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1371. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

Lafatalité, pour des esprits qui ne se payent pas de vains mots et d’idoles, c’est une suite inévitable de grandes ou petites causes ajoutées et combinées qui peuvent déjouer à la longue la volonté la plus supérieure et tout le génie humain. […] le mot propre ! […] Mais Ney comprit si bien de cette manière l’ordre émané du major-général que, dans son héroïque fureur, appelant le comte de Valmy, dont il avait fait approcher une brigade, il lui dit, en répétant le mot qui lui montait à la tête : « Général, le sort de la France est entre vos mains. […] Ceci faisait allusion à quelque article inséré.dans un journal-voisin, et où ce mot avait été remarqué.

1372. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers (suite) »

Je ne dirai qu’un mot qui pour moi la résume : il y a des esprits fermés, des têtes où une idée, si elle n’y entre tout d’abord, ne pénètre pas. […] — La garde ne se rend pas. — Voilà le mot dans toute sa simplicité, tel qu’il a dû s’échapper à la fois de toutes les poitrines et de toutes les lèvres, tel qu’il n’a pu ne pas être dit. […] Lisez Homère, le plus grand, le plus héroïque, le plus magnifique et aussi le plus naturel des poètes : il n’y a pas un seul mot sale dans toute l’Iliade, le livre des guerriers. […] Je fuis la rhétorique directe qui s’étale et qui s’affiche ; je ne fuis pas moins la rhétorique retournée, qui est tellement occupée à faire pièce à la rhétorique solennelle, qu’elle en oublie le fond des choses, qu’elle se prend elle-même à des mots, leur donne une importance qu’ils n’ont pas, et devient une manière de rhétorique à son tour.

1373. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Celle-ci n’a pas la décision du temps pour se diriger dans ses choix ; c’est elle-même qui choisit, qui devine, qui improvise ; parmi les candidats en foule et le tumulte de la lice, elle doit nommer ses héros, ses poètes ; elle doit s’attacher à eux de préférence, les entourer de son amour et de ses conseils, leur jeter hardiment les mots de gloire et de génie dont les assistants se scandalisent, faire honte à la médiocrité qui les coudoie, crier place autour d’eux comme le héraut d’armes, marcher devant leur char comme l’écuyer : Nous tiendrons, pour lutter dans l’arène lyrique, Toi la lance, moi les coursiers. […] Nous avons entendu prononcer le mot de nouvelle manière ; mais, selon nous, dans les Feuilles d’Automne, c’est le fond qui est nouveau chez le poëte plutôt que la manière. […] Et ailleurs, toute la pièce ironique et contristée qui commence par ces mots : Où donc est le bonheur ? […] Il est donc à errer dans ce monde, à interroger tous les vents, toutes les étoiles, à se pencher du haut des cimes, à redemander le mot de la création au mugissement des grands fleuves ou des forêts échevelées ; il croit la nature meilleure pour cela que l’homme, et il trouve au monstrueux Océan une harmonie qui lui semble comme une lyre au prix de la voix des générations vivantes.

1374. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

C’est surtout, en un mot, l’emploi de nos facultés intérieures que, sans nous en rendre compte, nous cherchons au dehors dans les choses, et qui nous dirige jusque dans la vue que nous en tirons. […] Le mot et la chose se trouvent dans un Discours d’ouverture de 1816, et M.  […] Quel que soit le jugement à porter sur l’ensemble de cette science et sur les hautes prétentions qu’elle élève, elle n’est pas représentée dans l’idée vulgaire qui s’attache au mot d’éclectisme. […] Aucun de ces mots, aucune de ces formes si aisément habituelles de nos jours, ne se présente sous leur plume ; il semble vraiment qu’ils auraient, pour les trouver, à faire autant d’efforts que d’autres en devraient mettre à les éviter.

1375. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

L’entrée en matière de ses Annales fait espérer d’utiles révélations ; en quelques mots profonds et rapides, il montre le monde fatigué des guerres civiles, un besoin général de repos et de sécurité ; Auguste, maître de l’armée par ses largesses, du peuple par ses distributions, des nobles par ses faveurs, de tous par la douce tranquillité de son gouvernement ; les provinces acceptant avec joie cette domination d’un seul homme par aversion pour l’empire du sénat et du peuple, pour les combats des grands, pour l’avarice des magistrats, pour la violence, la corruption et la brigue qui avaient pris la place des lois ; enfin, la République s’effaçant peu à peu du souvenir d’une société qui, sous un sceptre protecteur, goûtait un repos dont elle avait été si longtemps privée. […] Et cependant il y a de tels hasards dans les talents, il y a de tels ressorts dans ces imaginations de poëtes, que j’aurais aimé, chez l’éminent critique, à trouver, au milieu des sévérités que j’embrasse, un mot d’exception en faveur de quelques passages du IXe livre, et notamment des discours de Labiénus et de Caton, quand il s’agit de consulter ou de ne pas consulter l’oracle de Jupiter Ammon sur l’issue des choses, sur les destinées de César et de la patrie. […] Dès les premiers mots, il a déclaré sans détour toute sa pensée : « Soyons sans pitié pour la gloire !  […] Il l’avait mérité en ne voulant souffrir aucun égal, etc. » Et dans une sorte d’allocution éloquente dont chaque phrase commence ainsi par ces mots : « Il l’avait mérité », l’historien orateur déroule toute une énumération des griefs légitimes qu’on pouvait avoir contre César ; il y a plus de vingt-trois motifs, à les bien compter.

1376. (1895) Histoire de la littérature française « Avant-propos »

Ni l’objet, ni les moyens de la connaissance littéraire ne sont, dans la rigueur du mot, scientifiques. […] Le mot le plus vrai qu’on ait dit sur elle, est celui de Descartes : la lecture des bons livres est comme une conversation qu’on aurait avec les plus honnêtes gens des siècles passés, et une conversation où ils ne nous livreraient que le meilleur de leurs pensées. […] La littérature est, dans le plus noble sens du mot, une vulgarisation de la philosophie : c’est par elle que passent à travers nos sociétés tous les grands courants philosophiques, qui déterminent les progrès ou du moins les changements sociaux ; c’est elle qui entretient dans les âmes, autrement déprimées par la nécessité de vivre et submergées par les préoccupations matérielles, l’inquiétude des hautes questions qui dominent la vie et lui donnent sens ou fin. […] Je suis porté à croire que si l’on donnait des éditions, je ne dis pas scolaires, mais simplement communes et populaires des chefs-d’œuvre de la vieille langue, si quelques spécialistes mettaient leurs soins à établir pour ces éditions une orthographe moyenne et partiellement conventionnelle, qui fixât les mots dans une forme unique d’un bout à l’autre de chaque œuvre et pour certains groupes assez larges d’écrivains, et qui facilitât la lecture des textes originaux, on ferait aisément entrer le meilleur de notre moyen âge dans le domaine commun de la littérature.

1377. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXI » pp. 338-354

Dans sa lettre à Gobelin, elle dit : « Il se passe ici des choses terribles entre madame de Montespan et moi, le roi en fut hier témoin ; et ces procédés, joints aux maladies de ses enfants, me mettent dans un état que je ne peux soutenir. » Dans la seconde, à madame de Saint-Géran, se lisent ces mots : « Tout ce que je souhaiterais serrait de voir à madame de Montespan un cœur fait comme le vôtre. […] ce mot suppose qu’elle avait été en bonne intelligence avec lui ; l’indifférence ne se brouille point. « Elle me dit sur tout cela de très mauvaises raisons et nous eûmes une conversation assez vive, mais pourtant fort honnête de part et d’autre. […] Une lettre écrite de Versailles, à Gobelin, sans date, lui annonce un nouveau don du roi. « J’avais, dit-elle, une grande impatience de vous apprendre que le roi m’a encore donné 100 000 fr. ; ainsi, en voilà 200 000 que j’ai à votre service. » Je prie de remarquer ce mot à votre service : il veut dire : pour vous aider à me trouver une terre à acheter, ce qui montre que Gobelin était un véritable agent de madame Scarron103. […] Cette dernière circonstance accrédite l’assertion de La Beaumelle, sur le mot il et l’occasion du nouveau bienfait du roi.

1378. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Telle autre devine tout de suite, les yeux fermés, le mot qu’on lui a fait tracer : elle n’a pourtant pas senti, dit-elle, le mouvement imprimé à sa main pour la faire écrire, mais elle a la représentation visuelle du mot, qui lui apparaît tout à coup, dit M.  […] Le mécanisme cérébral du mot quatre ou du mot cinq, qui vient de recevoir un commencement d’ébranlement, est donc plus prêt que tout autre à fonctionner quand la question arrive, et le nombre choisi en apparence au hasard est, en réalité, déterminé par la série des petites impressions antécédentes.

1379. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

L’hiatus n’est jamais évité ; très souvent des liaisons inattendues le suppriment : Mon bon ami de cœur S’en va-t-aller en guerre… Le rejet est inconnu : la répétition le remplace, soit formée d’un mot, soit d’un vers entier : Beau pommier, beau pommier Aussi chargé de fleurs. […] Pas désagréable, non plus, l’emploi de certains mots désuets ou forgés : Le premier mois de l’année, Que me donnerez-vous, ma mie ? — Une perdrisolle (perdrix), Qui va, qui vient, qui vole Qui vole dans les bois… Il l’envoyait au bois Cueillire la noisille (noisette)… Il fait virer les ouailles Quand elles sont dans le blé… A toutes les virées Demande à m’embrasser… et dans la jolie ronde Quand Byron voulut danser : Son chapeau fit apporter, Son chapeau en clabot… Certaines de ces déformations sont exquises : telle la féminisation du mot cœur : Dors-tu, cœure mignonne, Dors-tu, cœure jolie ? Des expressions qui semblent de terribles lieux communs reviennent avec insistance ; il faut les comprendre : Dans la bouche des filles, mon cœur volage, mon cœur en gage, mon avantage, etc., sont toujours un euphémisme pour un mot trop clair et devenu trop brutal, que le vieux français traitait avec moins de réserve.

1380. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

Il peint d’un mot. […] En un mot, on s’est épuisé en critiques ; mais on ne fçauroit trop aussi donner des éloges au génie qui perce même dans les moins bonnes lettres de ce Roman unique en son genre. […] Avant que de finir le chapitre des Romans, il faut dire un mot des contes en prose. […] de Querlon, en est quelquefois trop maniéré, & l’affectation d’esprit, ou l’art, en un mot, y laisse trop peu apercevoir la nature.

1381. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

De sa tête active et féconde, jaillissaient les idées de liberté, revêtues de formes piquantes ; jamais il ne dit plus de ces mots qui frappent l’imagination et qui restent dans la mémoire. […] On lui faisait observer qu’il avait répété plusieurs fois ce mot : « Vous avez raison, répondit-il, j’aurais dû dire, pour varier, d’Étéocle et de Polynice. » Ses sarcasmes étaient autant de crimes qui étaient notés, dénoncés, et dont on se promettait dès lors de lui faire porter la peine. […] Ses bons mots, en passant de bouche en bouche, attestaient ses opinions et ses sentiments populaires. […] Rousseau ; il haïssait les hommes, mais parce qu’ils ne s’aimaient pas ; et le secret de son caractère est tout entier dans ces mots qu’il répétait souvent : « Tout homme qui, à quarante ans, n’est pas misanthrope, n’a jamais aimé les hommes. » 1.

1382. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »

Je ne suis point de ceux qui pensent que les femmes puissent faire de l’histoire, dans le sens réel et vigoureux de ce mot. […] Mme Stern a l’orgueil sophistique de la libre penseuse, et la première des qualités de Mme Clarisse Bader, et qui fait nappe de lumière sur toutes les autres, c’est qu’elle est chrétienne, de volonté, d’aveu et d’accent… Je ne me souviens pas qu’il y ait un mot dans ses livres qu’on puisse lui reprocher au nom du christianisme offensé. […] Cette bonne piocheuse d’Académie qui pourrait recommencer de traduire l’Iliade ; cette Dacier, à plusieurs pans, qui pourrait aussi traduire les Védas, ou le Talmud, ou les Poëmes scandinaves, ou tout autre livre de provenance étrangère et lointaine, est une de ces polyglottes dont Rivarol disait qu’elles ont quatre mots contre une idée… J’aimerais mieux l’idée ! […] Non, Mademoiselle, Jésus dit le mot absolu.

1383. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

On y trouve des noms exhumés, des détails, des curiosités, dans le sens enfantin du mot, mais rien d’essentiel, de vital, de puissant et de remuant le fond des choses. […] voilà certainement ce qu’en se détournant de ses Pyrénées Cénac-Moncaut aurait compris, et alors, au lieu de se parquer dans des histoires locales et d’y abîmer son regard, il ne les aurait envisagées que comme les rayons du centre auquel tout se rapporte, et vers lequel tout historien doit remonter comme vers le plexus solaire de l’Histoire, Il n’aurait été ni du pays de Comminges, ni du pays de Foix, ni du Bigorre, ni du Roussillon, ni de la Cerdagne : il aurait été européen, universel, latin, en un mot. […] Bolbonne, Orthez, Lescaladieu, asile des comtes de Foix, de Béarn et du Bigorre, ont été tour à tour également délaissés, et les derniers représentants de ces dynasties, passagèrement réfugiés à Lescar, iront bientôt, avec Henri IV, confondre aussi leurs cendres dans la royale sépulture des rois de France… » Telle est la manière large, simple et magnifiquement triste de Cénac-Moncaut, quand il se fie à lui-même et que, s’arrêtant dans sa course de Basque (pardon du mot !) […] Il y avait au xviiie  siècle — on l’y voit passer dans quelques coins de lettres de mesdames Necker ou Du Deffand — un homme presque mystérieux, dont personne ne parle maintenant, qui s’appelait tout uniment Dubucq, et qui n’a laissé que des mots, mais frappés comme des médailles d’or à l’effigie du génie.

1384. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le roi René »

On l’a enterré sous deux mots, qui cachent tout ce qu’il fut comme une épitaphe. […] L’embrassade, c’est cette appellation sentimentale du « bon Roi René », et la procédure, c’est son histoire, étouffée sous ces deux mots d’où Lecoy de la Marche la tire pour nous la dérouler. […] Henri IV est resté dans l’histoire le « bon Roi Henri », comme René d’Anjou « le bon Roi René », mais avec cette différence que Henri IV ne tient pas tout entier dans ces deux mots, et qu’on en dit encore autre chose. […] Mais Yolande d’Aragon, Isabelle de Lorraine, Marie d’Anjou, la femme de Charles VII, furent des reines dans toute la majesté morale de ce mot ; et la mystérieuse puissance qui mène le monde voulut qu’elles fussent, toutes les trois, de la famille même de René, pour qu’il fût, lui, victime de sa race autant que des événements de sa vie et des souvenirs de l’histoire.

1385. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Renée est si littéraire qu’il semble regretter que madame de Montmorency n’ait pas été une des lionnes (c’est le mot de ce temps-là comme du nôtre) de l’hôtel de Rambouillet, et il écrit, pour s’en consoler : « Il est vrai que les beaux jours de cette société n’étaient pas venus encore, et que l’histoire s’est médiocrement occupée de ces premières années. » Ah ! […] Tout l’atteste, même Renée, qui cite de lui des mots adressés à Bassompierre, gros comme les poings d’un gendarme et aussi lourds dans leur brutalité. […] Sa révolte contre son souverain, son opposition au gouvernement de Richelieu, sa prise d’armes enfin et sa défaite, l’Histoire les aurait flétries, en passant, de ce mot d’équipée qui déconsidère jusqu’au crime, et complice de Gaston, le duc d’Orléans, et de sa turbulence de cadet, elle l’aurait couvert du mépris qu’elle a pour Gaston. […] Renée a écrit le mot de justice — justice orgueilleuse, il est vrai, — à la page 144 de son livre.

1386. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

(un de ses mots encore), il a retourné l’usage antique ! […] II Vous rappelez-vous le mot du vicomte de Bonnay au comte de Mirabeau, un soir d’une de ces orgies politiques connues sous le nom de séances de l’Assemblée Nationale ? […] Il l’est même si fort qu’il a écrit sur elle de ces mots poétiques et idéalisants qui la déguisent, et que je suis fâché de trouver sous cette plume de goût, qui devrait peindre ressemblant, en parlant d’une femme aussi connue que cette blonde espiègle : « À quinze ans, — dit-il, — Marie (c’est madame de Sévigné) n’avait rien de cette timidité virginale, ou, si l’on veut, de cette gaucherie innocente que les jeunes filles rapportent du couvent dans les plis de leur robe montante. » Et cela, je crois bien que c’est vrai ; mais que dirons-nous de ce qui suit ? […] Aucun des côtés, déformés par la Calomnie, de cette honnêteté héroïque (le mot y est et l’épithète aussi), n’a échappé à Hippolyte Babou, qui a redressé et rectifié les lignes de cette majestueuse et touchante figure abîmée par d’imbéciles iconoclastes historiques, et qu’il a rétablie dans sa beauté première… J’espère bien qu’après cela on n’y touchera plus !

1387. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Papesse Jeanne » pp. 325-340

Il prend des airs très fats… « J’ai fait ce roman — dit-il — pour ceux qui aiment à rire (et on sait ce que le mot de ce siècle : “histoire de rire”, peut signifier !) […] Pas un mot ! […] Il n’y a pas apporté, dans la discussion, un seul mot inconnu, un nom vierge de flétrissure parmi ceux qu’il cite, et qui sont tous suspects quand ils ne sont pas déshonorés. […] Il n’y a pas même ajouté un pauvre petit mot de son cru… car il n’a pas de cru.

1388. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

Enfin, octroyez-lui de l’érudition, c’est-à-dire des faits ; mais encore plus dans le casier que dans la tête, car Μ. de Girardin est un preneur de notes, un compilateur à la Trublet, un paperassier, — puisqu’il faut dire le mot, — bien plus qu’un érudit substantiel, à la mémoire pleine et toujours prête. […] Jeu de cartes battu toujours de la même manière, à l’aide d’un ou de deux procédés connus et à l’usage de toute main, ces trois actes, qui s’appellent La Fille du millionnaire, ne renferment pas une situation neuve ou un mot piquant que l’on puisse retenir ou citer. Pas un seul mot n’y dépasse l’autre, — pas un mot, et les déclamateurs en ont parfois, n’y est chauffé à la flamme du cœur ou de la tête de cet utopiste de l’argent, qui se croit, sans viser, un Aristophane !

1389. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

« J’ai eu », dit-il dans une lettre à M. de Montalembert, « le fanatisme de l’expression, le fanatisme de la beauté dans les formes, et ce fanatisme est passé… Je dédaigne plutôt que je n’admire ce talent qui est plus une maladie de nerfs qu’un talent de l’esprit… », ce qui est assez insolent et assez faux, par parenthèse, et au moment même où il écrit cela, sans transition et comme pour se punir, il ajoute ce mot de rhéteur inconséquent, de rhéteur incorrigible, qui tout à coup reparaît « les formes d’une lettre ne sont ni littéraires ni belles », misérable axiome de rhétorique, non moins faux ! […] Il a de l’orateur ; il doit avoir lu immensément les sermonnaires ; il a les grands mots oratoires qui une fois dits ne s’oublient plus. […] Quoiqu’il ait eu, comme orateur, ses deux à trois moments sublimes, Donoso Cortès, ni dans le journal ni à la tribune, n’a été un de ces voyants à distance, qu’on nous passe le mot, un de ces prophètes de longueur qu’il faut forcément être, si, comme orateur ou comme journaliste, on a la prétention, que je trouve un peu forte, de ne pas mourir. […] Il manque son coup… « Si la Russie, dit-il, entre en Allemagne, il n’y a plus qu’à accepter, en y ajoutant, le mot de Napoléon : l’Europe sera républicaine ou cosaque… si elle n’est catholique », et pourtant rien de tout cela n’est arrivé.

1390. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

Pour ma part, il m’est impossible d’admettre comme un livre, dans le sens véritablement littéraire du mot, les Conférences de Notre-Dame, improvisées, on nous l’a dit assez, en insistant sur ce mérite, et si remaniées depuis, à main et à tête reposées, en vue de la publication. […] Et j’ai dit le mot : Roman d’amitié, car il est impossible de voir là une histoire, et malgré le fil délié de ses analyses à la Sainte-Beuve, le Père Lacordaire n’est sûr de rien. […] Mais le Père Lacordaire, moderne lui-même comme le roman, a trouvé que ce n’était pas assez que les quelques mots, rayonnants dans les placidités du divin récit, que les quelques faits qui donnent Dieu et l’homme en bloc ; il a voulu, qu’on me passe le mot, y mettre plus d’homme, et il l’a voulu pour émouvoir les âmes où il y a plus de créature humaine que de chrétienne, car ce livre — on le sent par tous ses pores, — est écrit surtout pour les femmes et pour les âmes femmes, quel que soit leur sexe.

1391. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

On se rappelle le mot de Hégel mourant : « Je croyais qu’il m’était resté un disciple qui me comprenait, et je n’ai plus que moi !  […] Mais s’il engouffra la force de son cerveau, fait pour mieux que cela, dans le creux d’un système, il eut, du moins, la mousse des mots et le sel de l’esprit. […] Schopenhauer niait la métaphysique comme science des choses transmondaines, ainsi que le mot le dit depuis qu’il y a un langage, et il voulait une métaphysique appuyée sur l’expérience, — une métaphysique empirique, qui paraît une affreuse contradiction dans les termes. […] Les mots même qu’il cite de Schopenhauer compromettent l’esprit qu’il lui accorde.

1392. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Gratry »

… Pour tout dire avec un seul mot : verrons-nous enfin se lever parmi nous, du milieu des têtes à discussion qui pullulent, la tête à conception qui manque toujours ? […] est le dernier mot de l’abstraction, de son néant et de ses ténèbres. […] C’est enfin la justification par la métaphysique du mot sublime de nos saints livres : Il n’y a que ceux qui ont le cœur pur qui verront Dieu ! […] N’est-il pas des esprits dont la misère est d’avoir besoin d’une tautologie pour comprendre, et qui n’entendraient rien aux mots les plus profonds dits par la religion aux hommes, si la philosophie ne venait les leur répéter ?

1393. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

Mais son athéisme, à cet innocent Capanée, se borna à s’en aller écrire au sommet du mont Saint-Gothard le mot d’athée après son nom. […] La femme qui a écrit ces terribles choses : L’Amour et la Mort, Le Positivisme, les Paroles d’un Amant, L’Homme à la Nature, La Nature à l’Homme, le Dernier Mot, Le Cri, est tout à la fois un monstre et un prodige, — un prodige par le talent et un monstre par la pensée. […] Elle est en un mot, la Proudhon de la Poésie au xixe  siècle, moins odieuse pourtant que Proudhon parce qu’elle est poète, parce qu’elle est plus idéale que ce crocheteur, et surtout parce qu’elle expie son athéisme par le désespoir ! […] Évidemment, c’est plus beau que le mot d’Ajax aux dieux : « J’en échapperai malgré vous ! 

1394. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

Ils sont pour la province, je ne veux pas dire des Chinois, car le mot de Chinois implique une idée de grotesque que ces messieurs ne donnent jamais d’eux, mais des Javanais. […] C’est, en effet, un esprit musqué qu’Aubryet, et si ce mot de musqué, qui ne représente plus qu’un ancien parfum démodé, offense sa délicatesse élégante de parisien, disons de lui qu’il a de l’opoponax dans le talent, et il ne se fâchera plus. […] La délicieuse comtesse Alice finit par aimer, comme Juliette aime Roméo, le fou, ignoble de costume et de terreur de fou poursuivi, qui a cherché un refuge dans sa loge, qu’elle n’en a pas fait sortir comme elle le pouvait si elle avait dit un seul mot, et à qui (pour que tous les détails les plus contraires à l’enthousiasme et à l’amour y soient) elle a fait l’aumône, en lui donnant un petit portefeuille dans lequel se trouvent trois billets de mille francs. […] Pour cela, il faut la jolie civilisation de Paris, syphilisé, comme disait un jour Raymond Brucker, jouant sinistrement sur le mot.

1395. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Arsène Houssaye » pp. 271-286

Ce type de femme, simple comme la bête, mais la bête malade et affolée, et d’autant plus affreuse de cette simplicité dégradante qu’elle est un être doublé de la dualité d’une âme qui devrait retenir le corps sur la pente de ses infamies, Juvénal en a gravé l’horreur dans ses vers qui n’ont peur de rien, et qui ont dû faire pousser les hauts cris aux petits maîtres de moralité, s’il y en avait à Rome ; car les moralistes de ce temps étaient des Cyniques qui ne tremblaient pas non plus devant le mot, quand il s’agit de dire les choses. […] Et, qu’on me passe le mot ! […] Et comédienne est bien le mot. […] Et voilà, en deux mots, toute cette Messaline blonde !

1396. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

Les critiques le jugeront, et c’est une occasion que je leur offre de dire un dernier mot, s’ils en ont un à dire, sur cet homme grandement classé et déjà classique. […] Dans un pays où le Mot est tout, les clichés sont indestructibles. […] Fripon en plus, proxénète, et, qu’on me passe ce vilain mot moderne si applicable au monde moderne ! […] Balzac, ce colossal, a été obligé de se courber sous cette fourche caudine, et le feuilleton a quelquefois eu l’insolence de ne pas trouver amusants (c’est le mot dont on se sert) les chefs-d’œuvre que Balzac, l’Antonio de ce nouveau Shylock, donnait à couper dans la chair vive de son génie.

1397. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

C’est toujours le mot si comique de madame de Staël, de madame de Staël avec laquelle pourtant l’Autorité avait le droit de se montrer plus sévère que la Critique n’a le droit de se montrer distraite avec Gravillon : « Si vous avez des enfants, monsieur, — disait-elle en riant au colonel de gendarmerie qui la reconduisait à la frontière de Suisse, — apprenez-leur ce que le talent rapporte et dégoûtez-les d’en avoir !  […] Il a sa fantaisie, et il s’en va, guidé n’est pas le mot, mais mené par elle. […] … L’auteur des Dévotes s’est infusé du La Bruyère à si haute dose qu’il peut être en colère pour son compte personnel avec une voix dans une voix qui n’est pas la sienne, et que nous reconnaissons dès le premier mot qu’il dit en ouvrant sa galerie de caricatures ; « D’où vient votre presse, Gudule ? […] Pour un chrétien, resté tel, dans la fidélité du mot, il y a certainement trop de voluptés dans la mort comme Arthur de Gravillon sait la peindre.

1398. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

Sue écrit (comme il a fait mercredi 19) dans les Débats un petit mot sur sa santé pour rassurer le salon et l’antichambre. […] Mais comment s’accoutumer à entendre une élève de ce beau siècle et de ce beau lieu dire de ces mots comme impressionner, animation, etc. ? […] Dites-lui donc, cher Olivier, ce mot d’un lecteur un peu libertin d’Apulée : nous restons tous plus ou moins des ânes jusqu’à ce que nous ayons mangé des roses.

1399. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Sur l’École française d’Athènes »

Sur l’École française d’Athènes On a récemment parlé d’un projet qui honorerait à la fois le Gouvernement français et le Gouvernement grec : il s’agirait d’établir un lien régulier entre l’Université de France et la patrie renaissante des Hellènes, de mettre en rapport l’étude du grec en France avec cette étude refleurie au sein même de la Grèce, d’instituer en un mot une sorte de concordat littéraire entre notre pays latin et la terre d’Athènes. […] En un mot, si Rome est justement le foyer tout trouvé d’une école de peinture, le centre le plus naturel pour l’architecture est Athènes. […] Si nous n’avons pas à tracer ici de programme à une noble pensée, nous ne prétendons pas non plus en présenter un idéal anticipé ; ce que nous voudrions, ce serait, en remerciant M. de Salvandy de son heureuse initiative, de l’y encourager, si ce mot nous est permis, et de maintenir, pour peu qu’il en fût besoin, l’idée première dans sa libre et large voie d’exécution : ce qui rapetisserait, ce qui réduirait trop cette idée, ce qui la ferait rentrer dans les routines ordinaires, en compromettrait par là même la fécondité et en tuerait l’avenir.

1400. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Lerminier mettait en avant : ces personnes lui auraient conseillé volontiers d’enfermer son dernier mot dans sa première phrase. […] Peut-être, après avoir parcouru ces Lettres, pensera-t-on qu’elles se rattachent à des études commencées, à un dessein général que je demande au temps la permission de poursuivre. » Les Lettres Berlinoises sont un dernier travail critique, un relevé analytique et pittoresque de la situation générale de la France après juillet, un hardi règlement de compte avec les hommes et les choses du passé, un déblaiement, en un mot, de ces débris sous lesquels nous sommes un peu plus écrasés qu’il ne conviendrait à des vainqueurs. […] Son style, au reste, la liberté de ses tours, sa nouveauté et son éclat d’expression, l’acception excellente et parfaitement française des mots qu’il emploie et qu’il découvre presque, au sein de la langue du xviie  siècle, ces qualités si rares, et que M. 

1401. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 372-383

Le hasard n’est qu’un être fantastique, Qu’un mot qui sert l’ignorance publique ; Jamais ce mot, qui d’elle est émané, N’offre à l’esprit un sens déterminé. […] quelle lumiere universelle n’entraîne-t-il pas avec lui, ce mot auguste & sublime !

1402. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Montmaur, avec tout le Parnasse Latin & François. » pp. 172-183

Les anagrammes & les jeux de mots lui plaisoient singulièrement. Un mauvais cœur, un esprit caustique, une mémoire chargée d’anecdotes scandaleuses contre les auteurs morts & vivans ; ses épigrammes & sa réputation d’homme à bons mots ; son avarice sordide, quoiqu’il eut amassé, par toutes sortes de voies, des biens considérables ; sa fureur de primer partout ; sa profession de parasite : voilà ce qui le rendit l’objet de la haine, ou le sujet des plaisanteries des auteurs. […] Presque seul contre tous, il ne leur opposa jamais que des saillies & de bons mots.

1403. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les inscriptions des monumens publics de France doivent-elles être écrites en Latin ou en François. » pp. 98-109

Si le Latin a de la rudesse, à cause de la terminaison de la plupart de ses mots, en récompense, il a l’avantage des inversions. […] Chez elle, tout est image : d’un seul mot, on peut rendre plusieurs idées. […] Quel est le mot Latin qui rendra l’impression que fait sur nous celui de Fontenoy ?

1404. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Il ne craint point de fatiguer par des détails celui dont il a dit ce mot sublime : Il est patient, parce qu’il est éternel. […] Nous ne connaissons point de mot de sentiment plus délicat que celui-ci : « Mon bonheur eût été d’être aimé aussi bien que d’aimer, car on veut trouver la vie dans ce qu’on aime. » C’est encore saint Augustin qui a dit cette parole : « Une âme contemplative se fait à elle-même une solitude. » La Cité de Dieu, les épîtres et quelques traités du même Père, sont pleins de ces sortes de pensées. […] Spatha, emprunté du grec, est l’étymologie de notre mot épée.

1405. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XV »

Faguet nous blâme de proscrire, avec Chateaubriand et Flaubert, les trop fréquentes répétitions des mêmes mots et des auxiliaires avoir et être. « Les classiques en sont pleins !  […] Elle avait compris au premier mot, elle avait pris son parti vite et fièrement.‌ […] Faguet termine par ces mots son étude pleine de déductions pénétrantes : « Donc point de conclusion et point de règle.

1406. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre III. Trois espèces de jurisprudences, d’autorités, de raisons ; corollaires relatifs à la politique et au droit des Romains » pp. 299-308

Trois espèces de jurisprudences ou sagesses Sagesse divine appelée théologie mystique, mots qui dans leur sens étymologique veulent dire, science du langage divin, connaissance des mystères de la divination. Cette science de la divination était la sagesse vulgaire de laquelle étaient sages les poètes théologiens, premiers sages du paganisme ; de cette théologie mystique, ils s’appelaient eux-mêmes mystæ, et Horace traduit ce mot d’une manière heureuse par interprètes des dieux… Cette sagesse ou jurisprudence plaçait la justice dans l’accomplissement des cérémonies solennelles de la religion ; c’est de là que les Romains conservèrent ce respect superstitieux pour les acta legitima ; chez eux les noces, le testament étaient dits justa lorsque les cérémonies requises avaient été accomplies. […] C’est dans ce sens que la loi des douze tables prend toujours le mot autorité ; auteur signifie toujours en terme de droit celui de qui on tient un domaine.

1407. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

En un mot, touchez comme Euripide, étonnez comme Sophocle, peignez comme Homere, & composez d’après vous. […] On a cru que le pathétique étoit dans les mots ; il est dans les tours & dans les mouvemens du style. […] Qui croiroit que c’est à ces mots qu’Achille redevient furieux ? […] Le mot du cacique Guatimosin, & moi, suis-je sur un lit de roses ? […] Ce mot qui n’est plus d’usage, a pourtant sa nuance ; il mériteroit d’être conservé.

1408. (1910) Rousseau contre Molière

quoi, vil complaisant… », ou des mots violents, les premiers venus. […] Un mot encore sur ce point. […] Il n’y a pas un mot de cela dans Rousseau. […] Vous vous rappelez le mot de Labiche, mot digne de Molière. […] » II n’y a pas de mot plus fort et il est parfaitement naturel.

1409. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

A la vérité, il ne dit pas un mot de la beauté de Venise, tant célébrée depuis un siècle par les écrivains, et avec des mots si pâmés ! […] Un esprit un peu fin ne le prend pas au mot ; ce serait grossier. » — Soit. […] A table, on se moque de lui à mots couverts. […] Les personnages ne disent pas un mot de ce qu’ils doivent dire. […] Le mot droit n’a de sens qu’en corrélation avec le mot devoir.

1410. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Ce sont là des mots, des mots, et vous ne les aimez pas. […] En un mot, vous vivez. […] Vous entendez bien ce mot. […] Le mot est, je crois, de M.  […] Napoléon lui avait fermé la bouche d’un mot.

1411. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Les avantages de la figure ou de la fortune, un succès, un bon mot suffisent. […] Je sais que la traduction mot à mot ne rend ni la nuance de l’expression, ni l’harmonie du style ; mais une traduction littérale n’est jamais ridicule quand le texte ne l’est pas. […] Si j’avais suivi un rigoureux mot à mot, ce serait bien pis encore. […] Mot céleste ! […] On connaît cette foule de mots où brille la magnanimité de Louis XIV.

1412. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

c’est un mot terrible et bien sévère peut-être ; mais le seul mot qui puisse traduire fidèlement notre pensée sur M.  […] Pour elle, le devoir est un mot vide de sens. […] comme le rire va au-devant des bons mots populaires depuis dix ans ! […] En un mot, la pièce n’est pas écrite, il n’y a pas de style. […] Toute la vie de Chatterton se résume dans un seul mot : l’orgueil.

1413. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

À un proverbe, point de réplique ; on dirait qu’un dieu a parlé là ; en un mot, on incline la tête, on accepte sur parole et on se tait. […] En un mot, je voulais, comme le veut la Providence, que l’histoire fût un cours de morale et que l’honnêteté des moyens fût la légitimité des innovations. […] Jamais ce mot ne fut plus généralement vrai que dans les temps de vicissitudes soit religieuses, soit nationales, soit dynastiques. […] Un mot de lui à un de ses confidents, M.  […] « Je n’ai pas le droit d’être susceptible ; je ne me suis pas senti insulté cette fois, ni dans le mot, ni dans l’intention de l’auteur.

1414. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface de janvier 1823 »

L’auteur de cet ouvrage, depuis le jour où il en a écrit la première page, jusqu’au jour où il a pu tracer le bienheureux mot FIN au bas de la dernière, a été le jouet de la plus ridicule illusion. S’étant imaginé qu’une composition en quatre volumes valait la peine d’être méditée, il a perdu son temps à chercher une idée fondamentale, à la développer bien ou mal dans un plan bon ou mauvais, à disposer des scènes, à combiner des effets, à étudier des mœurs de son mieux ; en un mot, il a pris son ouvrage au sérieux.

1415. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

C’est un mot de Pline l’ancien. […] Quand le mot mascarade n’était pas assez fort, on appelait cela une bouffonnerie. […] Grammont est un pauvre hère qui donne la réplique à Lauzun, et qui n’a pas un mot à répondre à personne. […] le mot n’était pas inventé, heureusement pour le xviie  siècle), tu accepterais le rebut d’un roi ! […] (des mots durs pour attraper les badauds) pour faire des portes en gomme indiennes.

1416. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Ce tour d’esprit, chez Lamartine, faute d’un mot juste, je l’appellerai optimisme. […] Une idée, un sentiment, quand on veut les exprimer par un mot, ce mot, nécessairement, les altère et les déforme ; une idée se rétrécit, un sentiment se fige, pour entrer dans le cadre étroit du mot ; et c’est pour cela que les poètes, la plupart du temps, nous disent, une fois que leurs vers sont écrits, qu’ils ne les reconnaissent plus : c’est autre chose qu’ils avaient dans l’imagination. […] Il est libéral en paroles et du bout des lèvres, et la liberté est un mot avec lequel on peut, à certains jours, le mener très loin. […] La rhétorique, on a l’habitude d’en dire du mal ; on emploie généralement ce mot dans un sens défavorable. […] Ou encore, vous savez, aux dernières pages des journaux, il y a des mots qu’on propose à la curiosité des lecteurs, des mots qui sont des énigmes, des énigmes que résout l’Œdipe du Café du commerce, il y a des mots en losange, des mots carrés, des mots qu’on lit en travers, de côté.

1417. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Lettres de m. l’Abbé Sabatier de Castres ; relatives aux trois siecles de la littérature françoise.ABCD » pp. -641

Pour défendre en peu de mots ma censure contre M. […] Pour tout dire, en un mot, il loue & blâme, dans ses Ecrits, le même Homme, la même action, la même vertu, le même vice, le même sentiment, la même idée. […] En un mot c'est un Génie universel. […] Un ton imposant, un style dogmatique, un jargon maniéré, des phrases sentencieuses, des sentimens enthousiastes, des expressions systématiques, la répétition perpétuelle de ces mots parasites, humanité, vertu, raison, tolérance, bonheur, esprit philosophique, amour du genre humain, & mille autres termes qui sont devenus la sauvegarde des inepties qu’on a avancées, à la faveur de ces mots, ont pu éblouir quelque temps les esprits faciles. […] Je croyois qu’avec de grands mots, on étoit grand Ecrivain, qu’avec des sentences ampoulées on étoit grand Moraliste.

1418. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

C’est, dans le meilleur sens d’un mot que je n’aime point : « un libre esprit », mais ce libre esprit a ses dominations que j’aime. […] je me disais : « Allons-nous enfin avoir le dernier mot sur le xvie  siècle, que personne n’a dit, ce grand dernier mot ?  […] » disait Bossuet, et c’est toujours à ce mot-là qu’il faut revenir. […] Il est plus à l’aise avec Henri IV, qu’il comprend intégralement, lui, et, qu’on me passe le mot, de pied en cap.  […] À peine son récit est-il coupé par quelques ironies qui laissent voir la pensée de l’homme politique au désespoir et qui se trahit, çà et là, par des mots terribles.

1419. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Il a le mot indiscret et plus que hardi. […] … Si, en notre qualité de critique, nous voulions donner dans un mot ridée de cette indigeste composition politique, anecdotique et littéraire, il faudrait parler le langage de Proudhon. […] » et on ne lui en veut pas de ce mot gigantesque. […] Absolument, le mot est faux, comme tout ce qu’a écrit ce vil menteur de Rousseau ; mais, relativement à Proudhon, le mot est vrai. […] Ainsi, un moraliste, et même un moraliste chrétien (peut-on l’être autrement après le Christianisme, qui, en morale, a dit le dernier mot ?

1420. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

À ce propos, je citerai ce mot bien caractéristique de Sardou. […] … on vous toucherait un mot avec un timbre. […] Les anecdotes y fourmillent, les mots des Dumas et de tant d’autres. […] Le laborieux de Hammer a catalogué 5 744 mots relatifs au chameau. Le lexicographe Firouzabadi a trouvé 80 synonymes du mot miel et 1 000 pour épée.

1421. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

« Les étrangers ont bien voulu en traduire les mots par les mots de leur langue, et leurs pays m’ont ainsi prêté l’oreille. […] Il sait la place du mot et du sentiment, et les chiffrerait au besoin. […] Le suicide transpire dans tous ses mots. […] ce qui rapporte, c’est le mot. […] Le mot entraîne l’idée malgré elle… Ô Ciel !

1422. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Ce mot, invinciblement, nous conduit dans L’Inde. […] Je trouve entièrement faux ce mot de J. […] Mot terrible et justement redouté ! […] La valeur de résonnance mentale des mots a été exagérée : le mot n’agit que sur les cellules à son diapason. […] Le mot s’oppose au mot abstraction.

1423. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

quel abus on fait aujourd’hui de ce mot ! […] des mots ! […] Adrienne fait des mots ? […] Point de mots d’auteur : des mots de nature à foison, et point « fabriqués ». […] Les mots drôles, — je ne dis pas les « mots de situation », — y foisonnent et y pétillent.

1424. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

En un mot, figurez-vous un animal condamné à un sommeil perpétuel et privé de la faculté de rêver durant ce sommeil ». […] Pour exprimer ses idées très saines et très bien liées, le malade ne trouve que le même mot absurde, ou des suites de mots qui n’ont aucun sens ; entre l’articulation intérieure et l’articulation extérieure, le pont est rompu. […] Il n’y a pas d’exception à cette règle ; la pensée la plus haute, la conception la plus abstraite y est soumise, par les mots ou signes qui lui servent de support. […] Deux groupes reliés de la sorte peuvent être comparés à un cliché plus ou moins étendu, cliché d’un mot, cliché d’une ligne, cliché d’une page ; la lettre entraîne le mot, qui entraîne la ligne, qui entraîne la page. […] Dans l’atelier, le travail est double : d’une part, sous l’impulsion du dehors, il compose incessamment des mots qu’il envoie dans les magasins où ils se transcrivent en clichés fixes ; d’autre part, les magasins lui envoient incessamment des clichés fixes qu’il transcrit en lettres mobiles ; et l’œuvre qu’il produit à la lumière est une combinaison continue des mots nouveaux qu’il compose et des mots anciens qu’il transcrit.

1425. (1823) Racine et Shakspeare « Préface » pp. 5-7

Mais comment peindre avec quelque vérité les catastrophes sanglantes narrées par Philippe de Comines, et la chronique scandaleuse de Jean de Troyes, si le mot pistolet ne peut absolument pas entrer dans un vers tragique ? […] Occupé toute sa vie d’autres travaux, et sans titres d’aucune espèce pour parler de littérature, si malgré lui ses idées se revêtent quelquefois d’apparences tranchantes, c’est que, par respect pour le public, il a voulu les énoncer clairement et en peu de mots.

1426. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Manuel, Eugène (1823-1901) »

Manuel a la franchise et la vigueur ; Boileau, qui aimait les antithèses, n’a jamais rien trouvé d’aussi beau comme alliance et opposition de mots que ces deux vers sur une fille de quinze ans que le vice précoce va rendre mère : Elle portait effrontément Le poids sacré de cette honte. […] Sa muse n’a rien de commun avec celle qui trône aux carrefours et qui va mendier parmi les foules une popularité détestable, celle des gros mots et des idées basses.

1427. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Il y a bien de l’anachronisme dans ce mot. […] « La remarque que je vois faire à un biographe m’oblige à dire un mot sur le nom même de mon père. […] Sainte-Beuve a laissé à l’état de projet l’indication suivante tracée en quelques mots au crayon : « Ici le passage sur ce que dit M.  […] En pensant à la tranquillité de la Chambre qui siégeait pendant que l’on s’égorgeait dans Paris, il rappelait l’effroyable mot de Sylla au Sénat romain. […] Sainte-Beuve n’avait jamais parlé de cela à personne, et je pourrais me tromper sur l’écriture bien ancienne des trois mots manuscrits qui me feraient croire que cette brochure est de son père.

1428. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

D’un bout à l’autre de cette rue, l’ancienne grand-rue de Saumur, ces mots : “Voilà un temps d’or ! […] Depuis le classement de ses différents clos, ses vignes, grâce à des soins constants, étaient devenues la tête du pays, mot technique en usage pour indiquer les vignobles qui produisent la première qualité de vin. […] Ce mot, dit de temps à autre, formait depuis longtemps une chaîne d’amitié non interrompue, et à laquelle chaque exclamation ajoutait un chaînon. […] Les uns se moquent ridiculement de l’avare dans le mot fameux : Qu’allait-il faire dans cette galère ? […] On ne peut pas le louer plus haut, ce mot suffirait pour sa gloire.

1429. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

C’est un jeu de mots puéril et contradictoire sur le mot originalité. […] Passons au second sens du mot science. […] On a répété à satiété le mot connu : la science est encore ce qui nous divise le moins. […] On pourrait y répondre, en parodiant un autre mot célèbre, que si un peu de science nous unit, beaucoup de science nous divise. […] Le progrès intellectuel n’est-il pas un vain mot ?

1430. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Disons un mot de cette théorie à propos de la philosophie de l’Inde. […] Mais ce mot de progrès dans le bonheur jure avec l’immuable condition de l’homme ici-bas. […] Ce mot n’est qu’une ironie de la langue appliquée à l’homme. […] un mot qui l’écrase lui-même : Mystère ! […] Ne serait-ce pas là la plus belle explication de ce mot : Vous serez des dieux ?

1431. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Et afin que ce que je dirai ici sur des hommes dont je suis un peu le collègue, comme membre de l’Académie française et de l’Institut, ne puisse étonner personne, je définirai ma situation en deux mots : Je suis critique, et, en avançant dans la vie, j’ai le malheur de sentir que je m’attache de plus en plus au vrai en lui-même et que je n’entre plus dans le jeu. […] Mignet avec nombre, avec aisance, avec complaisance, en marquant chaque mot, en balançant chaque membre de phrase, et de manière à séduire un auditoire élégant, où le plus grand nombre (sans lui faire injure) ne savait pas très bien la différence qu’il y a entre la métaphysique et la psychologie. […] Ici, ne jouons pas sur les mots : au xviie  siècle, on appelait philosophie la physique et l’astronomie, tout autant que les spéculations sur les idées ou sur l’âme. […] Cette génération, en un mot, à peine montée, a tiré l’échelle des idées après elle. […] Royer-Collard, l’appelait son maître ; celui-ci l’interrompit sévèrement sur ce mot, en lui disant : « Monsieur, il y a longtemps que je l’ai été ! 

1432. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

En un mot, il y a des pèlerins pour toute chapelle qui a ses reliques, et cela est fort heureux, fort consolant, surtout quand on aspire soi-même à laisser un jour sa relique dans l’histoire littéraire. […] C’est de vive voix et dans le plus particulier détail qu’il faudrait faire sentir ces choses ; mais indiquons du moins en quelques mots le sens de la critique, telle qu’on peut l’appliquer à ces pièces légères : Oh ! […] Livret, qui cite le mot. […] Le mot de burlesque ne s’introduisit, en effet, qu’un peu plus tard, et à dater de Sarazin et de Scarron. […] Il obtint de sa libéralité titre de gentilhomme et pension (pension d’ailleurs assez inexactement payée), il l’alla visiter en Pologne, en un mot il s’était donné à elle, selon l’expression d’alors, et autant que le lui permettaient les autres prodigalités qu’il faisait de sa personne.

1433. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Ce morceau capital, intitulé Le Centaure, révélait une nature de talent si neuve, si puissante, si vaste, que le mot de génie semblait naturellement s’y appliquer. […] Son centaure, vieilli et contristé, déclare au visiteur humain qui le consulte que, pour être allé avec tant d’ivresse et de fougue et avoir tant pressé et tourmenté l’immense nature, il n’a pas surpris le grand secret et n’a rien arraché à la nuit des origines ; qu’il a senti seulement le souffle errer, sans saisir le sens ni les paroles, et que l’incompréhensible est pour lui le dernier mot comme le premier. — Mais je n’ai pas à analyser ici les productions de Guérin ; il me suffit d’en rappeler l’idée et d’en provoquer le réveil : ses œuvres complètes, on nous l’annonce enfin, vont paraître, prose et vers, lettres et fragments d’art, grâce aux soins des mêmes amis qui se sont voués à l’honneur de son nom et à la conservation de sa mémoire. […] Mot si rare, que je souligne. […] Recueillons-en quelques mots, quelques notes profondes. — Huit jours après les funérailles : Toujours larmes et regrets. […] des mots qui ne disent rien.

1434. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Necker ne se présenta pas, mais ce début de billet est le premier mot dont Mme de Créqui, de son fauteuil, eût accueilli M. de Meilhan s’il était entré ce jour-là dans son salon. […] Et le Fortia (d’Urban) dont nous avons vu le pâle couchant, et dont elle salue l’aurore d’un mot sec en trois lettres ; — et le Montyon, devenu si cher aux académies, mais qu’en son temps elle trouve plus frivole chaque jour et plus courtisan, adorant les glorioles, « et toujours à l’affût des petites nouvelles, sur lesquelles il disserte » ; — sur eux tous elle a la pierre de touche prompte et qui laissa sa traceap. […] Il est certainement très compromis, et c’est un mot et une chose qui n’a plus guère de sens aujourd’hui ni d’application. […] Ce sont les idées qui me venaient à l’esprit en lisant les lettres de Mme de Créqui à M. de Meilhan, et en réfléchissant sur cette ancienne société dont elles nous rendent un moment la note rapide et précise, le dernier mot aigu et arrêté. […] [NdA] Je me suis permis de changer un mot ; le croirait-on ?

1435. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Changez la lumière, faites que le rayon tombe où il faut, que l’ombre se retire et se dégrade, en un mot regardez Villars au soleil, le même homme va paraître tout différent. […] Il n’y dit jamais de mal de lui, mais dans le bien qu’il en raconte, dans ses récits les plus avantageux, il y a tant d’esprit, de gaieté, de bons mots joints à l’action, de belle et vaillante humeur française, il est si bien un héros de notre nation, que ses défauts cessent d’y déplaire. […] Un jour qu’un homme d’État, un homme politique comme nous dirions, s’étonnait un peu malignement qu’un guerrier sût tant de vers de comédie : « J’en ai joué moins que vous, répliqua-t-il gaiement, mais j’en sais davantage. » Supposez que le mot est dit au cardinal Dubois ou à quelqu’un de tel, il devient très joli et des plus piquants. […] » Condé parut content du mot. […] Il s’est senti à la fête, et il a eu le mot du moment, qui résume toute la poésie de son art.

1436. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Qu’on me permette un exemple bien disproportionné quant à la splendeur, mais non pas quant aux circonstances essentielles : supposez que de la grande Histoire de Mézeray on n’ait conservé que les premiers âges à demi fabuleux des Mérovingiens, et puis les règnes de Jean, de Charles V, de Charles VI, et, si l’on veut même, de Charles VII, les guerres des Anglais, et qu’on ait perdu tout le xvie  siècle, où Mézeray abonde et excelle, ces tableaux des guerres civiles religieuses, où il est le compilateur le plus nourri, le plus naïvement gaulois et le plus indépendant à la française, où il se montre le mieux informé et le plus sensé des narrateurs ; aura-t-on, je le demande, du talent de Mézeray et de sa nature d’esprit une idée entière, et surtout pourra-t-on pousser cette idée et la définition de cet esprit jusqu’à la rigueur d’une formule, jusqu’à en extraire le dernier mot ? Le dernier mot d’un esprit, d’une nature vivante ! […] Pour moi, ce dernier mot d’un esprit, même quand je serais parvenu à réunir et à épuiser sur son compte toutes les informations biographiques de race et de famille, d’éducation et de développement, à saisir l’individu dans ses moments décisifs et ses crises de formation intellectuelle, à le suivre dans toutes ses variations jusqu’au bout de sa carrière, à posséder et à lire tous ses ouvrages, — ce dernier mot, je le chercherais encore, je le laisserais à deviner plutôt que de me décider à l’écrire ; je ne le risquerais qu’à la dernière extrémité. […] Si ce n’était faire tort à un écrit si solide que d’en présenter des extraits de pages, je détacherais celle qui marque le caractère de Montesquieu dans son livre de la grandeur et de la décadence des Romains… Je la donnerai pourtant, parce que nous sommes Français et que nous aimons les morceaux, mais je n’en donnerai que le commencement ; tout lecteur sérieux voudra lire la suite : Dans ce livre, il (Montesquieu) oublie presque les finesses de style, le soin de se faire valoir, la prétention de mettre en mots spirituels des idées profondes, de cacher des vérités claires sous des paradoxes apparents, d’être aussi bel esprit que grand homme.

1437. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

Guizot un programme au nom de la jeunesse, programme qui commençait par ces mots : « On ne comprend pas l’état des choses. — Il faut être national et fort, avant tout et tout de suite… » Qu’était-ce enfin que cet ami de beaucoup d’esprit (dans lequel il m’est impossible de ne pas reconnaître M. de Rémusat, l’homme des idées, sinon de l’action), qui du fond de son département écrivait à M.  […] Beaucoup d’attitude ; le mot revient sans cesse. […] Guizot, a besoin d’y regarder à deux fois. » Un mot charmant de Louis-Philippe est celui qu’il dit à la reine Victoria au château d’Eu, dans le jardin potager ; il avait offert à la reine une pêche, elle ne savait comment la peler. […] Il y eut même un jour où il lui dit (assure-t-on), — c’était vers 1845, — à un moment critique où on voulait le lui ôter comme ministre et où le vote de la Chambre avait hésité : « Monsieur Guizot, collez-vous à moi. » Mais, tout en appréciant avec estime le talent de l’homme qui le servait avec tant d’éclat, il ne partageait pas sa confiance ni cette intrépidité monarchique si absolue sur une base que lui-même sentait si étroite et si vacillante : « Vous avez mille fois raison, lui répétait-il souvent dans les dernières années ; c’est au fond des esprits qu’il faut combattre l’esprit révolutionnaire, car c’est là qu’il règne ; mais, pour chasser les démons, il faudrait un prophète. » Ce prince était donc, somme toute, un homme d’esprit, et bonne tête, tant qu’il ne faiblit pas. — « Cette bonne tête, ou plutôt cette bonne caboche , » disait de lui un de ses anciens ministres qui se reprenait, comme si le premier mot était un peu trop noble pour le sujet. […] Ce qui se rapporte bien à cet autre mot qu’il avait dit précédemment : « J’ai trois médecines à rendre, Dupont, Laffite et La Fayette. » 13.

1438. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Quelques petits mots de discussion technique ont été ajoutés dans les éditions postérieures à la première. […] On sait cette énumération grandiose des victoires et conquêtes d’Auguste, qui se termine par ces simples mots : « … Les Indes recherchent son alliance ; ses armes se font sentir aux Rhètes ou Grisons… ; la Pannonie le reconnaît ; la Germanie le redoute, et le Weser reçoit ses lois : victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus : tout l’univers vit en paix sous sa puissance, et Jésus-Christ vient au monde. » Ici Bossuet arrive à sa région propre : on dirait qu’il va prendre l’essor, ou du moins l’aile s’entr’ouvre et se fait sentir ; mais il se réserve ; il attendra, pour se déployer, la seconde partie. […] La suite du peuple de Dieu, comprenons bien toute la force de ces mots dans la langue de Bossuet ; suite, c’est-à-dire enchaînement étroit, dont pas un anneau n’est laissé flottant ni au hasard, un seul et même spectacle dès l’origine, sous des aspects et à des états différents : le Judaïsme n’est que le Christianisme antérieur et expectant. […] Créateur pur, il est infiniment supérieur au Dieu des philosophes, premier moteur et simple ordonnateur du monde, et qui avait trouvé une matière toute faite : le Dieu de nos pères et celui de Bossuet a tout fait, la matière et la forme, l’ordre et le fond : il ne lui en a coûté qu’un mot. […] Il est croyant (puisque j’ai touché ce mot) d’une façon bien remarquable, et que j’ose dire singulière chez un aussi grand esprit et chez un génie de cet ordre ; il l’est, ce me semble, sans avoir eu aucune peine pour cela, sans avoir jamais, à aucun temps, admis ni connu le doute.

1439. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Il avait montré comment une bonne armée se crée et s’organise, il nous montre aujourd’hui comment elle se fond et se défait ; on sait mieux, après l’avoir lu, ce qu’il faut entendre par ces mots de corruption et de décadence ; on s’en fait une trop juste idée, en même temps qu’on sait aussi faire la part des exceptions, de la valeur, du désintéressement et de l’intégrité, qui se personnifient en quelques nobles figures, même aux plus tristes moments de cette monarchique histoire. […] La difficulté pouvait sembler grande d’écrire tout un volume à propos d’un de ces jeunes hommes dont la courte vie, tranchée en sa fleur, peut se résumer dans le mot de Virgile : Tu Marcellus eris ! […] Blessé, il eut encore la force d’écrire quelques mots à son père : « Mon très cher père, je vous écris avant de me faire saigner ; je vous prie de n’être pas inquiet de ma blessure. […] Chabanon a écrit un mot qui est la critique de Grandisson et des romans trop vertueux : « Depuis Aristote tout le monde a senti et répété que l’humanité dépeinte devient plus intéressante par ses faiblesses mêmes. » (Lettre de Chabanon à Mme de La Briche après la lecture des Mémoires manuscrits de cette ; dame). — Si quelqu’un a jamais paru propre à faire mentir ce mot, ç’a été le comte de Gisors.

1440. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

L’auteur avait d’abord écrit ainsi cette phrase : « Les rois de France, Sire, ont toujours regardé l’amour des Français comme d’un prix égal à leurs plus grands bienfaits. » Cette Dédicace, avant d’être imprimée, fut soumise à Louis XVIII qui la lut et qui se donna le plaisir de faire remarquer que le mot de bienfaits, trop rapproché, rimait avec Français, et que de plus ce membre de phrase : comme d’un prix égal à leurs plus grands bienfaits, faisait un vers alexandrin dans une phrase de prose, ce qui est réputé un défaut. […] Cousin, dans un de ces éloquents discours funéraires, tels qu’il les savait prononcer, a très-bien défini Charles Loyson en ce peu de mots : noble esprit, âme tendre, jeune sage, et le pied sur cette tombe entrouverte, le bras solennellement étendu, il s’écriait en finissant : « Encore un mot, mon cher Loyson. […] Edmond Biré s’est attaché à réfuter (pages 251-255) un mot entre autres échappé à l’illustre auteur des Misérables. […] Un jour que Cousin et Patin en course dans Paris avaient pris pour abréger à travers les Halles, une poissarde les montrant du doigt à l’une de ses commères dit ce mot qui pourrait servir de légende ironique par opposition aux Horace Vernet et aux Charlet : « Et qu’on disait qui n’y avait pus d’hommes dans Paris !

1441. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Sainte-Beuve au Temps incompréhensible, inexplicable (pour me servir des expressions les plus douces) de la part d’un écrivain dont la plume devait être et rester avant tout inféodée (c’est presque le mot qui a été employé) à la littérature officielle de l’Empire. — M.  […] » était son premier mot quand on lui apportait les journaux du soir ; et qu’on dise encore aujourd’hui que M.  […] « En un mot, M.  […] Sainte-Beuve pouvaient y parler librement et sub rosa, — selon le mot favori qu’il se plaisait à répéter dans ses lettres d’invitation. […] Toutes les sciences incertaines et dont les principes peuvent varier selon les circonstances de lieu, de temps, ont ainsi des mots pour généraliser au besoin, d’une manière indécise, quelque chose d’indéterminé.

1442. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Plus de ces mots hardis, saisissants, passionnés ; plus de ces métaphores vives et originales ; plus de ces phrases imitatives, de ces sons choisis, qui transforment les sentiments en sensations et pénètrent notre corps des émotions de notre âme. […] Les mots les plus familiers et les plus originaux sont accourus sur les lèvres, parce que seuls ils peignent tout l’objet d’un seul coup. Les constructions variées ont imité la variété de la pensée ; quand elle s’est rompue, la phrase s’est rompue avec elle, et le chant des mots sonores a noté par ses inflexions visibles les ondulations invisibles du sentiment. — Ainsi répandu dans l’oeuvre entière, le mouvement se communique au poëte. […] Tout, dès lors, est varié, mobile, intéressant, animé ; chacun des mots qu’on touche en parcourant la fable soulève une foule de pensées incertaines et fugitives, comme chaque pierre qu’on déplace en suivant un chemin découvre une multitude d’êtres, de figures et de couleurs. […] A chaque instant, il jugera l’action ou le personnage, et ce jugement sera un résumé ; une louange, un reproche, un mot de compassion, un sourire moqueur, sont des conclusions sous lesquelles se groupent toutes les parties d’une aventure.

1443. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Il a cherché le mot propre, le mot fort, avec une opiniâtreté méticuleuse. […] Son rôle a donc été fort analogue à celui de Malherbe : en face de la strophe oratoire préparée par celui-ci, il a construit la période éloquente, et Boileau avait le droit d’écrire : « On peut dire que personne n’a jamais mieux su sa langue que lui, et n’a mieux entendu la propriété des mots et la juste mesure des périodes. » Et vraiment, quand on lit certaines pages de Balzac, dans le Socrate chrétien par exemple, on sent que la forme de Bossuet est trouvée. […] Mais il y a pourtant grande différence entre les résolutions qui procèdent de quelque fausse opinion et celles qui ne sont appuyées que sur la connaissance de la vérité : d’autant que, si on suit ces dernières, on est assuré de n’en avoir jamais de regret ni de repentir, au lieu qu’on en a toujours d’avoir suivi les premières lorsqu’on en découvre l’erreur295. » En un mot, « la volonté est tellement libre qu’elle ne peut jamais être contrainte… ; et ceux même qui ont les plus faibles âmes pourraient acquérir un empire très absolu sur leurs passions, si l’on employait assez d’industrie à les dresser et à les conduire ». […] En un mot, on arrive d’emblée à la littérature des Perrault, des Lamotte et des Fontenelle : voilà les purs rationalistes, les cartésiens de la littérature.

1444. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Je dirai tout à l’heure un mot de l’esprit dans lequel a été composée cette petite brochure, quand j’aurai moi-même causé un moment avec le maître, et essayé de m’en rafraîchir l’idée. […] Je résumerai cette éducation en un seul mot : le jeune Gargantua se conduit déjà comme le plus cancre et le plus glouton des moines de ce temps-là, commençant sa journée tard, dormant la grasse matinée, débutant par un déjeuner copieux, entendant nombre de messes qui ne le fatiguent guère, et en tout adonné au ventre, au sommeil et à la paresse. […] Michelet poursuivant, après trois siècles, cette guerre contre le Moyen Âge qu’il croit retrouver encore menaçant, commença un jour une de ses leçons au Collège de France, en ces mots : « Dieu est comme une mère qui aime que son enfant soit fort et fier, et qu’il lui résiste ; aussi ses favoris sont ces natures robustes, indomptables, qui luttent avec lui comme Jacob, le plus fort et le plus rusé des pasteurs. […] était le cri universel ; aussi sera-ce le premier mot de Gargantua. […] Dans le pur pantagruélisme en un mot, il y a un air d’initiation, et cela flatte toujours.

1445. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

La question n’est pas là : elle est pour le lendemain et pour les intervalles, pour ce qui est le courant de la vie littéraire en un mot. […] Elle n’a donc qu’un parti à prendre : dans les moments où il faut se décider absolument à choisir un drapeau, adopter celui qui lui paraît le plus ressembler au drapeau de la cause qu’elle croit juste ; puis, le reste du temps, revenir à elle-même, rentrer dans ses propres voies moins militaires et moins stratégiques, et suivre sur la lisière les sentiers où de tout temps ont aimé à se rencontrer la méditation, la fantaisie, l’étude ; en un mot, tantôt gracieuse ou tantôt sévère, quelqu’une des Muses. […] Elle reçoit au passage plus d’un mot galant, plus d’un fichu brodé, plus d’une épingle de diamants et d’une croix de Malte, qui lui pleut du haut de la folle terrasse qu’une gageure soudaine a mise en gaieté. […] — « Enfants, dit-il, voilà une heure mal choisie pour aller à travers champs comme vous faites ; cependant vous êtes plus heureux que sages, et vous arriverez dans un instant à Fontenay. » Disant ces mots, il renfermait dans le pétrin sa miche commencée, et du pas de la porte il indiquait leur chemin aux voyageurs. […] tu as joué non seulement avec l’argent de mes peuples, mais avec leurs croyances, et, ne pouvant pas la briser, cette force morale, tu l’as attaquée par tous les genres de bons mots et de mépris.

1446. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Maurice Rollinat »

… Je sais bien que dans des temps comme il n’en est plus, aux époques de l’Histoire les plus pures et les plus harmonieuses, tous les Irrespectueux et les Vulgaires, dans l’intérêt du prosaïsme de leurs esprits et de leurs âmes, traitaient les poètes avec insolence et marquaient du mot méprisant de « folie » la magnifique exaltation des facultés qu’ils n’avaient pas. Mais quand les temps actuels ne sont plus guères explicables qu’à la pathologie, le mot insultant et superficiel a pris la profondeur d’une vérité. […] Je l’ai dit dès les premiers mots de ce chapitre, M.  […] Un dernier mot sur sa sincérité. Ce sincère endiablé, c’est le mot, à qui on a reproché de n’être pas assez sincère, l’a été jusqu’à la maladresse.

1447. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Ainsi, dans la Gloriette, par exemple, nous avons l’éternelle petite Bohémienne, — qu’on nous passe le mot ! […] … Pourquoi ces lettres, qui sont vraiment des Lettres satiriques dans tout le vif, et, disons le aussi, le capricieux du mot, ajoutent-elles à leur titre, qui est loyal et hardi, l’épithète rougissante de critiques, qui a l’air d’un repentir (déjà), ou d’une petite réserve ou d’une petite peur ? […] Ce mot de critique, qui a je ne sais quoi de doctrinal, de péremptoire et de placide, se marie mal, selon moi, à cette notion qu’exprime le mot satirique, lequel implique que le blâme va plus loin que le point où s’arrêterait la justice. […] La science paraîtra peut-être un mot bien lourd à la légèreté ailée d’Hippolyte Babou ; mais, à défaut de science, la conscience — la conscience littéraire, bien entendu !

1448. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Le premier, il a eu la patience de déchiffrer l’indéchiffrable manuscrit de Pascal, de deviner les abréviations, les renvois, les mots demi-effacés, demi-formés, de comparer mot à mot le texte vrai avec les éditions publiées, de noter ligne par ligne toutes les erreurs, tous les contre-sens, toutes les fautes de goût des éditeurs, de montrer le plan de l’ouvrage, d’en marquer l’esprit, et de ranimer enfin la figure souffrante, passionnée et sublime de Pascal. […] Le récit des ratures, des changements, des corrections que faisait Pascal, introduit le lecteur dans le laboratoire de l’éloquence : ce mot ajouté est un accès de passion impatiente ; cette phrase retournée est un redoublement de logique victorieuse. […] Ces critiques et ces louanges se résument en un mot : il est né deux cents ans trop tard ; c’est un fils du dix-septième siècle égaré dans un autre siècle.

1449. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

On peut dire que sa vie se résume en ce mot : Amour, ses œuvres en cet autre mot : Vision. […] C’était un Allemand comme on n’en voit pas dans les mots de la fin. […] Ses mots ne sont plus des mots, ils sont des êtres. […] À chaque ligne, à chaque mot, mon enthousiasme allait grandissant. […] Il va sans dire que je ne crois pas un mot de ces potins.

1450. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Et, lamentable résultat, cette philosophie qu’il avait la furie d’avoir, cette philosophie qui commence par le naturalisme grossier du Supplément au voyage de Bougainville pour finir au cynisme infect du Rêve de d’Alembert, a un dernier mot qui n’est pas une cochonnerie, et c’est le mot du scepticisme : « Je ne sais pas », le mot triste, incertain, inquiet, mais vengeur, de tous ces rogues négateurs de la spiritualité humaine, qui sentent la matière, dont ils se croyaient sûrs, trembler dans leur main. […] Qu’on me passe la familiarité du mot, parce qu’il est juste : c’était une bonne à tout faire en littérature ! […] Sa plume, rapide comme sa parole, ne laissait pas plus de trace que des mots évanouis. […] En résumé, ces piètres poésies ne valent pas la peine que la Critique, qui les timbre, en passant, du fameux mot de Rabelais, les ramasse pour les regarder. […] C’était le mot du temps pour ne pas dire maîtresses.

1451. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

« … Lâche le mot, appelle-moi journaliste ; c’est un titre, pardieu ! […] Elle m’agaçait avec ses mots d’enfant qui ressemblent à des mots d’auteur. […] Je la résume en quelques mots. […] le douloureux monologue, où ces deux mots : « perdue !  […] Voici l’action en deux mots.

1452. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

n’est-ce pas abolir, en conservant le mot, l’idée même de Dieu ? […] … Est-ce un mot qui m’arrête ? […] … Qu’est-ce à dire, et que signifient ces grands mots ? […] Il n’est inquiet, ardent, impétueux, passionné en un mot que pour les pécheurs. […] On joue sur les mots ; on fausse et on frelate d’une odieuse façon la parole divine.

1453. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre XII. Dernière et nécessaire opération, qui consiste à corriger ce que l’on a écrit »

Cependant, si fastidieux qu’il soit d’insister encore, et de repasser par toute la route déjà faite, la perfection est à ce prix : il faut reprendre son travail phrase par phrase, mot par mot, juger l’ensemble et scruter le détail, pour redresser tout ce qui serait mal venu, et y apporter la correction nécessaire.

1454. (1891) [Textes sur l’école romane] (Le Figaro)

Vous me permettrez donc de donner en quelques mots les éclaircissements que voici : L’École romane française revendique le principe gréco-latin, principe fondamental des Lettres françaises qui florit aux onzième, douzième et treizième siècles avec nos trouvères, au seizième avec Ronsard et son école, au dix-septième avec Racine et La Fontaine. […] Il nous faut une poésie franche, vigoureuse et neuve, en un mot, ramenée à la pureté et à la dignité de son ascendance.

1455. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Préface »

Ayant constaté, il y a déjà bien des années, le tort que fait à notre langue l’emploi inconsidéré des mots exotiques ou grecs, des mots barbares de toute origine, de toute fabrique, je fus amené à raisonner mes impressions et à découvrir que ces intrus étaient laids exactement comme une faute de ton dans un tableau, comme une fausse note dans une phrase musicale.

1456. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Chants du crépuscule » (1835) »

Le dernier mot que doit ajouter ici l’auteur, c’est que dans cette époque livrée à l’attente et à la transition, dans cette époque où la discussion est si acharnée, si tranchée, si absolument arrivée à l’extrême, qu’il n’y a guère aujourd’hui d’écoutés, de compris et d’applaudis que deux mots, le Oui et le Non, il n’est pourtant, lui, ni de ceux qui nient, ni de ceux qui affirment.

1457. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Ces mots ne donneraient pas une idée exacte de l’évolution, telle que nous nous la représentons. […] Le mot se retourne contre l’idée. […] Adoptons donc ici les mots consacrés par l’usage. […] Le mot, fait pour aller d’une chose à une autre, est, en effet, essentiellement, déplaçable et libre. […] Mais le mot, en couvrant cet objet, le convertit encore en chose.

1458. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Ce qui me paraît surtout à remarquer en lui comme en plusieurs personnages du haut clergé français au xviiie  siècle, c’est ce mélange de monde, de philosophie, de grâce, qui peu à peu sut s’allier avec bon sens et bon goût à la considération et à l’estime ; ces prélats de qualité, engagés un peu légèrement dans leur état, en prennent cependant l’esprit avec l’âge ; ils deviennent, à un moment, des hommes d’Église dans la meilleure acception du mot, sans cesser pour cela d’être des hommes du monde et des gens aimables ; puis, quand viendra la persécution, quand sonnera l’heure de l’épreuve et du danger, ils trouveront eu eux du courage et de la constance ; ils auront l’honneur de leur état ; vrais gentilshommes de l’Église, ils en voudront partager les disgrâces et les infortunes comme ils en avaient recueilli par avance les bénéfices et possédé les privilèges. […] C’était trop d’avoir à pratiquer une seconde fois, pendant tant d’années, ce mot de sa jeunesse : J’attendrai ! […] Bernis ne pouvait, sans être pédant et ridicule, paraître s’apercevoir de toutes les irrévérences de son confrère et encore moins s’en choquer : il lui suffisait de les détourner indirectement d’un mot, et quelquefois, s’il allait trop loin, de le rappeler à la convenance en déguisant le conseil en éloge. […] Le cuisinier de l’ambassadeur de Rome ne sera pas moins en réputation, et Bernis dut un jour en écrire à M. de Choiseul pour répondre à de sots bruits qu’on faisait courir sur le luxe de sa table : « Un bon ou mauvais cuisinier fait qu’on parle beaucoup de la dépense d’un ministre ou qu’on n’en dit mot ; mais il n’en coûte pas moins d’être bien ou mal servi, quoique le résultat en soit fort différent. » Or, il est constant que Bernis, au milieu de cette table somptueuse qu’il offrait aux autres, ne vivait lui-même que frugalement et d’une diète toute végétale : J’ai été dîner avec Angelica Kaufmann (le peintre célèbre) chez notre ambassadeur, écrit Mme Lebrun dans ses Mémoires : il nous a placées toutes deux à table à côté de lui ; il avait invité plusieurs étrangers et une partie du corps diplomatique, en sorte que nous étions une trentaine à cette table dont le cardinal a fait les honneurs parfaitement, tout en ne mangeant lui-même que deux petits plats de légumes. […] C’est un genre sublime, où je suis sûr que vous serez plus élevé et plus touchant qu’aucun de vos anciens. » Ce mot de harpe, légèrement amené, est tout ce que Bernis se permettait de mettre en avant : mais il y a loin, on le voit, de ce vœu délicat à proposer à Voltaire une traduction des Psaumes.

1459. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Qu’ils sont rares les auteurs comme Horace et Montaigne, qui gagnent à être sans cesse relus, compris, entourés d’une pleine et pénétrante lumière, et pour qui semble fait le mot excellent de Vauvenargues : « La netteté est le vernis des maîtres !  […] On ne le prend plus au pied de la lettre pour ce qu’il a été et pour ce qu’il est en tant qu’auteur : on le prend comme un de ces individus collectifs, le dernier venu et, en quelque sorte, le dernier mot d’une génération de satiriques oubliés, leur héritier le plus en vue et chef à son tour d’une postérité nouvelle, faisant lien et tradition entre Rutebeuf et Rabelais. […] Il préférait le titre de Legs, probablement à cause du jeu de mots et de la double entente qui leur convenait parfaitement. […] Je ne saurais, je l’avoue, admirer beaucoup cette prose symétrique dans laquelle la rime donne le mot, de gré ou de force, et tire tout à soi ; mais enfin le premier mouvement, l’accent et, pour ainsi dire, le geste sont là. […] En un mot, le jeune homme aura connu assez Villon pour l’admirer encore plus, et il l’aura fréquenté assez peu pour continuer de l’estimer et de l’aimer.

1460. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Familier avec les inconnus dès le premier mot, babillant de tout et s’en moquant, il n’avait pas une étincelle d’enthousiasme ni de passion. […] « Planche l’a dit », c’était, autre part encore que dans les cafés, un mot courant, une manière d’oracle. […] Jamais écrivain n’a plus vérifié par son exemple ce mot de Montesquieu, que « la critique peut être considérée comme une ostentation de sa supériorité sur les autres. […] Il avait des mots à lui, des fermes à son usage, et qui marquaient assez finement ce qu’il sentait. […] Il me rappelle toujours ce mot de Saint-Arnaud, un homme du même jet et de la même sève : « Ma pauvre compagnie, si belle il y a deux mois, s’écriait le maréchal encore simple capitaine, cent dix brillantes baïonnettes bien pointues, bien agiles !

1461. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

On craint toujours, quand on généralise, d’être trop absolu : la vérité est complexe, et rarement peut-on, en tout ce qui est vivant ou historique, la résumer et la formuler d’un mot, sans qu’il faille y apporter aussitôt des correctifs et des explications qui l’adoucissent et la modifient. […] Je suppose donc que j’ouvre le Dictionnaire, non plus du Mobilier, mais des Ustensiles, au mot Tressoir, — ce dernier Dictionnaire n’a point encore paru, mais il est sous presse, et, comme on dit, en préparation : — qu’y trouvé-je ? […] Et c’est ainsi qu’à la faveur du mot Tressoir, nous voilà entrés et initiés dans le boudoir élégant d’une châtelaine au plus bel âge gothique. […] En un mot, on peut dire de lui ce que je crois avoir lu quelque part, au sujet d’un maître d’autrefois, qu’il tient également bien   Le compas, le crayon, la truelle et la plume. […] Au mot Fenêtre.

1462. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

Voltaire, dont chaque mot compte quand il s’agit de peindre les hommes qu’il a connus et qu’il définit avec son heureuse précision, a dit de lui dans son Siècle de Louis XIV, en le rencontrant pour la première fois sous sa plume à l’assaut de Prague (1741) : « Le comte Maurice de Saxe, frère naturel du roi de Pologne, attaqua la ville. […] — Mais quand d’Argenson a trouvé un mot juste, il le fait payer cher. […] A la nouvelle que le roi Auguste avait mis son armée à la disposition du roi de Prusse, et que la jonction était faite, Maurice écrivit au comte de Bruhl cette dépêche laconique, datée d’Iglau (19 février 1742) : « Monsieur, « Vous n’avez plus d’armée. » Pas un mot de plus. […] Le mot de Napoléon : « Le maréchal de Villars sauva la France à Denain », serait une pure erreur historique. […] Guizot, le premier, a fait un mot à ce sujet : « Le maréchal de Villars n’a point sauvé la France à Denain, il a seulement sauvé l’honneur militaire de la France. » Rien que cela !

1463. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Qu’on parcoure, en un mot, tous les genres littéraires  ; tous laissent voir une pensée enchaînée aux principes dont le Concile de Trente a fait la règle des catholiques. […] Les mots Eglise et religion ne sont pas assez précis. […] Critiques sévères, ils déclarent qu’il faut viser au cœur, non à l’esprit ; ils blâment ces gens qui auraient laissé déborder le torrent des vices et périr le christianisme sans s’échauffer, de peur qu’un mot bas ou familier ne vînt à leur échapper ou que la symétrie de leurs périodes ne fût rompue. […] Les nations réformées ont (ce n’est pas un vain jeu de mots) l’esprit réformiste ; elles concilient la tradition et l’innovation ; elles ne croient pas qu’il faille créer un abîme entre l’avenir et le passé ; en détruisant les choses surannées devenues gênantes, elles conservent ce qui est inoffensif ou ce qui a sa raison d’être ; elles avancent ainsi à petits pas, sans brusque secousse, mais aussi presque sans recul. […] On prête à Voltaire ces paroles : « Je m’ennuie d’entendre dire que douze hommes ont suffi à établir le christianisme ; je veux prouver qu’un seul homme peut suffire à le détruire. » Il est possible que ces mots, comme tant d’autres mots historiques, n’aient jamais été prononcés.

1464. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Tel vers de lui semble en effet écarter un rideau sacré, murmurer à voix basse des mots ineffables. […] Le passé devient le présent, le fait éloigné se rapproche, la bataille envahit la scène, les mots se font hommes et coursiers, flots et poussière, armes et navires ; le sépulcre même rend ses morts. — Les Evocateurs, c’était le titre d’une des tragédies disparues d’Eschyle, et c’est le nom que pourraient porter tous ses Messagers et tous ses Héraults. […] Il a des mots chimériques taillés d’un seul bloc, dont le phlattothrattophlattotrat d’Aristophane est la parodie. […] Il doit être l’interprète du goût attique, lorsque, faisant lutter Eschyle avec Euripide, il décrit « les mots ampoulés que sa bouche ouverte à deux battants lance, drus et serrés, sans frein ni mesure » ; « ses périodes empanachées, hautes comme des montagnes », « ses mots équestres à l’ondoyante aigrette », et « ses vers liés comme les poutres de la charpente d’un navire ». […] On pourrait inscrire ces trois mots, avec une variante, au-dessus de la liste des tragédies perdues d’Eschyle : — « Il y avait ici des lions. » Mais on peut restituer le génie d’Eschyle d’après ses débris, comme on recompose les êtres antédiluviens d’après leurs vestiges.

1465. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

S’il sait les formules qui font vivre les personnages, en chair et en os, il ignore les mots enchantés qui évoquent les Esprits divins. […] Et que dire du mot final : « Viens travailler !  […] Il y a, dans la Femme de Claude, des réveils lumineux, des mots pénétrants, des bouts de scène d’une justesse ou d’une passion saisissante. […] Elle a des mots qui avancent terriblement sur son âge, cette jeune Adrienne, des mots d’auteur, pour tout dire. […] Point de réplique, c’est son dernier mot : et, ce soir même, elle reviendra chercher la fillette.

1466. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

La petite Bettina n’aurait pas pris ce mot pour une injure : « Ce que d’autres appellent extravagance est compréhensible pour moi, disait-elle, et fait partie d’un savoir intérieur que je ne puis exprimer. » Elle avait en elle le démon, le lutin, la fée, ce qu’il y a au monde de plus opposé à l’esprit bourgeois et formaliste, avec qui elle était en guerre déclarée. […] La préface de l’auteur commence par ces mots : « Ce livre est pour les bons et non pour les méchants. […] On voudrait qu’il se fût un peu plus ressouvenu dans son génie de ce mot de sa mère : « Il n’y a rien de plus grand que quand l’homme se fait sentir dans l’homme. » — On a dit que Goethe aimait peu sa mère, qu’il l’aimait froidement, que, pendant de longues années, séparé d’elle seulement par une quarantaine de lieues, il ne la visita point ; on l’a taxé à ce sujet d’égoïsme et de sécheresse. […] Dans sa noble maison, qui avait au frontispice ce mot : Salve, il exerçait l’hospitalité envers les étrangers, les recevant indistinctement, causant avec eux dans leur langue, faisant servir chacun de sujet à son étude, à sa connaissance, n’ayant d’autre but en toute chose que l’agrandissement de son goût : serein, calme, sans fiel, sans envie. […] Goethe, à la différence de Rousseau, est charmant pour celle même qu’il tient à distance ; il répare à l’instant, par un mot gracieux et poétique, ses froideurs apparentes ou réelles, il les recouvre d’un sourire.

1467. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

En un mot, on ne connaît jamais mieux un esprit, un talent, un caractère ou un amour-propre, que quand on l’a vu quelque temps à ce jeu-là. […] En un mot, s’il n’était pas un homme d’État, j’oserais dire qu’il a en lui tout ce qu’il faut pour être, en toute matière, un excellent et consciencieux critique. […] « Avant d’employer un beau mot, faites-lui une place », a dit un critique excellent. Je trouve maint beau mot, mainte belle pensée chez M. de Broglie, mais on n’a pas toujours l’espace et la place pour les regarder. […] M. de Broglie, poussé à bout, lâcha son fameux mot : « On nous demande s’il est dans l’intention du gouvernement de proposer la mesure ?

1468. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Parlant de la première, de la Cananée, elle s’écrie : « Regardez-moi quelquefois en m’approchant de vous comme cette humble étrangère, j’entends, Seigneur, comme une pauvre chienne, qui s’estime trop heureuse de ramasser les miettes qui tombent de la table où vous festinez vos élus. » L’expression est franche jusqu’à la crudité, mais elle est sincère, et, en reproduisant le texte de Mme de La Vallière, il ne fallait pas la supprimer, surtout quand on assure qu’on ne s’est pas permis d’y changer un seul mot 43. […] Ce mot de miséricorde, qui est au titre du livre, revient à tout instant ; il abonde sur ses lèvres, c’est son cri ; c’est le nom aussi sous lequel elle entrera dans la vie religieuse, sœur Louise de la Miséricorde. On a essayé, dans ces derniers temps, de douter que ce petit écrit fût en effet de Mme de La Vallière44 (1) ; mais ce seul mot de miséricorde, ainsi placé avec une intention manifeste, ne devient-il pas comme une signature ? […] Un jour que Mme de Montespan lui demandait si, tout de bon, elle était aussi aise qu’on le disait : « Non, répondit-elle avec un tact que l’esprit emprunte au cœur, je ne suis point aise, je suis contente. » Content est bien, en effet, le mot chrétien, celui qui exprime la tranquillité, la paix, la soumission, une joie sans dissipation, quelque chose de contenu encore. […] En un mot, l’exemplaire du Louvre donne lieu à deux questions : 1.

1469. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Lorsque l’heure de l’étude marquait la fin de la récréation, son père paraissait sur le pas de la porte du jardin sans dire un mot, et il se plaisait à voir tomber les jouets des mains de son fils, sans que celui-ci se permît même de lancer une dernière fois la boule ou le volant. […] Le tour d’esprit de M. de Maistre était si naturellement aristocratique, qu’il le portait, politiquement parlant, jusque dans l’ordre de la pure intelligence, et il s’emparait de cet autre mot de Platon : « Le beau est ce qui plaît au patricien honnête homme ». […] Quant au cabinet du roi légitime, c’est autre chose : l’effort généreux qu’a tenté, à sept cents lieues de là, le sujet fidèle, lui a causé « la plus grande surprise » : Voilà le mot, monsieur le chevalier, s’écrie M. de Maistre contenant à peine son ironie supérieure, le cabinet est surpris ! […] » et faisant allusion au mot des mères de Sparte qui montraient à leurs fils le bouclier, en leur disant de revenir avec ou dessus : Cependant, mon cher ami, ou avec cela, ou sur cela. […] On le voit, dans une lettre à l’un de ses beaux-frères, accepter les réprimandes de plus d’un genre sur des jeux de mots, sur « certaines tournures épigrammatiques qui tiennent de la recherche » : « Je suis fâché de n’avoir point d’avertisseur à côté de moi, car je suis d’une extrême docilité pour les corrections. » Cela était vrai, et, quand on l’imprimait, il se laissait volontiers corriger par celui en qui il avait mis sa confiance.

1470. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Je ne fus pas le seul, mais peu s’y opposèrent, et en peu de mots. […] Quant à Mlle de Biron, comtesse de Bonneval, elle ne le prit pas si légèrement : il ne lui avait pas fallu un long temps pour s’attacher d’un goût très vif à ce brillant et volage aventurier, pour l’aimer même, bien qu’elle osât à peine se permettre un tel mot. […] Il vivait en effet librement, comme l’eût fait un convive du Temple, raillant les sots, narguant les coteries, fréquentant peu les églises, et chansonnant volontiers les agents de chancellerie et les bureaux ; il était, en un mot, ce qu’il avait toujours été, gai, cordial, aimable, spirituel et même grivois, insolent et bon enfant. […] Il avait pu écrire à son frère, en un jour de forfanterie et dans un parti pris de gaieté, ce mot significatif qui résume toute une philosophie d’abaissement et d’abandon : Au surplus, portez-vous bien, et souvenez-vous qu’il n’y a que fadaises en ce bas monde, distinguées en gaillardes, sérieuses, politiques, juridiques, ecclésiastiques, savantes, tristes, etc., mais qu’il n’y a que les premières, et de se tenir toujours le ventre libre, qui fasse vivre joyeusement et longtemps. […] dans quel pays, dans quel ordre d’idées et de société put-on dire de lui, le jour de sa mort, ce mot qui est la plus enviable oraison funèbre : C’est une perte.

1471. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

N’ayant en tout ceci d’autre désir que d’être vrai et d’autre rôle que d’exposer fidèlement un caractère auquel le mot de traître ne convient pas, un de ceux auxquels il s’applique le moins, je demande à bien définir la question politique d’alors, telle que nos souvenirs calmés nous la laissent voir à cette distance, et je veux d’abord l’élever à sa juste hauteur. […] Il y avait cette magie du nom de Napoléon enflammant la masse et les rangs inférieurs de l’armée, et restant pour elle synonyme de France ; enfin, pour répéter un mot que je viens d’employer et qui dit tout, il y avait une religion. […] Marmont, dès les premiers mots, comprit que cette décision changeait tout, et qu’il ne pouvait continuer de s’isoler en négociant. […] Tel, on le voit, tel vivait le duc de Raguse pendant la seconde moitié de la Restauration, oubliant peu à peu ses disgrâces, très aimé de ses amis, absous et plus qu’absous de tous ceux qui rapprochaient, et qui lisaient à nu dans cette nature vive, mobile, sincère, intelligente, bien française, un peu glorieuse, mais pleine de générosité et même de candeur (le mot est d’un bon juge, et je le reproduis) ; piquant d’ailleurs de parole, pénétrant dans ses jugements, parlant des hommes avec moquerie ou enthousiasme, des choses avec intérêt, avec feu et imagination, parfaitement séduisant en un mot, comme quelqu’un qui n’est pas toujours froidement raisonnable. […]  » Non seulement le prince de Polignac s’était mépris sur le chiffre de l’effectif des troupes qui étaient alors à Paris, prenant ce mot d’effectif au pied de la lettre sans les déductions considérables qu’il y faut faire ; mais encore la plupart des chefs étaient absents.

1472. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Ainsi, fiez-vous à moi, je me fie à vous ; que les deux mots soient dits pour jamais entre nous. […] ce mot de curé nous dit tout : ce n’était qu’une autre passion chez Voltaire, qui venait à la traverse, et qui suspendait un moment l’autre passion moins forte et moins emportée. […] Toute cette réponse de M. de Brosses fut écrite en marge même de la lettre insolente de Voltaire auquel il renvoya le tout, et avec ce dernier mot pour compliment : Tenez-vous pour dit de ne m’écrire plus ni sur cette matière, ni surtout de ce ton. — Je vous fais, monsieur, le souhait de Perse : Mens sana in corpore sano 20. […] Il a eu un procédé bien vilain avec moi, et j’ai encore la lettre dans laquelle il m’écrit en mots couverts que, si je le poursuis, il pourra me dénoncer comme auteur d’ouvrages suspects que je n’ai certainement point faits (faux). […] Lorsqu’il avait publié son mémoire sur le culte idolâtrique des Fétiches, Voltaire, se hâtant d’y voir plus que le président n’avait prétendu y laisser paraître, lui avait écrit : « Je trouve que les anti-fétichiers devraient être unis comme l’étaient autrefois les initiés ; mais ils se mangent les uns les autres. » Le mot était jeté à propos d’une affaire très secondaire et comme en courant ; on n’a l’air que de plaisanter, et, en attendant, l’on tâte son monde.

1473. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Telle est, ramassée en quelques mots, cette Histoire des Causes de la Révolution qui vient l’éclairer par en-dessous, qui nous la montre sous le vrai jour de ses événements intérieurs, et non à la lumière trompeuse et rétrospective des nôtres. […] Il s’est dit qu’à toutes les époques l’histoire des nations a tenu toute, en définitive, dans la conscience et les passions de quelques hommes ; que le dessous de cartes de l’Histoire est une suite de biographies ; qu’il y a beaucoup plus d’influences personnelles dans ce monde que de force des choses ; et ainsi il a effacé, pour sa part, le mot obscur qu’on élève dans l’histoire quand on ne la comprend plus et que le sens des hommes échappe, et renversé autant qu’il l’a pu ce phare de ténèbres qui redouble la grande ombre des événements passés, au lieu de la dissiper. […] Le trop célèbre professeur posait en principe qu’on ne devait se préoccuper que des faits glorieux d’une époque, et qu’on pouvait passer, les yeux fermés par un optimisme supérieur, sur les faits criminels et funestes : « Je renvoie — disait-il alors, avec la superbe d’un homme qui prend des effets oratoires pour des raisons philosophiques, — les horreurs et les crimes de la Révolution à qui de droit. » Pour qui voit clair sous les mots, cela signifiait qu’il les renvoyait aux hommes de la Révolution, c’est-à-dire à la Révolution même ; or, précisément, c’était le contraire que voulait dire Cousin. […] Ils ont répété ce mot, inventé par les sots pour empêcher les gens spirituels d’être neufs et vrais. […] Si j’avais à caractériser d’un seul trait l’Histoire des Causes, je dirais qu’elle est la preuve magnifique et détaillée du mot du grand de Maistre sur Thermidor, mot que Tacite aurait écrit s’il avait été de ce temps funeste : Quelques scélérats égorgèrent d’autres scélérats  ; — et de cet autre, tout aussi vrai, d’un homme qui avait de profonds instincts politiques : Les hommes de la Révolution française, dans des temps réguliers et calmes, nous n’en aurions pas voulu pour nos sous-préfets.

1474. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Marcel Prévost d’apporter un léger correctif au mot Vierge, pour que ce mot qui représente l’innocence et la candeur devienne suspect, presque impudique. […] Son dernier mot : terminez l’affaire des tarifs et revenez prendre votre place dans le gouvernement. […] De tout le voyage elle n’a pas encore dit un mot, les lèvres murées, souffrant abominablement. […] en ces deux mots : Enrichissez-vous ! […] J’avais l’air tellement bienheureux, qu’en nous en allant à la maison, sur un signe de ma mère, ni mes frères ni ma sœur n’osèrent dire un mot, de peur de me troubler. » Ceci est reproduit mot à mot et la traduction est en regard du texte.

1475. (1891) Impressions de théâtre. Cinquième série

… Voilà mon dernier mot. […] Il fait trop de mots. […] Il y a des mots qui n’y seraient jamais prononcés. […] Pas un mot. […] » Lui se redresse sous ce mot, presque joyeux, car ce mot le dégage : « Si tu me traites ainsi, malheureuse, c’est que tu m’aimes encore !

1476. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Non, les Borgia n’étaient pas des monstres au sens propre du mot. […] Mais, si j’eusse été que lui, je n’aurais pas soufflé mot. […] La voici tout entière et mot pour mot : Paris, 11 février 1891. […] On a remarqué que le mot qu’il employait le plus souvent et qui trahit par conséquent son état d’esprit habituel est le mot lyre. […] Elles ne savent pas un mot de mythologie.

1477. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « TABLE » pp. 340-348

 — Mot d’un barbier sur Le Juif errant, en rasant un pair de France. […] Buloz. — Mot de Chateaubriand. — Mot de M.

1478. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

., etc. » Sir Walter Scott, en opposant le mot de Bonaparte à celui de Murad-Bey, a voulu faire une sorte d’antithèse, très-plaisante apparemment ; il est dommage que la vérité historique ne s’y prête pas. […] C’est alors que Bonaparte, se tournant vers eux, prononça le mot célèbre que son historien a l’air de vouloir escamoter. […] lorsqu’il s’adresse à des temps plus rapprochés et mieux connus de nous à ceux de Cromwell et de Louis XI, par exemple, n’est-il pas évident qu’il les altère, sans beaucoup de scrupules, au gré de son caprice, et qu’il est, avant tout, inventeur d’intrigues, conteur d’aventures, créateur de figures originales et tour à tour terribles, grotesques ou ravissantes, en un mot romancier et poëte ?

1479. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

Marillac est une des plus gaies figures que romancier de nos jours ait rencontrées : artiste avant tout, ayant pour le bourgeois le mépris du grognard de l’empire pour le pékin ; peintre, chanteur de salon, dramaturge en second ou en tiers, bousingot s’il n’y prend garde, jeune-france d’atelier sur toutes les coutures, en un mot vraie lune de Gerfaut : chaque grand homme de nos jours a son Marillac près de lui. […] Et voilà qu’avant le soir un roman nous donne le fin mot de cette péripétie sanglante, N’est-ce pas là tomber dans l’art à bout portant comme le pratique Marillac ? […] En un mot, que M. de Bernard, bien qu’il paraisse si bien savoir la vanité de la gloire elle-même, le néant et la raillerie de toutes choses, prenne plus au sérieux (sans en avoir l’air) son grand talent.

1480. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Amyot avait bien rencontré en s’arrêtant à Plutarque : un bon esprit plutôt qu’un grand esprit, un auteur lui laisse les questions ardues ou dangereuses, ou du moins qui ne parle ni politique ni religion ni métaphysique d’une façon offensive, un causeur en philosophie plutôt qu’un philosophe, moins attaché à bâtir un système d’une belle ordonnance, qu’à regarder l’homme, à chercher les règles, les formes, les modes de son activité : en un mot, un moraliste. […] Nombre d’idées et d’objets étaient pour la première fois désignés ou définis en français : il a fallu trouver et créer des mots. […] Mieux même encore que les Essais, il est le plus complet et copieux répertoire des tours, locutions et mots que la langue du xvie  siècle a mis à la disposition de la pensée.

1481. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre I. La poésie »

Mais cette description n’est pas faite pour susciter une image : c’est un petit problème qu’on offre à résoudre à l’intelligence du lecteur ; et tout est dit quand il a trouvé — non la chose — mais le mot. […] Du son des mots, on n’a cure, et par conséquent on néglige la rime ; bonne ou mauvaise, elle indique suffisamment la fin du vers : et n’est-ce pas à cela qu’elle sert ? […] Je ne nommerai que Gresset, chez qui point déjà un air de rêverie mélancolique étouffé sous la volonté de rire, et Piron, l’intarissable, gaillard et drolatique Piron, qui n’a jamais rien dit de plus plaisant que les mots de bonne foi où il se mettait sans rire au-dessus de Voltaire.

1482. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

Les poètes n’ont pas le droit de dire des mots d’hommes fatigués… « “Un journal” comme le vôtre, c’est de la France qui se répand. […] Cette formule se compose simplement de trois mots : Pathos, Paphos, Pathmos. […] On reprend le mot sceptique de Voltaire : « Quand on est aimé d’une jolie femme, on se tire toujours d’affaire », mais on épingle à côté cette pensée de Joubert qui va devenir l’évangile symboliste : « Les beaux vers sont ceux qui s’exhalent comme des sons ou des parfums. » La querelle des idéalistes et des réalistes s’y poursuit.

1483. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Remy de Gourmont 8, l’invasion des mots grecs : introduits par les savants qui ne font état que de leur valeur significative, n’ayant pas été accommodés et mis au point par le gosier et l’oreille populaire, ces mots ne parviennent pas à se fondre dans la substance sonore du langage ; ils y résonnent comme do fausses notes. […] Les écrivains du xviie  siècle réformèrent, la fausse conception que l’on s’était faite de nos nécessités verbales sous l’empire d’un enthousiasme aveugle ; les mots mal venus et qui n’étaient point en harmonie avec nos formes sonores furent en partie chassés du langage.

1484. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préfaces de « Marion de Lorme » (1831-1873) »

(Et si l’auteur vient de prononcer ici ce mot de censure sans y joindre d’épithète, c’est qu’il l’a combattue assez publiquement et assez longtemps pendant qu’elle régnait, pour être en droit de ne pas l’insulter maintenant qu’elle est au rang des puissances tombées. […] Les misérables mots à querelle, claßique et romantique, sont tombés dans l’abîme de 1830, comme gluckiste et picciniste dans le gouffre de 1789. […] Émile Perrin ; et il accomplit un devoir en offrant sa triple reconnaissance à Madame Favart, qui fut avec tant de puissance et de grâce doña Sol avant d’être Marion, et qui, il y a deux ans, vaillante et charmante dans les ténèbres sublimes de Paris assiégé, faisait redire à toutes les bouches ce mot qui est son nom, Stella.

1485. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bayle, et Jurieu. » pp. 349-361

Cet homme s’élève, avec chaleur, contre l’histoire imaginaire des amours d’une femme très-aimable avec celui qu’il appelle un sçavant, dans toute l’étendue du mot, un sçavant triste, pesant, sans graces & sans usage du monde. […] Mais ce mot est bien vague, lui répondit le cardinal. […] Si le stile de Bayle est souvent libre, indécent ; si cet écrivain s’arréte à des contes, à des historiettes scandaleuses, c’est qu’il ignoroit l’usage du monde & l’emploi de bien des mots dont il se sert.

1486. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

Mon mot sur l’architecture Il ne s’agit point ici, mon ami, d’examiner le caractère des différents ordres d’architecture ; encore moins de balancer les avantages de l’architecture grecque et romaine avec les prérogatives de l’architecture gothique, de vous montrer celle-ci étendant l’espace au-dedans par la hauteur de ses voûtes et la légèreté de ses colonnes, détruisant au-dehors l’imposant de la masse par la multitude et le mauvais goût des ornements ; de faire valoir l’analogie de l’obscurité des vitraux colorés, avec la nature incompréhensible de l’être adoré et les idées sombres de l’adorateur ; mais de vous convaincre que sans architecture, il n’y a ni peinture ni sculpture, et que c’est à l’art qui n’a point de modèle subsistant sous le ciel que les deux arts imitateurs de la nature doivent leur origine et leur progrès. […] Tout l’art est compris sous ces trois mots : solidité ou sécurité, convenance et symétrie. […] On réplique qu’il n’est pas étonnant que l’homme consente à perdre de sa grandeur apparente, en acceptant des proportions rigoureuses, parce qu’il n’ignore pas que c’est de cette exactitude rigoureuse dans la proportion de ses membres, qu’il obtiendra l’avantage de satisfaire le plus parfaitement qu’il est possible, aux différentes fonctions de la vie, que c’est d’elle que dépendront la force, la dignité, la grâce, en un mot la beauté dont l’utilité est toujours la base ; mais qu’il n’en est pas ainsi d’un édifice qui n’a qu’un seul objet, qu’un seul but.

1487. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 23, que la voïe de discussion n’est pas aussi bonne pour connoître le mérite des poëmes et des tableaux, que celle du sentiment » pp. 341-353

Ils répondront qu’ils ne virent jamais ces mathematiciens redresser les pilotes sur l’estime, ailleurs que dans les rélations que ces premiers font imprimer, et ils allegueront le mot du lion de la fable à qui l’on faisoit remarquer un bas-relief où un homme terrassoit un lion ; que les lions n’ont point de sculpteurs. […] Est-ce sur la connoissance des simples, sur la science de l’anatomie, en un mot sur l’érudition ou sur l’expérience du médecin, que se détermine un homme qui a de lui-même de l’expérience, lorsqu’il est obligé de se choisir un médecin. […] En un mot, comme le premier but de la poësie est de plaire, on voit bien que ses principes deviennent plus souvent arbitraires que les principes des autres arts, à cause de la diversité du goût de ceux pour qui les poëtes composent.

1488. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 7, nouvelles preuves que la declamation théatrale des anciens étoit composée, et qu’elle s’écrivoit en notes. Preuve tirée de ce que l’acteur qui la recitoit, étoit accompagné par des instrumens » pp. 112-126

Preuve tirée de ce que l’acteur qui la recitoit, étoit accompagné par des instrumens Il paroît donc évident que le chant des pieces dramatiques qui se recitoient sur les théatres des anciens, n’avoit ni passages, ni ports de voix cadencez, ni tremblements soûtenus, ni les autres caracteres de notre chant musical : en un mot que ce chant étoit une declamation comme la nôtre. […] Enfin nous voyons dans un des écrits de Lucien, que Solon, après avoir parlé au scythe Anacharsis des acteurs des tragedies et de ceux des comedies, lui demande s’il n’a point aussi remarqué les flutes et les instrumens qui les accompagnoient dans leurs recits, et pour traduire mot à mot, qui chantoient avec eux.

1489. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Malheureusement (car c’est ce mot-là que Marmont fait toujours écrire) on ne sauve pas son honneur comme un drapeau qu’il est beau de rapporter en pièces. […] Il a placé tout au long le mot « défection » jusque dans le titre de son ouvrage. […] et je donne à ce mot toute sa profondeur, car Rapetti est un chrétien, l’inaltérable sévérité du moraliste y est davantage, et, teinte du sang de cette pitié secrète, elle y atteint parfois à quelques places la sublimité.

1490. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Topffer »

Après Rousseau, après Saussure, après Sénancour, Chateaubriand, Lord Byron, tous paysagistes à leurs heures, après ce glorieux Cooper, qui a contribué, pour sa part, à l’impulsion générale donnée à la pensée contemporaine dans le sens de la description, Topffer est venu comme bien d’autres, et, soit manière originelle de regarder et de sentir, soit calcul d’une pensée qui cherche à dire un mot qui n’a pas été dit encore, il a essayé d’introduire la manière flamande dans le paysage alpestre et grandiose, et il a réussi. Cette manière de voir et de reproduire (produire serait peut-être un mot plus vrai), il s’en est servi, il l’a appliquée, mais largement, en artiste vrai, qui ne se bute pas à un système, qui ne se cogne pas, comme un aveugle, à la borne d’un parti pris. […] Malgré les grâces de sa diction, malgré ce qui chante dans cet humouriste en gaieté, dans ce pèlerin du matin ou de la vesprée, après avoir parcouru avec lui les sites qu’en passant il enlève à la pointe de son crayon, on est toujours tenté de dire le mot froid et terrible : « Eh bien, après ? 

1491. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Erckmann-Chatrian » pp. 95-105

campé est un mot bien hardi : c’est glissé qu’il faut dire, — précisément entre cet Edgar Poe, encore plus diable que fou, et Hoffmann, l’allemand, qui, lui, était plus fou que diable, et il avait ôté à l’un son caractère diabolique et prémédité, et à l’autre son insanité effrayante et involontaire ; il les avait affaiblis, il les avait embourgeoisés… Les bourgeois furent reconnaissants. […] il y a souvent de l’impertinence à écrire le mot fantastique sur ses œuvres lorsque l’on n’a pas de génie ; il y a toujours de l’imprudence, lorsqu’on n’est pas sûr d’en avoir. […] Par cela même qu’on écrit ce grand mot, on déclare ne plus se réclamer de cette simple Fantaisie qui peut être si belle, mais de cette Fantaisie-là qui doit être transcendante, puisqu’elle se permet d’être étrange, et qu’on la déchaîne du dernier lien du bon sens, du dernier fil de la réalité.

1492. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Par ce mot de République Montesquieu entend les aristocraties et les démocraties ; par ce mot de vertu, Montesquieu, il l’a dit vingt fois, encore que Voltaire n’ait jamais voulu l’entendre, entend la « vertu politique », c’est-à-dire tout simplement le patriotisme. […] Le mot populaire : « C’est les riches qui font travailler », est exact. […] Il a plus d’une fois indiqué d’un mot bref cette conception ; mais jamais il ne l’a développée ; jamais il n’est entré, à cet égard, dans aucun détail. […] » — Quand l’ancien Parlement fut rappelé, Voltaire ne dit mot, ou à peu près. […] Ils ne disent mot.

1493. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Ce n’est pas dans les mots que la vertu consiste. […] Ce petit nombre de lignes offre autant d’inexactitudes que de mots. […] Il est certain qu’il fut nourri de grec et de latin, c’est-à-dire, suivant le style moderne, qu’il n’apprit que des mots, attendu qu’il n’y a bien certainement que des mots dans les écrivains d’Athènes et de Rome : et voilà pourquoi Corneille a mis tant de choses dans ses tragédies, tandis que nos auteurs actuels, à qui l’on n’a enseigné que des choses, ne mettent dans leurs pièces que des mots. […] Corneille, en un mot, ce Corneille qu’on voudrait nous donner pour un rhéteur et pour un historien, est le plus chaud et le plus théâtral des poètes dramatiques. […] Le déshabillé de Corneille et de Bossuet plaît davantage que la toilette d’un auteur musqué, dont tout le mérite est dans les mots.

1494. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Il a, sans en avoir l’air, et pour peu que cela lui plaise, le premier et le dernier mot dans les discussions. […] Tous les mots sacramentels, orthodoxie, secte, schisme, étaient proférés, et il ne tenait pas à lui que l’Académie ne se constituât en synode ou en concile. […] Ces discussions donnent lieu à des joutes de parole, développées, agréables, solides pourtant, véritablement académiques dans le meilleur sens du mot. […] La littérature française, à partir du xvie  siècle, est tout entière passée en revue à l’occasion d’un mot : le point de départ est oublié, et le cercle de l’entretien grandit, s’étend, s’élargit toujours. […] Mais sous une forme ou sous une autre, il est utile que l’Académie donne son avis, ait ses discussions intérieures et les consigne dans un Rapport public, qu’elle ne craigne pas, en un mot, de faire acte de jugement et de sincérité.

1495. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Necker, qui remontait au delà de 88, comme l’atteste un mot d’une lettre à M. […] L’article, qui commence en ces mots : « Jette ta plume au feu, généreux Brutus, et va cultiver des laitues !  […] Né dans un pays où Brissot séjourna d’abord, à Boulogne-sur-mer où il travailla avec Swinton, où il se maria, parent des personnes qui l’accueillirent alors et de cette famille Cavilliers qui l’a précisément connu en ces années calomniées, je n’ai jamais ouï un mot de doute sur son intégrité constante et sa pauvreté en tout temps vertueuse. […] Lanthenas, dont Mme Roland parle en ses Mémoires comme d’un amoureux peu exigeant, et qu’elle appelle en ses lettres le bon apôtre, l’était en effet, dans toute l’acception, même vulgaire, du mot. […] Ce mot d’asiner est amené parce que Mme Roland était alors au lait d’ânesse.

1496. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

En un mot, j’approuve la loi dans son principe, et je la contredis dans presque tous ses détails. […] Il ne fallait pas qu’on pût dire comme à d’autres époques historiques vouées à l’indécision et à la faiblesse, et qui certes n’ont nul rapport avec les circonstances actuelles ni avec le Gouvernement présent, il ne fallait pas qu’on pût appliquer un mot du sage Malouet, du temps de M.  […] Ne punissez point dans la chair celui qui n’a péché, — non, laissons le mot mystique, — celui qui n’a erré que par l’esprit (si tant est qu’il ait erré). […] À cette objection tacite, mais qui nécessairement s’élève dans beaucoup d’esprits, je répondrai d’un mot et sincèrement (car je me pique d’être aussi sincère, à ma manière, que M. le comte de Ségur d’Aguesseau). — Cache ta vie est le précepte du sage. […] Messieurs, les choses ne peuvent pas se passer de cette façon-là, on n’entend pas un mot.

1497. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

Alors un mot du peintre nous est revenu, et là-dessus elle a reculé encore, au-delà d’une limite presque précise, celle que marque l’image des feuilles vertes et que désigne le mot printemps. […] Mais certainement, lorsque pour la première fois je les ai remarqués, j’ai été frappé de leurs accompagnements ; un instant après, de souvenir, je pouvais dire leurs alentours, la cheminée de province où pendant mon enfance se trouvait la pendule antique, le nom de la personne qui faisait le geste, le titre du livre dans lequel était le mot. — Prenons un mot latin, le mot securis. […] Tout cela est permis, et même commode. — Mais ici commence l’erreur ; on est dupé par les mêmes mots et de la même façon qu’à propos de la mémoire et de la perception extérieure ; comme il s’agit d’une connaissance, on veut absolument y trouver un acte de connaissance et un objet connu ; on se la figure comme le regard d’un œil intérieur appliqué sur un événement présent et interne, de même qu’on s’est figuré la mémoire comme le regard d’un œil intérieur appliqué sur un événement passé. […] En deux mots, elle crée des illusions et des rectifications d’illusion, des hallucinations et des répressions d’hallucination. — D’une part, avec des sensations et des images agglutinées en blocs suivant des lois que l’on verra plus tard, elle construit en nous des fantômes que nous prenons pour des objets extérieurs, le plus souvent sans nous tromper, car il y a en effet des objets extérieurs qui leur correspondent, parfois en nous trompant, car parfois les objets extérieurs correspondants font défaut : de cette façon, elle produit les perceptions extérieures, qui sont des hallucinations vraies, et les hallucinations proprement dites, qui sont des perceptions extérieures fausses. — D’autre part, en accolant à une hallucination une hallucination contradictoire plus forte, elle altère l’apparence de la première par une négation ou rectification plus ou moins radicale : par cette adjonction, elle construit des hallucinations réprimées qui, selon l’espèce et le degré de leur avortement, constituent tantôt des souvenirs, tantôt des prévisions, tantôt des conceptions et imaginations proprement dites, lesquelles, sitôt que la répression cesse, se transforment, par un développement spontané, en hallucinations complètes. — Faire des hallucinations complètes et des hallucinations réprimées, mais de telle façon que, pendant la veille et à l’état normal, ces fantômes correspondent ordinairement à des choses et à des événements réels, et constituent ainsi des connaissances, tel est le problème.

1498. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

En un mot, M. de Latouche, en cette occasion, fit un acte de goût, original et courageux, ce qui est aussi rare et plus rare encore qu’un acte de courage dans l’ordre civil. […] Il a des vers isolés charmants, des alliances de mots heureuses, poétiques, élégantes ; il a les éléments de tout, « mais le tissu manque sous ses fleurs brodées ». […] Ici tout était concerté, combiné, calculé et distillé, en un mot l’opposé du talent comique. […] Pour ne rien paraître lui ôter, je dirai seulement que ce fut lui qui mit en circulation alors le mot de principicule. […] Un mot d’innocence, de candeur première, faisait relater en lui le lire franc d’une joie retrouvée.

1499. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Quelques rares esprits dans lesquels le génie exaspéré du Romantisme vit encore, appelleront peut-être le nouveau livre de Sainte-Beuve une capucinade littéraire, et ce mot, tout choquant qu’il veuille être, ne nous choque point, nous qui aimons les capucinades en toutes choses, parce qu’elles impliquent à nos yeux la reconnaissance de la vérité et le repentir de l’erreur ; Seulement, si ce mot veut dire conversion, appliqué à Sainte-Beuve c’est un mot faux et nous le repoussons. […] Cette tradition, qui pesait sur le monde romain, comme l’indique l’archéologie de son langage (le mot exil, à Rome, ne voulait-il pas dire ex ilium ?) […] Seulement, pendant que l’on trifouille encore de partout la vie, le testament, les petits papiers de ce Tallemant des Réaux de la Critique, qui a mis au monde et à la mode les critiquaillons à petits faits et à petites histoires qui vont le montrer à la pointe de leurs aiguilles comme un insecte des plus curieux, nous voulons placer ici un mot définitif et littéraire et un jugement d’ensemble sur son esprit et ses travaux. VI Il n’a jamais, lui, dit de ces mots-là, et même il ne s’en souciait guère. […] Il n’en est pas un seul où il se soit montré le critique, dans toute la portée et la plénitude de ce mot.

1500. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

En un mot, ce que nous pouvons affirmer de plus général d’une société, après que nous aurons dit qu’elle est ou non volumineuse, dense, mobile, c’est qu’elle est homogène ou hétérogène. […] En un mot, la diminution de l’homogénéité intrinsèque des sociétés entraînera celle de leur hétérogénéité extrinsèque, et contribuera par là à cet élargissement de la « conscience de l’espèce » qui est une des conditions du succès de l’égalitarisme. […] Pour estimer leurs différences, encore faut-il que vous les compariez d’un même point de vue, que les mêmes catégories leur conviennent, en un mot qu’ils soient reconnus comme des semblables. […] Si, en un mot, l’« amphimixie » se double de « panmixie » ? […] En un mot, le règne de la mode se substitue au règne de la coutume 139.

1501. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Maurice de (1810-1839) »

Ses lettres confidentielles, intimes et sublimes révélations à son ami le plus cher, montrent une résignation portée jusqu’à l’indifférence, en tout ce qui touche à la gloire éphémère des lettres… C’était une de ces âmes froissées par la réalité commune, tendrement éprises du beau et du vrai, douloureusement indignées contre leur propre insuffisance à le découvrir, vouées, en un mot, à ces mystérieuses souffrances dont René, Oberman et Werther offrent, sous des faces différentes, le résumé poétique. […] Son ambition n’est pas tant de la décrire que de la comprendre, et les derniers versets du Centaure révèlent assez le tourment d’une ardente imagination qui ne se contente pas des mots et des images, mais qui interroge avec ferveur les mystères de la création.

1502. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre premier. La question de fait et la question de goût » pp. 30-31

Ou bien l’on peut émettre sur cette même œuvre des appréciations personnelles, la louer ou la blâmer, en un mot la juger. […] singulière alliance de mots !

1503. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 100-103

Il est donc bien plus digne des soins de quiconque est né avec du talent, de ne pas s’asservir à rendre un Original mot à mot, phrase par phrase, idée par idée, image par image.

1504. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Avant-propos » pp. 1-5

Ainsi je ne sçaurois esperer d’être approuvé, si je ne parviens point à faire reconnoître au lecteur dans mon livre ce qui se passe en lui-même, en un mot les mouvemens les plus intimes de son coeur. […] La veneration que j’y témoigne pour les arts qu’ils professent, leur fera voir que c’est uniquement par la crainte de repeter trop souvent la même chose, que je ne joins pas toujours au nom d’artisan le mot d’illustre ou quelqu’autre épithete convenable.

1505. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Rathery »

Qu’on nous permette de risquer un mot sur un livre qui n’est aussi qu’un mot, mais bien dit !

1506. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

trois ans à peine s’étaient écoulés, et lui-même allait être initié à ces secrets de la mort, où il semble que, par un triste pressentiment, il s’était plu à s’arrêter avec une curiosité mélancolique. » Il allait savoir le dernier mot (s’il est permis !) […] Une note de sa préface232 recommandait expressément le pamphlet du Maheustre et du Manant, testament de la Ligue à l’agonie et dernier mot du parti des Seize. […] La phrase du président Hénault ne signifie que cela ; c’est un de ces mots spirituels qui rendent avec vivacité un résultat et qui font aisément fortune en France. On ne prend de tels mots au pied de la lettre que quand on y met peu de bonne volonté. […] Il y a un mot de Bossuet (ou de Fénelon) qui dit : « L’homme s’agite, et Dieu le mène. » Tout le secret de la vie est là ; il faut s’étourdir par l’action.

1507. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

* *   * La musique existe selon deux modes fondamentaux, non point harmonie et mélodie, mais Harmonie et Rythme-ces deux mots étant pris ici avec leur signification musicale la plus large. […] Mais, outre l’ordonnance « harmonieuse » au sens général de ce mot, il atteint assez fréquemment l’harmonie musicale d’une strophe et son ordonnance sonore. […] Ici l’on sent l’effet malencontreux du mot « interminables » placé entre « plages » et « voyages », en revanche j’aime à faire observer l’heureuse disposition, aux derniers vers, des mots âges, arbres, pâles ; celui-ci, dernier écho du son prépondérant de toute la strophe, s’unit par une allitération à la rime, qu’une homophonie annonce elle-même et vient soutenir à la césure. […] Car ce mot, la mélodie, je l’ai si souvent entendu prononcer, et par des bouches qui lui donnaient des significations si diverses, que je n’oserais permettre à mon meilleur ami de l’employer devant moi sans le définir. […] Malheureusement les mots gênent ici par leur sens flottant.

1508. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Crébillon, d’ordinaire si incorrect, et qui semble recevoir ses mots de la rime, les a tirés cette fois de son cœur et de sa raison. […] Il nous invite à le critiquer ; il se livre, moitié sincèrement, moitié avec le désir de n’être pas pris au mot. […] Je retiens en vain un mot qui veut sortir ; les tragédies de Voltaire semblent toutes des ouvrages de jeunesse. […] Racine voit tout, le grand où il se présente, les qualités mêlées qui sont plus de l’homme, le vrai, en un mot, dont le grand n’est que le genre le plus rare. […] On a trouvé un mot pour caractériser le style de ses tragédies ; c’est le mot brillant.

1509. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

C’est une courtisane, dans la plus réelle acception du mot, que M.  […] Puis il s’acoquine — c’est le mot — à la combinaison scabreuse que lui propose sa maîtresse, et il finit par l’accepter en fermant les yeux. […] Chaque trait frappe, chaque mot porte coup. […] Maximilien n’a qu’à venir maintenant, il sera bien reçu et, en effet, il est impossible de décourager, du premier mot et à tout jamais, un amoureux dont l’heure est passée, avec une plus altière et plus décisive insolence. […] Je ne veux pas scruter trop à fond sa morale, ni le questionner de trop près pour savoir son mot.

1510. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

Il m’adresse un mot aimable, et nous causons. […] Mais ce doux empoignement de mes cheveux, avec ce seul mot, quelquefois cela me revient, et d’y penser, ça me rend tout heureux. » Puis on cause de l’état d’âme après la satisfaction amoureuse. […] * * * — Claude Bernard, dans le délire qui précéda son agonie, ne répétait qu’un seul mot : « Foutu ! […] Il a une conversation qu’on ne peut définir que par un mot : une conversation d’improvisateur. […] * * * — Un mot profond de femme à un homme, parlant de l’impossibilité de se faire aimer avec des cheveux blancs : « Les femmes ne regardent pas ou du moins ne voient pas les hommes qu’elles aiment. » Aujourd’hui à l’aquarium de l’Exposition, je suis resté une heure, devant les truites.

1511. (1772) Éloge de Racine pp. -

Il purgea le théâtre des jeux de mots et des pointes ridicules, qui sont l’éloquence des temps de barbarie. […] Quelle création que ce mot, le plus beau peut-être que la passion ait jamais prononcé ! […] Racine eut le premier la science du mot propre, sans lequel il n’y a point d’écrivain. Son expression est toujours si heureuse et si naturelle, qu’il ne paraît pas qu’on ait pu en trouver une autre, et chaque mot de la phrase est placé de manière qu’il ne paraît pas qu’on ait pu le placer autrement. […] , on ne peut lui reprocher aucun mot satirique contre le mérite reconnu, éloge que l’on voudrait pouvoir faire de Despréaux.

1512. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

C’est ce que l’on appelle, comme on voudra, car je ne tiens pas au mot, des réalistes ou des naturistes ; seulement, ce sont des réalistes psychologues. […] Il n’a pas inventé le mot dont on abuse maintenant de la « tenue littéraire », mais il est entêté de la chose. […] Je passe sur Gœthe, qui a deux ou trois mots aimables, mais seulement aimables, dans ses conversations avec Eckermann sur La Fontaine. […] Songez-y bien, tous les autres amours, toutes les autres affections ont un mélange d’intérêt, ont un mélange « d’amour-propre » dans le sens que La Rochefoucauld donne à ce mot, ont un mélange d’esprit de retour sur soi-même, à commencer par l’amour proprement dit. […] Vous pensiez voir arriver le mot de raison parce qu’on a toujours dit : le classicisme c’est la raison !

1513. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Jamais non plus on n’a dépensé plus de mots pour dire moins de choses, ni entassé plus d’invraisemblances pour produire au total moins d’effets. […] Non, c’est trop dire, ou du moins, c’est selon qu’on entend et qu’on explique le mot. […] Ils cherchent la propriété du mot, et, ne la trouvant pas, ils nous donnent à choisir entre les diverses formes qui leur semblent traduire à peu près leur pensée. […] On ne veut pas cependant se rendre ; on épilogue ; on équivoque sur les mots de nature et de naturel. […] Un seul mot d’elles suffit pour déconcerter la science toute neuve de M. 

1514. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Rien de moins poétique, je vous assure, rien de moins littéraire dans le sens moderne du mot, et j’ajouterai presque comme une conséquence immédiate, rien de plus véritablement humble et de plus sincère. […] Le temps de sa retraite à Veretz se marque par quelques traits plus adoucis et par quelques expressions de contentement, si ce mot est applicable à une nature comme celle de Rancé : « Je vis chez moi assez seul. […] »— Et quelle délicatesse encore dans cet autre mot qui décèle une tendresse d’âme subsistante sous la dure écorce : « Ce seroit une chose bien douce d’être tellement dans l’oubli, que l’on ne vécût plus que dans la mémoire de ses amis !  […] Ainsi, quand Rancé nous dit que le Père Mabillon a fait un petit traité très-recherché et très-exact , ce mot recherché est pris en bonne part, exquisitus .

1515. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

Ils se gardent bien, en un sujet triste, de pousser l’émotion jusqu’au bout ; ils évitent les grands mots. […] Le petit vers des fabliaux trotte et sautille comme un écolier en liberté, à travers toutes les choses respectées ou respectables, daubant sur les femmes, l’Eglise, les grands, les moines, Gabeurs, gausseurs, nos pères ont en abondance le mot et la chose. […] Un mot glissé montre seul le sourire imperceptible ; c’est l’âne, par exemple, qu’on appelle l’archiprêtre, à cause de son air grave et de sa soutane feutrée, et qui, gravement, se met à « orguenner. » Au bout de l’histoire, le fin sentiment du comique vous a pénétré sans que vous sachiez par où il est entré en vous. […] Le besoin de rire est le trait national, si particulier, que les étrangers n’y entendent mot et s’en scandalisent.

1516. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

On l’a dit, se défier de soi et d’autrui, c’est en deux mots tout l’esprit scientifique. […] Au fond, l’on reprochait à Larroumet que son étude ne ressemblait pas à son auteur : « Il a, disait quelqu’un, déposé un éléphant sur un papillon. » Ce mot révèle une conception purement esthétique de l’histoire littéraire : l’essai doit être l’image, la réduction, comme l’eau-forte de l’œuvre originale. […] Rien d’essentiel, ni même d’important, n’a été ajouté : la recherche avait été complète et, autant qu’on peut s’aventurer à user du mot, définitive. […] Ce sont deux excellents ouvrages de vulgarisation, au sens le plus élevé du mot, de cette vulgarisation dont seuls les esprits très savants et très intelligents sont capables.

1517. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Le mot serait juste en supposant que la rime fût une esclave maîtresse, battue et caressée de la même main vigoureuse. […] Ce mot suffirait pour indiquer le rang magnifique du poète : il a la joie ! […] En quelques mots bénins, l’auteur prévient qu’il sied parfois de répandre de riches rimes pour trois sous ; et partant il avoue les avoir accrochées à de vulgaires et très compréhensibles sujets. […] Il faut lire les Exilés d’un cœur pieux et les relire en prenant conscience de la valeur métaphysique de nombreux mots splendides.

1518. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

Le choix et l’agencement des mots, le mouvement général et le style, tout concorde à l’effet produit, laissant à la fois dans l’esprit la vision de choses effrayantes et mystérieuses, dans l’oreille exercée comme une vibration multiple et savamment combinée de métaux sonores et précieux, et dans les yeux de splendides couleurs. […] Mais quand il était en proie à ses attaques et, comme les spécialistes le disent, d’un mot qui ne sera jamais mieux appliqué, quand il entrait dans la « période clownique », alors il écrivait ses Petits poèmes en prose et ses Fleurs du mal. […] Mais qu’il ait desséché sa verve poétique (ce que nous ne pensons pas) parce qu’il a exprimé et tordu le cœur de l’homme lorsqu’il n’est plus qu’une éponge pourrie, ou qu’il l’ait, au contraire, sur-vidée d’une première écume, il est tenu de se taire maintenant, car il a dit les mots suprêmes sur le mal de la vie, ou de parler un autre langage. […] Jules Laforgue Ce grain de poésie unique où fermente toujours (même quand les mots parlent d’autre chose) la nostalgie des quais froids de la Seine aux rives vicieuses et mal aux cheveux pour la jeunesse passée aux Indes… Ça lui fait trouver une gamme d’images qui n’est ni l’image renforcée de Hugo, ni l’image déliquescente d’instinct des décadents : quelque chose d’inimitable, de sentimental… Baudelaire : chat, Indou, Yankee, épiscopal, alchimiste.

1519. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Il semble avoir pris tout aussitôt pour devise ce mot de Vauvenargues : « La familiarité est l’apprentissage des esprits. » Dans des conseils qu’il adressait à un jeune homme, Vauvenargues, développant cette même pensée, disait encore : Aimez la familiarité, mon cher ami ; elle rend l’esprit souple, délié, modeste, maniable, déconcerte la vanité, et donne, sous un air de liberté et de franchise, une prudence qui n’est pas fondée sur les illusions de l’esprit, mais sur les principes indubitables de l’expérience. […] Il s’est bien gardé de prendre ce mot dans le sens qu’un amateur des modernes lui eût probablement donné. […] On sent à ces derniers mots que c’est bien Voltaire qui parle, c’est-à-dire un poète amoureux de son art, et qui, dans un moment d’admiration, serait capable d’applaudir même son rival, et de lui sauter au cou en l’embrassant. […] Tandis que d’autres jouent sur les antithèses de mots, M. 

1520. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Le mot est sérieusement vrai en France, surtout à Paris. […] En un mot, on sent que bien des choses ne se sont faites que parce que le peuple de Paris a vu le dimanche, au boulevard, tel drame, et a entendu lire à haute voix dans les ateliers telle histoire. […] Étienne, dans son Histoire du Théâtre-Français pendant la Révolution, a dit : « L’expérience a montré que les comédiens ne s’administrent bien que par eux-mêmes : c’est la seule république du monde où la puissance soit mal exercée par un chef. » Le mot est piquant. […] Ma seule conclusion serait que, sous une forme politique ou sous une autre, l’État en France a les mêmes intérêts et les mêmes devoirs ; qu’il se tromperait en abdiquant toute direction de l’esprit public, en n’usant pas des organes légitimes d’action qui lui sont laissés ; que c’est faire de la bonne politique que de travailler d’une manière ou d’une autre à contenir la grossièreté croissante, la grossièreté immense qui, de loin, ressemble à une mer qui monte ; d’y opposer ce qui reste encore de digues non détruites, et de prêter la main, en un mot, à tout ce qui s’est appelé jusqu’ici goût, politesse, culture, civilisation.

1521. (1901) La poésie et l’empirisme (L’Ermitage) pp. 245-260

  Si l’on en croit les Grecs, le poète est celui qui fait, celui qui crée ; il faut les croire ; — ΠΟΙΗΤΗΣ — dans ce simple mot tient tout son art et toute sa fonction. […] Non plus que s’il s’agissait d’un être de chair, on ne saura d’où vient à cet être de mots la vie. […] Paul Bourget ajoute : « Je ne saurais les relire, ces lignes si simples, sans une émotion presque pieuse, et je crois que beaucoup des écrivains qui ont eu leurs vingt ans entre 1855 et 1880 y retrouveraient de même, en un raccourci puissant, ce qui fut la foi profonde de leur jeunesse. » Nous retiendrons ce mot : l’empirisme était devenu une foi. […] Monde des idées et monde des corps, il saura célébrer toute chose créée… mais par le moyen artistique d’une nouvelle création. » Et les ennemis du Parnasse, aux pontifes de l’Empirisme jetaient ces derniers mots, soudain, comme un défi.

1522. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IX. La pensée est-elle un mouvement ? »

En un mot, un mouvement pensant implique contradiction. […] On nous oppose que les vibrations de l’éther deviennent de la lumière et de la couleur sans être en elles-mêmes ni lumineuses, ni colorées ; mais on oublie ce que les cartésiens avaient déjà si profondément aperçu, à savoir, que le mot de lumière signifie deux choses bien distinctes : d’une part, quelque chose d’extérieur, la cause objective, quelle qu’elle soit, des phénomènes lumineux, cause qui subsiste pendant, avant, après la sensation, et indépendamment d’elle ; d’autre part, la sensation lumineuse elle-même, qui n’est rien en dehors du sujet sentant. […] En un mot, une même cause peut, selon les circonstances, produire tantôt la sensation de chaleur sur un sujet sentant, tantôt un phénomène de mouvement dans un corps qui ne sent pas. […] Sans doute l’âme n’est pas détruite par là même, et elle conserve encore virtuellement la puissance de penser ; mais la pensée actuelle, mais la pensée individuelle, la pensée enfin accompagnée de conscience et de souvenir, cette pensée qui dit moi, celle-là seule qui constitue la personne humaine et à laquelle notre égoïsme s’attache, comme étant le seul être dont l’immortalité nous intéresse, que devient-elle à ce moment terrible et mystérieux où l’âme, en rompant les liens qui l’unissent à ses organes, semble en même temps rompre avec la vie d’ici-bas, en dépouiller à la fois les joies et les misères, les amours et les haines, les erreurs et les souvenirs, en un mot perdre toute individualité ?

1523. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 4, de l’art ou de la musique poëtique, de la mélopée. Qu’il y avoit une mélopée qui n’étoit pas un chant musical, quoiqu’elle s’écrivît en notes » pp. 54-83

Quand on connoît quelle étoit la délicatesse des grecs en matiere d’éloquence, et sur-tout à quel point ils étoient choquez par une mauvaise prononciation, on n’a point de peine à concevoir que quelques-unes de leurs villes, n’aïent été assez jalouses de la reputation de n’avoir en toutes choses que des manieres élegantes et polies, pour ne vouloir pas laisser au crieur public chargé de promulguer les loix, la liberté de les reciter à sa mode, au hazard que souvent il donnât aux phrases, aux mots mêmes qu’il prononceroit, un ton capable de faire rire des hommes nez mocqueurs. […] Martianus Capella dit : " le son de la voix se peut diviser en deux genres de sons… etc. " or, comme nous le dirons plus bas, carmen signifioit proprement la déclamation mesurée des vers qui ne se chantoient pas, à prendre le mot de chanter dans la signification qu’il a parmi nous. […] Il est sensible par l’opposition que Capella fait de la modulation au carmen, qu’il veut emploïer ici le terme de modulation dans le sens où je l’ai entendu, et qu’il veut y faire signifier à ce mot un chant musical proprement dit. […] Le mot de semeia signifie bien toute sorte de signes en general, mais on en avoit fait le nom propre des notes ou des figures dont il est ici question.

1524. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

En un mot, la parole est nécessaire à l’homme pour penser, et alors l’homme n’a pu inventer la parole ; car on ne peut supposer un temps où il ait été sans pensée, et on ne peut expliquer comment il aurait pu créer la parole, sans laquelle il ne pouvait penser ; ou la parole n’est pas nécessaire à l’homme pour penser, et alors il a pu graduellement inventer la parole. […] Leur respect pour les traditions, le sens immobile qu’ils attachent aux mots, les rendent inaptes à entrer, dans des routes nouvelles. […] Mais on peut compter sur le respect pour la règle fixe, pour la loi écrite, pour la lettre en un mot, pour la lettre sans interprétation, pour la lettre devant qui tout rentre dans l’égalité. […] En un mot, les liens de la parole ont été jusqu’à présent une des limites de la liberté de l’homme ; et l’émancipation de la pensée par l’affranchissement des liens de la parole est une des prérogatives de l’âge présent de l’esprit humain.

1525. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

» répondit-il, et c’est là un mot beau et vrai, car c’est là qu’avec sa nature de poète il devait siéger. […] laissons-là les mots vulgaires. […] Hugo, ce fort remueur de mots, qui eut, tout de suite, la prétention d’être un maître, d’avoir une doctrine et une école, et qui les eut. […] » Pour un pareil mot, il aurait mérité que Lamartine lui eût renversé un second encrier sur la tête… Quant à moi, je ne conserverai pas ces effluves du génie et de l’encrier de M. de Lacretelle qui font le livre d’aujourd’hui, et je m’imagine que le public ne les conservera pas plus que moi.

1526. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

» ajoute-t-elle, dans un mot qui est le plus joli sourire… Tout cela est dit aussi avec cette grâce d’expression que ne connaissent pas les bas-bleus, et qui semble demander pardon pour la profondeur de la pensée. […] Elles ne se ressemblent que par l’accent du même sentiment, que par ce qui n’est pas dans les mots, mais dans le souffle, et, qu’on me passe cette expression ! […] » On y trouvera, semés à profusion dans ces lettres, des mots qu’on n’oublie plus une fois qu’on les a vus écrits, — de ces mots tracés dans la séparation et qui ont la chaleur ou la fraîcheur des lèvres absentes : « Je suis veuve de toi — dit Réa — à tous les moments de ma vie ! 

1527. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

C’est en effet par la clarté dans les idées, dans les mots qu’excelle l’auteur de tant de belles et solides pages. […] Impossible de mieux peindre rien qu’avec des mots. […] Voilà, en deux mots, la fable. […] Des amours de savants ne sont pas toujours chastes, mais rien n’est malsain, et pas un mot brutal ne blesse. […] Ne vous payez pas de vieux mots.

1528. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Les chroniqueurs vont rappeler ses mots. […] » Voici maintenant un mot d’officier. […] Il a des mots singuliers. […] Aimez-vous les mots d’enfants ? […] Les enfants d’aujourd’hui sont d’une telle force qu’ils font souvent des mots d’enfants qui ressemblent à des mots d’auteurs.

1529. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Bourget, qui emploie les mêmes mots, ajoute : « un point de vue ». […] Elle est idéaliste dans le mauvais sens du mot. […] Et voilà ce que mademoiselle Paulette nous a fait, d’un mot, saisir. […] Mot aussi consubstantiel à la littérature de cette époque que les mots de « méditation » ou d’« élévation » à la poésie romantique. […] Je ne crois pas cependant que le mot convienne.

1530. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

que ces vers, disons-nous, ou du moins ces mots sans reines, arrachèrent une larme à la noble Marie-Antoinette, jusque-là si peu éprouvée : ce fut toute la punition du poëte. […] Tout en se tenant dans son coin (c’était son mot), il avait conscience de ce rang élevé, de ce rang premier, et en usait avec modestie, avec bienveillance pour les talents nouveaux, avec autorité toutefois. […] L’aimable Isabey, que j’interroge, traduit lui-même et complète d’un mot mon impression en disant du visage et de la physionomie de Parny : C’était un oiseau. […] Ce mot la Cour indique une date antérieure ; le dialogue est en effet de 1788 ; mais qu’il s’appliquait bien mieux encore dix ans plus tard ! […] « Faites-moi un mot de réponse par Desmarets.

1531. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

C’est le bonheur où les mots vêtent des sens radieux, où les amants, afin qu’ils se sachent mieux l’un à l’autre, ont des discours sur tout objet, imprégnés de l’intime tendresse débordante. […] Au lieu de narrer vivement, tu rabâches ; au lieu de peindre la passion, tu t’accroches oiseusement aux mots !  […] Les Maîtres Chanteurs tiennent, si l’on doit user des mots connus, de l’opéra-comique et du grand opéra, de la grande farce satirique et du drame sentimental, et ils ne relèvent de rien. […] Aujourd’hui même et dans cette église aura lieu le concours de chant ; Walter, à ce mot, se sent naître à une vie nouvelle. […] Le mot est important car Wagner développe sa théorie de la décadence et de la régénération dans ses derniers écrits, principalement Religion et Art, À quoi sert cette connaissance ?

1532. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

On a prononcé ce mot : subvention de l’Etat ! […] Le conservatoire national de musique, lui aussi vivant aux frais de l’État, joue Wagner et les patriotes se gardent bien de souffler mot. […] Ce factum, à proprement parler, est idiot ; pas d’autre mot à employer pour le résumer. […] Le grand mot est lâché ; car nous marchons, avec la représentation du Lohengrin, au-devant de ce que nous appelons une journée parisienne. […] En un mot, ce n’est pas la ligue des patriotes, mais celle des envieux et des avortés, se recrutant parmi les innombrables individus pour lesquels c’est une satisfaction que de barrer la route au génie.

1533. (1914) Boulevard et coulisses

» et je me rappelle ces mots, chaque fois que je suis tenté moi-même de dire à un jeune homme : « Ah ! […] Et c’est le mot. […] Non, décidément, c’est un vilain mot ! […] Nous ne prononcerons même pas le mot une seule fois. […] Un soir, tous ses désirs se sont précisés, toutes ses réflexions se sont condensées en un mot : le théâtre.

1534. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Comme on reconnaît chaque mot dès qu’on le prononce, on sent qu’on le tient avant de le prononcer, et pourtant on ne le retrouve qu’en le prononçant. […] Chacun de nous a pu remarquer le caractère étrange que prend parfois un mot familier quand on arrête sur lui son attention. Le mot apparaît alors comme nouveau, et il l’est en effet ; jamais, jusque-là, notre conscience n’en avait fait un point d’arrêt ; elle le traversait pour arriver à la fin d’une phrase. […] Mais il faut remarquer aussi que les personnes sujettes à la fausse reconnaissance sont fréquemment portées à trouver étrange un mot familier. […] Le mot a été créé par M. 

1535. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

» et pesez bien les mots. […] C’est une bonne fille, au sens le plus honorable du mot. […] On cite ses mots. […] Le dernier mot du drame : « Fidèle !  […] Elle est dupe des mots.

1536. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LIX » pp. 227-230

C'est le cas d’appliquer un mot énergique de M. […] On cite de Thiers des mots assez piquants et qui lui ressemblent.

1537. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Sur les Jeune France. (Se rapporte à l’article Théophile Gautier, page 280.) »

L’article qui porte la date du 29 mai 1833 et qui commence par ces mots ; « L’art est aujourd’hui à un bon point. Les querelles des mots ont fait place à l’examen des choses… »

1538. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 69-73

Il y a apparence que Madame Deshoulieres les avoit parcourues, car son Idylle des Moutons est tirée presque mot à mot de ce Recueil.

1539. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 343-347

Si l’on veut cependant les apprécier à leur juste valeur, on adoptera la définition du célebre Huet, qui les appeloit Montaniana, c’est-à-dire, un Recueil de Pensées, de bons Mots, & de Remarques de Montagne. […] Pascal prétendoit qu’un honnête homme devoit éviter de se nommer, & même de se servir des mots de je ou de moi, & il avoit accoutumé de dire, sur ce sujet, que la piété chrétienne anéantit le moi humain, & que la civilité humaine le cache ou le supprime.

1540. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Ce qui nous intéresse enfin, c’est de nous répéter, fût-ce pour la millième fois, que Molière seul a surpris le comique au sein de la nature, qu’il n’a pas cherché à dire de bons mots, à faire paraître son imagination ou son esprit, mais à peindre le cœur humain et à être vrai, qu’en un mot son comique est un comique moral. […] Quelqu’un relève dans la pièce plusieurs mots où toute la salle a ri, quoiqu’il n’y ait rien de moins spirituel, ou pour mieux dire, rien de plus bas. […] Elle s’est ainsi formé un sens esthétique (mais ce mot n’est pas de sa langue), un instinct du bon et du mauvais, du beau et du laid, du vrai et du faux, un véritable tact littéraire. […] Avec deux ou trois question sans malice, il l’aurait bientôt mise en contradiction avec elle-même, et il lui ferait avouer tout haut qu’elle ne sait pas le premier mot de ce qu’elle dit. […] Uranie aime mieux se taire, et ses lèvres dédaigneuses retiennent le mot qui sauverait son orthodoxie.

1541. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

Il n’a pas fallu faire une seule brochure pour le prouver. » « Les lettrés de la dynastie des Han, dit Tchin-tsée, ont écrit plus de trente mille caractères pour expliquer les deux premiers mots du Chou-king. […] Aussi l’empereur les oblige à la cultiver sans cesse, par les questions subites et imprévues qu’il leur fait ; ils n’auraient garde, dans leurs réponses, de risquer un mot hasardé : ils citent leurs garants, d’après la critique la plus sévère. […] Comme les faits y sont racontés en peu de mots et tels qu’ils sont, leurs causes et leurs effets, leur enchaînement et leur ensemble, dont il lui est si aisé de se faire le commentaire, lui présentent un miroir où il se voit tel qu’il est et tel que l’histoire le montrera aux siècles futurs. […] L’unique attention qu’on ait eue, c’est de ne pas mettre un mot contre la pudeur. […] J’y reviendrai, mais je vais vous le dire en deux mots : c’est que, à l’exception de leur histoire, la littérature de la Chine est pauvre et médiocre ; ils n’ont que de la raison et peu d’imagination.

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