomotive, deviennent des êtres effrayants qui veulent, qui menacent, qui dévorent, qui souffrent ; tout cela danse devant nos yeux comme dans un cauchemar. […] Sur leurs terribles carnets ils ont couché tout ce que leurs yeux et leurs oreilles ont rencontré, choses et hommes, meubles et idées ; plus sensitifs qu’intelligents, ils ont à l’ordinaire curieusement fixé l’aspect des choses, cruellement aplati les idées des hommes.

1319. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Parmi les quarante ou cinquante vies vertueuses dont les actes authentiques ont passé sous nos yeux, il n’y en a pas une qui, à n’envisager que les rémunérations mondaines, n’eût gagné à suivre une autre direction. […] Trois semaines après, il ne se battait plus ; à tel point, qu’ayant un jour reçu un soufflet, il sauta sur un bureau, et, trépignant, furibond, les yeux étincelants, il dit à celui qui l’avait frappé : « Tu as du bonheur que j’aie promis à la dame de ne plus me battre ; sans cela je t’aurais étranglé. » Il y avait à La Mouche (quartier des verriers) un nid de petits vauriens nommé Bonhomme. […] c’est pour cela que, quand il fait mouillé, nous nous tenons sur l’arbre, en attendant notre tour de venir à l’école. » Ce spectacle d’une terre avide de boire la rosée du bien, et qui s’ouvre au premier doux rayon de soleil, cette charmante inoculation du sens moral, par un mot, par un regard, en de pauvres êtres qui n’ont pas eu de mère, qui n’ont jamais vu un œil bienveillant leur sourire, rappellent les miracles qui remplissent la vie de tous les grands maîtres de la vertu. […] Cet exemple, ajoute-t-il, a vivement frappé notre famille assistée, et quand il m’arrive d’en parler, tous les yeux se remplissent de larmes ! 

1320. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Il serait bien triste que Dieu n’éclairât pas une âme faite pour lui. » Cependant les yeux jaloux de madame de Montespan ont découvert l’intrigue du roi et de madame de Fontanges. […] Le 9 juin, elle écrivait : « La faveur de madame de Maintenon croît toujours ; celle de Quantova (madame de Montespan) diminue à vue d’œil. » Le 21 : « On me mande que les conversations de S.  […] Elle devait être féconde en jouissances nouvelles cette amitié vive qui, par une conversation animée, sans chicane et sans contrainte, multipliait sans cesse et variait à l’infini ses épanchements vers l’objet aimé, les lui offrait toujours avec intérêt et toujours à propos, provoquait les siens, lui communiquait une vie nouvelle, une existence inconnue, créait en lui un autre homme, avec des facultés jusque-là ignorées de lui-même, l’introduisait dans ce pays nouveau dont parle madame de Sévigné, où avec d’autres yeux il voyait d’autres choses et d’autres hommes, l’introduisait dans son propre cœur où il n’était jamais descendu, l’apprenait à s’étudier et à se connaître, lui donnait une conscience pénétrée du besoin de sa propre estime, une conscience qui lui rendit bon témoignage de lui et de son amie. […] Madame de Maintenon jetait souvent ses regards vers ses anciennes amies ; elles avaient toujours les yeux sur madame de Maintenon.

1321. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

La femme tombée se redressa courroucée, les yeux éclatants de larmes et de larmes. […] C’est d’abord la belle et cruelle scène où Léa, visitée par Camille, l’interroge, les mains sur ses mains, les yeux dans ses yeux, comme elle lui donnerait la question. […] Sachez donc que M. de Sainte-Agathe, qui assistait à la soirée du géographe, a surpris de son œil oblique l’impression produite sur l’héritière par le voyageur, et que, pour écarter ce dangereux rival, il n’a rien trouvé de mieux que de le renvoyer au plus vite au fond du Soudan.

1322. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Cette vieille mère de Goethe, Mme la conseillère de Goethe, comme on l’appelait, d’un caractère si élevé, si noble, j’allais dire si auguste, toute pleine de grandes paroles et de conversations mémorables, n’aime rien tant que d’entendre parler de son fils ; elle a, quand on lui parle de lui, de « grands yeux d’enfant » qui se fixent sur vous et dans lesquels brille le plus parfait contentement. […] À la seconde rencontre qui eut lieu à Wartbourg, à quelques mois d’intervalle, comme la voix manquait à Bettina pour s’exprimer, Goethe lui posa la main sur la bouche et lui dit : « Parle des yeux, je comprends tout. » Et quand il s’aperçut que les yeux de la charmante enfant, de l’enfant brune et téméraire, étaient remplis de larmes, il les lui ferma, en ajoutant avec grande raison : « Du calme ! […] On extrairait de ces lettres de Bettina non seulement un Goethe idéal, mais un Goethe réel, vivant, beau encore et superbe sous les traits de la première vieillesse, souriant sous son front paisible, « avec ses grands yeux noirs un peu ouverts, et tout remplis d’amabilité quand ils la regardent ».

1323. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

L’abbé de Choisy apprit, au séminaire où il était alors, ce projet d’une mission pour Siam : la palme de saint François-Xavier brilla aussitôt à ses yeux, et, avec le zèle d’un néophyte, il pensa que ce serait beau à lui d’aller, pour coup d’essai, évangéliser ce royaume lointain. […] Cela fait un effet admirable : et souvent, quand je ne dis mot, on croit que je ne veux, pas parler ; au lieu que la bonne raison de mon silence est une ignorance profonde, qu’il est bon de cacher aux yeux des mortels. […] Ses yeux creux, ses sourcils épais et noirs, lui faisaient une mine austère, et lui rendaient le premier abord sauvage et négatif ; mais, dans la suite, en l’apprivoisant ; on le trouvait assez facile, expéditif et d’une sûreté inébranlable. […] Il en a fait un délicieux de Mme de La Vallière, qu’il est juste de mettre en regard de celui de Colbert, où l’on vient de voir les plis du front : Elle avait le teint beau, les cheveux blonds, le sourire agréable, les yeux bleus, et le regard si tendre et en même temps si modeste, qu’il gagnait le cœur et l’estime au même moment : au reste, assez peu d’esprit, qu’elle ne laissait pas d’orner tous les jours par une lecture continuelle.

1324. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

D’un côté, ma vie était devant mes yeux, telle que je la voyais au flambeau de la vérité céleste, et de l’autre la mort, la mort que j’attendais tous les jours, telle qu’on la recevait alors. […] J’ai mangé d’un succulent potage, deux côtelettes panées à la minute, l’œil et les abat-joues de cette tête de veau si blanche, ce morceau de brochet du côté de l’ouïe que vous m’avez servi vous-même : je n’ai rien refusé parce qu’il faut que la volonté de Dieu et des jolies femmes soit faite ; j’ai fait honneur aux trois services : en un mot, j’ai dîné, moi indigne, comme aurait pu le faire un ancien prélat, et voilà cependant (ici les pleurs redoublent) que je songe à quelles cruelles privations sont exposés tant de pauvres prêtres sans dîmes, de chanoines sans bénéfices, qui n’ont peut-être pas une omelette au lard, et qui dîneront mal d’ici à l’éternité, si la Providence ne vient à leur secours. […] J’ai sous les yeux une lettre écrite par lui à Mme Récamier, qui, avec sa bonne grâce de tous les temps, avait essayé de se porter médiatrice : Vous savez mieux que personne, lui écrivait La Harpe, combien, dans cette malheureuse affaire, mes intentions étaient pures, quoique ma conduite n’ait pas été prudente. […] ne l’avez-vous pas vu de vos yeux ? 

1325. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

L’émotion esthétique est la plus immatérielle et la plus intellectuelle, des émotions humaines ; les organes à l’aide desquels elle se produit surtout, sont les yeux et les oreilles : préservés de tout contact direct avec les objets, de tout choc, ils n’ont pas à craindre d’être violemment déchirés et désagrégés : une vibration légère comme le rayon ou l’onde sonore qui la produit, une excitation qui peut s’arrêter à telles fibres isolées sans mettre en mouvement la masse des nerfs optiques et auditifs, c’est assez pour provoquer dans ces sens un changement d’état saisissable : ils sont donc très propres à ces délicates distinctions intellectuelles qui sont l’une des marques auxquelles nous reconnaissons les sentiments esthétiques. […] De même, en face de certains paysages que l’œil contemple avec un sentiment banal d’aise et de facilité, il faut un réveil de la conscience et de la volonté pour faire naître le véritable sentiment L’admiration esthétique est, dans une certaine mesure, une œuvre de volonté. […] Notre œil a une lumière propre, et il ne voit que ce qu’il éclaire de sa clarté. […] Si je suis ému par la vue d’une douleur représentée, comme dans le tableau de la Veuve du soldat, c’est que cette parfaite représentation me montre qu’une âme a été comprise et pénétrée par une autre âme, qu’un lien de société morale s’est établi, malgré les barrières physiques, entre le génie et la douleur avec laquelle il sympathise : il y a donc là une union, une société d’âmes réalisée et vivante sous mes yeux, qui m’appelle moi-même à en faire partie, et où j’entre en effet de toutes les forces de ma pensée et de mon cœur.

1326. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

Il vous montre une mère, Constance mère d’Arthur, et quand il vous a amené à ce point d’attendrissement que vous ayez le même cœur qu’elle, il tue son enfant ; il va en horreur plus loin même que l’histoire, ce qui est difficile ; il ne se contente pas de tuer Rutland et de désespérer York ; il trempe dans le sang du fils le mouchoir dont il essuie les yeux du père. […] tu as beau écarquiller les yeux, vieux Rabelais ! […] Un curieux genre pudibond tend à prévaloir ; nous rougissons de la façon grossière dont les grenadiers se font tuer ; la rhétorique a pour les héros des feuilles de vigne qu’on appelle périphrases ; il est convenu que le bivouac parle comme le couvent, les propos de corps de garde sont une calomnie ; un vétéran baisse les yeux au souvenir de Waterloo, on donne la croix d’honneur à ces yeux baissés ; de certains mots qui sont dans l’histoire n’ont pas droit à l’histoire, et il est bien entendu, par exemple, que le gendarme qui tira un coup de pistolet sur Robespierre à l’Hôtel-de-Ville se nommait La-garde-meurt-et-ne-se-rend-pas.

1327. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Ainsi, cet immense masque humain, chacun des génies l’essaye à son tour ; et telle est la force de l’âme qu’ils font passer par le trou mystérieux des yeux, que ce regard change le masque, et, de terrible, le fait comique, puis rêveur, puis désolé, puis jeune et souriant, puis décrépit, puis sensuel et goinfre, puis religieux, puis outrageant, et c’est Caïn, Job, Atrée, Ajax, Priam, Hécube, Niobé, Clytemnestre, Nausicaa, Pistoclerus, Grumio, Davus, Pasicompsa, Chimène, don Arias, don Diègue, Mudarra, Richard III, lady Macbeth, Desdemona, Juliette, Roméo, Lear, Sancho Pança, Pantagruel, Panurge, Arnolphe, Dandin, Sganarelle, Agnès, Rosine, Victorine, Basile, Almaviva, Chérubin, Manfred. […] Une leçon qui est un homme, un mythe à face humaine tellement plastique qu’il vous regarde et que son regard est dans un miroir, une parabole qui vous donne un coup de coude, un symbole qui vous crie gare, une idée qui est nerf, muscle et chair, et qui a un cœur pour aimer, des entrailles pour souffrir, et des yeux pour pleurer, et des dents pour dévorer ou rire, une conception psychique qui a le relief du fait, et qui, si elle saigne, saigne du vrai sang, voilà le type. […] C’était être mauvais politique que d’avoir de bons yeux. […] Demeurer après l’envolement de l’ange, être le père orphelin de son enfant, être l’œil qui n’a plus la lumière, être le cœur sinistre qui n’a plus la joie, étendre les mains par moments dans l’obscurité, et tâcher de ressaisir quelqu’un qui était là, où donc est-elle ?

1328. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

Cette difficulté ne porte pas contre la liberté de penser, car de tout temps, sous tous les régimes philosophiques et religieux, les hommes ont su trouver des sophismes pour couvrir à leurs propres yeux leurs passions et leurs faiblesses. L’ambitieux a toujours coloré ses bassesses ou ses crimes du prétexte du bien public, le vindicatif de celui de l’honneur blessé ; le voluptueux ne cherche pas même de prétexte et se contente de s’excuser à ses yeux en disant que la chair est faible. […] Une vérité ne mérite pour moi ce nom que lorsqu’elle est telle à mes propres yeux, lorsque je me la suis appropriée par l’étude, par la discussion, par la démonstration, lorsque j’en ai trouvé l’es racines dans les principes de ma raison. […] Au contraire, si on posait en principe sans discussion qu’il n’y a pas de surnaturel, on enchaînerait par là même sa liberté ; on s’interdirait d’avance et systématiquement de reconnaître pour vrai ce qui peut l’être ; on se fermerait les yeux pour être plus sûr de voir clair.

1329. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Il y eut des fautes de part et d’autre, nous dit-il en baissant les yeux comme s’il les fermait, — et il passe. […] Nous aimons à revoir passer devant nous, rajeunis par le récit et par les détails de la biographie, les hommes dont la gloire a grandi ou bien s’est fixée sous nos yeux. […] Cousin », comme si aux yeux d’un catholique tel que M.  […] Est-ce que l’illustre auteur du Léon X, du Luther, du Calvin, etc., ce talent vivant, étincelant, armé, qui a fait de la polémique avec l’histoire, sans jamais en fausser la vérité dans le combat, est inférieur, aux yeux connaisseurs de M. 

1330. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Sainte-Beuve a été un jour, aux yeux des connaisseurs, un trop rare poète pour que l’Imagination autant que la Critique ne tienne pas à connaître toute l’œuvre de l’homme qui a donné cette note unique de profondeur, et à savoir, s’il l’a perdue, comment cela se fit. […] Qu’il n’avait ni cils blonds, ni prunelle azurée, Ni l’accent qui séduit, ni l’œil demi-voilé ? […] On pourrait s’étourdir, — mais aux pires instants L’immortelle pensée, aux sillons éclatants, Comme un feu des marais jaillit de cette fange, Et remplissant nos yeux nous éclaire… et se venge ! […] Je ne connais rien de plus pénible, de plus tourmenté, de plus avorté, de plus sec, de plus nain que ces poésies où le parti pris fait saillie jusqu’à frapper les yeux les moins intelligents.

1331. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

Peut-on refuser son coeur à ces yeux, qui sont de la classe des beaux yeux. […] Si ce sont les yeux qui sont affectés, nous disons que l’objet est coloré, qu’il est ou blanc, ou noir, ou rouge, ou bleu, &c. […] Des yeux noirs. Des yeux fendus. […] Ainsi l’oeil & l’entendement sont dits avoir analogie, ou rapport l’un à l’autre.

1332. (1927) Des romantiques à nous

La satisfaction exaltée qu’elles apportent au bon cœur des héros et des héroïnes de Jean-Jacques, après qu’ils ont péché délicieusement, en offre à leurs yeux la preuve bien suffisante. […] Mais ces traits, qui caractérisent, selon moi, la nature morale bretonne ou celtique, n’ont à ses yeux, qu’une qualité plus banale : ils sont « romantiques ». […] Ils trouvent dans les belles œuvres de Saint-Saëns une universalité de signification qui, sans en diminuer à leurs yeux le caractère essentiellement français, les leur raid plus accessibles. […] Fruit opulent aux yeux, mais déjà gâté au dedans, diront certains à la suite de Nietzsche. […] Leurs yeux offraient la même flamme.

1333. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Ils n’hésitent pas à proclamer l’œil « le sens artiste de l’homme16 », et c’est aux yeux en effet autant qu’à l’esprit que s’adresse leur effort. […] Trois spectres se dressent sous ses yeux. […] et de quels ménagements elle use vis-à-vis de ses abonnés, avant de leur mettre sous les yeux ce style qui n’avait pas été coulé dans le moule officiel ! […] « Le beau, déclarent-ils formellement, est ce qui paraît abominable aux yeux sans éducation. […] C’est que je devine l’avenir, moi ; c’est que sans cesse l’antithèse se dresse devant mes yeux.

1334. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

La vie de campagne, la vie patriarcale de famille dans ces belles provinces qu’arrose la Saône, les hautes herbes qui ploient sous l’aquilon, les bois dont le murmure et l’ombre sont au maître, les entretiens des pâtres autour des feux allumés, ces rayons de soleil couchant sur les fléaux, les socs de charrue et les gerbes des chars, ces ombres allongées des moulins monotones, toutes ces douces géorgiques de notre France ont une beauté forte et reposée qui égale à nos yeux la splendeur blanchissante du Golfe de Gênes et les autres tableaux enchantés que l’Italie a inspirés au poète. […] De là aussi plusieurs défauts qui sautent aux yeux des moins habiles et qui découlent immédiatement des précédentes qualités : trop de lumières, des ombres vagues, des contours quelquefois indécis ; du débordement et de l’exubérance ; une expansion en tous sens, qui laisse se glisser, dans les intervalles des choses sublimes, quelques idées, trop faciles, trop promptes, écloses avant terme.

1335. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Paul Bourget, Études et portraits. »

je me suis, sans doute, figuré depuis que j’avais fait le plus adorable voyage, et je le raconte quelquefois en coupant mon récit de cris d’admiration ou de plaisir : mais, quand je rentre en moi-même et que je tâche d’être sincère, je sens très bien que, ce coin du Sahara, c’est à travers le livre de Fromentin que je le revois, non à travers mes propres souvenirs ; je sens que ce voyage n’a rien ajouté à la vision que j’apportais avec moi, et que mes yeux ont, sans le savoir, conformé la réalité à cette vision. […] Ce n’est pas le moment, quand presque tous les peuples se resserrent sur eux-mêmes et nous observent d’un œil haineux, ce n’est pas le moment de nous piquer de leur rendre justice, ni de nous épancher sur eux en considérations sympathiques.

1336. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Cette mode eut tant de faveur que Bonaparte, soit qu’il en ait subi l’engouement, soit qu’il ait jugé politique de l’exploiter pour sa gloire, revêtit le jour du sacre la pourpre des Césars et que les yeux n’en furent point, étonnés. […] Ils se sont vu placer devant les yeux des modèles parfaits, mettre en main des méthodes — merveilleux instruments de mentalité ; — ils se sont vu montrer des raccourcis, ouvrir des portes dérobées et soudain ils se trouvèrent de plain-pied avec un territoire où fleurissaient l’art, la science et le goût, où s’épanouissaient déjà la connaissance et la beauté.

1337. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre V. Le mouvement régionaliste. Les jeunes en province » pp. 221-231

Les jeunes hommes que leur situation de fortune, leur emploi, leur famille forçaient à habiter, loin de Paris, malgré leur goût pour les lettres n’avaient d’yeux que pour le boulevard de la capitale. […] — Or j’ai fait desceller pour toi la tombe ancienne Où dorment les aïeux, où ma place m’attend, Et descendre moi-même au fond, pieusement, Ton cercueil de bois blanc sur les bières de chêne, Et j’ai pleuré…………………………… Puis, un jour, par hasard j’ai connu ton histoire, Pastoure qui chantais dans les seigles d’été, J’ai compris ton amour maternel, ta bonté, L’énigme de tes yeux qui hantait ma mémoire, Servante dont les doigts noueux étaient câlins… Je me sens aujourd’hui, sacrilège, ô servante, Dors, l’orgueil d’un poème est indigne de toi… Ô pays, le printemps va fleurir tes sous-bois : Les tourdelles déjà grapillent dans le lierre ; Plateaux et vous, blés noir, qu’un aïeul cultiva Terre dont j’ai compris la pauvreté hautaine C’est peut-être, en mon cœur, elle, qui réveilla L’atavisme endormi de ma race lointaine, L’orgueil des champs, l’orgueil des fruits, l’orgueil du sol Et dans le dernier fils des aïeux cévenols !

1338. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Deuxième cours des études d’une Université » pp. 489-494

Sans la mythologie, on n’entend rien aux auteurs anciens, aux monuments, ni à la peinture, ni à la sculpture, même modernes, qui se sont épuisées à remettre sous nos yeux les vices des dieux du paganisme, au lieu de nous représenter les grands hommes. […] Lorsqu’on a dit de la géographie et de la chronologie qu’elles étaient les deux yeux de l’histoire, on a tout dit.

1339. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Satire contre le luxe, à la manière de Perse » pp. 122-126

Une mère si elle l’osait, dirait à son fils : " mon fils, pourquoi consumer vos yeux sur des livres ? […] Regardez avec le même œil des êtres à venir qui sont à la même distance de vous.

1340. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 14, de la danse ou de la saltation théatrale. Comment l’acteur qui faisoit les gestes pouvoit s’accorder avec l’acteur qui récitoit, de la danse des choeurs » pp. 234-247

Quintilien en parlant de la contenance qu’un orateur sur qui tous les yeux des auditeurs sont déja tournez, quoiqu’il n’ait pas encore commencé à parler, doit tenir durant un temps avant que d’ouvrir la bouche, dit que les comédiens appellent en leur stile ce silence étudié, des retardemens. […] Quoi qu’il en soit, il est toujours constant que l’un et l’autre suivoient les temps d’une même mesure batuë par le même homme, qui avoit sous les yeux les vers qui se récitoient, et dont les syllabes marquoient les temps, comme on l’a vû.

1341. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

La fourmi lui donna dans l’œil. […] Il s’imagine qu’elle ne donne pas que la joie de ses beautés aux yeux qui la contemplent et la pureté de ses voluptés à, nos âmes, mais, de plus, encore, la force à nos esprits et à nos cœurs pour vivre non plus tête à tête et cœur à, cœur avec elle, mais pour vivre mieux avec les hommes et être plus dispos et plus prompt à toutes les charges du devoir !

1342. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

pour peu que, libre de ces préoccupations de parti qui bandent les yeux aux intelligences avant de les tuer, comme on fait aux hommes qu’on fusille, on ouvre l’Histoire d’une main impartiale, on ne trouve nulle part, depuis que le monde romain a sombré, de chose humaine qui ait plus que l’Empire de Napoléon ce caractère grandiose, monumental et merveilleux, qui fait penser à l’Épopée. […] A nos yeux, les seules périodes comparables à celle qu’il anima de son génie sont, ou cette époque de l’histoire d’Espagne qui brille du nom presque fabuleusement beau de son Cid, ou, dans notre histoire, à nous, l’époque immense de Charlemagne.

1343. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Dès que la somnolence se fait sentir, l’hypnotiseur dit : — « Vous ne pouvez plus ouvrir les yeux » ; dans le cerveau déjà affaibli et en train de se vider, cette affirmation entraîne l’idée d’une complète impuissance : le sujet a beau faire effort pour ouvrir les yeux, il n’y parvient plus. L’idée fixe des yeux invinciblement clos, par les vibrations qui en sont inséparables, a immobilisé, dans le clavier cérébral, la touche qu’il faudrait presser pour ouvrir les yeux. […] Placez une loupe sous les yeux du sujet, il verra la photographie grossir ; le prisme la lui fera voir double. […] C’est comme un changement de position par lequel l’œil de l’esprit est retourné du dehors au dedans. […] C’est ce qui nous arrive chaque jour ; seulement, nous ne nous donnons pas pour cela une hallucination en concentrant nos yeux et notre imagination sur un cristal magique.

1344. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

Jetez les yeux avec moi sur le privilège donné en 1672 à Lully pour tenir académie royale de musique. […] Buloz, pareil à ces gens dont parle l’Évangile, qui ont des yeux et qui ne voient point, qui ont des oreilles et qui n’entendent point, M.  […] — En lisant cela, on se frotte les yeux ; en écoutant cela, on doute de ses oreilles. […] Le Zoïle à l’œil faux avait bien quelque analogie avec M.  […] C’est quelque chose de creux, de brillant, de sonore, qui éblouit les oreilles et les yeux sans satisfaire l’esprit.

1345. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Coup d’œil sur l’histoire des systèmes. […] C’est de quoi la philosophie s’aperçut dès qu’elle ouvrit les yeux. […] C’est pourquoi chacun de ces faits ne comporte, à leurs yeux, qu’une définition ou une description globales. […] Quand un processus physique s’accomplit sous mes yeux, il ne dépend pas de ma perception ni de mon inclination de l’accélérer ou de le ralentir. […] L’expérience ne se meut pas, à ses yeux, dans deux sens différents et peut-être opposés, l’un conforme à la direction de l’intelligence, l’autre contraire.

1346. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Et Jésus le regardant d’un front et d’un œil sévère lui dit : Je vais, et toi, tu attendras que je vienne. […] » Et là-dessus il baissa les yeux, et il laissa tomber quelques larmes, et il ne dit plus rien. […] » Il me répondit : « Jamais avec les yeux corporels. » Il s’en alla. […] On dit en proverbe : Pleurer devant un aveugle, c’est abîmer inutilement ses yeux. […] Je n’ai pas eu le livre sous les yeux ; je dois à M. 

1347. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

On m’excusera cependant de la remettre sous les yeux du lecteur. […] Il me reste à mettre ou à remettre sous les yeux du lecteur la lettre du jeune Benjamin. […] ce qui fait le prix de ce livre à nos yeux, c’est qu’il est moins encore un livre qu’une vie. […] La réalité ici se reconnaît à l’œil nu. […] Ainsi passent, sous les yeux des célestes spectateurs, les scènes de la création.

1348. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

au moment où je commence ce funèbre récit, les pleurs s’échappent en abondance de mes yeux ! […] Après, je fus témoin d’un siège de plusieurs semaines que l’on mit devant le palais pontifical et qui arrachait les larmes des yeux de tous les bons ; puis, dans les ténèbres de la nuit, le sac du Quirinal. […] Je joins à ce très modeste envoi, qui n’aura peut-être de prix à vos yeux que l’intention, la manière de les soigner telle que nos horticulteurs l’ont formulée. […] Sa taille, naturellement élevée, mais légèrement inclinée par la modestie, cette convenance de son âge, était mince et élégante ; ses yeux sincères, son front délicat, sa bouche accentuée d’une grâce sévère. […] Le plus chrétien de ces gouvernements, à ses yeux, était le plus honnête.

1349. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Il voit toute chose avec un œil de myope, il travaille à la loupe, et son regard se voile ou se trouble dès que l’objet examiné atteint quelques proportions. […] Je veux bien (quoique, après tout, cela ne soit nullement prouvé) qu’elle ait été déçue soit dans son amour, soit dans son ambition ou sa vanité ; je veux qu’elle en ait gardé du dépit, et qu’elle ait vu Napoléon d’un tout autre œil qu’auparavant. […] Ici le grand Apelle, heureux dès avant nous, De sa vision même est devenu l’époux ; L’Aube est d’Angelico la sœur chaste et divine ; Raphaël est baisé par la Grâce à genoux, Léonard la contemple et, pensif, la devine ; Le Corrège ici nage en un matin nacré, Rubens en un midi qui flamboie à son gré ; Ravi, le Titien parle au soleil qui sombre Dans un lit somptueux d’or brûlant et pourpré Que Rembrandt ébloui voit lutter avec l’ombre ; Le Poussin et Ruysdaël se repaissent les yeux De nobles frondaisons, de ciels délicieux, De cascades d’eau vive aux diamants pareilles ; Et tous goûtent le Beau, seulement soucieux, Le possédant fixé, d’en sentir les merveilles. […] Il y a aussi de suaves commerces de cœur et d’esprit entre l’homme et la femme ; l’amitié amoureuse, qui est plus que l’amour, car elle en atout le charme, et elle n’en a point les malaises, les grossièretés ni les violences : l’ami jouit paisiblement de la grâce féminine de son amie, il jouit de sa voix et de ses yeux et il retrouve encore, dans sa sensibilité plus frémissante, dans la façon dont elle accueille, embrasse et transforme les idées qu’il lui confie, dans sa déraison charmante et passionnée, dans le don qu’elle possède de bercer avec des mots, d’apaiser et de consoler, la marque et l’attrait mystérieux de son sexe. […] L’histoire de la philosophie antique est menée comme un drame ; et quelle plus juste et plus expressive image que celle-ci (après la chanson des Epicuriens) : … Soudain, quand la joyeuse et misérable troupe Ne se soutenait plus pour se passer la coupe, Une perle y tomba, plus rouge que le vin… Ils levèrent les yeux : cette sanglante larme D’un flanc ouvert coulait, et, par un tendre charme, Allait rouvrir le cœur au sentiment divin.

1350. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Une confusion soudaine les envahit ; ils baissent les yeux. […] Les amants se parlent les yeux dans les yeux, cœur à cœur, presque lèvre à lèvre. […] Tristan n’ose lever les yeux, Iseult se voile la face. […] Tristan s’est dressé convulsif, l’œil hagard, les narines dilatées, haletant, livré tout entier aux sensations suraiguisées de l’agonie ; il a prononcé un seul mot, — le nom de son idole. — et il a rendu le dernier soupir dans un dernier baiser.

1351. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Oserai-je ouvrir toutes grandes les portes de la Maison du péché et dévoiler à tous les yeux ce que Gaston Deschamps aime réellement en Marcelle Tinayre ? […] C’est avoir de bons yeux que de trouver du « génial » dans La Princesse lointaine et c’est être généreux que de saluer Rostand « grand poète ». […] Ils lui créent des illusions aimables, font sourire devant ses yeux heureux des vierges aux « charmes pâles » Atténués aux teintes vagues des lointains. […] Quand la petite Fernande donne ses baisers à Henri de Régnier, miche sérieux et académique, elle fait de l’œil à Gabriel Trarieux, puissance future. […] Mais, d’ordinaire, il ne se fie pas à ses propres yeux.

1352. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

On a voulu réserver écaille pour les poissons et écale pour les végétaux ; c’est d’après le même principe de répartition enfantine et hiérarchique qu’un grammairien avait décidé jadis de n’accorder au bouillon que des œils : yeux lui semblait trop noble pour une constatation aussi vulgaire. Peut-être même assignait-il à ces œils une étymologie particulière ; ainsi le plus répandu des petits dictionnaires manuels a soin de spécifier que écaille vient du latin squama, ce qui est absurde132. […] L’usage impose échiner et maligne ; il impose aussi cligner, mais clin (d’œil) témoigne qu’à un moment de la langue on a dit cliner. […] Il y a peut-être à ces pluriels, œils, ciels, etc., une raison véritable.

1353. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Les actions vertueuses qu’elle représente quelquefois, ne lui sont pas plus propres que les licentieuses, qu’elle met aussi souvent sous les yeux. […] La description d’un hameau peut bien plaire par la naïveté et la grace ; mais Neptune calmant d’un mot les flots irrités, Jupiter faisant trembler les dieux d’un clin d’oeil ; ce n’est qu’à de pareilles images qu’il appartient d’étonner et d’élever l’imagination. […] Exact et riche dans ses descriptions, il y mêle toujours de ces traits naïfs qui mettent presque les objets sous les yeux. […] Ses ouvrages ne sont plus lûs, et je ne crois pas que beaucoup de gens veuillent juger par leurs yeux de ce que j’en vais dire. […] S’il met quelque feu dans un ouvrage, et s’il fait regarder à de certaines gens les poëtes comme des hommes inspirés, il les avilit à des yeux plus philosophes, qui les regardent comme des fous yvres de leur art et d’eux-mêmes.

1354. (1890) Dramaturges et romanciers

Mille agents ont travaillé à sa formation, mille éléments sont entrés dans sa composition, et cependant nul œil n’a rien surpris de ce travail latent. […] Blasés que nous sommes par l’habitude des ruines, nous voyons d’un œil sec s’écrouler les pouvoirs antiques qui ont abrité tant de générations. […] Les yeux s’habituent à contempler certaines images, l’oreille saisit sans effort le ton régnant des styles en vogue. […] Dans le drame au contraire le duel s’engage sous nos yeux, se poursuit sans paix ni trêve, se prolonge sans merci. […] Ce n’est pas assez pour entraîner mort d’homme, mais c’est parfois assez pour crever un œil.

1355. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Cependant ses yeux restaient toujours ouverts et tranquilles en même temps que son corps s’affaissait sur lui-même ; l’animal était alors complétement paralysé. Bientôt les yeux devinrent ternes, les mouvements respiratoires cessèrent, et l’animal était mort huit minutes après la piqûre empoisonnée. […] Toutes les fois qu’on approchait, il montrait les dents et roulait des yeux flamboyants. […] Le cadavre que l’on a devant les yeux entend et distingue ce que l’on fait autour de lui, il ressent des impressions douloureuses quand on le pince ou qu’on l’excite. […] Nier ces choses ne serait pas les supprimer, ce serait fermer les yeux et croire que la lumière n’existe pas.

1356. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Cette dame vint s’établir à Saint-Denis ; elle eut pour sa fille adoptive des soins vraiment maternels, et se conduisit toujours de manière à passer aux yeux de tous pour la véritable mère. « J’ai particulièrement connu, nous écrivait un de nos amis créoles, la personne qu’on dit être la fille de Parny : déjà d’un certain âge quand je la vis, elle a dû être fort jolie, sinon belle ; de taille moyenne, blonde avec des yeux bleus, elle passe pour avoir eu quelque ressemblance avec Éléonore, dans la mémoire, peut-être complaisante, de quelques anciens du pays. […] Dans une lettre touchante de Français de (Nantes), que j’ai sous les yeux, cet homme excellent, ce bienfaiteur véritable des dernières années de Parny, l’appelle ingénument le premier poëte classique du siècle de Louis XVI. […] Les Déguisements de Vénus marquent comme le dernier adieu, un peu trop prolongé, à ces douceurs volages dont, plus jeune, il avait dit : Sur les plaisirs de mon aurore Vous me verrez tourner des yeux mouillés de pleurs, Soupirer malgré moi, rougir de mes erreurs, Et même en rougissant les regretter encore. […] C’est un souvenir des Mémoires que j’ose placer là ; quoiqu’il y ait des années que j’ai entendu ce passage, je ne crois pas citer trop inexactement. — Voici d’autres particularités que je tire de notes inédites de Chateaubriand écrites à Londres, en 1798, en marge d’un exemplaire de son Essai sur les Révolutions : « Le chevalier de Parny est grand, mince, le teint brun, les yeux noirs enfoncés, et fort vifs. […] Reste pour moi le Dieu au front humide, à l’œil brillant, à la branche d’amandier.

1357. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

C’est même la peur de la perdre, et de ne retrouver ni la curiosité des choses de la science, ni le goût du monde, c’est l’horreur de ce vide qui fut la passion d’une partie de sa vie ; voilà le précipice qu’il avait sous les yeux, et au bord duquel il se tint comme accroché avec ses mains sanglantes, quelquefois affaibli, jamais épuisé. […] Ces connaissances, sous leur forme abstraite et philosophique, à cette hauteur où mon œil les aperçoit à peine, pareilles à ces lumières qui brillent dans les espaces infinis et qui ne percent pas l’ombre où nous sommes, de quel usage me sont-elles dans les détails de mes actions ? […] Si Descartes faiblit dans ses preuves, tout au plus en sera-t-il troublé, à cause des curieux qui ont les yeux sur lui, et qui regardent s’il ne va pas être contredit par sa propre méthode. […] Voyez quel dédain il fait de celle de Descartes, laquelle avait le tort à ses yeux de s’être attachée à des choses qui ne valent pas une heure de peine ! […] Je ne le vois pas, sans regret, quitter la scène à la fin de la dixième Provinciale, alors que Pascal, passant tout à coup de la raillerie déguisée à l’attaque ouverte, et prenant le père à partie sur la maxime qui dispense d’aimer Dieu, l’exhorte à ouvrir les yeux et à se retirer des égarements de sa Société, ajoutant ainsi à l’effet moral de cette petite pièce par le sérieux du dénoûment.

1358. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

Or, dans l’état actuel des textes, l’Évangile selon Matthieu et l’Évangile selon Marc offrent des parties parallèles si longues et si parfaitement identiques qu’il faut supposer, ou que le rédacteur définitif du premier avait le second sous les yeux, ou que le rédacteur définitif du second avait le premier sous les yeux, ou que tous deux ont copié le même prototype. […] Justin, qui fait souvent appel à ce qu’il nomme « les mémoires des apôtres 26 », avait sous les yeux un état des documents évangéliques assez différent de celui que nous avons ; en tous cas, il ne se donne aucun souci de les alléguer textuellement. […] Luc avait probablement sous les yeux le recueil biographique de Marc et les Logia de Matthieu. […] Luc a eu sous les yeux des originaux que nous n’avons plus. […] J’eus devant les yeux un cinquième évangile, lacéré, mais lisible encore, et désormais, à travers les récits de Matthieu et de Marc, au lieu d’un être abstrait, qu’on dirait n’avoir jamais existé, je vis une admirable figure humaine vivre, se mouvoir.

1359. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

À ses yeux, c’est le moyen providentiel qui préparait la prédication générale et rapide de la foi chrétienne. […] Je crèverai les yeux à qui voudra m’ôter mon bien. […] Sismondi, à leurs yeux la littérature provençale est une perpétuelle imitation de la littérature arabe. […] si tu touchais d’un rayon de sa lumière les yeux d’un aveugle, il retournerait clairvoyant à sa demeure. […] Son premier époux, André de Hongrie, périt assassiné sous ses yeux, et, on le croit, avec son aveu.

1360. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

A quoi veux-je plus vivre, puisque j’ai perdu mes écus que j’avais si soigneusement amassés, et que j’aimais et tenais plus chers que mes propres yeux ? […] Nul homme n’ose-t-il se montrer à tes yeux ? […] Si tes deux yeux étaient deux pâtés de raquête, Je ficherais bientôt mes deux yeux dans ta tête. […] que vos yeux, ces aimables tyrans, Ont produit sur mon cœur des effets différents ! […] Ce jour-là, ce dernier eût pu se dire à lui-même, comme jadis Pompée à Scylla : « Ne sais-tu pas que tous les yeux se tournent vers le soleil levant ? 

1361. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Il se mit donc à enregistrer et noter tout ce qui se passait sous ses yeux, s’abstenant de toute réflexion, et ne s’appliquant qu’à relever les faits avec toute l’exactitude possible. […] Le duc de Luynes, l’auteur des mémoires, s’était donc proposé un travail bien minutieux, bien peu élevé, ce semble, et sans haute portée : il ne visait qu’à être (incognito) un collecteur d’anecdotes, — pas même d’anecdotes —, de faits quelconques journaliers se passant à la Cour et sous ses yeux. […] Il est amusant, quand on sait de quoi il retourne, de suivre de l’œil jour par jour le train de cette Cour et de ses plaisirs, ces continuelles parties à La Muette, à Madrid, à La Rivière, à Choisy, ces voyages intimes du roi et des quatre sœurs ainsi qu’on les appelle, c’est-à-dire des deux princesses du sang, Mlle de Charolais et Mlle de Clermont, et des deux sœurs, Mme de Mailly et Mme de Vintimille ; car Mme de Mailly, à un certain moment, s’était adjoint une de ses sœurs, avec laquelle elle paraît avoir vécu en parfaite intelligence, quoique celle-ci fût d’une humeur plus hardie et plus inégale.

1362. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

C’était le séjour le plus commode à une idée unique, à un culte de l’imagination ou du cœur, et j’en avais sous les yeux trois ou quatre existant ensemble, d’un ordre tout différent. […] Le même jour j’avais vu le sculpteur Fogelberg, ce Suédois tout grec, dont l’œil se mouillait de larmes en nous montrant l’Apollon au Vatican et les contours lointains des paysages d’Albano. […] Est-il possible d’allier la charité, qui passe, aux yeux même des indifférents, pour faire le fond du Christianisme et pour être la plus excellente des vertus chrétienne, avec la censure énergique non-seulement des vices criants, mais des inconséquences de tout genre qu’un catholique rigide rencontre à chaque pas dans la vie du siècle ?

1363. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Tristement célèbre à nos yeux par ses trois premières intendances, surtout par celle du Béarn, à titre de persécuteur et de convertisseur des protestants, il s’honora dans celle de Caen, où il ne demeura pas moins de dix-sept années, par sa bonne administration, ses règlements utiles, son goût pour les antiquités curieuses, pour les lettres, et par sa bienveillance envers ceux qui les cultivaient. […] Comme il convient de se bien définir à soi-même les termes, même les plus courants et les plus connus, on appelait proprement dragonnades l’opération, en apparence très-simple, qui consistait à faire arriver dans un pays des dragons ou tout autre corps de cavalerie, à les loger chez des bourgeois, métayers ou fermiers protestants, ou même des nobles, et à les ruiner par ces logements prolongés qui, dans l’état encore très-neuf de la discipline militaire d’alors, et surtout quand on voulait bien y donner les mains et fermer les yeux, étaient accompagnés de quantités d’exactions, vexations, coups, viols, sévices et parfois meurtres ; on exemptait qui l’on voulait de ces logements, et on écrasait les autres. […] Dans le temps qu’il était à Montauban, il envoya à Colbert, grand amateur aussi en matière de collections, des actes et manuscrits curieux, tirés de l’abbaye de Moissac ; il y trouva notamment il y découvrit sinon de ses yeux, du moins par ceux d’un docte abbé qu’il y employa, un ouvrage qu’on croyait perdu sur les Persécuteurs, De Mortibus Persecutorum.

1364. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

About ne m’ont-elles pas sauté aux yeux et pris de force ? […] Si on ne lit pas tout, presque tout, dans cette quantité de productions qui ont chacune leur qualité, si l’on a manqué le moment où elles passent pour la première fois sous nos yeux, on est en peine ensuite pour rétablir le point de vue ; un mouvement si compliqué, si divers, si fécond, et dans un genre indéfini qui menace de devenir la forme universelle, demande à être suivi jour par jour ; faute de quoi l’on ne sait plus exactement les rapports, les proportions des talents entre eux, la mesure d’originalité ou d’imitation, le degré de mérite des œuvres, ce qu’elles promettent au juste et ce que l’auteur peut tenir. […] Vous avez vu quelquefois un beau jeune homme de trente-cinq à trente-neuf ans environ : il a encore toute la physionomie de la jeunesse ; son œil est vif, sa tempe marquée à peine, sa moustache brune, toute son expression souriante.

1365. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Il suffit de jeter les yeux sur les singuliers autographes qui nous viennent de Berny pour mesurer en un clin d’œil toute la distance : on était tombé de la langue si pure encore et si juste des dernières années de Louis XIV à celle que parlaient Mlle Leduc et ses pareilles. […] Richelieu était alors dans tout son éclat, dans tout le brillant de cette poudre aux yeux dont il eut l’art d’éblouir ses contemporains, même à la guerre. […] L’admiration, l’engouement pour un tel homme, même après les déprédations avérées du Hanovre, est, à mes yeux, une des lèpres du xviiie  siècle.

1366. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Celui-ci, pour donner échantillon de sa vigueur, lève de sa large main son immense épée à double garde, dont la lame droite lui allait presque jusqu’à l’épaule, et il pourfend d’un seul coup une grosse barre de fer qui s’est trouvée là sous ses yeux. […] Et la rouge Sabine et l’Italie entière Éblouiront mes yeux avides de lumière. […] Des forêts à la mer poursuivez votre quête ; Qu’on redise après vous les Conscrits de Plô-Meûr : Ne chantez pas à pleine tête, Faites pleurer les yeux et soupirer le cœur.

1367. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

De là ces réimpressions sans nombre qui remettent sous les yeux ce que les générations nouvelles ont hâte d’apprendre, ce que les autres sont loin d’avoir oublié. […] Brunel, M. de Rey, l’abbé de Vertot étaient à ses pieds, et où ces bonnes dames de Grieu n’avaient d’yeux que pour elle : « Ce qu’on faisoit pour moi me coûtoit si peu, dit-elle, qu’il me sembloit être dans l’ordre naturel. […] Mes yeux accoutumés à le voir ne regardoient plus rien.

1368. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

L’esprit de parti unit les hommes entre eux par l’intérêt d’une haine commune, mais non par l’estime ou l’attrait du cœur ; il anéantit les affections qui existent dans l’âme, pour y substituer des liens formés seulement par les rapports d’opinion : l’on sait moins de gré à un homme de ce qu’il fait pour vous que pour votre cause ; vous avoir sauvé la vie est un mérite beaucoup moins grand à vos yeux que de penser comme vous ; et, par un code singulier, l’on n’établit les relations d’attachement et de reconnaissance qu’entre les personnes du même avis : la limite de son opinion est aussi celle de ses devoirs ; et si l’on reçoit, dans quelques circonstances, des secours d’un homme qui suit un parti contraire au sien, il semble que la confraternité humaine n’existe plus avec lui, et que le service qu’il vous a rendu est un hasard qu’on doit totalement séparer de celui qui l’a fait naître. […] Or, quand la pensée est une fois saisie de l’esprit de parti, ce n’est pas des objets à soi, mais de soi vers les objets que partent les impressions, on ne les attend pas, on les devance, et l’œil donne la forme au lieu de recevoir l’image. […] Aussi se réveilleront-ils un jour ceux qui seuls sont sincères, ceux qui seuls méritent les regrets ; accablés de mépris, tandis qu’ils auraient besoin de considération ; accusés du sang et des pleurs, tandis qu’ils seront encore capables de pitié ; isolés dans l’univers sensible, tandis qu’ils pensaient s’unir à toute la race humaine ; ils éprouveront ces douleurs alors que les motifs qui les ont entrainés auront perdu toute réalité, même à leurs yeux, et ne conserveront de la funeste identité, qui ne leur permet pas de se séparer de leur vie passée, que les remords pour garants ; les remords, seuls liens des deux êtres les plus contraires ; celui qu’ils se sont montrés sous le joug de l’esprit de parti ; celui qu’ils devaient être par les dons de la nature.

1369. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VIII. Les écrivains qu’on ne comprend pas » pp. 90-110

Dans Sous l’œil des barbares, paru chez Lemerre, Barrès écrivait : « Le roi Ramsès Il est blâmé par les conservateurs du Louvre, ayant usurpé un sphinx sur ses prédécesseurs. » Les lectrices n’ont pas compris le latinisme léger de la tournure. […] Il peut être facile à qui lit des yeux, il n’est pas clair à qui pense. […] Il y a des lumières fumeuses, issues pourtant de chandelles connues, salonnières et réputées ; mais l’œil instruit les jugera obscures.

1370. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 janvier 1887. »

Je veux courir le monde, Y chercher pour mon cœur un cœur qui me réponde, Je ne veux plus devant ta beauté m’humilier. »   Vénus a bien compris : elle a baissé la tête ; Aux douleurs des adieux, pensive, elle s’apprête : Une dernière fois elle lève les yeux. […] Gabriel Moureybq L’or du Rhin Les fluides enfants du fleuve qui ruisselle, Chairs à peine, déjà femmes, ondes encor, Wellgunde avec Woglinde et Flosshilde, vers l’Or Lèvent leurs yeux d’eau verte où le rire étincelle. […] Soyez peu soucieux   Si le vent tourbillonne en hurlant dans les voiles : L’abîme est sous vos pieds ; mais, en levant les yeux, Vous verrez tout le grand firmament — plein d’étoiles.

1371. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XI. Quelques philosophes »

Déplacer quelques mystères qui semblaient extérieurs et transcendants pour les rendre immanents à l’homme ; transformer du mystère métaphysique en mystère psychologique ; ramener nos yeux du macrocosme vers le microcosme : c’est, à de certaines époques, l’œuvre nécessaire du philosophe. […] Et puis il est vraiment trop différent, celui qui comprend : son originalité est une dernière raison de le haïr ou plutôt de fermer les yeux, de refuser de l’apercevoir. […] La seconde, la seule déesse, celle que sa splendeur même cache aux faibles yeux de la foule, est « absolue ».

1372. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

Néanmoins, pour rendre à notre pays un hommage fort bien placé dans la solennité qui nous réunit, et comme préparation à mon enseignement annuel de littérature française, je vais tenter de replacer devant vos yeux une revue de ces richesses intellectuelles de notre patrie. […] De toutes ces richesses mélodiques, je dois me borner à détacher deux strophes de Philippe Desportes et deux stances de Lamartine : Si je ne loge en ces maisons dorées Au front superbe, aux voûtes peinturées D’azur, d’émail et de mille couleurs, Mon œil se paît des trésors de la plaine Riche d’œillets, de lis, de marjolaine Et du beau teint des printanières fleurs. […] En effet, au siècle des Pascal et des Corneille, tous les peuples tenaient leurs yeux attachés sur la France ; ils contemplaient Versailles où triomphaient Molière et Racine, comme on contemple le soleil.

1373. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Essai, sur, les études en Russie » pp. 419-428

Lorsqu’on jette les yeux sur les progrès de l’esprit humain depuis l’invention de l’imprimerie, après cette longue suite de siècles où il est resté enseveli dans les plus profondes ténèbres, on remarque d’abord, qu’après la renaissance des lettres en Italie, la bonne culture, les meilleures écoles se sont établies dans les pays protestants, de préférence aux pays qui ont conservé la religion romaine, et qu’elles y ont fait jusqu’à ce jour les progrès les plus sensibles. […] Il est clair, pour tous ceux qui ont des yeux, que sans les Anglais, la raison et la philosophie seraient encore dans l’enfance la plus méprisable en France, et que leurs vrais fondateurs parmi nous, Montesquieu et Voltaire, ont été les écoliers et les sectateurs des philosophes et des grands hommes d’Angleterre. […] Il ne restait à celui-ci, pour arrêter les progrès de cette tour, qui s’élevait à vue d’œil, et qui allait percer jusque dans son boudoir, que la ressource de la confusion des langues.

1374. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Sans doute il faut être à la tête des affaires pour juger les événements, pour voir à la fois mille petits détails séparés dont les rapports entre eux méritent plus ou moins d’être appréciés, enfin pour pouvoir embrasser d’un seul coup d’œil l’ensemble, même des choses. […] Fermons un instant les yeux sur le funeste vertige des cent jours, et transportons-nous par la pensée à l’époque où nous revîmes enfin, après tant d’années, le père de la patrie. […] Ainsi, lorsque la nation française vint à tourner les yeux du côté de la terre de l’exil, elle sembla proclamer la pensée généreuse, de revenir au culte si moral des aïeux, de renoncer à l’idolâtrie.

1375. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

Ce n’est donc pas une restitution qu’il tente, mais une interprétation d’un symbole qui n’a pas cessé d’être, à ses yeux, véridique et suprême, et que les tempêtes humaines n’ont fait qu’effleurer de leurs tourbillons. […] Son œil a vu se dresser quelque part, sur un point du sol, une imposante architecture que la lumière et l’ombre baignaient alternativement. […] Ce que doivent être les résultats d’une conception de cette nature, on pourrait, avant même d’avoir consulté l’histoire ou jeter les yeux autour de soi, l’imaginer facilement.

1376. (1895) Hommes et livres

Le voilà mourant de peur, incapable de fermer l’œil de la nuit. […] Un sujet tragique n’est à ses yeux qu’une succession de thèmes poétiques. […] À plus forte raison, ce public ne saurait imaginer le monde extérieur : il ne voit que ce qu’il a sous les yeux. […] Le Sage me met sous les yeux leur costume. […] Le méchant, c’est l’égoïste, à l’œil sec.

1377. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Il a manqué de cette force de génie qui, si elle ne résout pas les problèmes, les pose du moins avec tant d’autorité que l’esprit humain, même en désespérant de les résoudre, n’en peut pas détourner les yeux. […] Dans cet homme, à qui Bossuet trouve de l’esprit à faire peur, vous n’en surprenez jamais l’affectation : c’est ce feu qui, au dire de Saint-Simon, sortait de ses yeux comme un torrent. […] la femme est tout entière dans ces charmantes analyses de la nature de la jeune fille ; mais on l’y voit du même œil et dans le même esprit que Fénelon lui-même. […] Son Neptune et son Eole « aux sourcils épais et pendants, aux yeux pleins d’un feu sombre et austère », ne sont que des figures rébarbatives. […] Tout ce qui est du monde s’y voit au naturel, et il ne s’y voit rien qui fasse baisser les yeux.

1378. (1902) Propos littéraires. Première série

Quelque chose d’inquiet dans les yeux de la jeune fille. […] Avec tranquillité : « Jacquine, j’ai les yeux fatigués. […] La vertu est adorable ; mais elle a le tort de se voir elle-même dans les yeux des autres. […] Ils se regardaient dans les yeux avec franchise et sans l’ombre d’une réticence. […] Ruel s’était aiguisé les yeux à Athènes et à Rome.

1379. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Eugène est saint à nos yeux par le zèle avec lequel il franchit un des premiers les bornes de la famille individuelle. […] Puis s’arrachant au vague, il en vint à s’occuper scientifiquement et historiquement des religions révélées, et c’est au fort de ces études opiniâtres dans lesquelles s’absorbait sa précoce pensée, que, le nouveau christianisme de Saint-Simon lui étant apparu sous son véritable jour, il se fit une révolution en lui ; que ses études, jusque-là confuses, s’enchaînèrent ; que le chaos du passé se déroula harmonieusement à ses yeux, et qu’il saisit la raison divine des choses, s’écriant à la vue de l’Église de toutes parts croulante et de la synagogue encore debout : « Oui, nous marchons vers une grande, vers une immense unité : la société humaine, du point de vue de l’homme ; le règne de Dieu sur la terre, du point de vue divin ; ce règne que les fidèles appellent tous les jours par leurs prières depuis dix-huit ceints ans.

1380. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Quelle que soit l’horreur qu’inspire un scélérat, il surpasse toujours ses ennemis dans l’idée qu’il se fait de la haine qu’il mérite ; par-delà les actions atroces qu’il commet à nos yeux, il sait encore quelque chose de plus que nous qui l’épouvante, il haït dans les autres l’opinion que, sans se l’avouer, il a de son propre caractère ; et le dernier terme de sa fureur serait de détester en lui-même ce qu’il lui reste de conscience, et de se déchirer s’il vivait seul. […] L’ambition, la soif du pouvoir, ou tout autre sentiment excessif, peut faire commettre des forfaits, mais lorsqu’ils sont arrivés à un certain excès, il n’est aucun but qu’ils ne dépassent ; l’action du lendemain est commandée par l’atrocité même de celle de la veille ; une force aveugle pousse les hommes dans cette pente une fois qu’ils s’y sont placés ; le terme, quel qu’il soit, recule à leurs yeux à mesure qu’ils avancent ; l’objet de toutes les autres passions est connu, et le moment de la possession promet du moins le calme de la satiété.

1381. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

L’originalité de B. de Saint-Pierre Ceux qui se figurent Bernardin de Saint-Pierre595 d’après ses oeuvres, se le représentent comme un suave bonhomme, au sourire angélique, à l’œil humide, les mains toujours ouvertes pour bénir : c’était un nerveux, inquiet, chagrin, pétri de fierté et d’amour-propre, ambitieux, aventureux, toujours mécontent du présent, et toujours ravi dans l’avenir qui le dégoûtait en se réalisant, un solliciteur aigre, que le bienfait n’a jamais satisfait, mais a souvent humilié, un égoïste sentimental, qui aimait la nature, les oiseaux, les fleurs, et qui a sacrifié à ses aises, à ses goûts, les vies entières des deux honnêtes et douces femmes qu’il épousa successivement : il accepta ces dévouements béatement, sereinement, comme choses dues, sans un mouvement de reconnaissance, sans même les apercevoir. […] Il a dans l’oreille les forêts agitées par les vents, dans l’œil les nuages colorés des tropiques.

1382. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Marcel Prévost et Paul Margueritte »

Et, penché sur le front de l’enfant fiévreux, qui levait sur lui ses yeux de misère  par où la mort semblait regarder  il le baisa… »     Et la forme ? […] Fermes de cœur, André et Toinette, ramenant leurs yeux sur les   enfants, échangèrent un tendre et mystérieux regard.

1383. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Cela est écrit dans le cœur avec des larmes, comme dans l’oreille avec des sons, comme dans les yeux avec des images. […] Bien des génies littéraires morts ou vivants ont évoqué, dans leurs œuvres, leur âme ou leur imagination devant nos yeux pendant des nuits de pensive insomnie sur leurs livres ; nous avons ressenti, en les lisant, des voluptés inénarrables, bien des fêtes solitaires de l’imagination.

1384. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Comme le latin en ce temps-là est beaucoup plus écrit que parlé, comme ils consultent leurs yeux plutôt que leurs oreilles, la forme qui se rapproche le plus visiblement de la forme ancienne est celle qui se présente le plus aisément à leur pensée. […] Parce qu’il avait dans sa jeunesse contemplé de près la splendeur des montagnes et des lacs, vécu dans leur, intimité, respiré dans l’air pur l’âme des paysages alpestres ; parce qu’il avait parcouru à pied la Suisse et la Savoie, deux pays où des contrastes grandioses et charmants parlaient plus qu’ailleurs aux yeux et aux cœurs, où les fêtes, les usages, la vie de tous les jours avaient encore la saveur d’une agreste simplicité ; parce qu’enfin cet être si sensible, écrivant en un moment où la sensibilité se réveillait en France, rencontrait des lecteurs préparés aux émotions qu’il allait leur communiquer.

1385. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXV » pp. 402-412

. — Tout de bon, dit-elle ; j’en suis bien aise, c’est un ridicule de moins. « J’ai trouvé cela plaisant. » Le 6 septembre, elle écrivait de Vichy : « Madame disait l’autre jour à madame de Ludres, en badinant avec un compas : Il faut que je crève ces yeux-là, qui font tant de mal. — Crevez-les, madame, puisqu’ils n’ont pas fait tout ce que je voulais. » On voit dans les mémoires de Madame, que madame de Ludres finit par se retirer dans un couvent à Nancy, où elle vécut jusqu’à un âge fort avancé. […] Le 15 octobre, madame de Sévigné écrivait à sa fille « qu’on nommait la comtesse de Grammont pour une des mouches qui passaient devant les yeux ».

1386. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

Aussi comprendra-t-on l’instrument précieux qu’est l’assonance pour le poète un peu raffiné, puisqu’il peut avec elle nuer ses rêves à l’infini pour les yeux ensemble et pour l’oreille. […] Yeux endormeurs, corps sade, et l’esprit gent, La Dame aura sur le front des guirlandes ; Levant sa jupe au-dessus de la jambe, Ainsi soëve, ouïra souriante Une chanson d’amour d’un autre temps.

1387. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Il y a des Rousseau-femmes à présent qui ne craignent pas de tirer sous les yeux du public les rideaux de leurs âmes et de leurs alcôves, sans honte pour elles ni pour leurs enfants, si elles sont mères, ni pour leurs maris, si elles sont mariées. […] voilà la cause de ce désordre intellectuel qui a fait écrire sans horreur, à une femme, un livre comme celui que nous avons là sous les yeux.

1388. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

Mais surtout que ce soit la main innocente d’un admirateur et d’un ami qui pousse un pareil miroir à poste fixe sous les yeux, voilà qui est d’une moralité spirituelle et que j’aime ! […] Dupont, quand il ne veut être que Le rude paysan, ridé par les années, Cuit comme un vase au four, au feu de ses journées quand il n’aspire pour ces vers familiers et sauvages qu’au nom modeste de moineaux francs ; quand il a de ces traits superbes : Le taureau n’obéit qu’aux yeux purs… Mais alors même et partout c’est du Burns écourté, rapetissé, jeté dans le moule étroit de la chanson de Béranger.

1389. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

— dit-il — peut cependant être regardé par la pensée, comme par les yeux l’abime et le soleil. » Car ils ont beau se mettre un instant les pieds en l’air, comme Hérodiade dansant devant Hérode, ces culs-de-plomb, pour se faire légers ! […] Paul Meurice, dans bien des pages de son détestable livre, a pourtant, lui aussi, de cette huile consacrée que l’archevêque de Vienne étendait sur les yeux et les lèvres de Césara expirant !

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