Phèdre qui n’est point aimée, que peut-elle perdre dans la vie ? […] S’il plaide pour la victime devant l’assassin, pour la liberté devant les oppresseurs ; si les infortunés qu’il défend écoutent en tremblant le son de sa voix, pâlissent lorsqu’il hésite, perdent tout espoir si l’expression triomphante échappe à son esprit convaincu ; si les destinées de la patrie elle-même lui sont confiées, il doit essayer d’arracher les caractères égoïstes à leurs intérêts, à leurs terreurs, de faire naître dans ses auditeurs ce mouvement du sang, cette ivresse de la vertu qu’une certaine hauteur d’éloquence peut inspirer momentanément, même à des criminels.
L’on peut aisément perdre le peu d’éclat qu’on avait acquis ; mais il n’est plus possible de retrouver l’accueil bienveillant qu’obtiendrait l’être ignoré. […] comment imposer silence aux sentiments qui vivent en nous, et ne perdre cependant aucune des idées que ces sentiments nous ont fait découvrir ?
Je crois bien que, si les idées démocratiques venaient à triompher définitivement, la science et l’enseignement scientifique perdraient assez vite leurs modestes dotations. […] Un paradis perdu est toujours, quand on veut, un paradis reconquis.
En 1663, quand elle perdit son mari, elle se voua à la retraite, ne conserva des liaisons d’amitié qu’avec mesdames de Rambouillet, fort retirées elles-mêmes ; elle les réunit quelquefois à l’hôtel qu’elle acheta alors rue Saint Thomas du Louvre, et qui prit le nom d’hôtel de Longueville. Après avoir perdu son fils au fameux passage du Rhin du 12 juin 1672, elle s’établit à Port-Royal-des-Champs.
Il ne vit, dans Saurin, qu’un ennemi qu’il étoit nécessaire de perdre pour se sauver. […] Il perdit, dans le dépérissement de la compagnie d’Ostende, une somme de dix mille livres qu’il y avoit placée.
Ainsi Desfontaines avoit à craindre de voir son travail de plusieurs années perdu, si les idées du président Bouhier avoient lieu. […] « La prose, dit-il, ne sçauroit représenter qu’imparfaitement les graces de la poësie ; c’est-à-dire qu’elle ne peut en réprésenter le rythme & la cadence : mais, à cela près, elle peut en représenter parfaitement toutes les graces, en retracer toutes les images & en rendre même toute l’harmonie, par une autre sorte d’harmonie qui lui est propre & qui vaut bien, dans son genre, celle dos vers. » Il soutient que le traducteur en vers & le traducteur en prose font sujets aux mêmes loix ; qu’ils sont aussi astreints à la fidélité l’un que l’autre ; qu’il est aussi ridicule de voir l’un se donner l’essor & perdre de vue son original, que de voir l’autre ramper servilement & ne faire de sa traduction qu’une glose ennuyeuse & littérale.
Supposez toutes les religions disparaissant tout à coup, il se fera certainement un grand vide dans l’âme humaine, et il y aura, si j’ose le dire, une perte effroyable de force vive dans l’ordre moral ; ce que l’on gagnerait en lumière ne compenserait que très-imparfaitement ce que l’on perdrait en énergie et en vitalité morale. […] Sans renoncer aux différences propres qui caractérisent chaque école et même chaque nuance d’école, ne serait-il pas possible de chercher à s’entendre, à se comprendre, à s’associer, au lieu de se perdre dans une multitude de petites hérésies, impuissantes dans leur isolement ?
Si le musicien donne quelque chose à l’expression d’un mot qui n’est que la partie d’une phrase, il faut que ce soit sans perdre de vûë le sens general de la phrase qu’il met en chant. […] Tout est perdu, qu’on me pardonne cette figure, si l’esclave se rend la maîtresse de la maison, et s’il lui est permis de l’arranger à son gré, comme un bâtiment qui ne seroit fait que pour elle.
Titus d’un autre genre, il avait perdu sa journée ! […] Voilà ce qu’il ne faut pas perdre de vue dans ce singulier continuateur.
Malheureuse idée, qui, si elle ne l’a pas perdu, l’aura probablement empêché de se trouver ! […] Quant au billet héroïque, « Tout est perdu fors l’honneur !
… Cervantès perd son bras à Lépante ; qui se soucie de ce bras-là ?… Lord Byron, pour ne pas pleurer sa jeunesse perdue, veut délivrer la Grèce ; mais qu’est-ce que la Grèce, et l’eût-il délivrée, en comparaison du génie poétique qui a conquis l’admiration des hommes à lord Byron ?
Laissons pour le moment la composition même du livre, qui ne sait pas faire profondément et magistralement l’histoire d’une influence, sans se perdre dans les feux de file des faits, ou qui, faisant l’histoire des faits, s’y perd encore, car il ne peut les donner tous, et il n’y a pas de raisons pour qu’il choisisse plus les uns que les autres ; laissons cette maladroite succession de légendes qui ne fait pas l’unité d’un livre, car se suivre n’est pas s’enchaîner, et dans l’exécution de l’histoire de M. de Montalembert, demandons-nous ce qu’il y a de plus que des traductions assez fidèles et des transcriptions très honnêtes, car les notes du bas des pages, malgré leur place, sont supérieures à l’en-haut, et l’auteur n’a pas craint la comparaison !
C’est là, en effet, ce qui a perdu Cousin, — et je dis perdu, malgré une position qu’il prend probablement pour de la gloire : — l’ambition de créer à son tour en philosophie !
Cela donne à penser que dans ce pauvre temps de débilitation universelle la race des poètes n’est pas encore perdue, et que Gustave Rousselot est peut-être du bois dont se font ces flûtes enchantées. […] C’est l’enthousiasme, le Dieu en nous, comme traduisait madame Staël ; c’est l’enthousiasme, cet élargisseur des poitrines et des cœurs, qui donne aux poètes cette longue haleine et cette force d’enlever leurs vers comme sur des ailes, en plein ciel, en plein air, en pleine étendue, et, quoiqu’il se perde ici dans la chimère, l’auteur du Poème humain en a le foyer.
et tout est fresque de cette beauté dans cette longue description, dans cette empreinte levée si ardemment de l’Espagne du xvie siècle… L’évocateur de cette Espagne perdue et retrouvée ajoute encore, quelques pages plus bas : « Les danseuses d’Andalousie n’avaient point dégénéré depuis le temps de Martial et de Pline où elles emplissaient de leur folie lascive les festins consulaires et les voies impures de Suburra. […] Et cependant l’homme de sac et de corde espagnol, l’aventurier à la diable, avait quelque chose de commun avec le pur Sénéchal, et c’est la foi chrétienne, qu’il n’a jamais perdue !
Ce sont encore La Voix d’un ami qui est l’ardeur de l’amour introduite dans le sentiment le plus calme, L’Esclave et l’Oiseau, Le Secret perdu, La Jeune comédienne. […] Enfin, La Couronne effeuillée, La Vie perdue, et surtout La Fileuse et l’enfant, que les âmes tendres et chrétiennes diront divine.
Tu voudrais voir, dis-tu, pour la vie éternelle, Nos deux âmes se perdre en la même étincelle ; Si bien qu’on ne saurait en séparer les feux. […] De fait, il y perd sa puissance et n’y garde pas même son nom.
Et puisque nous tenons une épave de ce qu’elle a perdu, dans ce volume de poésies, publiées aujourd’hui, voyons si son naufrage, comme poète, est un si grand malheur à déplorer. […] Théophile Gautier a comparé ce poème, perdu dès son apparition dans le bouquet de la poésie romantique, qui éclatait (dit-il) avec un fracas lumineux, à une bombe à pluie d’argent… et c’est là une image juste et charmante qui donne le coloris du poëme et son effet… Évidemment, c’est là de toutes les poésies de Mme de Girardin, l’œuvre la plus réussie et la plus forte.
… Dans un des plus longs poèmes du recueil de Laurent Pichat, intitulé : Saint-Marc (le Saint-Marc de Venise), où se trouve, plus que partout ailleurs, cette idée qui, au fond, est la seule du livre : c’est que le monde entier, l’Antiquité, le Christianisme, le Moyen Age, toutes les religions, toute l’Histoire enfin, jusqu’à ce moment, ne sont plus qu’une pincée de poussière, un songe évanoui, évaporé, perdu, et qu’il n’en subsiste ni un sentiment, ni une croyance, ni une vérité, tandis que le xixe siècle seul est la vie ! […] J’avais fermé le coffret d’or Et la clé rose était perdue.
Quoiqu’il fût incommutable de génie, il perdit de son inspiration première. […] Il n’a pas chanté la jeunesse perdue que chantent tant de poètes au déclin, vieux Titons amoureux d’Aurores ; cette jeunesse que Chateaubriand voulut inutilement retenir avec les bras du désespoir.
Le violent, l’intempérant, l’extravagant (pour les bourgeois), l’indécent Richepin, l’impie Richepin, ce Capanée qui fourbit actuellement et damasquine ses Blasphèmes, se resserre tout à coup, se ramasse, se froidit, se simplifie, se métamorphose, et produit un roman d’analyse impartiale et patiente, — patiente… à impatienter le journal dans lequel il l’avait publié d’abord en feuilleton, et qui, lui, l’a raccourci, haché et châtré, ne voulant pas en perdre tout, puisqu’il l’avait payé à l’avance, et disant comme ce grand poète, qui n’est pas le Père prodigue, à son fils qui n’avait plus faim : « Mange donc cette côtelette encore, puisqu’elle est payée. » Le public, moins despotisé, n’a mangé qu’une partie de la côtelette de M. […] Quoique le romancier voie les réalités, et, quand il s’agit de les nommer, ne barguigne pas, le cynisme de ce terrible Richepin, qui ne craignait pas autrefois d’être cynique, qui n’hésitait jamais devant l’expression et se jetait à corps perdu sur elle, n’a plus guères, dans tout ce livre, que quelques traits fort rares, et encore le romancier ne s’y arrête pas, ou, s’il les ose, le croiriez-vous jamais ?
La préoccupation de ce malheureux livre, où il y a de l’étude et parfois du style, mais rien de sincère, de franc et de naïvement emporté, la préoccupation se trouve partout, c’est la manie de faire de l’école hollandaise, de cette école hollandaise transportée dans la littérature, et qui les perdra tous, ces romanciers sans idée, qui veulent tout écrire et ne rien oublier, parce qu’il est plus aisé de peindre les bretelles tombant sur les hanches des hommes qui jouaient au bouchon (v. p. 68), que d’avoir un aperçu quelconque ou de trouver une nuance nouvelle dans un sentiment. Oui, la manie de l’école hollandaise les perdra, car, pour peindre la vulgarité et n’être pas odieux comme elle, il faut la divine bonhomie qu’ils n’ont pas, et qui est aussi rare et aussi précieuse que la puissance même de l’idéal, qu’ils n’ont pas non plus !
Rien n’est facile comme de produire des effets, très-grands, je le veux bien, d’admiration ou de terreur, en cassant toutes les cordes de l’organisation humaine, cette lyre divinement accordée… Byron les produisit un jour dans son Vampire ; mais, on doit en convenir, même à part les vers, Conrad et Lara ont coûté plus de génie à lord Byron que lord Ruthwen, et l’émotion qu’ils produisent est d’un tout autre pouvoir sur l’imagination et sur le souvenir… Et c’est cette facilité d’invention dans l’anormal à outrance, dans le phénomène physiologique, devenu pathologique, et devant lequel la Science elle-même se tait comme devant une question insoluble, c’est cette grossièreté dans l’étonnement ou dans la terreur que produit toute monstruosité, ardemment ou puissamment décrite, qui a perdu aujourd’hui M. […] L’intérêt humain du roman a expiré, perdu dans la curiosité pathologique d’un descripteur de phénomènes inouïs, qui, s’ils contractaient un jour l’éternelle clarté de la certitude, en nous donnant (comme c’est la prétention des esprits qui les interprètent), l’abolition de toute distance, la transparence des corps et la vue immédiate des âmes, changeraient toutes les conditions des œuvres humaines, d’un seul coup, et chasseraient jusque du souvenir les littératures.
Et d’ailleurs, il faut le reconnaître, tout change ; Genève est en train de se modifier, de perdre ses vieilles mœurs et son à parte, plus même qu’il ne lui conviendrait. […] Quelques-uns disent que c’est là une branche de cette affection égoïste qui attache à un serviteur difficile à remplacer ; moi je pense que c’est un trait honorable de notre nature, lequel ne saurait s’effacer entièrement sans qu’il y ait pour l’âme quelque chose à perdre. […] Si vous me disiez non, non jamais…, à grand regret, cher lecteur, je verrais se perdre un petit grain de cette sympathie qui m’attire vers vous114. […] Un sentiment qui se trouve où il y a travail, exercice, économie, médiocre aisance ; qui se perd où il y a luxe prodigue, paresse, inutile oisiveté, serait-il indifférent aux yeux de l’homme de sens ? […] Il se croit malade par manie, il se fait élégant faute de mieux ; sa jeunesse se va perdre dans les futilités, et son âme s’y dessécher, lorsqu’une nuit, allant au bal du Casino, un incendie qu’il admire d’abord comme pittoresque, le prend au collet sérieusement ; il est obligé de faire la chaîne avec ses gants blancs ; il s’irrite d’abord, puis la nouveauté de l’émotion le saisit ; le dévouement et la fraternité de ces braves gens du peuple lui gagnent le cœur : il a retrouvé la veine humaine, et son égoïsme factice s’évapore.
Il serait vraiment fâcheux pour nous que ce qui a paru une nuance si délicate et en même temps si vive aux contemporains de Parny nous échappât presque tout entier, et qu’en le refeuilletant après tant d’années, nous eussions perdu le don de discerner en quoi il a pu obtenir auprès des gens de goût ce succès d’abord universel, en quoi aussi sans doute il a cessé, à certains égards, de le mériter. […] On chercherait d’ailleurs vainement dans l’élégie de Parny quelque rapport avec ce que le genre est devenu ensuite chez Lamartine, quelques vers peut-être çà et là, des traces de loin en loin qui rappellent les mêmes sentiers où ils ont passé : Fuyons ces tristes lieux, ô maîtresse adorée, Nous perdons en espoir la moitié de nos jours ! […] Parny arrivait sur les rangs et en première ligne ; mais le délire d’imagination auquel il venait de se livrer lui fit perdre des suffrages, et l’aimable Legouvé l’emporta sur lui. […] Comme on avait perdu Delille l’année précédente, on remarquait que c’était ainsi que, dans l’antiquité, Virgile et Tibulle s’étaient suivis de près au tombeau. […] le donnerai ici une ode au Plaisir qu’on peut supposer traduite en prose d’un élégiaque étranger, allemand ou anglais ; elle exprime sous une autre forme la pensée que nous venons de rencontrer à propos de Parny ; mais il y faudrait la fraîcheur de touche d’un Gray ou d’un Collins : « O doux et cher Génie, au regard vif et tendre ; au vol capricieux, rapide ; à l’accent vibrant, argenté, mélodieux ; dont la chevelure exhale un parfum sous la couronne à demi penchée ; dont la main porte un rameau de myrte en fleur, ou d’amandier tout humide de gouttes de rosée qui brillent au soleil du matin ; ou qui, le soir, assoupis tes pas sur les gazons veloutés aux rayons de la lune ; « O Dieu de la jeunesse et de la tendresse, langoureux comme une femme, hardi comme un amant ; volage, imprévu, consolateur ; — ô Plaisir, à toi, avant que ma voix ait perdu son timbre qui pénètre et cet accent que tu connais, à toi mes adieux !
Des illusions détruites, des efforts trompés, des enthousiasmes éteints faute d’aliments assez purs pour allumer dans les âmes une jeunesse perdue, des envies ignobles te suivant à la trace trop droite et trop haute de tes pensées ! […] XXVIII « En Égypte, où la tradition a exercé l’empire le plus tyrannique, l’architecture fleurit comme art religieux et national ; elle élève ces montagnes de pierre qui portent dans leurs flancs de royales sépultures, et qui jettent leur tristesse sur la monotonie de l’horizon ; elle construit d’énormes enceintes et multiplie les colonnes en des séries de portiques interminables où la pensée se perd avec le regard. […] Voici cette note : « Le nombre des statues était si considérable en Grèce qu’on aurait pu dire des Grecs, à l’époque où ils avaient perdu avec la liberté les vertus de leurs ancêtres, qu’il y avait chez eux plus de dieux que d’hommes. […] LIX À mesure que l’homme vieillit, il perd la sève, la verve, le désintéressement nécessaire pour les arts. […] LXIII Rebâtissons le Parthénon : cela est facile, il n’a perdu que sa frise et ses compartiments intérieurs.
« Un second phénomène qui provoquait nos muettes observations, ce fut la forme et le contenu de ses dernières lettres ; elles étaient plus courtes, plus décousues, plus illisibles que jamais ; les lignes inclinées commençaient tout près du bord du papier, serrées les unes contre les autres et formant un lien qui se dirigeait en bas vers sa signature, comme si elles étaient une image de sa vie pleine d’activité sur le bord, mais qui se perd par une pente rapide, à son illustre nom. […] Il répondit encore clairement aux questions faites à voix basse par les membres de la famille réunis avec sollicitude autour de son lit, et surtout de sa chère nièce l’épouse du ministre de Bülow et de son neveu le général de Hedemann, enfin de son fidèle serviteur Seiffert… Alors il se tut et ferma les yeux, sans souffrance, le 6 mai, à deux heures et demie de l’après-midi, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, sept mois et quelques jours. » III « Tout Berlin ressentit, à la nouvelle de cette mort, la même émotion que si l’on avait perdu le père le plus chéri. […] Ce n’est pas assez de dire que l’Allemagne a perdu un grand écrivain qui savait adapter toutes les nuances du plus noble style aux sentiments les plus délicats ; qu’est-ce que la forme à côté de tant de pénétration, d’esprit, de noblesse d’âme, de sagesse et d’expérience ! […] C’est là, en effet, ce qu’il y a dans l’homme de touchant et de beau, cette double aspiration vers ce qu’il désire et vers ce qu’il a perdu ; c’est elle qui le préserve du danger de s’attacher d’une manière exclusive au moment présent. […] On sait, il est vrai, qu’il a fait de nombreux emprunts au Phèdre de Platon, dans le traité des Lois et dans celui de l’Orateur ; mais l’imitation n’a rien fait perdre de son individualité propre à la peinture du sol italique.
Si l’homme perdait le langage, il l’inventerait de nouveau. […] L’enfant la possède encore avant de parler ; mais il la perd, sitôt que la science du dehors vient rendre inutile la création intérieure. […] On a délicatement fait sentir combien les chefs-d’œuvre de l’art antique entassés dans nos musées perdaient de leur valeur esthétique. […] La vraie noblesse n’est pas d’avoir un nom à soi, un génie à soi, c’est de participer à la race noble des fils de Dieu, c’est d’être soldat perdu dans l’année immense qui s’avance à la conquête du parfait. […] Celui qui l’a fait si doctement vous répondra : « Analyser les œuvres de la pensée humaine, en assignant à chacune son caractère essentiel, découvrir les analogies qui les rapprochent les unes des autres et chercher la raison de ces analogies dans la nature même de l’intelligence, qui, sans rien perdre de son unité indivisible, se multiplie par les productions si variées de la science et de l’art, tel est le problème que le génie des philosophes de tous les temps s’est attaché à résoudre depuis le jour où la Grèce a donné à l’homme les deux puissants leviers de l’analyse et de l’observation 106. » L’érudition ne vaut que par là.
Ils pourront même se perdre en systèmes bizarres sur les nombres, comme les pythagoriciens et Platon. […] Mais condamner toutes les recherches sur les raisons dernières comme une illusion dangereuse et vaine, considérer comme perdu le temps qu’on y consacre, vouloir en guérir l’esprit humain comme d’une infirmité chronique, c’est en réalité l’amoindrir. […] Ainsi, on perd en disputes oiseuses le temps qu’on devrait mettre à observer, et au lieu d’observateurs impartiaux, il se forme des partis poussant à outrance leurs hypothèses, éternellement en lutte, parce qu’ils combattent pour des chimères, et qu’on ne peut ni tuer, ni emprisonner des fantômes. […] Cependant l’esprit ou plutôt l’être intelligent lui-même est complètement perdu de vue au milieu de ces transactions où il ne paraît avoir aucune part. […] Ainsi entendue, elle perdra ce caractère abstrait qui la fait ressembler si souvent à la logique.
« Les femmes qui tirent l’eau du puits, ou qui la rapportent à la maison dans un seau de bois sur leurs têtes, s’arrêtent à ce son de la cloche ; elles courbent leurs fronts en soutenant le vase de leurs deux mains levées, de peur que leur mouvement ne fasse perdre l’équilibre à l’eau ; elles adressent une courte prière au Dieu qui fait lever un jour de printemps. […] Bientôt on les perd de vue derrière les roches, et ils ne reviendront que le soir, quand les chèvres et les brebis traîneront sur les pierres leurs mamelles gonflées de lait. […] Les sœurs n’y étaient pas moins distinguées de caractère et d’esprit que les frères ; la dernière de ces sœurs vit encore, âgée de quatre-vingt-quinze ans, dans la même maison que je vois blanchir d’ici, à l’époque où j’écris ces lignes ; elle n’a rien perdu de sa grâce de cœur et de son sourire d’esprit ! […] Ils étaient tous les trois, dans des mesures diverses et pour des causes différentes, ennemis du despotisme militaire qui avait succédé à l’anarchie de la Révolution, et qui pesait alors sur les esprits plus encore que sur les institutions : mon père, par attachement chevaleresque aux rois de sa jeunesse, pour lesquels il avait versé son sang et joué sa tête ; M. de Vaudran, par amertume d’une situation élevée conquise par ses talents, perdue dans l’écroulement général des choses ; l’abbé Dumont, par ardeur pour la liberté dont il avait déploré les excès dans sa première jeunesse, mais dont il s’indignait maintenant de voir la respiration même étouffée en lui et autour de lui. […] Un seul mot l’explique, et c’est par là que je voulais terminer : c’est que je suis redevenu franchement et exclusivement homme de lettres ; c’est que je vis, grâce à cette passion pour la littérature, en société avec tous les hommes qui ont légué leur âme écrite à la mienne, comme nous léguerons tous une parcelle de notre âme écrite à ceux qui viendront après nous ; c’est que mon âme se distrait, s’édifie, se fortifie dans cette société des grands morts ; et c’est aussi parce que, indépendamment de ces bienfaisantes influences du travail littéraire en lui-même, je jouis de penser que ce travail, plaisir pour les uns, peine pour les autres, devoir pour moi, ne sera peut-être pas entièrement perdu pour ceux à qui je dois le fruit de mes veilles1 !
Quoiqu’il ait rejeté loin de lui tout le luxe de la royauté, qu’il n’ait conservé qu’un seul bracelet devenu trop lâche, et qui retombe incessamment sur son poignet amaigri ; que ses lèvres soient desséchées par l’ardeur de ses soupirs, et que ses yeux soient enflammés par la continuité des veilles auxquelles le condamnent ses pensers douloureux ; eh bien, malgré tout cela, il éblouit encore par l’éclat de ses vertus : semblable à un magnifique diamant qui, par les mille feux dont il brille, ne laisse point soupçonner qu’il ait rien perdu de son poids sous les doigts habiles du lapidaire qui l’a taillé. » Le roi paraît, s’avançant lentement et comme abîmé dans ses pensées. […] » dit-il, « fallait-il donc que cette race antique qui, depuis son origine, s’était conservée si pure, trouvât sa fin en moi, qui ne dois pas connaître le nom si doux de père ; semblable à un fleuve majestueux dont les eaux limpides et abondantes finissent par se perdre dans des sables stériles et ignorés ! […] La seule imprécation qui lui avait fait perdre la mémoire a été cause du traitement injurieux qu’il t’a fait éprouver ; et, dès que le charme a été rompu, vois comme, à l’instant même, tu as repris ton empire sur son cœur. […] Le père de Bavahbouti était un brahmane appartenant à cette illustre race, dont l’origine se perdait dans les temps héroïques. […] Le désespoir, comme une flèche cruelle enfoncée dans mon cœur, demeure attaché dans la blessure qu’il a faite et qu’il déchire sans relâche… Ne puis-je tromper le temps et perdre le souvenir de mes douleurs en fixant mes yeux sur ces lieux qui me sont chers ?
Il faut ajouter que Chabrillat avait risqué deux ou trois fois sa vie dans la journée pour ne pas perdre un détail de l’affaire, et il y avait là un mélange de crânerie, de fantaisie, de courage, d’ironie et de bêtise qui est très caractéristique de la presse et du boulevard vers 1885. […] Je venais de rencontrer quelques camarades d’école que j’avais perdus de vue, amenés au journalisme par le goût des lettres ou la nécessité de gagner leur vie. […] La foule subirait sans s’en apercevoir cette discipline discrète, et quant aux écrivains et aux artistes, ce qu’ils y perdraient en liberté, ils le regagneraient vite par la finesse du public à les comprendre, et par l’approbation d’une élite de plus en plus nombreuse. […] Aurions-nous perdu ce tour charmant de la conversation française ? […] Je viens de perdre pendant quelques secondes, en vous regardant, la notion exacte de mon âge, pas assez pour que je me figure avoir le vôtre, mais suffisamment pour croire que je n’ai pas encore le mien.
Nous n’avons plus à nous émerveiller de voir l’aiguillon de l’Abeille causer sa propre mort ; de ce que de faux Bourdons soient produits en si grand nombre pour accomplir un seul acte générateur et pour que la plupart d’entre eux soient tués par leurs sœurs stériles ; de la haine instinctive de la reine pour ses propres filles fécondes ; de l’énorme quantité de pollen perdue par nos Pins ; de ce que l’Ichneumon se nourrisse du corps vivant de la Chenille, et de tant d’autres cas semblables. […] Chez les variétés, comme chez les espèces, des caractères perdus depuis longtemps sont sujets à reparaître. […] Les organes rudimentaires seront des guides infaillibles, quant à la nature des organes perdus depuis longtemps. […] La noble science géologique perd un peu de sa gloire en raison de l’extrême insuffisance de ces documents. […] J’ai déjà fait remarquer que le principe de divergence des caractères est loin d’être absolu et que les tendances héréditaires ont dû plus d’une fois produire la convergence des lignées généalogiques collatérales par suite de réversions à d’anciens caractères perdus.
Une intrigue politique fait perdre au père du héros du roman ses dignités et sa fortune, tandis que la même aventure arrive à la famille de la princesse, et les deux fiancés se perdent de vue. […] Il avait joué avec Niô, la statue colossale de l’entrée du temple, il avait joué une partie par laquelle, s’il perdait, il serait privé de la chance de tout gain au jeu pendant trois ans ; mais, si Niô perdait, il lui donnerait sa force physique pendant trois ans. Et Niô a perdu. […] En somme, j’ai perdu une année tout entière grâce à mon coquin de petit-fils, et je regrette cette précieuse année perdue. […] Peinture d’un grand relief, aux délicats détails du costume vert et bleu perdus dans la masse, et aux belles lignes du sac.
Peu de temps après, il perdit sa mère. […] Il ne savait ; mais il avait perdu sa sérénité ancienne. […] Et si l’homme n’est pas libre, si tous ses actes sont déterminés, c’est l’idée du devoir moral qui perd alors toute signification. […] Ils vont ainsi, tristement, parmi de radieux paysages, l’âme perdue dans leurs rêveries. […] La carte de Lamartine portait : “Je vous verrai dans l’après-midi…” Le reste se perdait dans le cadre.
Cela, qui fut écrit en 1849, n’a pas perdu toute opportunité en 1912. […] Et l’on raconte qu’il fait des vers latins, à ses moments perdus, pour se distraire. […] Folantin « regrettait la foi qu’il avait perdue. […] L’intelligence et l’amour, c’est trop pour un seul homme : Michel est perdu. […] Cet effort féminin ne sera pas perdu… (Qu’en sait-il ?)
Aussi malheureuse que notre politique, dessaisie de l’empire matériel du monde, notre littérature laisse perdre par ses fautes l’empire intellectuel qui était notre patrimoine incontesté. […] Ainsi les gais amis de notre libre et turbulente jeunesse, l’un après l’autre, solitairement, se perdent par le monde et laissent à la fin leur frère tout seul, vieillissant. […] Vous les rencontrerez surtout dans les vieilles provinces, où Gogol les a perdus sans achever leur histoire. […] La théorie internationale leur fit perdre de vue la réalité russe. […] Mais dans ce vain reste d’un corps, il y a une âme, épurée par la souffrance, divinement résignée, soulevée, sans rien perdre de sa naïveté paysanne, sur les hauteurs du renoncement absolu.
Il faut encore remarquer que la Littérature perd autant que les mœurs dans ces sortes de Productions.
Quelques situations, quelques traits de sentiment, une pantomime aussi adroitement ménagée qu'il est possible de le faire, peuvent amuser quelques instans le Spectateur, mais sont entiérement perdus pour le Lecteur, à qui rien ne fait plus illusion.
Cette Traduction, à laquelle il a, dit-on, la principale part, lui a attiré les anathêmes du Patriarche que les Lettres & la Philosophie viennent de perdre : M. de Voltaire, offensé de ce qu’on n’a pas parlé de ses Tragédies dans le Discours qui précede celles du Poëte Anglois, ne put retenir son ressentiment, comme il est aisé d’en juger par plusieurs de ses Lettres, & entre autres, par celle qui est imprimée dans la seconde édition du Bureau d’Esprit, où il traite M.
Sans doute il n’eût pas été difficile de l’adapter tout à fait au moment actuel, soit en y faisant un petit nombre de changements, soit en y introduisant quelques notes ; mais ce qu’il aurait pu gagner ainsi par plus d’à-propos relativement aux circonstances, il l’aurait certainement perdu en unité de dessin, en ensemble de physionomie et de caractère.
As-tu peur, tu es perdu ; as-tu du courage, tu dévores tout. […] nous sommes perdus ; la dernière fois, on nous a menacés…, il faut rassembler le monde, car si la flamme se jette du côté de Trosni… » Il talonna vivement sa monture, et partit à toutes jambes. […] oui, continua Kondrate ; il a perdu cette nuit sa dernière vache. […] Maria Dmitriévna, — Pestoff de son nom de fille, — avait perdu ses parents en bas âge. […] Heureux déjà celui qui n’a point perdu la croyance dans le bien, la persévérance dans la volonté, l’amour du travail !
La période de transition est pour les mots une période de crise ; ils ont perdu les mérites de l’analogie, ils n’ont pas encore ceux de l’impartialité. […] Lui-même, esprit d’initiative et d’analyse, comprend peut-être les mots usuels dans toute leur force, et il pourrait exprimer sa pensée dans le langage commun sans que, a ses yeux, elle perdît rien de sa valeur ; mais il la comprend mieux encore quand il lui a trouvé une expression originale, et il sent, bien que cette forme nouvelle est seule capable de répandre au dehors, de vulgariser, la pensée qui lui est chère. […] Les langues doivent se renouveler périodiquement, non seulement pour servir au progrès de la science, mais dans l’intérêt même de la conservation des découvertes du passé : le sens commun se perdrait s’il parlait toujours la langue de nos ancêtres. […] Ne sommes-nous pas en droit de supposer que les états les plus faibles sont, en quelque sorte, renforcés et vivifiés par leur entourage, et qu’ils reçoivent des états plus distincts qui les accompagnent, les précèdent ou les suivent, cette lumière de la spécificité qu’eux-mêmes ont perdue ? […] Ainsi Joubert (Pensées, p. 49) : « Notre esprit a plus de pensées que notre mémoire ne peut en retenir… Il y a pour l’âme une foule d’éclairs auxquels elle prend peu de part ; ils la traversent et l’illuminent avec tant de rapidité qu’elle en perd le souvenir.
On ne peut cependant se dissimuler qu’il n’ait rendu des services essentiels à la Religion & aux mœurs, en décréditant Voltaire, leur plus dangereux ennemi ; car de tous les Ouvrages publiés contre ce célebre Ecrivain, aucun n’a autant contribué, que le tableau de ses erreurs, à lui faire perdre l’espece d’autorité que ses talens lui avoient acquise sur l’opinion publique.
Oui, j’aimerais mieux perdre un doigt que de contrister d’honnêtes gens qui se sont épuisés de fatigues, pour nous plaire.
Or tous ceux qui ont appris le grec et l’anglois, sçavent bien qu’un poëte grec qu’on traduit en françois perd beaucoup plus de son mérite qu’un poëte françois qu’on traduit en anglois.
J’espère qu’elles y perdront ce qui leur reste encore de brutalité et de féroces instincts. […] Des agents surnaturels et extérieurs le sollicitent, comblent ses désirs et le perdent. […] Non, Werther n’a rien perdu pour moi. […] Il avait perdu avec la maladie la puissance de sympathie comique qui l’avait soutenu jusqu’alors. […] J’ai perdu ce qui me faisait, sinon aimer, au moins rechercher et supporter.
Dumas ait perdu pied. […] … Perdu ! […] Ce qui a fait son succès est aussi bien ce qui l’a perdu. […] Le cosmopolitisme envahit la société française et lui fait perdre son caractère. […] C’est pourquoi l’Académie n’a pas perdu tout prestige.
Les yeux écarquillés, je retenais ma respiration, pour ne rien perdre de ce spectacle extraordinaire. […] Nous perdions de longues heures, en face l’un de l’autre, et c’était à qui ne céderait pas. […] Les réponses n’étant pas venues, j’avais, du coup, perdu la foi. […] Par l’entrebâillement, je pouvais très bien voir, et entendre sans perdre un mot. […] Il me semble qu’elle est bien perdue pour moi, que je ne pourrai jamais la retrouver.
Je suis perdu ! […] et, puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; sans toi il m’est impossible de vivre. […] En thèse générale, cette alliance de la poésie et de la politique n’est pas heureuse ; la politique n’y gagne pas grand-chose, et la poésie y perd presque toujours. […] Faut-il perdre à se laisser séduire par lui un temps qui serait mieux consacré à des choses plus innocentes et plus solides ? […] Heureuse légèreté qu’il est si difficile d’acquérir et si aisé de perdre !
Si les minores de l’antiquité étaient perdus, la couronne de la Muse hellénique serait dépouillée de ses fleurs les plus fines.
Il auroit dû résister à leurs sollicitations & à celles de Palaprat, qui se joignit à eux ; car nous osons assurer que la Piece que nous avons lue en manuscrit, a beaucoup perdu par ces retranchemens, quoique le Public l’ait toujours goûtée, sans s’appercevoir de ce qui y manque.
La carriere de la Chaire lui offrit un champ où il se fit une très-grande réputation, que ses Sermons imprimés justifient, quoiqu’ils aient perdu quantité de traits que l’imagination de l’Auteur enfantoit subitement dans la chaleur du debit.
Falconet, son ami, que j'ai perdu les quatre cinquiemes de ce que je pouvois avoir de lumieres acquises.
On sait qu’après avoir épuisé l’indulgence de Louis XI, perdu les bonnes graces d’Edouard V, Roi d’Angleterre, il mourut en pays étranger, accablé de chagrins, déchiré de remords, & détesté de tous les honnêtes gens.
Il perdra la vie avant que de quitter son drapeau.
Il y resta longtemps, et c’est ici qu’on perd un peu sa trace. […] En 1543 un trop grand succès le perdit encore, comme il arrive. […] On ne peut reprocher à Rabelais d’avoir perdu beaucoup de temps en billevesées. […] Il n’y a qu’un vœu raisonnable, c’est celui de notre ami Couillatris, qui, ayant perdu sa cognée, demande sa cognée, rien qu’elle et celle-là même qu’il a perdue. […] Ce fut un orage où Ronsard perdit l’amitié de Jacques Grévin et quelques autres.
Au moment de partir, il les jouera, et les perdra, sauf quinze cents francs. […] Dans ce cas, il est perdu. […] La France aurait pu gagner à ma réunion avec l’Empereur ; moi, j’y aurais perdu. […] Il perd, à moitié folle, madame de Caud (Lucile, sa sœur bien-aimée). […] Puisque le ciel l’a voulu, que Lucile soit à jamais perdue !
Faustin Besson perd beaucoup à n’être plus troublée et miroitée par les vitres de la boutique Deforge. […] J’aime mieux laisser le temps faire son affaire que de perdre le mien à vous expliquer toutes les mesquineries de ce pauvre genre. […] Toutes les fois qu’il lui faut faire autre chose qu’une étude de femme, il se perd. […] Le public et lui y perdent également. […] Il est donc perdu pour lui et pour tous.
Me voyant très embarrassé et comme perdu, au milieu de ce vaste chantier, et, d’ailleurs pressé de revenir à mon travail ordinaire, M. […] La pensée n’y perdrait rien de sa pointe, mais l’étincelle ne jaillirait pas. […] Souday perdrait son grec à tenter de s’y reconnaître. […] Je lis et relis ces lettres, que je dois renoncer s’il ne tient qu’à moi, à examiner une à une, mais dont aucune ligne ne sera perdue. […] On perd ainsi à vouloir entrer trop tôt dans l’état conscient tous les avantages créateurs du « complexe primitif » et de ses associations ineffables.
« Certains peuples se perdent dans leurs pensées ; mais, pour nous autres Grecs, toutes choses sont formes. […] Elle ne peut se séparer de ses difficultés propres qui constituent sa forme ; et elle ne prendrait la forme du vers sans perdre son être, ou sans compromettre le vers ». […] Pourtant, dans cette descente intérieure, peut-être le visage de l’ancienne Parque, du Moi perdu, antérieur à l’individu, va-t-il reparaître. […] Perdu ce vin, ivres ces ondes ! […] Or la chaleur que nous sentons en approchant la main du foyer n’est pas une chaleur utile, mais une chaleur qui rayonne et qui est en train de se perdre.
C’est pour les malheureux qu’il faut écrire ; ceux qui sont en possession des prospérités de ce monde, ne s’instruisent que par leur propre expérience, et les idées générales en toutes choses ne leur paraissent que du temps perdu. […] La vivacité de nos désirs tient aux difficultés qu’ils rencontrent ; l’ébranlement de nos jouissances à la crainte de les perdre ; la vivacité de nos affections aux dangers qui menacent les objets de notre amour. […] Quant aux coupables qui n’ont point foi à l’existence future et dont la considération dans ce monde est perdue, le Suicide, d’après leur manière de penser, n’a d’autre inconvénient pour eux que de les priver des chances heureuses qui leur resteraient encore, et chacun peut estimer ces chances ce qu’il veut d’après le calcul des probabilités. […] Il y a deux manières de la sacrifier, ou parce qu’on donne au devoir la préférence sur elle, ou parce qu’on donne aux passions cette préférence en ne voulant plus vivre dès qu’on a perdu l’espoir d’être heureux. […] Mais il n’y a ni petitesse ni hasard dans un sentiment généreux : soit qu’il nous ait fait donner notre vie, ou qu’il n’ait exigé que le sacrifice d’un jour : soit qu’il ait valu la couronne ou qu’il se perde dans l’oubli, soit qu’il ait inspiré des chefs-d’œuvre ou conseillé d’obscurs bienfaits, n’importe.
Si vous parcourez toute la famille, vous y trouverez sans doute quelque plante marquante qui manifeste le type en pleine lumière, tandis qu’à l’entour et par degrés il va s’altérant, dégénère et finit par se perdre dans les familles environnantes. […] Une nuit, chez lord Oxford, pendant le terrible hiver de 1740, de peur de perdre une idée, il fit lever quatre fois la femme qui le servait. […] « Perdra-t-elle son cœur ou son collier au bal, fera-t-elle un accroc à son honneur ou à sa robe1115 ? […] Un des moins rigides et des plus célèbres fut Young, l’auteur des Nuits, ecclésiastique et courtisan, qui ayant en vain essayé d’être député, puis évêque, se maria, perdit sa femme et les enfants de sa femme, et profita de son malheur pour écrire en vers des méditations « sur la vie, la mort, l’immortalité, le temps, l’amitié, le triomphe du chrétien, la vertu, l’aspect du ciel étoile », et beaucoup d’autres choses semblables. […] Quand Roland, devenu ministre, se présenta devant Louis XVI avec un habit uni et des souliers sans boucles, le maître des cérémonies leva les mains au ciel, pensant que tout était perdu.
Alors j’invitai un de nos guides à l’aider, en lui promettant une récompense ; ce qui fut heureusement exécuté, car il n’y eut rien de perdu. […] « L’hôte chez lequel je logeais me dit : Vous serez heureux, s’il ne vous arrive rien que de perdre votre selle. […] tout est perdu, et il n’y a pas de remède ! […] Étant donc à Rome, j’allai voir Altoviti, qui me répéta les paroles de Michel-Ange, et chez lequel j’avais placé quelque argent, dont il me devait l’intérêt, ainsi que le prix de son buste ; mais, quand nous fûmes sur cet article, il parut si refroidi envers moi, et il me donna de si mauvaises raisons, que je fus obligé de lui laisser mon argent en rente viagère à quinze pour cent, et que je perdis le prix du buste que je lui avais fait. […] Il perdit son principal protecteur à la cour dans le cardinal Hippolyte de Médicis, qui prit la fièvre et la mort des maremmes de Toscane, dans un voyage où il accompagna le grand-duc son frère quelque temps après.
Les arts paroissent même souffrir dès qu’on les éloigne trop de l’Europe, dès qu’ils la perdent de vûë. […] Il est vrai que plusieurs empereurs furent des tyrans, et que les guerres civiles, par le moïen desquelles un grand nombre de ces princes parvint à l’empire ou le perdit, furent très-fréquentes. […] Cependant Mummius en recommandant le soin de cet amas précieux à ceux ausquels il le confioit, les menaça très-sérieusement, si les statuës, les tableaux et les choses dont il les chargeoit de répondre venoient à se perdre, qu’il en feroit faire d’autres à leurs dépens. […] Quand Rubens parut, Anvers avoit perdu la moitié de sa splendeur, parce que la republique de Hollande nouvellement établie, avoit attiré chez elle la moitié du commerce d’Anvers. […] La plûpart sont perdus aujourd’hui, et nous ne sçaurions, pour ainsi dire, juger le procès aussi bien qu’on le pouvoit juger alors.
La langue de cet avenir vers lequel nous dérivons, je l’ignore et ne m’en soucie, mais je sais très bien que le mouvement d’idées et de critique de 1830 nous fit retrouver la langue perdue du xvie siècle, la seule dans laquelle on pût bien traduire le plus grand poète que le xvie siècle ait produit ! […] On peut très bien oublier aussi des propositions de ce lyrisme : que « les anges sont des êtres immortels, n’ayant jamais failli, et condamnés à une béatitude sans fin » ; et que « Dieu est perdu dans l’infini », absolument comme un pauvre homme ! […] Seulement, soins perdus, efforts inutiles ! […] Selon son usage, que nous n’avons pas pu lui faire perdre, François-Victor Hugo étiquette ces trois pièces du nom générique : les amis, comme s’il n’y avait pas des amis aussi dans Roméo et Juliette, comme s’il n’y avait pas des amis partout dans les pièces de Shakespeare ! […] « Jamais sage ne fut si soudainement créé ; jamais la réforme, versée à flots, ne balaya tant de fautes dans un courant si impétueux ; jamais l’endurcissement aux têtes d’hydre ne perdit plus vite et plus absolument son trône que chez ce Roi. » C’est ainsi que le drame de Shakespeare commence.
Même si la plus désirée d’entre elles se réalise, il faudra faire le sacrifice des autres, et nous aurons beaucoup perdu. […] Si les oeuvres de la statuaire antique expriment des émotions légères, qui les effleurent à peine comme un souffle, en revanche la pâle immobilité de la pierre donne au sentiment exprimé, au mouvement commencé, je ne sais quoi de définitif et d’éternel, où notre pensée s’absorbe et où notre volonté se perd. […] Tantôt, en effet, le sentiment suggéré interrompt à peine le tissu serré des faits psychologiques qui composent notre histoire ; tantôt il en détache notre attention sans toutefois nous les faire perdre de vue ; tantôt enfin il se substitue à eux, nous absorbe, et accapare notre âme entière. […] À mesure, en effet, qu’une sensation perd son caractère affectif pour passer à l’état de représentation, les mouvements de réaction qu’elle provoquait de notre part tendent à s’effacer ; mais aussi nous apercevons l’objet extérieur qui en est la cause, ou, si nous ne l’apercevons pas, nous l’avons aperçu, et nous y pensons. […] Vous croirez perdre l’équilibre en le saisissant, comme si des muscles étrangers s’étaient intéressés par avance à l’opération et en éprouvaient un brusque désappointement.
Ils n’arrivent qu’à s’embrouiller dans leurs définitions, à se contredire dans leurs distinctions, à se perdre dans leur analyse ; et, comme les chimistes, leurs émules, quand ils veulent retirer de leur creuset les principes de l’âme humaine et dire : La voilà ! […] Un petit ménage de solitaire séquestré du monde aurait été perdu dans ces grandes salles et dans ces immenses parterres. […] XXIV Je venais de perdre ma mère. […] Comme dit Dante, le divin poète du surnaturel, semblable en cela à celui qui parle et qui sanglote à la fois , mes sanglots prenaient le rythme de ce glas funèbre, et je chantai ainsi en moi une ode de larmes à la mémoire de cette mère chérie et perdue, ode que je ne retrouverai jamais dans mes souvenirs, et que, si je l’y retrouvais, je n’écrirais pas, car l’extrême douleur a son mystère de pudeur comme l’extrême amour.
L’Algérie était certainement un bras de la France engagé à perpétuité avec cent millions et cent mille hommes de l’autre côté d’une mer qui n’est pas à nous ; diminution immense de nos forces actives, de nos budgets, de nos soldats, gage de dépendance donné à l’Angleterre toujours prête à nous dire : « Ou la paix servile, ou l’Algérie perdue, comme l’Égypte sous Napoléon, grâce à nos escadres et aux Arabes soulevés par nous contre votre naissante colonie ! […] M. de Metternich ne renonça à nous sauver que quand nous voulûmes obstinément nous perdre : il ne quitta Dresde que découragé par les injures personnelles de Napoléon. […] XXVIII Cette ténacité de l’Autriche à préserver l’empire napoléonien, même après toute espérance perdue, éclate encore en mauvaise humeur évidente contre les Bourbons, après l’abdication et après la réinstallation de Louis XVIII sur le trône. […] Aussi tout le temps que la Restauration règne en France, l’Autriche, irritée d’avoir perdu notre alliance exclusive, se montre-t-elle partout et en toute occasion l’alliée la plus difficile, la plus susceptible, la plus envieuse, disons le mot, la plus hostile contre nous : colère d’une puissance qui ne nous pardonne pas de caresser d’autres alliances que la sienne.
On sent qu’il a eu la main forcée par les passions qu’il a soulevées, et que, ne pouvant plus les diriger, il les trahit, mais sans pouvoir les perdre. […] Tous le détestent, parce qu’il les domine ; et tous le convoitent, parce qu’il peut les perdre ou les servir. […] Quand on est placé si haut, on craint tout ébranlement, car on n’a qu’à perdre ou qu’à tomber. […] Les menacer, c’est se perdre.
Quoique encore dans l’âge où rien ne décline dans l’homme, sa tête intelligente a déjà perdu quelques-uns de ces fins cheveux blonds qui, comme des feuilles inutiles, se dispersent avant l’été pour mieux laisser mûrir dans le front découvert ce fruit précoce, la pensée, dans les hommes qui le portent. […] Personne ne l’arrête pour lui tendre une main banale dans la foule, il parle à peu de passants ; mais quand il en rencontre par hasard un qu’il goûte ou qu’il aime, il revient sur ses pas, et il l’accompagne en sens contraire de sa route, comme quelqu’un à qui il est égal d’aller ici, ou là, et de perdre des pas ou du temps, pourvu qu’il ne perde rien de son cœur, de son esprit et de son goût pour ceux qui lui plaisent. […] Ce volume perdu ou égaré se retrouvera un jour, je n’en doute pas ; il se retrouvera grossi de poésies plus mûres et plus humaines ; il dira combien le donjon sans fumée de Saint-Lupicin et combien son toit blanchi de neiges ont caché de flammes et d’ardeurs sous la cendre de cette jeunesse évaporée en mélodieux soupirs qui ne montaient qu’au ciel, où montent tous les rêves et tous les encens.
Mais pourquoi se plaindre et perdre ainsi le mérite d’une contrariété ? […] J’étais perdue et sans bonheur sur la terre. […] C’est d’Euphrasie qui me donne des nouvelles de Lili, tristes nouvelles qui me font craindre de perdre cette pauvre amie. […] Descendant comme nous de l’exilé d’Éden, connaissent-ils sa naissance, sa vie, sa chute, sa lamentable et merveilleuse histoire ; cette Ève pour laquelle il a perdu le ciel, tant de malheur et de bonheur ensemble, tant d’espérances dans la foi, tant de larmes sur leurs enfants, tant et tant de choses que nous savons, que savait peut-être avant nous ce peuple dont il ne reste qu’une planche ?
Ces Vitry, ces Vivonne, ces Gourville n’ont pas l’esprit plus réglé que les mœurs ; Barillon, l’ami de La Fontaine, appartient à ce groupe sceptique que Saint-Évremond représente devant la postérité ; et c’est chez Broussin, devant Boileau, que l’épicurien Molière, s’il faut en croire la légende, lisait sa traduction perdue de Lucrèce. […] Louis XIV, si déclaré contre Port-Royal, ne s’y trompa point, et laissa Boileau manifester ouvertement son attachement au grand Arnauld ; Racine se demandait comment son ami prenait impunément des libertés que lui-même n’eût pu hasarder sans se perdre : c’est que le roi savait bien que Despréaux, quoi qu’il put dire ou faire, n’était pas de la secte. […] Comme ils n’écrivent point pour s’épancher ni pour s’amuser, et qu’ils parlent de leurs affaires, leurs lettres en perdent un peu d’éclat et d’intérêt littéraire. […] Il avait senti dès 1662 une difficulté de respirer, puis il était devenu asthmatique, et enfin en 1687 il perdait la voix, cette précieuse voix qui lui était si nécessaire pour disputer à l’Académie des Inscriptions contre le suffisant Charpentier à la voix de tonnerre.
Les idées de de Maistre sur la papauté ont, à l’heure même où j’écris, l’éclatante fortune de faire réfléchir bien des esprits et de remuer bien des consciences, et sa théorie des révolutions, considérées comme des expiations publiques, où ceux qui tuent n’innocentent pas ceux qui sont tués, est une leçon qui n’est pas près de perdre de son à-propos. […] Les plus tristes n’affectent l’âme que comme une douleur qui a perdu son aiguillon. […] Elle est élevée sans prêcher, rêveuse sans se perdre dans le vague ; elle plaisante sans grimace ; elle raille sans déchirer. […] De là, dans ses œuvres, distinguées plutôt que de premier ordre, la délicatesse tournant à la manière, la finesse à l’énigme ; de là un poète qui, pour se dérober aux yeux des profanes, s’enveloppe d’ombres, et finit par se perdre de vue lui-même.
Mais jusque dans ses emportements, il ne perdait jamais de vue la raison qui l’inspirait et sous le signe de laquelle il combattait. […] On ne perd rien en les lisant de la sorte. […] On a raconté l’histoire de l’homme qui a perdu son ombre. […] Si quelques jeunes gens, auxquels on enseigne à l’université, dans les brasseries ou les salons, que ces trois personnages sont de grands hommes, pouvaient lire ces pages et avoir l’envie de douter un peu de ces prétendues divinités, je n’aurais pas perdu mon temps.
Et comme le cœur d’Orphée est douloureusement abîmé, lorsqu’il voit soudain Eurydice à nouveau perdue ! […] Dans le même temps les émotions acquirent une intensité plus vive ; mais elles perdirent leurs nuances intimes. […] Emportés par une subite fièvre généreuse, ils cessèrent être réalistes : ils perdirent ainsi le pouvoir de toucher les âmes un peu délicates. […] Il marqueta de banales romances, pour les âmes très sensibles, et les dissémina parmi une suite de bruyances assourdissantes et creuses ; le tout seulement pour qu’on ne perdît pas de vue les gestes et mouvements de pantins démenant quelque scribeuse histoire.
Si un savant, après avoir reçu un coup violent sur la tête, oublie tout ce qu’il sait de grec sans oublier autre chose, et si plus tard, par l’effet d’un second coup, il retrouve soudain son grec perdu, il est bien difficile de voir dans le souvenir une « action toute spirituelle ». […] Les uns perdent la mémoire des figures, d’autres des couleurs, d’autres d’une seule couleur, d’autres des nombres, d’autres de plusieurs nombres seulement. […] Un annélide peut perdre une partie de ses organes et continuer de vivre. […] On le croyait perdu, mais, par un arrêt soudain et un retour imprévu, la lacune se combla en sens inverse. » 72.
En remontant jusqu’à la source primitive d’un systême de musique connu à la Chine depuis plus de quatre mille ans ; en approfondissant les principes sur lesquels ce systême appuie ; en développant ses rapports avec les autres sciences ; en déchirant ce voile épais qui nous a caché jusqu’ici la majestueuse simplicité de sa marche, ce Savant eût pénétré peut-être jusque dans le Sanctuaire de la Nature… Son Ouvrage nous eût peut-être fait connoître à fond le plus ancien systême de musique qui ait eu cours dans l’Univers [celui des Chinois] ; & en l’exposant avec cette clarté, cette précision, cette méthode qu’on admire dans son Mémoire, il eût servi comme de flambeau pour éclairer tout à la fois & les Gens de Lettres & les Harmonistes : les premiers, dans la recherche des usages antiques, & les derniers dans celle du secret merveilleux de rendre à leur Art l’espece de toute-puissance dont il jouissoit autrefois, & qu’il a malheureusement perdue depuis. »
dans le fond, la Massoure où se sont perdus et enfoncés à bride abattue ces brillants aventureux de l’avant-garde ; des groupes partout épars dans la plaine, la mêlée engagée sur plus d’un point ; d’un côté cette masure et muraille où s’appuient Joinville et ses amis harcelés d’un essaim de Turcs ; dans le fond opposé, le canal ou fleuve dans lequel Sarrasins et chrétiens et leurs chevaux sont précipités pêle-mêle, noyés ou à la nage ; et au premier plan saint Louis, apparaissant sur une levéev, dans ce glorieux appareil de combat. […] Joinville perd la plupart de ses chevaliers ; il voit mourir le bon prêtre qui lui sert d’aumônier. […] Il est bientôt débarqué et amené par l’amiralag, qui le fait chevaucher à côté de lui, jusqu’au lieu où étaient saint Louis et les autres prisonniers ; c’était un grand pavillon où les barons étaient et plus de dix mille personnes avec eux : « Quand j’entrai dedans, nous dit-il, les barons firent tous si grande joie, qu’on ne pouvait rien entendre ; et ils en louaient Notre-Seigneur, disant qu’ils croyaient m’avoir perdu. » — On trouvera peut-être que c’est là une joie bien prompte et bien vive après les pleurs et au milieu encore des plus grandes angoisses.
C’est la dernière citation que je veuille faire de Cowper : ne perdons rien de cette peinture perlée et finie, et toutefois si vivante et si naturelle. […] Partageant ton triste déclin, tes mains perdent leur peu de force ; cependant, doucement pressées, elles pressent doucement les miennes, ma Marie ! […] Il lui semblait, au milieu de toutes ses méditations et de ses soliloques spirituels, entendre toujours une voix fondamentale et profonde, qui lui criait : « C’en est fait de toi, tu es perdu !
La vraie marquise de Créqui fut mariée à 23 ans, le 6 mars 1737, au marquis de Créqui-Hémond, qu’elle perdit le 24 février 1744, après trois ans, onze mois et dix-huit jours de mariage. […] Vingt ans après l’avoir perdu, elle écrivait à M. de Meilhan, qui avait eu sur les amis je ne sais quelle pensée digne de La Rochefoucauld (et elle avait pu elle-même dans une occasion récente vérifier la quasi-justesse de cette pensée) : « Je me souvins alors de ce que vous avez écrit sur l’amitié, et je dis : Il a raison ; ensuite je tourne mes regards sur trente-deux ans d’amitié avec mon si cher oncle, et je dis : Il a tort. […] Si vous vouliez jeter sur le papier, à vos moments perdus, quelques réflexions sur cette matière, et me les communiquer, vous seriez bien payée de votre peine si elles m'aidaient à faire un ouvrage utile, et c’est à de tels dons que je serais vraiment sensible (il a les poulardes sur le cœur) : bien entendu pourtant que je ne m’approprierais que ce que vous me feriez penser, et non pas ce que vous auriez pensé vous-même.
Il en revint définitivement formé, avec un fonds d’idées qu’il accroîtra peu, et avec un cachet intérieur qu’il ne perdra plus. […] Ce qui est plus étrange encore que l’étonnement de Voltaire, c’est que cet étonnement ait été partagé par l’illustre marquise, qui passe pour un géomètre d’une certaine force : il fallait que ce jour-là elle eût perdu ses principes, selon le mot piquant et bien connu de Mme de Staal de Launay : « Elle fait actuellement la revue de ses principes : c’est un exercice qu’elle réitère chaque année, sans quoi ils pourraient s’échapper, et peut-être s’en aller si loin qu’elle n’en retrouverait pas un seul. […] Chacun de ses rayons dans sa substance pure Porte en soi les couleurs dont se peint la nature ; Et, confondus ensemble, ils éclairent nos yeux, Ils animent le monde, ils emplissent les cieux… Ainsi cette excursion fort inutile de Voltaire dans les mathématiques, et qui allait devenir une fausse route, ne fut pas tout à fait perdue : elle lui servit du moins à composer cette belle épître2. — « Je suis bien malade, écrivait-il à Thieriot en août 1738, Newton et Mérope m’ont tué. » Ni l’un ni l’autre ne le tuèrent.
Son but est complexe ; c’est à nous, lecteurs et raisonneurs, qu’il laisse le soin de le dégager ; il se contente de le résumer de la manière la plus générale, lorsqu’il dit à celui de ses amis auquel il adresse le Journal de ses impressions : « Admets seulement que j’aime passionnément le bleu, et qu’il y a deux choses que je brûle de revoir : le ciel sans nuages, au-dessus du désert sans ombre. » Parti de Médéah dans la direction du sud, il va traverser le pâté de montagnes qui le sépare du désert, et il ne nous laisse rien perdre, chemin faisant, de la physionomie du paysage. […] Il se demande pourquoi ces oiseaux du pays natal et de la même espèce que les nôtres, perdus dans le Sahara, et pour qui ils chantent là, dans le voisinage des autruches et dans la morne compagnie des reptiles. […] On conçoit que les Sahariens adorent leur pays ; que comme le Norvégien est attaché à son sol natal, à ses lacs plaintifs et à ses grandes forêts de sapins, les habitants d’une ville perdue dans une maigre oasis aux confins du désert soient fixés au sol et se sentent pris d’un grave et poignant amour pour « ce tableau ardent et inanimé, composé de soleil, d’étendue et de solitude ».
Dominique, par sa douce lecture, m’a procuré quelques heures de ce plaisir depuis si longtemps perdu. […] Il est orphelin de naissance et d’enfance ; il a perdu sa mère presque en naissant, et, peu d’années après, son père ; il a grandi au milieu des vieux domestiques de la maison, et a eu pour compagnons de jeux les enfants des paysans du voisinage. […] tout ce passé perdu revient à peu près au même.
Cette bataille perdue, le duc de Savoie avait reçu sa leçon, et la paix était virtuellement conquise ; mais il fallut bien des façons encore et des manèges qui durèrent plus de deux ans. […] mais il a ses opiniâtretés, et dans le moment qu’il parle de remarcher aux ennemis, il songe à repasser l’Adda et dit qu’il n’y a que cela à faire… Au bout du compte, le roi doit être informé qu’il n’y a en vérité plus, comme l’on dit, personne au logis, et que sa pauvre tête s’échauffe, s’embarrasse et puis qu’il n’en sort rien. » En rabattant de ces vivacités d’esprit et de plume tout ce qu’on voudra, il reste bien démontré, quand on a lu les pièces, que Louis XIV avait raison d’être peu satisfait ; son armée d’Italie avait perdu confiance en son général et n’était plus conduite : « Je vous avais mandé, écrivait-il à cette même date à Catinat, que vous aviez affaire à un jeune prince entreprenant : il s’est engagé contre les règles de la guerre ; vous voulez les suivre et vous le laissez faire tout ce qu’il veut. » Ce n’est pas d’avoir remplacé Catinat, c’est de l’avoir remplacé par Villeroy qu’on peut blâmer Louis XIV. […] Catinat, dès ce moment se relève ; en voyant arriver son successeur, il va regagner dans un autre ordre, par sa grandeur d’âme, au-delà de ce qu’il a perdu en renommée militaire ; il accepte l’infériorité, il se soumet sans réserve au désagrément amer, et n’a qu’un désir, contribuer encore au succès des affaires, à leur rétablissement, et payer de ses conseils si on l’écoute, ou, en tout cas, de sa personne.
Ceux qu’on a publiés ne renferment que ce qu’on a voulu perdre et n’étaient, la plupart, que des spéculations de librairie. […] Il avait gardé un premier accent alsacien dont ses camarades se moquaient, et qu’il perdit, nous dit-il, par la suite. […] Quand on a perdu, comme moi, sa queue dans la bataille, on a appris à apprécier les hommes et les choses.
A mesure qu’il se développe et se déploie davantage aux yeux des autres, il perd en lui-même ; quand tout le monde se met à l’apprécier, il est déjà moins ; quelquefois (chose horrible à dire !) […] Si une lettre, par malheur, se perd en chemin, ce sont des regrets, des recherches infinies. […] Si La Blancherie, qu’elle n’a plus d’occasion ordinaire de voir, se trouve à l’église, à un service funèbre de bout de l’an pour la mère chérie qu’elle a perdue : « Tu imagines, écrit la jeune fille à son amie, tout ce que pouvait m’inspirer sa présence à pareille cérémonie.
Au lieu de cette opportunité du moins dans le malheur, il survécut obscurément, se fit perdre de vue durant plus de dix années sans donner signe de vie au public ni aux amis ; il se laissa devancer sur tous les points ; la mort même, on peut le dire, la mort dans sa rigueur tardive l’a trompé. […] Aussi, même en ces mois de courte intimité, nous le perdions souvent de vue ; il disparaissait, il s’évanouissait pour nous, pour tous, pour ses amis de Dijon, auxquels il ne pouvait plusse décider à écrire. […] A la brusquembille Tu jouas jadis Mule, bride, étrille, Et tu les perdis.
Et pourquoi ce Jacques II, si brave dans la prospérité, fuyait-il sur les bords de la Boyne lorsqu’il n’avait plus rien à perdre ? […] Que celui que le chagrin mine s’enfonce dans les forêts ; qu’il erre sous leur voûte mobile ; qu’il gravisse la colline, d’où l’on découvre d’un côté de riches campagnes, de l’autre le soleil levant sur des mers étincelantes, dont le vert changeant se glace de cramoisi et de feu ; sa douleur ne tiendra point contre un pareil spectacle : non qu’il oublie ceux qu’il aima, car alors ses maux seraient préférables ; mais leur souvenir se fondra avec le calme des bois et des cieux : il gardera sa douceur et ne perdra que son amertume. […] La nuit, quand les fenêtres de notre salon champêtre étaient ouvertes, madame de Beaumont remarquait diverses constellations, en me disant que je me rappellerais un jour qu’elle m’avait appris à les connaître : depuis que je l’ai perdue, non loin de son tombeau, à Rome, j’ai plusieurs fois, du milieu de la campagne, cherché au firmament les étoiles qu’elle m’avait nommées ; je les ai aperçues brillant au-dessus des montagnes de la Sabine ; le rayon prolongé de ces astres venait frapper la surface du Tibre.
Il nous fait éprouver que nous sommes entourés d’inconnu et réveille en nous le sentiment du mystère, qui risquerait de se perdre par l’abus de la science et par la sotte confiance qu’elle inspire. […] En réalité, à moins d’une vocation spéciale et de circonstances exceptionnelles, un fils de paysan qui se fait bourgeois et qui embrasse, comme on dit, les professions libérales, y perd presque toujours, et de plusieurs façons. Il y perd certainement en bien-être.
Il suppose une race un peu affaiblie, une diminution de la force musculaire et un raffinement du système nerveux, la persistance de l’esprit d’analyse au fort même des sensations les plus propres à vous faire perdre la tête, par suite une certaine incapacité de jouir pleinement et tranquillement de son corps, le sentiment de cette impuissance, un retour paradoxal, en pleine débauche, au mépris de la chair, et, dans la souillure même, une aspiration à la pureté, moitié feinte et moitié sincère, qui ravive la saveur du péché et le transforme en péché intellectuel, en péché de malice… De M. […] C’est donc lui qui l’a perdue. […] Mais, pour cela, il faut qu’il ait méconnu Hélène, il faut qu’elle se perde par lui, il faut qu’il ait été cruel et injuste sans le vouloir.
Il perdrait son temps à vouloir décider si la poésie épique est supérieure à la poésie lyrique. […] Comme on l’a dit30 : « A la longue et par un effet à peu près certain de justice distributive, les rangs se rétablissent, les suprématies usurpées se perdent, l’ombre et la lumière se répartissent avec une sorte d’équité finale entre les auteurs ; le temps, aidé de la raison qui n’abdique jamais complètement, remet chaque chose et chacun à sa place. » Il est certains procès qui sont pour la postérité définitivement vidés. […] Nous voici de nouveau, semble-t-il, perdus dans un chaos inextricable !
Il perd de bonne heure ce jeune frère pour qui il s’est battu, et qui s’annonçait avec une grande distinction dans les sciences exactes. […] Charles Lameth et moi l’avons eue ensuite, un peu diminuée cependant, en ce que La Fayette conservait encore un grand nombre de partisans. — Nous la perdîmes dans l’affaire des Colonies, mais le scélérat qui nous l’enleva (il se montre moins emporté en d’autres endroits contre Brissot) ne put la recueillir, parce que le peuple, tout léger qu’il est, a cependant un tact qui ne peut s’attacher à cette sournoise hypocrisie ; elle est donc allée à Robespierre, mais tellement décrue, qu’on peut dire qu’il n’a peut-être pas recueilli le quart de nos partisans. […] » Ce discours, lu aujourd’hui, a quelque chose de prophétique ; la sensation du moment fut profonde ; Barnave eut cause gagnée dans l’Assemblée, mais la cause était déjà perdue au-dehors.
L’impératrice de Russie, Catherine, avait adressé un jour cette question à Mme Geoffrin, qui lui répondit par une lettre qu’il faudrait joindre à tout ce qu’a dit Montaigne sur l’éducation : J’ai perdu, disait-elle, mon père et ma mère au berceau. […] Il l’est plus que celui de Mme Du Deffand, qui, depuis la défection de d’Alembert et des autres à la suite de Mlle de Lespinasse, avait perdu presque tous les gens de lettres. […] Et en effet, un jour que cette laitière pleurait de désespoir d’avoir perdu sa vache, Mme Geoffrin lui en avait donné deux, une de plus pour la consoler d’avoir tant pleuré, et, depuis ce jour aussi, elle ne comprenait pas qu’elle pût jamais changer cette laitière.
Un autre obstacle encore à la concision des plaidoiries, c’est l’exigence du client, qui n’est jamais content, même d’avoir gagné sa cause, lorsque son défenseur n’a pas développé longuement tous les faits inutiles, toutes les circonstances oiseuses, tous les commérages qui pouvaient la lui faire perdre. […] Dans tout ce qu’il a écrit, il n’a perdu aucune occasion de décocher contre elle son trait malicieux. […] Bazin, pour le remarquer en passant, ne perd aucune occasion de railler notre Garde nationale.
Nul garçon ne meurt pour une fille, et ils n’ont pas tort ; ce n’est que trop vrai : personne ne perd plus que celui qui s’en va. […] Jasmin y était, un peu perdu d’abord dans la foule. […] On était au dessert, il n’y avait pas un instant à perdre, et les deux cent cinquante convives allaient échapper.
La langue sous Louis XIV acquit bien des qualités, et elle les fixa au commencement du xviiie siècle par un cachet de correction et de concision, mais elle y avait perdu je ne sais quoi de large et l’air de grandeur. […] Voyant la bataille perdue, dans les heures errantes de l’exil, de lâches distractions l’envahirent. […] Il est même à croire, comme il nous l’a très bien expliqué, que, dans un temps paisible, sa réputation d’archevêque aurait eu beaucoup plus à souffrir, car il aurait eu peine à dissimuler longtemps ses vices et ses désordres, au lieu qu’ils se perdaient dans la confusion inévitable d’une guerre civile.
L’ode, dans Horace, a déjà perdu de ce caractère primordial : quelques-unes de celles où il célèbre les grandes choses romaines ont pu être chantées en effet, mais la plupart n’étaient que des odes de cabinet, et ce charmant Horace, le modèle et le trésor des esprits cultivés, n’est lui-même qu’un lyrique déjà éclectique. […] Dans l’ode où on lit cette belle strophe, Le Brun déplore la maladie de Buffon, qui avait perdu Mme de Buffon l’année précédente, et qui avait été lui-même en danger de la suivre. […] Le Brun ne perd aucune occasion d’exprimer son dédain suprême pour le jargon des petits vers de société, si en vogue à son moment, « ces petits vers mièvres et délicieux dont on surcharge les sophas jonquille ».
Marmont, qui avait, gardé tout son feu, et qui ne perdait pas un commandement en chef, demanda à être employé au siège de Mayence : c’était une grande école pour un officier d’artillerie. […] Cet événement fatal, surtout dans un moment où il n’y avait pas une minute à perdre pour réparer les fautes, mit de la confusion dans les mouvements. […] Il n’y avait pas une seconde à perdre pour agir, le moindre délai nous eût été funeste.
l’immensité ne méprise pas l’utilité, et qu’y perd-elle ? […] Ce songe, qui faisait écumer le cardinal de Polignac et sourire Voltaire, n’est plus si perdu qu’il l’était dans les brumes de l’improbable ; il s’est un peu rapproché ; mais nous n’y touchons pas. […] Prenez garde, vous perdez le calme.
l’histoire de la philosophie est le remède à ce grand mal, c’est à elle de réparer nos pertes, de recueillir dans le passé tout ce qui est perdu et bon néanmoins à reprendre, à conserver. […] Je ne parle en ce moment que de ce travail conciliateur qui recueille dans les systèmes les vérités indépendantes du système lui-même, et qui sont bonnes pour toutes les écoles : ces vérités courent plus risque de se perdre en philosophie que dans les autres sciences. […] Si tout le monde a raison, tout le monde a tort, puisque tous se contredisent : ou plutôt on n’a ni tort ni raison, et le vrai et le faux vont se perdre dans l’abîme de l’absolue indifférence.
Par-tout on discerne un auteur sage, judicieux, mais trop fleuri & trop porté vers cette éloquence déclamatoire qui s’empara peu à peu de tous les esprits, & qui perdit entiérement le goût. […] Mais ces traits déliés ne sont que trop communs dans notre siécle, & loin de nous donner le moyen de faire un amas de fleurs, sous lesquelles le goût se perd, il faudroit plûtôt nous apprendre l’art d’être simple. […] Le seul précepte que je n’ai jamais perdu de vue, parce qu’il est le seul indispensable, & qu’il comprend tous les autres, c’est celui de tendre toujours à la plus grande utilité de l’auditeur.
… Le temps a passé depuis ces « Tableaux de la Révolution » qui en peignirent si bien l’affreuse aurore, et qui allumèrent contre elle l’imagination du grand Burke, un des hommes qui l’ont le plus haïe et méprisée, et ces « Tableaux », qui n’ont pas perdu une nuance de leur horrible fraîcheur première, sont restés de l’histoire, — de la définitive, ineffaçable et incorruptible histoire, — quand tout est fini des exaltations et des passions contemporaines d’un journalisme qui n’est plus ! […] Ce furent ces aristocraties naturelles qui le portèrent, d’emblée, au cœur d’une société qui avait perdu son ancienne fierté et qui ne demandait plus son blason à personne, sinon pour monter — étiquette stupide ! […] C’est le contraire de Michelet, que l’histoire enivre et entraîne… — on sait bien où — comme l’enfant aveugle de Wordsworth, perdu sur la mer, dans son écaille de tortue !
À quinze ans, ayant perdu sa mère, elle fut envoyée à la cour de Wurtemberg, où on l’accueillit avec la plus tendre affection ; elle y contracta particulièrement avec sa cousine germaine, qui est aujourd’hui la reine des Pays-Bas, une amitié de sœur. […] Elle a senti tout le prix et toute l’intention de ce sympathique accueil, et elle en a rapporté l’hommage à qui de droit, à celui qui, du fond de sa prudence, ne perd pas un seul instant de vue la consommation et la confirmation d’un si bel ouvrage.
Rousseau est un révolutionnaire : les sociétés futures selon qu'elles croiront en définitive avoir plus gagné que perdu ou souffert avec lui et par lui, lui seront plus ou moins reconnaissantes. […] Cicéron, tendre père d’une fille charmante, père désespéré quand il perdit Tullie, en est meilleur citoyen, plus attaché à ses amis, plus épris de la vérité, laquelle devient plus chère à l’homme chez qui la tendresse de cœur se communique à l’esprit, et qui aime la vérité à la fois comme une lumière et comme un sentiment. — J’ai peur que Voltaire n’ait aimé que son esprit… Il ne serait pas besoin d’avoir beaucoup vu M.
Pour apprécier, en toute connaissance de cause, Racine et son système tragique, il n’est certes pas inutile d’avoir vu ce système, encore méconnaissable chez Jodelle et Garnier, recevoir grossièrement, sous la plume de Hardy, la forme qu’il ne perdra plus désormais, et n’arriver à l’auteur des Frères ennemis qu’après les élaborations de Mairet et avec la sanction du grand Corneille. […] Molière et Racine avaient de bonne heure cessé de se voir ; Chapelle, adonné à des goûts crapuleux, était perdu pour ses amis, et La Fontaine aussi les affligeait par de longs désordres qui souillèrent à la fois son génie et sa vieillesse.
Mais cette franchise elle-même a des bornes, et l’homme qui s’est immortalisé par vingt chefs-d’œuvre ne perd jamais ses prérogatives. […] Faire, à propos d’un pareil livre, une critique d’ensemble serait perdre sa peine : il suffit pour le ruiner d’en extraire quelques passages.
Je vous donne à deviner ce qui s’appelait, en ce temps-là, tour à tour, « une bibliothèque vivante où l’on apprend tout sans peine et sans étude ; une salle de musiciens où l’on entend les plus savants concerts ; un théâtre magnifique où tout ce qui frappe les yeux étonne l’esprit et glace la voix ; une école toute céleste où les esprits, de quelque étage qu’ils soient, peuvent, en y arrivant, s’élever à tous moments, et, par l’approche et la communication d’un corps lumineux, acquérir tous les jours des clartés nouvelles ; un parterre orné de fleurs de toutes les couleurs ; un corps qui marche à frais communs et à pas égaux vers l’immortalité ; le sanctuaire et la famille des Muses ; une si haute région d’esprit, que l’on en perd la pensée, comme, quand on est dans un air trop élevé, on perd la respiration. » C’est l’Académie française à qui s’adressaient ces louanges à la fois si énigmatiques et si outrées, dans des discours de réception où les nouveaux élus se donnaient toute cette peine pour ne pas se dire simplement reconnaissants.
Le créateur de pensées s’aperçoit que ses pensées tombent sur un sol ingrat et qu’elles perdent, en y tombant, le meilleur d’elles-mêmes. L’aristocrate en arrive à perdre la foi sinon dans ses propres pensées, du moins dans leur efficacité sociale et il n’a plus de refuge que dans l’individualisme pessimiste dont Vigny et Gobineau restent les parfaits prototypes, dans la tour d’ivoire du penseur misanthrope où les esprits blessés trouvent un dernier, hautain et silencieux abri.
Mais il y a plus : ces deux buts sont inséparables et le meilleur moyen d’atteindre l’un c’est de viser l’autre, ou du moins de ne jamais le perdre de vue. […] Qui le regrettera ; qui croira que ce temps et ces forces ont été perdus ?
C’est là une très grande erreur, qui, si elle devenait dominante, perdrait la civilisation européenne. […] Ces groupements sont des faits historiques qui ont eu lieu à une certaine époque, mettons il y a quinze ou vingt mille ans, tandis que l’origine zoologique de l’humanité se perd dans les ténèbres incalculables.
Mais ce procédé logique ne perd rien de sa légitimité dans l’hypothèse que ni l’esprit ni la matière ne sont rien autre chose qu’une possibilité permanente de sentiment. […] La croyance en Dieu n’a donc rien ni à gagner ni à perdre, si l’on admet la présente théorie.
Madame de Montespan ne considérait pas non plus que cet acte de domination et de jalousie tournerait contre elle dans l’esprit du roi, lorsqu’elle aurait perdu ce qui lui restait d’empire sur ce prince. Madame Scarron faisait toujours plus remarquer sa douceur, son aménité, son respect, à mesure que madame de Montespan se montrait plus impérieuse : elle gagnait en proportion de ce que celle-ci perdait.
Elle ne veut point être maîtresse, mais amie d’un prince à qui il faut faire perdre l’habitude des plaisirs désordonnés et apprendre ceux de l’amitié. […] Elle me redonne au roi comme il lui plaît, et m’en fait perdre l’estime.
Mais, comme il n’y a guère autre chose et qu’elles ne varient guère, leur musique monotone et vide perd bientôt son prestige premier. […] Enfin il subordonna la vérité libératrice à une théorie psychologique : « Le temps et les circonstances, qui élargissent les vues de la plupart des hommes, rétrécissent les vues des femmes presque invariablement. » Malheureusement, si l’auteur illustre cette hypothèse par la victoire chaque jour plus complète de Jude sur les préjugés et par la défaite finale de Suzanne, il la contredit par le changement, trop féminin alors, de Phillotson, d’abord intelligent et généreux, qui ensuite obéit aux plus ridicules convenances et se laisse persuader aux chuchotements des plus sordides calculs, Thomas Hardy, intelligence anglaise, riche et complexe, mais perdue et tâtonnante au labyrinthe du détail, ne sait même pas pourquoi « l’expérience » de Suzanne et de Jude a échoué.
Le cœur de l’homme a plus gagné dans ce travail que son imagination n’a perdu ; Grégoire de Nazianze en est la preuve. […] Sans perdre de ses grâces d’autrefois, son talent a gagné une teinte de mélancolie qu’il ne connaissait pas auparavant et qui le rehausse.
Il y a des objets qui gagnent, d’autres qui perdent, et la grande magie consiste à approcher tout près de nature, et à faire que tout perde ou gagne proportionnellement.
Quelle époque de corruption que celle où un homme d’honneur se croit perdu s’il laisse éclater son amour pour l’épouse qu’il a promis d’aimer ! […] Nanine paraît sur la scène, et ce n’est plus un jeune seigneur perdu de mœurs, c’est un sage qui se mésallie.
Au sein du désert que nous traversons péniblement, nous perdons quelquefois de vue le côté lumineux de cette nuée miraculeuse qui est notre guide ; mais enfin nous voyons toujours la nuée, et de temps en temps des rayons de lumière en sortent pour nous éclairer. […] Je considérais cette majestueuse basilique de Saint-Pierre, commençant déjà à s’enfoncer, en quelque sorte, dans la solitude où elle doit se perdre un jour.
Ne l’oublions point, le genre humain tout entier regrette aussi une patrie qu’il a perdue. […] L’imprimerie est venue tirer de leur solitude ces pensées oiseuses : nul alors n’a voulu perdre le fruit amer de son propre tourment ; il fallait être Pascal pour se réjouir de sa pensée oubliée.
L’accusation portait donc à faux : je ne m’étais point perdu dans le fini ; s’il est une préoccupation qui m’ait dominé, c’est bien plutôt la préoccupation religieuse. […] « En Europe, où nos langues ne sont que des langues dérivées, la valeur des mots qui peignent à la fois le rapport physique, ou l’être physique, avec le rapport analogique intellectuel ; s’est presque totalement perdue.
C’est, comme tous ses autres romans, une thèse plus ou moins cachée… On s’y perd dans les personnages et aucun n’a de physionomie qui s’impose à l’imagination et qu’on se rappelle. […] Littérairement, et dans l’ordre démocratique, Mme André Léo est à peu près ce qu’est Mme de Ségur dans l’ordre catholique, mais sous une forme romanesque, imitée de Mme Sand, — de la Mme Sand des dernières années, enrhumatismée de philosophie et qui a perdu la petite fleur de bohème adultère, par laquelle elle a réussi.
Mais le mystique, à la parole perdue dans le désert d’hommes sans écho de ce monde ambiant, a dû nécessairement se détourner quelque peu des choses divines pour envisager les choses humaines qu’il voulait voir, et il les a percées d’un tel regard que le monde, inattentif et indifférent au mystique, prendra peut-être garde à l’observateur ! […] Pourquoi ce qui fut facile au grand poète du Paradis perdu, qui prit son mâle parti de l’obscurité, ne serait-il pas facile à un mystique qui est sur la terre exclusivement le poète de Dieu ?
l’esprit de parti semble ici avoir bénéficié de tout ce qu’a perdu le talent, et c’est dans ce sens qu’il s’est fait — au dommage de Macaulay — une compensation terrible ! […] Jacques II, lui, fut chassé pour avoir cru que les concessions avaient perdu son père et pour avoir voulu maintenir la prérogative que, dans sa conscience, il croyait son droit.
Augustin Thierry, mais qui s’est entièrement perdu dans un pays qui aime à rire, et qui respecte le sérieux, — qui le respecte jusqu’à l’ennui, — M. […] Martin l’admet très positivement en histoire et jusqu’à vouloir retrouver l’influence celtique là où elle est le moins, emportée qu’elle fut et perdue dans l’énergique torrent de la circulation chrétienne et française !
Philippe II, Charles-Quint, dont il s’agit aujourd’hui, sont de ces grandeurs embrouillées qui cachent une énigme et dont le sens (du moins dans ce qu’il eut de net et de complet), un jour, s’est perdu. […] … On a parlé de la douleur d’avoir perdu l’Impératrice, de cette affection blessée par la mort et qui saigna toujours dans l’âme de ce fils de Jeanne-la-Folle, en qui l’amour conjugal semblait une passion héréditaire, mais la Douleur a son idée fixe et ne revient pas toucher, de ses mains préoccupées, les amusettes de l’Ambition.
, — ayant refusé le vol surnaturel de l’âme, il a perdu son vol naturel. […] Seulement, leur Dieu avait perdu son nom et son culte.
L’âme de cette femme brûle sans flamber, elle se déchire sans faire de bruit, et tout ce que je connais de plus cruel, le sourire de la résignation, retrouvée toujours quand elle croit l’avoir perdue, revient bientôt planer au-dessus de toutes ses douleurs et de toutes ses agitations ! […] On ferait un livre bien piquant de l’influence de l’aristocratie sur le naturel ; car ce qui le gâte et ce qui le perds, c’est la prétention, et il n’y a de prétentions à rien dans un monde qui a droit à tout… Or, elle était de ce monde-là.
Mais comme propagande d’idées elle se perdra : en France, par son lyrisme et sa candeur même ; en Allemagne, par son manque de science réelle et de profondeur. […] Tous leurs systèmes sortent des abîmes d’une psychologie qui leur semblait, en tout sujet, le point de départ inévitable, mais qui les a perdus, parce que qui descend dans l’homme sans la main de Dieu ne remonte plus !
Dans ses ardeurs vers Dieu, le feu qui la consume, ce feu mystique, est blanc comme la neige à force d’être concentré, et voilà pourquoi les âmes accoutumées à la grossièreté de la terre et à l’expression violente et morbide de ses passions peuvent trouver sans couleur et sans fulgurance cette flamme divinisée en Dieu et qui a perdu l’écarlate de la flamme humaine ! […] À certaines places de ce récit merveilleux où le surnaturel a complètement remplacé la nature, on voit surgir du fond de cette Contemplative, éperdue et perdue dans son Dieu, une raison plus forte que toutes ces flammes, qui met la main sur le cœur qui palpite et dit à ce cœur : « N’es-tu pas ta proie à toi-même ?
Ce fut sa destinée, à cet homme qui avait réellement du génie, mais pour qui le génie fut toujours une force perdue, de mériter dix gloires pour une, et toutes ces dix, de les manquer ! […] Et, en effet, tant que la Paternité, qui est dans la famille ce que Dieu même est dans l’univers, restera debout dans un seul code ou dans un seul cœur ; — tant que cette Paternité discutée, diminuée, méprisée, imbécillisée comme elle l’est par de lâches tendresses, n’aura pas cependant entièrement perdu la notion de son imprescriptible droit et n’aura pas été remplacée par l’État, ce tyran eunuque qui n’a pas d’enfants !
L’abbé Gratry, en sa qualité de métaphysicien, a mis la main sur la grande blessure de la métaphysique moderne, qui perd son sang, son âme et sa vie, dans des abstractions qu’on prend pour elle. […] Rien de plus simple, diront quelques esprits, mais les vers d’Athalie sont aussi fort simples, et dans les arts comme en métaphysique, ce qui perd tout, c’est le compliqué.
La vie n’est belle et touchante qu’en se retournant, et elle le devient… de ce qu’elle est perdue ! […] Elle y échappe par sa passion même… et c’est là justement ce qui fait la poésie d’Armelle et ce qui la rend incompréhensible aux esprits désorientés dans l’horizon où cette poésie aurait toute sa puissance… « Ce n’est pas sur mon bras perdu qu’il faut pleurer, — disait Saint-Hilaire à son fils, au coup de canon qui, avec son bras, emportait Turenne, — c’est sur ce grand homme qui n’est plus !
» Assurément, quand de pareils vers, purs, légers et tremblants comme les larmes mêmes dont ils parlent, ont pu tomber, comme une protestation de toutes les puretés du cœur, des lèvres du convive de la Maison d’Or, on peut dire qu’il aura toujours « de cette rosée » dans le talent, car il ne l’aurait plus, s’il avait pu la perdre et si les mauvaises ardeurs de la vie avaient pu jamais la sécher ! […] Le Sybarite des autres poésies, le bel Attristé de la jeunesse perdue et des vulgaires trahisons de l’Illusion et de l’Espérance, disparaissent.
Croyez bien que je ne la laissai pas cachée et perdue dans ces cent exemplaires d’alors parmi lesquels il y en avait peut-être cinquante de trop, et que je la signalai et l’offris aux cinquante personnes dont je vaudrais trouver l’adresse, — oui ! […] Jouet de l’ouragan qui l’emporte et le mène, Encombré de trésors et d’agrès submergés, Ce navire perdu, mais c’est la nef humaine, Et nous sommes les naufragés !
La Louise 10 d’Édouard Gourdon est, au contraire, une œuvre courte, fine, passionnée, sans grands événements extérieurs, un de ces livres dont le sens se perd un jour mais se retrouve l’autre, car il est éternel comme le cœur ; livres brefs, mais pleins, qui n’ont besoin pour intéresser le lecteur que d’une seule situation profondément creusée ou d’un seul sentiment éloquemment exprimé. […] Mais il y prit, quitta, reprit, pour les y perdre et reprendre encore, ses modestes galons de brigadier.
Et pourtant cette magnifique variété de Lovelace est battue par la Messaline blonde, qui se retire du jeu avant qu’il ait gagné la partie, ce qui est pour les femmes la seule façon de la gagner ; car, pour elles, rester au jeu, c’est la perdre toujours. […] ce Boucher et ce Fragonard littéraire a des pages terribles, que je signalerai quand je m’occuperai de son œuvre entière… Quant aux femmes qui ne tombent pas, et qui semblent nées tombées, tant leur innocence dure peu et se perd dans les lointains !
En soi, cette production ne sauve rien de ce qui doit périr, et elle perd souvent ce qui, sans son enragement, aurait pu vivre. En histoire, elle a perdu M.
Cette verve est inconcevable, et elle serait réputée impossible, si les preuves n’étaient pas là, sous forme d’une œuvre immense, collection innombrable de vignettes, longue série d’albums comiques, enfin d’une telle quantité de personnages, de situations, de physionomies, de tableaux grotesques, que la mémoire de l’observateur s’y perd ; le grotesque coule incessamment et inévitablement de la pointe de Cruikshank, comme les rimes riches de la plume des poëtes naturels. […] Pourtant il a, même à cette époque, fait de grandes lithographies très-importantes, entre autres des courses de taureaux pleines de foule et de fourmillement, planches admirables, vastes tableaux en miniature, — preuves nouvelles à l’appui de cette loi singulière qui préside à la destinée des grands artistes, et qui veut que, la vie se gouvernant à l’inverse de l’intelligence, ils gagnent d’un côté ce qu’ils perdent de l’autre, et qu’ils aillent ainsi, suivant une jeunesse progressive, se renforçant, se ragaillardissant, et croissant en audace jusqu’au bord de la tombe.
La plupart des sophistes habitaient dans Athènes, ou dans les villes grecques de l’Asie ; alors Athènes était esclave ; la tribune où avait harangué Démosthène était brisée : Athènes avait perdu l’orgueil, les espérances, les craintes. […] Auprès d’elle est la flatterie en habit d’esclave, qui lui sourit et qui la perd, et qui conspire en caressant.
D’ailleurs les hommes ordinaires n’ont point de trône à perdre ; mais leur intérêt ajoute à leur pitié, quand un exemple frappant les avertit que leur vie n’est rien. […] Elles ont quelque chose d’indéfini ou de vaste, où l’imagination se perd ; elles réveillent dans l’esprit une multitude innombrable d’idées ; elles portent l’âme à un recueillement austère qui lui fait mépriser les objets de ses passions, comme indignes d’elle, et semble la détacher de l’univers.
Heureux les nobles cœurs et les rares esprits qui gagnent la maturité sans perdre le désintéressement ! […] Heureusement la vérité ne perd jamais ses droits et reparaît toujours. […] Quand un homme de grande taille a une voix de ténor, c’est une voix de gorge, qu’il perd d’ordinaire entre trente et quarante ans. […] … Lignes superbes, qui vous perdez dans le ciel ! […] Ainsi cette religion commença de se perdre par où elle croyait régner d’autant plus.
Les genres se sont défaits et les règles ont perdu leur prestige. […] Mais, ce qu’elle aura perdu en limpidité, elle le gagnera en vérité. […] Et ainsi se perdait la singulière et condamnable renommée des Baillard. […] Qu’avez-vous à perdre ? […] Ensuite, je ne le voyais que loin et mes yeux l’ont perdu.
Tout le profit ou le préjudice de ce commerce ne saurait être de leur côté ; ils ont agi à leur tour sur leur très-malin et très-spirituel ami ; le célèbre chansonnier a donc perdu un peu en gaieté, il a gagné en religiosité, en tendances sérieuses et sociales ; il est sorti peu à peu de son premier cadre et s’est agrandi.
Pour bien décider sur ces sortes de matieres, il faudroit non seulement remonter aux sources, suivre les traces, saisir les rapports, ne jamais perdre de vue son objet, mais avoir encore une sûreté de tact pour saisir les caracteres, un esprit de sagacité pour découvrir & recueillir les débris dispersés, & une adresse pour les concilier & en former un Tout, capable de remplir le but qu’on s’est proposé.
Cet Ecrivain est comme Montagne, il perd continuellement son objet de vue, mais n’a pas, comme lui, l’art de répandre de la force & de l’agrément dans ses écarts.
Platon. a donné dans le même écueil, & n’a point perdu pour cela sa réputation de grand Philosophe.
Il annonce dans l'Auteur, du sentiment, de la délicatesse, de l'enjouement, & a causé un plaisir universel, en ressuscitant un langage qui aura toujours son prix, aux yeux de ceux qui n'ont pas perdu le caractere François.
Du Titon de l'antiquité, A celui de nos jours, voici la différence ; L'un reçut & perdit son immortalité, L'autre en jouit & la dispense.
S’étant imaginé qu’une composition en quatre volumes valait la peine d’être méditée, il a perdu son temps à chercher une idée fondamentale, à la développer bien ou mal dans un plan bon ou mauvais, à disposer des scènes, à combiner des effets, à étudier des mœurs de son mieux ; en un mot, il a pris son ouvrage au sérieux.
Les êtres réels perdent de leur vérité à côté des êtres allégoriques, et ceux-ci jettent toujours quelque obscurité dans la composition.
Le cours d’eau, qui promettait d’être un fleuve, se perd, ruisselet tari, dans les sables. […] Il était de ceux qui croyaient avoir à y perdre. […] Une fois rentrés dans la vie civile, ils perdent vite les habitudes contractées au service. […] Il l’enterra en pleurant ; mais, s’il avait perdu son bœuf, il avait trouvé une amoureuse, mieux encore ! […] Mais chose à méditer surtout pour tous ceux qui ont plus à perdre qu’à gagner dans le bouleversement !
Mallarmé a perdu le sens même des mots. […] Il a trop cru aux mots et les mots l’ont perdu. […] Bakounine souffre du scorbut : il a perdu toutes ses dents. […] Mais l’Académie ne fait plus loi, elle perd même toute autorité sur la langue. […] Ces personnages effondrés, craignant de perdre toute influence si M.
Quel ennui d’aller là-bas, dans ces pays perdus ! […] Peine perdue. […] Puisse-t-il aussi perdre la tête ! […] Nos fonctionnaires ne perdent pas leur temps. […] Peine perdue, pauvre coucou !
Elle mourrait, comme Sigrun, sur le cadavre de celui qu’elle a uniquement aimé, si par un breuvage magique on ne lui faisait perdre la mémoire. […] Il lui commanda alors de bien faire attention de ne pas regarder par derrière après qu’il serait parti, et dit que, s’il regardait par derrière, il perdrait sa femme. […] Alors aussitôt elle fut perdue pour lui. » Nul ornement dans ce récit ; nulle finesse comme dans l’original ; Alfred a bien assez de se faire comprendre. […] Ceux-ci perdent tout génie en perdant leur fièvre ardente. […] Nam qui tartareum in specus Victus lumina flexerit, Quidquid præcipuum trahit Perdit, dum videt inferos.
Le temps que Mazarin avait perdu à mal régner, Colbert l’employait à bien servir le roi. […] Sous le nouveau gouvernement, l’ambition du pouvoir perdit toutes chances, et la peur disparut ; dès lors toutes les passions qui en avaient subi le joug retrouvèrent, avec leur liberté, leur physionomie, et l’on vit autre chose que des ambitieux et des poltrons. […] On perdait, avec sa faveur, sa place dans une société où chacun tenait son rang du prince ; on perdait sa fonction dans l’Etat, et, pour ainsi dire, sa raison d’être. […] S’il était quelqu’un parmi nous qui, après avoir « passé sa vie à penser » à une personne illustre, « à s’informer de ses grandes actions », eût tout à coup perdu ses bonnes grâces, je lui demanderais, comme au seul bon juge, si la douleur de Racine a été indigne de lui238. […] Les classes, en se mêlant ainsi, ne perdirent aucun de ces traits propres à chacune, dont l’ensemble forme la physionomie française.
À l’entrée d’un jardin, où se pressait beaucoup de monde, j’ai perdu Gavarni. […] Leurs yeux se mouillent de langueur, se ferment à demi, se perdent de côté où montent au plafond chercher le ciel. […] Au-dessus de l’eau couleur d’étain, la perspective des deux ponts se rejoint et se perd dans un brouillard de pierres, dans une fumée de toits. […] Les deux sœurs, les deux vieilles filles, qui semblent avoir oublié depuis longtemps qu’elles sont des femmes, les cheveux dépeignés, le corps perdu dans une blouse sans forme, enfin de ces créatures qu’on voit au second plan des familles ; effacées et dévouées, de beaux types à étudier pour un descendant de Balzac. […] Le malheureux en avait perdu la raison et la vie.
Or, une nation obligée de se rapetisser et de se taire pour vivre perd bientôt sa langue avec ses idées. […] Nous l’avons perdu il y a quelques années ; il n’a rien laissé qu’une ou deux traces dans quelques cœurs. […] Il perdait les pierres précieuses comme le sable. […] Il semblait l’évoquer du geste, dans la certitude anticipée de la gouverner, mais sans prévoir qu’il contribuerait également à la perdre ! […] … Elle perd notre temps !
— Il a perdu ses anciennes croyances ; mais qu’importe, puisqu’il croit encore à la nécessité d’une foi ? […] Malheureusement, nous les avons perdus tous deux, — Adolphe Gaiffe et Étienne Eggis. […] Mademoiselle Delphine Marquet est un des derniers, mais admirables échantillons de cette espèce à peu près perdue : les blondes. […] Ce qu’elle perdra en élévation, elle le gagnera en profondeur. […] Baschet se trouve avoir perdu son droit d’aînesse.
Ces croix d’ailleurs, en France, sont tellement prodiguées qu’elles ont perdu leur prix et leur vrai sens de distinction ; nous ne signalons cette marque d’honneur pour Jasmin qu’à cause du contraste que cela fait avec sa profession ; cette nouvelle sera bien accueillie dans le midi de la France qui voit en lui son poëte populaire.
Alfred Marchand Mme Blanchecotte chante les doux espoirs évanouis, les aurores pâlies, les illusions mortes, l’amour trompé ou méconnu, le bonheur flétri et perdu pour toujours.
Malgré cette précaution, la Muse cessa d’être inspirée dès qu’elle eut perdu son Apollon, c’est-à-dire qu’après la mort de Colletet, Claudine né publia que les Vers suivans, pour se dispenser d’en produire d’autres.
L’exemple de tant de jeunes Icares, qui ont perdu leurs ailes dès le premier essor de leur vol inconsidéré, lui a sans doute fait sentir la nécessité de laisser croître & fortifier les siennes.
Ne voit-on pas en effet la Religion s’épurer d’elle-même, sans rien perdre de son véritable esprit ?
Fils de Cypris, plus malin qu’une Pie, A consoler Robin l’on perd ses pas : Toinette seule, avec ses doux appas, Peut le tirer de sa mélancolie : Rends-la lui donc ; car après tout, hélas !
Ainsi, pourvu qu'ils viennent à bout de se procurer une gloire éphémere, ils ne craignent pas de dégrader le talent, en détruisant l'Art même, qui se perd quand il sort de ses limites.
Les philosophes qui se désolent sont enfoncés et comme perdus dans un fond obscur et noir.
Mon père fit plus, il fut pour moi un gouverneur vigilant, incorruptible ; il ne me perdait point de vue, m’accompagnait chez mes professeurs, et non seulement il sut me garantir de toute action capable de flétrir en moi la première fleur de la vertu, mais le soupçon même du vice n’approcha jamais de moi. […] Il cherchait à consoler le monde romain de sa liberté perdue par la gloire des lettres : la familiarité des poètes, qu’il recherchait, le groupe éclatant d’hommes de génie dont la fortune avait doté son époque, éblouissaient et charmaient l’Italie. […] La même population qui peuplait du temps d’Horace ce hameau et ces deux bourgades de la Sabine les peuple encore de nos jours ; la rivière Digentia court avec la même quantité d’eau et les mêmes murmures ; ses flots se perdent à quatre heures de là dans le fougueux Anio, sous les arcades du palais de Mécène à Tibur. […] Au même moment Auguste perdait dans Mécène la sûreté des conseils et les délices d’une longue amitié. Horace allait perdre en lui le charme d’une familiarité aussi aimable que toute-puissante.
C’est la démocratie envahissant l’Art, après l’Etat ; la pure Raison perd son pouvoir, devant ce flot montant des images et des sensations ; à peine, par instants, de l’intime émotion, de la spéculation contemplative, un reflet : tout se traduit en figures, en couleurs, en sonorités. […] Si vous ouvrez dans cette pensée une seule partition de Richard Wagner — fût-ce Lohengrin, fût-ce le Vaisseau fantôme, — vous êtes perdu pour la musique française. […] Dans l’homme Autrichien, toute trace du Protestantisme Allemand avait été effacée ; instruit à l’école des Jésuites Romains, il avait, même, perdu le juste accent de son langage national, qu’il prononçait, maintenant, comme les noms classiques du Monde Ancien, avec une Italianisation fort peu allemande. […] C’est en elle qu’il oublia et perdit, pleinement, le monde des sons, cet art extérieur qu’il ne devait plus comprendre, désormais. […] À la Mélodie qui, sous la direction des musiciens purement artistes, avait perdu son Innocence première, Beethoven voulut rendre cette pure Innocence.
Il est désolé, et me dit qu’il était décidé à faire cette illustration, lorsque son médecin lui a déclaré, que s’il faisait de l’eau-forte, dans l’état où sont ses yeux, il perdrait la vue. […] La Beraudière, auquel je demandais le nom d’une famille de Bretagne où devait être conservée une correspondance de la Lecouvreur, me disait : « Ah le nombre de précieux documents historiques perdus, à l’heure présente… tenez, j’ai eu dans ma famille un châtelain de Picardie, aimé de la Camargo, et qui avait dans son château, une chambre s’appelant encore ces dernières années : la chambre de la Camargo. […] * * * — J’ai reçu, ces jours-ci, une lettre de faire- part m’annonçant la mort d’une cousine, complètement perdue de vue, depuis nombre d’années. […] En lisant ces jours-ci les journaux de toutes couleurs, indiquant les précautions qu’il y avait à prendre contre le choléra, je n’ai eu qu’une crainte, non la crainte de mourir, mais la crainte, si je mourais, que mes dessins, mes broderies, mes délicats bibelots, fussent perdus, abîmés, anéantis par la désinfection, faite d’autorité. […] je suis perdue… Qu’est-ce que je vais devenir ?
… Lorsque ce bel esprit de l’histoire, plus femme qu’homme, il est vrai, dans ses facultés, introduisait une imagination vive et jeune alors dans l’âpre domaine qu’il se chargeait de cultiver, et que nous lui laissions nouer, comme à un bel enfant grec, l’éclatant feston autour du chapiteau sévère, nous doutions-nous que le temps viendrait où, flétrie par les partis et parlant leur langage, cette imagination n’aurait plus souci, nous ne disons pas de la Vérité, — amour trop fort et trop viril pour elle, — mais de la Forme même dont elle était la noble esclave, et qu’elle la perdrait comme on perd tout, — en s’abaissant ? […] Notre espoir, c’est la mobilité de sa nature, ce sont les entrailles même de son talent, c’est cette faculté d’entraînement qui vient de le perdre et qui pourrait le sauver. […] Lui, qui a essayé d’écrire l’histoire de la Révolution française, l’histoire prise dans son esprit et dans son idée, a bientôt perdu la tête à cette hauteur d’abstraction, et il est retombé dans les habitudes de l’idolâtrie personnelle. […] et qui commence ainsi : « Ne cherchez point le prêtre dans la science et dans les lettres, etc., etc. », il écrit avec aplomb que « le prêtre n’a plus que les petites facultés d’intrigue et de ménage, mais qu’il a perdu les grandes facultés viriles, surtout l’invention, et que depuis cent cinquante ans il s’est énervé et n’a plus rien produit ».