/ 3036
1044. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Qu’importe Que languisse ma voix, tant que leur âme est forte ? […] L’âme, mêlée à l’éther sans bornes, était partie vers les dieux ! […] « Il avait l’âme trop grande, dit M.  […] Ils ont cité avec beaucoup d’éloquence des traits de grandeur d’âme, de désintéressement, de sacrifice. […] Jeune encore, il célèbre avec un véritable lyrisme l’espèce de résurrection que son âme blessée et son corps malade trouvaient au bout de peu de jours dans la retraite des champs : « Combien l’âme reprend de ton et le cœur de puissance !

1045. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Et combien au-dessous des angoisses métaphysiques ou se débat, tragiquement, l’âme tourmentée du grand Baudelaire ! […] Certain visage en détresse au coin d’une rue m’a bouleversé l’âme et ne sortira jamais de ma mémoire. […] Il a vécu l’âme ouverte, et sa physionomie était bien en cela l’image de son âme. […] Il était beau et il avait une âme infiniment tendre, frémissante, aimante. […] Elle heurtait son âme à cette pensée, comme on heurte son front à la pierre d’un cachot. « Oui, pourquoi ?

1046. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Mais, n’avons-nous pas depuis tantôt vingt ans, un art qui renie systématiquement l’Idéal, qui fait de la description matérielle son but immédiat, remplace l’étude de l’âme par la sensation, se racornit dans le détail et l’anecdote, s’inébrie de platitude et de vulgarité ? […] Nous pourrons recréer le drame en vers, la plus belle forme d’art, certes ; interpréter avec l’âme actuelle les mythes dans le poème ; et dire sans malice les airs anciens et toujours neufs dans la chanson. […] verte, verte, combien verte, Était mon âme, ce jour-là ! vous, non initié aux mystères de l’analogie, vous ne soupçonnez pas ce que peut être une âme verte. […] J’y sens par endroits le cœur et l’âme du dix-huitième siècle.

1047. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

Beaucoup d’âmes simples le croyaient. […] Et dans ce moi, composé d’un être double, d’une âme qui pense et don corps qui a des besoins certains, mais si difficiles à démêler d’avec ses passions, pour qui sera la préférence, ou de l’âme qui ne pense que des choses douteuses et ne remue que des obscurités ? […] Si nous ne guérissons pas, ce n’est pas la faute de son livre ; de plus grands médecins de l’âme y ont échoué. […] Le médecin de l’homme n’est plus l’homme, c’est Dieu lui-même, entourant l’âme chrétienne de sa providence, et s’insinuant dans ses plus secrets mouvements. […] Charron, trompé par son honnêteté même, ou entraîné par l’exemple des licences du maître, fait tout voir grossièrement, ne croyant pas son âme complice de l’impureté de son intelligence.

1048. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Passionnée pour monter à cheval, pour conduire un panier, elle se trouve mal à la vue d’une goutte de sang, a la terreur enfantine du vendredi, du nombre treize, possède tout l’assemblage des superstitions et des faiblesses humaines et aimables chez une femme : faiblesses mêlées à d’originales coquetteries, celle du pied par exemple qu’elle a le plus petit du monde, et qu’elle porte toujours chaussé d’un soulier découvert à talon… Mal jugée et décriée par les femmes et les petites âmes qui ont l’horreur de la franchise d’une nature, elle est faite pour être aimée d’une amitié amoureuse par des contempteurs comme nous des âmes viles et hypocrites du monde. […] C’est notre remède, en ces mauvaises heures, de nous dénoircir l’âme en nous enchantant le regard avec l’éclair gai d’une vieille et belle chose, d’une claire porcelaine à la dorure dorée d’or mat, d’une jolie relique de la grande industrie d’art du xviiie  siècle. […] Oui, dans ces images, on dirait ressuscitée un peu de l’âme de la vieille cité : c’est comme une magique réminiscence d’anciens quartiers sombrant parfois dans le rêve trouble de la cervelle du voyant perspectif, du poète-artiste, ayant assises à son établi la Démence et la Misère. […] De véritables débits de consolation, où l’on détournera le cours de l’âme et la mélancolie de la pensée, pendant une heure. […] … » Et longtemps, longtemps, il berce et amuse les côtés aventureux de votre âme par l’invraisemblance d’incidents qui vous mèneront à connaître des « étrangères puissamment riches et merveilleusement belles, dans une ville où il y aura des ruines ».

1049. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

* * * — Tous ces temps-ci, détente complète de l’activité physique et morale ; une somnolence qui irait à des nuits de dix-huit heures ; — dans l’éveil les yeux paresseux à voir, à observer ; — notre regard, sans notre pensée, feuilletant les livres et se traînant de l’un à l’autre ; — un grand effroi de faire moins que rien ; — la tête vide et pourtant lourde ; — le sang comme envahi par la lymphe ; — un lâche ennui ; — le remuement de la cervelle et du corps aussi durs pour nous que pour l’aï, qui passe une journée à se dérouler de son arbre ; — un état de l’âme sur lequel tout passe sans la secouer : les distractions, l’orgie, les grattements de vanité. — C’est la maladie qui vient aux activités retraitées, aux têtes qui restent trop longtemps à se reposer, à nous qui, depuis cinq mois, ne vivons pas dans une œuvre et pour une idée. […] La campagne était le salon d’été de l’âme d’Horace. […] Ces âmes d’hommes de lettres-là font tache dans ce libre xviiie  siècle par la bassesse sourde du caractère, sous la hauteur des mots et l’orgueil des idées. Le monde de l’art, au contraire, contient les nobles âmes, les âmes mélancoliques, les âmes désespérées, les âmes fières et gouailleuses, comme Watteau qui échappe aux amitiés des grands, et parle de l’hôpital ainsi que d’un refuge ; comme Lemoyne qui se suicide, comme Gabriel de Saint-Aubin qui boude l’officiel, les académies, et suit son génie dans la rue, comme Le Bas qui met son honneur d’artiste sous la garde de la blague moderne. […] Ce Grec de la fin de la Grèce et du crépuscule de l’Olympe, est notre contemporain par l’âme et l’esprit.

1050. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

L’intérêt ressenti par l’âme est donc la cause unique du phénomène. […] Il est des âmes hantées, comme les vieilles maisons, par les fantômes qu’elles ont trop longtemps abrités. […] Que l’on admette un milieu social guerrier, Sparte par exemple, et qu’il vienne à y naître, par une de ces variations fortuites que la théorie de la sélection est forcée d’admettre, un homme doué de sentiments délicats et pacifiques ; évidemment cet homme essaiera de ne poiut modifier son âme, de ne pas accomplir des actes qui lui répugnent. […] A la fin du siècle dernier, on aimait les pastorales, la sentimentalité, les frivolités ; on ne parlait que d’âmes sensibles, d’âmes tendres, de bergers, et de bergères, de retour à la nature ; tout cela était à la surface : la Révolution et la Terreur approchaient. […] Les génies d’art ne meuvent pas les corps, mais les âmes : ils modifient les mœurs et les idées.

1051. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Vous voyez bien cet histrion qui joue la femme, il copie à ravir les passions impudiques, et ce mensonge aussitôt devient un feu terrible dans l’âme de l’auditoire. » Ainsi parlait un païen converti, un avocat de Rome devenu chrétien, Minutius Félix ! […] Oui, mais plus grand et plus rare est le danger, plus rare aussi et plus charmante est la poésie habile à produire ce danger des esprits éclairés, des âmes impatientes, des imaginations avides de tout savoir. […] mais cette opération que tu fais là t’a donc tué l’âme et le cœur ! […] Certes, voilà ce qui ne vous serait pas arrivé il y a dix ans, quand vous étiez quelque peu un poète, quand votre âme honnête et jeune s’ouvrait facilement aux nobles impressions du beau et du bon. […] À l’aspect de ce bel instrument au repos, ne vous êtes-vous pas pris de tristesse en songeant à toutes les misères musicales que contenait cette âme en peine : les sonates de la petite demoiselle au retour de sa pension, les romances du faiseur de romances, les opéras-comiques des grands prix de Rome, les roulades des chanteurs et des chanteuses, tout ce menu fretin des mélodies de pensionnat et de salon ?

1052. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Il n’en devait être que conçu comme plus grand par les esprits puissants, et plus aimé des âmes fortes ; mais les puissants esprits sont rares, et plus encore les fortes âmes. […] L’âme antique, dans un humaniste, combat l’âme nationale, non pas jusqu’à la détruire, mais jusqu’à l’écarter ; et cela a de très graves conséquences ; car ce que j’appelle l’âme nationale, l’âme héritée, l’âme paternelle, c’est ce qu’il y a de plus personnel en nous ; et c’est donc lui-même dans une certaine mesure que l’humaniste écarte de son œuvre et en retranche, ce qu’il y a de plus spontané et de plus naïf dans son imagination qu’il refoule, et que, peu à peu, il tarit. […] Mais il a l’âme moderne autant qu’eux. […] La Cène se reçoit-elle seulement de l’âme, et non pas aussi des mains et de la bouche ? […] C’était une âme d’artiste douce, délicate, susceptible et un peu timide.

1053. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Pendant tout le cours violent de la Révolution française, l’art se tut ; il existait moins que jamais à part ; sa personnalité était comme abîmée et anéantie en présence des incomparables événements qui consternaient ou emportaient les âmes. […] Toutes ces impressions d’une âme sympathique avec l’esprit nouveau des temps, cette croyance à une philosophie plus réelle et plus humaine, cette liberté morale reconquise, cette spontanéité reconnue, cette confiance accordée aux facultés les plus glorieuses et les plus désintéressées de notre être, toutes ces qualités et ces vues de madame de Staël, en passant dans les livres d’art qu’elle composa, leur donnèrent un tour unique, une originalité vraiment moderne, des trésors de chaleur, d’émotion et de vie, une portée immense quoique parfois hors de mesure avec la réalité. […] Les vagues émotions religieuses et les rêveries de cœur qu’ils savaient communiquer aux âmes, et qui étaient comme une maladie sociale de ces dernières années, leur conciliaient bien des suffrages de jeunes gens et de femmes que la couleur féodale ou monarchique, isolée du reste, n’aurait pu séduire. […] Ballanche, le jeune homme, qui, plein de nobles et de sincères affections, repousse d’abord le temps présent, comme incomplet et aride, qui résiste aux destinées sociales encore incertaines, et se réfugie de désespoir dans un passé chimérique ; ce jeune homme, type fidèle de bien des âmes tendres de notre âge, finit par se réconcilier avec cette société nouvelle mieux comprise, et par reconnaître, à la voix du vieillard initiateur, c’est-à-dire à la voix de la philosophie et de l’expérience, que nous sommes dans une ère de crise et de renouvellement, que ce présent qui le choque, c’est une démolition qui s’achève, une ruine qui devient plus ruine encore ; que le passé finit de mourir, et que cette harmonie qu’il regrette dans les idées et dans les choses ne peut se retrouver qu’en avançant.

1054. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

Enfin elle est accompagnée d’une sensibilité bornée : les sensations extrêmes sont douloureuses et confuses ; les sensations analogues se mêlent et se brouillent ; les sensations contraires se détruisent ; les sensations simplement différentes s’affaiblissent et vivent aux dépens les unes des autres ; les sensations fortes sont tyranniques et veulent être seules dans l’âme, chassant ou excluant toutes les autres. […] Le lien des parties sera plus serré ou plus lâche, l’homogénéité plus ou moins forte ; la diversité des impressions faites sur l’âme pourra aller jusqu’à une certaine contrariété, comme leur analogie pourra être resserrée dans une rigoureuse identité. […] Le poète a conçu et a voulu exprimer que, dans une âme mauvaise, un effort énergique de volonté, appuyé sur certains sentiments, la lassitude, la désillusion, le dégoût, pouvait engendrer la générosité. […] qu’il les garde jusqu’à ce que tes crimes soient mûrs, et qu’alors il précipite son indignation sur toi, le perturbateur de la paix du pauvre monde … » Voilà le lien de la pièce et comme l’âme : cette malédiction, qui porte avec elle une puissance fatale, ira s’accomplissant à travers le drame, jusqu’à ce que, toutes les victimes marquées par elle étant épuisées, leurs spectres se présentent au seul qui reste, à leur assassin, Richard III, et l’avertissent que son heure est venue.

1055. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

Faites venir maintenant Rhadamiste sous le nom et le costume d’un ambassadeur romain : que Zénobie le reconnaisse ; voilà un effet, d’où naîtront : 1° une lutte de sentiments dans l’âme de Zénobie, prise entre le devoir et l’amour ; 2° la jalousie du mari, amoureux de sa femme, et qui, se souvenant de l’avoir assassinée, n’en attend pas beaucoup de retour ; 3° la jalousie de Pharasmane et d’Arsame, que les entrevues de la femme et du mari inquiéteront. […] Mérope est « la mère » ; et Polyphonie, Egisthe, Narbas, tous les autres personnages ont pour fonction d’exciter « la mère » à développer toutes les agitations, toutes les douleurs, les espérances, les puissances de souffrir et d’agir d’une âme maternelle. […] C’est tricherie de surprendre les yeux au lieu de captiver l’âme. […] Elève attentif du xviie  siècle, il a des vues justes, moyennes, peu personnelles, sur le mécanisme de l’âme humaine.

1056. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La révocation de l’Édit de Nantes »

Ce n’est point un protestant à la manière de d’Aubigné, par exemple, et de tous ceux-là qui, plus près de l’origine du protestantisme, avaient l’âme — cette âme de race catholique !  […] Demandez plutôt à tous les peuples qui ont perdu le sens des choses de l’âme, et qui tiennent comme maintenant à l’état d’axiome que l’histoire d’une prospérité politique quelconque s’écrit comme un livre de commerce et s’établit par doit et avoir. […] Tous, au contraire, en supputant sur leurs dix doigts les dommages faits à la France de l’industrie par la politique de Louis XIV, trouveront sérieusement moins grand ce grand homme à la lueur tremblotante de leurs chiffres… Et quoique Weiss n’ait pas dans l’âme cette profondeur de rancune qui attend le moment pour frapper et fait jeter un livre à la foule, comme Ravenswood, dans Walter Scott, jette sur la table la tête coupée de son taureau, l’auteur de l’Histoire des réfugiés aura peut-être, en fin de compte, le mieux vengé le protestantisme en démontrant placidement, et d’un ton très doux, à une société qui ne croit plus guères qu’à des chiffres, qu’économiquement la révocation de l’Édit de Nantes fut une grande faute, — car, en faisant cela, il aura insurgé contre Louis XIV la seule chose qui soit vivante et qui ressemble à une passion dans notre temps !

1057. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Sous ce titre : Le Gouvernement des Papes, l’auteur cache, ou plutôt il ne cache pas, qu’il est l’historien de la puissance temporelle de la Papauté, puisque le gouvernement des Papes a, de toute éternité, été double, et qu’il s’entend aussi bien des corps que des âmes, — les âmes sans corps n’existant point, du moins ici-bas. […] Elle s’établissait parce que tout tombait… Les évêques, hommes d’avenir dans un présent qui périssait, acceptèrent la charge des corps comme des âmes… » L’axe du monde était changé. […] IV Je n’ai point à entrer dans le détail immense des faits à travers lesquels cette légitimité sublime a agi pendant tant de siècles sans jamais forfaire à elle-même, ni quand, pour défendre les corps aussi bien que les âmes, elle s’appuya, un jour, du temps de Léon, sur Charlemagne ; un autre jour, du temps de Grégoire VII, sur la grande Mathilde ; sur Othon, au temps des effroyables anarchies romaines ; et, plus tard, sur elle-même.

1058. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Quelque jugement qu’on porte sur le caractère moral de ce ministre, le premier de son siècle, et fort supérieur aux Bukingham et aux Olivarès qu’il eut à combattre, son nom, dans tous les temps, sera mis bien loin hors de la foule des noms ordinaires, parce qu’il donna une grande impulsion au-dehors ; qu’il changea la direction des choses au-dedans ; qu’il abattit ce qui paraissait ne pouvoir l’être ; qu’il prépara, par son influence et son génie, un siècle célèbre ; enfin, parce qu’un grand caractère en impose même à la postérité, et que la plupart des hommes ayant une imagination vive et une âme faible, ont besoin d’être étonnés, et veulent, dans la société comme dans une tragédie, du mouvement et des secousses. […] Son âme accoutumée longtemps à la souplesse, n’eut pas toujours le caractère des grandes places. […] Une âme délicate et fière n’aurait rien reçu ; et alors il lui eût été permis de se rétracter. […] Ce n’est pas que Corneille n’eût véritablement l’âme grande ; mais cette flatterie était alors une espèce d’étiquette à laquelle on se soumettait sans y penser.

1059. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

Qu'on ne s’étonne donc point que, même à son moment le plus glorieux, il y ait eu des âmes élevées, des âmes d’élite, amies de la justice et du droit, qui se soient dit entre elles comme Cicéron à Atticus : Sibi habeat suam fortunam. […] Thiers oublie trop qu’il a pu y avoir de ces âmes et qu’il s’en est rencontré en effet dans l’opposition d’alors.

1060. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

La décadence des principes qui avaient fait la force et la grandeur de l’âme féodale, les victoires de l’intérêt sur l’honneur, de la ruse sur la force, de la sagesse pratique sur la folie idéaliste, l’infiltration de la science cléricale dans le monde laïque, moins sévèrement enfermé dans l’abstraction, moins étroitement contenu par l’orthodoxie théologique, l’essor du bon sens bourgeois et de la logique disputeuse, l’éveil de la curiosité, de la critique, du doute, et la diffusion d’un esprit grossièrement négatif et matérialiste, tout cela, dans ce xive et ce XVc siècle qui sont moins le moyen âge que la décomposition du moyen âge, fait naître et fleurir toute sorte de genres, narratifs, didactiques, satiriques, prose ou vers, contes, farces, allégories. […] Enfin au xixe  siècle, après la reprise du sentiment religieux et du sens artistique qui produit l’explosion romantique, voici que jusqu’à une date très rapprochée de nous, l’esprit critique et expérimental devient le principal ressort de l’âme française, et se traduit littérairement par l’abondante floraison du roman et du théâtre réalistes, par l’étonnant développement de l’histoire et de la critique, par un effort enfin universel et sensible pour soumettre l’inspiration de l’écrivain aux lois de la méthode scientifique. Je n’ai marqué que les grands traits : mais comme le passage est continu de l’âme française du xe  siècle à celle du xixe , il l’est aussi de la Chanson de Roland à Francillon ou Bel-Ami, et les deux mouvements inséparablement liés se poursuivent avec pareille vitesse, dans des directions parallèles.

1061. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les Zutistes » pp. 19-27

Là, et dans ses sonnets de couleur, il faisait montre d’une belle virtuosité où l’on retrouvait à la fois Banville et Coppée, mais il exagérait dans ses vers d’amour, lorsqu’il affectait les langueurs d’un amant éconduit, accablé de sa disgrâce, et quand, pour apitoyer les âmes sensibles il présageait sa fin prochaine : Et je ne vivrai pas du reste bien longtemps. […] Louis Marsolleau a montré, depuis, qu’il avait les poumons assez solides pour emboucher la trompe d’airain et l’âme assez résistante pour surmonter les bagatelles sentimentales de la seizième année. […] Haraucourt, hautain et résolu, brandissait, d’une voix impérative, des morceaux de l’Âme nue qui rappelaient Corneille par l’écorce, et Tolstoï par la sève, tant ils débordaient de généreuse pitié.

1062. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Éphémérides poétiques, 1891-1900 » pp. 179-187

Robert de la Villehervé : Les Âmes fleuries. […] Saint-Pol-Roux : L’Âme noire du prieur blanc. […] Hélène Vacaresco : L’Âme sereine.

1063. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

Il suit de là que, plus un culte a de ces dévotions populaires, plus il est poétique, puisque la poésie se fonde sur les mouvements de l’âme et les accidents de la nature, rendus tout mystérieux par l’intervention des idées religieuses. […] Les filles qui ont perdu leurs fiancés, ont souvent, au clair de la lune, aperçu les âmes de ces jeunes hommes dans ce lieu solitaire ; elles ont reconnu leurs voix dans les soupirs de la fontaine. […] Elle n’aurait point rejeté cette autre opinion, par laquelle il était tenu pour certain que tout homme qui jouit d’une prospérité mal acquise, a fait un pacte avec l’Esprit de Ténèbres, et légué son âme aux enfers.

1064. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

Tandis que dans l’Occident tout penchait vers sa décadence, tandis que les malheurs de l’empire, les invasions des Barbares, le mélange des peuples, le despotisme ou l’incapacité des princes, la terreur des sujets, l’esprit d’esclavage, le contraste même de l’ancienne grandeur, qui ajoute toujours à la petitesse présente, corrompaient le goût, et rétrécissaient à la fois les esprits et les âmes, on vit paraître un homme né avec une imagination brillante et forte, et à qui, peut-être, pour avoir les plus grands talents, il ne manqua que d’être né dans un autre siècle : c’était Claudien. […] Peu de goût, souvent une fausse grandeur, une majesté de sons trop monotone, et qui, à force d’être imposante, fatigue bientôt et assourdit l’oreille ; enfin trop peu d’idées, et surtout aucune de ces beautés douces qui reposent l’âme : voilà ses défauts. […] Heureusement dans les grandes âmes, pour suppléer aux vertus, le ciel a placé les remords.

1065. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Nous nous trouvons transformés, notre vie est doublée ; notre âme végétait ; elle sent, elle souffre, elle aime. […] C’est une ivresse, et sur une âme délicate l’effet serait trop fort ; mais il convient au public, et le public l’a justifié. […] Il oppose les âmes que forme la nature aux âmes que déforme la société. […] Lisez ce passage de Hard Times, et voyez si, corps et âme, M.  […] Prenez garde de froisser les âmes délicates qui fleurissent dans toutes les conditions, sous tous les habits, à tous les âges.

1066. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

Il est telle surprise de l’âme qui nous ébranle et nous amollit jusqu’à produire cet effet de tendresse ; nos yeux se mouillent sans que notre cœur soit remué. Ce qui remue le cœur, ce sont les passions, et non cette force d’âme qui les sacrifie au devoir. […] Nous l’avons vue romanesque et mélancolique dans ces derniers temps ; aujourd’hui elle affecte à la fois l’exaltation de l’âme et le délire des sens. […] Au théâtre, le succès n’est pas de réflexion : il faut emporter les âmes ; et souvent c’est à l’aide de caresses au tour d’esprit régnant que le poète supérieur fait agréer les vérités qui ne passent pas. […] Un souffle de vie immortelle a passé de l’âme de Racine dans chacun de ces personnages.

1067. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Veyrat, Jean-Pierre (1810-1844) »

Sa personnalité politique s’y dessine mieux que dans les termes généraux de la satire… La meilleure pièce des Italiennes est celle que l’auteur adresse à Chateaubriand… Veyrat n’est pas seulement une des figures poétiques, c’est une des âmes, un des témoins de ce temps-ci : un Donoso Cortès de la Savoie… Sa lyre et son âme, sa vie et son œuvre sont une même chose.

1068. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Il y a transposition d’époque, dépaysement d’âme, anachronisme ; voilà tout. […] Un ange descendu des voûtes bleues y jouait avec le diable des âmes aux dés. […] La lettre de Bouchardy exigeait à toute force l’insertion, comme un appel de l’âme des compagnons morts. […] La poésie n’est pas lin état permanent de l’âme. […] Elle avait des accents de nature, des cris de l’âme qui bouleversaient la salle.

1069. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Les matelots grecs racontent, au bord des mers orientales, qu’un jour une âme errante, passant près d’une maison, aperçut une autre âme qu’elle aima. […] C’est la reprise des corps et des âmes par l’engrenage du métier. […] Bertillon, vient de photographier Leurs âmes toutes nues. […] Leurs âmes, à ce régime, dégorgeraient les humeurs peccantes dont elles sont saturées. […] Enfin, le cœur content, l’âme remplie de saintes pensées, il sortit de son extase.

1070. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vacaresco, Hélène (1864-1947) »

. — L’Âme sereine (1896). […] Léon Barracand Les âmes mélancoliques ont une heure, une saison qu’elles préfèrent, — l’heure où se lève l’astre des nuits, la triste et douce saison d’automne.

1071. (1774) Correspondance générale

L’âme de l’homme est-elle donc une caverne obscure que la vertu partage avec les furies ? […] Quel spectacle pour son âme ! […] La voilà dans la nécessité de montrer que la nature n’a fait les obstacles que pour discerner les grandes âmes des âmes communes ; et on le verra. […] Mais jugez de l’état de mon âme à la lecture des choses touchantes que j’y ai trouvées. […] Je penserai à votre roi, quand mon âme m’en aura laissé le loisir.

1072. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Mme d’Houdetot était de ces âmes qu’on peindrait d’un mot : elles ont passé dans le monde en voyant le bien. […] Douée d’une maturité et d’une prudence supérieure à son âge, son âme droite évita les écueils, et son esprit ferme recueillit les enseignements. […] Ne soyons jamais trop prompts à préjuger sur ces mystères des âmes. […] Votre bonheur est une preuve de l’affection de Dieu pour vous ; et si, en effet, votre âme est aimante, peut-elle se refuser à répondre à la bienveillance divine ? […] On aime à voiries âmes plus douces, comme les plus orageuses, proclamer le besoin d’un même port.

1073. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Rome est le sépulcre du passé ; les sépulcres doivent être dans les solitudes, le bruit et les pompes du monde sur un tombeau sont des contresens qui choquent l’âme. […] J’ignorais tout de ce site jusqu’au nom, mais il semblait m’attacher à ce banc comme si l’âme du site, genius loci, avait parlé à voix basse à mon âme. […] Beaucoup de pages de ces poésies intimes expliquent les mystères de son âme et de sa vie. […] Les poètes, en ce temps, étaient les héros de l’esprit au niveau des héros de l’épée ; le chevalier ne dérogeait pas en célébrant dans ces chants les hauts faits dont il avait la source dans son sang, l’idéal dans son âme. […] Son entretien avait la grâce, le demi-jour et la douce intimité de sa vie ; cette tristesse attendrissait les cœurs, mais la piété de son âme, toute consacrée aux pensées divines, décourageait l’amour.

1074. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Je ne connaissais pas une âme dans Paris. […] Les inquiétudes dont tu étais agité devront toujours s’élever dans l’âme de celui qui envisage sérieusement la portée du sacerdoce chrétien. […] La croyance à l’éminente personnalité de Jésus, qui est l’âme de ce livre, avait été ma force dans ma lutte contre la théologie. […] Du moment que l’examen s’applique aux vérités morales, il faut qu’on en doute, et pourtant, durant cette époque de transition, l’âme pure et noble doit encore être morale, grâce à une contradiction. […] Dupanloup cette grande et chaleureuse entente des choses de l’âme qui faisait sa supériorité.

1075. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Il n’est pas besoin d’âme pour ces métiers et ces industries ; il n’en est pas besoin davantage pour les ouvrages que fait Flaubert. […] Voilà comme ils parlent des choses morales, ces négateurs de l’âme humaine ! […] Ce sont les sensations que donne le milieu le plus commun à l’âme la plus commune. […] où ils étaient allés porter la fleur de leur âme et de leur jeunesse, et après l’avoir décrit, — toujours ! […] Je dis que Gustave Flaubert n’ira pas plus loin dans la voie même de son talent ; car les talents sans âme sont incapables de se renouveler.

1076. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Malgré son mérite réel comme officier général, et quoique ensuite, en poussant de tout son crédit au ministère de la guerre M. de Ségur, il ait travaillé indirectement à remettre sur un meilleur pied l’armée française, Besenval n’était pas un de ces militaires ardents qui le sont corps et âme et avant toute chose. […] M’étant intimement lié avec le comte de Frise, je lui inspirai assez de confiance pour me laisser toujours voir ce qui se passait dans son âme ; j’en étais souvent révolté, je lui faisais quelquefois des représentations ; mais, entraîné par la faiblesse que j’avais pour lui et par la séduction, je ne pouvais m’en détacher. […] Là, nous composions des lettres, ou plutôt des volumes, qui, pour être du style le plus pathétique, ne nous portaient pas moins à des rires immodérés, par le contraste de la tranquillité d’âme du comte de Frise avec la peinture des agitations que nous lui supposions, et le penchant que j’ai toujours eu à la gaieté. […] Personne ne connaissait mieux que moi le fond de son âme (elle était jolie son âme ! […] Demandez donc à de telles âmes qui, dès la tendre jeunesse, ont logé en elles un si faux idéal, une si misérable forme de bonheur, d’avoir une grande ambition, de se tourmenter pour un noble but, et eussent-elles reçu de la nature des facultés supérieures et fortes, de les tourner vers de généreux emplois.

1077. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Le poète critique attribue même un peu trop à Homère quand, se souvenant à son sujet d’un mot d’Horace pour le réfuter, il dit que là où nous voyons une faute et une négligence, il n’y a peut-être qu’une ruse et un stratagème de l’art : « Ce n’est point Homère qui s’endort, comme on le croit, c’est nous qui rêvons. » Le beau rôle du vrai critique, Pope l’a défini et retracé en divers endroits pleins de noblesse et de feu, et que je rougis de n’offrir ici que dépolis et dévernis en quelque sorte, dépouillés de leur nette et juste élégance : « Un juge parfait lira chaque œuvre de talent avec le même esprit dans lequel l’auteur l’a composée : il embrassera le tout et ne cherchera pas à trouver de légères fautes là où la nature s’émeut, où le cœur est ravi et transporté : il ne perdra point, pour la sotte jouissance de dénigrer, le généreux plaisir d’être charmé par l’esprit. » Et ce beau portrait, l’idéal du genre, et que chaque critique de profession devrait avoir encadré dans son cabinet : « Mais où est-il Celui qui peut donner un conseil, toujours heureux d’instruire et jamais enorgueilli de son savoir ; que n’influencent ni la faveur ni la rancune ; qui ne se laisse point sottement prévenir, et ne va point tout droit en aveugle ; savant à la fois et bien élevé, et quoique bien, élevé, sincère ; modeste jusque dans sa hardiesse, et humainement sévère ; qui est capable de montrer librement à un ami ses fautes, et de louer avec plaisir le mérite d’un ennemi ; doué d’un goût exact et large à la fois, de la double connaissance des livres et des hommes ; d’un généreux commerce ; une âme exempte d’orgueil, et qui se plaît à louer, avec la raison de son côté ? » Pour être un bon et parfait critique, Pope le savait bien, il ne suffit pas de cultiver et d’étendre son intelligence, il faut encore purger à tout instant son esprit de toute passion mauvaise, de tout sentiment équivoque ; il faut tenir son âme en bon et loyal état. […] Quand on a l’âme si ouverte et si tendre aux beautés, et jusqu’à en pleurer comme Pope, on l’a également sensible aux défauts jusqu’à s’en piquer et s’en irriter. […] Taine nous entretenait l’autre jour27, — occupés, dis-je, à rechercher uniquement et scrupuleusement la vérité dans de vieux livres, dans des textes ingrats ou par des expériences difficiles ; des hommes qui voués à la culture de leur entendement, se sevrant de toute autre passion, attentifs aux lois générales du monde et de l’univers, et puisque dans cet univers la nature est vivante aussi bien que l’histoire, attentifs nécessairement dès lors à écouter et à étudier dans les parties par où elle se manifeste à eux la pensée et l’âme du monde ; des hommes qui sont stoïciens par le cœur, qui cherchent à pratiquer le bien, à faire et à penser le mieux et le plus exactement qu’ils peuvent, même sans l’attrait futur d’une récompense individuelle, mais qui se trouvent satisfaits et contents de se sentir en règle avec eux-mêmes, en accord et en harmonie avec l’ordre général, comme l’a si bien exprimé le divin Marc-Aurèle en son temps et comme le sentait Spinosa aussi ; — ces hommes-là, je vous le demande (et en dehors de tout symbole particulier, de toute profession de foi philosophique), convient-il donc de les flétrir au préalable d’une appellation odieuse, de les écarter à ce titre, ou du moins de ne les tolérer que comme on tolère et l’on amnistie par grâce des errants et des coupables reconnus ; n’ont-ils pas enfin gagné chez nous leur place et leur coin au soleil ; n’ont-ils pas droit, ô généreux Éclectiques que je me plais à comparer avec eux, vous dont tout le monde sait le parfait désintéressement moral habituel et la perpétuelle grandeur d’âme sous l’œil de Dieu, d’être traités au moins sur le même pied que vous et honorés à l’égal des vôtres pour la pureté de leur doctrine, pour la droiture de leurs intentions et l’innocence de leur vie ? […] C’était aussi la théorie déclarée de Balzac qui n’admettait pas que Pascal pût demander à l’âme des grands hommes l’équilibre et l'entre-deux entre deux vertus ou qualités extrêmes et contraires.

1078. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

L’idée récente encore et, pour ainsi dire, présente de son amie était si grande et si honorable, son image empreinte dans l’âme de tous les amis de la patrie et de l’humanité était si noble et si touchante, qu’il fallait, en quelque sorte, avoir pour elle un respect religieux et ne rien laisser paraître sous son nom qui pût mêler une idée de malignité d’esprit, de préventions et de petitesses féminines, à celle d’un si beau caractère, d’une telle virilité d’âme et d’un si auguste malheur. » Tel était le sentiment des contemporains immédiats, et il ne faut jamais le perdre de vue dans nos appréciations à distance. […] Ces passages assez nombreux, réintroduits dans le texte, donnent un sens particulier à bien des pages et achèvent de nous révéler cette âme généreuse et combattue. […] À un moment, un ami s’était joint à eux, Lanthenas, une de ces âmes tendres et de ces têtes peu sûres d’elles-mêmes qui ont besoin de s’appuyer et de se donner. […] Il était difficile, on en conviendra, et à peu près impossible que dans ce groupe brillant, éloquent, qui l’entourait et dont elle était l’âme, Mme Roland ne fît pas un choix ; qu’elle n’eût pas une préférence secrète, un faible. […] Si j’étais libre, je suivrais partout ses pas pour adoucir ses chagrins et consoler sa vieillesse ; une âme comme la mienne ne laisse jamais les sacrifices imparfaits ; mais Roland s’aigrit à l’idée d’un sacrifice, et la connaissance une fois acquise que j’en fais un pour lui renverse sa félicité ; il souffre de le recevoir, et ne peut s’en passer. » Roland avait raison, et tous les hommes à sa place auraient souffert comme lui.

1079. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Il n’avait pas pénétré et habité à loisir dans toutes les parties de cette âme aimable. […] Nous en savons maintenant là-dessus, à certains égards, plus que n’en savait Saint-Simon : nous avons les lettres confidentielles que Fénelon adressa de tout temps au jeune prince, les mémoires qu’il rédigea pour lui, les plans de réforme, toutes pièces alors secrètes, aujourd’hui divulguées, et qui, en permettant de laisser à l’ambition humaine la place qu’il faut toujours faire aux défauts de chacun jusque dans ses vertus, montrent celles-ci du moins au premier rang, et mettent désormais dans tout son jour l’âme patriotique et généreuse de Fénelon. […] Parlant de certaines familiarités et de certaines caresses que fait, selon lui, le Père céleste aux âmes redevenues petites et simples, Fénelon, par exemple, dira : « Il faut être enfant, ô mon Dieu, et jouer sur vos genoux pour les mériter. » Des théologiens ont cherché querelle à ces expressions et à d’autres pareilles, au point de vue de la doctrine ; un bon goût sévère suffirait pour les proscrire. […] Apprenant la mort de la princesse, qui précéda de si peu celle de son élève, Fénelon écrivait à Destouches (18 février) : Les tristes nouvelles qui nous sont venues du pays où vous êtes, monsieur, m’ôtent toute la joie qui était l’âme de notre commerce : Quis desiderio sit pudor… Véritablement la perte est très grande pour la Cour et pour tout le royaume. […] Il a cette gaieté légère qui n’est ni une dissipation ni un mensonge, et qui, chez lui, n’est que le mouvement naturel d’une âme chaste, égale, tempérante ; il a cette joie dont il a dit si bien que « la frugalité, la santé et l’innocence en sont les vraies sources ».

1080. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

À propos de ces perpétuels dérangements que les incartades de Voltaire apportaient dans l’existence de Mme du Châtelet, les bonnes âmes d’alors ne tarissaient pas ; on la plaignait hautement ; le président Hénault, un des meilleurs amis, écrivait un jour à Mme Du Deffand : « La pauvre Du Châtelet devrait faire mettre, dans le bail de toutes les maisons qu’elle loue, la clause de toutes les folies de Voltaire. […] Mais un tel accord de deux êtres si à l’unisson lui semble trop beau : Un cœur, capable d’un tel amour, dit-elle, une âme si tendre et si ferme, semble avoir épuisé le pouvoir de la Divinité ; il en naît une en un siècle ; il semble que d’en produire deux soit au-dessus de ses forces, ou que, si elle les avait produites, elle serait jalouse de leurs plaisirs si elles se rencontraient. Et, se rabattant alors à une liaison moins égale et moins haute, elle estime que l’amour peut encore nous rendre heureux à moins de frais ; « qu’une âme sensible et tendre est heureuse par le seul plaisir qu’elle trouve à aimer ». Ici, elle pense évidemment à elle-même ; elle se flatte d’avoir reçu du ciel une de ces âmes tendres et immuables (voilà le coin d’illusion), qui savent se contenter d’une seule passion, même quand elle n’est plus partagée, et qui restent à jamais fidèles à un souvenir : J’ai été heureuse pendant dix ans, avoue-t-elle, par l’amour de celui qui avait subjugué mon âme, et ces dix ans, je les ai passés tête à tête avec lui, sans aucun moment de dégoût et de langueur. […] Au souffle d’une passion imprévue, on dirait que cette âme, longtemps contrainte, renaît tout à coup et se réjouit ; elle recommence.

1081. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

La poésie, cultivée ainsi en secret et pour elle seule, dans les courts intervalles d’un travail pénible et d’une profession souvent ingrate, tourne au profit de la morale intérieure et devient une délicatesse de l’âme et une vertu. […] Ampère, a réuni, en 1850, à la suite de ses esquisses de voyages, ses Heures de poésie, où il a recueilli l’esprit même des choses diverses qu’il a étudiées, et quelques notes sensibles d’une âme délicate : on distingue surtout les stances sur Le Nil, qui sont d’un beau et large sentiment62. […] Ou bien, si vous voulez braver la sécheresse et le terne des couleurs comme Crabbe, sondez alors l’âme humaine à fond, et ne reculez pas devant la réalité creusée des sentiments. […] Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante, Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux. […] Je pensais à ma sœur, et, rêvant loin de moi, Je disais : — Pauvre sœur, mon âme est avec toi !

1082. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Plessis, Frédéric (1851-1942) »

Anatole France J’entends par bien aimer les vers, en aimer peu, n’en aimer que d’exquis et sentir ce qu’ils contiennent d’âme et de destinée ; car les plus belles formes ne valent que par l’esprit qui les anime. […] Frédéric Plessis est un vrai poète, un des poètes de ce siècle qui ont l’intelligence la plus profonde, la plus subtile de l’âme antique.

1083. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Viollis, Jean (1877-1932) »

Un charme de fraîcheur y passe comme une eau d’avril, une âme jeune et délicate y dit sa joie devant les moindres choses de la vie. […] Il lui a plu d’inscrire, en de fraîches bucoliques, les palpitations de son âme selon les saisons et les jours, et de restreindre, en quelques strophes aux charmantes cadences, l’émotion de ces heures décisives où l’homme et le paysage semblent plus étroitement communier.

1084. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

Mais à côté, en dehors de ces grands rôles, il y en a d’autres qu’il ne faut pas cesser de revendiquer et de maintenir, parce qu’ils sont modestes, qu’ils sont vrais, qu’ils réfléchissent des nuances précieuses dont les autres ne tiennent pas compte, et parce qu’ils expriment, avec plus de distinction et de curiosité attentive, des sentiments et des délicatesses, pourtant éternelles, de l’âme humaine civilisée. […] Or, un tel rôle était beau dans des circonstances encore paisibles et au milieu de cette espérance unanime de progrès ; c’était, avec plus de candeur d’âme et avec plus d’efforts aussi et d’artifice de talent, quelque chose du rôle d’Horace introduisant dans la langue latine le génie lyrique de la Grèce et enrichissant le Capitole. […] Elle fut nulle sur M. de Lamartine, chantre tout d’abord de sensibilité et d’âme, qui méconnut longtemps le naturel d’André sous la science des formes, mais qui lui rend justice aujourd’hui, de même qu’il apprécie la tournure exquise de Pétrarque, après l’avoir, dans le principe, peu goûté.

1085. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

Ce qu’on a le plus de peine aussi à supporter dans l’infortune, c’est l’absorbation, la fixation sur une seule idée, et tout ce qui porte la pensée au-dehors de soi, tout ce qui excite à l’action, trompe le malheur ; il semble qu’en agissant, on va changer la situation de son âme, et le ressentiment, ou l’indignation contre le crime étant d’abord ce qui est le plus apparent dans sa propre douleur, on croit, en satisfaisant ce mouvement, échapper à tout ce qui doit le suivre ; mais en observant un cœur généreux et sensible, on découvre qu’on serait plus malheureux encore après s’être vengé qu’auparavant. […] Les âmes généreuses, qui se sont abandonnées à des mouvements coupables, ont fait un tort immense à l’ascendant de la moralité ; elles ont réunis à des torts graves des motifs élevés, et le sens même des mots s’est trouvé changé par les pensées accessoires que leur exemple y a réunies. […] On dit qu’il faut contraindre, humilier, punir, et l’on sait néanmoins que de pareils moyens ne produiraient dans notre âme qu’une exaspération irréparable ; on voit ses ennemis comme une chose physique qu’on peut abattre, et soi-même, comme un être moral que sa propre volonté seule doit diriger.

1086. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Car on sait que la beauté de certains vers dépend beaucoup de la disposition d’âme de ceux qui les lisent. […] Nous connaissons mieux encore, par ses lettres, le cœur inquiet et hospitalier de George, sa prodigieuse facilité à croire, quand elle aimait, qu’elle aimait uniquement avec son âme (et cela, au fort des démonstrations les plus concrètes) et à se figurer qu’elle souffrait le martyre quand elle n’aimait plus. […] Ses lettres au critique nous montrent que l’énorme poète eut, jusqu’à trente ans, une âme tendre, noble, confiante, parfaitement candide, naturellement héroïque, — sublime.

1087. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Saint-Pol-Roux (1861-1940) [Bibliographie] L’Âme noire du Prieur blanc (1893). — Épilogue des Saisons humaines (1893). — Les Reposoirs de la Procession (1894). — La Dame à la Faulx (1899). — La Rose et les Épines du chemin (1901). […] Et, d’avoir lu ces pages de clarté, j’ai gardé l’âme éblouie comme au passage d’une gloire lumineuse d’archange, telle qu’on peut la songer d’après l’or, le rouge et le bleu des images naïves, peintes pieusement autrefois. […] Mais l’Autopsie de la vieille fille, malgré une faute de ton, mais Calvaire immémorial, mais l’Âme saisissable, sont des chefs-d’œuvre.

1088. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Touchant de son âme aux cieux, et de son corps à la terre, on aimait à le voir former, dans la chaîne des êtres, l’anneau qui lie le monde visible au monde invisible, le temps à l’éternité. […] C’est dans ces tombeaux où le néant a rassemblé ses merveilles, où la dépouille du singe insulte à la dépouille de l’homme ; c’est là qu’il faut chercher la raison de ce phénomène, un naturaliste athée : à force de se promener dans l’atmosphère des sépulcres, son âme a gagné la mort. […] Ses livres n’étaient que des catalogues de remèdes pour les infirmités du corps, ou des recueils de cantiques, dont les paroles apaisaient les douleurs de l’âme.

1089. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVI »

« Le style, dit-il, c’est la partie vivante de nous-mêmes qui consent à former la chair impalpable des idées ; suivant la qualité de cette atmosphère de notre âme, à quoi s’emprunte le mystère de l’expression par la parole, varie la qualité de cette expression même. […] Nous eussions aimé voir de ces petites âmes, qui vivent de notre âme au contact des choses, évoluer dans le langage, etc. »‌ Le singulier livre que j’aurais écrit, si j’eusse suivi le conseil de ces messieurs !

1090. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

L’âme, allons donc ! […] Mais les âmes comme la sienne, les âmes passionnées, ont beau se promettre d’être impitoyables, elles sont toujours les plus généreuses. […] Jules Noriac, ce qui le fait nôtre, c’est son âme. […] Corneille lui a donné une âme romaine. […] Il y a, je le crains, en lui, comme en Émile Montégut, une âme lasse du Présent, une âme profondément ennuyée… Ennuyée !

1091. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Magre, André (1873-1949) »

Une enfance, une adolescence, les premières joies et les premières tristesses de la Chair, décrites en de successifs états d’âmes, d’une subtilité d’analyse et d’un art infinis, tel est ce livre d’où se dégagé un charme enveloppant et profondément émouvant, parce qu’il est fait de sincérité et que l’on sent, par-delà les musiques charmeuses des mots, passer un intense frisson de vie. […] Prenons Tout ce silence et tout ce rêve pour notre âme.

1092. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Stendhal, son journal, 1801-1814, publié par MM. Casimir Stryienski et François de Nion. »

Si vous voulez comprendre quel abîme il peut y avoir à la fois entre deux générations et entre deux âmes, lisez le journal de Stendhal, cette confession d’un jeune homme du premier Empire ; puis lisez, par exemple, Sous l’œil des barbares, ce journal d’un jeune homme de la troisième république, et comparez ces deux jeunesses. […] Je désigne pour mes trois, Georges Gros, Tracy et Chateaubriand, pour apprécier le malheur moral dans l’âme d’un poète. […] Toute âme un peu délicate, ou, si vous voulez, un peu craintive, modeste et religieuse, pensera ainsi. […] Il dit, en regrettant de n’avoir pas eu de maîtresse à dix-huit ans : « Elle eût trouvé en moi une âme romaine pour les choses étrangères à l’amour. » Or, il passe toute sa vie dans d’assez médiocres emplois.

1093. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

Elle n’a pas pour objet d’envisager l’œuvre d’art dans son essence, son but, son évolution, en elle-même ; mais uniquement au point de vue des relations qui unissent ses particularités à certaines particularités psychologiques et sociales, comme révélatrices de certaines âmes ; l’esthopsychologie est la science de l’œuvre d’art en tant que signe. » Ce dernier mot annonce déjà quelle sera la méthode. […] Les âmes qui retrouvent en cette œuvre leur âme, l’admirent, se groupent autour d’elle et se séparent des hommes d’âme diverse… En d’autres termes (remarquons la fin de ce paragraphe), la série des œuvres populaires d’un groupe donné écrit l’histoire intellectuelle de ce groupe, une littérature exprime une nation, non parce que celle-ci l’a produite, mais parce que celle-ci l’a adoptée et admirée, s’y est complue et reconnue. » En ces quelques lignes se trouvent exprimées une doctrine et une méthode, qui ne marchent pas nécessairement ensemble.

1094. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Le voilà frappé d’une sottise incurable pour un malheur dont l’âme, quand il veut, peut guérir. […] Ils ont compris qu’on peut protester contre les résultats accoutumés d’un vice originel et même les effacer, mais à la condition d’avoir une certaine force d’âme et de la puiser aux grandes sources… Certes ! […] N’avions-nous pas déjà signalé cette préoccupation fatale du bâtard révolté, qui fausse tout dans son âme comme dans sa vie ? […] XI Le christianisme voit la faute et en suit la trace dans l’instinct, dans l’âme, dans tout, dans le génie, mais jamais il ne vous la montre que pour vous dire de l’effacer.

1095. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édouard Fournier »

Il s’agit de l’éducation des hommes par l’histoire, par cette histoire qui nous fait aimer la patrie et qui nous l’enfonce dans le cœur à coups de grands exemples, à coups de grands hommes morts pour elle et dont l’âme vibre en certains mots qui les peignent, — ne les eussent-ils pas dits !  […] Ils sont plus vrais que la réalité même, car s’ils n’ont pas été prononcés tels que l’histoire les a gravés sur son marbre éternel, ineffaçables à tous les regrattiers de bonne volonté ou d’instinct, ils ont dû l’être, et ce n’est pas seulement la patrie qui les tient pour authentiques, comme dit Chateaubriand, c’est l’âme même de l’humanité ! IV Ainsi nous condamnons absolument, dans sa tendance générale et dans sa portée, le livre de l’Esprit dans l’histoire de Fournier, qui en arracherait l’âme avec l’esprit, si l’esprit et l’âme dépendaient des pinces d’un entomologiste de mots !

1096. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

En action historique, les idées générales, les influences sociales ont besoin d’un homme… Quoique la France fût éperdue d’égalité, à cette heure maudite, et qu’elle eût commencé déjà le nivellement par l’échafaud, elle n’en reconnut pas moins la supériorité et la souveraineté de l’homme qui, à un jour donné, avait créé cette chose inouïe, universelle et compacte, qui s’étendit tout à coup sur la France entière comme une voûte qui ne permettait plus de respirer, et qu’on appela du même nom que le sentiment dont elle transissait les âmes : la Terreur ! […] Mais le temps que cela dura, Robespierre, le petit avocat d’Arras, le petit bourgeois, la petite âme et le petit esprit, fut le dictateur de la France, comme, à Rome, l’avait été Sylla… Il faut demander pardon à la mémoire de Sylla de citer son nom, même en passant, quand il s’agit de Robespierre ; mais comment se priver de l’éclair du contraste ? […] IV Il n’était que cela, — et je m’en doutais bien un peu, mais je ne l’avais pas vu avec cette évidence que je dois à M. d’Héricault… On a beau se rappeler le mot d’Oxenstiern sur la médiocrité de ceux qui gouvernent les hommes pour s’expliquer la toute-puissance et la popularité de Robespierre et l’écrasement de tous ses rivaux de pouvoir, qui avaient des facultés d’esprit dix fois plus éclatantes que les siennes et des âmes vingt-cinq fois plus hautes, on a peine à croire que le monde ait été — ne fût-ce qu’une heure ! — plus sot et plus lâche que ce lâche et ce sot… Quelque mépris qu’on ait pour les hommes, on répugne à donner sa démission de l’humanité… L’imagination grandit les êtres qui ont été des fléaux, et voilà ce qui a grandi ce petit homme de Robespierre, même après sa chute… Comme son maître Rousseau, c’était une âme de laquais qui voulait devenir grand seigneur, et qui s’y prenait mal pour cela.

1097. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

— à moitié de ceinture par un Marmontel des Contes moraux, non plus philosophe, mais chrétien… À côté de pages magnifiques, écrites avec ce feu blanc des mystiques qui traverse les âmes en les illuminant, il y en a d’autres d’une inspiration innocente et presque enfantine (voir le Gâteau des Rois). […] … Et cependant ce spiritualiste, ce religieux et ce mystique, qui a commencé l’éducation de sa pensée et le développement de son âme en nous traduisant Ruysbrœck et les Visions de sainte Angèle de Foligno, ne se résigne pas tranquillement à cette destinée d’obscurité. […] Mais le Dante de ce formidable conte descend dans l’âme de son avare les dix mille cercles de l’enfer d’une âme d’homme à qui Dieu, en le créant, avait mis de son infini dans la poitrine !

1098. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gustave Rousselot  »

… Tout est bon ; tout est beau… La pauvre race humaine A force de pleurer son âme sur sa chaîne L’a dissoute au sel de ses pleurs… l’enivré d’espoir impossible qui s’écrie : C’est ainsi qu’écartant la vieillesse et l’enfance Nous referons la vie… et, grisé de jouvence, Le monde aura toujours vingt ans ! […] … C’est surtout par l’enthousiasme et l’âme, et l’émotion, qu’il est poète. L’âme fait tout pardonner. […] En effet, et que ceci soit mon dernier mot, ce jeune garçon a vraiment âme de poète.

1099. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Musset »

… Le nom, ce nom fascinateur d’Alfred de Musset, de ce poète qui fut toutes nos âmes et toutes nos jeunesses, devait nécessairement nous attirer vers le livre qui promettait sa vie et par quelque main qu’il fût écrit. […] Mais, à côté du chaut inspiré, il avait mis sa prose inspirée, — à côté de sa poésie, son histoire… Dans ses Memoranda, dans sa Correspondance, partout où s’est abattu le bec d’aigle de sa terrible plume, Byron s’est raconté, analysé, perscruté, dans sa vie autant que dans son âme. […] Mais ce qui ne l’est point, ce fut son génie, son génie tout en âme, le plus puissamment humain et le plus puissamment moderne, — le plus nous tous, enfin, qui ait assurément jamais existé ! […] Comme tous les jeunes gens qui vécurent sous Louis-Philippe, ce triste Napoléon de la paix à tout prix, en se dévorant d’activité étouffée, Musset, qui n’avait ni les millions ni la pairie de lord Byron, devint homme du monde du temps, avec l’âme la moins faite pour le monde.

1100. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

— a trouvé cette âme. […]                      Nous l’avons dans notre âme ! Or, c’est oublier qu’on a cette âme, quand on se livre avec tant de frénésie au matérialisme de cette poésie toute de forme, désossée tant elle est assouplie, déhanchée et dévergondée comme la danse que j’ai nommée plus haut, et cela étonne d’autant plus dans M.  […] » Et c’est si appréhendant et si maîtrisant pour notre âme, de pareils vers, qu’on ne s’aperçoit pas même des incorrections du poète ; car il y en a ici : on ne se soûle pas avec des tombeaux !

1101. (1902) Le critique mort jeune

Je suis dans l’état d’une âme qui va entrer en paradis. […] C’est à propos de l’immortalité de l’âme : « Mais si l’âme n’est pas immortelle, il n’y a ni peine ni récompense par-delà le tombeau ? […] Ne dédaigne-t-il pas les âmes basses et rampantes ? N’anime-t-il pas les âmes grandes et fortes ? […] Ne se répéteront-ils pas celle-ci de toute leur âme ?

1102. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Pourtant l’influence de Jean-Jacques sur lui fut immense, et, à cet âge de seize à vingt ans, elle prit dans son âme tout le caractère d’une passion. […] Quelques-uns disent que c’est là une branche de cette affection égoïste qui attache à un serviteur difficile à remplacer ; moi je pense que c’est un trait honorable de notre nature, lequel ne saurait s’effacer entièrement sans qu’il y ait pour l’âme quelque chose à perdre. […] de dire que c’est un trait honorable de notre nature et précieux pour l’âme ? […] Il a l’âme fière, chevaleresque. […] Et qu’importe, si on avait le fond, si on était heureux et sage, si les dissipations de l’âme s’amortissaient ?

1103. (1894) Critique de combat

a passé sur les âmes jeunes. […] On sentait sous les mots une âme ardente, passionnée pour la justice et la vérité. […] Il a eu ainsi comme deux âmes successives pour juger son personnage. […] quelle bassesse d’âme, ô ciel ! […] Sinon, c’est enlever de son œuvre ce qui en est l’âme.

1104. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Un texte n’est pas une âme. L’âme d’un peuple, ne me demandez pas quelle en est l’essence ; car l’essence d’une âme est insaisissable ; mais je vous dirai quels en sont les attributs. […] De corps et d’âme, il est le contre-pied des hommes qu’il combat. […] Âme, pouvoir ; organes, ministre ; matière, sujet ; voilà qui est bien, lui dira-t-on ; mais une bonne moitié du corps n’obéit point à l’âme. […] C’était un esprit européen dans une âme française.

1105. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

On était arrivé cependant, en examinant bien les divers écrits de Vauvenargues, à n’y pas voir seulement un jeune homme plein de nobles et généreux sentiments, de pensées honorables à l’humanité, doué d’un talent d’expression singulièrement pur, et d’une sorte d’ingénuité élevée de langage, — le meilleur des bons sujets et le modèle des fils de famille ; ce premier Vauvenargues qui se dessine, en effet, dans quelques réflexions et maximes souvent citées de lui, ce premier Vauvenargues que chaque âme honnête porte en soi à l’origine avant le contact de l’expérience et la flétrissure des choses, était dépassé de beaucoup et se compliquait évidemment d’un autre en bien des points de ses ouvrages. […] Il avait rassemblé toutes les preuves à l’appui de cette heureuse définition qu’il avait donnée de Vauvenargues : une âme grande dans un petit destin. […] Il continue et prolonge cette conversation par lettres avec Saint-Vincens, sur les sentiments de différente sorte et les troubles qui agitent une âme à la vue des derniers moments : On ne saurait tracer d’image plus sensible que celle que tu fais d’un homme agonisant, qui a vécu dans les plaisirs, persuadé de leur innocence par la liberté, la durée, ou la douceur de leur usage, et qui est rappelé tout d’un coup aux préjugés de son éducation, et ramené à la foi, par le sentiment de sa fin, par la terreur de l’avenir, par le danger de ne pas croire, par les pleurs qui coulent sur lui. […] Vauvenargues était de ces âmes royales au sens de Platon de ces âmes ingénues et d’hommes libres.

1106. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Sur la reprise de Bérénice au Théâtre-Français »

Les sentiments discrets qu’elle avait nourris circulaient déjà plus librement, trahis par la mort ; ils s’échappaient comme en vagues éclairs sur cette trame si fine ; son âme aimable y respirait ; les allusions devenaient, pour ainsi dire, à double fond. […] Mais non : Racine, revenant ici, dans le dernier acte, à l’inspiration supérieure et majestueuse de la tragédie, a rendu énergiquement cette stabilité héroïque de l’âme à travers tous les orages, et n’a voulu laisser aucun doute sur ce qui demeure impossible : En quelque extrémité que vous m’ayez réduit, Ma gloire inexorable à toute heure me suit ; Sans cesse elle présente à mon âme étonnée L’empire incompatible avec notre hyménée, Me dit qu’après l’éclat et les pas que j’ai faits, Je dois vous épouser encor moins que jamais. […] Vous-même rougiriez de ma lâche conduite… Voilà le langage d’une grande âme à celle qui peut l’entendre. […] Ce qui est d’un art infini, c’est que ces petits ressorts qui font aller la pièce et en établissent l’économie concordent parfaitement et se confondent avec les plus secrets ressorts de l’âme dans de pareilles situations.

1107. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Léonard, d’ailleurs, en même temps qu’il épanchait au sein d’un genre riant son âme honnête et sensible, étudiait beaucoup et recherchait tout ce qui pouvait composer et assortir le bouquet pastoral qu’il voulait faire agréer au public. […] Les grands poëtes ont en eux de puissantes et aussi de cruelles ressources de consolation ; leur âme, comme une terre fertile, se renouvelle presque à plaisir, et elle retrouve plusieurs printemps. […] Cependant la chaîne dorée, si légère qu’elle parût, allait peu à l’âme habituellement sensible et rêveuse, et, pour tout dire, à l’âme malade de Léonard ; plus d’une fois il y fait allusion en ses vers, et toujours pour témoigner la gêne secrète et pour accuser l’empreinte. […] Dans cette âme imbue des idées philanthropiques de son siècle, les désappointements furent grands, on le conçoit, surtout lorsqu’il eut à exercer des fonctions austères, à maintenir et à distribuer la justice.

1108. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

Il y a de tout dans cette âme de poète : esprit d’abord, malice, ironie ; sensibilité ensuite, et sympathie universelle, large amour de la nature et de l’humanité. […] Enfin, son originale propriété, l’inexplicable fond de son individualité, c’est, dans une race, dans un siècle peu poétique, la puissante expansion de son tempérament poétique ; c’est cette souplesse de l’âme universellement impressionnable, et capable d’absorber, d’amalgamer et de fondre toutes les autres influences. […] La Fontaine tempère le lyrisme par les éléments narratifs ou dramatiques ; il l’impose ainsi à un public positif, peu rêveur et peu sentimental ; et ce public s’étonne du charme singulier de ces petits récits et de ces petites comédies, sans se douter que cette douceur pénétrante, d’une essence inconnue, vient précisément des émotions lyriques dont cette âme de poète a imprégné sa matière. […] n’est-ce pas le vers polymorphe, apte à enregistrer toutes les nuances et comme toutes les modulations d’une âme ? […] À la fin de sa longue existence, ce très profane abbé a ressenti dans ses sens et dans son âme une ombre des impressions qui font la douloureuse beauté de l’Ecclésiaste.

1109. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

« Les passions de l’âme et les affections du cœur, disait Hegel, ne sont matière de pensée poétique que dans ce qu’elles ont de général, de solide, et d’éternel. » Aussi le grand, le puissant lyrisme n’est-il pas celui par où le poète se distingue de tout le monde, mais celui qui en fait le représentant de l’humanité. […] Nous avons noté, dans la société du temps, des indices d’exaltation passionnelle, et de dépression mélancolique ; nous y avons vu se faire la liaison des images du monde extérieur et des dispositions intimes de l’âme. […] Elle a eu ses lakists, Wordsworth, Southey, Coleridge, dont les tempéraments originaux, repoussant toutes les entraves classiques, font de la poésie une libre création où leur âme se révèle en reflétant l’univers. […] L’Italie introduisait avant nous la révolte contre les unités classiques, et Manzoni publiait en 1820 son Comte de Carmagnola : mais l’Italie surtout avait Dante, toute la pensée et toute l’âme du moyen âge ramassées dans la Divine Comédie. […] Pendant qu’ils furent fermés et leur personnel dispersé, et plus tard avant que l’Université impériale eût solidement renoué la tradition, s’éleva librement la génération qui, vers 1820, commença d’écrire ; au reste, il était impossible de vivre au collège, comme autrefois, absorbé dans l’antiquité : et le présent disputait victorieusement au passé les âmes des enfants.

1110. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Cette idée est l’âme de leur dignité professionnelle. […] Il est lettré, il a des convictions sur tout ; arrivé à l’âge de choisir une profession, il s’est dit : « Je jugerai les livres des autres. » Dès lors, il ne doute pas, il n’a pas de sensibilité nerveuse ni de trouble d’âme. […] Ce n’est pas « juger » qui importe, rien n’est plus creux : si c’est pour faire acheter l’ouvrage, on touche à la réclame, si c’est pour honorer l’auteur, on prend une peine superflue, car s’il a écrit avec conviction ce n’est pas l’éloge ou le blâme des critiques qui modifieront son âme et son caractère. […] Mais il faut quelqu’un pour dire clairement au public et à l’auteur : « Voici les points de contact de vos esprits et de vos âmes. […] Personne au degré des frères Rosny, des puissants auteurs de Daniel Valgraive, de l’Impérieuse bonté et des Âmes perdues, ne saurait parler de l’évolution de la littérature vers la morale et la religion de l’humanité.

1111. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

La grâce unique est dans l’âme du poète. Il a dit, comme il a pensé : Sagesse d’un Louis Racine, je t’envie ; il a vécu les épisodes d’Amour : Âme, te souvient-il au fond du Paradis… ……………………………………………………… Oh ! […] Or la palme du poète serait à celui qui le plus juste sait dire les vers, au meilleur chantre ; qui le plus vrai sait traduire sa pensée, au meilleur artiste ; qui le plus droit sait mener son âme, au meilleur homme. […] Et aussi longtemps qu’il naîtra des passionnés, des chrétiens, des âmes malades, et qui guérissent et qui retombent, des amoureux de la vie, c’est-à-dire ceux à qui elle donne ses caresses accidentelles et ses contusions chroniques, aussi longtemps il demeurera des confidents et des dévots de Paul Verlaine. […] Défions-nous de prétendre saisir le charme grec… Il reste à Leconte de Lisle d’avoir composé d’admirables vers, ce qui est bien la seule œuvre qu’on puisse demander à un poète, de les avoir faits non seulement avec âme, avec intelligence, avec adresse, mais encore avec cette rare loyauté d’homme qu’on louangea justement sur sa tombe.

1112. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

C’est à elle que Louis XIV dut les principales qualités de son âme ; cette droiture, ennemie de la dissimulation, et qui ne sut presque jamais s’abaisser à un déguisement ; cet amour de la gloire qui, en élevant ses sentiments, lui donnait de la dignité à ses propres yeux, et lui faisait toujours sentir le besoin de s’estimer ; cette application qui, dans sa jeunesse même, fut toujours prête à immoler le plaisir au travail ; cette volonté qui savait donner une impulsion forte à toutes les volontés, et qui entraînait tout ; cette dignité du commandement qui, sans qu’on sache trop pourquoi, met tant de distance entre un homme et un homme, et au lieu d’une obéissance raisonnée, produit une obéissance d’instinct, vingt fois plus forte que celle de réflexion ; ce désir de supériorité qu’il étendait de lui à sa nation, parce qu’il regardait sa nation comme partie de lui-même, et qui le portait à tout perfectionner ; le goût des arts et des lettres, parce que les lettres et les arts servaient, pour ainsi dire, de décoration à tout cet édifice de grandeur ; enfin, la constance et la fermeté intrépide dans le malheur, qui, ne pouvant diriger les événements, en triomphait du moins, et prouva à l’Europe qu’il avait dans son âme une partie de la grandeur qu’on avait cru jusqu’alors n’être qu’autour de lui. […] Il créa en lui un goût de magnificence et de luxe, qui s’accorde rarement avec une âme élevée, et qui, cependant, chez lui ne l’excluait pas ; goût qui se répandit sur ses bâtiments, sur ses jardins, sur ses fêtes, et trop souvent substitua des dépenses de faste à des dépenses utiles. […] Enfin, il lui inspira au-dehors une ambition qui, comme celle de la plupart des conquérants, n’était pas en lui l’effet d’une âme ardente et emportée ; mais qui, tenant plus à la hauteur qu’à l’impétuosité du caractère, méditait tranquillement, et exécutait, avec une fierté calme, des plans d’agrandissement et de conquêtes. […] Dans ces moments où tout fuit, mais où la vertu reste ; où les flatteries et les éloges de cinquante années se taisent pour laisser élever la voix de la conscience et de la vérité qui ne meurt pas, où l’âme tranquille et courageuse pèse dans un calme terrible tout ce qui a été, et seule avec elle-même, apprécie les crimes, les succès, les victoires, et toutes ces tristes grandeurs humaines qui vont la quitter ; dans ces moments il se reprocha d’avoir sacrifié à un vain désir de gloire la félicité des peuples.

1113. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mestrallet, Jean-Marie »

La douleur est venue, et, avec elle, l’âme s’est libérée, agrandie. […] Et ce n’est pas seulement l’âme qui a gagné en largeur et en élévation, c’est la technique même, la prosodie du poète qui sont parvenues à leur parfait développement, à ce point où, entre la pensée et l’expression, il y a fusion absolue.

1114. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

La plupart des fameux créateurs d’épopées eurent trop de fierté d’âme pour engager leur liberté individuelle aux spoliateurs des libertés publiques. […] Voilà ce qu’il importait de bien peindre ; et dans ce tableau nous retrouvons l’âme de notre poète, si passionné pour l’humanité. […] Dès lors commencent des fictions éclatantes dont la grande opposition étonne, éblouit d’autant plus que la durée de ses fables ténébreuses consternait l’âme du lecteur. […] Tant de périls lui font mesurer tout ce que peut affronter et vaincre la constante fermeté d’âme, dont il imprime le caractère dans un grand nombre de ses poétiques octaves. […] « Soudain Nisus s’écrie : Ô moitié de mon âme !

1115. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Et c’est ce qu’on peut appeler son âme dionysiaque. […] Et c’est ce qu’on peut appeler son âme apollinienne. […] Ces âmes, c’est le fondateur de religion qui les réunit (relligio). […] Planter, par exemple, dans les âmes des vieux Germains, ces âmes de héros, d’enfants et de bêtes, la doctrine du péché et de la damnation, qu’est-ce autre chose sinon les empoisonner ? […] Les passions ont été considérées généralement jusqu’ici comme des maladies de l’âme.

1116. (1923) Au service de la déesse

C’était une âme de désir et d’angoisse. […] Leurs âmes chrétiennes revêtent le costume païen. […] Il analyse leurs âmes : et c’est donc qu’il leur attribue, somme toute, une âme. […] Ce sont des brutes qui ont des âmes, à ce qu’on dit, des âmes où les sentiments humains, font de courtes apparitions. […] Quelle est son âme ?

1117. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

qu’on est bien en pleine lumière pour jouir de son corps florissant, de ses muscles dispos, de son âme gaillarde et hardie ! […] Chacun le mime et le prononce à sa façon et y imprime son âme. […] À cette noblesse, à ces hautes aspirations, reconnaissez une de ces âmes sérieuses comme il y en a tant sous ce climat et dans cette race. […] Il est la source première de la vie et l’âme éternelle des choses. […] Au lieu d’âmes, de forces vivantes, de répugnances et d’appétits, on y voit des poulies, des leviers et des chocs.

1118. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Le grand homme a rendu l’âme à peine, qu’elle arrive là, au chevet du mort, comme les gens de loi. […] Victor Hugo respecta cette contemplation silencieuse et se contenta d’interpréter de loin tous les rapprochements qui devaient naître, dans cette âme orageuse de René, entre la vanité des grandeurs parcourues et ces jeux d’enfants sur la poussière. […] Cette parcelle ignée en effet, cet esprit pur qui, à peine éclos, se loge dans une bulle hermétique de cristal que la reine Mab a soufflée, c’est toute sa chanson, c’en est le miroir en raccourci, la brillante monade, s’il est permis de parler ce langage philosophique dans l’explication d’un acte de l’âme, qui certes ne le cède à aucun en profondeur. […] L’air est vibrant au loin et embrasé, mille feux s’y croisent : ce qui flotte alors et pèse sur tous décharge son étincelle sur un seul ; les derniers coups de l’orage allument une âme ! […] Du moins plus haut que les luttes humaines, Fixant tes yeux sur les places sereines, L’âme invisible errait souvent au ciel !

1119. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Sachez donc vouloir une fois, vouloir fortement ; fixez votre vie flottante, et ne la laissez plus emporter à tous les souffles comme le brin d’herbe séchée. » Ce conseil donné quelque part à une âme malade par le prêtre illustre dont nous avons à nous occuper pourrait s’adresser à presque toutes les âmes en ce siècle où le spectacle le plus rare est assurément l’énergie morale de la volonté. […] Ce sont, en les prenant au mieux, de vastes âmes déployées à tous les vents, mais sans une ancre quand elles s’arrêtent, sans boussole quand elles marchent. […] Quant à ce qui touche le genre d’émotions auquel dut échapper difficilement une âme si ardente, et ceux qui la connaissent peuvent ajouter si tendre, je dirai seulement que, sous le voile épais de pudeur et de silence qui recouvre aux yeux même de ses plus proches ces années ensevelies, on entreverrait de loin, en le voulant bien, de grandes douleurs, comme quelque chose d’unique et de profond, puis un malheur décisif, qui du même coup brisa cette âme et la rejeta dans la vive pratique chrétienne d’où elle n’est plus sortie. […] Pendant que lisait l’auteur, bien souvent distrait des paroles, n’écoutant que sa voix, occupé à son accent insolite et à sa face qui s’éclairait du dedans, j’ai subi sur l’intimité de son être des révélations d’âme à âme qui m’ont fait voir clair en une bien pure essence.

1120. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Mais c’est la raison cartésienne, dominatrice et directrice de l’âme humaine, dont elle règle toutes les facultés sans en empêcher aucune : c’est celle qui, par essence, distingue le vrai du faux. […] Les uns, romanciers à grands sentiments ou tragiques doucereux, inventaient des modes de penser et de sentir que l’âme humaine n’avait jamais éprouvés, un héroïsme plus héroïque, un amour plus amoureux que tout ce qu’on voit dans la vie. […] Racine enfin jette au rebut les mannequins élégants de Quinault, et produit des hommes, de vraies âmes humaines, douloureuses et vivantes : si vrai, qu’avec sa grâce puissante, il fait parfois l’effet d’être brutal à ce beau monde, accoutumé à tout ennoblir et à tout affadir. […] Mais quand la matière de l’œuvre d’art est l’âme humaine, on ne peut plus faire abstraction de l’histoire. […] Pour peindre l’homme, il faut bien peindre des Romains, des Français, des Anglais : et si le poète qui représente Alexandre ou César ne sait pas ou ne daigne pas leur faire des âmes antiques, il en fera, sans y penser, ses contemporains.

1121. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Entre tous les plaisirs de l’esprit, celui du théâtre est le plus sensible et le plus intense pour un tel public, grossier et homogène, composé par conséquent d’individus en qui vibre plutôt l’âme commune des foules que les impressions uniques d’une âme personnelle. […] Un réalisme naïf ou grossier évoque les âmes à côté des corps, et de même sorte est le symbolisme qui revêt Jésus et le bon larron de chemises blanches, tandis qu’une chemise noire exprime l’irrémissible impénitence du mauvais larron. Le peuple apporte une curiosité infatigable à ces représentations : il s’émerveille, il pleure, rit, s’apitoie ; son âme grossière, avide de sensations intenses, n’a jamais assez savouré la Passion de son Christ ; il n’y a jamais trop d’injures, de violences, de supplices, pour lasser sa pitié et l’assurer de son rachat. […] La brutalité dure des âmes goûte le comique jusque dans l’horreur : la souffrance physique est plaisante, si le patient est odieux. […] Ils cessent d’être sérieux : ils viennent enlever les âmes des morts, après une bataille, dans des brouettes.

1122. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

C’est un chaos de systèmes et de pratiques, où il se manifeste que l’homme ignore ce qu’est son âme, et son corps, et l’univers, et Dieu : l’Apologie de Raimond Sebond, cet immense chapitre de trois cents pages, est le recueil de toutes nos ignorances, erreurs, incohérences et contradictions, et conclut au doute absolu, universel. […] Mais, même au temps où il apprivoisait son âme à ce fâcheux objet, il n’a eu ni violent désespoir ni pessimiste mélancolie : la mort lui rendait la vie plus chère, voilà tout, et chaque instant prenait un prix infini, contenait un infini de délices, par la pensée qu’il pouvait être le dernier. […] En religion, il sera bon catholique, lui de qui l’âme est si peu chrétienne : c’est qu’il faut suivre aussi la religion de son prince et de son pays. […] Comment Montaigne, qui prescrit si bien d’endurcir et d’assouplir le corps, ne veut-il pas soumettre l’âme à une pareille méthode, au même ordre sévère d’exercices et d’entraînement ? […] Mais eux-mêmes dans la forme de leur âme auront, à leur insu, reçu l’empreinte profonde des Essais.

1123. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Saint-Just lui-même, dans une première brochure de 1791 où il n’est pas encore jacobin, nous parle de l’homme qui n’a point vingt-cinq ans et qui ne peut être élu à la législature ; il le définit l’homme « dont l’âme n’est point sevrée ». Il a raison ; l’âme de Saint-Just, toute violente et concentrée qu’elle pouvait être, n’était point sevrée lorsqu’il fit en 1789 ce misérable poème d’Organt, lorsqu’il publia en 1791 son incohérente brochure intitulée  : Esprit de la Révolution. […] La seule conclusion que permette le poème d’Organt, et qui porte sur l’ensemble, c’est que l’âme de jeune homme, qui se complut à vingt-ans dans ces combinaisons et ces images, était dure, grossière, sensuelle, sans délicatesse. […] Allez voir Desmoulins, embrassez-le pour moi, et dites-lui qu’il ne me reverra jamais, que j’estime son patriotisme, mais que je le méprise, lui, parce que j’ai pénétré son âme, et qu’il craint que je ne le trahisse. […] Ce qu’il y a de triste et d’amer, c’est de voir à quel point le sophisme avait dépravé cette âme superbe, hypocrite et malade.

1124. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

le Buisson ardent devrait bien se rallumer… Enfin l’immortalité de l’âme, qu’est-elle ? Est-ce une immortalité de l’âme personnelle ? est-ce une immortalité de l’âme collective ? […] Je n’entendais rien, mais quand il souriait, je souriais involontairement et dans la même pose de tête… Jamais âme pareille n’a été mise en deux corps. […] * * * — J’ai eu des chaleurs de tête, des dévouements d’idées, des enthousiasmes d’âme ; mais à présent je juge qu’il n’y a pas une chose ou une cause qui vaille un coup de pied dans le cul, — au moins dans le mien.

1125. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Une langue vague et confuse est, chez un peuple, un sûr indice de décadence intellectuelle et morale ; au contraire, le grec et le latin sont considérés comme les langues éducatrices par excelence, parce que les mots qui les composent expriment des notions bien faites ; dépôts des efforts d’attention des Hellènes et des Romains, ces deux langues nous obligent à nous faire nous-mêmes des âmes grecques et romaines pour nous les assimiler. […] Mais elle lui est plus intimement unie que les autres signes ; une fois les habitudes de l’âme solidement constituées, l’idée n’apparaît plus guère sans signe intérieur, ni le signe intérieur sans son idée ; l’idée complétée par le signe forme une sorte de molécule, dont la conscience ne distingue pas les éléments constitutifs. […] [La référence précise du passage est De l’âme, I, 1, 403a8. […] Bordéüs, Aristote, De l’âme, GF 711, 1993)]. […] Quand le psychologue commence à s’observer, l’âme est un édifice dont les fondations sont cachées, dont plusieurs étages sont achevés et débarrassés de tout échafaudage ; il est vrai qu’on travaille encore et qu’on travaillera toujours à surélever l’édifice ; mais les conditions d’un tel travail ne sont pas celles de la fondation.

1126. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

—  Les corps et les âmes chez Albert Dürer. —  Ses Martyres et ses Jugements derniers […] Toutes les forces et aussi toutes les tendresses de l’âme sont remuées. […] Préserve mon corps, pardonne le péché de mon âme et sanctifie mon cœur. […] Je me réjouis d’apprendre que ton âme prospère. […] Le plus grand bien que ton âme puisse désirer est que le Seigneur tourne vers toi la lumière de son visage, qui est meilleure que la vie.

1127. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Raymond, Louis (1869-1928) »

Dans l’Automne du cœur et le Livre d’heures du souvenir qui révélaient l’âme tendre du poète, nous avions aimé une mélancolie douce que paraît la délicatesse du verbe. […] C’est une âme tendre et sentimentale qui se promène sur les chemins au crépuscule, à l’heure ou le jour se fond dans la nuit, où les lointains s’imprécisent, où la mélancolie du silence courbe la pensée.

1128. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Peut-être avait-il eu tort de dévoiler, sans besoin, les hautaines aspirations de son âme. […] Ou bien, 2º l’âme survivant au corps, nous nous réveillons ailleurs pour continuer notre activité. […] J’avais la mort dans l’âme. […] Âmes slaves. — 1890. […] Le duc d’Orléans était soldat, soldat français dans l’âme.

1129. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

J’ai revu cette mer Adriatique que j’avais traversée il y a plus de vingt ans, dans quelle disposition d’âme ! […] Mes dispositions d’âme triste ne changent pas. […] J’ai l’âme trop préoccupée de regrets ; je ne me retrouverai qu’auprès de vous ! […] Or, dans cette disposition d’âme, je bénirais l’entrée de M.  […] Il doit à l’amitié de madame Récamier les accents du soir plus touchants que ceux du matin ; l’imagination s’éteint, l’âme s’épanche ; on sent le recueillement dans ces adieux.

1130. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Devenus adolescents, c’est sur leurs jeunes âmes qu’on expérimentait les utopies du père sans enfants. […] On a vu le despotisme, non seulement arrêter la pensée sur les lèvres, mais l’empêcher de naître ; on l’a vu se rendre maître des âmes : il n’y a pas d’exemple qu’il se soit rendu maître de l’argent. […] « Mon occupation, écrit-il à mylord Maréchal, est d’écrire ma vie, non ma vie extérieure, comme les autres, mais ma vie réelle, celle de mon âme, l’histoire de mes sentiments les plus secrets. […] Je me sens une âme qui peut se montrer. » C’est, aux mots près, le début des Confessions. […] Traité des passions de l’âme, article 160.

1131. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Elles sont une affirmation détournée de la croyance à l’âme. […] Il supporte cette épreuve avec grandeur d’âme. […] qu’elle est vraie, la petite femme du monde à l’âme de fille ! […] Un parnassien qui est un sentimental, et un blagueur qui fait des tragédies ; un raffiné qui a l’âme populaire et un ironique qui a l’âme enthousiaste… Ne vous le disais-je pas que M.  […] De l’âme du passé notre âme se féconde : Une flamme en jaillit qui changera le monde.

1132. (1927) Approximations. Deuxième série

Pour Du Bos, le dialogue sur l’Âme et la Danse est un des plus beaux : il transcrit en mots le spectacle de la danse. […] Vous êtes bien la mesure du monde, dont mon âme ne me présente que le dehors. […] Au fond de notre âme il y a la sérénité. […] C’est la vérité jaillissant de l’âme. […] Et moi, moi, toute proche, toute intérieure, à peine distante de ce que je suis et pourtant jusqu’à ma mort inaccessible, je vois, je touche mon âme, l’âme d’où je suis déchu et que je ne sais que confusément imiter.

1133. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

L’indignation rendit à un peuple en décadence l’énergie qui retrempe les nationalités, et la victoire du droit national qui fait triompher l’âme et le sol d’un peuple des embûches des diplomates et des armées des conquérants. […] Le cœur humain ne perd jamais ses droits dans l’histoire : quand l’intérêt descend de la tête dans le cœur, l’historien mêle heureusement quelques larmes de femmes à tout ce sang qui n’excite qu’une pitié abstraite dans l’âme des lecteurs. […] Et en ce moment il s’avançait au Nord, laissant derrière lui la France épuisée et dégoûtée d’une gloire sanglante, les âmes pieuses blessées de sa tyrannie religieuse, les âmes indépendantes, de sa tyrannie politique ; l’Europe enfin, révoltée du joug étranger qu’il faisait peser sur elle, et menait avec lui une armée où fermentait sourdement la plupart de ces sentiments, où s’entendaient toutes les langues, et qui n’avait pour lien que son génie et sa prospérité jusque-là invariable ! […] En présence de si grandes choses, où s’effacent les individualités, être juste, voilà la seule vengeance des grandes âmes. […] En un mot, ce qu’on appelle vertu publique se sera-t-il accru d’un atome dans votre âme et dans l’âme des générations à venir ?

1134. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Faisons donc faire silence à tous les bruits du jour dans notre âme et reportons-nous à l’époque héroïque et pastorale du monde, dans une de ces îles, véritables Édens, de la mer sur l’Archipel, et écoutons. […] Ils n’ont pas respiré en naissant l’âme des champs, des montagnes, des cieux et des mers, qui s’exhale de la nature à l’aube de la vie et qui fait chanter ou adorer du moins les chants des poètes épiques ! […] C’est là que nous avons pris tous le goût passionné et l’habitude de la vie des champs, qui élargit l’âme, en opposition avec le séjour des villes, qui la rétrécit. L’espace grand devant les pas, le ciel libre sur la tête rendent l’âme vaste et l’esprit indépendant : les murs sont l’esclavage, les champs sont la liberté. […] que ne verriez-vous pas des yeux de l’âme à travers cette fumée ?

1135. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Il notait ses états d’âme, et comme le chasseur à la passée il guettait la sensation rare. […] L’âme de Bouvard et Pécuchet, celle d’un vieux fakir, fat et ignorant le ridicule, habitaient ce corps de militaire. […] En somme, sauf Marianna, qui est mal écrite, mais pleine de passion, tous ces livres sont sans humanité, et le caprice et la nervosité des femmes oisives leur a beaucoup prêté, mais l’âme en est absente. […] Il faut avoir l’âme de Virgile pour enlever à la poésie du Mantouan sa robe latine. […] L’âme de Nietzsche si vibrante, si clairvoyante par instants, est pleine de séductions, l’esprit de Nietzsche, je m’en défie.

1136. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Les nobles des villes se moquaient de lui, mais bien à tort : il connaissait le pays ; il en était l’âme et l’incarnation. […] La pauvre fille restait ainsi suspendue comme une âme en peine : elle n’avait pas de place ici-bas. […] C’était un beau corps, presque sans âme. […] Je ne serai, quoi que je fasse, pour lui qu’une ombre, qu’un fantôme, qu’une âme entre cent autres ? […] Toute autre âme que celle d’un prêtre eût été touchée de la révélation d’un si violent amour.

1137. (1904) En méthode à l’œuvre

Devoir le seul à des époques où l’animalité sensitive et sentimentale s’émerveilla d’exprimer son âme mélodique, où sur les sommets païens les divinités s’entendaient des passions et des émotions humaines les plastiques et lumineuses Apparences, — tandis que la noire et violâtre volupté de la douleur s’était étendue sous l’envergure morte de l’Homme-dieu en la vallée des larmes, — quand l’Amour qu’il apportait, lui-même entraînait le poids de la douleur et du renoncement. […] de qui le poing ramasse nos siècles… Après lui, qui, entre les quatre vents de l’esprit, suprêmement réalise les généralités de l’âme humaine et naturelle, et de qui l’amplitude occidentale nous couve : ne devait-on point se sentir averti. […] Lorsque toute connaissance individuelle dépend, pour la plus grande part, des puissances d’âmes ataviquement transmises, l’homme doit gratitude et amour au Passé qui l’aida des sommes de son évolution. […] Œuvre qui, retournant au primogène tact sensationnel la digression luxuriante des sensations, des émotions et des idées et les renouvelant dans la phonalité et l’idéogramme primordiaux, de nouveaux associés, — et reprenant tout ainsi qu’aux racines du Monde : d’une part (et tandis que son centre est situé en l’âme et le milieu modernes de l’Individu et des nécessaires agglomérats ethniques gardant le sens de Races, en notre instant), remonte à la Genèse cosmique et à la prime danse du Feu et du Serpent de l’être anthropoïde. […] Ou, de passages réitérés, intervertis, harmoniquement ou inharmoniquement distants, de tous leurs points sonnants, — à toutes hauteurs et à tous mouvements de succession, en étendue et en directions diverses, ils exprimeront un idéal ondulement de la pensée et de la parole qui participera des ondes de l’univers : du valonnement des horizons et de l’ondulation des mers et du vent, aux pulsations des éphémères et de notre sang et de notre âme !

1138. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Jamais un monologue ne fait un bel effet que quand on s’intéresse à celui qui parle, que quand ses passions, ses vertus, ses malheurs, ses faiblesses font dans son âme un combat si noble, si attachant, si animé, que vous lui pardonnez de se parler à soi-même. […] On n’est point choqué de voir un homme ou une femme chanter seul et exprimer par le chant les mouvements de joie, de tendresse, de plaisir, de tristesse, dont son âme est atteinte. […] C’est ainsi que Corneille conserve le caractère, et qu’il satisfait en un mot à la dignité d’une âme romaine, à la vengeance, à l’ambition, à l’amour. […] Dis-lui que de mon fils l’amour est assez fort… Mais crois-tu qu’en son âme il ait juré sa mort ? […] On lui parle de ses triomphes et des captifs qu’elle a faits ; ce mot seul touche à l’endroit sensible de son âme ; sa passion se réveille, elle rompt le silence.

1139. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Assurément on conçoit Quintilien dans l’antiquité, au sein de ce monde extérieur et sonore où pesait tant la phraséologie romaine, mais dans une société comme la nôtre, où l’âme et la pensée n’ont plus de ressources, d’originalité et de puissance que dans la profondeur de la réflexion ou du naturel, tout Quintilien voulu tombe dans la modiste, et c’est là ce qu’est Villemain, — une modiste de mots ! […] Mais cela fût-il vrai, ce qui est douteux, qu’importerait une école militaire détruite, qui faisait de l’âme avec des muscles, à nous qui avons des canons rayés et l’âme chrétienne ? […] … En Angleterre, c’est Fox et Grey qui l’ont séduit et qui l’entraînent, Grey, un homme médiocre qui n’eut qu’une idée et une attitude, — il n’en faut pas plus en politique, — une idée qui a triomphé moins par la force du talent que par la force d’une situation, dans un pays aristocratiquement organisé, comme l’Angleterre, et Fox, comme lord Grey, parce qu’il représentait le wighisme, qui est le libéralisme anglais, cher à tous les libéraux de France, et non pas pour les raisons humaines tirées de l’âme de Fox, et qui, eût-il tort dans ses opinions politiques, ce qu’il eut souvent, faisaient cependant de son âme une toute-puissance d’orateur ! C’est que l’âme est chose parfaitement inconnue aux rhéteurs et que Villemain, tout lettré et spirituel qu’il fût, en réalité n’avait pas d’âme. […] Mais l’âme de cet éclatant mauvais sujet, que fut Fox, resta, au milieu de ses incroyables excès, indestructiblement généreuse, et c’est cette générosité indestructible qui fit son éloquence.

1140. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Ce plan lui eût fourni un poème grand, noble, varié, plein d’âme et d’intérêt, et plus flatteur pour une jeune princesse, surtout s’il eût su lui parler de sa beauté moins longuement et d’une manière plus simple, plus vraie, plus naïve qu’il ne l’a fait. […] Les quatre stances où il a paraphrasé une partie du psaume cxlv sont parfaites : N’espérons plus, mon âme, aux promesses du monde ; Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde Que toujours quelque vent empêche de calmer. […] Il est des lecteurs simples et à l’âme droite qui, touchés à première vue de ces paysages et de ces tableaux innocents et les ayant pris au sérieux, ont regretté que l’impression en fût ainsi détruite vers la fin et comme tournée en raillerie : ils voudraient retrancher les quatre derniers vers. […] On sait les beaux vers de Virgile (églogue V) sur la mort de Daphnis : « Daphnis, est-il dit, tout éblouissant de lumière, admire le seuil inaccoutumé de l’Olympe, et voit sous ses pieds les nuées et les étoiles. » Cette consolation est celle qu’on aime toujours à donner aux vivants en deuil lors de la séparation et du départ d’une âme élevée et céleste. […] …………………………………………………… L’âme pleine d’amour et de mélancolie, Et couché sur des fleurs et sous des orangers, J’ai montré ma blessure aux deux mers d’Italie, Et fait dire ton nom aux échos étrangers.

1141. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Au sortir de l’École centrale où, sur la fin, il avait étudié avec ardeur les mathématiques, Beyle vint pour la première fois à Paris ; il avait dix-sept ans ; il y arriva le 10 novembre 1799, juste le lendemain du 18 Brumaire : date mémorable et bien faite pour donner le cachet à une jeune âme ! […] Si son roman de La Chartreuse de Parme a paru le meilleur de ceux qu’il a composés, et s’il saisit tout d’abord le lecteur, c’est que, dès les premières pages, il a rendu avec vivacité et avec âme les souvenirs de cette heure brillante. […] Beyle y apprend le premier à la France le nom de certains chefs-d’œuvre que notre nation mettra du temps à goûter ; il exprime à merveille, à propos des Cimarosa et des Mozart, la nature d’âme et la disposition qui sont le plus favorables au développement musical. […] Il n’avait pas cette doctrine austère et plus difficile qui élève et perfectionne l’âme en vieillissant, celle que connurent les Dante, les Milton, les Haydn, les Beethoven, les Poussin, les Michel-Ange, et qui, à n’y voir qu’une méthode sublime, serait encore un bienfait. […] Il en veut à mort aux La Harpe, à tous les professeurs de littérature et de goût, qui précisément corrompent le goût, dit-il, et qui, en fait de plaisirs dramatiques, vont jusque dans l’âme du spectateur « fausser la sensation ».

1142. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

On y parvient au moyen de témoignages contemporains rapprochés et contrôlés, et surtout si l’on a, de la personne qu’on étudie, des lettres ou toute autre production directe de son âme ou de son esprit. […] Alfieri, comme une âme rigide qui se fige pour jamais en un moment décisif et en un sentiment unique, nous voua dès lors une malédiction immortelle, et emporta en son cœur la haine de la France et des « singes-tigres », comme il les appelait, qui y avaient usurpé la domination. […] Ne vous étonnez pas qu’elle aimât Montaigne, et qu’elle sentît comme lui, dans la vue de l’incertitude universelle : « On nous a jetés dans ce inonde on ne sait pourquoi, et il faut finir son temps pour devenir je ne sais quoi. — C’est mon bréviaire, ajoutait-elle, que ce Montaigne, ma consolation, et la patrie de mon âme et de mon esprit !  […] Son âme ardente ne pouvait pas exister davantage dans un corps qu’elle minait continuellement. […] Je m’occupe un peu à lire Cicéron, Montaigne, des livres qui me donnent un peu de force à l’âme ; mais elle est accablée. » N’entendons-nous pas le cri de l’âme ?

1143. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Le roi m’a parlé aussi de ma chère maman, disant : « Vous étiez déjà de la famille, car votre mère a l’âme de Louis le Grand. » Quelle belle parole dans la bouche d’un petit-fils de Louis XIV, et quel dommage, quand on sent et qu’on dit si juste, qu’on agisse si peu dignement et si à côté ! […] Ces premières impressions d’une âme jeune sont restées justes. […] Marie-Antoinette, par ses soins autour de cette jeune âme, supplée autant qu’elle le peut la tendresse d’une mère. […] Ici le cœur s’en mêle ; il y a image ; l’expression s’est colorée au souffle de l’âme. […] Un des peintres les plus favorables à Marie-Antoinette, Senac de Meilhan, a dit d’elle que son esprit n’avait rien de brillant et qu’elle n’annonçait à cet égard aucune prétention ; « Mais il y avait en elle, observe-t-il, quelque chose qui tenait à l’inspiration et qui lui faisait trouver au moment ce qu’il y avait de plus convenable aux circonstances ainsi que les expressions les plus justes : c’était plutôt de l’âme que de l’esprit que partaient alors ses discours et ses réponses. » Ici, elle n’en est pas encore à la représentation ; elle n’est que Dauphine et n’a pas à faire de ces réponses qu’on remarque.

1144. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Quand il s’agit de juger la vie, les actions, les écrits d’un homme célèbre, on commence par bien examiner et décrire l’époque qui précéda sa venue, la société qui le reçut dans son sein, le mouvement général imprimé aux esprits ; on reconnaît et l’on dispose, par avance, la grande scène où le personnage doit jouer son rôle ; du moment qu’il intervient, tous les développements de sa force, tous les obstacles, tous les contrecoups sont prévus, expliqués, justifiés ; et de ce spectacle harmonieux il résulte par degrés, dans l’âme du lecteur, une satisfaction pacifique où se repose l’intelligence. […] » Sans doute à une époque d’analyse et de retour sur soi-même, une âme d’enfant rêveur eût tiré parti de cette gêne et de ce refoulement ; mais il n’y fallait pas songer alors, et d’ailleurs l’âme de Boileau n’y eût jamais été propre. […] Le sens du moyen-âge était complètement perdu ; l’âme seule d’un Milton pouvait en retrouver quelque chose, et Boileau ne voyait guère dans une cathédrale que de gras chanoines et un lutrin. […] pendant ce long séjour aux champs, en proie aux infirmités du corps qui, laissant l’âme entière, la disposent à la tristesse et à la rêverie, pas un mot de conversation, pas une ligne de correspondance, pas un vers qui trahisse chez Boileau une émotion tendre, un sentiment naïf et vrai de la nature et de la campagne3. […] Ce n’est pas du tout un poëte, si l’on réserve ce titre aux êtres fortement doués d’imagination et d’âme : son Lutrin toutefois nous révèle un talent capable d’invention, et surtout des beautés pittoresques de détail.

1145. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Un jour il prit la plume, et de son style de poète il essaya de faire passer son enthousiasme dans l’âme du jeune Louis XIII. […] Il y eut peu d’âmes plus belles, plus fortes, que celle de ce magistrat, qui mourut évêque : il eut, de ses deux états, la justice et la charité. […] Ce grand convertisseur et manieur d’âmes sait bien que ni l’Évangile ni la vie selon l’Evangile ne sont choses plaisantes, et il faut ne l’avoir pas lu pour s’imaginer qu’il rende la dévotion aisée. […] Après le vigoureux élan des humanistes pour s’élever à la hauteur des œuvres anciennes, après les convulsions politiques et religieuses qui ont remué les âmes jusqu’au fond, la littérature, comme la France, se repose. […] Sous la pression des tristesses morales de cette époque troublée, une sorte de stoïcisme chrétien s’élabore dans les âmes qui ont besoin de faire provision d’énergie.

1146. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

La grandeur de l’État romain qui a pour effet de substituer les guerres civiles aux dissensions du Forum, les guerres lointaines où périt le patriotisme du soldat, l’extension du droit de cité à toutes les nations, le luxe qui corrompt les mœurs, les proscriptions, qui, depuis Sylla jusqu’à Auguste, brisent par la peur le ressort des âmes et les dressent à la servitude, la suite des mauvais empereurs, le partage de l’empire, la destruction de l’empire d’Occident par les invasions barbares, et la lente agonie de l’empire d’Orient, voilà les principales étapes de la décadence du peuple romain. […] Quelques faits constants et généraux, ou intérieurs, tels que l’âme du peuple et ses instincts primordiaux, ou extérieurs, tels que des institutions et des constitutions, donnent les directions et les formes principales de l’évolution historique. […] Le climat ne peut influer sur les âmes que s’il influe d’abord sur les corps, et si les corps transmettent toutes les influences aux âmes : donc la théorie des climats suppose une liaison nécessaire des faits physiques et des faits moraux, et conduit à mettre la pure psychologie des penseurs classiques sous la dépendance de la physiologie. […] Il y introduit l’étude des tempéraments à la place de l’analyse des faits spirituels ; il met les nerfs à la place des passions de l’âme ; il baigne les individus dans les milieux qui les forment et les déforment. […] Elle ne passera dans l’Esprit des Lois que mutilée, rétrécie, presque faussée : car Montesquieu, supprimant à peu près les intermédiaires réels et vivants, l’homme, son âme, son corps, relie les lois humaines aux causes naturelles par un rapport direct et en quelque sorte artificiel ; il ne s’attache qu’à présenter abstraitement le tableau des dépendances réciproques et des variations simultanées qu’il a constatées entre les climats et les institutions.

1147. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

» Mais que sont ces impressions fugitives, ces brèves effusions éparses, auprès de l’enthousiasme continu et de l’immense amour qui possède l’âme entière de quelques-uns de nos contemporains   C’est, dit-on, le même sentiment ; ce n’est qu’une différence de degré. […] Et je suis tenté de croire que, parmi les causes qui nous ont rendus si différents des hommes d’autrefois, même des hommes d’il y a cent ans, il faut tenir grand compte de celle-là, et que cet amour de la nature a profondément modifié l’âme humaine (je ne parle, bien entendu, que d’une élite). […] Ils se le disent, car ils sont sûrs d’eux : ce sont leurs âmes qui s’aiment, et c’est là sans doute « l’Idéal ». […] ou bien que « l’Idéal », ce n’est pas seulement l’union des âmes ? […] Crédule comme les autres, il crut les autres sur parole, même quand ils causaient de lui ; écouta dans l’espace où le surnaturel parle aux âmes simples, et entendit.

1148. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Votre vie austère, toute consacrée à la recherche désintéressée, est la meilleure réponse à ceux qui regardent notre siècle comme déshérité des grands dons de l’âme. […] La sélection des nobles âmes se fait sans acception de croyances. […] Les défauts de sa philosophie furent ceux d’une âme trop timorée. […] sentiment dénué de sens pour une âme philosophe ! […] Mais laissons là ces amères pensées ; car il est quelque chose que nous gardons de lui : ce sont les leçons qu’il nous a données, cet ardent amour du droit et de la vérité, qui ont été l’âme de sa vie.

1149. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Madame de Simerose ne comprend que l’adultère éthéré ; elle lui propose un mariage d’âmes, un vol à deux dans le bleu, un amour séraphique qui contemplera toujours, sans toucher jamais. […] Ici, d’ailleurs, M. de Ryons agit en bon diable, il voit clair dans cette âme troublée, il sait que la jeune femme n’a pas cessé d’aimer son mari, et, par curiosité plus que par vertu, il entreprend de réconcilier le ménage. […] Son âme endormie n’a été complice ni témoin de la profanation de son corps. […] On se sent en présence d’une vérité franche, d’une âme nue qui se montre dans sa grâce et dans sa faiblesse. […] Quoi qu’il en soit, madame Aubray, attendrie, se promet de sauver cette âme en détresse.

1150. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Son esprit se distingue à la fois par la fermeté et par la finesse ; son âme ne sort jamais d’elle-même ni de son assiette, comme il dit. […] De même en musique, quand elle jouait du luth ; elle préférait une expression touchante à la plus savante exécution : « La sensibilité, disait-elle, est l’âme du chant. » On a donné tant de portraits de Ninon, que je me bornerai à en indiquer un qui nous la montre dans sa jeunesse, sous son jour le plus favorable et le plus décent. […] La joie était le fond de son âme et comme l’expression de la santé de son esprit ; c’est elle qui a écrit à Saint-Évremond : « La joie de l’esprit en marque la force. » On a dit d’elle qu’à table, tant elle s’y montrait animée et enjouée, « elle était ivre dès la soupe » ; ivre de belle humeur et de saillies, car elle ne buvait que de l’eau, et les ivrognes, qu’on les appelât Chapelle ou Vendôme, furent toujours mal venus près d’elle. […] Jamais on n’a porté si loin le bonheur de votre sexe : il y a peu de princesses dans le monde à qui vous ne fassiez sentir la dureté de leur condition par jalousie de la vôtre ; il n’y a point de saintes dans les couvents qui n’eussent voulu changer la tranquillité de leur esprit contre les troubles agréables de votre âme. […] L’esprit a de grands avantages sur le corps : cependant ce corps fournit souvent de petits goûts qui se réitèrent, et qui soulagent l’âme de ses tristes réflexions.

1151. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Ce que je veux conclure de tout ceci, c’est que, pour être véritablement vivante, une ode politique ou religieuse ne doit être que la voix harmonieuse et vaste de tout un peuple assemblé, qui y reconnaît et y salue son âme, et s’y exalte en l’écoutant : tel était le chœur antique. […] S’agissait-il de célébrer, par exemple, le livre des Époques de la nature, Le Brun avait droit de s’écrier : Au sein de l’Infini ton âme s’est lancée ; Tu peuplas ses déserts de ta vaste pensée. […] C’est ainsi qu’il a dit encore des « âmes de gloire effrénées », des « navires effrénés », et tant d’autres expressions qui lui ont été reprochées si souvent. […] Dans ce fatal procès qui rompit la carrière de Le Brun et envenima son âme, une circonstance bien singulière et unique, ce fut de voir sa propre mère et sa propre sœur venir déposer en justice pour sa femme et contre lui. […] Toute la douceur compatible même avec la puissance avait fui dès longtemps de son âme.

1152. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Ainsi pour cette âme égale et tempérée se passa la vie, sans grand éclat, sans trouble intérieur, et dans une maturité constante. […] Mme de Motteville était de ces personnes modérées, et elle nous donne là le ton de son âme. […] Voilà où toute âme raisonnable doit chercher la véritable félicité, obscure, il est vrai, mais tranquille et innocente. […] Une âme gloutonne de plaisirs ! […] La religion prit de plus en plus d’empire dans cette âme toute faite pour l’accueillir et si naturellement ordonnée.

1153. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Le sourire, que nous ne pouvons retenir à certains endroits où il abonde dans l’idée de sa gloire, expire bientôt sur les lèvres et fait place à un sentiment supérieur quand on sait qu’il faut, après tout, des ressorts à toutes les âmes, et qu’un prince qui douterait de lui-même, un roi sceptique, serait le pire des rois. […] Son âme toute royale garde l’équilibre, même dans ses plus grands essors ; ses élévations mêmes ont quelque chose de modéré dans le principe. […] C’est un discours sur la gloire et sur les mobiles qui remplissaient l’âme de ce prince à ce moment. […] Vu de plus près et dans l’intimité de la vie, Louis XIV ne cesse point d’être Louis le Grand ; on est charmé qu’un si beau buste n’ait point une tête vide, et que l’âme réponde à la noblesse des dehors. […] [NdA] « Il avait l’âme plus grande que l’esprit », a dit Montesquieu.

1154. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

Mais il se taisait : il voulait leur donner le temps de s’accoutumer à la peine que leur causaient les adieux de leurs compagnons ; et cependant il se préparait en silence à les éveiller tout à coup par le hourra du Cosaque, pour rallumer avec une nouvelle puissance le courage dans leur âme. […] … « Mais, quand on l’eut approché des dernières tortures et de la mort, sa force d’âme parut faiblir. […] Sa constance succomba, et il s’écria dans l’abattement de son âme : « — Père ! […] « Ce mot retentit au milieu du silence universel, et tout un million d’âmes frémirent à la fois.

1155. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

Mais il n’existe pas un écrivain éloquent ou penseur, dont le style ne contienne des expressions qui ont étonné ceux qui les ont lues pour la première fois, ceux du moins que la hauteur des idées ou la chaleur de l’âme n’avaient point entraînés. […] Mais le talent consiste à savoir respecter les vrais préceptes du goût, en introduisant dans notre littérature tout ce qu’il y a de beau, de sublime, de touchant, dans la nature sombre, que les écrivains du Nord ont su peindre ; et si c’est ignorer l’art que de vouloir faire adopter en France toutes les incohérences des tragiques anglais et allemands, il faut être insensible au génie de l’éloquence, il faut être à jamais privé du talent d’émouvoir fortement les âmes, pour ne pas admirer ce qu’il y a de passionné dans les affections, ce qu’il y a de profond dans les pensées que ces habitants du Nord savent éprouver et transmettre. […] Ils attaquent la philosophie ; bientôt ils la regretteront ; bientôt ils reconnaîtront qu’en dégradant l’esprit, ils affaiblissent ce ressort de l’âme qui fait aimer la poésie, qui fait partager son généreux enthousiasme. […] Serait-il vrai qu’une âme fière et indépendante, de quelque supériorité qu’elle soit douée, ne doit attendre des adversaires des idées philosophiques, qu’injustice ou silence ; injustice, lorsqu’ils peuvent l’attaquer encore ; silence, lorsqu’une gloire consacrée la place au-dessus de leurs efforts ?

1156. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

Tout le plaisir que l’on trouve au spectacle tragique dépend de la fréquence de ces petits moments d’illusion, et de l’état d’émotion où, dans leurs intervalles, ils laissent l’âme du spectateur. […] Or, c’est justement là la situation de l’âme du spectateur parisien, lorsqu’il va voir, pour la première fois, la tragédie si vantée du Paria. […] Le Romantique était poli ; il ne voulait pas pousser l’aimable académicien, beaucoup plus âgé que lui ; autrement il aurait ajouté : Pour pouvoir encore lire dans son propre cœur, pour que le voile de l’habitude puisse se déchirer, pour pouvoir se mettre en expérience pour les moments d’illusion parfaite dont nous parlons, il faut encore avoir l’âme susceptible d’impressions vives, il faut n’avoir pas quarante ans. […] Leur âme étant susceptible d’impressions vives, le plaisir peut leur faire oublier la vanité ; or, c’est ce qu’il est impossible de demander à un homme de plus de quarante ans.

1157. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre IV. L’écrivain (suite) »

Les livres qu’on produit là ne pénètrent point dans le peuple ; ils sont faits pour des curieux et des gourmets, non pour des âmes simples. […] Mais « son imitation n’est pas un esclavage. » « Il prend l’idée », et la repense de façon à lui rendre l’âme une seconde fois. […] C’est ce don qu’on attribuait à Shakspeare quand on disait qu’il avait « dix mille âmes. »25 Les êtres entrent dans cette âme tels qu’ils sont dans la nature, et y retrouvent une seconde vie semblable à l’autre.

1158. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

Il a le droit de préparer de toute éternité le malheur infini des âmes qu’il répand sur le monde, et, si quelque âme lui agrée davantage, de bouleverser une nation pour la sauver. […] On bien encore il faut qu’il soit païen s’il n’est mystique ; il faut que la religion lui montre Dieu dans la nature, si elle ne le lui montre pas dans l’âme. […] Il revient à elle après tant de courses ; il la trouve jeune et souriante comme aux premiers jours ; il se trouble et en même temps se ranime à son contact et sous son souffle ; il tend les bras vers elle, et sa vieille âme endolorie par tant d’efforts et d’expériences reprend la santé et le courage par l’attouchement de la mère qui l’a portée.

1159. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

car cela est à la portée de tout le monde et je me demanderai si c’est à la beauté de ses vers que je suis sensible, ou à la beauté de son âme. […] Dans l’argent, sur l’émail où le paillon s’irise, J’ai peint et j’ai sculpté, mettant l’âme en péril, Au lieu du Christ en croix ou du Saint sur le gril, Ô honte ! […] Ces conquistadores, nous les aimons surtout parce qu’ils diffèrent de nous, parce que leur fureur d’action amuse notre doute et notre mollesse ; mais M. de Heredia les aime parce qu’il leur ressemble un peu, parce qu’il sent encore tressaillir en lui quelque chose de leur âme. […] Elle exprime d’abord l’exaltation d’une âme tendue à jouir superbement de toute la beauté éparse dans le monde et dans l’histoire et de toutes les œuvres où l’humanité a le plus joyeusement épanché son génie.

1160. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Baudelaire, Œuvres posthumes et Correspondances inédites, précédées d’une étude biographique, par Eugène Crépet. »

Il se distingue à Wagram ; l’empereur le décore de sa main, et dès lors le marquis appartient corps et âme à Napoléon. […] Il lui a dit finalement : Ma chère fille, je laisse dans votre âme virginale l’expérience d’un vieux roué. […] C’est vraiment une âme née malheureuse, tourmentée de désirs toujours indéterminés, toujours inassouvis, toujours douloureux. […] C’est le chef-d’œuvre de la Volonté (je mets, comme Baudelaire, une majuscule), le dernier mot de l’invention en fait de sentiments, le plus grand plaisir d’orgueil spirituel… Et l’on comprend qu’en ce temps d’industrie, de science positive et de démocratie, le baudelairisme ait dû naître, chez certaines âmes, du regret du passé et de l’exaspération nerveuse, fréquente chez les vieilles races… Maintenant il va sans dire que le baudelairisme est antérieur à Baudelaire.

1161. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Renan a exprimées déjà (dans les Dialogues philosophiques, dans Caliban, dans la Fontaine de Jouvence, dans les Souvenirs, dans l’article sur Amiel) ; vous y retrouverez son dilettantisme, son attitude en face du monde, son âme hautaine et tendre, caressante et ironique, attirante et fuyante. […] Mort que je vois venir, que j’appelle et que j’embrasse, je voudrais au moins que tu fusses utile à quelqu’un, à quelque chose, fût-ce à la distance des confins de l’infini… » Il est vrai que lorsqu’il a vu, par le cynique dialogue de Ganeo et de Sacrificulus, ce que deviennent ses doctrines en passant dans des âmes basses qui n’en comprennent que les négations, il recule épouvanté et renie son œuvre involontaire. […] Renan, c’est de lire d’une âme confiante ce qu’il écrit et de n’y point chercher plus de malice qu’il n’en a mis. […] Relisez quelques contes de Voltaire ou de Diderot ; puis relisez Caliban, la Fontaine de Jouvence et le Prêtre de Némi : vous pourrez mesurer de combien de notions et de sentiments s’est enrichie, en cent ans, l’âme humaine ; et vous déborderez de reconnaissance et d’amour pour le plus suggestif et le plus ensorcelant de nos grands écrivains.

1162. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Roxane adore Bajazet sans lui avoir jamais parlé : on ne saurait donc dire que c’est l’âme de ce jeune prince dont elle est éprise. […] » Et plus loin : «… Votre âme n’est pour moi que l’odeur de votre beauté. […] Ou peut-être imaginent-ils une parenté sacrilège entre les désirs inapaisés des âmes saintes d’autrefois et l’inassouvissement de leurs propres corps. […] Puis, c’est un phénomène connu, que les esprits très compliqués adorent souvent les âmes simples… Toutefois, cette préoccupation impie et affectueuse de la vie mystique commence à devenir singulière, chez M. 

1163. (1888) Demain : questions d’esthétique pp. 5-30

Il me semble qu’à grands traits l’histoire de la littérature moderne pourrait se résumer de la sorte que voici : À la grande différence des païens, pour qui la Forme, sans proscrire l’Idée, la primait, pour les modernes l’Idée, ou plutôt l’Ame Spirituelle, est l’objet principal de l’œuvre littéraire. Longtemps même, et c’est notre littérature classique, on ne sut voir que l’Ame. […] Sans doute le sentiment de la couleur et de l’harmonie sommeillait et sans doute, à maintenir si longtemps dans cette pénible attitude doctorale l’esprit humain, on risquait de le paralyser, de le dessécher, de lui faire oublier la grâce de gestes plus vivants : le XVIIIe siècle, cette mare, puis ce torrent, est le loyer dont nous payâmes le XVIIe  Le Romantisme n’eut point d’autre fonction que de rappeler l’art français au souci du monde extérieur : sur l’Ame de Bossuet et de Racine, Hugo et Gautier jetèrent leur draperie splendide. […] Sans rien oublier des conquêtes naturalistes et romantiques, ceux qui viendront, pour mettre une âme dans un corps agissant, retourneront aux traditions spirituelles et classiques, avec cette importante nuance ; qu’ils sauront que le temps des idées générales est passé  Mais ici deux questions se dressent, une question de fond et une question de forme (comme on disait très jadis).

1164. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Dès lors, affirmer la primauté de la raison sur la sensibilité, c’est affirmer du même coup la primauté et la prépondérance de l’esprit social sur l’âme individuelle. […] L’individualisme stirnérien est une revendication en faveur de la « différence » affective, de l’originalité sentimentale quelle qu’elle soit. — C’est aussi bien l’individualisme de l’impulsif, du maniaque, de l’excentrique, du névrosé en quête de sensations bizarres et compliquées (tel un Des Esseintes), que l’individualisme du grand poète, du grand artiste qui exprime des manières de sentir délicates, puissantes on profondes, vraiment neuves et intéressantes, vraiment capables d’éveiller un écho dans l’âme des autres hommes. […] Cet individualisme consiste à cultiver nos sentiments dans la mesure de notre richesse d’âme, à développer notre faculté de jouir et de souffrir sous ses formes les plus complexes et les plus élevées, à nous intéresser à la vie la plus riche et la plus belle. […] Mais dans la suite, l’individualiste aristocrate, l’ariste dans l’ordre du sentiment, acquiert la conviction que l’altruisme grégaire s’insinue fatalement, partout où les hommes sont rassemblés, dans l’autre altruisme pour le corrompre et l’abaisser ; que l’altruisme grégaire a toujours le dernier mot contre l’idéal de générosité des âmes d’élite.

1165. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

Elle offrit à une foule d’âmes contemplatives et douces le seul état qui leur convienne. […] Il n’appréciait les états de l’âme qu’en proportion de l’amour qui s’y mêle. […] On conçoit, d’un autre côté, que ces âmes tendres, trouvant dans leur conversion à la secte un moyen de réhabilitation facile, s’attachaient à lui avec passion. […] Mais plus heureux encore, nous dirait Jésus, celui qui, dégagé de toute illusion, reproduirait en lui-même l’apparition céleste, et, sans rêve millénaire, sans paradis chimérique, sans signes dans le ciel, par la droiture de sa volonté et la poésie de son âme, saurait de nouveau créer en son cœur le vrai royaume de Dieu !

1166. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVIII. Institutions de Jésus. »

Jésus accueillait leurs emportements avec sa fine ironie, et les arrêtait par ce mot : « Je ne suis pas venu perdre les âmes, mais les sauver. » Il cherchait de toute manière à établir en principe que ses apôtres c’était lui-même 833. […] Plein de sa doctrine tout idéaliste, que ce qui fait la présence des âmes, c’est l’union par l’amour, il déclarait que, toutes les fois que quelques hommes s’assembleraient en son nom, il serait au milieu d’eux. […] Voulant rendre cette pensée que le croyant ne vit que de lui, que tout entier (corps, sang et âme) il était la vie du vrai fidèle, il disait à ses disciples : « Je suis votre nourriture », phrase qui, tournée en style figuré, devenait : « Ma chair est votre pain, mon sang est votre breuvage. » Puis, les habitudes de langage de Jésus, toujours fortement substantielles, l’emportaient plus loin encore. […] L’idée toute spirituelle de la présence des âmes, qui était l’une des plus familières au maître, qui lui faisait dire, par exemple, qu’il était de sa personne au milieu de ses disciples 866 quand ils étaient réunis en son nom, rendait cela facilement admissible.

1167. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

Fruit d’un mouvement des âmes parfaitement spontané, dégagé à sa naissance de toute étreinte dogmatique, ayant lutté trois cents ans pour la liberté de conscience, le christianisme, malgré les chutes qui ont suivi, recueille encore les fruits de cette excellente origine. […] Il a créé le ciel des âmes pures, où se trouve ce qu’on demande en vain à la terre, la parfaite noblesse des enfants de Dieu, la pureté absolue, la totale abstraction des souillures du monde, la liberté enfin, que la société réelle exclut comme une impossibilité, et qui n’a toute son amplitude que dans le domaine de la pensée. […] Dégagées de nos conventions polies, exemptes de l’éducation uniforme qui nous raffine, mais qui diminue si fort notre individualité, ces âmes entières portaient dans l’action une énergie surprenante. […] C’était vraiment une de ces heures divines où le grand se produit par la conspiration de mille forces cachées, où les belles âmes trouvent pour les soutenir un flot d’admiration et de sympathie.

1168. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

Ce mot, romantisme, a, comme tous les mots de combat, l’avantage de résumer vivement un groupe d’idées ; il va vite, ce qui plaît dans la mêlée ; mais il a, selon nous, par sa signification militante, l’inconvénient de paraître borner le mouvement qu’il représente à un fait de guerre ; or ce mouvement est un fait d’intelligence, un fait de civilisation, un fait d’âme ; et c’est pourquoi celui qui écrit ces lignes n’a jamais employé les mots romantisme ou romantique. […] Ils avaient au fond de leur conscience un soulèvement d’idées mystérieuses ; l’ébranlement intime des fausses certitudes leur troublait l’âme ; ils sentaient trembler, tressaillir, et peu à peu se lézarder leur sombre surface de monarchisme, de catholicisme et d’aristocratie. […] Aérons les âmes. […] Ainsi que vous, ils ont pour seul point de départ, en dehors d’eux, l’être universel, en eux, leur âme ; ils ont pour source de leur œuvre la source unique, celle d’où coule la nature et celle d’où coule l’art : l’infini.

1169. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

La nature contient un élément poétique, puisque l’âme est remuée, puisque notre cœur se trouble, puisque notre esprit devient songeur aux spectacles qu’elle nous offre. […] l’artiste, qui, mêlant son âme à l’âme des bois et des fleuves, peut seul — ce mystérieux hymen accompli — évoquer sur la toile leurs poésies intimes. […] Aussi insensible que la nature mourante, l’homme mourant ne voit pas le Christ ; la créature expirera sans une prière, sans une élévation d’âme : la Mort a tué jusqu’à l’espérance !

1170. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

S’il y a peu de mérite à tenir son âme au niveau d’une situation élevée (quoique ce mérite même ne soit pas commun), il y en a beaucoup à l’élever au-dessus d’une situation réputée basse ; il y en a surtout à se créer une morale pure et transcendante, quand on se trouve, en naissant, placé comme en contradiction avec les notions de la morale la plus vulgaire. […] Pendant tout le temps de cette liaison, que la mort seule de Mirabeau paraît avoir rompue, il soumettait à Chamfort non-seulement ses ouvrages, mais ses opinions, sa conduite ; l’espérance ou la crainte de ce qu’en penserait Chamfort, était devenue pour l’âme fougueuse de Mirabeau une sorte de conscience. […] Étonné de vivre et résolu de mourir, il saisit un rasoir, essaie de se couper la gorge, y revient à plusieurs reprises, et se met les chairs en lambeaux ; l’impuissance de sa main ne change rien aux résolutions de son âme ; il se porte plusieurs coups vers le cœur, et commençant à défaillir, il tâche par un dernier effort de se couper les deux jarrets, et de s’ouvrir les veines. […] On s’afflige en songeant que Pope et Swift, en Angleterre, Voltaire et Rousseau, en France, jugés, non par la haine, non par la jalousie, mais par l’équité, par la bienveillance, sur la foi des faits attestés ou avoués par leurs amis et par leurs admirateurs, seraient atteints et convaincus d’actions très condamnables, de sentiments quelquefois pervers1. » Les événements de la vie de Chamfort prouvent que la trempe de son âme était naturellement forte, et qu’habitué de bonne heure à lutter contre l’adversité, il ne s’en laissa jamais abattre.

1171. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Tolérant ou toléré, du reste, la tolérance est si chère à M. de Meaux, que dans cette furieuse et religieuse histoire du xvie  siècle, où il s’agit de la Vérité absolue pour ceux qui y croient contre l’Erreur absolue pour ceux qui n’y croient pas, il s’est volontairement détourné des faits immenses et terribles de la Monarchie française déchirée dans sa Tradition et dans l’esprit de sa Constitution, et des hommes de ce temps qui furent parfois également sublimes dans le bien et dans le mal, pour ne voir uniquement que ce petit résultat exquis de la tolérance distillée de la fatigue et de l’indifférence des âmes, et qui lui paraît, à ce grand pharmacien historique, le cordial qui doit réconforter les peuples vieillis et les empêcher de mourir ! […] Mais n’ayant rencontré, quand il tenta de pénétrer en France, que François Ier paganisé par la Renaissance, l’allié du Turc, le lecteur passionné de Rabelais et d’Érasme et le protecteur de Marot, flottant inconséquemment des bûchers allumés à des bûchers éteints, et du châtiment des Vaudois au repentir qu’il en exprima en mourant, le Protestantisme envahit bientôt, malgré la sécheresse de sa doctrine, un pays où il n’avait eu pour lui d’abord que les moqueries païennes de ses écrivains et l’attrait (lamentable toujours en France) de sa nouveauté… Révolté, dans son âme de moderne, contre la rigueur d’un temps qui avait une foi ardente et des mœurs séculairement chrétiennes, néanmoins catholique à ce point qu’il répète qu’il l’est incessamment dans son histoire, parce qu’il sait trop qu’on pourrait l’oublier, M. de Meaux ne paraît pas avoir compris que plus tard encore il était possible d’arrêter le Protestantisme envahisseur, comme l’Église, dans d’autres temps, avait arrêté l’Hérésie. […] Seulement, c’était la proscription, l’exil, la confiscation, que ces grands hommes et ces grands Saints autorisaient ; ce n’était pas la mort : parce qu’il fallait donner au coupable la possibilité de sauver son âme ! […] Seulement, il n’en resta pas moins deux vestiges de l’ancienne discipline, dit avec raison M. de Meaux : « L’Église revendiquait le condamné pour le soustraire à la mort s’il se rétractait, sinon elle le livrait au juge séculier, le ministère ecclésiastique étant incompatible avec l’effusion du sang. » L’immense Mère des âmes ne se démentait pas !

1172. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

, et il va du paysage aux arcanes les plus mystérieux de la philosophie, du chien Ponto, célèbre déjà dans Les Contemplations, à la question de l’âme des bêtes, pour lesquelles Vacquerie a la sympathie d’un homme qui voit en elles son logement prochain. […] Toujours poète, c’est là son défaut, comme Μ. des Mazures : « Je me penche sur ses yeux profonds, — dit-il (les yeux de la chatte), — et il me semble voir là-bas, — tout au fond, — je ne sais quoi qui se débat, comme un malheureux tombé dans un puits et qui s’efforce de remonter, et qui appelle à l’aide, et qui se raccroche aux parois, et qui retombe toujours, — une âme, je le crois. […] Vacquerie est une âme tendre. En l’absence de la corde qui lui manque pour l’âme de son chat, qu’il ajoute à sa lyre la corde de la tendresse !

1173. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Il savait qu’il pouvait « s’attendre » comme dit madame de Staël… et il s’est attendu patiemment, sans souffrir de cette longue attente, sans s’user sous cette lime de feu qui use le bronze des âmes les plus brûlantes. […] Ce qui ne l’empêche pas, du reste, d’être lyrique et idéal, le poète du Dernier Chant, quand son âme s’émeut et s’élève. […] Si leur âme fut simple et juste, — c’est assez. […] L’âme semble briser sa chaîne, et la prière Dans l’infini s’envole et monte, — c’est divin !

1174. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

Vous le voyez, c’est un moraliste d’instinct et de réflexion qu’Aubryet ; mais plus encore de rétorsion… Jusqu’ici, il avait, comme la famille d’esprits dont il descend : les Chamfort et les La Bruyère, procédé surtout par des jugements, des portraits et des caractères ; mais l’invention l’a tenté, et, de moraliste devenu romancier, il nous donne cette Vengeance de Madame Maubrel, qui est un livre de détails parisiens si connus qu’il fallait sa plume pour les renouveler en les décrivant, mais qui n’est pas le cas nouveau d’âme humaine que j’attendais, et que tout romancier psychologique est tenu de mettre dans son livre, s’il se risque à faire un roman. […] J’ai cru pourtant qu’il la tiendrait, quand j’ai vu sa madame Maubrel, après la mort de son mari, tué, comme il avait vécu, pour les besoins de la situation, chercher partout, avec l’acharnement d’une âme profonde qui n’oublie pas, et pour lui faire expier son crime, l’insolent farfadet qui l’a outragée ; — car il s’en est allé, il a disparu comme un farfadet ! […] Le roman d’Albéric Second est l’histoire d’un amour né dans les circonstances les plus inattendues et les moins propres, semble-t-il, à faire naître l’amour dans une âme… Il faut être, en effet, un écrivain très sûr et très maître de soi pour avoir osé la circonstance, et l’état mental et physique, et l’immonde costume dans lequel, dès les premières pages de son livre, l’auteur fait apparaître son héros, attaqué de folie, fuyant son cabanon, se présentant, effaré, aux yeux de tout Paris, en plein théâtre Italien, dans la loge de la comtesse Alice. […] sa grande vie dans l’avenir et sa grande gloire, ce sera d’avoir créé des caractères et fouillé l’âme qui est infinie jusque dans ses dernières profondeurs, et cela sans petite couleur locale de temps et d’espace, et dans des langages immortels comme l’esprit humain !

1175. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

s’il a du talent… fourvoyé, mais, après tout, du talent ; s’il intéresse ou seulement s’il amuse, — ce qui est le petit intérêt après le grand ; — si enfin il prend l’âme ou l’esprit par un côté quelconque, c’est plus difficile de le juger, mais c’est ce qui me tente. […] Je le sais, et je ne m’en étonne pas ; mais qu’aujourd’hui, en plein dix-neuvième siècle, quand les passions et leur étude, et leurs beautés, et leurs laideurs, et jusqu’à leurs folies, ont pris dans la préoccupation générale la place qu’elles doivent occuper ; quand la littérature est devenue presque un art plastique, sans cesser d’être pour cela le grand art spirituel ; quand nous avons eu des creuseurs d’âme, des analyseurs de fibre humaine, des chirurgiens de cœur et de société, enfin qu’après Chateaubriand, Stendhal, Mérimée et Balzac, Balzac, le Christophe Colomb du roman, qui a découvert de nouveaux mondes, la vieille mystification continue et que la réputation de Gil Blas soit encore et toujours à l’état d’indéracinable préjugé classique, voilà ce qui doit étonner ! […] j’allais presque dire prostitué), il a parfois touché avec une main moderne, et qui n’est pas la gourde main de ce chiragre de Le Sage, à la passion, au sentiment, à l’idée, à toutes ces choses qu’on ne peut pas plus rejeter entièrement du roman que de l’âme humaine. […] En mon âme et conscience, je le crois, de nature, un romancier qui pourrait être grand, mais un romancier qui s’est compromis dans un genre, non pas faux (entendez-moi bien !)

1176. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Il est moral, l’effet qui résulte des transports tour à tour amoureux ou chevaleresques du Cid, des combats et de l’égarement de Chimène : c’est assez qu’on sente circuler, dans ce premier chef-d’œuvre de notre théâtre, un souffle et comme un courant de grandeur qui épure les sentiments et qui élève les âmes. […] Cette honnêteté, qui se produit sans emphase, qui brille dans le caractère des personnages et dans toutes leurs paroles, semble couler naturellement de l’âme de l’auteur ; une versification nette, correcte, élégante, y sert d’ornement ; quelques personnages assez gais et plus actifs, jetés dans ce monde d’honnêtes gens, relèvent la douceur des tableaux. […] La littérature dramatique a été prise au dépourvu ; on lui demande presque le contraire de ce qu’on était accoutumé à désirer d’elle depuis longtemps ; on lui demande des émotions vives, profondes et passionnées, mais pures s’il est possible, et, dans tous les cas, salutaires et fortifiantes ; on lui demande, au milieu de toutes les libertés d’inspiration auxquelles le talent a droit et qui lui sont reconnues, de songer à sa propre influence sur les mœurs publiques et sur les âmes, de se souvenir un peu, en un mot, et sans devenir pour cela trop sévère, de tout ce qui est à guérir parmi nous et à réparer.

1177. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Majestueux dans sa figure, dans ses attitudes, dans son style, il l’était aussi dans son caractère : il avait une vraie noblesse d’âme, beaucoup de bon sens, de solidité, d’honnêteté, point de vanité, aucun sentiment bas ou mesquin. Sa dignité, en un siècle de laisser aller et de débraillé, avait sa source dans l’élévation naturelle de son âme ; il n’affectait rien ; et nous devons nous défier de la légende qui s’est attachée à son nom. […] D’autres ont pu peindre quelques apparences de la nature ; ils ont offert à nos sensations quelques formes particulières, éparses dans l’immensité de l’espace et de la durée, et qui s’assortissaient à la qualité de leur âme.

1178. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Les grandes âmes confiantes et largement épandues qui avaient abreuvé nos grands-pères de poésie et de chimères paraissaient bien naïves à leurs petits-fils et leur étaient devenues presque indifférentes. […] Elle est peut-être, avec Lamartine et Michelet, l’âme qui a le plus largement réfléchi et exprimé les rêves, les pensées, les espérances et les amours de la première moitié du siècle. […] Il se peut que ses romans, mal compris, soient pour quelque chose dans les erreurs de Mme Bovary ; mais alors c’est aussi grâce à eux qu’il lui reste assez de noblesse d’âme pour chercher un refuge dans la mort.

1179. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Mais cette pudeur, cette délicatesse d’une âme fière se tournaient contre lui, et on les prenait encore pour dilettantisme et scepticisme. […] À la vérité, ces novateurs ont découvert que l’âme avait son prix et qu’il faut avoir pitié des humbles et des souffrants. […] C’est que l’ancien clerc de Saint-Sulpice n’avait point changé d’âme : il était devenu clerc de la science, voilà tout.

1180. (1890) L’avenir de la science « XIV »

Les grands traitements scientifiques, et surtout le cumul, auraient sous ce rapport un grave inconvénient, le même que les grandes richesses ont eu pour le clergé : ce serait d’attirer des âmes vénales, qui ne voient dans la science qu’un moyen comme un autre de faire fortune ; honteux simoniaques qui portent dans les choses saintes leurs grossières habitudes et leurs vues terrestres. Il faudrait qu’en embrassant la carrière scientifique on fût assuré de rester pauvre toute sa vie, mais aussi d’y trouver le strict nécessaire ; il n’y aurait alors que les belles âmes, poussées par un instinct puissant et irrésistible, qui s’y consacreraient, et la tourbe des intrigants porterait ailleurs ses prétentions. […] L’impôt est de notre temps ce qu’était, dans les anciens usages, la part que chacun faisait, « pour sa pauvre âme », à l’Église et aux œuvres pies.

1181. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Les plus froides compositions, les plus artificielles compilations des lettrés sans âme, n’avaient jamais atteint la médiocrité de certains vagissements d’âmes sans lettres, que nous avons vu acclamer récemment ! […] Jean Carrère s’écrie : « Peut-être que demain l’âme hellène, venue à nous par les flots qui baignent Marseille, réveillant au passage les mânes assoupis des vieux consuls d’Arles, et définitivement épanouie dans la maison blanche de Maillane, aux pieds du Parnasse resplendissant des Alpilles, va remplir de nouveau l’Europe rajeunie pour la plus grande joie du monde et le relèvement des nobles esprits » (Revue Encyclopédique, 31 juillet 1897).

1182. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Il tourne son âme inquiète vers le Ciel : quelque chose lui dit que c’est là qu’habite cette souveraine beauté après laquelle il soupire : Dieu lui parle tout bas, et cet homme du siècle, que le siècle n’avait pu satisfaire, trouve enfin le repos et la plénitude de ses désirs dans le sein de la religion. […] Nous ne connaissons point de mot de sentiment plus délicat que celui-ci : « Mon bonheur eût été d’être aimé aussi bien que d’aimer, car on veut trouver la vie dans ce qu’on aime. » C’est encore saint Augustin qui a dit cette parole : « Une âme contemplative se fait à elle-même une solitude. » La Cité de Dieu, les épîtres et quelques traités du même Père, sont pleins de ces sortes de pensées. […] Quand l’âme est dans le ciel, le corps ne sent point la pesanteur des chaînes : elle emporte avec soi tout l’homme ! 

1183. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « A Monsieur Naigeon » pp. 9-14

Si l’on n’entend que moi, on me reprochera d’être décousu, peut-être même obscur, surtout aux endroits où j’examine les ouvrages de Sénèque ; et l’on me lira, je ne dis pas avec autant de plaisir, comme on lit les Maximes de La Rochefoucauld, et un chapitre de La Bruyère : mais si l’on jette alternativement les yeux sur la page de Sénèque et sur la mienne, on remarquera dans celle-ci plus d’ordre, plus de clarté, selon qu’on se mettra plus fidèlement à ma place, qu’on aura plus ou moins d’analogie avec le philosophe et avec moi ; et l’on ne tardera pas à s’apercevoir que c’est autant mon âme que je peins, que celle des différents personnages qui s’offrent à mon récit. […] Peut-être eussiez-vous désiré, pour me servir ici de vos propres termes, « que, me livrant à toute la chaleur de mon âme, et à toute la fougue de mon imagination, je vous montrasse Sénèque, comme autrefois je vous avais montré Richardson » : mais, pour cela, au lieu de plusieurs mois, il fallait ne m’accorder qu’un jour. […] Toutes les opinions sur les âmes des morts, qui me touchent ou qui me flattent, je les embrasse ; et il me semble, dans ce moment, que je vois l’ombre de notre cher La Grange errer autour de votre lampe, tandis que vos nuits se passent soit à compléter ou éclaircir son ouvrage, soit à rapprocher en cent endroits sa traduction du vrai sens de l’original.

1184. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Malgré tout, en effet, malgré la contagion de la libre pensée, ce terrible choléra moderne de la libre pensée qui les ronge et qui les diminue chaque jour, les chrétiens sont encore assez nombreux pour faire de la gloire comme le monde la conçoit et la veut, — et, de cela seul que l’Église mettait en question la sainteté de Christophe Colomb, il avait sa gloire, même aux yeux des ennemis de l’Église, qui, au fond, savent très bien, dans ce qui peut leur rester d’âme, qu’il n’y a pas sur la terre de gloire comparable à celle-là ! […] Polémiste de tempérament, fait pour toutes les luttes, tous les combats, toutes les mêlées, et sentant cette vocation pour la guerre bouillonner en lui comme bouillonne cette sorte de vocation dans les âmes, quand elle y est, il a de bonne heure demandé instamment à ceux qui semblaient penser comme lui sa place sur leurs champs de bataille, mais ils lui ont toujours fermé l’entrée de leur camp. […] Et c’est la toute-puissance inattendue, qui vient de plus profond que de l’âme ou du génie de l’homme, et qui plane au-dessus de toute littérature.

1185. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

On y trouve une imagination plus forte qu’étendue, peu d’art, peu de liaison, nulle idée générale, nul de ces sentiments qui tiennent au progrès de l’esprit, et qui sont les résultats d’une âme exercée et d’une réflexion fine ; mais il y règne d’autres beautés, le fanatisme de la valeur, une âme nourrie de toutes les grandes images de la nature, une espèce de grandeur sauvage, semblable à celle des forêts et des montagnes qu’habitaient ces peuples, et surtout une teinte de mélancolie, tour à tour profonde et douce, telle que devaient l’avoir des hommes qui menaient souvent une vie solitaire et errante, et qui, ayant une âme plus susceptible de sentiment que d’analyse, conversaient avec la nature aux bords des lacs, sur les mers et dans les bois, attachant des idées superstitieuses aux tempêtes et au bruit des vents, trouvant tout inculte et ne polissant rien, peu attachés à la vie, bravant la mort, occupés des siècles qui s’étaient écoulés avant eux, et croyant voir sans cesse les images de leurs ancêtres, ou dans les nuages qu’ils contemplaient, ou dans les pierres grises qui, au milieu des bruyères, marquaient les tombeaux, et sur lesquelles le chasseur fatigué se reposait souvent.

1186. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Paul Chalon »

Les plus belles œuvres d’art et les plus beaux livres, ce ne sont peut-être pas ceux que nous avons, mais ceux qui devaient sortir de l’âme de tous ces jeunes morts. […] Mais, parmi d’autres pages où, sous une forme encore hésitante, se trahissent une âme douce et chaude et un esprit ingénieux, je vous recommande particulièrement les Deux gendarmes.

1187. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lapaire, Hugues (1869-1967) »

Hugues Lapaire, d’avoir participé à la vie rustique du Berri, à l’âme populaire qu’il exprime comme son âme même, sans artifice et sans effort.

1188. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

La lecture de ces deux civilisations, la Bible, l’Évangile, l’Odyssée dans les mains, est un cours d’histoire, de poésie, de jeunesse en action, qui retrempe l’âme dans l’âpre senteur de l’Archipel. […] Mais Brousse a une population de soixante mille âmes ; c’est la province la plus voisine et la plus dépendante du sérail ; il fallait autour de lady Stanhope de la solitude et de la liberté. […] Ce n’était nullement une femme folle ; sa seule folie, c’était la grandeur de son âme ! […] Elle avait vu sous son oncle, le grand Pitt, deux géants lutter sur les mers et sur la terre : la liberté dans l’âme de Pitt, le despotisme dans les armées de Bonaparte ! […] Mais l’âme de lady Stanhope a passé dans la mienne, et mourir dans un désert d’Asie, au sein d’une contemplation de Dieu, de la nature, et loin des hommes d’Europe, est le dernier de mes vœux !

1189. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Je vous avoue que cette promenade pas à pas dans l’âme de l’évêque de Provence, quoique un peu longue, m’a fait beaucoup de bien au commencement, et que je ne l’ai pas trouvé aussi niais que l’on dit, parce qu’il est vraiment bon pour nous autres pauvres gens. […] Cette peinture évangélique de l’âme de l’évêque, âme chrétienne parce qu’elle est populaire, et populaire parce qu’elle est chrétienne, mon ami, est ce qu’on appelle un tableau de genre suspendu dans un vestibule pour prédisposer, par une bonne impression, les yeux, l’esprit, le cœur des lecteurs aux sentiments religieux et doux, qui sont l’édification de ce triste monde. […] Il était là seul avec lui-même, recueilli, paisible, adorant, comparant la sérénité de son cœur à la sérénité de l’éther, ému dans les ténèbres par les splendeurs invisibles de Dieu, ouvrant son âme aux pensées qui tombent de l’Inconnu. […] Mystérieux échanges des gouffres de l’âme avec les gouffres de l’univers ! […] Misères du cœur, de l’esprit, de l’âme et du corps, misères surtout qui frappent ce que vous aimez à cause de vous, et qui font un devoir de vivre pour d’autres encore après avoir perdu toute raison de vivre pour vous-même !

1190. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

Il est protestant, et non pas du petit troupeau qui paît à l’écart, pacifique et docile ; il a dans l’âme le feu des guerres civiles, et continue de ne voir dans la France apaisée que des bourreaux on des martyrs. […] Puis la, délicatesse devenant de plus en plus intérieure et spontanée, à mesure que se brisera le ressort des âmes, et que se videra le réservoir des énergies primitives, les formes se simplifieront, se détendront. […] « Les yeux, disait-il quelque part, sont les balcons et les portes de l’âme, fidèles témoins, vrais oracles, sûre escorte de la raison timide, et flambeaux ardents de l’obscure intelligence. […] Un besoin étrange d’aventures emporte alors les âmes, et se traduit parallèlement dans l’histoire par tous les troubles, les intrigues, les révoltes que l’on sait, dans la littérature par la vogue des genres et des œuvres où s’étale le plus extravagant héroïsme. […] On l’appliqua même à l’édification, pour profiter de sa vogue, et les âmes pieuses purent puiser dans la « Tabatière spirituelle pour faire éternuer les âmes dévotes vers le Sauveur ».

1191. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Il y paraît décidé : Allons, mon âme, et puisqu’il faut mourir, Mourons du moins sans offenser Chimène. […] Le Cid est l’idéal de ceux qui peuvent faire des fautes sans souiller leur âme, et qui ne peuvent être vertueux que dans la mesure de la faiblesse humaine. […] La force d’âme y paraît toucher à la dureté, par exemple dans les deux Horaces, chez qui le citoyen a étouffé l’homme. […] Le plus souvent cet héroïsme n’est pas au-dessus des grandes âmes ; il n’excède pas ce qu’en fait de vertus nous concevons de possible par la comparaison et par l’expérience de nos vertus médiocres. […] C’est le ressort de nos âmes ; c’est ce qui rendra toujours parmi nous la paix glorieuse et le repos respectable.

1192. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Il enviait les orages de leur âme et leur destinée chargée d’anathème. […] Il regarde dans l’âme : c’est ce que j’ai fait. […] C’était une âme éperdument naïve. […] L’art n’est pas d’éparpiller son âme. […] triste, triste était mon âme ce soir-là.

1193. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Dieu, l’âme, la création ; mais ce triple mystère enveloppe tout, mais cette triple idée comprend tout. […] Il met un abîme entre l’âme et le corps, un abîme entre l’homme et Dieu. […] Ainsi Socrate, buvant la ciguë et conversant de l’âme immortelle et du dieu unique, s’interrompra pour recommander qu’on sacrifie un coq à Esculape. […] Puis sont venus les imitateurs en sous-ordre, qui n’ayant ni racine en terre, ni génie dans l’âme, ont dû se borner à l’imitation. […] Car, ainsi que nous l’avons déjà établi, le drame, c’est le grotesque avec le sublime, l’âme sous le corps, c’est une tragédie sous une comédie.

1194. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Semblable à Ovide exilé, il laisse son âme revoler vers la terre qu’il a quittée, comme l’oiseau vers son nid. […] que diront là-bas sous leurs tombes poudreuses De tant de vaillants rois les âmes généreuses ! […] Seigneur, quand l’amour tient une âme alarmée, Il l’attache au péril de la personne aimée. […] Car, il évoquait à propos de ce poète, ces âmes violentes et malheureuses que le destin sacrifie à l’avenir. […] À la vérité, il pouvait bien se sentir une âme sur le point de faire éruption.

1195. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Voit-il bien le fond de leur âme ? […] Il ne voit pas le fond de ces âmes, parce que les âmes de ces héros n’ont aucune profondeur. […] Les âmes moyennes, voilà, encore un coup, ce qu’étudie Le Sage ; et les âmes moyennes sont, de toutes les âmes, celles qui sont le moins des âmes. […] Croit-il à l’immortalité de l’âme, ou à l’âme purement matérielle et mortelle ? […] Il lui manquerait une âme.

1196. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Ce n’est pas une âme méchante. […] Julien n’a l’âme ni méchante, ni vulgaire ; il a l’âme dépravée. Il veut arriver coûte que coûte, et déteste de toute son âme ceux qui sont entre lui et le but. […] Instructif surtout sur l’âme de Sainte-Beuve. […] C’était une âme faible, malgré son activité intellectuelle et sa puissance de travail.

1197. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Blanchecotte, Augustine-Malvina (1830-1897) »

Elle peut dire avec vérité : « Ma pauvre lyre, c’est mon âme ». […] C’est la même imagination confiante, le même élan continu vers la sympathie du lecteur… Mme Blanchecotte est encore, parmi nos modernes, un de ceux qui ont le plus gardé des traditions de poésie subjective ; mais les Militantes marquent un grand progrès, et, de cette personnalité un peu mélancolique, trop attachée, selon nous, à la lettre de sa souffrance, l’auteur commence à se dégager vers les régions supérieures où l’âme de chacun se fond et se disperse dans la vie de tous.

1198. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Manuel, Eugène (1823-1901) »

Manuel : l’un vient du fond d’une vie sincère, souvent troublée, mais plus forte que ses troubles, et d’une âme virilement attachée au devoir, défendue, par lui, contre les lâches défaillances ; l’autre vient, non plus de ces profondeurs émues de l’existence humaine, mais des hauteurs de la pensée pure, de ces sommets sacrés où l’esprit se sent plus voisin de l’infini. Bien que l’une de ces inspirations domine, elles se rencontrent, à plusieurs reprises, sans se confondre, dans l’émotion du poète : chacune a son contrecoup distinct dans l’âme du lecteur.

1199. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pichat, Laurent = Laurent-Pichat, Léon (1823-1886) »

Caractère chevaleresque, âme à la fois rêveuse et active, rien de ce qui est beau ne lui est indifférent. […] Poète de combat, il l’est dans ses romans et ses nouvelles de haut goût et de psychologie supérieure, où il traduit sans phrases ni sermon, par la simple analyse des âmes et des choses, l’incessante préoccupation de son esprit généreux.

1200. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pommier, Amédée (1804-1877) »

Jules Barbey d’Aurevilly Il est des poètes comme, par exemple, M. de Lamartine, dont je serais au désespoir de diminuer la grandeur, qui n’ont pour ainsi dire qu’une âme de profil ; mais celle du poète qui a osé écrire l’Enfer après Dante et qui vient de chanter Paris, est une âme de face, largement ouverte à toutes les émotions et à tous les contrastes, qui sait rire jusqu’aux lapines et pleurer jusqu’au rire, comme pas un de bous !

1201. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VIII. Des Anges. »

Le merveilleux chrétien, d’accord avec la raison, les sciences et l’expansion de notre âme, s’enfonce de monde en monde, d’univers en univers, dans des espaces où l’imagination effrayée frissonne et recule. […] Rien n’empêche d’accorder à ces esprits bienfaisants des marques distinctives de leurs pouvoirs et de leurs offices : l’Ange de l’amitié, par exemple, pourrait porter une écharpe merveilleuse, où l’on verrait fondus, par un travail divin, les consolations de l’âme, les dévouements sublimes, les paroles secrètes du cœur, les joies innocentes, les chastes embrassements, la religion, le charme des tombeaux, et l’immortelle espérance.

1202. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

II Qu’entendons-nous par un moi, en d’autres termes, par une personne, une âme, un esprit ? […] Chez les peuples barbares, dans les âmes incultes et enfantines, beaucoup de souvenirs faux prennent ainsi naissance. […] La plupart des légendes, surtout les légendes religieuses, se forment de la sorte. — Un paysan dont la sœur était morte hors du pays m’assura qu’il avait vu son âme, le soir même de cette mort ; examen fait, cette âme était une phosphorescence qui s’était produite dans un coin, sur une vieille commode où était une bouteille d’esprit-de-vin. — Le guide d’un de mes amis à Smyrne disait avoir vu une jeune fille apportée en plein jour à travers le ciel par la force d’un enchantement ; toute la ville avait été témoin du miracle ; après quinze heures de questions ménagées, il fut évident que le guide se souvenait seulement d’avoir vu ce jour-là un petit nuage dans le ciel. — En effet, ce qui constitue le souvenir, c’est le recul spontané d’une représentation qui va s’emboîter exactement entre tel et tel anneau dans la série des événements qui sont notre vie. […] Blake, le poète et le dessinateur72 qui évoquait les morts illustres, causait avec eux « d’âme à âme » et, comme il disait, « par intuition et magnétisme ». — On reconnaît aisément que ces idées qu’ils attribuent à autrui leur appartiennent. […] Nous frappons un chien, et aussitôt nous l’entendons crier ; entre cette condition de douleur et ce signe de douleur perçus tous deux avec certitude, nous insérons, par conjecture, une douleur semblable à celle que nous aurions ressentie en pareil cas. — Grâce à ces suggestions et à ces vérifications continues, l’univers extérieur, qui n’était encore peuplé que de corps, se peuple aussi d’âmes, et le moi solitaire conçoit et affirme autour de lui une multitude d’êtres plus ou moins pareils à lui.

1203. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

La voix, ce timbre de l’âme, m’émut plus encore que la beauté. […] Peu importaient les paroles ; le timbre parlait de lui-même : c’était une âme répandue dans l’air qui vous caressait de sons. […] La fortune seule lui avait manqué pour tenir le premier rang parmi les salons littéraires de l’Europe ; elle avait assez de flamme pour illuminer seule dix salons ; elle donnait de l’âme à tout ce qui l’approchait. […] Dans les Mémoires d’outre-tombe l’homme pose, l’homme s’affiche, l’homme s’étale ; dans cette correspondance l’homme se révèle, ou plutôt il se trahit involontairement dans l’épanchement de son âme. […] C’est cette température de l’âme qui conserve la beauté du corps comme la sérénité de l’esprit.

1204. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

La nouveauté, sans doute, pour des citadins surtout ; l’aspect si rapproché de la mort, de la solitude, de l’éternel silence ; notre existence si frêle, si passagère, mais vivante et douée de pensée, de volonté et d’affection, mise en quelque sorte en contact avec la brute existence et la muette grandeur de ces êtres sans vie, voilà, ce semble, les vagues pensers qui attachent et qui secouent l’âme à la vue de cette scène et d’autres pareilles. […] Poésie sourde, mais puissante, et qui, par cela même qu’elle dirige la pensée vers les grands mystères de la création, captive l’âme et l’élève. […] Des vieillards, des petits garçons, des jeunes filles, des mères et leurs nourrissons ; toutes les poses de la dévotion naïve, du recueillement craintif, de l’humilité respectueuse ; toutes les attitudes de la fatigue qui s’endort, de l’attention qui se lasse, et aussi de cette oisiveté de l’âme pour laquelle le culte catholique ne se montre jamais sévère, à la condition que les doigts roulent les grains d’un chapelet et que la langue murmure des prières. Et ne croyez pas que ce dernier mot soit une épigramme ; car tout aussitôt, dans une page très belle et pleine d’onction, tout en réservant son principe de foi, il va rendre hommage à ce trait d’ingénue et d’absolue soumission qui est obtenue plus facilement par la religion catholique et qui procède du dogme établi de l’autorité même ; il y reconnaît un vrai signe de l’esprit religieux sincère : Et en effet, dit-il, être chrétien, être vrai disciple de Jésus-Christ, c’est bien moins, à l’en croire lui-même, admettre ou ne pas admettre telle doctrine théologique, entendre dans tel ou tel sens un dogme ou un passage, que ce n’est assujettir son âme tout entière, ignorante ou docte, intelligente ou simple, à la parole d’en haut, pas toujours comprise, mais toujours révérée. […] Près de mourir, Töpffer reviendra sur cette idée d’assujettissement, d’acquiescement intime et volontaire qui était le trait essentiel de sa foi : « Qui dispute, doute ; qui acquiesce, croit… Je crois et je me confie, deux choses qui peuvent être des sentiments vagues, sans cesser d’être des sentiments forts et indestructibles. » Dès le temps où il visitait la Grande-Chartreuse, Töpffer, voyant ce renoncement absolu qui imprime le respect et une sorte de terreur, s’était posé dans toute sa précision le problème qui est fait pour troubler une âme préoccupée des destinées futures : le chartreux, le trappiste, en effet, le disciple de saint Bruno ou de Rancé vit chaque jour en vue de sa tombe, tandis que d’autres, la plupart, ne vivent jamais qu’en vue de la vie et comme s’ils ne devaient jamais mourir : Destinée étrange que celle de l’homme !

1205. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Rassemblez en idée toutes les fameuses éducations royales : je ne sais comment s’y prenait Aristote pour dompter et diriger, tout en l’enflammant, la jeunesse tumultueuse et l’âme affamée de gloire d’un Alexandre. […] Toutes les âmes dignes d’être appelées des âmes ont en elles un sentiment dominant qui peut se représenter par un poète. […] Fénelon, grâce sans doute et surtout au christianisme et aux moyens qu’il fournit d’humaniser les âmes, réussit pour le duc de Bourgogne ; mais il n’y réussit pas moins à l’aide de Virgile, en empruntant bien des fois et en répétant les divins accents de celui à qui, dans le plus heureux de ses Dialogues, il disait par la bouche même d’Horace : « Vous embellissez et vous passionnez toute la nature. » Quand le démon était près de ressaisir le jeune furieux, c’est avec du Virgile qu’il le calmait, comme David faisait pour Saül avec sa harpe. […] Fénelon avait reconnu dans l’âme de son élève un coin propice à la culture virgilienne, et il s’en empara.

1206. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Aller en Grèce dès 1824, c’était, pour bien des âmes lassées et rassasiées de tout, le réveil moral, la guérison des passions factices, des vagues ennuis ; — pour le vieux soldat des grandes guerres, c’était retrouver un digne emploi de son épée non rouillée encore ; — pour le jeune homme en proie aux lâches oisivetés et aux inoccupations rongeantes, c’était la réalisation inespérée d’un beau rêve, cette fois saisissable et palpable ; c’était le baptême et la consécration pour une grande cause. Les Renés n’avaient plus de raison d’être ; les marquis de Posa désormais n’étaient plus en peine ; les âmes chevaleresques comme Santa-Rosa avaient leur destination toute trouvée : elles savaient où aller se dévouer et mourir. […] Elle est si froidement douce, si mortellement belle, qu’on se sent tressaillir ; car l’âme ici est absente. […] Ce qu’il faut dire à son éternel honneur, c’est qu’il partit prévoyant sa fin, ne se faisant pas plus illusion alors que le premier jour sur le caractère et les défauts de ceux qu’il allait servir, s’étant tout dit sur les lenteurs et les misères de tout genre inhérentes à une telle entreprise : « Je n’ai pas de bourdonnement poétique aux oreilles, je suis trop vieux pour cela ; des idées de ce genre ne sont bonnes que pour rimer. » — « Je ne m’aveugle pas sur les difficultés, les dissensions, les défauts des Grecs eux-mêmes ; mais il y a des excuses pour eux dans l’âme de tout homme sensé. […] Mme de Gasparin, âme ardente, promeneuse naïve et originale, et qui se porte elle-même tout entière partout, est par trop occupée, en posant le pied à Corinthe, de rendre grâces en style biblique, et, en face du Parthénon, de discuter pour ou contre l’utilité des missionnaires.

1207. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Doué d’une imagination riche et facile, d’une âme tendre et pure, de bonne heure nourri d’études classiques, M. […] La génération à laquelle il appartient avait besoin, elle a besoin encore d’un interprète qui exprime en traits de feu cette âme poétique qu’elle sent s’agiter confusément en elle, d’un prophète qui lui dévoile cet avenir de science et de liberté auquel elle aspire. […] C’eût été une tentative moins facile et plus belle d’aborder l’âme du grand homme, de la retracer, non point par des expressions générales qui conviendraient aussi bien au métromane durant la représentation de sa tragédie, mais par une analyse rapide et forte qui ne convînt qu’au seul Colomb entre tous ; de nous le reproduire tel qu’il dut être, doutant par moments de lui-même, de ses inductions, de ses calculs, et se laissant aller à de mortelles défaillances, puis recommençant avec anxiété et les calculs et les inductions, s’enhardissant à mesure qu’il les recommence, et, certain encore une fois de sa conclusion, se relevant avec un geste sublime, comme plus tard Galilée quand il s’écriait : Et pourtant elle tourne ! […] Toutefois la belle âme de M. […] L’onction antique respire surtout dans ce vœu d’une âme tendre : O champs de Pressagni, fleuve heureux, etc.

1208. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Des sentiments de famille naturels et purs, une facilité de talent non combattue, bientôt l’émotion rapide, mobile, du plaisir et de la rêverie, c’est là le fonds entier de sa jeunesse, ce sont les caractères qui, en simples et légers délinéaments, pour ainsi dire, vont passer de l’âme de Millevoye dans sa poésie. […] Millevoye n’a pas l’invention du style, l’illumination, l’image perpétuelle et renouvelée ; il a de l’oreille et de l’âme, et, quand il dit en poëte amoureux ce qu’il sent, il touche. […] Elle, sensible bergère, pour emprunter à son poëte même des traits qui la peignent, elle est assez belle aux yeux de l’amant si, au sortir de la grotte bocagère où se sont oubliées les heures, elle rapporte Un doux souvenir dans son âme, Dans ses yeux une douce flamme, Une feuille dans ses cheveux. […] J’avais lu la plupart de ces petits chants, j’avais lu ce Charlemagne, cet Alfred, où il en a inséré ; je trouvais l’ensemble élégant, monotone et pâli, et, n’y sentant que peu, je passais, quand un contemporain de la jeunesse de Millevoye et de la nôtre encore, qui me voyait indifférent, se mit à me chanter d’une voix émue, et l’œil humide, quelques-uns de ces refrains auxquels il rendit une vie d’enchantement ; et j’appris combien, un moment du moins, pour les sensibles et les amants d’alors, tout cela avait vécu, combien pour de jeunes cœurs, aujourd’hui éteints ou refroidis, cette légère poésie avait été une fois la musique de l’âme, et comment on avait usé de ces chants aussi pour charmer et pour aimer. […] Si l’on pouvait apporter de la précision dans de semblables aperçus, je m’exprimerais ainsi : Pour les sentiments naturels, pour la rêverie, pour l’amour filial, pour la mélodie, pour les instincts du goût, l’âme, le talent de Millevoye est comme la légère esquisse, encore épicurienne, dont le génie de Lamartine est l’exemplaire platonique et chrétien.

1209. (1903) Zola pp. 3-31

Les choses avaient pour lui, non pas encore une âme, mais déjà une physionomie assez précise et surtout qu’il aimait à regarder et qu’il s’essayait à rendre. […] On étudie l’homme pour en avoir une idée bien incomplète, mais encore une idée ; dans les psychologues, dans les moralistes, dans les philosophes, pour voir quelle idée générale il se fait de l’ensemble des choses et par conséquent quelles sont les tendances générales, très différentes, du reste, de son âme ; dans les historiens, pour voir ce qu’il a été aux différents temps, ce qui élargit et complète et fait plus vraie la notion qu’on peut avoir de lui ; en lui-même enfin, ce qui n’est qu’une façon de parler et ce qui veut dire qu’on regarde avec attention ses amis, ses voisins et les gens que l’on rencontre. […] Comme chez les romantiques et comme chez Victor Hugo en particulier, les hommes étaient peu vivants et les choses, en revanche, prenaient une âme, devenaient des êtres mythologiques et monstrueux, que ce fût le parc du Paradou, l’alambic de l’Assommoir, l’escalier et la cour intérieure de Pot-Bouille, le grand magasin du Bonheur des Dames, le puits de mine de Germinal, la locomotive de la Bête humaine. […] La grande âme contemptrice et désolée de Chateaubriand, si souvent retrouvée partiellement par Musset, par Gautier, par Vigny, par Lamartine lui-même, le tempérament neurasthénique des romantiques, est l’âme même, intime et profonde, du romantisme ; et si Vigny est considéré à présent, plus que tout autre, comme le représentant du romantisme, c’est que du romantisme il a négligé le magasin des accessoires, mais exprimé plus fortement que personne l’esprit même.

1210. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Il y a des formes d’âmes qui correspondent à chacune des préférences que l’artiste marque en ces matières. […] Les âmes de Flaubert et de Leconte de l’Isle nous sont connues ; le pessimisme ironique de l’un, hautain de l’autre, leur amour d’une sorte de beauté opulente, barbare et dure, leur fuite vers les époques lointaines qui la réalisent et leur mépris tacite ou haineusement exprimé pour les temps modernes qui la nient, sont autant de traits aisément discernables de leur physionomie morale, que leur œuvre cache mais moule. […] Il ne sert à rien de savoir que tel artiste était ambitieux, amer et bas, que tel autre a une âme d’homme d’affaires, que Stendhal, par exemple, est un homme tendre, cosmopolite, philosophe sensualiste. […] Il s’agit d’émettre sur le jeu et la nature des gros organes de cette âme, une supposition qui nous permette de la figurer telle qu’elle puisse être la cause des manifestations constatées. […] La réponse à ce problème donnera, avec une vraisemblance considérable, une notion exacte, complète et définie de l’âme de l’artiste que l’on veut connaître, prise en pleine existence, en pleine activité, dans l’exercice même de ses facultés, saisie eu son ensemble avec tout ce qu’y auront déposé l’hérédité, l’éducation, le milieu, les hasards de la carrière, l’imitation, figurée en un mot, non pas comme une abstraction factice et après soustraction de certains éléments qu’on aurait tort de prétendre étrangers, mais en sa vie propre et dans l’ensemble des conditions qui l’ont constituée.

1211. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Cousin est une aristocratie, et la haute naissance, il est vrai, enseigne la fierté, parfois la grandeur d’âme, toujours l’élégance et les belles manières ; avec la richesse elle donne la sécurité, le loisir, le goût pour les occupations de l’esprit ; elle fait des hommes du monde, des hommes de guerre, des hommes de cour, et quelquefois des hommes de cœur. […] Le premier sait ranimer les morts ; les sentiments éteints reparaissent dans son âme ; il ne déduit pas logiquement une idée d’une autre ; il ne construit pas noblement de larges périodes ; il n’essaye pas de conduire régulièrement un auditoire d’esprits pesants vers une vérité lointaine : il n’est pas maître de lui-même : il y a quelque chose de fiévreux dans son inspiration. […] Ces mots magiques, nul raisonnement, nulle science ne les découvre ; ils sont le langage de l’imagination qui parle à l’imagination ; ils expriment un état extraordinaire de l’âme qui les trouve, et mettent dans un état pareil l’âme qui les écoute ; ils sont la parole du génie ; ils ne sont donnés qu’à l’artiste, et changent la triste langue des analyses et des syllogismes en une sœur de la poésie, de la musique et de la peinture. […] Mais quand à Mme de Longueville ou à Mlle de La Vallière on ose comparer Mme de Maintenon avec les calculs sans fin de sa prudence mondaine et les scrupules tardifs d’une piété qui vient toujours à l’appui de sa fortune, nous protestons de toute la puissance de notre âme.

1212. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Revoici l’âme, le mérite, le démérite et tout le jargon des marchands d’orviétan spiritualiste. […] Des âmes parlent à des âmes ; l’idéal descend sur le peuple. […] Nulle illusion n’était laissée aux hommes ni sur eux-mêmes ni sur le maître de leurs âmes. […] Aux temps de la foi, on appelait les prêtres les médecins des âmes. […] De jeunes âmes, qui consentiraient à n’être pas tout à fait semblables à des âmes voisines dont elles connaissent les faiblesses, rougissent qu’on les suppose incapables d’égaler, au moins d’intention, les belles âmes de jadis.

1213. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Comment a-t-on pu élever son âme jusqu’à voir avec transport ces farces monstrueuses, écrites par un histrion barbare dans un style d’Allobroge ? […] Multipliez les âmes sensibles, et vous multiplierez dans la même proportion les éloges et les blâmes outrés368. […] Plaute avait l’âme romaine. […] Est-ce ta faute, après tout, si tu n’as pas eu l’âme et l’intelligence plus larges ? […] « Le critique est le naturaliste de l’âme.

1214. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

Une douce mélancolie répandue sur ses traits exprimait la beauté de son âme ; elle semblait plaindre tous les malheureux et leur annoncer un consolateur. […] On n’y vit que les rêves d’une âme pieuse ; on ne lui demanda pas compte des réalités. […] Leur affection mutuelle et celle de leurs mères occupaient toute l’activité de leurs âmes. […] s’écriait-il ; la beauté de votre âme a passé dans votre ouvrage. […] Il avait laissé parler son âme, et son âme, répondant à l’universalité des cœurs de toutes les nations, avait étouffé à l’instant toutes les chimères, toutes les fantaisies, tous les systèmes, et donné la parole à Dieu qui parle par le sentiment.

/ 3036