/ 3766
1358. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

La vie de Linné, racontée plus d’une fois par lui-même, est pleine de naïveté et de détails innocents9. […] lorsque jaillit de son cerveau le plan d’une histoire générale de la terre et de la vie sur la terre !… Et encore : « Buffon, toute sa vie, fut combattu entre des idées opposées : sa tête semble un chaos sublime, sillonné de mille éclairs et plein des germes des mondes futurs. » Il me semble que l’historien, en ces endroits, a fait un Buffon trop semblable à Diderot, cette tête fumeuse. […] [NdA] Voir la Vie de Linné, rédigée sur les documents autographes, etc. […] [NdA] Fragments biographiques précédés d’Études sur la vie, les ouvrages et les doctrines de Buffon (1838).

1359. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

… » À cette première époque de Londres et avant la gloire, Chateaubriand avait encore en lui une simplicité et une sensibilité qui le montrent comme l’un de nous tous, comme un homme de la vie commune et naturelle, plus égaré seulement, plus rêveur, plus facile à effaroucher et à rejeter dans les bois. […] Je viens encore de perdre une sœur16 que j’aimais tendrement et qui est morte de chagrin dans le lieu d’indigence où l’avait reléguée Celui qui frappe souvent ses serviteurs pour les éprouver et les récompenser dans une autre vie. […] Cette alternative de doute et de foi a fait longtemps de ma vie un mélange de désespoir et d’ineffables délices. […] Or si l’âme souffre par elle-même indépendamment du corps, il est à croire qu’elle pourra souffrir également dans une autre vie ; conséquemment l’autre monde ne vaut pas mieux que celui-ci. […] Cette vie-ci doit corriger de la manie d’être.

1360. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Il a écrit dans son livre De la sagesse, en distinguant chez les hommes les divers genres de vie, soit tout à fait privée et intérieure, soit de famille, soit publique, que « de ces trois vies, interne, domestique, publique, qui n’en a qu’une à mener, comme les ermites, a bien meilleur marché de conduire et ordonner sa vie, que celui qui en a deux ; et celui qui n’en a que deux, est de plus aisée condition, que celui qui a toutes les trois. » Serait-ce dans ce sens tout philosophique qu’il voulait devenir ermite ou religieux ? […] L’intérieur de cette vie nous échappe, et nous ne voyons que les résultats. […] Les trois livres dont se compose l’ouvrage roulent : 1° sur l’homme, sa misère, ses faiblesses, ses passions ; sur la vie humaine, ses fluctuations et sa brièveté ; sur les différents états, conditions et genres de vie qui distinguent les hommes ; 2° sur la manière de s’affranchir des erreurs, de l’opinion ou des passions ; 3° enfin, sur les quatre vertus de prudence, justice, force et tempérance. […] Sapey, dans un Essai sur la vie et les ouvrages de Guillaume du Vair, publié en 1847, a relevé ces imitations ou plutôt ces copies qu’a faites Charron de certaines pages de du Vair, et pour qu’on en pût mieux juger, il a rangé les unes et les autres sur deux colonnes parallèles, par exemple : du Vair Philosophie morale des Stoïques. […] Grün, dans La Vie publique de Montaigne, page 373-374, veut que leur connaissance ait commencé plus tôt qu’on ne l’admet communément ; il en allègue pour preuve un ex dono d’ouvrage, qui porte la date de juillet 1580.

1361. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

La France était si heureuse durant sa vie, que depuis douze cents ans elle n’avait joui d’une pareille félicité. » Rohan prévoit tous les maux qui vont recommencer, toutes les ambitions qui s’aiguisent déjà : En sa vie, il (Henri IV) contenait par son autorité les méchants : en sa mort, toute crainte de mal faire est ôtée, et semble que toute liberté soit permise aux méchants. […] J’eusse bien plus estimé une louange de lui en ce métier, duquel il était le premier maître de son temps, que toutes celles de tous les capitaines qui restent vivants… Je veux donc séparer ma vie en deux, nommer celle que j’ai passée heureuse, puisqu’elle a servi Henri le Grand ; et celle que j’ai à vivre, malheureuse, et l’employer à regretter, pleurer, plaindre et soupirer. Rohan ne passa point le reste de sa vie à pleurer et à, soupirer, ni même à servir inviolablement, comme il en faisait voeu en terminant cet écrit, la France, le jeune roi et sa mère. […] Lui qui lisait Plutarque, il put quelquefois méditer un passage de la vie de Timoléon, qui m’a toujours paru charmant et à faire envie. […] À la vérité, cela lui profiterait fort et s’en sentirait toute sa vie ; ils sont quatre ou cinq jeunes seigneurs qui font ce voyage.

1362. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Journal de la santé du roi Louis XIV »

Imaginez-vous Antonius Musa, ce médecin d’Auguste, qui le sauva en une maladie grave et qui obtint les honneurs d’une statue, nous ayant transmis les observations les plus précises, les plus intimes, sur les misères de santé que ne cessa d’éprouver dans sa longue vie ce grand empereur valétudinaire ! […] Il avoue que, dans la vie, rien ne le touche si sensiblement que les plaisirs que l’amour donne. […] Bientôt se déclare la première atteinte d’un mal singulier qui tourmenta Louis XIV toute sa vie, le tint perpétuellement en échec, et qu’il ne parvint à dissimuler qu’à force de bonne contenance et d’empire sur lui-même, devant sa Cour et aux yeux de son entourage : ce sont des vapeurs, « une douleur de tête sourde et pesante, avec quelques ressentiments de vertiges, maux de cœur, faiblesse et abattement. » C’est en 1662 que les premiers signes de cette indisposition inquiétante apparaissent. […] Une fois, une seule fois dans sa vie, on a noté qu’il s’était soumis aux bains de chambre ; mais hors cette seule occasion (1665), jamais plus. […] Louis XIV jeune n’était pas un valétudinaire, mais il avait une santé qui, en taillant sans ménager dans le plein de la vie, était avertie bientôt et punie des excès, et qui acquérait peu à peu des infirmités durables.

1363. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

« L’homme qui prend la vie au sérieux, a-t-il dit, et emploie son activité à la poursuite d’une fin généreuse, voilà l’homme religieux ; l’homme frivole, superficiel, sans haute moralité, voilà l’impie. » — « L’humanité est de nature transcendante, a-t-il dit encore, quis Deus incertum est, habitat Deus (quel Dieu habite en elle ? […] J’ai voulu une fois dans ma vie dire ce que je pense d’une race que je crois bonne, quoique je la sache capable, quand on exploite sa droiture, de commettre bien des naïvetés. […] Dieu m’est témoin, vieux pères, que ma seule joie, c’est que parfois je songe que je suis votre conscience, et que, par moi, vous arrivez à la vie et à la voix. » Et voilà l’homme qu’une partie de la jeunesse française refuserait d’écouter avec respect, parlant dans sa chaire des études et des lettres religieuses et sacrées, sous prétexte qu’il a, comme critique, des opinions particulières ! […] C’est sa voie directe en effet, c’est sa vocation principale ; il ne se croit pas libre en conscience de l’éluder ; il s’obstine à cet enseignement, à ce but de toute sa vie scientifique, comme à un devoir. […] Et ce serait, au nom des doctrines qui ont leur racine dans la parole de vie prêchée en tous lieux, qu’un examen, non des doctrines mêmes, mais des monuments et des textes, ne pourrait être scientifiquement entrepris et traité par la parole !

1364. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Comment les eaux, les mers et cette vie immense qui y flotte, plus aveugle, plus sourde, plus disséminée qu’ailleurs ? […] En étudiant et en voyant de près la nature, le savant a reconnu que la destruction est perpétuellement la loi et la condition de la vie, de sa croissance et de son progrès ; les uns sont invariablement sacrifiés aux autres, sans quoi les autres ne prospèrent pas ; la vie s’étage et s’édifie ainsi sur la mort même et sur de larges assises d’hécatombes ; le faible est mangé par le fort : et cette dure nécessité se retrouve partout, dans l’histoire comme dans la nature ; on la masque tant qu’on peut ; mais regardez bien, elle dure encore. […] La société, en se perfectionnant, s’est faite protectrice, et elle a entouré de plus de soins et de plus de garanties la vie des hommes : la nature reste dure et implacable. […] Le mot simule l’idée, et, s’il est brillant, il lui prête la vie. […] Quelques-uns le voudraient plus large, moins arrêté ; mais il est conséquent avec lui-même, avec toute sa vie ; il est consistant.

1365. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

On les apprend avec une secrète joie, on a plaisir à les savoir ; mais il n’en passe rien de la tête au cœur, et elles n’ont aucun effet appréciable sur la vie morale. […] C’est encore un trait commun à Buffon et à Descartes, qu’au milieu de spéculations qui semblent si étrangères à la science de la vie, il leur arrive par moment de jeter sur le monde moral un rapide et sûr regard. […] Ils sont si jaloux des prérogatives de la nature humaine, Descartes, parce qu’il croit les lui avoir restituées, Malebranche, parce qu’il la voit en Dieu, que, pour relever la pensée, ils méprisent la vie. […] Discret sur les choses établies, respectant les croyances d’autrui, se contentant de conseiller aux hommes un meilleur emploi de leur santé, de leur argent et de leur vie, sévère pour les riches, parce que tous les exemples bons ou mauvais viennent d’eux, exhortant l’Europe à la paix, non pas en politique, mais en sage, il recommande à tous un genre de vie formé sur le modèle du sien, dans l’ordre, la dignité et le travail. […] Pour Buffon, la noblesse du style, c’est son grand air à lui, c’est le travail de toute sa vie pour garder cet air et se tenir toujours droit.

1366. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Il était fonctionnaire, en effet, et la vie lui avait été dure. […] Il offrait déjà l’image du « poète las que la vie étiole » et « dont la faim d’aucun fruit, ici, ne se régale ». […] Stéphane Mallarmé, ce métaphysicien, cet abstracteur qui connut la beauté dans son aspect, je dirais invisible, faisait en même temps sourdre, par le sortilège qui était en lui, de tous les petits riens épars dans la vie contemporaine, une claire source de plaisir esthétique. […] La poésie, selon lui, est la transposition de la vie qui va du fait à l’idéal. […] Ce fut, d’ailleurs, comme on l’a déjà remarqué, une évolution de pensée sans profit pour la poésie, car Mallarmé n’était plus à l’âge où l’on recommence sa vie.

1367. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Dans la vie, comme dans la littérature, c’est l’agrément qu’il recherche, non la volupté ou l’émotion. […] La vie à ce moment, en dehors de la guerre et même pendant la guerre, est une grande parade, une sorte de fête éclatante et tumultueuse. […] À présent, ils sont entrés dans la vie publique, et voici venir une recrue qui, en les renforçant, les y assiéra pour toujours. […] Dorénavant, les anciens vaincus, campagnards ou citadins, se sont redressés jusqu’à la vie politique. […] La race française, et en général la race gauloise, est peut-être, entre toutes, la plus prodigue de sa vie.

1368. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

elles auraient duré toute la vie ! […] Il se disait qu’une vie longue et une vie courte sont rendues pareilles par la mort, car le long et le court n’existent point pour les choses qui ne sont plus. […] Sa parole est réservée, sa vie est transparente. […] Je sens en moi une honte secrète pour la première fois de ma vie. […] Tu sais ma vie, le pouvais-je ?

1369. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

Voici ce passage : « Je dirai mon sentiment sur la Trappe avec beaucoup de franchise, comme un homme qui n’a d’autre vue que celle que Dieu soit glorifié dans la plus sainte maison qui soit dans l’Église, et dans la vie du plus parfait directeur des âmes dans la vie monastique qu’on ait connu depuis saint Bernard. […] » Tel est l’effet curieux à étudier et désormais manifeste du génie lyrique dont on a abusé, de cette inspiration de pure fantaisie et de jeunesse où l’on avait tout mis, de cette lacune morale sous des airs de sentiment, de cette vie épicurienne et de plaisir sous un vernis de mysticisme et de religiosité. […] Nous demandons pardon à nos lecteurs de cette longue digression trop morale peut-être, mais nul exemple mieux que la vie de Rancé ne pouvait y donner sujet et illustrer la démonstration.

1370. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre septième. Les sentiments attachés aux idées. Leurs rapports avec l’appétition et la motion »

La vie, dit Horwicz, est une symphonie grandiose où un thème simple, plaisir et douleur, est constamment répété, mais avec des variantes de plus en plus compliquées et une instrumentation de plus en plus large. […] Nous jouissons de notre succès intellectuel, signe de puissance et, en dernière analyse, de vie cérébrale. La facilité ou la difficulté du cours même des pensées et des associations cause un plaisir ou une peine, analogues à ceux du mouvement libre ou du mouvement entravé, du déploiement ou de l’arrêt de la vie. […] De là cette soif de certitude, cette difficulté, cette impossibilité même de consentir au doute, suspension partielle de la vie intellective, mort partielle de la pensée et, par cela même, de la volonté.

1371. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Blanchecotte, Augustine-Malvina (1830-1897) »

. — Le Long de la vie, nouvelles impressions (1876). […] Sainte-Beuve L’auteur, pour peu qu’il s’apaise un jour et qu’il rencontre les conditions d’existence et de développement dont il est digne, me paraît des plus capables de cultiver avec succès la poésie domestique et de peindre avec une douce émotion les scènes de la vie intime ; car si Mme Blanchecotte (ce qui est, je crois, son nom) a de la […] C’est la même imagination confiante, le même élan continu vers la sympathie du lecteur… Mme Blanchecotte est encore, parmi nos modernes, un de ceux qui ont le plus gardé des traditions de poésie subjective ; mais les Militantes marquent un grand progrès, et, de cette personnalité un peu mélancolique, trop attachée, selon nous, à la lettre de sa souffrance, l’auteur commence à se dégager vers les régions supérieures où l’âme de chacun se fond et se disperse dans la vie de tous.

1372. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Lahor, Jean = Cazalis, Henri (1840-1909) »

. — Étude sur Henri Regnault, sa vie et son œuvre (1872). — L’Illusion (1875) […] Étudiant en droit, puis en médecine, passionnément épris et profondément instruit des littératures orientales, il a joint à cette riche et multiple expérience intellectuelle celle des grands voyages et de la vie cosmopolite. […] Après l’avoir relu, je le mets décidément à l’un des meilleurs endroits de ma bibliothèque, non loin de l’Imitation, des Pensées de Marc-Aurèle, de la Vie intérieure et des Épreuves de Sully Prudhomme, — dans le coin des sages et des consolateurs.

1373. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Manuel, Eugène (1823-1901) »

Où l’auteur avait le mieux réussi, c’était en traduisant les joies intimes et les tristesses discrètes du foyer, les grandeurs et les misères morales de la vie domestique dans notre civilisation bourgeoise. […] Une lumière idéale enveloppe sa poésie et jette son voile d’or sur les réalités de la vie ou de la nature. […] Manuel : l’un vient du fond d’une vie sincère, souvent troublée, mais plus forte que ses troubles, et d’une âme virilement attachée au devoir, défendue, par lui, contre les lâches défaillances ; l’autre vient, non plus de ces profondeurs émues de l’existence humaine, mais des hauteurs de la pensée pure, de ces sommets sacrés où l’esprit se sent plus voisin de l’infini.

1374. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 416-419

Celui-ci a traduit, en société, avec M. l’Abbé Marie, Professeur de Mathématiques au Collége Mazarin, & Sous-Précepteur de M. le Comte d’Angoulême, un Ouvrage Anglois, fait par Bulter, & intitulé, Vie des Peres, des Martyrs & des autres principaux Saints, tirée des Actes originaux & des monumens les plus authentiques. […] Jusqu’à présent la plus puissante ressource des Incrédules a été de saisir malignement certains traits qu’un zele indiscret avoit répandus dans la Vie de plusieurs Saints. […] Les Vies qu’il offre au Lecteur, sont très-éloignées de tout pieux excès.

1375. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 392-394

La vie du grand Condé, & celle du Maréchal de Choiseul, publiées pour faire suite aux Vies des Hommes illustres de France, sont écrites de maniere à faire regretter qu’il n’ait pas continué de suivre cette carriere, dans laquelle il est véritablement supérieur. […] L’Histoire du Gouvernement des anciennes Républiques, & la Vie de Mahomet, annoncent les mêmes talens ; mais il s’en faut bien que ces Ouvrages soient comparables aux deux précédens.

1376. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Sa vie intellectuelle ainsi, dans sa variété et son recommencement de tous les jours, est le contraire d’une spécialité, d’une voie droite, d’une chaussée régulière. […] Je conçois et j’admets qu’à l’entrée de la vie, les premières affections, même littéraires, ne soient pas dans chacun celles de tous. […] Le roman d’Adèle, que je rapporte à cette première époque de Nodier, s’ouvre avec intérêt et vie : il y a du soleil. […] La conduite de Gaston et des autres manque tout à fait d’une certaine faculté de justesse et de raisonnement qui n’est jamais tellement absente dans la vie. […] Il rêvait de faire une Flore du Jura ; il rêvait mieux, une vie heureuse, domestique, studieuse, sous l’humble toit verdoyant.

1377. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Le héros refuse le ciel même, s’il lui est interdit d’y introduire avec lui son fidèle compagnon, et les parents et les amis qu’il a laissés dans les angoisses de la vie terrestre. […] C’est la jeunesse de la création, coulant avec une sève de vie qu’on voit et qu’on entend sourdre aux rayons des premiers soleils. […] Délivre-moi de la vie ! […] » L’arbre insensible lui laisse la vie. […] La vie s’arrêtera dans mon cœur, si ses bras, dès aujourd’hui, ne se referment pas sur son épouse.

1378. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Nous réservons cette vie que nous avons profondément étudiée pour la vie des grands hommes à laquelle nous travaillons dans un autre recueil. […] Mais ici nous reprenons notre récit, puisque ce sont les circonstances de sa vie qui furent l’occasion de ses dernières et de ses meilleures œuvres. […] On voudrait effacer d’une vie si sainte ces impiétés du cœur qui dégradent l’âme en relevant le talent. […] lorsque vous voyez périr votre patrie, Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie ! […] votre vie, Esther, est-elle à vous ?

1379. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Que deviennent aussi la dignité, la gravité, « qui sont la vie même de l’histoire » ? […] Tel fut le mal de ce cœur altier et la torture de toute sa vie. […] Il le fut par sa situation dans la vie. […] Michelet a pu trier dans toute sa vie, et c’est sur ce triple mérite que l’hagiographe exécute l’assomption de cette glorieuse sainte. […] La vie de cette femme est percée à jour.

1380. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

C’est une œuvre de vie intérieure et ensemble de vie publique. C’est une œuvre de vie spirituelle et ensemble de vie civique. […] Rien n’est contraire aux mystiques de la vie spirituelle comme les politiciens de la vie spirituelle. […] Ou la vie du premier des saints. […] C’est la sagesse même et la vie.

1381. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Hermant, docteur de Sorbonne, qui a composé en françois les Vies de quatre Pères de l’Église grecque, vient de publier celle de saint Ambroise, l’un des Pères de l’Église latine. […] Le moment le plus actif et le plus fécond de cette vie si égale fut vers l’année 1686. […] La poitrine, qu’il avait toujours eue délicate, se prit ; il tomba dans l’indifférence et le dégoût de la vie à cinquante-neuf ans. […] Nous ne rappellerons pas plus de détails sur ce grand esprit : sa vie par Desimaizeaux et ses œuvres diverses sont là pour qui le voudra bien connaître. […] Le bon et savant Dugas-Montbel, dans les derniers mois de sa vie, avouait ne plus supporter que cette lecture d’érudition digérée et facile.

1382. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Son inintelligence des âmes, de la vie humaine et de ses complexités est incroyable. […] Cette puissance, le poète l’a sans doute appliquée, dans le cours de sa vie, à des sujets différents et même à des idées contraires. […] Car, pour exprimer le néant et sa tristesse, il moissonne à brassées les figures et les formes de la vie. […] Ils sont rares, ceux pour qui Victor Hugo a été l’éducateur, le directeur de la vie intellectuelle et morale. […] Enfin, dans les dernières années de sa vie, il poussait l’inconscience du ridicule jusqu’à un excès qui affligeait les esprits délicats.

1383. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Le luxe, les arts, les commodités de la vie, y sont au premier rang ; il fait la civilisation à l’image de sa vie. […] Il y chante son luxe et son bien-être ; le chant n’est guère propre à toucher ceux qui ne peuvent pas vivre de sa vie ; mais la nature y parle, et les vers sont écrits de verve. […] Il reste indifférent et railleur devant les belles morts chrétiennes de ce temps-là, et ces fins de vie édifiantes par lesquelles on s’y préparait. […] Il n’y sent pas la vie, car était-ce vivre que d’être au monde avant l’invention des carrosses à glaces ? […] 92. » La doctrine est complète ; elle pense à l’âme du criminel en lui laissant la vie ; elle lui ménage le moyen de se relever ; elle le croit capable encore de l’honneur chrétien qui est le repentir.

1384. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Ils ne cessent de s’admonester comme Charles Guérin : Avec un grand frisson plonge-toi dans la vie. […] Nietzsche s’en étonne qui s’emploie à la détruire pour délivrer la vie. […] Il passe sa vie à étouffer des bâillements et le voilà pris du mal de poitrine. […] « Le Christianisme, dit Nietzsche, avec son profond ressentiment contre la vie, a fait de la sexualité quelque chose d’impur. […] « Ah, ce bruit affreux de la vie » (Charles Guérin).

1385. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

L’époque est-elle guerrière ; ce qui domine dans la vie réelle, ce sont naturellement les vertus militaires, le courage, la force, le mépris du danger et de la mort. […] Qu’arrive-t-il, le jour où d’autres vertus prennent dans la vie réelle la place des vertus militaires ? […] Que de romans fastidieux, que de pièces fades, où l’auteur a mutilé et défiguré la vie sous prétexte de la peindre, non telle qu’elle est, mais telle qu’elle devrait être ! […] Les registres des loueurs de livres, des éditeurs, des théâtres fournissent aussi des renseignements sur ce qui plaisait le plus au grand nombre et servent de guides dans la recherche des points sur lesquels la vie a pu imiter la représentation de la vie. […] Puis on peut dire aussi que de tout ouvrage, à moins qu’il ne soit d’une rare insignifiance, se dégage une conception particulière du monde, un jugement sur la vie.

1386. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, héritier d’un nom si beau, qu’il devait rendre plus beau par sa vie et sacré par sa mort, était né le 6 décembre 1721. […] M. de Lamoignon père ayant été nommé chancelier de France en 1750, Malesherbes lui succéda en qualité de premier président de la Cour des aides ; dès lors il appartient aux grandes charges, et sa vie publique commence. […] Son oraison funèbre eût été belle encore ; elle eût été tout entière dans ces paroles qu’un étranger de grand mérite (lord Shelburne, depuis marquis de Lansdowne) avait pu dire, en revenant de le visiter quelques années auparavant : J’ai vu pour la première fois de ma vie ce que je ne croyais pas qui puisse exister : c’est un homme dont l’âme est absolument exempte de crainte et d’espérance, et cependant est pleine de vie et de chaleur. […] Mais, puisque vous me demandez ce que j’en pense, je ne crois pas que la vie de M. de Lamoignon ait produit des événements assez brillants pour intéresser beaucoup le public. […] Ces paroles nous peignent, ce me semble, M. de Malesherbes dans toute l’habitude de sa vie : naturel avant tout, bonhomme, simple, sensé, vif de franchise jusqu’à paraître un peu brusque.

1387. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verhaeren, Émile (1855-1916) »

. — Les Visages de la vie (1898) […] Par les hasards, un cœur s’épeure, un esprit s’inquiète, une vie souffre, et entend, goutte à goutte, tomber son propre arrêt à l’infini hostile des horizons. […] Après le monde moral, le monde, en tant que représentation de vie, sera — pour « l’halluciné de la forêt des Ombres » errant aux dédales de la ville toute de palais noirs, de tours d’effroi, errant par les brouillards, errant à travers les fumées — l’ombre d’une ombre. […] Et les personnages, se figurait-on, vivraient d’une vie différente de celle des autres hommes : leur extase dissiperait nos pauvres, mais si passionnantes psychologies ; et même au théâtre on rêvait un poème brûlant où éclaterait seul le génie du poète des Villes tentaculaires reprenant ses lointaines évocations de Moines… On se trompait. […] Cette première période est débordante de vie ; en même temps qu’il mène une campagne en faveur des peintres impressionnistes, il livre d’autres œuvres où sont fixées d’admirables notations de peintre, dignes d’un fils instinctif des vieux maîtres flamands.

1388. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre II. Enfance et jeunesse de Jésus. Ses premières impressions. »

Toute sa vie il fut désigné du nom de « Nazaréen 100 », et ce n’est que par un détour assez embarrassé 101 qu’on réussit, dans sa légende, à le faire naître à Bethléhem. […] L’extrême simplicité de la vie dans de telles contrées, en écartant le besoin de confortable, rend le privilège du riche presque inutile, et fait de tout le monde des pauvres volontaires. D’un autre côté, le manque total de goût pour les arts et pour ce qui contribue à l’élégance de la vie matérielle, donne à la maison de celui qui ne manque de rien un aspect de dénûment. […] La fontaine, où se concentraient autrefois la vie et la gaieté de la petite ville est détruite ; ses canaux crevassés ne donnent plus qu’une eau trouble. […] Sa vie même sortit peu des limites familières à son enfance.

1389. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Franz de Champagny a beau nous dire avec raison, dans sa préface, que la question pour le monde et l’histoire n’est ni la question économique, ni la question politique, ni même la question sociale, mais la question morale, la question de l’homme, de sa vie terrestre et de sa vie au-delà de la terre : « L’homme est-il souverain ou subordonné ? […] Il n’a pas d’aperçu supérieur, et si son livre a encore, çà et là, de la vie, ce n’est pas sa faute ; ce n’est pas lui qui la lui a donnée. Cette vie n’est pas venue de son âme. […] cet homme qui eut, comme écrivain, une énergie si nerveuse et si souple, le coup de griffe gracieux et mortel du jeune tigre des cirques romains, quand il touchait à la Rome corrompue et à ses abominables maîtres, cet écrivain qui s’est nourri toute sa vie de la plus pure moelle de Tacite, n’est plus qu’un talent spirituel encore, mais énervé.

1390. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Ils retinrent par force dans leurs cavernes des femmes, dont ils firent les compagnes de leur vie. […] Les réfugiés, impies et sans dieu, obéissaient à des hommes pieux, qui adoraient la divinité, bien qu’ils la divisassent par leur ignorance, et qu’ils se figurassent les dieux d’après la variété de leurs manières de voir ; étrangers à la pudeur, ils obéissaient à des hommes qui se contentaient pour toute leur vie d’une compagne que leur avait donnée la religion ; faibles et jusque-là errants au hasard, ils obéissaient à des hommes prudents qui cherchaient à connaître par les auspices la volonté des dieux, à des héros qui domptaient la terre par leurs travaux, tuaient les bêtes farouches, et secouraient le faible en danger. […] La seconde montrait une férocité généreuse dont on pouvait se défendre ou par la force ou par la fuite ; l’autre barbarie est jointe à une lâche férocité, qui au milieu des caresses et des embrassements en veut aux biens et à la vie de l’ami le plus cher. Guéris par un si terrible remède, les peuples deviennent comme engourdis et stupides, ne connaissent plus les raffinements, les plaisirs ni le faste, mais seulement les choses les plus nécessaires à la vie. […] Au contraire dans les fausses religions qui nous proposent pour cette vie et pour l’autre des biens bornés et périssables, tels que les plaisirs du corps, ce sont les sens qui excitent l’âme à bien agir.

1391. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Les particularités et les circonstances extérieures de la première moitié de sa vie n’ont été bien démêlées que dans ces derniers temps. […] On l’a dit, mais à la légère ; on ne sait rien de la vie militaire de Malherbe. […] C’est une vie d’un moment qu’ont de tels discours, même lorsqu’ils réussissent, une vie bien éphémère ; le lendemain, imprimés, on n’y retrouve plus, bien souvent, les grâces ou les malices de la veille. […] Tel qu’il est, et quoi qu’il soit, nous ne le perdrons jamais que nous ne soyons en danger d’être perdus. » De telles pages écrites dans la familiarité éclairent une vie. […] Ils s’en vont, ces rois de ma vie, etc.

1392. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Tout ce qui a vécu d’une vie sociale un peu compliquée à son esprit à soi, son génie léger, qui disparaît avec les groupes qu’il anime. […] Il parcourt sa vie passée et note déjà ce qu’il appelle ses âges . […] que les causes que l’on épousait ont moins duré que la vie des hommes, moins que leur jeunesse même, moins que leur talent ! […] Le premier Abélard, en effet, était surtout deviné, et c’est bien pour cela qu’il a la vie. […] M. de Rémusat n’a rien travaillé autant que cette vie, et pour le style, et pour l’exactitude.

1393. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Au lieu d’embrasser la vie d’un individu, elle embrasse la vie d’un empire. […] L’injustice pendant la vie, soit ! […] Il n’y avait plus assez de vie pour qu’il y eût jamais des factieux. […] Thiers n’avait pu mesurer, pendant sa longue vie parlementaire, oratoire et ministérielle, les qualités presque inconciliables que dut exercer M.  […] Pitt, si heureux pendant dix-huit ans, fut malheureux dans les derniers jours de sa vie.

1394. (1925) La fin de l’art

La pensée ravage toujours la figure : il est vrai que la vie y suffit très bien. […] Le travail humain le plus essentiel à la vie même se fait en grande partie la nuit. […] La vie sans sel est-elle possible ? […] Nous sommes dans une situation analogue devant les actes possibles de la vie. […] La France est vaste et la vie est brève.

1395. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

« On se trouvait alors dans une période, pendant laquelle la vie des peuples ainsi que la vie des individus semblait se précipiter avec un courant plus vif et plus rapide. […] Il avait donné son cœur et sa vie à l’humanité. […] Il met en mouvement la société entière, ainsi qu’il déroule en entier la vie d’un homme. […] Défendez-vous de la maladie de votre siècle, de ce goût fatal de la vie commode, incompatible avec toute ambition généreuse. […] C’est le premier pas de l’Allemand qui veut jouir de la vie : il faut d’abord qu’il boive, le reste viendra plus tard.

1396. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Rien n’est plus pathétique qu’un grand homme tel que Scipion accusé, Marius proscrit, Napoléon vaincu à Sainte-Hélène, aux prises avec la mauvaise fortune, et résumant sa vie soit en une résignation muette, soit en un satanique gémissement. […] Depuis, ce misérable passe-temps, quoique respectable et étrange, m’a même manqué à mon grand déplaisir, et quelle est ma vie depuis ce temps, je vais vous le dire. […] Nous sommes étonné qu’on ne mette pas le commentaire de Machiavel sur Tite-Live dans les mains de la jeunesse moderne qui se destine à la vie publique : ce serait un cours de sagacité. […] Le climat et les mœurs lui rendent la vie si gaie et si douce que la vie lui devient plus chère qu’aux peuples du Nord, qui ont si peu à perdre en la risquant. […] O’Connell est mort d’emphase ; ses compatriotes ont honoré sa vie et sa tombe de leurs subsides patriotiques ; ses promesses dérisoires sont mortes avec lui, il n’en est plus responsable.

1397. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

Est-ce que je suis condamné à demeurer, toute ma vie, l’homme qui a publié son premier livre, le jour du Coup d’État ? […] Daudet dit, que c’est une persécution chez lui, un empoisonnement de la vie, et qu’il n’est jamais entré dans un appartement nouveau, sans que ses yeux n’y cherchent la place et le jeu de son cercueil. […] Il me dit aimer l’Angleterre, Londres, l’odeur du charbon de terre, parce que ça sent la bataille de la vie. […] Je trouve que la manière d’être la plus utile à sa patrie : c’est de passer toute sa vie, sans toucher un sou du budget de l’État. […] * * * — Quel joli peintre en paroles de la vie parisienne, que ce Forain.

1398. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Une vie de grand artiste, harmonieuse dans le bonheur, n’est pas chose commune. […] Il aimait même sa propre vie — sombre vie — comme un amusement. […] Le temps était beau : il faisait un grand soleil, fourmillant de vie. […] Connaît-on toujours un homme avec qui on passe sa vie ? […] Un charme amollissait la vie.

1399. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Ce n’est pas seulement dans l’exercice du pouvoir politique, c’est dans toutes les affaires de la vie qu’il faut accepter la lutte du bien contre le mal. […] Il souffrait de plus, et avec toute l’intensité morale qui lui était propre, de la marche des choses publiques, qui allaient à l’encontre de son rêve, de la fondation idéale de toute sa vie. […] Pour s’arracher de lui-même, pour se distraire et s’absorber, il se mit courageusement à l’œuvre ; il tenta de renouveler sa vie ; il s’appliqua à l’étude de l’allemand, à toutes sortes de lectures ; il entreprit son travail sur l’Ancien Régime et sur les causes de la Révolution. […] C’est alors que je me recommande à vos prières ; car alors seulement se posera et se débattra au-dedans de moi cette redoutable question de savoir si je puis, oui ou non, tirer désormais parti de ma vie. […] La vie lui a manqué pour élaborer et mettre en œuvre ces matériaux tout neufs qu’il était en train de fondre.

1400. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Pour la littérature ancienne et latine particulièrement, une traduction en vers, faite avec soin et élégance, était jugée une conquête définitive, une œuvre considérable et de toute une vie, qui, menée à bonne fin et imprimée, conduisait tout droit son homme à l’Académie française. […] Bignan, qui, voué de bonne heure au culte d’Homère, s’adonna toute sa vie à une traduction en vers de l’œuvre homérique et ne cessa de l’améliorer, homme instruit, versificateur élégant, n’eut jamais le prix de son travail : il était né quinze ans trop tard. J’ai vécu de bien des vies littéraires ; et j’ai passé de douces heures d’entretien avec des hommes instruits de plus d’une école : il me semblait que j’étais de la leur, tant que je causais avec eux. […] Entré jeune dans la vie littéraire sous l’astre orageux de Balzac (l’auteur assurément qui ressemble le moins à Térence), M. de Belloy a sauvé de cette influence caniculaire son originalité, une manière de sentir à lui, modeste, discrète, délicate. […] s’écrie Sosie, je crains fort que cette Andrienne ne nous apporte quelque malencontre. » — Pourtant tout se passe encore à merveille ; la femme, il est vrai, pressée par le besoin, se lasse bientôt de gagner sa vie à filer et à tisser ; elle prend un amant, puis un autre, puis plusieurs, et se fait payer.

1401. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

« Le mot conscience signifie la vie mentale avec ses diverses énergies, en tant qu’elle se distingue des fonctions purement vitales et des états de sommeil, torpeur, insensibilité, etc. » Il indique aussi que l’esprit est occupé de lui-même, au lieu de s’appliquer au monde extérieur ; car les préoccupations qui ont pour objet ce qui est externe, présentent un caractère anesthétique. […] Tant que l’être vivant n’a pas de conscience, il vit de la vie purement physiologique. […] S’il y a deux sensations successives et entre elles une différence de nature, moins encore, un simple hiatus entre deux moments d’une même sensation, moins encore, une différence d’intensité, alors il se produit une conscience plus ou moins claire : la vie psychologique est née. […] Quand l’intelligence s’est éveillée à la vie en saisissant une différence, que fait-elle ? […] Elle consiste dans la persistance des impressions mentales, après la disparition de l’agent externe ; nous pouvons vivre une vie en idées qui s’ajoute à la vie actuelle.

1402. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXII » pp. 355-377

Sa vie est exemplaire. […] Mais nous faisons une vie qui m’ôte toute espérance de pouvoir vous donner un rendez-vous sûr, car madame rie Montespan sort depuis le matin jusqu’au soir, et n’a gardé la chambre qu’un seul jour, et je n’en fus pas avertie. […] Nous ne tarderons pas à voir si c’était pour que ma prétendue pénitente fût dédommagée d’un sacrifice héroïque, ou pour qu’elle fût en position de continuer son ancienne vie, en se couvrant d’un voile imposteur. […] Cela est difficile à accommoder, et je passe ma vie dans des horribles qui m’ôtent tous les plaisirs du monde et la paix qu’il faudrait pour servir Dieu. […] C’est-à-dire qu’elle ne se bornât pas à suspendre le dérèglement de sa vie à l’époque des grandes fêtes de l’église.

1403. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

On se sent là en pleine vie réelle. […] La vie ne nous permet pas d’être longtemps sublime. […] ou par sa vie passée ? Sa vie, nous la connaissons. […] Bref, la vie élégante.

1404. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bertrand, Aloysius (1807-1841) »

, que l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue, et d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque.

1405. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Schuré, Édouard (1841-1929) »

— La Vie mystique, vers (1894). — L’Ange et la Sphynge (1896) : — Sanctuaires d’Orient (1898). […] C’est de la versification souvent heureuse, pleine, harmonieuse, mais qui manque de relief, de vie originale. Une connaissance sûre des mythes anciens, des idées, de l’enthousiasme, de l’éloquence : tels, je pense, les mérites de cette Vie mystique, œuvre d’un philosophe, sinon d’un poète.

1406. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tisseur (Les frères Barthélémy, Jean, Alexandre et Clair) »

Il a écrit avec une abondante simplicité la vie de son frère Jean. […] Ces vies d’hommes obscurs et bons ont un charme exquis. […] [La Vie littéraire (III, 1891).]

1407. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Je rentrai chez moi, maudissant les salons, les femmes, les journalistes, et tout ce qui ne voulait pas la République à la vie et à la mort. […] Quand on a imprudemment allumé de tels phares aux sommets opposés du détroit dans les crises et les périls de sa vie publique, on ne peut espérer ensuite de passer pour un homme qui n’a cessé d’avoir une pensée unique pour boussole. […] Il continua, dans toute la durée de cet épisode de sa vie publique, de tout communiquer à M. de La Fayette, à l’homme que, disait-il, il aimait à consulter comme sa conscience. […] Tous deux laissent prendre dans leur vie publique une trop grande part, et trop visible, à l’influence des femmes ; mais Chateaubriand, tout en y cédant, les dévore, et Benjamin Constant, des deux, est le plus entraîné et le plus mené. […] Laboulaye avait commencé dans la Revue nationale une série d’articles sur la Vie de Benjamin Constant, devant former un ouvrage à part.

1408. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Et maintenant, vois, toutes tes fleurs sont par terre, éparses et répandues. » Presque à côté je remarque une autre épigramme dont la conclusion, toujours la même, est exprimée d’une manière un peu plus raffinée, plus platonique, et sentant déjà le futur troubadour ; elle est d’Alphius de Mitylène : « Malheureux, ceux dont la vie se passe sans amour ! […] Il mérite vraiment qu’on le distingue, qu’on lui recompose sa physionomie, et qu’avec les petites pièces qu’il a laissées, au nombre de cent environ, on se forme une idée un peu nette de sa destinée, de sa vie et de son talent. […] Il paraît que la guerre de Pyrrhus et des Romains l’arracha à sa patrie, qu’il passa le reste de sa vie errant, et mourut dans l’exil. […] Dérobe-toi donc à une vie pleines d’orages, et regagne le port, comme moi-même Plhidon, fils de Critus, qui a fui dans le Ténare. » Cette vie humaine qui n’est qu’un point serré et comme écrasé entre les deux infinis rappelle Pascal. […] en traînant une vie errante, en roulant d’un pays dans un autre ; ne te consume pas ainsi !

1409. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Laissée entière sur sa tige, elle est comme la fleur virginale du devoir ; à demi cueillie et contenue, elle embaume souvent toute une vie et la pénètre, comme ferait un aromate secret. […] Le poëte, sous le critique, se retrouve, et ne fait qu’un avec lui par l’esprit et la vie, et le sens propre qu’il découvre et rend aux choses à chaque moment. […] Il en est exactement de l’ordre littéraire comme de l’ordre naturel d’organisation, et de l’esprit comme de la vie. La vie est jusqu’à un certain point indépendante de la forme de l’organe ; mais, une fois l’organe donné dans sa forme générale, elle s’en sert comme d’un point d’appui, elle l’élabore, l’organise au dedans et se l’approprie pour ainsi dire. […] Elle se rattacherait en commentaire vivant à la fin du vie chapitre du livre premier, tome I, page 270.

1410. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Contraste expliqué entre l’obscurité de sa vie et l’éclat de son recueil. — § III. […] Contraste expliqué entre l’obscurité de la vie de La Bruyère et l’éclat de son recueil. Dans tous les jugements qu’on a portés sur La Bruyère, on a fait contraster avec la gloire de ses écrits l’obscurité et l’insignifiance de sa vie. […] Ce peu de détails sur sa vie prouve qu’il vivait beaucoup en lui, et que, sans se commettre avec les hommes dont il n’avait rien à prétendre, il les observait du poste où l’avait mis Bossuet. […] C’est conforme à ce qui se passe dans la vie.

1411. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Et il aura observé en même temps qu’une pensée se cache derrière l’œuvre de notre écrivain, — inflexible et cruelle comme le sens de la vie aux yeux d’un déshérité, inquiétante comme l’hypocrisie d’un jour désespérément égal, — la pensée de ce que nous signifions dans l’absolu. […] Sa morale est le respect de soi, dont dérivent les multiples conditions de la vie agissante. […] Bourget s’est longtemps complu à emprisonner les formes de la nature et de la vie. […] France et de son embonpoint, qu’un écrivain trapu et débonnaire, heureux de s’isoler dans l’anachronisme d’une vie spéciale qui ne s’adoucit, au sens moderne, que de ce qu’elle ne peut refuser à l’époque, — l’on observera que cet écrivain, qui est réellement M.  […] Et, parallèlement, les vertus qui nous distinguent, auraient-elles leurs torpeurs, et, soumises à des lois de nutrition, à des fonctions actives analogues à celles qui régissent la vie animale, courraient-elles les mêmes périls, et traverseraient-elles les mêmes crises !

1412. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Je n’ai pas eu le dessein d’écrire la vie entière de madame de Maintenon, et de la suivre dans son existence politique. J’ai voulu seulement montrer, dans le plus grand événement de sa vie, le triomphe d’une des plus illustres personnes de la société polie, et de cette société elle-même dont elle fut l’ornement et la gloire. […] Qu’on l’accuse de s’être faite dévote et d’avoir fait manœuvrer des prêtres pour se faire épouser, elle qui avait acquis le cœur du roi et obtenu sa renonciation aux maîtresses, durant la vie de la reine plus jeune qu’elle ! […] Elle finit sa vie à la Visitation de Chaillot. […] En 1680, il ne restait des anciens habitués de l’hôtel Rambouillet que Chapelain, âgé de 85 ans ; Cottin, âgé de 70 ; tous deux finissant leur vie entre la caducité et la décrépitude.

1413. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Vue de près et dans la réalité, sa vie répond bien à l’idée qu’on s’en fait de loin et à travers l’auréole ; la personne ressemble de tout point à la réputation charmante qu’elle a laissée. […] Il est temps d’arriver aux sentiments de douleur et de repentir qui ont épuré la passion de Mme de La Vallière, et qui ont donné aux trente-six dernières années de sa vie la consécration sans laquelle elle n’eût été qu’une maîtresse de roi assez touchante, mais ordinaire. […] Ce mot de miséricorde, qui est au titre du livre, revient à tout instant ; il abonde sur ses lèvres, c’est son cri ; c’est le nom aussi sous lequel elle entrera dans la vie religieuse, sœur Louise de la Miséricorde. […] Tout entière aux douceurs et aux consolations de la vie cachée, elle ne croyait pas trop les acheter par les austérités et les mortifications qu’elle s’imposait avec ardeur et avec une sorte de raffinement. […] Voilà la vie de Mme de La Vallière à la Cour depuis 1671, le roi entre elle et Mme de Montespan, un martyre de tous les jours !

1414. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

C’est ici que la vie de Volney serait très intéressante historiquement si nous la savions en détail et s’il avait songé à l’écrire. […] À partir de ces années, Volney, souffrant et affaibli de santé, légèrement intimidé et découragé d’esprit, se réfugie de plus en plus dans l’étude austère et dans la vie de cabinet. […] Il ne cessa également, jusqu’à la fin de sa vie, de s’occuper d’une méthode qui avait pour objet d’écrire toutes les langues orientales au moyen d’un même alphabet, de l’alphabet européen. […] D’après ce que vous me dites de votre vie si douce, de vos jours si pleins, si courts, même en hiver, de votre souci à l’idée du moindre voyage, prenez bien garde à ce que vous ferez. […] La prudence est bien quelque chose dans la vie ; mais combien le hasard n’y est-il pas davantage !

1415. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

Une vie déjà presque enfuie n’était plus capable de résister au choc de ces achevées et impitoyables phrases qui la tiraient dans l’au-delà. […] Mais combien de vies faut-il pour devenir un homme. […] Qui malgré cela a vu la lueur du monde, ne peut décrire sa vie dans l’obscurité. […] C’est là notre délivrance, que nous tenons des étoiles — et c’est là en même temps l’éternel danger d’une vie crépusculaire. […] Ce qui ne veut pas dire qu’il habite les sommets et les tours d’ivoire, au contraire, il préfère être écrasé par la vie que d’en être éloigné.

1416. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Les vies des hommes illustres Grecs & Romains de Plutarque sont encore plus lues que l’histoire de Polybe. […] Dacier a traduit les vies de Plutarque en 8. vol. […] L’histoire de la vie de Jules-César, par M. de Bury, in-12. 1758. […] On crut que Mezeray y avoit eu part ; mais cet historien n’avoit point ce style touchant qui fait aimer le Prince dont il écrit la vie. […] Le même auteur nous a donné la Vie du Connétable du Guesclin, en 2. vol.

1417. (1884) La légende du Parnasse contemporain

La vie de notre cher Albert Glatigny ? […] Ma vie et mon jour ! […] Car si l’art était la vie elle-même, à quoi serait-il bon ? […] Pour la première fois de sa vie, mon maître s’est trompé. […] La vie belle.

1418. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Chirurgie. » pp. 215-222

Deux, trois, quatre pinces y suffisent. « Le temps, pour l’opéré, c’est la vie. » Simplification de la technique opératoire, suppression de toutes les manœuvres inutiles, ablation rapide et, autant que possible, sans morcellement, puis sutures minutieuses et aussi lentes qu’on voudra ; hardiesse à « tailler », soin extrême à « recoudre » : voilà la vérité. […] On essaye de s’imaginer les préoccupations habituelles, l’état d’esprit, les impressions, les angoisses et les plaisirs de cet homme qui taille cette chair, qui répare ces organes, qui refait de la vie d’une manière plus visible, plus immédiate et plus sûre que le médecin, et qui a l’orgueil de créer presque après le Créateur. […] On le suit avec une curiosité passionnée ; on le seconde de la ferveur de son désir ; on a pour le « patient » une sympathie, une pitié qu’on ne saurait dire, et, dans ce drame de vie ou de mort, on fait des vœux passionnés pour le triomphe de la vie.

1419. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fort, Paul (1872-1960) »

Léon-Paul Fargue Premières lueurs sur la colline : L’étonnement, apprenti d’un sens supplémentaire qui débuterait, médiante, d’une croyance d’hier ; d’un excentrique prétexte prématurément doué par une révolution de capitale fonction dans la vie. […] Et le poète plein de cachet qui fait la lecture a converti, stimulé, se donnant lui-même la discipline : c’est la vie. […] Paul Fort, comme Laforgue, regarde la vie dans quelque miroir légendaire. […] … C’est la vie que Dieu veut ainsi, non autrement. » [L’Ermitage (mai 1898).]

1420. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les Zutistes » pp. 19-27

Comme il était en retrait de l’alignement et de la mode, il semblait en retrait de la vie. […] Ce moribond se raccrochait à la vie, qu’il sentait lui échapper avec toute l’énergie du désespoir. […] Il y avait là, le couple Jacquemin : elle, longue, fine, éthérée, l’air d’une princesse de légende ; lui, sérieux, attentif, avec sa face soucieuse d’alchimiste, cuivré par les vapeurs du nitre et le feu des laboratoires, instruit de la vie des métaux et de la flore sous-marine. […] À la vérité, rien n’était plus dissemblable que ces deux natures et la vie ne devait pas tarder à les disjoindre, mais ils se trouvaient alors réunis par la même fièvre de recherches, la même ingéniosité, la même pénétration et la même hauteur de vues.

1421. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVI. Jésus au tombeau. »

On crut voir couler du sang et de l’eau, ce qu’on regarda comme un signe de la cessation de vie. […] On citait beaucoup de cas de crucifiés qui, détachés à temps, avaient été rappelés à la vie par des cures énergiques 1198. […] La vie de Jésus, pour l’historien, finit avec son dernier soupir. […] , II, 53 ; Pline, XXXVI, 24 ; Plutarque, Vie de Cléomène, 39 ; Pétrone, Sat.

1422. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

Comme les Dragons dont elles avaient la laideur, les Érynnies couvaient des trésors : les liens de la famille, le respect de la vie humaine, l’observation de la foi jurée. […] Avant qu’il eût rendu vie pour vie, leur patient passait par toute une série de supplices : obsessions et flagellations, angoisses de l’âme et tourments du corps, fuites éperdues à travers des foules hostiles et des solitudes désolées, nuits livrées aux épouvantes des visions spectrales. […] Gardiennes de la vie humaine, protectrices des droits de la famille, de la foi jurée, du foyer des hôtes, les Érynnies semblaient mériter la reconnaissance due aux services ingrats strictement rendus.

1423. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé Boileau, et Jean-Baptiste Thiers. » pp. 297-306

Cet esprit bisarre n’a jamais rien donné que de bisarre, la vie des évêques, la résidence des chanoines, les habits des prêtres, les attouchemens impudiques, les flagellations. […] Il s’appuye de celle de Henri IV, qui reçut la discipline sur les épaules, des cardinaux d’Ossat & du Perron ; formalité bien vaine, mais raison plus étrange encore pour vouloir qu’on admettre un usage quelquefois criminel & suggéré par la débauche ; un usage qui peut être remplacé par tant d’autres plus dignes d’un vrai pénitent ; un usage qui peut être remplacé par tant d’autre plus dignes d’un vrai pénitent ; un usage enfin que la religion ne prescrit pas, & qui rappelle ces prêtres de Baal, qui se déchiroient à coups de lancettes, ou ces insensés Brammins qui passent la plus grande partie de leur vie, nuds dans leurs cellules, occupés à s’enfoncer des clous dans les bras & dans les cuisses, en l’honneur de leur dieu Brama. […] On est étonné que l’abbé Boileau, qu’un homme de son état & d’un genre de vie sévère, ait osé les mettre sous les yeux du lecteur. […] On a de lui une vie de la Vierge, & une paraphrase des sept pseaumes de la pénitence.

1424. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

On croit qu’il passa le reste de sa vie dans la retraite et le malheur. […] On conçoit comment il put louer Stilicon, qui n’était pas à la vérité un citoyen, mais qui était à la fois et un ministre et un général ; mais Honorius, qui toute sa vie fut, comme son frère, un enfant sur le trône ; qui, mené par les événements, n’en dirigea jamais aucun ; qui ne sut ni ordonner, ni prévoir, ni exécuter, ni comprendre ; empereur qui n’avait pas même assez d’esprit pour être un bon esclave ; qui, ayant le besoin d’obéir, n’eut pas même le mérite de choisir ses maîtres ; à qui on donnait un favori, à qui on l’ôtait, à qui on le rendait ; incapable d’avoir une fois du courage, même par orgueil ; qui, dans la guerre et au milieu des périls, ne savait que s’agiter, prêter l’oreille, fuir, revenir pour fuir encore, négocier de loin sa honte avec ses ennemis, et leur donner de l’argent ou des dignités au lieu de combattre ; Honorius, qui, vingt-huit ans sur le trône, fut pendant vingt-huit ans près d’en tomber ; qui eut de son vivant six successeurs, et ne fut jamais sauvé que par le hasard, ou la pitié, ou le mépris ; il est assez difficile de concevoir comment un homme qui a du génie, peut se donner la peine de faire deux mille vers en l’honneur d’un pareil prince. Pour excuser le panégyriste, il faut pourtant convenir que ces éloges ont été écrits pendant la vie de Stilicon ; et qu’alors, si l’empereur n’était rien, l’empire eut du moins de la grandeur. […] Théodoric, dans les derniers moments de sa vie, croyait voir, dit-on, la tête sanglante de Symmaque qui le poursuivait.

1425. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

J’espère que bientôt je vous prouverai que ces prétendues abstractions sont le fond de toute réalité, que ces catégories si vaines en apparence, c’est la vie de la nature, c’est la vie de l’humanité, c’est la vie de l’histoire. […] tous ces degrés de la vie se retrouvent dans l’humanité. […] Quel est le but de l’humanité et de la vie ? […] La vie, cette vie fugitive dont elle n’a pas joui encore, ne lui paraît qu’un pâle reflet d’une autre existence. […] Elle menait la vie de Versailles.

1426. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre III »

Mieux encore, la vie des champs, une ferme, une basse-cour et un troupeau ! […] … Un peu de vertu tempérée par cent mille livres de rente, ne vaut-elle pas une vie si chanceuse ? — Pas pour elle, en ce moment ; elle a repris le ton, les manières de sa vie passée. […] Il ne sied pas à un galant homme de proposer la bourse ou la vie ; le pistolet d’une haute justice ne se bourre pat, avec des écus. […] Elle calcule sa vie, elle la combine, elle la dirige, elle fait un mariage de raison, comme on dit, et l’apostasie qui renvoie cette renégate relapse à ses dieux impurs ne pouvait être motivée par de trop frappantes incompatibilités de vie et d’humeur.

1427. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

Il entremêle son récit de détails sur la vie des habitants, sur leurs habitudes, sur les mouvements d’âme de ces infirmes, sur les originaux de l’endroit, des détails enfin, avec lesquels un romancier ferait un original et neuf début d’une existence. […] C’était là sa vie, mais de temps en temps, Halphen éprouvant le besoin de s’en débarrasser, et ayant la pitié de le mettre sur le pavé, l’expédiait avec une pacotille au Congo ou chez le roi de Siam. […] Oui, — et il continuait avec le triste haussement d’épaules d’un homme qui se sent au bout de la traîne de sa vie, — oui je voudrais écrire un livre, qui montrerait comment se fait la production dans un cerveau. […] Il disait le peu de vie de son corps. […] Ils auraient mis en commun leur colonne vertébrale, et chercheraient, toute leur vie, un tour impossible, qui serait pour eux, la trouvaille d’un problème de la science.

1428. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Fort bien, dit Firenzola, je ne lui demande rien ; mais que je ne le voie de ma vie. […] Son père était mort de la peste ; il ne retrouve que sa sœur Reparata mariée, et qui le reconnaît avec une tendresse qui fera l’occupation et le souci du reste de sa vie. […] C’est tout à fait une aventure d’Arioste, et qui, comme celle de ce poète, n’a pas de suite dans la vie de ce héros. […] Pendant la nuit, m’apparut en songe un jeune homme d’une beauté merveilleuse, qui me dit, en ayant l’air de me gronder : Tu sais qui t’a donné la vie, et tu veux la quitter avant le temps. […] Voyez sa Vie.

1429. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Je dois déclarer d’abord que je ne prétends point rechercher l’origine première des facultés mentales des êtres vivants, pas plus que l’origine de la vie elle-même. […] Certaines habitudes s’associent aisément avec d’autres, comme avec certaines époques du jour ou avec certains états du corps ; et, une fois acquises, elles persistent avec constance pendant toute la vie. […] — Chacun admettra que les instincts sont d’aussi grande importance au bien de chaque espèce, sous ses conditions de vie particulières, que peuvent l’être les organes corporels. […] Je ne puis donc voir aucune difficulté à ce que, sous des conditions de vie changeantes, la sélection naturelle accumule de légères modifications, en quelque direction et jusqu’à quelque degré que ce soit. […] Au contraire, les peuples plus avancés entretiennent le nombre de leurs générations au complet avec un très-petit nombre de naissances, et une vie moyenne très longue.

1430. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Je ne l’ai jamais rencontré que deux fois dans le cours de ma vie ; je n’ai pour lui ni haine, ni enthousiasme. […] On croit retrouver une vie perdue de quelques-uns de ces hommes illustres dont Plutarque a si bien tracé le tableau. […] On dirait que, nouveaux dans la vie, ils ne savent pas si ce qui est pourrait exister autrement. […] Voyez les Vies de Plutarque. […] Vie d’Alexandre par Plutarque.

1431. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — [Note.] » pp. 444-445

Que notre pauvre ami ait été amoureux de la princesse Bonaparte, c’est possible ; mais, dans tous les cas, cet amour n’aurait occupé que les trois dernières années de sa vie, et dans ces trois années il n’a fait que Les Pêcheurs. […] Malheureusement ses forces étaient épuisées : sa vie s’était usée dans les efforts que ce noble désir lui avait fait faire. […] Plus tard, il est vrai, il devient triste et dégoûté de la vie ; mais, au milieu de ses souffrances d’esprit et de corps, la chose qui l’occupe le plus, celle dont il parle sans cesse, c’est toujours sa chère peinture ; c’est toujours son tableau des Pêcheurs.

1432. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « APPENDICE. — LEOPARDI, page 363. » pp. 472-473

Tu vois l’homme écrasé, débile, se traînant Sous le faix, et pourtant à vivre s’acharnant ; Car cette vie est tout. Pour moi, ces douces pentes Me peignent le retour des natures contentes, L’heureux soir de la vie, — un esprit calme et sûr Qui, pour la fin des ans, réserve un fruit plus mûr ; Dans un œil languissant je crois voir l’étincelle, Un céleste rayon d’espérance fidèle, La jeunesse du cœur et la paix du vieillard. —  Tout, pour toi, dans ce monde est ténèbres, hasard : Un grand principe aveugle, un mouvement sans cause Anime tour à tour et détruit chaque chose ; Par tous les éléments, sous les eaux, dans les airs, Chaque être en tue un autre : ainsi vit l’Univers ; Et dans ce grand chaos, bien plus chaos lui-même, L’homme, insondable sphinx, ajoute son problème, Crime et misère, en lui, qui se donnent la main ; La douleur ici-bas, et point de lendemain. —  Oh ! […] Que n’as-tu, comme moi, l’espoir qui te soutienne, Qui te montre la vie en germe dans la mort, Le mal à se détruire épuisant son effort !

1433. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Angellier, Auguste (1848-1911) »

Angellier, Auguste (1848-1911) [Bibliographie] La Vie de Robert Burns (1895). — À l’Amie perdue (1896). […] Si l’on songe que, tout en commentant les vers d’un autre, le narrateur de la Vie de Robert Burns a écrit des vers comme ceux-ci : Les caresses des yeux sont les plus adorables ; Elles apportent l’irae aux limites de l’être Et livrent des soi-rets autrement ineffables. […] [La Vie et les Livres (1897).]

1434. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Maurice de (1810-1839) »

Sainte-Beuve L’originalité de Maurice de Guérin était dans un sentiment de la nature tel qu’aucun poète ou peintre français ne l’a rendu à ce degré, sentiment non pas tant des détails que de l’ensemble et de l’universalité sacrée, sentiment de l’origine des choses et du principe souverain de la vie. L’auteur suppose qu’un être de cette race intermédiaire à l’homme et aux puissantes espèces animales, un centaure vieilli, raconte à un mortel curieux, à Mélampe, qui cherche la sagesse, et qui est venu l’interroger sur la vie des Centaures, les secrets de sa jeunesse et les impressions de vague bonheur et d’enivrement dans ses courses effrénées et vagabondes. Par cette fiction hardie, on est transporté tout d’abord dans un univers primitif, au sein d’une jeune nature, encore toute ruisselante de la vie et comme imprégnée du souffle des dieux.

1435. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

On dit que c’est abaisser la spéculation que d’en faire un guide pour la vie ; mais on ne voit pas que c’est relever la vie que de la faire gouverner par la pensée. Si la pensée ne descend pas dans la vie, celle-ci n’aura donc pour guides que l’instinct, la routine ou la foi. […] À l’un de ces degrés, elle est susceptible d’entretenir la vie : à un degré supérieur, elle donne naissance à l’humanité. […] Il est donc dans la vie plus que dans la matière inerte, dans la pensée plus que dans la vie, dans la conscience des grands hommes plus que dans celle du vulgaire. […] Entre la vie purement scientifique et la vie animale, il y a un milieu qui est la vie propre de l’homme, et qui le caractérise entre toutes les espèces de la nature, c’est la vie pensante et réfléchie.

1436. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

La Mort ferme le livre du poète, comme elle ferme les courtes joies et les sinistres égarements de la vie. […] Il me rappelle ces beaux abbés du dix-huitième siècle, si corrects dans leur doctrine, si indulgents dans le commerce de la vie, l’abbé de Bernis, par exemple. […] La Puissance qui punit la vie est encore plus impassible que lui ! […] Voici un Rancé, sans la foi, qui a coupé la tête à l’idole matérielle de sa vie ; qui, comme Caligula, a cherché dedans ce qu’il aimait et qui crie du néant de tout, en la regardant ! […] le temps mange la vie, Et l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

1437. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

La vie d’un artiste sérieux est, avant tout, dans le travail. […] On pense à sa pensée, on rêve au rêve ; on se moque de tout, de la vie, de l’art, de l’amour, des femmes qui sont là et qui se moquent bien de la moquerie ! […] Grandville, le fabuliste du crayon, l’auteur avec Forgues des Petites Misères de la vie humaine, et qui n’avait de l’esprit que dans ses croquis, n’était pas non plus des habitués. […] Il est passé, le temps des amours légères et des espérances, et aussi des crayons légers ; parmi ceux qui me reviennent à l’esprit en ce moment, il en est un plus agréable encore et plus riant que tous les autres : c’est, dans un album des Mélodies de Mme Gavarni, l’un des dessins intitulé Chanson et le jeune adolescent qui la personnifie ; grâce, gaieté, fraîcheur, lumière, tout ce qui rit à la vie est dans ce dessin-là. […] » Et à la manière dont il dit cela, on reconnaît une bouche qui a parlé allemand toute sa vie.

1438. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Guadet, écrivant la Vie de ce girondin, et se trouvant en face de la difficulté, c’est-à-dire de la tendre liaison présumée entre Mme Roland et Buzot, s’en tirait d’une manière évasive et sauvait la situation dans les termes suivants : « On a dit que des relations d’un autre genre avaient existé entre Buzot et Mme Roland. […] Confinée au cercle domestique et n’ayant pas mené, comme l’illustre vagabond de Genève, une vie errante et souvent pédestre, elle ne pouvait qu’entrevoir, sans les sonder, les misères profondes : elle était digne de les sentir. […] Il y a bien longtemps que je ne vous ai écrit ; mais aussi je ne touche guère la plume depuis un mois, et je crois que je prends quelques-unes des inclinations de la bête dont le lait me restaure : j’asine à force et m’occupe de tous les petits soins de la vie cochonne de la campagne. […] (Évreux), pour que tu eusses de moi un signe de vie ; mais la poste est violée ; je ne voulus rien t’adresser, persuadée que ton nom ferait intercepter la lettre et que je t’aurais compromis. […] Les Girondins, leur vie privée, leur vie publique, leur proscription et leur mort, par M. 

1439. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

Sa Majesté regarderait comme un des succès les plus heureux de l’expédition qu’elle pût être terminée sans qu’il en eût coûté la vie à un seul homme. » C’est touchant, c’est honorable dans son principe ; mais, faut-il le dire ? […] Dès qu’on fut bien assuré de sa faiblesse et de sa répugnance à se défendre, on s’enhardit à l’insulte, on osa tout, et la vie des hommes, si précieuse et si chère à Louis XVI, n’en fut pas plus épargnée pour cela. […] Elle vivait, elle plaisait, elle se jouait aux enchantements de la vie : on n’écrit pas les riens, les mille inventions fugitives, les dissipations, les plaisirs. […] Revenons aux choses graves et aux événements qui changèrent toute la direction de sa vie. […] En vérité et en conscience, nous ne pouvons pas sacrifier un homme qui nous a fait tous ceux (les sacrifices) de sa réputation, de son existence dans le monde, et peut-être de sa vie, car je crains bien que tout ceci ne le tue.

1440. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Par exemple, a-t-il accordé, dans la vie de Galilée, assez d’importance à ce chapitre tant controversé de la persécution et de l’abjuration ? […] La puissance productive de la vie peut se concevoir comme infinie et universelle. […]  » (Notice sur la vie et les travaux de J. […] On les trouvera résumés et exposés au complet dans deux conférences faites à Angoulême, en mars 1865, et publiées sous ce titre : Galilée, sa mission scientifique, sa vie et son procès (Poitiers, 1865). […] (Voir enfin Galilée, sa vie, ses découvertes et ses travaux, par le docteur Max Parchappe, 1866.)

1441. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

Mariée au marquis Du Châtelet, elle vécut d’abord de la vie de son temps, de la vie de Régence, et le duc de Richelieu put l’inscrire sur la liste de ses brillantes conquêtes. […] On voit combien elle tient à la vie et au bonheur avec lui, à un bonheur pour toujours. […] Qui confie si légèrement son secret, mérite qu’on le trahisse ; mais moi, que lui ai-je fait pour qu’il fasse dépendre le bonheur de ma vie du prince royal ? […] Mais, nous autres moralistes, nous en parlons bien à notre aise, et les choses de la vie ne se règlent pas en si parfaite mesure. […] Le paradis terrestre de Cirey était devenu un enfer de tracasseries et d’inquiétudes : « En vérité il est bien dur, disait-elle, de passer sa vie à batailler dans le sein de la retraite et du bonheur.

1442. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Ces impressions de l’enfance, ressaisies plus tard dans les jugements ou dans les peintures, s’y font sentir par un fonds d’émotion singulière, et sont précisément ce qui y donne la finesse et la vie. […] J’aime de son style, dans les parties délicates, cette efflorescence (je ne sais pas trouver un autre mot) par laquelle il donne à tout le sentiment de la vie et fait frissonner la page elle-même. […] Aussi, lorsque ensuite il plaçait dans un roman ces masses d’objets qui, chez d’autres, eussent ressemblé à des inventaires, c’était avec couleur et vie, c’était avec amour. […] Cela ne se passe point ainsi dans la vie ; cette fille est de la race des Ferragus et des Treize. […] Il est mort d’une maladie de cœur, comme meurent aujourd’hui tant d’hommes parmi ceux qui ont trop ardemment labouré la vie.

1443. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Pourtant la vie intérieure et privée de Frédéric est entièrement connue ; toutes les parties de son caractère sont éclairées ; on a ses lettres, ses vers, ses pamphlets, boutades et facéties, ses confidences de toutes sortes ; il n’a rien fait pour les supprimer, et il est impossible de ne pas reconnaître en lui un autre personnage bien essentiel, et qui est au cœur même de l’homme. […] Considérant Voltaire de loin et d’après ses seuls ouvrages, l’embrassant avec cet enthousiasme de la jeunesse qu’il est honorable d’avoir ressenti au moins une fois dans sa vie, Frédéric le proclame l’unique héritier du grand siècle qui vient de finir, « le plus grand homme de la France et un mortel qui fait honneur à la parole ». […] « Je compte pour un des plus grands bonheurs de ma vie d’être né contemporain d’un homme d’un mérite aussi distingué que le vôtre… » Ce sentiment éclate dans toute cette phase de la correspondance. […] … Il se dira encore : « Quiconque n’est pas poète à vingt ans ne le deviendra de sa vie… Tout homme qui n’est pas né français, ou habitué depuis longtemps à Paris, ne saurait posséder la langue au degré de perfection si nécessaire pour faire de bons vers ou de la prose élégante. » Il se comparera aux vignes « qui se ressentent toujours du terroir où elles sont plantées ». […]  » Il ne semble pas se douter qu’ils ont, en effet, commencé de luire vers la fin de sa vie, et que Goethe déjà est venu.

1444. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

Les L’Hôpital, les de Thou, les Pithou, voilà de grands noms assurément, et dont chacun en particulier pourrait servir d’exemple pour une démonstration ; mais en français, et eu égard aux lecteurs d’aujourd’hui, nul mieux qu’Étienne Pasquier ne les représente au vif dans ses écrits, ne les développe et ne les résume commodément et avec fidélité ; il offre une vie de xvie  siècle au complet, et il a exprimé cette vie dans des ouvrages encore graves et à demi familiers, dans des lettres écrites non pas en latin, mais dans le français du temps, et avec une attention visible de renseigner la postérité. Voyons donc un peu ce qu’était un avocat et un magistrat au xvie  siècle ; donnons-nous quelque idée d’une telle vie : cela réconforte et relève au milieu de tant de faiblesses qui affectent les études, les caractères et les mœurs de nos jours. […] La théorie politique de Pasquier ressort de sa vie même et de ses divers écrits ; elle est purement et simplement celle des parlementaires. […] Il y avait là-dedans un principe organique qui semblait fait pour donner vie et consistance à une classe moyenne, à cette classe que nous avons vue essayer mainte fois de se constituer et de se reformer depuis sous divers noms, mais qui n’a plus su retrouver solidité en elle, ni moralité élevée. […] Si l’on voulait raconter sa vie (ce que viennent de faire si bien ses derniers biographes), il faudrait parler en détail de son plaidoyer pour l’Université contre les Jésuites, et de la longue guerre où ce premier acte l’engagea, lui et sa postérité.

1445. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

j’en ai perdu deux (Jordan et Keyserlingk) que je regretterai toute ma vie et dont le souvenir ne finira qu’avec ma durée… Selon ma façon de penser, l’amitié est indispensable à notre bonheur. […] Tu connais le sort des armes ; la vie des rois n’est pas plus respectée que celle des particuliers. […] Si l’on voulait prendre à cœur toutes les infortunes des particuliers, la vie humaine entière ne serait qu’un tissu d’afflictions. […] Il veut que, pour ce vieux général réduit à l’inaction, et en dédommagement des fatigues et privations de sa vie passée, la vie de chanoine désormais soit complète. […] À l’âge de cinquante ans, on forme difficilement de nouvelles liaisons ; et qu’est-ce que la vie sans les agréments de la société ?

1446. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

Jusqu’aux premières tentatives d’il y a dix ans, le vers français n’a jamais cessé (dans les bonnes pages des bons poètes) d’être, de huit, de douze ou de vingt-quatre syllabes, une phrase mélodique, limitée par le nombre même de ses syllabes, et, par cette limite, acquérant une forme précise, une vie individuelle. […] | (La Clarté de Vie.) […] L’alexandrin s’allonge et s’accourcit selon que l’idée a besoin d’ampleur ou de resserrement et le rejet, comme un rejeton de rosier planté en bonne terre, pousse et verdoie selon sa vie propre : l’allitération et les assonances internes ou finales rejoignent les deux vies et les parent de leurs feuillages. […] La prose rythmique tient à la fois de la prose et du vers  ; c’est ce que nous dit l’auteur d’une ancienne Vie de Saint-Wulfram : elle tend à quelque similitude avec la douce cadence du vers, ad quamdam tinuli rhythmi similitudinem 209 ; elle ne se compose pas absolument de vers, puisque ses vers ou versets n’ont pas un nombre fixe d’accents ; elle n’est point de la prose pure, puisque l’accent y joue un rôle sans doute prépondérant, quoique obscur. […] Or il semble que le vers nouveau, le vers libre, peut aussi se dire tout simplement : une période musicale ; et cette période, demeurant liée harmoniquement à toutes les autres périodes du poème, doit cependant pouvoir en être séparée et alors vivre d’une vie propre, une, absolue.

1447. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Quel est l’illustre qui n’a pas eu un Baudelaire dans sa vie ? […] Comme vous savez, l’auteur de la Vie de Bohême est chasseur. […] De même, l’œuvre plus restreint de Murger peut se ranger tout entier sous celui-ci : Scènes de la vie de Bohême. […] Vous leur refusez les moyens d’aimer légalement et pour la vie, vous n’avez pas le droit de les blâmer d’aimer en dehors des lois et au jour le jour. […] C’est que la science de la vie leur a laissé à tous trois le regret et le culte des illusions parties.

1448. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Dans sa conception égocentrique de la vie il sacrifierait volontiers à ses jouissances tout le reste de l’Humanité. […] À la versification plate et monotone des Parnassiens, ils ont substitué une poésie vibrante et sonore où l’on sent passer comme des frissons de vie. […] Sous la peau blanche et fine, le sang afflue et fait éclater dans toute leur force la vie et la santé. […] En voici un extrait : « Nous sommes des socialistes, et si nous entrevoyons l’Art comme but suprême de la vie, c’est dans la Science que nous voulons le chercher, non dans la Révélation. […] Aujourd’hui l’hôpital est devenu l’idéal de la vie des poètes.

1449. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Blanc Saint-Bonnet a passé sa vie dans les plus hautes études. […] Il s’en distingue principalement par là qu’il n’est point l’expression d’une sensibilité éplorée ou d’un ressentiment désespéré contre l’insupportable et incompréhensible douleur de la vie. […] Dans ce sujet d’un livre qui prêtait le plus à la lâche sentimentalité des hommes, on ne trouvera, pour mettre autour de son cœur navré par l’éternelle douleur de la vie, que des choses d’une vigueur sublime… Saint-Bonnet, l’auteur de la Chute, — de ce livre dont nous n’avons, hélas ! […] Cette loi sublime, il la montre et la suit dans tous les phénomènes qu’ils appellent, eux, le mal de la vie : la faim, — tout commence par la faim, dit-il, — le travail, l’esclavage, les infirmités des organes, les maladies, la vieillesse, — dont il donne la raison divine, la raison suprême et rayonnante, — et enfin la mort, qui commence la grande vie. Sans ce mal de la vie ici-bas, qui est toute la vie, l’homme n’agirait pas : « La liberté, ce pouvoir d’être cause, — dit, avec sa profondeur perpétuelle, Saint-Bonnet, — cette faculté du mérite, exige que l’homme se refasse lui-même.

1450. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

ce qui me frappe d’abord et ce qui frappera tout le monde, c’est cette unité de pensée qui commence, et qui, sortie des abîmes de l’homme et de son être, va prendre l’homme tout entier et s’asservir sa vie. Ce qui me frappe, c’est que le mâle génie du Pape et des Soirées de Saint-Pétersbourg, plus ferme encore que Bossuet sur sa base, à quelque époque qu’on s’avance ou qu’on recule dans sa vie, n’ait jamais eu qu’une pensée que, sous sa plume unitaire, on retrouve toujours. […] C’est la notion de l’unité, je n’en doute pas, qui le fit rationnellement et scientifiquement catholique, quand l’heure eut sonné dans sa vie de le devenir ainsi, après l’avoir été d’abord d’éducation, de sentiment et de foi. […] Dans la pensée comme dans la vie, il eut le calme des grandes convictions, qui font le fond des plus grands génies. […] Soit qu’elles s’appellent : Fragment sur la France, Bienfaits de la Révolution, Études sur la Souveraineté, L’Inégalité des conditions, Du Protestantisme et de la Souveraineté encore, c’est toujours le même problème, posé dès qu’il a pensé, je crois, et que de Maistre a passé sa vie à retourner sur toutes les faces.

1451. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

qu’à applaudir à cette faveur d’une tombe dans la patrie, faite à un poète qui fut national et qui était assez pauvre pour rester exilé, après sa vie, à la place où il était mort… Avec la grâce franche, qui décore le don même qu’elle fait, le Ministre de l’instruction publique, qui est le Ministre des Lettres, a regretté de ne pas avoir à offrir à la famille de Brizeux une somme plus forte que celle qu’il a déposée sur son cercueil. […] II Tel fut l’enseignement de sa vie et le triste destin de Brizeux. […] C’était la plainte interrompue, reprise et répétée, d’un homme au premier amour de sa vie, et qui n’avait pas su se faire aimer. […] Si pour Byron la première douleur de l’existence ne fut bientôt que ce rêve inouï qu’il a si divinement chanté ; pour Brizeux, le rêve lui-même était la vie, et quand, éphémère comme tous nos songes, le rêve douloureux s’en alla, la vie qu’il était, la vie poétique de l’auteur de Marie, s’en fut avec lui ! […] « Heureux, ajoute-t-il, qui s’en tient aux seules émotions de l’âme, aux habitudes du foyer, aux simples soirs du pays natal… mais combien pourraient dans la vie et dans l’art négliger la science et impunément se passer d’elle ? 

1452. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Elle s’empare plus ou moins de tous ceux qui ont goûté à cette vie rapide, laborieuse et mondaine, moqueuse et cordiale tout ensemble ; elle s’impose aux plus sages, et aux autres. […] — Êtes-vous heureux, diront-ils ; vous avez la paix, une vue délicieuse, des excursions, une liberté, une vie à bon marché ! […] Là il n’était pas ridicule, il était admirable, il sortait du domaine comique, il devenait un acteur du grand drame qu’est la vie d’une nation : il était un bon serviteur de la France. […] Ils n’avaient pas cet amour fraternel et ce respect de la vie humaine qui peuvent seuls édifier une œuvre de justice, soit en littérature, soit en politique. […] Pour cette raison et pour d’autres qui se devinent, la vie de ceux-ci est généralement occupée et sérieuse.

1453. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

. — Écrivant dans sa vieillesse un parallèle de Thémistocle et d’Aristide comme modèle pour perfectionner les Vies de Plutarque, il adresse ce petit écrit à Mme Dupin, femme du fermier général, l’une des quatre ou cinq jolies femmes de Paris qui s’étaient engouées de lui, et il lui dit dans sa lettre d’envoi : Voilà, madame, Aristide et Témistocle dont j’ai comancé la vie dans ce charmant séjour que vous habitez (à Chenonceaux) ; vous les trouverez écrites suivant ce nouveau plan que je vous propozai un jour sur les bords du Cher dans une de nos promenades filozofiques où vous trouviez tant de plézir… J’avoue que j’eus une grande joie de voir ainsi qu’à votre âge, et avec les charmes de la jeunesse, vous étiez capable d’estimer le sansé, lorsque tout ce qui vous anvironne n’estime que l’agréable présant, au lieu que l’utile ou le sansé ne regarde que l’agréable futur. […] C’est dans cette période de sa vie, j’imagine (car je ne vois pas d’autre moment où placer convenablement cet épisode) que le digne abbé, qui avait d’ailleurs des mœurs pures, mais non pas dans le sens strict de sa profession et de son ministère, paya son tribut à la faiblesse humaine. […] Mais si Bossuet pourtant s’oublie dans une oraison funèbre jusqu’à faire de l’ancien secrétaire d’État Le Tellier, de cet homme d’esprit doucereux et fin, une majestueuse figure de chef de justice et un pendant de L’Hôpital, on n’est pas fâché d’entendre l’abbé de Saint-Pierre réduire la figure à ses justes proportions, et mettant, comme on dit vulgairement, les pieds dans le plat, nous dire crûment : Il (Le Tellier) n’eut durant sa vie que le même but qu’ont les hommes du commun dans la leur, et ce but fut d’enrichir sa famille et d’augmenter son pouvoir tous les jours par des charges, par des emplois, par des alliances, par des richesses, par des dignités et surtout par la faveur du roi. […] » — On sait son mot à Mme Geoffrin qui, après une soirée passée entre eux deux en tête-à-tête, et où elle avait tiré de lui tout le parti possible, lui faisait compliment : « Je suis un mauvais instrument dont vous avez bien joué. » — Âgé de quatre-vingt-cinq ans et près de sa fin, il répondit à Voltaire qui lui demandait comment il considérait ce passage de la vie à la mort : « Comme un voyage à la campagne. » — Avec une suite de ces mots-là on ferait de lui un portrait agréable et un peu menteur. […] Cette religion évangélique purement morale, dans laquelle le prêtre n’est plus qu’un officier de bonnes mœurs et un agent de bienfaisance ; où l’on espère passionnément en l’autre vie, même quand on n’en est pas très sûr, mais parce que c’est une croyance utile et salutaire ; où le curé en cheveux blancs, qui ne sait que donner et pardonner, ressemble à un bon père de famille souriant selon la maxime que « l’air gracieux et serein doit être la parure de l’homme vertueux » ; cette religion du curé de Mélanie et à la Boissy-d’Anglas, religion de tolérance, de doute autant que de foi, et où l’arbitre du dogme ne trouve à dire à son contradicteur dans la dispute que cette parole calmante : « Je ne suis pas encore de votre avis », comme s’il ne désespérait pas de pouvoir changer d’avis un jour ; ce théisme doucement rationalisé et sensibilisé, à ravir un Bernardin de Saint-Pierre et à attendrir un Marmontel, n’est pas du tout la religion de Fénelon, comme on l’a souvent appelé, mais c’est bien la religion de l’abbé de Saint-Pierre.

1454. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

. — Scènes de la vie : Les Belles Poupées (1888). — Les Cariatides ; Roses de Noël (1889). […] Théodore de Banville est un poète lyrique hypnotisé par la rime, le dernier venu, le plus amusé et dans ses bons jours le plus amusant des romantiques, un clown en poésie qui a eu dans sa vie plusieurs idées, dont la plus persistante a été de n’exprimer aucune idée dans ses vers… M.  […] Vraiment il plane et n’effleure que la surface brillante de l’univers, comme un dieu innocent et ignorant de ce qui est au-dessous, ou plutôt comme un être paradoxal et fantasque, un porte-lauriers pour de bon qui se promène dans la vie comme dans un rêve magnifique et à qui la réalité, même contemporaine n’apparaît qu’à travers des souvenirs de mythologie, des voiles éclatants et transparents qui la colorent et l’agrandissent. […] Ces Idylles prussiennes, sur lesquelles je veux particulièrement insister, ne sont pas seulement les plus belles poésies du volume, mais elles portent avec elles un caractère de nouveauté si peu attendu et si étonnant, qu’en vérité on peut tout croire de la puissance d’un poète qui, après trente ans de la vie poétique de la plus stricte unité, apparaît poète tout à coup dans un tout autre ordre de sentiments et d’idées, — et poète, comme certainement jusque-là il ne l’avait jamais été ! […] La fable et la fantaisie ; toute l’irréalité magnifique, la Muse et la Bacchante, les mains unies ; une fête prolongée, travestie et nuptiale, sans l’amertume des lendemains, ni la lie des regrets, ni la cruauté des revers, — ainsi la vie ; l’Olympe et la Comédie italienne fraternisant parmi des plasticités somptueuses et les Dieux souriants, doux au bonheur des hommes, — ainsi la destinée… Ainsi se manifestait à ses yeux la splendeur des formes, une enfance du monde….

1455. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

L’imprévu et l’inédit, pour les sots qui n’ont pas su organiser leur vie de sorte qu’ils voient le monde, sont dans les relations des promenades qu’ont faites d’autres mieux avisés. […] Sensuel mieux qu’amateur d’idées, ou plutôt actif sans emploi et obligé de porter ses déductions dans sa vie, il ne s’est pas satisfait à dépiquer Lassalle ou Morris, il a tenté une expérience de bonheur social. […] Qu’on demeure attaché à se vouloir le meilleur possible : l’œuvre que sera la vie ainsi cultivée sera visible ; on l’admirera, et par instinct d’amour-propre on l’égalera. […] La contemplation des vies harmonieuses provoquera la création d’existences nobles. […] Ne travaillons qu’à notre vie plus belle.

1456. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Il est certain que ces dispositions premières sont développées ou atrophiées, en tout cas modifiées par la vie. […] Il disait un jour : « J’ai trop souffert en cette vie pour n’en pas attendre une autre. […] Elle amène, en général, une recrudescence à la fois de vie religieuse et de vie sensuelle. […] C’est, de nos jours, la vie ardente et artificielle des grands centres, l’abus de l’alcool, de la morphine, des excitants, des plaisirs faciles. […] Les morphinomanes, les adeptes de la vie à rebours n’ont pas manqué de nos jours sous l’action de certains courants littéraires.

1457. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

. — Le docteur Maudsley a développé avec beaucoup d’ardeur cette thèse : que les phénomènes ne diffèrent qu’en ce que les plus élevés sont produits par une concentration, les moins élevés par une dispersion de la force : une unité de pensée équivaudrait à plusieurs unités de vie, une unité de vie à plusieurs unités de force purement mécanique. […] Mais les phénomènes de l’esprit ne sont qu’une partie des phénomènes de la vie et la loi d’association n’est qu’un cas particulier, quoique très important d’une loi qui est vraie de tous les phénomènes de la vie, — la loi d’habitude. » Il considère aussi les concepts de temps et d’espace, comme les résultats de l’expérience, mais de l’expérience de la race et non de l’expérience individuelle. […] Elle ne dédaigne point les manifestations les plus humbles de la vie psychique, se rappelant que rien n’a été plus utile à la physiologie comparée que l’étude des organismes infimes. La conscience est le mot qui exprime, de la manière la plus générale, les diverses manifestations de la vie psychologique.

1458. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Voulez-vous savoir si le monde reprend à la vie, si la société se remet à flot et rentre à pleines voiles dans ses élégances et ses largesses ? […] La civilisation, la vie, sachons-le bien, est chose apprise et inventée, perfectionnée à la sueur du front de bien des générations, et à l’aid’une succession d’hommes de génie, suivis eux-mêmes et assistés d’une infinité d’hommes de goût. […] Tandis qu’une grande actrice y rendait la vie et la fraîcheur aux chefs-d’œuvre, de légers et poétiques talents y introduisaient la fantaisie moderne dans sa plus vive étincelle. […] Ce qu’il faut de plus en plus à la France, appelée indistinctement à la vie de tribune et jetée tout entière sur la place publique, c’est une école de bonne langue, de belle et haute littérature, un organe permanent et pur de tradition. […] La vie publique nous envahit ; des centaines d’hommes politiques arrivent chaque année des départements avec des qualités plus ou moins spéciales et des intentions que je crois excellentes, mais avec un langage et un accent plus ou moins mélangés.

1459. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

En restant dans l’ordre purement humain de la logique, cette biographie est évidemment une promesse, et qui ne sera suivie d’aucune surprise, car, avant d’être Léon XIII, celui qui porte maintenant ce nom a, toute sa longue vie, montré l’aptitude la plus haute, la plus appliquée et la plus soutenue au gouvernement moral et politique des hommes. […] Ainsi, le caractère et l’unité dans la vie, voilà les qualités premières qui frappent en Léon XIII, et qui sont si grandes que tout d’abord elles empêchent de voir en lui autre chose. […] Mais le caractère et l’unité dans la vie n’en sont pas moins les qualités principales de Léon XIII, l’étoffe et le fond de sa personnalité, et qui s’en dégagent comme deux rayons, — les deux rayons du front de Moïse ! Le caractère et l’unité dans la vie, c’est-à-dire, après tout, les qualités les plus mâles et les plus rares toujours, mais particulièrement dans ce temps d’inconséquence et d’amollissement universels ! […] Il a donc soixante-et-dix ans, mais ce qui est la vieillesse pour le commun des hommes ne l’est point pour les Papes, qui pratiquent l’hygiène des vertus et sont trempés, comme des aciers, dans la chasteté de la vie.

1460. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

Quand l’homme ne comprend plus rien à la vie, il invente et il applique, à tort et à travers, le mot de destin… Et il en est de même pour la Gloire, bien souvent aussi incompréhensible que la vie. […] Et comme, depuis 1830, le matérialisme du xviiie  siècle, interrompu par le spiritualisme philosophique de la Restauration, trop vague pour lui résister, a repris la société moderne qu’il s’est définitivement asservie ; comme Sainte-Beuve, sceptique autant que Planche, lui a survécu et est devenu résolument matérialiste au déclin de sa vie, marquant en lui le progrès des esprits vers cette effroyable erreur absolue dans laquelle le monde presque tout entier verse en ce moment, le succès de Manon Lescaut devait grandir et a grandi. […] car il ne faut pas que les femmes qui liront ta vie deviennent, en la lisant, des coquines comme toi !  […] Et il y a aussi à flétrir la société du xviiie  siècle, dont cette histoire est sortie comme un de ces animalcules, dit Dumas, qui sont la pourriture de la vie ! […] Il a beau nous raconter la vie de cette fille, qu’il nous dit si jolie et si voluptueuse, il ne rose ni ne rougit son récit de la fraîcheur de sa jeunesse ou de l’émotion de son plaisir.

1461. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

La première propriété fut divine : Dieu s’appropria les premiers hommes peu nombreux, qu’il tira de la vie sauvage pour commencer la vie sociale. — La seconde propriété fut humaine, et dans le sens le plus exact ; elle consista pour l’homme dans la possession de ce qu’on ne peut lui ôter sans l’anéantir, dans le libre usage de sa volonté. […] Le premier acte libre des hommes fut d’abandonner la vie vagabonde qu’ils menaient dans la vaste forêt qui couvrait la terre, et de s’accoutumer à une vie sédentaire, si opposée à leurs habitudes. — Le troisième genre de propriété fut celle de droit naturel. Les premiers hommes qui abandonnaient la vie vagabonde occupèrent des terres et y restèrent longtemps ; ils en devinrent seigneurs par droit d’occupation et de longue possession. […] Il compose le genre humain à sa naissance d’hommes simples et débonnaires, qui auraient été poussés par l’intérêt à la vie sociale ; c’est dans le fait l’hypothèse d’Épicure.Puis vient Selden, qui appuie son système sur le petit nombre de lois que Dieu dicta aux enfants de Noé.

1462. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

il s’est mis à en parler en vers et comme s’il n’avait jamais fait que cela toute sa vie. […] C’était alors un genre à la mode, et chacun lui payait son tribut en passant, une fois au moins en sa vie. […] Mais quiconque a pratiqué et goûté les vieux maîtres de notre xvie  siècle ne saurait accorder trop d’estime à leur disciple original, à l’aimable et modeste poëte qui a eu de dures années de jeunesse et qui s’en dédommage aujourd’hui dans d’ingénieux loisirs ; qui aime la nature, la campagne, l’amour, l’amitié et toutes les belles et bonnes choses de l’art et de la vie. […] Félix Arvers, qui n’a pas toujours visé très-haut dans l’art, qui n’a pas réalisé toutes les espérances qu’avaient fait naître ses brillants débuts, ses succès universitaires, qui s’est un peu dispersé dans les petits théâtres et dans les plaisirs, a eu dans sa vie une bonne fortune ; il a éprouvé une fois un sentiment vrai, délicat, profond, et il l’a exprimé dans un sonnet adorable. […] Si Arvers a beaucoup péché, il lui sera beaucoup pardonné pour ce sonnet-là : Mon âme a son secret, ma vie a son mystère, Un amour éternel en un moment conçu : Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire, Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su Hélas !

1463. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

Une vie sobre, un ciel voilé, quelque mortification dans les désirs, une habitude recueillie et solitaire, tout cela me pénètre, m’attendrit et m’incline insensiblement à croire. IX Je suis arrivé dans la vie à l’indifférence complète. […] XI La pensée est la superfluité de la vie : dans la jeunesse, on peut la mener de front avec les autres dépenses du dedans ; mais plus tard elle devient incompatible avec l’excès ou même avec l’usage des plaisirs. […] XVII De ce que la vie serait en définitive (ce que je crois) une partie qu’il faut toujours perdre, il ne s’ensuit point qu’il ne faille pas la jouer de son mieux et tâcher de la perdre le plus tard possible. […] XXXIV Il faut du loisir pour l’agrément de la vie ; les esprits qui ont toute leur charge ne sauraient avoir de douceur.

1464. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Musset, Alfred de (1810-1857) »

Il s’est lâché à travers la vie comme un cheval de race, cabré dans la campagne, que l’odeur des plantes et la magnifique nouveauté du vaste ciel précipitent à pleine poitrine dans des courses folles qui brisent tout et vont le briser. Il a trop demandé aux choses ; il a voulu d’un trait, âprement et avidement, savourer toute la vie : il ne l’a point cueillie, il ne l’a point goûtée ; il l’a arrachée comme une grappe et pressée, et froissée, et tordue ; et il est resté les mains salies, aussi altéré que devant. […] Théodore de Banville Je voudrais le montrer non tel que l’a dessiné Gavarni en cette lithographie exquise où le dandy-poète, déjà fatigué de la lutte, pâli par les veilles, ferme à demi ses yeux et regarde tristement le fantôme de la vie ; — mais fier, charmant, jeune, beau comme dans le médaillon où David nous conserva l’image de son enfance adorable, et tel qu’il apparut à cette soirée chez Charles Nodier, où il lut pour la première fois les Contes d’Espagne et d’Italie, et d’où il sortit célèbre. […] Il a su faire de beaux vers de très bonne heure ; et, encore adolescent de cœur assez avant dans la vie, il a eu toute l’ardeur de la passion quand il avait tout le talent pour la peindre. […] C’est, du reste, Musset qui, dans Une soirée perdue, à propos du Misanthrope, a le mieux marqué la différence essentielle des deux théâtres, le théâtre d’intrigue et le théâtre de pensée, le théâtre qui amuse et celui qui émeut, en montrant le prix d’une pièce comme le Misanthrope au regard de celles qui visent avant tout à « servir à point un dénouement bien écrit », du théâtre qui se tient au niveau de la vie ou s’élève au-dessus d’elle, en comparaison de celui qui atteint son but : Si l’intrigue, enlacée et roulée en feston, Tourne comme un rébus autour d’un mirliton.

1465. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXII. Philosophie politique »

Quand Goëthe ne pensait pas à « sa spirale », il disait honnêtement : « Si je voulais consigner par écrit la somme de ce qui a quelque valeur dans les sciences dont je me suis occupé toute ma vie, ce manuscrit serait si mince que vous pourriez l’emporter sous une enveloppe de lettre. » Toute l’histoire de la philosophie, qui en était, peut donc tenir sur une carte à jouer. […] La vie intellectuelle ressemble à la vie morale. […] Il ne s’agit pas ici, bien entendu, des talents du gymnaste intellectuel que l’on appelle un philosophe, ni même de la dorure de bec de la Gloire, qui répète parfois et crie des noms, comme les perroquets, sans rien y comprendre, mais il s’agit des hommes qui représentent pour les avoir réellement exprimées le petit nombre de vérités nécessaires à la vie et à l’honneur de l’esprit humain. […] parce qu’il est une créature de passage, d’inquiétude et d’orgueil, qui veut savoir pour ne pas se soumettre ; mais sa triple vie morale, sociale, intellectuelle, ne dépend pas de si peu que cela !

1466. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « Mme DESBORDES-VALMORE. (Pauvres Fleurs, poésies.) » pp. 115-123

Elle n’est pas de ces âmes pour qui la poésie n’a qu’un âge, et qui, en avançant dans cette lande de plus en plus dépouillée qu’on appelle la vie, s’enferment, se dérobent désormais, se taisent. […] Pour elle chaque souffrance est un chant : c’est dire que, depuis ces cinq années, dans les vicissitudes de sa vie errante, elle n’a pas cessé de chanter. […] Oui, ma fille, plus tard Vous trouverez l’amour et la vie… autre part. » Dans une autre pièce qui a pour titre : Avant toi ! […] Veux-tu recommencer la vie, Femme, dont le front va pâlir ; Veux-tu l’enfance, encor suivie D’anges enfants pour l’embellir ?

1467. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

Pour moi, il me semble que ces hommes, doués d’une seconde vue, sont assez semblables à ces chauves-souris en qui le savant anatomiste Spallanzani a découvert un sixième sens plus accompli à lui seul que tous les autres… Ce sixième sens, si admirable, consiste à sentir dans chaque objet, dans chaque personne, dans chaque événement, le côté excentrique pour lequel nous ne trouvons point de comparaison dans la vie commune et que nous nous plaisons à nommer le merveilleux… Je sais quelqu’un en qui cet esprit de vision semble une chose toute naturelle. […] En un temps où on est las de toutes les sensations et où il semble qu’on ait épuisé les manières les plus ordinaires de peindre et d’émouvoir, en un temps où les larges sentiers de la nature et de la vie sont battus, et où les troupeaux d’imitateurs qui se précipitent sur les traces des maîtres ne savent que soulever des flots de poussière suffocante, lorsqu’on avait tout lieu de croire que le tour du monde était achevé dans l’art, et qu’il restait beaucoup à transformer et à remanier sans doute, mais rien de bien nouveau à découvrir, Hoffmann s’en est venu qui, aux limites des choses visibles et sur la lisière de l’univers réel, a trouvé je ne sais quel coin obscur, mystérieux et jusque-là inaperçu, dans lequel il nous a appris à discerner des reflets particuliers de la lumière d’ici-bas, des ombres étranges projetées et des rouages subtils, et tout un revers imprévu des perspectives naturelles et des destinées humaines auxquelles nous étions le plus accoutumés. […] Plus d’une fois, au milieu de joyeux compagnons, et autour du punch bleuâtre, il lui est revenu d’amères pensées, des regrets du cloître et de la vie des vieux temps, et comme il l’a dit lui-même, un amour inouï, un désir effréné pour un objet qu’il n’aurait pu définir ; plus d’une fois son cœur a battu d’une émotion douloureuse en voyant à l’horizon des cités germaniques planer ces magnifiques monuments qui racontent comme des langues éloquentes l’éclat, la pieuse persévérance, et la grandeur réelle des âges passés. […] Malgré les représentations de ses amis et les sarcasmes des autres étudiants, le bon Eugène se condamne à cette vie par amour pour la botanique, et cela dure quelque temps sans encombre ; mais enfin la nature se déclare ; une lente consomption s’empare du pauvre jeune homme qui s’en aperçoit à peine, puis qui tâche violemment de s’y soustraire.

1468. (1874) Premiers lundis. Tome II « H. de Balzac. Études de mœurs au xixe  siècle. — La Femme supérieure, La Maison Nucingen, La Torpille. »

Ce noble exemple, tant ridiculisé par un monde aveugle, me paraît, à lui seul, capable de racheter les erreurs de sa vie… Il y a loin de la dignité d’action du pauvre Rousseau à la pompeuse fortune littéraire des spéculateurs en philanthropie, Voltaire et son écho lointain Beaumarchais… » M. de Balzac, après avoir, non sans raison, remarqué que cette sévérité contre les auteurs qui vendent leurs livres siérait mieux peut-être sous une plume moins privilégiée à tous égards que celle de M. de Custine, se donne carrière à son tour, se jette sur les contrefaçons, agite tout ce qu’il peut trouver de souvenirs à la fois millionnaires et littéraires : la conclusion est qu’à moins de devenir riche comme un fermier général, on se maintient mal aisément un grand écrivain. […] sans doute, l’argent, dans la vie et dans le talent de l’écrivain, pèse pour quelque chose. […] Le portrait, la description de la personne et de la vie de la Torpille (c’est l’odieux nom de la pauvre fille perdue) accusent ces observations profondes et fines particulières à l’auteur, et respirent une complaisance amollie qui s’insinue bientôt au lecteur, si elle ne le rebute tout d’abord : c’est là un secret et comme un maléfice de ce talent, quelque peu suborneur, qui pénètre furtivement, même au cœur des femmes honnêtes, comme un docteur à privautés par l’alcôve. […] A côté des portions bien observées, qu’exprime un style trop complice de son sujet, l’auteur a laissé échapper de singulières inadvertances : en un endroit, Marion Delorme se trouve être une courtisane du xvie  siècle, par opposition à Ninon, qui est du xviie  ; ailleurs, la vie de Mazarin est donnée comme bien autrement dominatrice que celle de Richelieu, lequel meurt à la fleur du pouvoir : cela devient fabuleux.

1469. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

Il est des passions qui n’ont pas précisément de but, et cependant remplissent une grande partie de la vie ; elles agissent sur l’existence sans la diriger, et l’on sacrifie le bonheur à leur puissance négative ; car, par leur nature, elles n’offrent pas même l’illusion d’un espoir et d’un avenir, mais seulement elles donnent le besoin de satisfaire l’âpre sentiment qu’elles inspirent ; il semble que de telles passions ne sont composées que du mauvais succès de toutes ; de ce nombre, mais avec des nuances différentes, sont l’envie et la vengeance. […] Il ne peut être question de bonheur positif obtenu par elle, puisqu’elle ne doit sa naissance qu’à une grande douleur, qu’on croit adoucir en la faisant partager à celui qui l’a causée ; mais il n’est personne qui, dans diverses circonstances de sa vie, n’ait ressenti l’impulsion de la vengeance ; elle dérive immédiatement de la justice, quoique ses effets y soient souvent si contraires : faire aux autres le mal qu’ils vous ont fait, se présente d’abord comme une maxime équitable ; mais ce qu’il y a de naturel dans cette passion ne rend ses conséquences ni plus heureuses, ni moins coupables ; c’est à combattre les mouvements involontaires qui entraînent vers un but condamnable, que la raison est particulièrement destinée ; car la réflexion est autant dans la nature que l’impulsion. […] Si la vengeance n’est pas proscrite par l’esprit public dans une nation où chaque individu existe de toute sa force personnelle, où le despotisme ne comprimant point la masse, chaque homme a une valeur et une puissance particulière, les individus finiront par haïr tous les individus, et le lien de parti se rompant à mesure qu’un nouveau mouvement crée de nouvelles divisions, il n’y aura point d’homme qui n’ait, après un certain temps, des motifs pour détester successivement tout ce qu’il a connu dans sa vie. […] La France ne peut être sauvée que par ce moyen, et les partisans de la liberté, les amateurs des arts, les admirateurs du génie, les amis d’un beau ciel, d’une nature féconde, tout ce qui sait penser, tout ce qui a besoin de sentir, tout ce qui veut vivre, enfin, de la vie des idées, ou des sensations fortes, implore à grands cris le salut de cette France.

1470. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

Léon Dierx, d’une bien haute inspiration dans son Lazare, étrange et sombre poème où est évoquée la figure du ressuscité, incapable de se reprendre à la vie, maintenant qu’il a vu la mort face à face. […] Il n’y a nulle exagération à dire, et le disant on n’apprend rien à personne, qu’il est et demeurera une des plus hautes figures littéraires de notre temps, et par un très haut talent et par cette vie entièrement dédiée à la poésie, et à la plus hautaine. […] Cet homme vénérable et charmant a su répandre une égale innocence dans toute sa vie et dans toute son œuvre à la fois. […] Léon Deschamps Le poète dont la vie fut noblement acquise à l’art, celui dont l’œuvre témoigne d’un inquiétant souci de beauté souveraine, est M. 

1471. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Un poëte ne doit donc pas faire sauver la vie à Tomiris par Cyrus, ni faire tuer Brutus par Cesar. […] La circonstance que le poëte change n’est point assez importante pour la conserver aux dépens du pathetique que la vie d’un homme, sacrifiée pour faire une épreuve, jette dans le recit, et de l’embarras qu’il y auroit à raconter cet incident comme le narrent les historiens. […] Enfin ce fait est détruit par tout ce que les historiens nous apprennent de la vie de Junia Calvina. […] Corneille de faire cette faute en confondant deux Flaminius, quand les sçavans la reprochoient depuis long-tems à l’auteur de la vie des hommes illustres, qui est sous le nom d’Aurelius Victor.

1472. (1912) L’art de lire « Chapitre VII. Les mauvais auteurs »

Il n’y a rien de plus inutile que la grande partie de sa vie que Boileau a passée à lire de mauvais auteurs pour se moquer d’eux, et je vois là une grande petitesse d’esprit. […] Boileau épuisant sa malignité sur les méchants ouvrages, était d’humeur aimable dans le cours ordinaire de la vie ; Racine, criblant d’épigrammes les mauvais auteurs, demeurait d’humeur maligne dans son domestique, même à l’égard de son meilleur ami. […] Pourquoi aime-t-il à lire les livres, puisque, jamais non pas une seule fois de sa vie, il n’en a trouvé un bon ? […] Les seconds, de toute leur vie, ne liront que leur journal, en en choisissant un où l’on ne fera jamais de critique littéraire ; de quoi il ne faut pas les blâmer, car on est bien plus sot en contrariant sa nature qu’en la suivant Voilà les trois catégories.

1473. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot »

Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot Essai sur la vie et les ouvrages de Henri Estienne, suivi de la Conformité du langage français avec le grec ; Essai sur la Typographie. […] Homme de son temps et, il faut bien le dire, de sa fonction, Feugère n’a pas choisi par simple caprice d’intelligence cette vie d’Henri Estienne pour nous la raconter et cet ouvrage de la Conformité du langage français avec le grec 8 pour nous en donner une édition qu’on ne lui demandait pas. […] Il est évident, en effet, pour tous ceux qui savent mesurer la portée d’un livre à travers les précautions qui l’enveloppent ou le scepticisme qui l’énerve, qu’on peut déduire de la vie d’Henri Estienne des conclusions qui ne sont peut-être pas dans la pensée de son biographe, mais qui, pour n’en avoir pas été nettement et explicitement rejetées, doivent se retourner contre lui. […] Choses du métier, bibliographie, critique aiguisée d’érudition, vies des hommes illustres ou considérables dans l’art dont il raconte les développements et les découvertes, tout se trouve donc dans cette forte brochure, qui n’est pas seulement l’histoire des faits, mais, de plus, l’exposé fidèle des diverses législations qui ont, principalement en France, régi l’imprimerie, ce grand domaine matériel et intellectuel de l’État.

1474. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIII » pp. 244-246

est-ce de la vie ? […] Cette poésie-là me paraît comme de l’albâtre assez artistement travaillé, mais pâle, sans couleur ; la vie et le sang n’y circulent pas. […] Ainsi, page 315, dans la strophe : Mais à moins qu’un ami menacé dans sa vie Ne jette en appelant le cri du désespoir, Ou qu’avec son clairon la France nous convie, etc.

1475. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Houssaye, Arsène (1815-1896) »

Jules Claretie C’est un romantique d’une espèce particulière, un poète de la fantaisie et du caprice ; admirateur de Hugo et de Sterne à la fois voyageant à son gré à travers la vie, un indépendant qui court après les papillons et les libellules et qui trouvait, comme le peintre Chaplin, que le reste est dans la nature aussi bien que le bitume et l’ocre jaune. […] Il aura, jusqu’à la fin de sa vie, incarné une génération disparue, une jeunesse depuis longtemps défunte, la libre et élégante jeunesse des poètes de la rue du Doyenné, des Gérard de Nerval, des Gautier, des Nanteuil, des Camille Roqueplan. […] [La Vie à Paris (1896).]

1476. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Laurent semble avoir été pour Delille le programme qu’il se posa, ou, si c’est trop dire, l’écheveau qu’il tourna et dévida toute sa vie. […] A son retour en France, il reprit sa vie mi-partie studieuse et distraite, et la Révolution seule la vint troubler. […] Cette époque de sa vie est assez obscure, et l’esprit de parti qui s’en est mêlé plus tard n’a pas aidé à l’éclaircir. […] Pour nous, les œuvres, la vie et la personne du poëte sont devenues ressemblantes. […] Ils passèrent leur vie à se faire des niches.

1477. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Ce n’est pas dans le monde abstrait de la raison pure qu’on devient sympathique à la vie ; tout ce qui touche et émeut tient toujours un peu au corps. […] C’est sa vie que nous voulons savoir ; or, la vie, c’est le corps et l’âme, non pas posés vis-à-vis l’un de l’autre comme deux horloges qui battent ensemble, non pas soudés comme deux métaux différents, mais unifiés dans un grand phénomène à deux faces, qu’on ne peut scinder sans le détruire. […] Eugène Burnouf ne s’est jamais pris de colère contre les auteurs de la vie fabuleuse de Bouddha, et que ceux qui, parmi les Euro-péens, ont écrit l’histoire de Mahomet n’ont jamais ressenti un bien violent dépit contre Abulféda et les auteurs musulmans qui ont écrit en vrais croyants la vie de leur prophète. […] Pleines de vie et de vérité pour les peuples qui les ont créées, elles ne sont pour nous qu’un objet d’analyse et de dissection. […] Où la vie est-elle plus naïve que dans l’animal ?

1478. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IX : Insuffisance des documents géologiques »

D’autre côté, au contraire, aussi longtemps que le lit de la mer demeure stationnaire, d’épais dépôts ne peuvent s’accumuler dans les régions peu profondes qui sont les plus favorables à la vie. […] Murchison à leur tête, sont convaincus que nous voyons dans les restes organiques des couches Siluriennes inférieures l’aube de la vie sur notre planète. […] Des traces de vie ont été découvertes dans les roches du Longmynd, au-dessous de la zone dite primordiale de M.  […] Quelques Ibis égyptiens étant venus à émigrer auraient donné naissance à une variété nouvelle, que la souche demeurée en Égypte sous des conditions de vie constantes n’en aurait point été altérée. […] Cette apparition première a sans nul doute été de beaucoup postérieure aux premiers développements de la vie organique sur la terre.

1479. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Il s’y était décidé dans les derniers temps de sa vie. […] Mais pourquoi, puisque sa vie est si précieuse ? […] Et quel art admirable, quelle vie, quel éclat dans ces tableaux ! […] C’est bien l’image de la vie. […] De bonheur domestique, de vie intérieure, point.

1480. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

La fin de sa vie n’a pas ressemblé à une partie de whist où l’on gagne en calculant51. […] Il désirait retarder le plus possible, afin d’être bien sûr que cet instant fût le dernier de sa vie. […] Son cuisinier est resté célèbre et entrait pour une grande part dans la base de son régime, dans la composition de sa vie. […] Des gens d’esprit comme lui ne mettent jamais le pire de leur pensée ou de leur vie dans des papiers écrits. […] Il n’y a pas de quoi lui en faire un crime, car cela s’explique très bien ; mais pourtant ce n’est pas là un honneur ni un bonheur dans sa vie.

1481. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Le chant du pâtre, les voix de la famille assise un moment dans le sillon, tout ce qui a le son de la vie, répond en lui à des places secrètes, et le provoque à dire les joies ou les douleurs des mortels. […] L’orage grondant vient battre les murs de la sainte maison dans laquelle il prolongeait sa vie de prière, et parfois de rêverie. […] Penrose, s’il m’en souvient, s’est plaint de cette vie si pauvre, si condamnée à une fatigue que la dime toujours ne nourrissait pas. […] Mais celui qui a le mieux exprimé cette autre face du tableau, et qui a pris en main avec génie la cause du vrai et de la vie non convenue, dans la peinture des curés et des vicaires, c’est Crabbe. […] La vie de nos curés de campagne en France n’a rien qui ait favorisé un genre pareil d’inspiration et de poésie.

1482. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Il est vrai que si elles eussent attendu en dormant le mot de l’énigme et la règle de la vie, probablement elles dormiraient encore. […] Parmi les aventures les plus comiques de cette vie, il faut citer le Journal. […] Jean Lorrain, a passé par le goncourisme, mais c’est à peine si la poussière du grenier d’Auteuil a souillé son manteau ; il aimait trop vivre et regarder la vie pour imiter ces façons de nombriliste. […] Le testament de M. de Goncourt est le seul fait de marque qui frappe dans cette vie singulière, mais monotone. […] Pourquoi a-t-il passé toute sa vie à Croisset sans bouger ?

1483. (1904) En méthode à l’œuvre

Elle manquait ainsi qu’en toute notre Poésie, malgré ses émouvantes phrases humaines à travers le Moi du poète, qui ne put davantage de ses Inspirés tenir une œuvre-une pleine de la volonté pensante et pesante d’une vie. […] La théorie de « Sélection naturelle », émet en loi une constatation de « lutte pour la vie ». […] Elle régit les vies des peuples et des empires, et nos propres vies et notre intellect, et nos vouloirs quotidiens eux-mêmes. […] — Loi immanente à la Vie, qui la presse de connaître davantage et son milieu et elle-même (évolution), pour se perpétuer au mieux. […] L’antinomie se résout, — en prenant garde que le devoir altruiste ne se doit exiger et n’est même permis que lorsque l’Individu a pour lui-même acquis la sûreté de Vie organique et morale, et ainsi que pléthoriquement.

1484. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Ce n’est point un enfant, parce qu’il a dix ans de moins qu’elle, mais parce qu’il n’a ni force de volonté, ni principe, ni manière à lui de concevoir la vie, ni rien, enfin, de ce qui constitue en bien ou en mal la virilité morale d’un homme. […] Ernest Feydeau, est un jeune homme fatal, comme toute la race d’où il vient, qui raconte à la première personne les malheurs de sa vie jusqu’à sa mort, que M.  […] N’importe donc où il soit et où on le prenne, c’est la vie que le drame, c’est la vie passionnée. […] C’est que nous ne nous intéressons profondément qu’aux êtres le plus loin de nous dans la vie, non par la position extérieure, mais par l’intimité des sentiments, par la vertu ou par le vice. […] Dans Fanny, il avait appliqué à la vie parisienne et à l’ameublement de l’amour, dans ses meubles, le procédé de M. 

1485. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Fénelon, qui, toute sa vie, désira d’entrer dans le gouvernement, avait-il, à l’insu de sa vertu, formé son élève pour ses secrètes espérances ? […] Jusqu’à Fénelon le christianisme n’avait mis de prix à la vie des hommes qu’au regard de la religion. Fénelon le premier y mit du prix dans l’ordre de la société, au point de vue des biens et des maux de la vie présente. […] Fénelon ne juge les écrits que dans leurs rapports avec la conduite de la vie. […] Ceux-ci font consister ce bonheur dans la paisible continuation des soins qui occupaient les justes pendant leur vie.

1486. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bourget, Paul (1852-1935) »

. — La Vie inquiète, poésies (1875). — Édel, poème (1878). — Les Aveux, poésies (1882). — Essais de psychologie contemporaine (1883). […] — Cruelle énigme (1885). — Nouveaux essais de psychologie contemporaine (1885). — Poésies : Au bord de la mer ; La Vie inquiète, petits poèmes (1885). — André Cornélis (1886). — Un crime d’amour (1886). — Mensonges (1887). — Études et portraits (1888) […] Débutant à peu près au moment de la vie où Byron publiait ses Heures de loisir, il avait sur le Byron des Heures de loisir d’avoir déjà passé par les impressions que lord Byron ne connut qu’après Childe-Harold… Je l’ai dit, c’est une âme de poète que M. 

1487. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Glatigny, Albert (1839-1873) »

Chez lui, pas de ces hésitations et de ces tâtonnements par lesquels ont passé à leurs débuts tant d’écrivains en prose et en vers, qui plus tard sont devenus célèbres ; au contraire, il sut en un moment, comme d’instinct et par révélation, ce métier laborieux, compliqué et difficile de la poésie, si divers et si inépuisable, qu’on met toute sa vie à l’apprendre. […] L’œuvre de ce poète a son prix et sa valeur, et la municipalité de Lilleboune a été bien inspirée en honorant la mémoire de son enfant qui fut pauvre et qui, dans sa vie innocente, oublia tous ses maux en chantant des chansons. [La Vie littéraire, 4e série (1892).]

1488. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gourmont, Remy de (1858-1915) »

Marcel Schwob De petites pages comme frottées de ciguë, entre lesquelles ont séché des brins d’ancolie, semées de mots suraigus et blêmes ; des phrases aux contours rapides, semblables à de simples coups de pinceau qui suggèrent tous les gestes de la vie par une ligne grasse ; des perversités promptes et acérées, et qui entrent en agonie dès qu’elles ont été conçues ; un monde minuscule de drames brefs, haletants, qui tournoient follement ainsi que des petites toupies dans leurs derniers circuits ; des sentiments éphémères comme les renouveaux lassés des fins de passion. […] Louis Payen De même que dans la vie ordinaire nous nous plaisons à agrémenter d’un peu de beauté nos actes et nos pensées pour plaire à notre correspondant lointain, ainsi, dans Le Songe d’une femme, les personnages prennent des attitudes et cherchent à embellir mutuellement leur vie.

1489. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé au nom de l’Académie des inscriptions et belles-lettres aux funérailles de M. .Villemain »

Villemain puisa cette noble et saine activité, cet amour désintéressé du beau, cette libérale conception de la vie, qui le soutint dans sa longue carrière et l’empêcha de défaillir jamais. […] Son goût littéraire n’était pas l’admiration banale qui s’arrête au beau langage ; c’était un salutaire commerce avec un monde plus pur que le nôtre, un sentiment filial pour ces vieux sages dont nous faisons à bon droit les précepteurs et les consolateurs de notre vie. […] Parmi les recherches qui conduisent l’esprit humain à la découverte de la vérité, les unes donnent la gloire et l’éclat de la vie ; les autres restent obscures ; mais toutes sont immortelles, — immortelles, même quand elles ne visent qu’à être utiles et qu’elles se renferment dans le cercle étroit des amis de la vérité ; immortelles surtout quand elles ont été, comme celles de notre confrère, éclairées par le rayon du génie.

1490. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Il ne reprit la vie commune avec elle que quelques mois avant sa mort. […] À ce compte il y a beaucoup de gens qui passent leur vie à se compléter. […] La ressemblance avec la vie. […] Le naturel dans tout l’art théâtral, c’est la ressemblance avec la vie. […] Harpagon est l’avare de son bien, Argan est l’avare de sa vie.

1491. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Il faut raconter tout cela pour nous montrer la vie, sinon on reste froid et ennuyé. […] Car de sa coignée dépendait son bien et sa vie. […] Elle aperçut en ce moment cet homme dont nous venons de parler, et elle le pria de lui sauver la vie. […] Il conte sa vie : qu’il ramasse des glands l’hiver, que l’été il scie du blé. […] Pourquoi venir troubler une innocente vie ?

1492. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Or, plusieurs de ces hommes étaient pleins de vie et devaient agir encore. […] La vicomtesse de Noailles, en écrivant la Vie de la princesse de Poix, née Beauvau, sa grand-mère72, a fait comme le testament de ce vieux et délicieux monde qui s’est prolongé assez tard pour quelques natures d’élite abritées depuis leur naissance dans des cercles privilégiés. […] À cela près73, l’âge n’avait rien changé en elle ; sa figure resta noble et agréable jusqu’à la fin de sa vie, et son caractère ne subit pas plus de modification. C’était une personne toute de mouvement ; je n’ai jamais rien vu de si vif ; quand la dispute s’échauffait entre elle et mes parents, je ne pouvais m’empêcher de trembler pour eux : les cris, les interruptions, les démentis, les sorties furibondes en brisant les portes, tout faisait croire qu’ils ne se reverraient de leur vie. […] Après tout, ne soyons point exclusifs et négatifs en aucun genre ; ne prenons jamais le dégoût pour le goût, l’exemption pour la qualité ; et, de quelque prix qu’il soit à qui l’a su connaître, périsse l’atticisme lui-même si on ne peut absolument le conserver que par le manque de vie, par une stagnation qui mène insensiblement et bientôt à la sécheresse !

1493. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Quoiqu’il aimât beaucoup à raconter, on sait peu de choses précises sur sa jeunesse et les premiers temps de sa vie ; car les anecdotes contées et écoutées debout, au coin de la cheminée, s’envolent et, il lui répugnait de rien écrire qui ressemblât à une biographie, ou même de répondre aux questions de ce genre, pour peu qu’elles eussent un but. […] Quand un homme atteint à ces dernières limites de la vie humaine, il a traversé et enterré plus d’une époque. Si j’avais à écrire la vie scientifique et littéraire de M.  […] Mais les souvenirs, mais les nuances morales, mais les sympathies et les antipathies, mais la vie même, la clef secrète de cette nature si complexe et si pleine de curiosités et d’aptitudes, et d’envies et de préventions, de plis et de replis de toutes sortes, qui nous la rendra ? […] En présence d’une vie si longue et qui atteint presque, jusqu’à nonante, il est bien permis d’y mettre quelque longueur, et même un peu de traînerie, comme dirait Montaigne.

1494. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Thiers, et je m’attache avec lui à l’homme qui vient de tomber de la scène de l’histoire et dont la vie, désormais confinée à Sainte-Hélène, n’est plus que le sujet de la plus magnifique des biographies. […] Mais la gloire des hommes célèbres est, comme leur vie, exposée à des fortunes diverses. […] Quand on a eu de telles occasions uniques dans la vie et dans les siècles de se montrer et qu’on les manque, c’est irréparable. […] Ce fut son dernier effort, son dernier éclair d’intérêt à la vie ; et le mal le reprit pour ne plus cesser. […] Thiers, en les écrivant, n’a pas pensé à faire un morceau ; mais au terme de cette grande étude, de l’œuvre de sa vie, il est arrivé de tous les points, par la force même de la vérité et la convergence des faits, à cette conclusion énergique, à cette condensation supérieure de sa pensée.

1495. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Il sera lyrique aussi, bien qu’avec moins de grandeur et de gloire, celui qui, vivant dans les loisirs de l’abondance et à la cour des tyrans, chantera les délices gracieuses de la vie et les pensées tristes qui viendront parfois l’effleurer dans les plaisirs. […] Fils honteux de son père, sans enfance, vain, malicieux, clandestin, obscène en propos, de vie équivoque, ballotté des cafés aux antichambres, il eût été bon peut-être à donner quelques jolies chansons au Temple, s’il avait eu plus de sensibilité, de naturel et de mollesse. […] La seconde strophe est faible et commune, excepté les trois vers du milieu ; à la place de cette trame usée qu’on voit partout, il y a dans le texte : « Le tissu de ma vie a été tranché comme la trame du tisserand. » Qu’est devenu ce tisserand auquel est comparé le Seigneur ? Au lieu de la feuille séchée, le texte donne : « Mon pèlerinage est fini ; il a été emporté comme la tente du pasteur. » Qu’est devenue cette tente du désert, disparue du soir au matin, et si pareille à la vie ? […] ), il nous semble injuste et dur, en y réfléchissant, de ne pas prendre en considération ces trente dernières années de sa vie, où Rousseau montra jusqu’au bout de la constance et une honorable fermeté à ne pas vouloir rentrer dans sa patrie par grâce, sans jugement et réhabilitation.

1496. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

. — Cette suppression des caractères supprimera l’action, car l’action est le mouvement et la vie, et nos acteurs sont immobiles et morts. […] Mais comment donner la vie à un précepte ? […] Ainsi placée, elle ne sera plus un précepte, mais un fait ; elle recevra la vie du récit dont elle est un membre, et sera active parce qu’elle concourt à une action. […] Ainsi, descriptions, récits, discours, tout s’est reformé, tout s’est ranimé de soi-même ; une fois rentrée au coeur, la vie a couru dans tous les membres. — Elle a pénétré d’abord dans les expressions. […] Sa sottise ou sa grandeur, accumulée sur un seul point, se centuple ; la figure la plus vulgaire devient expressive, et intéresse, parce que l’esprit y aperçoit toute une vie en raccourci.

1497. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Et toutes ces impressions se fixaient dans de pénétrants sonnets : sonnets satiriques, plus larges que des épigrammes, plus condensés que des satires, expressives images des intrigues de la cour romaine et des corruptions de la vie italienne ; sonnets pittoresques, où la mélancolique beauté des ruines est pour la première fois notée, en face des débris de Rome païenne ; sonnets élégiaques enfin, où s’échappent les plus profonds soupirs de cette âme de poète, effusions douces et tristes, point lamartiniennes pourtant : elles ont trop de concision et de netteté, et il y circule je ne sais quel air piquant qui prévient l’alanguissement. […] Ce Francus fils d’Hector, et fondateur de la monarchie franque, était une pâle figure, un thème d’inspiration bien vide, où nul afflux de tradition populaire ne mettait la vie ; le Tasse, et même le Père Lemoyne, même Chapelain ont bien mieux choisi. […] Ce qui lui manqua, ce fut une pensée originale, une pensée qui ne fût occupée qu’à faire entrer le monde et la vie dans les formes du tempérament, à projeter le tempérament sur l’univers et sur l’humanité : qui par conséquent permît au tempérament de dégager toute sa puissance, et de réaliser ses propriétés personnelles. […] Il a eu le tort de ne pas élider toujours dans l’intérieur du vers l’e muet final précédé d’une voyelle (une vie sans vie), d’admettre trop facilement des enjambements d’un hémistiche entier et, qui pis est, dans plusieurs vers successifs : si bien que son alexandrin, parfois boiteux, est d’autres fois indéterminé, traînant en queue de prose, amorphe. […] Joachim du Bellay, cousin du cardinal et du sire de Langey ; le grand événement de sa vie est ce séjour de trois ans qu’il fit à Rome, comme intendant du cardinal.

1498. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Il semble qu’il ait passé sa vie à souffler des idées creuses. […] Il a passé sa vie à forger de belles phrases, comme on n’en avait jamais fait en notre langue. […] Cette concordance continue du physique et du moral produit cette conséquence, que Descartes ne considère pas les passions du point de vue sentimental, mais du point de vue pratique : elles ne valent pour lui que par l’action qui les suit ; il ne songe pas à en composer la vie de l’âme, abstraction faite du reste. […] La raison n’a pas elle-même de force pour faire dominer ses jugements : c’est le rôle de la volonté, à laquelle il appartient de déterminer ceux « sur lesquels elle résout de conduire les actions de la vie ». […] En second lieu, ces actes intellectuels sont toute la vie du philosophe ; le reste ne compte pas dans son autobiographie, et toutes les déterminations de sa vie extérieure, choix d’une profession, voyages, retraite, expatriation, ont toujours pour fin d’assurer un jeu plus facile et plus libre à l’activité de son esprit : par là Descartes est l’homme idéal du xviie  siècle, l’homme-pensée.

1499. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Ceux-ci ont consigné leurs regrets dans maintes pièces de vers qui nous peignent au vif Marie Stuart à cette heure décisive, la première heure vraiment douloureuse de sa vie. […] À cet effet, elle attend, elle dissimule, elle prend sur elle pour la première fois de sa vie et contient ses mouvements. […] Ici est le plus grave et le plus irréparable endroit de sa vie. […] Et pourtant elle mérite toute cette pitié, et il suffit, pour la lui rendre insensiblement, de la suivre dans la troisième et dernière partie de sa vie, durant cette longue, injuste et douloureuse captivité de dix-neuf années (18 mai 1568 — 5 février 1587). […] Que reprocher d’ailleurs à celle qui, après dix-neuf ans de supplice et de torture morale, dans la nuit qui précéda sa mort, chercha dans la vie des saints, que ses filles avaient coutume de lui lire tous les soirs, un grand coupable à qui Dieu eût pardonné ?

1500. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

Cet attachement pour Madame est certainement le plus bel et le plus honorable endroit de la vie de Cosnac. […] Étant arrivé proche de son lit, elle fit retirer tout le monde, et me dit : « Vous voyez, monsieur Feuillet, en quel état je suis réduite. » — « En un très bon état, madame, lui répondis-je : vous confesserez à présent qu’il y a un Dieu que vous avez très peu connu pendant votre vie. » Il lui dit que toutes ses confessions passées ne comptaient pas, que toute sa vie n’avait été qu’un péché ; il l’aida, autant que le temps le pouvait permettre, à faire une confession générale. […] Mon tempérament y résista, je n’en fus pas même malade ; mais ma vie devint si chagrine et si languissante, qu’elle ne valait guère mieux que la mort. Pour la perte de ma fortune, je n’y fus pas trop sensible ; je n’avais jamais pu me persuader que les espérances que l’on me donnait fussent solides, quoiqu’à juger par toutes les apparences, le succès en fût indubitable ; mais perdre une si grande, si parfaite, si bonne princesse, une princesse qui pouvait réparer le tort que ma chute m’avait fait ; non, si j’avais eu le cœur véritablement délicat et sensible, il m’en devait coûter la vie. […] Ce jour-là, La Fare raconte qu’il ramena de Saint-Cloud M. de Tréville, un des amis particuliers de Madame, un de ceux dont elle appréciait le plus l’esprit fin, un peu subtil et extrêmement orné : « Tréville, que je ramenai ce jour-là de Saint-Cloud, et que je retins à coucher avec moi, pour ne le pas laisser en proie à sa douleur, en quitta le monde et prit le parti de la dévotion, qu’il a toujours soutenu depuis. » Mme de La Fayette elle-même, depuis qu’elle eut perdu Madame, se retira de la Cour et vécut avec M. de La Rochefoucauld de cette vie plus particulière qu’elle ne quitta plus.

1501. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Il écrivait cela à l’âge de quatre-vingts ans, et il se le dit toute sa vie. […] On conviendra qu’il y a bien peu d’auteurs de théâtre qui soient habitués à tenir de la sorte leur vie en partie double ; et, chez celui dont nous parlons, il y avait harmonie et simplicité. […] Et encore : « Ma fierté naturelle est assez satisfaite de quelques non bien fermes que j’ai prononcés dans ma vie. […] Dans sa cellule de Versailles, à côté de son Horace, de son Virgile et de son La Fontaine, il lisait les Vies des Pères des déserts, traduites par Arnauld d’Andilly : Je continue auprès de mon feu des lectures douces et des heures paisibles qui vont à petits pas comme mon pouls et mes affections innocentes et pastorales. Mon cher ami, je lis la vie des Pères du Désert : j’habite avec saint Pacôme, fondateur du monastère de Tabenne.

1502. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Je n’écris point la vie de Franklin ; elle est écrite par lui-même, et, là où il s’arrête, il faut en chercher la continuation dans l’excellent complément qu’a publié M.  […] Le tour de son esprit pourtant le ramène toujours à la pratique et à l’usage qu’on peut tirer de la science pour la sûreté ou le confort de la vie. […] Il avait foi à la science expérimentale et à ses découvertes croissantes ; il regrettait souvent, vers la fin de sa vie, de n’être pas né un siècle plus tard, afin de jouir de tout ce qu’on aurait découvert alors : Le progrès rapide que la vraie science fait de nos jours, écrivait-il à Priestley (8 février 1780), me donne quelquefois le regret d’être né sitôt. […] Toutes les maladies pourront, par des moyens sûrs, être prévenues ou guéries, sans excepter même celle de la vieillesse, et notre vie s’allongera à volonté, même au-delà de ce qu’elle était avant le Déluge. […] Et il finit pourtant par exprimer l’espoir que les arts, allant toujours vers l’Occident, franchiront un jour ou l’autre la grande mer, et qu’après avoir pourvu aux premières nécessités de la vie, on en viendra à songer à ce qui en est l’embellissement.

1503. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Il lutte contre la société comme il lutte contre la nature, car sa vie est une vie de combat dans tous les modes de son existence. […] Je ne sais de qui est cette observation sur l’énergie vitale : les éléments matériels dont se compose un être quelconque, ai-je vu quelque part, sont, tout le temps que dure la vie de cet être, en opposition avec les affinités chimiques ; et, lorsque la vie se retire, les affinités chimiques viennent se ressaisir de ces éléments pour leur imprimer de nouvelles combinaisons. […] Il fait beau déclamer contre les conquérants qui se jouent de la vie des hommes, et contre ces marchands avides qui vont tenter la fortune dans mille climats divers. […] On ne fait pas attention que la vie sociale est un état de souffrance, comme la vie humaine en général.

1504. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Cette société n’est point le chef-d’œuvre de l’histoire : c’est une certaine sorte de société, qui engendre de beaux sentiments en même temps que de laides passions ; c’est une aristocratie qui, perdant son indépendance et quittant la vie guerrière, devient une cour servile et fière sous la main d’un maître, et trouve ses nouveaux plaisirs dans les amusements de l’esprit et dans la vie de salon. […] Et, pour cela, l’on n’a pas besoin d’une longue explication ; souvent une phrase suffit ; un seul mot, comme un éclair, déchire le voile obscur du temps, ramène en pleine lumière les figures cachées, rallume dans leurs yeux ternes la divine flamme de la vie. […] Dans cette enfilade de renseignements, où est la vie ? […] Mais puis-je donc vous sacrifier les principes de toute ma vie, la Révolution, et l’honneur de mon pays ?  […] Faites d’un orateur un peintre : ses portraits seront sans vie ; il composera des dissertations, des démonstrations et des tirades.

1505. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Ailleurs il souhaite qu’un élève de l’École des chartes veuille bien employer quelques années de sa vie à faire l’histoire de la place Royale51. […] le scepticisme en toutes choses : l’amour du plaisir dans la vie ; en politique, des goûts démocratiques et des mœurs serviles ; dans l’art, la prédominance de la grâce ; dans la religion, l’anthropomorphisme ; dans la philosophie, qui est l’expression la plus générale de l’esprit d’un peuple, un empirisme plus ou moins ingénieux, une curiosité assez hardie, mais toujours dans le cercle et sous la direction de la sensibilité. […] La mort est la condition de la vie ; mais pour que la vie sorte de la mort, il faut que la mort n’ait pas été entière. […] Cousin dans sa patrie, et racontons sa vie telle que son bon génie eût dû la faire. […] Il y parle en maître, il a Dieu dans sa main, il foudroie son auditoire, il ne descend jamais, comme l’orateur politique, dans les détails secs et minutieux d’une affaire particulière, il ne parle que du devoir en général, de la vie humaine, des dangers du monde, de la providence de Dieu.

1506. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Henry Houssaye : un peu plus de mouvement, de vie, de couleur. […] Ils ont porté, toute leur vie, le poids de leur iniquité. […] Et tout se tient dans la vie des peuples. […] » Ces coutumes nuisent à la vie sociale. […] La vie est courte.

1507. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Vie austère et lugubre ! […] — la vie et le mouvement à toute cette comédie. […] Il joue à toute heure et toujours, et voilà sa vie ! […] la gaîté, elle a la vie dure ! […] Il tient à toutes les choses et à toutes les œuvres de la vie.

1508. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

C’est la vraie vie, ça. […] Mais c’est la vie, cela. […] Là est la marque de la vie. […] Le beau en art, ce n’est pas la vertu, c’est la vie, et la vie n’est jamais pure. […] Jamais de la vie je ne le croirai.

1509. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Anselme Schanfara par l’amour, au mariage et à la vie bourgeoise. […] Cette vie me paraît singulièrement belle par sa simplicité même. […] J’ai parlé de la vie de M.  […] Nous nous dévorerons sur le même brasier ; c’est notre vie ! […] Toi qui te plains d’avoir été frustré, cherche dans ta vie, malheureux !

1510. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

La littérature française, c’est l’idéal de la vie humaine, dans tous les pays et dans tous les temps ou plutôt c’est la réalité dont on a retranché les traits grossiers et superflus, pour nous en rendre la connaissance à la fois utile et innocente. […] Il est même remarquable que, dans une forme de société qui laisse plus de temps à la vie individuelle et solitaire, et plus de pâture aux spéculations de pure curiosité, l’écrivain est moins libre que chez les anciens de jouir de son esprit. […] Le christianisme a fait pour l’esprit français ces trois choses il en a fortifié la tendance pratique ; il en a étendu les objets d’étude en rendant en quelque sorte la vie plus vaste ; enfin, il en a fait une image plus complète et plus pure de l’esprit humain. […] On y voit l’homme tout entier, son imagination, ses sens, sa raison ; car, où l’une de ces choses manque, il n’y a point de vie mais la raison gouverne. […] il n’y va pas seulement de notre vanité, notre vie même peut y être engagée ; car celui qui s’est fait écrivain et qui ne sait ni ne pratique les lois du discours, combien n’est-il pas à la merci des hommes et, des choses ?

1511. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Il accorde de prime abord à la société tout ce que Rousseau lui refuse ; il l’accorde, non pas à la société telle qu’on l’avait alors sous les yeux, et qu’on la subissait dans tous les développements de la vie, mais à une société vraiment moderne qu’il concevait, et où l’art du réformateur eût présidé. […] L’ignorance est alors répandue sur la surface de la terre, et les malheureux humains ne peuvent plus espérer qu’une vie chargée des poids horribles du désordre. […] Les hommes qui pensent sont la partie vive et libre qui redonnera la vie à tout le corps. […] Je ne prétends pas dans ce court espace suivre Sieyès dans sa vie politique ; je m’attacherai seulement à noter les variations et les crises de ce grand esprit, sans répéter ce qu’on peut lire ailleurs. […] comme qui dirait : Cache ta vie !

1512. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

Zola répond à peu près ceci : « Vous, vous avez une petite fortune qui vous a permis de vous affranchir de beaucoup de choses… moi, ma vie, j’ai été obligé de la gagner absolument avec ma plume, moi j’ai été obligé de passer par toutes sortes d’écritures, oui d’écritures méprisables… Eh ! […] Il vit, pour ainsi dire, tout ce temps, dans une vie mal éveillée. […] l’ironie des bonnes et des mauvaises fortunes de la vie… Puis, dans ce restaurant, où, en face de moi, a été si souvent assis mon frère, la chaise vide de l’autre côté de ma table me fait penser à lui, et une grande tristesse me prend, en songeant, que le pauvre enfant n’a eu que le crucifiement de la vie des lettres. […] L’ambassadeur dehors, ainsi que j’ai l’habitude de faire dans les grands embêtements de ma vie, je me couche. […] Le pas de tout ce monde sur l’asphalte, c’est le grondement d’une mer… Je n’ai jamais vu de ma vie sur les boulevards, une foule pareille… « C’est vous ici, me jette Burty d’une chaise, où il est assis au café Bignon, au milieu des rédacteurs de La République française.

1513. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Ainsi, les deux formes de la parole intérieure diffèrent non seulement par leurs caractères propres, intrinsèques, mais aussi par l’état psychique qu’elles accompagnent et qu’elles expriment, c’est-à-dire par le rôle qu’elles remplissent, par la fonction qu’elles exercent dans la vie psychique. […] Il faudrait alors considérer l’hallucination comme un des éléments essentiels de la vie psychique normale, comme la condition presque nécessaire de la pensée la plus humble et de la réflexion scientifique la plus élevée ; un état morbide servirait à définir le fonctionnement sain de notre être. […] Semblable à une statue ailée qui délaisserait son piédestal inutile et s’élèverait dans les airs pour aller puiser dans l’atmosphère une vie nouvelle et supérieure, l’image de la sensation a rompu sans violence avec ses origines matérielles ; appelée par une destinée plus noble, elle s’est tournée vers les régions supérieures de l’être ; désormais elle existe et se maintient, sinon pour et par elle-même, du moins pour et par la seule pensée ; et elle vit alors d’une vie si intense qu’elle peut même, — l’étude du sommeil le montrerait, — être dissociée d’avec la pensée sans subir pour cela un anéantissement passager, comme si l’être ailé, ayant dépassé les limites de l’atmosphère, volait encore d’un vol automatique, soutenu par son impulsion première. […] La succession de faits homogènes que nous appelons la parole intérieure est donc une série continue d’habitudes positives réalisées, et la parole intérieure, dans son ensemble, est une habitude positive complexe, qui dès l’enfance a pris possession de la vie psychique, et qui, toujours entretenue et fortifiée par l’attention, a poussé en nous des racines si profondes que son incessante réalisation est devenue comme une nécessité de notre existence. […] La seconde, spéciale à l’homme, a deux stades : elle consiste d’abord à faire du son, état fort, l’instrument de la vie psychique collective, le lien de la société humaine, — ensuite à recueillir et à développer, au moyen de l’attention, l’écho de la parole, et à l’élever au rôle de compagnon, d’associé, d’élément inséparable de la succession psychique ; celle-ci devient alors la succession d’un couple de faits parallèles, la pensée n’allant plus désormais sans son expression constante, la succession des sons intérieurs.

1514. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Il a fait toute sa vie ou voulu faire de la critique, mais ce n’était pas un critique. […] Eh bien, le monnayeur Sainte-Beuve, au trébuchet méticuleux, n’a pas eu d’autre occupation dans sa vie que d’arrondir et de timbrer ses pièces de dix sous. […] Son amour-propre, qui a dégradé les derniers moments de sa vie, lui fit tendre la main aux gros sous de la popularité, ces gros sous qu’un mépris public immérité lui jeta un jour au visage ; mais j’abaisserai moi-même un voile sur ces abaissements. […] Ayant vécu toute sa vie dans la poche de tout le monde, mêlé à toutes les sociétés d’une société qui en est tout à l’heure au galop de Gustave à trois heures après minuit, ce qu’il aurait pu nous donner comme personne, c’étaient des Mémoires. […] Galanterie à la Trissotin plus forte en lui que son tact de critique qu’il avait pénétrant, mais bien plus dans ses livres que sur place et dans la vie.

1515. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Richelieu faisant égorger le jeune duc de Montmorency, et se jetant aux genoux de la princesse de Condé, qui lui demande la vie du prince. […] Quelle vie et quelle suite incroyable d’émotions, de triomphes, de calomnies, de haines, de bonheur, de désespoirs ! […] voilà, en effet, la véritable occupation de Sganarelle, et voilà la seule ambition légitime de sa vie ! […] Toute cette comédie du Misanthrope est sa vie. […] C’est justement ainsi qu’Armande Béjart avait perdu Molière, pour n’avoir pas voulu renoncer à cette vie de galanteries sans fin.

1516. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — [Note.] » pp. 83-84

Et Garat, dans ses Mémoires sur la vie de Suard, a montré Montesquieu dans son domaine de La Brède, « parmi les pelouses, les fontaines et les forêts dessinées à l’anglaise, courant du matin au soir, un bonnet de coton blanc sur la tête, un long échalas de vigne sur l’épaule : ceux qui venaient lui présenter les hommages de l’Europe lui demandèrent plus d’une fois, en le tutoyant comme un vigneron, si c’était là le château de Montesquieu ». […] Sayous à qui nous devons ce détail, comptait les trois jours qu’il avait passés avec ce grand homme excellent parmi les plus délicieux de sa vie ; c’était dans l’automne de 1752 : Je ne puis, écrivait-il à Bonnet, vous exprimer, mon cher ami, les délices que j’ai goûtées pendant ce séjour. […] Si mademoiselle votre sœur savait comment il pense sur la vie des champs, elle serait bien glorieuse.

1517. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Préface » pp. -

Préface Ce journal est notre confession de chaque soir : la confession de deux vies inséparées dans le plaisir, le labeur, la peine, de deux pensées jumelles, de deux esprits recevant du contact des hommes et des choses des impressions si semblables, si identiques, si homogènes, que cette confession peut être considérée comme l’expansion d’un seul moi et d’un seul je. Dans cette autobiographie, au jour le jour, entrent en scène les gens que les hasards de la vie ont jetés sur le chemin de notre existence. […] Donc, notre effort a été de chercher à faire revivre auprès de la postérité nos contemporains dans leur ressemblance animée, à les faire revivre par la sténographie ardente d’une conversation, par la surprise physiologique d’un geste, par ces riens de la passion où se révèle une personnalité, par ce je ne sais quoi qui donne l’intensité de la vie, — par la notation enfin d’un peu de cette fièvre qui est le propre de l’existence capiteuse de Paris.

1518. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

À vrai dire, toute personne qui, dans sa jeunesse, a vécu d’une vie d’émotions et d’orages, et qui oserait écrire simplement ce qu’elle a éprouvé, est capable d’un roman, d’un bon roman, et d’autant meilleur que la sincérité du souvenir y sera moins altérée par des fantaisies étrangères : il ne s’agirait pour chacun que de raconter, sous une forme presque directe et avec très-peu d’arrangement, deux ou trois années détachées de ses mémoires personnels. […] Outre le bon couple Lhéry, leur fille Athénaïs et leur neveu Bénédict, il se trouve, depuis deux mois environ, à la ferme, un nouvel habitant qu’un respect mêlé de mystère environne et qu’on désigne simplement sous le nom de Mme ou Mlle Louise : c’est une femme petite, de taille bien prise, de visage noble à la fois et joli, naturellement élégante dans son négligé, qui paraît vingt-cinq ans au premier abord, mais à laquelle on en accorde au moins trente en la regardant de près ; car elle porte les traces de la vie et des chagrins. […] La vie réelle reprend bientôt, et nous découvre soudainement ce qu’elle a de plus pathétique : on a les embrassements convulsifs et l’effusion des deux sœurs. […] Nulle femme, capable d’amour, et qui s’est engagée autant que Valentine vient de le faire avec Bénédict, ne se démentira ainsi du soir au matin : le prétexte du remords n’est pas bon dans un bon roman qui doit ressembler à la vie. […] Valentine promet plus qu’Indiana, parce qu’Indiana, avec plus de profondeur, je crois, et d’originalité, pouvait sembler à la rigueur un de ces romans personnels et confidentiels comme on n’en a qu’un à faire avant de mourir, tandis que Valentine est véritablement l’œuvre d’un romancier peintre du cœur et de la vie, fécond en personnages, et qui n’a qu’à vouloir cheminer un peu patiemment pour arriver jusqu’au bout.

1519. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Au xviiie  siècle, l’art était tombé, comme on sait, dans une fâcheuse décadence, ou plutôt l’art n’existait plus en soi et d’une vie indépendante ; il n’avait plus de personnalité. […] Toutes ces impressions d’une âme sympathique avec l’esprit nouveau des temps, cette croyance à une philosophie plus réelle et plus humaine, cette liberté morale reconquise, cette spontanéité reconnue, cette confiance accordée aux facultés les plus glorieuses et les plus désintéressées de notre être, toutes ces qualités et ces vues de madame de Staël, en passant dans les livres d’art qu’elle composa, leur donnèrent un tour unique, une originalité vraiment moderne, des trésors de chaleur, d’émotion et de vie, une portée immense quoique parfois hors de mesure avec la réalité. […] Puis, plus tard, quand ils sentirent que cet esprit de révolution était la vie même et l’avenir de l’humanité, ils se réconcilièrent avec lui, et ils espérèrent, ainsi que beaucoup de gens honnêtes à cette époque, que la dynastie restaurée ferait sa paix avec le jeune siècle ; qu’on touchait à une période de progrès paisible ; et que la Monarchie selon la Charte ne serait pas un poème de plus par l’illustre auteur des Martyrs. […] Mais ce qu’il serait injuste de contester, c’est le développement mémorable de l’art durant ces dernières années, son affranchissement de tout servage, sa royauté intérieure bien établie et reconnue, ses conquêtes heureuses sur plusieurs points non jusque-là touchés de la réalité et de la vie, son interprétation intime de la nature, et son vol d’aigle au-dessus des plus hautes sommités de l’histoire. […] Heureusement, il a vie et jeunesse ; il a confiance en lui-même, il sait ce qu’il vaut, et qu’il y a place pour sa royauté, même au sein des nations républicaines.

1520. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Dans toutes les situations de la vie, l’on peut remarquer que dès qu’un homme s’aperçoit que vous avez éminemment besoin de lui, presque toujours il se refroidit pour vous. […] Tout ce qui sort de ce cours habituel, déplaît d’abord à ceux qui considèrent la routine de la vie comme la sauvegarde de la médiocrité. […] Les femmes n’ont aucune manière de manifester la vérité ni d’éclairer leur vie. […] L’homme calomnié répond par ses actions à l’univers ; il peut dire : Ma vie est un témoin qu’il faut entendre aussi. […] Qui sait si les calomniateurs, après avoir déchiré la vie, ne dépouilleront pas jusqu’à la mort des regrets sensibles qui doivent accompagner la mémoire d’une femme aimée ?

1521. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

Elle regarde la vie campagnarde, la chasse, la pèche, et même, il faut l’avouer, l’agriculture, dont il est fort pardonnable à une femme du grand monde de n’être pas charmée. […] « Le respect qu’on lui porte n’est pas moins puissant que l’amour ; il l’est plus que le droit de vie et de mort. […] L’auteur annonce, au début, qui y reprend ce qui a déjà été dit entre eux, pour en faire un tout avec ce qu’il va ajouter, « La gloire et les triomphes de Rome, lui dit, l’auteur, ne suffisent pas à votre curiosité ; elle me demande quelque chose de plus particulier et de moins connu ; après voir vu les Romains en cérémonie, vous les voudriez voir en conversation et dans la vie commune… Je croyais, en être quitte pour vous avoir choisi des livres et marqué les endroits qui pouvaient satisfaire votre curiosité ; mais vous prétendez que j’ajoute aux livres… La volupté qui monte plus haut que les sens, cette volupté toute chaste et tout innocente, qui agit sur l’âme sans l’altérer, et la remue ou avec tant de douceur qu’elle ne la fait point sortir de sa place, ou avec tant d’adresse qu’elle la met en une meilleure, cette volupté, madame, n’a pas été une passion indigne de vos Romains. […] … Auguste suivait le conseil de la nature, qui veut que tout ce qui travaille se repose, qui entretient la durée par la modération, et menace la violence de fin… Ce repos, ces distractions sont des besoins de la vie humaine, quelque riche et suffisante à soi-même qu’elle puisse être d’ailleurs… Ce sont, à proprement parler, les voluptés de la raison et les délices de l’intelligence… Un grand philosophe28 n’a pas craint de dire que le repos et le divertissement n’étaient pas moins nécessaires à la vie que les repas et la nourriture… Mais il ne veut pas que les sages passent le temps comme le vulgaire.

1522. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Kœnigsmark »

Cela est certain, tout investigateur, tout Allemand qu’il paraît être, Blaze de Bury n’aurait pas songé à faire un livre sur tous ces égaux, sur tous ces Ménechmes dans la bravoure folle, la rapacité, l’orgueil, les vices conquérants ou tyrans de la vie, et finalement dans l’oubli des hommes, si (nous le répétons) la figure du dernier des Kœnigsmark n’avait appelé réellement un peintre comme elle appelle encore un poète, comme elle appelle un historien. […] Philippe de Kœnigsmark est le moins grand acteur de sa propre vie. Il n’est, ajustement parler, qu’une destinée, mais les êtres volontaires, passionnés et forts, qui l’ont faite, cette destinée, se relèvent en même temps que ce cadavre quand on le met sur ses deux pieds, et viennent tout à coup se ranger autour de lui comme dans sa vie, — comme, dans Shakespeare, les victimes autour de Richard III. […] La vaincue dans ce duel, qui n’était pas plus du temps d’alors que tout le reste, eût été sacrilège et eût risqué sa vie éternelle. […] (car on se perd dans le quatrième dessous de ces sortes d’âmes), voulant peut-être expier cette communion dans laquelle elle avait enseveli son premier crime sous un crime plus grand, elle refusa le trône et le pardon avec une rigidité d’orgueil et de ressentiment inexorables, et elle acheva lentement sa vie dans la farouche grandeur de sa prison.

1523. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Abailard et Héloïse »

M. de Rémusat publiait aussi de son côté deux gros volumes qu’il intitulait pompeusement : Abailard, sa vie, sa philosophie, sa théologie, — et comme si ce n’était pas assez que ces deux hommages du Rationalisme moderne offerts à l’un de ses précurseurs, l’éditeur de M. de Rémusat a publié un volume encore dont Abailard est le sujet et même le héros. […] Après le galbe de ses idées pris pour les penseurs, on nous fait l’histoire de ses sentiments et de sa vie de cœur, pour les petits jeunes gens et pour les femmes. […] Comme beaucoup d’autres, au début de la vie, de la réflexion et de la science, nous nous sommes laissé charmer par les lointaines mélancolies de la légende et abuser par les mensonges attendris des poètes. […] Le monde, son admiration, son mépris, et jusqu’à ses commérages, voilà ce qui plane éternellement sur la solitude et la désolation de sa vie ! […] Femme de lettres, ayant cette considération de la pensée qui donne aux femmes moins d’aptitude à vivre de la vie des sentiments que des idées, elle doit avoir naturellement, et elle les a, quelques entrailles pour Abailard (un professeur éloquent !)

1524. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »

M. de Rémusat publiait aussi de son côté deux gros volumes qu’il intitulait pompeusement : Abailard, sa vie, sa philosophie, sa théologie, — et comme si ce n’était pas assez que ces deux hommages du Rationalisme moderne, offerts à l’un de ses précurseurs, l’éditeur de M.  […] Après le galbe de ses idées pris, pour les penseurs, on nous fait l’histoire de ses sentiments et de sa vie de cœur, pour les petits jeunes gens et pour les femmes. […] Comme beaucoup d’autres, au début de la vie, de la réflexion et de la science, nous nous sommes laissés charmer par les lointaines mélancolies de la légende et abuser par les mensonges attendris des poëtes. […] Le monde, son admiration, son mépris, et jusqu’à ses commérages, voilà ce qui plane éternellement sur la solitude et la désolation de sa vie ! […] Femme de lettres, ayant cette considération de la pensée qui donne aux femmes moins d’aptitude à vivre de la vie des sentiments que des idées, elle doit avoir naturellement, et elle les a, quelques entrailles pour Abailard (un professeur éloquent !)

1525. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ch. de Rémusat. Abélard, drame philosophique » pp. 237-250

Nous sommes des cerveaux avant d’être des cœurs… Charles de Rémusat, qui avait commencé par être un homme d’esprit, même en philosophie, mais qui s’était bientôt émoussé dans l’hébétante collaboration de la Revue des Deux Mondes, — ce mancenillier de l’ennui, — Charles de Rémusat, homme d’Académie et de groupe, qui fut toute sa vie un comparse ; qui, en politique, venait bien après Thiers, et en philosophie, bien après Cousin, a maintenant presque tout à fait disparu de la préoccupation publique, et, certes ! […] Depuis très longtemps et toute sa vie, Charles de Rémusat a été travaillé par cette personnalité d’Abélard, et il en a tracassé en deux gros volumes les doctrines et l’histoire. […] … Abélard, qui est le héros de cette énorme pièce, ne justifie ni par une scène, ni par un mot, ni par un geste, la grandeur de caractère ou de génie que l’auteur lui accorde dans l’opinion des personnages qu’il mêle à sa vie. […] Il manque de plan, d’organisme, de vie, de passion de caractère, de couleur franche, de traits hardis. Il manque même de haine philosophique, quoique de Rémusat doive avoir, tapies quelque part, les haines de sa philosophie, et quoique le scepticisme du temps et la glace de son tempérament aient bien diminué cette rage contre l’Église qu’ont tous, au fond du cœur, les philosophes, et que Cousin, lâche, mais indiscret, révélait en la couvrant de ce mot, dit justement à propos d’Abélard : « Il avait déposé dans les esprits de son temps le doute salutaire et provisoire, qui préparait l’esprit à des solutions meilleures que celles de la foi. » Charles de Rémusat n’a jamais eu de ces imprudentes et impudentes paroles d’un homme dont l’espérance trahit l’hypocrisie, mais à quelque coin, dans cet esprit moyen, dans cette âme de sagesse bourgeoise, il y a toujours, prête à se glisser au dehors, l’hostilité contre toutes les grandes choses que nous croyons… Comme Abélard, le héros de toute sa vie, comme Bacon, qu’il a aussi commenté, de Rémusat s’est toujours plus ou moins vanté d’être un écrivain de libre examen et de libre pensée, un philosophe contre la théologie, un adversaire de l’autorité sur tous les terrains, en religion comme en politique, — et comme l’Église est l’autorité constituée de Dieu sur la terre et qu’elle a le privilège divin « que les portes de l’enfer ne prévaudront jamais contre Elle », de Rémusat, qui est une de ces portes-là, — non pas une porte cochère, aux cuivres insolemment luisants et aux gonds tournant à grand bruit, mais une petite porte, discrète et presque cachée à l’angle et sous les lierres prudents de son mur, — de Rémusat entend bien prévaloir contre l’Église et lui prouver que son privilège divin n’est qu’une prétention !

1526. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

Capitales et nécropoles sont, en effet, des choses et des mots congénères Ce qui se passe sur la terre dans ces furieux entassements d’hommes, en un espace déterminé, se passe identiquement dessous, et la corruption de la mort est adéquate ainsi à la corruption de la vie. […] La mort comme nous la connaissons qu’est-elle vraiment, quelle qu’en soit l’agonie, en comparaison de cette torture ignorée, qui peut être la nôtre, à chacun de nous, de la vie reprise tout à coup au fond d’une tombe fermée dont on sent sur soi le poids affreux, autour de soi les ténèbres affreuses et le froid affreux ? […] La terre, qui couvre les fautes des médecins, comme a dit un plaisantin de théâtre, a couvert peut-être aussi les plus grandes douleurs de la vie pour ces malheureuses créatures qu’on croyait mortes, qu’on croyait avoir soldé tout leur compte avec la douleur ! […] Le pauvre Edgar Poe l’a poussé comme Pascal ; Edgar Poe, organisé comme Pascal, mais dans un milieu différent, qui eut horreur de cet enfer du matérialisme d’être enterré vivant, comme Pascal avait horreur de l’autre enfer ; Edgar Poe, qui eut le cerveau timbré de cette terrible idée, qui en timbra ses œuvres, qui en timbra sa vie, et qui en mourut fou plus encore que du delirium, tremens ! […] Ils ont prescrit les vingt-quatre heures à attendre, pour qu’on fût sûr que la vie, ce mystère qui se joue des hommes, eût dit, à point nommé, sans une minute de plus, son dernier mot !

1527. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

La Puissance qui punit la vie est encore plus impassible que lui ! […] Il appartient à une époque troublée, sceptique, railleuse, nerveuse, qui se tortille dans les ridicules espérances des transformations et des métempsychoses ; il n’a pas la foi du grand poète catholique qui lui donnait le calme auguste de la sécurité dans toutes les douleurs de la vie. […] Il est le misanthrope de la vie coupable, et souvent on s’imagine, en le lisant, que si Timon d’Athènes avait eu le génie d’Archiloque, il aurait pu écrire ainsi sur la nature humaine et l’insulter en la racontant ! […] Voici un Rancé, sans la foi, qui a coupé la tête à l’idole matérielle de sa vie ; qui, comme Caligula, a cherché dedans ce qu’il aimait et qui crie du néant de tout, en la regardant ! […] Mais qu’il ait desséché sa veine poétique (ce que nous ne pensons pas) parce qu’il a exprimé et tordu le cœur de l’homme lorsqu’il n’est plus qu’une épongé pourrie, ou qu’il l’ait, au contraire, survidée d’une première écume, il est tenu de se taire maintenant, — car il a des mots suprêmes sur le mal de la vie, — ou de parler un autre langage.

1528. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Janin » pp. 159-171

Il en a toujours eu, toute sa vie. […] Au contraire, il y met la vie, et une vie plus intense qu’il n’y en eut jamais. […] Certes, après un pareil livre, auquel on s’attendait si peu et qui clôt (ou qui ne clôt pas) cette vie dévouée aux lettres, sans infidélité, qui fut toujours la vie de M. 

1529. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

La vieillesse de Louis XIV et les fléaux de la guerre achevaient son éducation commencée par la vertu : Si Dieu me donne la vie, disait-il, c’est à me faire aimer que j’emploierai tous mes soins. […] Tel est le fond du tableau que nous présente l’orateur ; il peint en même temps la jeune duchesse de Bourgogne, adorée de la cour, et dont les vertus aimables mêlaient quelque chose de plus tendre aux vertus austères et fortes de son époux ; il la peint frappée comme lui, expirante avec lui, sentant et le trône et la vie, et le monde qui lui échappaient, et répondant à ceux qui l’appelaient princesse : Oui, princesse aujourd’hui, demain rien, et dans deux jours oubliée. […] C’était prolonger sa vie que de lui donner lieu de la perdre pour l’État ; mais acceptant l’honneur de partager le péril, il refusa celui de partager le commandement. […] misérables intérêts, sources de tant de querelles entre des héros, vous ne prévalûtes jamais dans le cœur de celui-ci aux mouvements de son zèle ; il promit son bras, ses conseils, sa vie, s’il était besoin, mais sous le même général qui commandait déjà l’armée ; il eut beau cependant se dépouiller de ses titres, il les retrouva dans l’estime du général, dans le respect des officiers, et dans l’affection des soldats. […] Votre réputation n’est plus à vous ; c’est la seule et dernière vie qui vous reste encore parmi nous ; elle appartient à la renommée ; c’est à elle d’exercer son empire sur votre nom, pour le conserver aux siècles à venir avec encore plus d’autorité que la mort n’en prendra sur vos cendres pour les détruire.

/ 3766