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1004. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

Aussi les négociants vivaient-ils comme des princes dans les grands hôtels que l’architecte Louis leur avait construits. […] Condamné à vivre loin de sa Zani, plus que morte pour lui, Aubanel se fit zouave pontifical. […] Tout, dans ce roman, est actuel : les personnages, s’ils ne vivent pas sous les noms que la malignité publique leur a tout de suite prêtés, vivent fragmentairement en plusieurs de nos hommes politiques. […] Elle vivait encore, pour le moment, en traduisant du Darwin à l’usage des revues et des journaux, et répondait au nom enfantin de Lillette. […] Seulement, tout ce théâtre est-il viable, je ne dis pas en tant qu’œuvre d’art — celles-ci parviennent toujours à vivre pour une élite — mais en tant que théâtre ?

1005. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Il vécut à Paris, à Louvain, à Londres, à Oxford. […] Elle vivait ; tout à coup, elle ne vit plus. […] Mais c’est plutôt par là qu’elle avait l’air de vivre encore, puisqu’on n’aimait que cela ! […] En somme, je lui reproche de dire : « La tragédie ne pouvait plus vivre », au lieu de « La tragédie ne vivait plus », et : « Le drame devait naître », au lieu de : « Le drame naquit. » Je veux croire que ce n’est qu’une nuance. […] Doucement, il insinue à sa fille qu’elle devrait bien abdiquer pour vivre en repos.

1006. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — J. — article » p. 529

Il vécut sous sept Regnes différens, & fut employé dans les Négociations les plus importantes, où il montra toujours autant d’intelligence que de probité.

1007. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Pour mieux m’expliquer là-dessus, je n’ai qu’à transcrire les lignes suivantes que je trouve dans un volume inédit de Pensées : « Quand on critique aujourd’hui un auteur, un poëte, un romancier, il semble qu’on lui retire le pain, qu’on l’empêche de vivre de son industrie honnête, et l’on est près de s’attendrir alors, de ménager un écrivain qui ne produit que pour le vivre et non pour la gloire.

1008. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alexandre Dumas. Mademoiselle de Belle-Isle. »

J’ai ouï dire à quelques vieillards qu’à leur sens, l’époque où il aurait été le plus doux et le plus amusant de vivre, eût été à partir de 1715 environ, dans toute la longueur du siècle, et en ayant bien soin de mourir à la veille de 89. […] Depuis les Mémoires de Saint-Simon, qui ne s’attendait guère, le noble duc, à ces ovations finales de vaudeville (s’il l’avait su, de colère il en aurait suffoqué), jusqu’à ce qu’on appelle les Mémoires du duc de Richelieu et contre lesquels s’élevait si moralement Chamfort, plus que rongé pourtant des mêmes vices ; dans toutes ces pages on taille aujourd’hui à plaisir, on découpe des sujets romanesques ou galants, on prend le fait, on invente le dialogue : ici serait l’écueil si le théâtre n’avait pas ses franchises à part, si ceux qui écoutent étaient les mêmes tant soit peu que ceux qui ont vécu alors ou qui ont vu ce monde finissant.

1009. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Les chants d’Ossian (Barde, qui vivait dans le quatrième siècle) étaient connus des Écossais et des hommes de lettres en Angleterre, avant que Macpherson les eût recueillis. […] Mallet ; et il suffira de lire la traduction de quelques odes du neuvième siècle qui y sont transcrites, celle du roi Régner-Lodbrog, de Harald-le-Vaillant, etc., pour se convaincre que ces poètes scandinaves chantaient les mêmes idées religieuses, se servaient des mêmes images guerrières, avaient le même culte pour les femmes que le barde d’Ossian, qui vivait près de cinq siècles avant eux.

1010. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XV. La commedia dell’arte au temps de Molière et après lui (à partir de 1668) » pp. 293-309

Aurelia quitta le théâtre en 1683 : elle vécut jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans et mourut en 1703, époque où Mademoiselle Belmont, femme de son petit-fils, se souvenait d’avoir vu, dans son lit, toujours et extrêmement parée, l’ancienne favorite de la reine Anne d’Autriche. […] Né en 1608, il vécut encore trois années après avoir quitté la scène.

1011. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « F.-A. Cazals » pp. 150-164

Il note encore : Qu’ici pour bien vivre il faut s’y            Prendr’ d’avance ! […] Sans fortune, n’ayant pour vivre qu’un modeste emploi, quelque part dans un ministère, il s’était mis tout à coup en tête d’éditer à ses frais les poètes inconnus, et le plus extraordinaire c’est qu’il arrivait à vendre ses volumes, mais il voulut aller trop vite.

1012. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

Jésus vivait avec ses disciples presque toujours en plein air. […] Les accessoires de la vie y sont insignifiants auprès du plaisir de vivre.

1013. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Françoise. » pp. 159-174

Mais, lui répond-on, les Bavius & les Mævius, les Pradon & les Cotin, ont vécu dans le même temps & sous le même climat que ces grands hommes, dont les productions sublimes ont si fort honoré leur patrie, & font un étonnant contraste avec celles de leurs imbécilles rivaux. […] l’ignorance & quelquefois même le mépris des grands modèles ; 4°. la manie qu’ont les uns d’être auteurs, & les autres connoisseurs ; 5°. le défaut capital de ne pas sçavoir connoître son genre de talent, & s’y renfermer ; 6°. l’imprudence d’applaudir trop tôt à de jeunes auteurs qu’on perd au lieu d’encourager ; 7°. la nécessité des besoins, ne faut-il pas commencer par vivre avant que de songer à devenir immortel ?

1014. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 9, des obstacles qui retardent le progrès des jeunes artisans » pp. 93-109

De tous les poëtes qui se sont acquis un grand nom, Lucain est le seul, autant qu’il m’en souvient, qui dès sa jeunesse ait pû vivre dans l’abondance. […] Si Virgile avoit vécu dans un temps, sans Auguste, sans Mécene, et sans concurrens, Virgile auroit bien été déterminé par l’impulsion du génie, et par le desir de se distinguer à cultiver son talent.

1015. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 12, des siecles illustres et de la part que les causes morales ont au progrès des arts » pp. 128-144

J’appelle donc des causes morales de la perfection des arts, la condition heureuse où se trouve la patrie des peintres et des poëtes lorsqu’ils fournissent leur carriere ; l’inclination de leur souverain et de leurs concitoïens pour les beaux arts ; enfin, les excellens maîtres qui vivent de leur temps, dont les enseignemens abregent les études et en assurent le fruit ? […] Les compatriotes des grands artisans, peuvent-ils donner aux beaux arts cette attention qui les encourage avec tant de succès, s’ils ne vivent pas dans un temps où il soit permis aux hommes d’être plus attentifs à leurs plaisirs qu’à leurs besoins.

1016. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

Un esprit de cette gravité, de cette conscience, dédaignerait, après les grands travaux qu’il a publiés, de jeter au public les larves d’une pensée qui vivrait ailleurs, forte, organisée et complète. […] Il concentre la haine universelle, et de cette haine universelle dont Dieu est l’objet, il est résulté dans les âmes, dans les mœurs, dans les probités, l’écroulement de tout ce qui vivait et se tenait autrefois.

1017. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Marie-Antoinette » pp. 171-184

nous ne faisons pas responsable de ces horreurs cette partie de la nation qui vivait dans l’ordre et dans la famille ; mais tout ce qui à la Cour était pour les maîtresses, comptait sur les maîtresses et vivait par elles, entra dans cette immense insulte conspirée contre Marie-Antoinette ; oui !

1018. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XII. Marie-Antoinette, par MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 283-295

Certes, nous ne faisons pas responsable de ces horreurs cette partie de la nation qui vivait dans l’ordre et dans la famille ; mais tout ce qui à la Cour était pour les maîtresses, comptait sur les maîtresses et vivait par elles, entra dans cette immense insulte conspirée contre Marie-Antoinette : oui, même ceux qui aimaient le roi, même les royalistes.

1019. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

C’est celui où Julien se dit en parlant de la femme qu’il aime et en mettant un pistolet chargé dans sa poche : « Je la presserai dans mes bras ce soir, ou je me brûlerai la cervelle. » À chaque péril qui peut le démoraliser, à chaque fatigue qui tombe sur son âme, Vaublanc a mieux que le pistolet de Julien ; il a son mépris qu’il se parle et qu’il se tient toujours chargé sur le cœur. « Tu es un lâche si tu fais cela », dit-il, et il ne le fait pas, le noble homme ; et il continue de vivre dans des conditions d’existence intolérables, traqué, mourant de faim, persécuté de gîte en gîte, mais ne voulant pas émigrer et ne voulant pas que ses ennemis qui le poursuivent pour le jeter à l’échafaud, aient plus d’esprit que lui en le prenant ! […] Mirabeau, le Mirabeau des Mémoires de La Mark (l’autre, nous voudrions l’oublier), celui qui disait : J’emporte en mourant les lambeaux de la monarchie, les emportait-il en effet, et aurait-il, s’il eût vécu, tenu le sublime et imprudent marché, souscrit aux pieds de Marie-Antoinette ?

1020. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Doctrinalement et de conviction, Ranke est toujours le même : un Allemand, un penseur politique, qui a plus ou moins vécu à l’ombre des philosophies de son pays. […] Ranke, dont le Protestantisme a subi l’action des doctrines philosophiques qui tendent à le remplacer, n’est pas même le fantôme d’Agrippa, cet homme qui vécut si fort, et qui s’étonnerait, s’il revenait au monde, que la question religieuse qui dominait les esprits des grands protestants du xvie  siècle, ne fût plus la question première pour les historiens, leurs successeurs.

1021. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

Car la punition des sophistes qui vivent sur les idées chrétiennes, c’est de ne pouvoir longtemps en vivre.

1022. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Si Bourdaloue et Bossuet avaient vu de telles choses, ils ne prêcheraient point, croyez-le bien, comme ils prêchaient devant un roi tranquille qui vivait et s’endormait dans la mort, avec cette pensée que sa race était immortelle. […] Publiciste de celui qui a dit : Gardez mes commandements, et vous vivrez, sur quel article du Décalogue baserez-vous la longévité politique de l’établissement impérial ?

1023. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Ces jeunes gens qui ne croient, comme on dit, ni à Dieu ni à Diable, et qui font des vers dans le genre de ceux-ci, lesquels d’ailleurs, sont beaux, à deux taches près : Les dieux et les héros ne sont plus de ce temps ; Et, désormais fermés aux grandes espérances, Nous vivons trop nos deuils, nos plaisirs, nos souffrances, Pour sonder du regard les cieux inquiétants. […] Vous rappelez-vous cette page inouïe de Jean-Paul, dont le sublime transportait madame de Staël, quand, au Jugement dernier, il peint le désespoir des âmes qui auront vécu en Jésus-Christ sur la terre et compté sur le ciel pour prix des plus cruelles vertus, lorsqu’elles entendront une voix sortant des profondeurs de l’Infini, qui criera par tout Josaphat : Vous vous êtes trompés !

1024. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXV. Des éloges des gens de lettres et des savants. De quelques auteurs du seizième siècle qui en ont écrit parmi nous. »

Il y a des hommes grands pendant qu’ils vivent, et qui ne sont pas toujours sûrs de l’être après la mort. […] Ils avaient vécu quarante ans dans l’union la plus étroite, l’orateur se plaint, en commençant son éloge, de ce qu’il rend un si triste devoir à un ami, dont il aurait voulu n’être point séparé, même à la mort ; et en finissant, il s’écrie, dans la manière antique : « Je te salue, ombre vertueuse !

1025. (1930) Le roman français pp. 1-197

Elles vivent comme vivait la petite bourgeoisie d’autrefois. […] ” Et l’autre répondait : “J’ai moins d’années à vivre : frappe au cœur, et n’y pense plus !” […] Mais l’un des Tharaud a longtemps vécu en Hongrie. […] Il comprend les pauvres femmes qui vivent de leur corps, et qui n’ont pas beaucoup de cervelle. […] Livrée à elle-même, elle était incapable de vivre.

1026. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chebroux, Ernest (1840-1910) »

J’ai vu avec un vif plaisir, par l’accueil qui vous a été fait à Lyon, qu’on y apprécie comme il convient un genre de poésie intimement lié à la musique et par cela même très expressif, à la condition de faire bénéficier l’esprit de cette alliance, au lieu de l’abaisser à des farces ridicules et stupides comme celles dont vivent les cafés-concerts.

1027. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fertiault, François (1814-1915) »

Sainte-Beuve Je ne ferai que passer devant vous, couple conjugal qui unissez vos deux voix ; qui, après avoir perdu un enfant, votre unique amour, l’avez pleuré dans un long sanglot, et qui, cette fois, inconsolés encore, mais dans un deuil apaisé, avez songé à lui en composant des chants gradués pour les divers âges, continuant ainsi en idée, d’une manière touchante, à vous occuper, dans la personne des autres, de celui qui n’a pas assez vécu pour nous.

1028. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hinzelin, Émile (1857-1937) »

. — Raisons de vivre (1894). — Le Huitième Péché (1895). — Labour profond (1897). — Toute une année (1898).

1029. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » p. 332

Si cet Auteur est mort pour son compte, il vivra du moins à la faveur d’une Production étrangere, & son nom pourra figurer parmi ceux des Editeurs faciles & indulgens à l’égard des Ouvrages qu’ils donnent au Public.

1030. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bernard, Charles (1875-1961) »

Georges Rency Charles Bernard, un des nôtres, dont la Belle Douleur m’a charmé, nous donna jadis Et chanta la feuillée, poème exquis, suite de sensations merveilleuses et délicates, qui vivaient pour elles-mêmes, et que n’unissait le lien d’aucune idée.

1031. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Piron l’eût écrite s’il eût vécu ; c’est une protestation un peu crue du Dieu des Jardins contre les oripeaux du poète glacé. […] Il alla passer l’été de 89 en Auvergne, près de sa mère qui vivait, et dans toutes sortes de triomphes. […] Les choses ont bien changé, et de grands revers ont suivi ce triomphe alors unanime, d’un nom poétique qui du moins vivra. […] Molé en remerciement d’un bienfait, d’un secours qu’il accorda, sur notre information, à la sœur de madame Delille qui vivait encore à cette date, et dans un état de gêne voisin de la misère. […] Saint-Lambert avait été élevé à la campagne ; il y avait vécu.

1032. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Il vivait à la campagne, principalement dans l’île de Wight, parmi des livres et des fleurs, à l’abri des tracasseries, des rivalités et des assujettissements du monde, et l’on imaginait volontiers sa vie comme un beau songe, aussi doux que ceux qu’il nous avait donnés. […] Nous avons besoin de vivre dans un autre monde, de voler dans le grand royaume de l’air, de bâtir des palais dans les nuages, de les voir se faire et se défaire, de suivre dans un lointain vaporeux les caprices de leur architecture mouvante et les enroulements de leurs volutes d’or. […] Leur nature est trop riche ; à chaque secousse, il se fait en eux comme un ruissellement de joie, de colère ou de désirs ; ils vivent plus que nous, plus chaudement et plus vite. […] Elles sont le séjour préféré ; Londres n’est qu’un rendez-vous d’affaires ; c’est à la campagne que les gens du monde vivent, s’amusent et reçoivent. […] Il a senti, au moins cette fois dans sa vie, cette tempête intérieure de sensations profondes, de rêves gigantesques et de voluptés intenses dont le désir l’a fait vivre et dont le manque l’a fait mourir.

1033. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

J’aurais tort de m’étonner pourtant, en y réfléchissant, de cette indifférence : c’était naturel ; quand on demande justice ou faveur à son pays, le crime impardonnable, c’est de vivre. […] J’ai vécu selon mon état, comme le conseillent les moralistes et les économistes les plus sévères ; je n’ai jamais eu d’autre luxe que quelques habitations héréditaires, trop vastes pour ma fortune, à la campagne, habitations qu’il ne dépendait pas de moi de démolir sans avilir la valeur et sans anéantir les produits de l’administration rurale de mes terres en vignobles. […] Écoutons à cet égard un homme qui a vécu soixante ans au milieu de ces institutions. […] Le septième de mes enfants mâles était aussi fils de l’impératrice ; il ne vécut que quelques années. […] Je la laissai vivre, et je ne la dégradai point ; j’empêchai seulement, après sa mort, qu’on ne lui rendît les honneurs qu’on a coutume de rendre aux impératrices, sans cependant rendre compte au public des raisons que j’avais pour cela, ne voulant pas la déshonorer à la face de tout l’empire.

1034. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

Je vivais familièrement avec son beau-frère, le prince Aldobrandini, et je voyais habituellement son mari, le prince Borghèse, le Crassus de l’Italie moderne. […] La douce intimité dans laquelle il vivait avec le prince et la princesse suffisait à son existence ; lui-même paraissait nécessaire à leur bonheur. […] La mère est infirme et ne peut vivre longtemps ; la fille est menacée de se voir bientôt seule au monde, ce qui rend sa position si intéressante. […] Une telle puissance de sentir était, pour Robert, une impuissance de vivre. […] Et si vous doutez de son talent, regardez sa vie et regardez sa mort ; il a vécu de ses rêves, il a peint du sang de son cœur, il est mort de son génie.

1035. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Rappelé dans sa famille par son père, Goethe, chez qui l’imagination dominait le sentiment, s’attacha passionnément à sa sœur, âme ardente et souffrante, qui s’attacha elle-même à ce frère comme si elle eût vécu en lui plus qu’en elle-même. […] Le jeune Jérusalem, fils d’un prédicateur renommé de l’Allemagne, y vivait en même temps et dans les mêmes sociétés. […] Nous contractâmes ainsi l’habitude de vivre constamment ensemble ; c’était ensemble que nous parcourions les champs encore humides de rosée, que nous écoutions l’hymne de l’alouette et le gai rappel de la caille. […] dit-il ; irai-je feuilleter ces milliers de volumes pour lire que partout les hommes se sont agités de même pour améliorer leur sort et qu’un homme heureux n’a jamais vécu ? […] Je ne voudrais pas vivre avec son pareil.

1036. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

La mère a mis dans une corbeille les aliments de toute sorte pour ranimer les forces ; elle y place les vivres et le vin qu’elle a versé dans une outre de peau de chèvre. […] Oui, car je le sais, et j’y ai visité deux fois des proscrits intéressants de la littérature ; là vivent aussi quelques hommes de lettres vagabonds, innomés, cachés comme dans des antres, d’où, ils effrayent de leur aspect les pauvres et honnêtes familles de leurs voisins. […] Il pouvait se cacher dans la foule, vivre et mourir incognito ; bonheur qui, par punition du ciel, m’est refusé. […] Il y vécut pendant six semaines, les plus douces peut-être de sa vie, en pleine paix, en plein amour dans la maison, en pleine ombre, en plein soleil dans le jardin, comme ces haltes du voyageur, quand le jour va tomber et qu’il aperçoit déjà les clochers de la ville où le sommeil l’attend, après les lassitudes de la route. […] Mais, méconnu par la foule, il laissait ici-bas ce qui console de vivre, une famille du sang, et des amis, famille de cœur.

1037. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Mais je suis sûr qu’au xixe  siècle, en France, a vécu le plus grand des poètes français et le plus grand peut-être, de tous les poètes : Victor Hugo. […] Ils passent sous silence un Barbey d’Aurevilly, un Jules Vallès, des Erckmann-Chatrian, un Verlaine, un Becque… Si Boileau, Bossuet et Mme de Sévigné avaient vécu au xixe  siècle, tenez pour certain qu’ils les eussent ignorés ou méconnus. […] J’aime mieux que nous ayons vécu. […] À force de se chanter à eux-mêmes, de s’exalter en tant qu’individus, de s’opposer au monde et de se disperser, en s’arrêtant au jeu des apparences, dans l’éparpillement de la sensibilité, ils ne se sont plus tenus dans la mesure, et ils ont vécu et œuvré sans parvenir à se dégager de cette forêt touffue et prodigieuse qui est l’imagination d’une jeunesse ardente. […] Jules Lemaître qui vivait au xixe  siècle était aussi intelligent que Charles Maurras et, certainement, que M. 

1038. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Il était libre de toute espèce d’emploi et pouvait ne vivre que pour l’art seul. […] Wagner écrit (VI, 381) : « De tout ceci il me resta un sentiment assez mal défini, mais pour que mon art puisse vivre, il y aurait peut-être lieu de rechercher d’autres conditions de vie que celles auxquelles jusqu’alors j’avais été réduit à l’acclimatiser. » Or, quelles étaient ces conditions auxquelles jusqu’alors il avait été réduit ? […] A la fin de ce même premier duo, par exemple, il y a soudainement un pianissimo et nous percevons très bien les mots qui résument, autant que cela se peut, les sensations de Tristan et d’Isolde à ce moment : « Oh désir, non illusoire, mais délicieusement conscient, de ne plus jamais nous réveiller. » II en est de même du second duo : « Ainsi nous mourûmes, pour ne vivre que pour l’amour, inséparés, unis à jamais, sans fin, sans réveil, sains crainte, sans nom dans le sein de l’amour, livrés tout à nous-mêmes »91. […] C’est de nous débarrasser du désir de vivre (des Willens zum Leben) et la douleur nous y pousse. […] Ainsi l’homme, dans son désir de vivre, ne comprend pas le spectacle que lui présente la vie : il en ignore et veut en ignorer le sens.

1039. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Il en est de même de toute œuvre d’art ; tout ce qui est vraiment vivant est sujet, pour vivre, à de multiples et délicates conditions. […] Wagner a prévu, il y a longtemps, que « l’œuvre d’art de l’avenir ne pourra vivre pleinement que lorsque le drame ordinaire et l’opéra seront devenus impossibles ». […] Wagner, après avoir démontré la nécessité d’une réforme de l’art, a bâti cette baraque en bois, laquelle, tant par les détails de sa construction que par sa position loin de toute grande ville, est jusqu’ici l’unique endroit où son art pourrait vivre ; et il nous a légué des œuvres qui réalisent plusieurs des formes possibles du nouveau drame ; il ne pouvait faire plus pour nous. […] L’art que voulait Wagner ne pourrait vivre entièrement, pleinement que « par la volonté de tous les artistes réunis », et par la volonté du public qui se joindrait à celle des artistes, c’est ce que très peu comprennent, tant parmi les artistes que parmi le public. […] Voilà mes modestes hypothèses, monsieur, je songe souvent à la consolante joie qu’aurait Wagner, s’il vivait encore, en voyant nos Wagnériens et leur wagnérisme.

1040. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

De quoi vivre ! […] Et les joncs piqués d’iris jaune, et la feuillée verte, et le ciel bleu, et les nuages blancs, semblables à des ventres de cygnes nageurs dans le ciel, tout se mire et tremble, en reflets remuant dans une moire de lumière, et l’eau qui va, roule la gaieté des choses, la splendeur claire du beau temps, — traversée à tout moment, de la tache faite par le vol rapide d’un oiseau, heureux de vivre. […] je les ai vues… mais je n’y ai pas vécu, je n’y ai pas vécu !  […] Enfin on l’a recousue, on a noué tout cela avec du fil et des épingles… Ça ne fait rien, je t’assure que je vivrais cent ans, je n’oublierai pas ce que c’est qu’une opération césarienne. […] Il y a eu le monde des sots au moyen âge, il nous semble vivre dans le monde des gogos et des abonnés… Il nous faudrait, pour nous distraire, je ne sais quel grand sens dessus dessous… que le monde dansât quelques jours sur la tête… Avec cela une vue nette de cette carrière ingrate, abominable et adorée, les lettres : cette carrière qui vous fait souffrir, comme une maîtresse, qui se donnerait à des domestiques.

1041. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Les seuls romans qui essaient de rendre la manière de vivre d’une époque parmi son décor propre sont ceux de M.  […] C’est dans l’Akbar que par les soins de Victor Barrucand parurent les notes d’Isabelle Eberhardt, cette femme étrange dont la vie est un roman palpitant, qui vécut en Algérie sous le costume arabe et trouva la mort dans la catastrophe d’Aïn-Sefra. […] Le Zézère, la Sarabande ou les Sortilèges, font évoluer dans un décor de lumière des êtres heureux de vivre, même au fort des plus réelles souffrances sociales ou amoureuses. […] Paul Brulat, Cette existence, assez tumultueuse, est bien celle que devait vivre l’auteur de l’Eldorado. […] Il aurait fait école…   Pierre de Querlon : « mort si prématurément le 7 juin 1904 à l’âge de vingt-quatre ans, laissa la matière de trois volumes… Vivre peu, vivre bien, intensément, se condenser en un art très pur de fond et de forme, très humain, mais aussi élégant que possible (car il n’avait pas le temps de commettre des fautes de goût), telle était la religion de cet écrivain charmant.

1042. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Ce serait de nous replacer dans la durée pure, dont l’écoulement est continu, et où l’on passe, par gradations insensibles, d’un état à l’autre : continuité réellement vécue, mais artificiellement décomposée pour la plus grande commodité de la connaissance usuelle. […] Au-dessous des principes de la spéculation, si soigneusement analysés par les philosophes, il y a ces tendances dont on a négligé l’étude et qui s’expliquent simplement par la nécessité où nous sommes de vivre, c’est-à-dire, en réalité, d’agir. […] Établir ces rapports tout particuliers entre des portions ainsi découpées de la réalité sensible est justement ce que nous appelons vivre. […] Si nous pouvions étirer cette durée, c’est-à-dire la vivre dans un rythme plus lent, ne verrions-nous pas, à mesure que ce rythme se ralentirait, les couleurs pâlir et s’allonger en impressions successives, encore colorées sans doute, mais de plus en plus près de se confondre avec des ébranlements purs ? […] La durée vécue par notre conscience est une durée au rythme déterminé, bien différente de ce temps dont parle le physicien et qui peut emmagasiner, dans un intervalle donné, un nombre aussi grand qu’on voudra de phénomènes.

1043. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Mézeray disait donc à Richelieu dans cette dédicace toute légitime et qui n’a point été publiée : Monseigneur,   Étant si heureux que de vivre sous l’empire du plus grand des rois et sous l’administration de Votre Éminence, j’ai pensé que c’était une louable témérité de tenter quelque chose de grand et d’entreprendre un ouvrage digne de la gloire que vous avez acquise à la France. […] Aussi, pour m’efforcer de faire savoir à la postérité que j’ai vécu sous un règne si glorieux, j’ai bien osé composer l’Histoire de France, et retracer les illustres actions de plus de soixante souverains qui ont tenu le sceptre d’une si florissante monarchie. […] C’est ainsi qu’il fera même pour Charles IX ; c’est ainsi qu’il insiste sur les débuts de Charles VI, surnommé d’abord par ses peuples le Bien-Aimé : « Jamais couronnement ne plut tant aux peuples que celui-là, et jamais règne suivant ne fut plus malheureux. » — Il vécut cinquante-quatre ans et en régna quarante-deux, dit Mézeray en résumant cette époque lamentable avec laquelle se termine son premier volume.

1044. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

C’est une merveille, confesse le satirique d’Aubigné lui-même, comment cette femme, « de laquelle l’extrême beauté ne sentait rien de lascif », a pu vivre plutôt en reine qu’en maîtresse tant d’années et avec si peu d’ennemis. […] On annonçait sa mort même avant qu’elle eût cessé de vivre. […] Passer le mois d’avril absent de sa maîtresse, c’est ne vivre pas.

1045. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Nous entendions dire sans cesse qu’il valait mieux vivre de peu, et de très peu même, que de risquer par une ambition trop grande de se donner des chagrins qui peuvent durer toujours. […] En se séparant d’eux pour longtemps, en se disant qu’il rompait avec les habitudes domestiques régulières, qu’il avait reprises depuis son retour, il éprouvait une de ces douleurs tendres et pénétrantes que savent tous ceux qui ont vécu intimement de la vie de famille ; douleur recouverte, que la plupart dissipent bientôt et évaporent, mais que, lui, il couva toujours et concentra, au point de la sentir plutôt augmenter avec les années. […] Quoique je sois bien loin d’avoir tous ces avantages, il s’en faut beaucoup que je ne me félicite pas de mon sort, et je serais un ingrat envers la divine intelligence si j’osais lui adresser l’ombre d’une plainte, surtout maintenant que j’ai le bonheur de vivre en famille.

1046. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Si cela vous apporte du contentement, vivez heureuse. […] C’était bien celui qui écrivait à la comtesse de Grammont : « Bonsoir, mon âme, je voudrais être au coin de votre foyer pour réchauffer votre potage. » Il lui aurait fallu une femme belle, accorte, pas trop jalouse et d’agréable humeur, douce à vivre, et sachant le prendre, comme on dit. […] Ayez cette créance, et vivez assurée de ma foi. » Il continue sur ce ton encore pendant toute l’année suivante ; il la tient au courant de ses pas et démarches au temps d’Arques et d’Ivry, et durant ce siège de Paris où on le voit très peu tendre pour les Parisiens qu’il affame de son mieux, et dont il plaint peu les misères.

1047. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Quand nous voyons dans la série des lettres missives de Henri IV son voyage en Limousin, dans l’automne de 1605, pour y étouffer quelque rébellion, sa lettre écrite de Bellac au landgrave de Hesse, où il se plaint des menées du duc de Bouillon, ce chef astucieux d’une intrigante famille laquelle a eu grand besoin de Turenne pour se faire pardonner de la France tous ses méfaitsq ; quand on lit ces pièces instructives, on n’a pas encore l’impression soudaine que faisait éprouver aux hommes de sens et aux amis de leur pays le réveil de ces remuements funestes, chers à quelques ambitieux mécontents ; et c’est ce que Malherbe, si sensé quoique poète69, a rendu dans une strophe admirable de son ode, ou plutôt de sa prière à Dieu pour le roi allant en Limousin : Un malheur inconnu glisse parmi les hommes, Qui les rend ennemis du repos où nous sommes : La plupart de leurs vœux tendent au changement ; Et comme s’ils vivaient des misères publiques, Pour les renouveler ils font tant de pratiques, Que qui n’a point de peur, n’a point de jugement. […] Et par exemple il représentait son héros comme laissant entrer par compassion des vivres dans Paris assiégé, tandis que c’était tout le contraire, et que Henri IV se plaignait de ses serviteurs (tels que Givry, et particulièrement M. d’O), qui en divers temps y avaient laissé entrer des vivres par connivence.

1048. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Elle a fait comme bien des gens que nous connaissons, elle a politiquement vécu et duré trois ou quatre ans de trop. […] Elle parle quelquefois, il est vrai, comme l’usurier d’Horace, de se retirer aux champs, d’aller « vivre en repos, dans quelque solitude éloignée du commerce des hommes. […] Il y a des femmes qui sont nées et qui mourront bergères ; elles portent le chapeau de fleurs et la houlette jusqu’à quatre-vingts ans : Mme des Ursins était née et ne vivait que pour brasser de grandes affaires et pour avoir la haute main dans de magnifiques tripots, au sein des jardins et des palais.

1049. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Quand je vous disais que le tout était de vivre ! […] Vous êtes assezmaladroit pour vous laisser mourir au moment où vousavez enfin de quoi vivre. […] … Rentrez dans vos souvenirs : vivez à reculons.

1050. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Si j’avais pu me retirer davantage de la vie publique et des affaires, si j’avais pu vivre davantage dans la solitude, j’aurais été plus heureux, et j’aurais fait bien plus aussi comme poëte. […] Mais, si on l’interrogeait sur les vrais talents, sur Béranger, sur Mérimée, auteur dès lors du théâtre de Clara Gazul, Gœthe faisait aussitôt la distinction, et il reconnaissait en eux la vraie marque, l’originalité : « Je les excepte, disait-il : ce sont de vrais talents qui ont leur base en eux-mêmes et qui se maintiennent indépendants de la manière de penser du jour. » Avoir sa base et son fondement en soi, c’était la chose qu’il estimait le plus ; il a parlé quelque part de ces faux talents, qui n’en ont que le semblant et le premier jet : « Nous vivons dans un temps, disait-il, où il y a tant de culture répandue qu’elle s’est, pour ainsi dire, mêlée à l’atmosphère qu’un jeune homme respire. Il sent vivre et s’éveiller en lui des pensées poétiques et philosophiques ; il les a bues avec l’air qui l’entoure, mais il s’imagine qu’elles lui appartiennent, et il les exprime comme siennes.

1051. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Il y a dans son Journal une histoire assez amusante, qui marque bien le désordre et le laisser aller où l’on vivait dans cette contrée natale du bon Henri. […] M. de Cazaux avait donc beau jeu pour troubler tout dans le Palais ; et de plus il vivait publiquement avec la fille d’un avocat qu’il avait retirée chez lui. […] Descîaux de Mesplées, évêque de Lescar ; il vivait tantôt bien, tantôt mal, avec le procureur général.

1052. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Lamennais, le fougueux, le personnel, l’obstiné, celui qui croyait que la volonté de l’individu suffît à tout, ne pouvait s’empêcher à certain jour d’écrire : « Plus je vais, plus je m’émerveille de voir à quel point les opinions qui ont en nous les plus profondes racines dépendent du temps où nous avons vécu, de la société où nous sommes nés, et de mille circonstances également passagères. […] Un pareil régime absorbant, dévorant, produisait son effet naturel sur de jeunes et vigoureux cerveaux ; on vivait dans une excitation perpétuelle et dans une discussion ardente. […] Pour moi, j’avoue n’avoir vécu dans ma jeunesse qu’avec des gens que cela choquait, quoiqu’ils rendissent justice d’ailleurs aux auteurs en d’autres parties de leur talent.

1053. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

Zeller hésite un peu sur ce point ; mais il n’hésite pas quand il attribue à César l’idée de fonder, sous un nom ou sous un autre, une monarchie populaire, universelle et, en quelque sorte, humaine : « Étendre le droit de cité à tous les hommes libres de l’Empire, régner sur le monde pour le monde entier, non pour l’oligarchie ou la démocratie quiritaires ; abaisser les barrières entre les classes comme entre les nations, entre la liberté même et la servitude, en favorisant les affranchissements et en mettant le travail en honneur ; avoir à Rome une représentation non du patriciat romain, mais du patriciat du monde civilisé ; fondre les lois de la cité exclusive dans celles du droit des gens ; créer, répandre un peuple de citoyens qui vivent de leur industrie et qu’on ne soit pas obligé de nourrir et d’amuser : voilà ce qu’on peut encore entrevoir des vastes projets de celui qu’on n’a pas appelé trop ambitieusement l’homme du monde, de l’humanité ; voilà ce dont témoignent déjà les Gaulois, les Espagnols introduits dans Rome, Corinthe et Carthage relevées, et ce qu’indiquent les témoignages de Dion Cassius, de Plutarque, de Suétone, bien qu’ils aient pu prêter peut-être à César quelques-unes des idées de leur temps. » César (s’il est permis d’en parler de la sorte à la veille d’une publication par avance illustre), César, au milieu de tous ses vices impudents ou aimables, de son épicurisme fondamental, de ce mélange de mépris, d’indulgence et d’audace, de son besoin dévorant d’action, et de cet autre besoin inhérent à sa nature d’être partout le premier, César, à travers ses coups de dés réitérés d’ambitieux sans scrupule et de joueur téméraire, avait donc une grande vue, une vue civilisatrice : il n’échoue pas, puisque son idée lui survit et triomphera, mais il périt à la peine, parce qu’il avait devancé l’esprit du temps, tout en le devinant et le servant, parce qu’il vivait au milieu de passions flagrantes et non encore domptées et refoulées. […] » On arrive à ce même dégoût par tous les chemins ; il suffit d’avoir longtemps vécu et d’avoir eu à se démêler de trop près avec l’espèce humaine.

1054. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Étienne vécut un peu là-dessus, et, à part les rédactions d’adresse à la Chambre dans les années qui suivirent 1830, on ne rattache plus son nom à aucun écrit bien distinct. Il rédigeait le Constitutionnel, et se laissa vivre de ce train d’improvisation facile et de paresse occupée qui semble avoir été le fond de ses goûts et de sa nature. […] Ce qu’il trouvera, ce ne sera pas sans doute ce que nous savons déjà sur la façon et sur l’artifice du livre, sur ces études de l’atelier si utiles toujours, sur ces secrets de la forme qui tiennent aussi à la pensée : il est bien possible qu’il glisse sur ces choses, et il est probable qu’il en laissera de côté plusieurs ; mais sur le fond même, sur l’effet de l’ensemble, sur le rapport essentiel entre l’art et la vérité, sur le point de jonction de la poésie et de l’histoire, de l’imagination et du bon sens, c’est là qu’il y a profit de l’entendre, de saisir son impression directe, son sentiment non absorbé par les détails et non corrompu par les charmes de l’exécution ; et s’il s’agit en particulier de personnages historiques célèbres, de grands ministres ou de grands monarques que le poëte a voulu peindre, et si le bon esprit judicieux et fin dont nous parlons a vu de près quelques-uns de ces personnages mêmes, s’il a vécu dans leur familiarité, s’il sait par sa propre expérience ce que c’est que l’homme d’État véritable et quelles qualités au fond sont nécessaires à ce rôle que dans l’antiquité les Platon et les Homère n’avaient garde de dénigrer, ne pourra-t-il point en quelques paroles simples et saines redonner le ton, remettre dans le vrai, dissiper la fantasmagorie et le rêve, beaucoup plus aisément et avec plus d’autorité que ne le pourraient de purs gens de lettres entre eux ?

1055. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

Ce qui nous garantit l’objectivité du monde dans lequel nous vivons, c’est que ce monde nous est commun avec d’autres êtres pensants. […] On ne peut pour affirmer qu’il en sera ainsi invoquer aucune raison à priori ; mais c’est une question de fait, et la science a déjà assez vécu pour qu’en interrogeant son histoire, on puisse savoir si les édifices qu’elle élève résistent à l’épreuve du temps ou s’ils ne sont que des constructions éphémères. […] Le Roy que je veux défendre la Science pour la Science ; c’est peut-être ce qu’il condamne, mais c’est ce qu’il cultive, puisqu’il aime et recherche la vérité et qu’il ne saurait vivre sans elle.

1056. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

La France venait de vivre une période de prospérité inouïe et s’était imaginée partie à la conquête définitive du bonheur. […] Sully Prudhomme, alors en âge d’être père, se condamne au célibat parce qu’il ne se reconnaît pas le droit de disposer d’une existence et qu’il se ferait un crime de condamner à l’enfer de vivre, une créature innocente. […] mais vous ne vivrez pas assez pour en cueillir les fruits.

1057. (1890) L’avenir de la science « V »

Sans doute ce monde enchanté, où a vécu l’humanité avant d’arriver à la vie réfléchie, ce monde conçu comme moral, passionné, plein de vie et de sentiment, avait un charme inexprimable, et il se peut qu’en face de cette nature sévère et inflexible que nous a créée le rationalisme, quelques-uns se prennent à regretter le miracle et à reprocher à l’expérience de l’avoir banni de l’univers. […] Tout ce qui est secte doit être placé sur le même rang que ces chétives littératures qui ont besoin, pour vivre, de l’atmosphère de salon où elles sont écloses. […] En effet, le terme du progrès universel étant un état où il n’y aura plus au monde qu’un seul être, un état où toute la matière existante engendrera une résultante unique, qui sera Dieu ; où Dieu sera l’âme de l’univers, et l’univers le corps de Dieu, et où, la période d’individualité étant traversée, l’unité, qui n’est pas l’exclusion de l’individualité, mais l’harmonie et la conspiration des individualités, régnera seule ; on conçoit, dis-je, que dans un pareil état, qui sera le résultat des efforts aveugles de tout ce qui a vécu, où chaque individualité, jusqu’à celle du dernier insecte, aura eu sa part, toute individualité se retrouve comme dans le son lointain d’un immense concert.

1058. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Ce sont des hommes qui ont nos idées et qui les ont dans la mesure et dans le sens où il nous serait bon de les avoir, qui entendent le monde, la société, particulièrement l’art d’y vivre et de s’y conduire, comme nous serions trop heureux de l’entendre encore aujourd’hui ; des têtes saines, judicieuses, munies d’un sens fin et sûr, riches d’une expérience moins amère que profitable et consolante, et comme savoureuse. […] On reconnaît là l’homme qui a couché de longues années, comme chambellan, dans leur chambre, qui a assisté à leurs insomnies et à leurs mauvais songes, et qui, depuis la fleur de leur âge jusqu’à leur mort, n’a pas surpris dans ces destinées si enviées un seul bon jour : Ne lui eût-il pas mieux valu, dit-il de Louis XI, à lui et à tous autres princes, et hommes de moyen état qui ont vécu sous ces grands et vivront sous ceux qui règnent, élire le moyen chemin… : c’est à savoir moins se soucier et moins se travailler, et entreprendre moins de choses ; plus craindre à offenser Dieu et à persécuter le peuple et leurs voisins par tant de voies cruelles, et prendre des aises et plaisirs honnêtes ?

1059. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Laffitte a fait l’essai non pas d’un système, mais de l’absence de tout système, mais du gouvernement par abandon. » Comment se fait-il donc qu’au moment où ce système à la dérive cessait, où un homme ferme et impérieux, Casimir Périer, se saisissait du pouvoir et allait par son énergie créer à la monarchie de Louis-Philippe le ressort sur lequel elle a vécu depuis, comment se fait-il que Carrel ait poussé un cri de colère, et l’ait dénoncé à l’instant comme le Polignac de la branche cadette, et qui allait consommer l’attentat contre les opinions véritablement nationales ? […] Carrel lui-même, si injuste avec lui dans le détail, lui niant perpétuellement ce qui allait se réaliser le lendemain, lui contestant l’énergie honorable qu’il montra en Belgique et à Ancône, et ces actes efficaces qui donnèrent alors au gouvernement de Juillet une attitude ; Carrel, si cruel une fois et si impitoyable pour lui, puisque, parlant du ministre déjà mourant, il disait (7 avril 1832) : « Espérons qu’il vivra assez pour rendre ses comptes à la France » ; Carrel fut plus juste le jour de la mort de Périer, et il écrivit ces lignes (17 mai), où il lui rend témoignage pour la qualité que lui-même prisait le plus : M.  […] Nous avons vécu ensemble à cœur découvert.

1060. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Cela était bon pour notre enfance ; mais, à cette heure, il n’est plus temps de vivre en enfance. […] « Ce langage, ajoute-t-elle, me fut fort nouveau pour avoir jusques alors vécu sans dessein, ne pensant qu’à danser ou aller à la chasse, n’ayant même la curiosité de m’habiller ni de paraître belle, pour n’être encore en l’âge de telle ambition. » La crainte qu’elle avait toujours eue de la reine sa mère, et le respect silencieux où elle vivait d’habitude avec elle, la retenait aussi.

1061. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Si l’on demande à quoi cette activité est bonne, on peut répondre d’abord qu’elle est bonne à répandre dans la société plus de bien-être, plus d’instruction, plus de jouissances de toute espèce ; mais on peut dire surtout que l’activité est bonne par elle-même, parce qu’agir, c’est vivre. […] Ajoutez que l’absence de grandes fortunes constituées par la loi et l’extrême mobilité des biens sont cause que chacun est obligé d’employer toute son énergie à vivre et à se procurer un certain bien-être : or cette perpétuelle occupation n’est pas toujours très-favorable à l’élévation des idées et à la noblesse du caractère. […] Sans doute, lorsqu’une question particulière est soulevée, le publiciste doit lui donner une solution pratique et proposer des moyens proportionnés aux conjonctures ; mais dans la science il doit se borner aux principes : c’est à cette condition qu’il peut espérer de vivre au-delà d’un temps et d’un pays particulier.

1062. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

En lisant un roman qui nous passionne, nous ne sommes plus nous-mêmes et nous vivons dans les personnages qui nous sont présentés et dans les lieux qui nous sont peints par le magus, comme dit très bien Horace, c’est-à-dire par l’hypnotiseur. […] Mais aussi il y a augmentation de notre personnalité en ce sens que, dans cette vie d’emprunt, nous nous sentons vivre plus puissamment, plus amplement, plus magnifiquement qu’à l’ordinaire. […] Nous recevons en nous l’âme de la princesse de Clèves et, tout en sentant fort bien que c’est d’une autre âme que nous vivons pour une heure, nous sentons aussi que notre âme à nous enveloppe l’âme étrangère qu’elle reçoit, et s’en pénètre et s’en enrichit merveilleusement, ou du moins d’une façon qui nous paraît merveilleuse.

1063. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Cependant l’âge de l’épopée touche à sa fin… Une religion spiritualiste se glisse au cœur de la société antique… Elle enseigne à l’homme qu’il a deux vies à vivre, l’une passagère, l’autre immortelle ; l’une de la terre, l’autre du ciel. […] Il est tel chœur de Sophocle, tel sonnet de la Vita nuova, telle tragédie de Racine, qui résonnent dans l’âme comme le chant d’un dieu d’amour et de douleur ; et tant que l’humanité vivra, elle retrouvera, dans ces syllabes assemblées par un homme disparu, l’immortelle expression d’une âme toujours présente. […] C’est vivre au jour le jour et méconnaître singulièrement le contenu de l’histoire ; il est temps de donner aux ères des noms significatifs.

1064. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

La logique pénètre bien les sociétés actuelles, et celui-là même qui ne raisonne pas sa conduite vivra, s’il se conforme à ces principes, raisonnablement. […] Mais entre la société où nous vivons et l’humanité en général il y a, nous le répétons, le même contraste qu’entre le clos et l’ouvert ; la différence entre les deux objets est de nature, et non plus simplement de degré. […] Mais point n’est besoin d’une démonstration en règle : la supériorité est vécue avant d’être représentée, et ne pourrait d’ailleurs être ensuite démontrée si elle n’était d’abord sentie. […] Ce travail a abouti à formuler des règles et à dessiner un idéal : ce sera vivre moralement que de suivre ces règles, que de se conformer à cet idéal. […] Une fourmi qui accomplit son rude labeur comme si elle ne pensait jamais à elle, comme si elle ne vivait que pour la fourmilière, est vraisemblablement en état somnambulique ; elle obéit à une nécessité inéluctable.

1065. (1923) Paul Valéry

Il aurait fallu alors qu’en octobre 1893 Valéry, comme Lazare, eût été mort, car vivre c’est agir, avec cet instrument qu’est le corps. […] Les images de Valéry vivent de mouvement, et quand elles se livrent au jeu de l’arrêter, ce n’est pas pour longtemps. […] Beaucoup d’éventails indépendants vivaient sur le monde sombre et clair, écumant jusqu’aux feux du haut. […] Voici les tercets d’un sonnet : Est-ce vivre ? […] par le diamant fatal, par le contact de la vie à vivre.

1066. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 189

Il fut Peintre & Poëte, deux titres suffisans pour écarter la fortune ; aussi vécut-il dans la misere, & mourut-il à l’Hôpital des Incurables, où il conserva jusqu’à la mort la manie de faire des vers.

1067. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » p. 188

Il aura du moins l’avantage de trouver, dans l’esprit de Corps, du zele pour les faire acheter sur la parole de certains Prophetes, & celui de les faire vivre quelques jours dans les Sociétés merveilleuses où ces Prophetes donnent le ton.

1068. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » p. 196

Des Etrennes, des Epîtres, des Fables, des Eloges, des Mémoires historiques, des Vies, des Essais sur divers sujets, des Anecdotes, des Dissertations, des Journaux, des Tablettes, des Lettres, des Histoires, des Bibliotheques, des Dictionnaires, une Traduction en Prose de Perse, & une imitation en Vers de ce même Poëte : tant de Productions seroient plus que suffisantes pour faire vivre un Auteur dans la postérité, si elles n’étoient mortes dès à present.

1069. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » p. 268

On ne doit pas s’attendre à vivre long-temps, quand on se borne à des Pamphlets : quelque agréables qu’ils soient, ce ne sont que les enfans du moment ; un autre moment les méconnoît, les tue, & les fait oublier.

1070. (1902) Le critique mort jeune

Nous vivons l’absurde. […] Le Romantisme qui rend impuissant à vivre rend impuissant à penser. […] Exactement, il s’agit de vivre. […] Cette « peur de vivre » qui nous rend semblables à ces tristes ombres « qui vécurent sans blâme et sans louanges » et que Dante a marquées d’un mépris immortel, c’est le mal auquel M.  […] Bordeaux, ne connaissent pas la « peur de vivre ».

1071. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Et il vivait près d’elles, partagé entre les deux, inquiet, troublé, sentant pour la mère ses ardeurs réveillées et couvrant la fille d’une obscure tendresse. […] De hautes et puissantes organisations vivent de nos jours. […] Vienne une bonne pièce faite avec l’amour de l’observation et de la vérité, un peu d’art (il en faut pour l’optique des tréteaux), et le théâtre vivra. […] J’étais alors au Gymnase, où je ne gagnais pas lourd — tout y passait, et il me fallait non seulement vivre moi-même, mais faire vivre les miens. […] Charles gagnait une somme égale à son journal, c’était de quoi vivre.

1072. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

N’est-ce pas aliéner notre cœur et le cœur qui a vécu en nous ? […] Respirer, pour moi c’est chanter ; vivre, c’est inventer. […] Il n’est pas bon qu’un homme, quel qu’il soit, s’écoute penser, se regarde vivre à toute heure. […] Si les personnages ne vivent pas, ils parlent une langue pleine de grandeur et d’énergie. […] Hugo, elle est réduite à vivre comme les bohémiens.

1073. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Laisse-moi vivre encore. […] L’académie Aubignac vécut ce que vécut l’abbé d’Aubignac. […] Nul doute qu’il ne l’eût été en effet, si Richelieu eût vécu. […] Théophraste Renaudot vécut de toutes sortes de choses. […] Il avait à cette époque un petit emploi au Trésor, dont il vivait.

1074. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Quand M. de La Rochefoucauld ne fut plus amoureux ni frondeur, il se surfit sans doute un peu la malice humaine, contre laquelle l’excitaient encore sa goutte et ses mauvais yeux Ceux qui l’ont pris d’abord de très-haut avec les choses, et qui ont été d’âpres stoïciens et des rêveurs sombres avant vingt-cinq ans, se rabattent, au contraire, en continuant de vivre, et deviennent plus indulgents, plus indifférents du moins. […] Un mot, par exemple, qu’on ne dit plus guère jamais, et sur lequel pourtant vivaient autrefois les moralistes, les satiriques et les comiques, est celui de sot : c’est qu’on n’est plus très-sensible à ce défaut-là ; et la sottise, un peu de sottise, si elle se joint à quelque talent, devient plutôt un instrument de succès. […] Or nous vivons dans un temps où le public aime autant être averti d’avance et officieusement sur les qualités d’un quelqu’un que d’avoir à les découvrir de lui-même. […] Car, à un degré modéré et dans les limites du moraliste, elle avait l’imagination inventive ; ses pensées, loin de rester à l’état de maximes, entraient volontiers en jeu et en conversation dans son esprit ; elle savait faire vivre et agir sous quelques aspects des caractères qui n’étaient pas de simples copies. […] Guizot l’avait conduite en 1814 ; elle n’avait que peu habité et peu vu la campagne ; mais elle en jouissait dans ses dernières saisons, comme quelqu’un qui, forcé de vivre aux bougies, n’aurait aimé que la verdure et les champs.

1075. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Ses archives sont enterrées ; il faut pour les dégager des recherches dont il n’est pas capable ; elles subsistent pourtant, et aujourd’hui l’histoire les remet en lumière  Quand on le considère de près, on trouve que, comme la science, il a pour source une longue accumulation d’expériences : les hommes, après une multitude de tâtonnements et d’essais, ont fini par éprouver que telle façon de vivre ou de penser était la seule accommodée à leur situation, la plus praticable de toutes, la plus bienfaisante, et le régime ou dogme qui aujourd’hui nous semble une convention arbitraire a d’abord été un expédient avéré de salut public. […] D’une part, les hommes ont besoin d’elle pour penser l’infini et pour bien vivre ; si elle manquait tout d’un coup, il y aurait dans leur âme un grand vide douloureux et ils se feraient plus de mal les uns aux autres. […] Il lui est aussi impossible d’aimer le bien pour le bien que d’aimer le mal pour le mal404. » — « Les principes de la loi naturelle405, disent les disciples, se réduisent à un principe fondamental et unique, la conservation de soi-même. » « Se conserver, obtenir le bonheur », voilà l’instinct, le droit et le devoir. « Ô vous406, dit la nature, qui, par l’impulsion que je vous donne, tendez vers le bonheur à chaque instant de votre durée, ne résistez pas à ma loi souveraine, travaillez à votre félicité, jouissez sans crainte, soyez heureux. » Mais, pour être heureux, contribuez au bonheur des autres ; si vous voulez qu’ils vous soient utiles, soyez-leur utile ; votre intérêt bien entendu vous commande de les servir. « Depuis la naissance jusqu’à la mort, tout homme a besoin des hommes. » — « Vivez donc pour eux, afin qu’ils vivent pour vous. » — « Soyez bons, parce que la bonté enchaîne tous les cœurs ; soyez doux, parce que la douceur attire l’affection ; soyez modestes, parce que l’orgueil révolte des êtres remplis d’eux-mêmes… Soyez citoyens, parce que la patrie est nécessaire à votre sûreté et à votre bien-être. […] Cette idée, Rousseau l’a tirée tout entière du spectacle de son propre cœur410 : homme étrange, original et supérieur, mais qui, dès l’enfance, portait en soi un germe de folie et qui à la fin devint fou tout à fait ; esprit admirable et mal équilibré, en qui les sensations, les émotions et les images étaient trop fortes : à la fois aveugle et perspicace, véritable poète et poète malade, qui, au lieu des choses, voyait ses rêves, vivait dans un roman et mourut sous le cauchemar qu’il s’était forgé ; incapable de se maîtriser et de se conduire, prenant ses résolutions pour des actes, ses velléités pour des résolutions et le rôle qu’il se donnait pour le caractère qu’il croyait avoir ; en tout disproportionné au train courant du monde, s’aheurtant, se blessant, se salissant à toutes les bornes du chemin ; ayant commis des extravagances, des vilenies et des crimes, et néanmoins gardant jusqu’au bout la sensibilité délicate et profonde, l’humanité, l’attendrissement, le don des larmes, la faculté d’aimer, la passion de la justice, le sentiment religieux, l’enthousiasme, comme autant de racines vivaces où fermente toujours la sève généreuse pendant que la tige et les rameaux avortent, se déforment ou se flétrissent sous l’inclémence de l’air.

1076. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Ainsi, avant qu’il eût résolu par le raisonnement le sublime problème de la distinction de l’âme et du corps, il la démontrait par cet effort même, et, dès cette vie, il avait détaché et fait vivre son âme à part de son corps. […] Mais jusqu’à ce qu’on ait formé sa croyance, il faut, pour le lieu et le pays où l’on vit, adopter une conduite provisoire, afin d’éviter l’irrésolution et de vivre heureusement. […] « Je me sentais vivre, dit-il, — il avait alors quarante ans, — et, me tâtant avec autant de soin qu’un riche vieillard, je m’imaginais presque être plus loin de la mort que je n’avais été en ma jeunesse. » Il mourait pourtant-moins de quinze ans après, ne causant pas moins de surprise que de deuil à ses amis, qui ne pouvaient comprendre qu’il fût mort sans l’avoir prédit. Quelques-uns même crurent qu’il n’avait cessé de vivre que pour n’avoir pas voulu résister à la mort. […] Vivre conformément à la nature, ce n’est pas s’abandonner à tous ses mouvements, à tous ses instincts ; c’est suivre la raison.

1077. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Sous les nécessités croissantes d’une lutte pour vivre, les peintres ont dû renoncer le souci de l’art, ils ont obéi, comme tous ont fait, à la loi commerciale de l’offre et de la demande ; et, dans ce marché annuel, où la concurrence les presse et leur besoin, ils ne peuvent offrir des créations artistiques, puisque l’art n’est point ce que demande une société démocratique. […] C’est que le monde où nous vivons, et que nous dénommons réel est une pure création de notre âme. […] Nous voyons autour de nous des arbres, des maisons, des hommes, et nous les supposons vivants : ils ne sont, ainsi perçus, que des ombres vaines, tapissant le décor mobile de notre vision : ils vivront seulement lorsque l’artiste, dans l’âme privilégiée duquel elles ont une réalité plus intense, leur imposera cette vie supérieure, les recréera devant nous. […] Il a peu d’imagination et moins de sentiment et il a honte de montrer combien peu de ces qualités il possède ; il n’a donc aucun souffle de cet enthousiasme sans lequel les poètes et les compositeurs ne sauraient vivre. […] La Société de Dannreuther vécut deux ans ; elle accomplit son but, et nos nourrices cessèrent d’employer le nom de Wagner pour nous effrayer quand nous étions méchants.

1078. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

On la trouvera si on porte son attention sur un point trop négligé par les platoniciens, par les kantiens, par tous les intellectualistes, quoiqu’ils l’aient parfois eux-mêmes indiqué : le rapport des idées au désir et au mouvement, à « l’appétit » d’Aristote, au « vouloir vivre » de Schopenhauer, qui est le grand ressort de la lutte pour la vie. […] Rappelons-nous, en effet, comment se sont développées en nous les sensations : nous avons vu que c’est la volonté de vivre, le désir d’écarter la peine et de retenir le plaisir par des mouvements appropriés, qui a donné aux sensations le degré de distinction et de force nécessaire pour se détacher dans la conscience92. […] Le contenu sensible de notre conscience a été déterminé par l’action du monde extérieur et par la réaction motrice de l’être qui veut vivre : les divers modes de sentir sont le résultat de la lutte des volontés pour la vie. […] De plus, la tendance au bien-être, la « volonté de vivre », qui luttait contre la douleur, sera alors satisfaite ; le besoin sera rempli, l’énergie motrice aboutira à un succès. […] Il importe au plus haut point à l’animal qui veut vivre d’exécuter les mêmes mouvements de défense et de fuite devant le même ennemi ou devant un ennemi semblable au premier.

1079. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

Lundi 11 janvier Depuis que mes yeux prennent l’habitude de vivre dans les couleurs de l’Extrême-Orient, mon dix-huitième siècle se décolore. […] Mon petit Pierre Gavarni expliquait, ce soir, assez ingénieusement, le talent de Fromentin : un manque d’études suivies, une inexpérience curieuse du métier de la grande peinture, mais le jet sur la toile d’un milieu et d’une heure, que le peintre peuple après d’Arabes et de chevaux mal dessinés et incomplètement peints, mais qui sont au fond charmants, presque vrais, et qui vivent par l’exquise et poétique trouvaille de la nature ambiante. […] L’homme sort de sa petite voiture, se met sur ses jambes artificielles, embrasse les mains de Lachaud, s’écrie qu’il lui doit sa fortune, que sa femme après lui aura de quoi vivre, que ses enfants seront heureux : un vrai discours, prononcé moitié pleurant. […] Mardi 17 octobre Saint-Victor, qui a beaucoup vécu dans la société de Lamartine, affirmait que le poète ne lisait jamais que Gibbon, un voyage en Chine de lord Macartney, et la correspondance de Voltaire, et encore ne lisait-il ces livres, toujours les mêmes, que pour s’endormir. […] Mardi 21 novembre On parlait, ce soir, de la venette dans laquelle avait vécu Thiers, tout le temps de son pouvoir, craignant toujours d’être enlevé, et se faisant garder à Versailles par 400 soldats, dans le temps où il n’y en avait pas plus de 1 500 en état de se battre.

1080. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 138

On sait que le plus beau morceau de l’Oraison funebre de Turenne, par Fléchier : Ennemis de la France, vous vivez… est tiré de celle d’un Duc de Savoie, composée par ce Lingendes.

1081. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gaubert, Ernest (1880-1945) »

C’est un charme de plus de connaître sa jeunesse, en lisant ces notations frêles et ténues, mais vécues par le rêve.

1082. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 156

Cet Auteur vécut long-temps à la Cour, où il n’employa son crédit que pour rendre service.

1083. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Nous vivons dans un temps, et nos enfants dans un autre. […] Quand je songe que, dans l’âge voisin de la vieillesse et de ses infirmités, me voilà seul sur la terre, comme un célibataire débauché ou un homme personnel qui n’a vu que lui dans la nature ; que le sein sur lequel je m’appuie doucement, pour y chercher la consolation, est le sein d’une bonne mère de soixante-quinze ans ; que les objets qui devaient vivre avec moi et auprès de moi m’ont précédé si jeunes dans le tombeau ; quand je parcours tout cet espace qu’on appelle la vie, et que j’embrasse d’un coup d’œil cette longue chaîne de besoins, de désirs, de craintes, de peines, d’erreurs, de passions, de troubles et de misères de toute sorte, je rends grâces à Dieu de n’avoir plus à sortir du port où il m’a conduit ; je le remercie de la tendre mère qu’il me laisse, et des amis qu’il m’a donnés, et surtout de pouvoir descendre dans mon cœur, sans le trouver méchant et corrompu. […] Crois-moi, Vallier, je donnerais la moitié de ce qui me reste à vivre pour passer l’autre dans quelque coin du monde où la liberté ne fût point une furie sanglante. » La vérité sur le républicanisme de Ducis doit se trouver entre son cri d’enthousiasme à Hérault de Séchelles et ce cri d’indignation à Vallier. […] Cet ami l’avait averti un peu trop charitablement, ce semble, de méchants propos qu’il vaut mieux laisser ignorer à ceux qui vivent solitaires : « Vous avez bien raison, il m’est fort indifférent que les hommes du jour me fassent passer pour un imbécile.

1084. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Les lettres que ces correspondants échangent entre eux sont plus rares qu’ils ne le voudraient, et, quand ils s’écrivent, ils ont des sous-entendus forcés, ils n’osent tout se dire ; ils vivent sous l’impression de maux actuels et immédiats, dans un serrement de cœur continuel et comme en présence d’une crise extrême et permanente ; les bienfaits, les améliorations civiles qui pourraient leur sembler une compensation et un correctif, ne se révéleront que le lendemain et leur échappent. […] Des changements assez profonds s’étaient introduits dans la manière de vivre de Sismondi, et aussi peu à peu dans ses sentiments. […] Le goût des voyages lui avait passé ; il s’était attelé à cette longue et interminable entreprise de l’Histoire des Français, qu’il devait mener jusqu’au vingt-neuvième volume sans la finir ; il trouvait encore, à travers cela, le moyen de plaider pour une économie politique moins hâtive que celle qui a prévalu, pour une science moins avide de résultats généraux et de satisfactions théoriques et plus soucieuse des individus, plus compatissante pour les générations qui vivent et qu’on ne supprime pas en un clin d’œil. […] Sismondi, tout en résistant, en vient à écrire sur le progrès des idées religieuses, et insensiblement il est entamé, il est gagné jusqu’à un certain point et selon sa mesure ; il regarde dans son cœur, et il écrit un matin dans son Journal : « 31 décembre 1835. — Je sens désormais les traces profondes de l’âge, je sais que je suis un vieillard (il avait 62 ans), je sais que je n’ai plus longtemps à vivre, et cette idée ne me trouble point.

1085. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

C’est d’ailleurs le propre de la liberté morale de ne pas céder à la vogue, à l’entraînement, à l’opinion, et de vivre en protestant contre ce qui voudrait l’accabler. […] Nous n’imaginons pas que personne mette en doute que partout et dans tous les temps il ne vive et ne meure loin de tout éclat une multitude d’hommes supérieurs à ceux qui jouent un rôle sur la scène du monde, etc. » Peut-être il n’a manqué à Mirabeau lui-même qu’un peu plus de vertu, de discipline, et un cœur moins relâché, pour rester et vivre inconnu ou du moins médiocrement connu, et simplement notable à la manière de ses pères. […] L’exemple de l’Angleterre lui faisait entendre à quel point cet être complexe qu’on appelle nation peut vivre, se maintenir et prospérer, au milieu de mille irrégularités peu géométriques, et selon une harmonie plus occulte et bien supérieure. […] Tant qu’il resta au service, il était de ceux dont on pouvait dire comme de Boufflers : « Les neiges et les glaces étaient les tapis favoris de cet homme indomptable. » Après sa retraite, et à demi ruiné de fortune, il se cantonna dans un lieu très-âpre, sur un roc escarpé qui barre une double gorge sans cesse battue des vents du nord ; il y vécut dans les travaux de défrichement, changeant le roc en verger d’oliviers, adoré mais craint de ses vassaux, et la terreur des traitants et commis à la ronde.

1086. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

XII « Du reste, à proprement parler, il vivait rue Plumet et il y avait arrangé son existence de la façon que voici : « Cosette avec la servante occupait le pavillon ; elle avait la grande chambre à coucher aux trumeaux peints, le boudoir aux baguettes dorées, le salon du président meublé de tapisseries et de vastes fauteuils ; elle avait le jardin. […] Ils ne se parlaient pas, ils ne se saluaient pas, ils ne se connaissaient pas ; ils se voyaient ; et, comme les astres dans le ciel que des millions de lieues séparent, ils vivaient de se regarder. […] Il y en a un véritablement touchant, comme une légende de Juif-Errant de la science, c’est celui du vieil homme de lettres, amant passionné des livres, et dévoré par eux, qui mange sou à sou son mince patrimoine pour s’en procurer, qui finit par les vendre un à un pour vivre, et qui, lorsqu’il a vendu le dernier, meurt lui-même désespéré de sa passion du livre, d’abord résignée, puis changée en fureur ! […] J’ai le cœur gonflé, je ne pouvais pas vivre comme j’étais, je suis venu.

1087. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Elle va accoucher chez une sage-femme qui la vend à un entrepreneur de maçonnerie qu’elle prend aussitôt en dégoût, et pour vivre, revient apprendre le métier de sage-femme, chez celle qui l’a accouchée. […] Et après des gros mots des uns et des autres contre l’Église, il arrive que quelqu’un cite cette parole de Montrond, le viveur, l’ami de Talleyrand, auquel un prêtre demandait à son lit de mort, s’il avait blasphémé l’Église : « Monsieur le curé, j’ai toujours vécu dans la bonne compagnie !  […] * * * — Tous ces temps-ci, détente complète de l’activité physique et morale ; une somnolence qui irait à des nuits de dix-huit heures ; — dans l’éveil les yeux paresseux à voir, à observer ; — notre regard, sans notre pensée, feuilletant les livres et se traînant de l’un à l’autre ; — un grand effroi de faire moins que rien ; — la tête vide et pourtant lourde ; — le sang comme envahi par la lymphe ; — un lâche ennui ; — le remuement de la cervelle et du corps aussi durs pour nous que pour l’aï, qui passe une journée à se dérouler de son arbre ; — un état de l’âme sur lequel tout passe sans la secouer : les distractions, l’orgie, les grattements de vanité. — C’est la maladie qui vient aux activités retraitées, aux têtes qui restent trop longtemps à se reposer, à nous qui, depuis cinq mois, ne vivons pas dans une œuvre et pour une idée. […] Villemessant blaguant l’appétit de celui-ci, les fours de celui-là, criant à sa femme : « Bois du bordeaux, ça te fera vivre quinze jours de plus », appelant « Fouyou » sa fille, qu’il traite en vrai gamin, et nous disant : « On m’a demandé à Blois qui vous êtes, j’ai répondu que vous étiez les frères Lionnet, des chanteurs de chansonnettes, et que vous alliez chanter quelque chose aux fêtes. » Il y a parmi les convives un dur à cuire de 76 ans, qui en paraît 40, et qui est en pantalon blanc, en redingote de lasting, en chaussettes de soie dans fins escarpins.

1088. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Nous nous arrêterons de préférence sur Victor Hugo, celui qui a vécu le plus longtemps parmi nous, et qui a ainsi le plus longtemps représenté en sa personne le dix-neuvième siècle. […] Vivez, froide nature, et revivez sans cesse… Plus que tout votre règne et que ses splendeurs vaines, J’aime la majesté des souffrances humaines ; Vous ne recevrez pas un cri d’amour de moi. […] Tiraillé entre ceux qui croient et ceux qui nient, ne pouvant trouver de motif d’absolue certitude, ni se résigner, ne fût-ce qu’un instant, à penser que l’espérance pourrait être vaine, son premier mouvement est de recourir à l’oubli, sa première pensée est de s’étourdir toujours, mais il ne le peut : Je voudrais vivre, aimer, m’accoutumer aux hommes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . […] Et moins qu’un vestige lui suffit, et il prie : Console-moi ce soir, je me meurs d’espérance J’ai besoin de prier pour vivre jusqu’au jour.

1089. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Capefigue ne paraissait avoir vécu jusque-là et affiné ses facultés d’historien que pour mieux l’écrire. […] Capefigue, faire bénéficier de l’échafaud cette femme, qui ne fut jamais plus qu’une courtisane, même dans sa dernière terreur avec le bourreau, n’est-ce pas confondre toutes les notions et surtout oublier que tout le prestige de l’échafaud n’a jamais pu couvrir les fautes de Louis XVI aux yeux sévères de l’histoire et les lui faire pardonner, quoique, lui, il eût vécu chaste et soit mort avec la sérénité d’un martyr ? […] C’est le destin commun à toutes ces femmes que les rois subissent plus qu’ils ne les choisissent, dans cette sphère inouïe où ils vivent, et où tout, jusqu’au hasard même, est organisé autour d’eux, d’être les pions, plus ou moins sensibles, avec lesquels on perd ou l’on gagne des parties sur un échiquier mystérieux. […] En effet, quand on a été la maîtresse publique d’un roi de France et qu’on a vécu plusieurs années de son état, nul historien n’est capable de vous refaire une innocence avec des calomnies de journalistes ou des insultes de bourreaux.

1090. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 447

Ce fut sans doute par cette étude soutenue, qu’il acquit ces connoissances qui faisoient dire à François I, que, de tous les Savans avec lesquels il avoit vécu, Castellan étoit le seul dont il eût trouvé la science inépuisable.

1091. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

À vrai dire, toute personne qui, dans sa jeunesse, a vécu d’une vie d’émotions et d’orages, et qui oserait écrire simplement ce qu’elle a éprouvé, est capable d’un roman, d’un bon roman, et d’autant meilleur que la sincérité du souvenir y sera moins altérée par des fantaisies étrangères : il ne s’agirait pour chacun que de raconter, sous une forme presque directe et avec très-peu d’arrangement, deux ou trois années détachées de ses mémoires personnels. […] Une fois dans ce riant paysage du Berry, sous les érables si frais de la Vallée noire, à deux pas de l’Indre qui n’est là qu’un joli ruisseau, après le premier regard de connaissance jeté à la famille Lhéry et aux jeunes habitants de la ferme Grangeneuve, j’oubliai tout le reste, je me laissai vivre et aller au cours des choses ; je me sentais introduit dès l’abord dans un monde facile et nouveau.

1092. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXI. Le littérateur chez les peintres » pp. 269-282

Les peintres n’ont pas encore trouvé le moyen de vivre sans vendre de la peinture. […] Un grand seigneur suffisait à faire vivre quelques artistes.

1093. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

Les fondateurs du christianisme vivaient dans un état de poétique ignorance au moins aussi complet que sainte Claire et les tres socii. […] Aussi l’exorciste et le thaumaturge sont tombés ; mais le réformateur religieux vivra éternellement.

1094. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Le grand Alcandre, pour avoir le plaisir de voir madame de Montespan, allait plus souvent chez madame de La Vallière, et madame de La Vallière, se faisant l’application de ces nouvelles assiduités, en aimais davantage encore madame de Montespan… Mais enfin… elle s’aperçut bientôt de la vérité… elle se plaignit au grand Alexandre, qui lui dit qu’il était de trop bonne foi pour l’abuser davantage ; qu’il aimait madame de Montespan ; mais que cela n’empêchait pas qu’il ne l’aimait comme il devait, et qu’elle devait se contenter de ce qu’il faisait pour elle… Nouveaux pleurs, nouvelles plaintes… Mais le grand Alcandre n’en étant pas plus attendri, lui dit une seconde fois que si elle voulait qu’il continuât de l’aimer, elle ne devait rien exiger de lui au-delà de sa volonté ; qu’il désirait qu’elle vécût avec madame de Montespan comme par le passé, et que si elle témoignait la moindre chose de désobligeant à cette dame, elle l’obligerait à prendre des mesures. […] Elle vécut avec madame de Montespan dans une concorde qu’on ne devait point attendre d’une rivale. » Il importe, à la suite de cette histoire, de déterminer approximativement l’époque du changement du roi.

1095. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Ce corps eut une enfance, une jeunesse, un âge mûr souvent, une vieillesse parfois ; il fut un homme, lit partie d’une famille, naquit et vécut dans une patrie, eut tels parents, tels amis, tels contemporains ; la carrière de cet être fut mêlée d’infortunes et de joies, de hasards et d’habitudes ; il subit et exerça des influences spirituelles ; il reprit l’œuvre artistique à un point donné et en porta le progrès à tel autre point ; cette entité intellectuelle dont on a désigné d’abord la configuration totale et générale, avec toutes ses acquisitions et toute son innéité, eut une évolution, fut jetée dans le compromis de résistances et d’adaptations qu’est la vie, fut fait d’originalité et d’imitation comme tout individu vivant, mêla sa tâche de redites et de trouvailles. […] C’est ce groupe, ses principaux représentants, sa formation, sa durée, sa condition, ses mœurs, que la synthèse sociologique devra retrouver avec de délicats procédés d’enquête, conjecturant, décrivant, résumant, agglomérant les données les plus hétérogènes, parvenant enfin à exprimer visiblement les créatures dans lesquelles a vécu l’esprit de l’œuvre et de son auteur.

1096. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

Des sottises d’autrui nous vivons au palais ; Messieurs, l’huitre était bonne ; adieu, vivez en paix.

1097. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Avant Louis XV, cette société d’un instinct si juste et qui vivait dans une telle atmosphère de lumière, qu’on y disait, en riant, qu’un gentilhomme savait tout sans avoir rien appris, n’avait jamais songé, il est vrai, à devenir littéraire et à échanger ses grâces naturelles, saines et savoureuses, contre le caquet pédant des cercles et l’histrionisme philosophique des salons ; mais, alors même que les influences du xviiie  siècle commençaient de l’atteindre et de la gâter, elle n’était pas pour cela uniquement dans les salons parisiens, où Ton veut obstinément la voir toujours. […] Un mot aurait suffi, et nous avons même pensé un instant à ne dire qu’un seul mot, mais nous nous sommes ravisés, et puisque ces MM. de Goncourt ont le bonheur d’être jeunes, le hasard d’avoir du talent… quelquefois, et le projet d’écrire encore une histoire de la société sous le Directoire, nous avons cru utile et sympathique de leur rappeler que pour une œuvre si sévère et si grande il faut étreindre comme on embrasse ; — qu’il faut plus que de lier ou d’éparpiller des glanes d’anecdotes et d’être, après coup, les Tallemant des Réaux proprets et fringants d’une époque dans laquelle on n’a pas même le privilège d’avoir vécu.

1098. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le comte de Fersen et la cour de France »

Mais on se souvient toujours du dévouement par lequel Fersen vécut, dans un court instant de sa jeunesse, et à travers lequel on le verra toujours, dans l’immortalité de Celle à laquelle il s’était si absolument et si inutilement dévoué ! […] Le royaliste ne dit pas aux Rois leur vérité, et il a vécu depuis, et il a dû mourir, avec le poids de cette vérité sur le cœur !

1099. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Du Deffand »

Déjà plusieurs éditions, à diverses dates, avaient été faites des lettres de Madame Du Deffand, et toutes plus ou moins incorrectes, mais toutes excitant la curiosité et ne la lassant pas ; car Madame Du Deffand n’est pas un esprit dont on puisse se blaser jamais, quoique ce soit l’esprit le plus blasé qui se soit jamais dégoûté jusque de lui-même, dans un corps qui ait plus vécu… Cette Sévigné du xviiie  siècle, qui ne prenait goût à presque rien, quand celle du xviie trouvait un goût si vif à presque tout, est la réfutation la plus éloquente que je connaisse de la maxime proverbiale qui dit que « les gens les plus ennuyés sont aussi les plus ennuyeux ». […] Elle n’avait vécu que par lui et pour lui.

1100. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Caro. Le Pessimisme au XIXe siècle » pp. 297-311

Et je parle du cri littéraire, — car le cri qui ne s’écrit point, c’est le cri de l’humanité tout entière, qui n’a jamais, parce qu’elle souffre, été désespérée de vivre ! […] Je me demande encore ce qu’aurait dit Napoléon, qui n’aimait pas les philosophes, s’il avait vécu du temps de ces nouveaux après lesquels on peut espérer qu’on n’en reverra plus, et si M. l’académicien Caro les lui avait présentés ?

1101. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

Mgr Salvado rappelle en passant, dans les Mémoires historiques, les paroles sévères du Dr Lang, protestant très considéré, parlant d’une mission protestante fondée à Moreton-Bay, en 1838, au nord de Sydney, laquelle mission prit fin misérablement au bout de cinq ans d’existence, après avoir, comme tant d’autres, inutilement vécu. […] Mgr Salvado n’a pas été seulement le charmant et naïf Hérodote chrétien de sa mission apostolique ; il n’a pas seulement tracé l’histoire de la colonie anglaise à travers laquelle il a passé ; mais il nous a donné l’histoire, plus difficile à connaître, de cette curieuse race indigène avec laquelle il a vécu.

1102. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gérard Du Boulan »

Il est sûr de vivre. […] Il y a des cirons qui, pour vivre, s’établissent sur une feuille de laurier… 41.

1103. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Auguste Vacquerie  »

Un autre jour, Voltaire, qui fut bien tout le temps qu’il vécut le diable de la vanité en tournée sur la terre, écrivit son Commentaire sur la Henriade, et le fourra sous le nom de son secrétaire Wagnière, parce qu’il s’y disait des choses très agréablement fortes, et que, selon Bridoison, on ne s’en dit pas à… à… à… soi-même ! […] Et nous vécûmes là… (dans le poète, — comme aux Petites-Maisons !)

1104. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

Il a vécu, à l’époque du monde la plus littéraire, comme le pêcheur sous sa cloche de cristal. […] Réfugié en Suisse pendant les Cent-Jours, il y vécut tête-à-tête avec la Nature, en face des lacs qu’il a chantés comme personne ne les chantera plus, aussi nature lui-même que cette nature !

1105. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Les Mémoires d’une femme de chambre » pp. 309-321

Mais le grand observeur, dont un pareil sujet chaussait admirablement les facultés incomparables, mais cette tête qui pensait à tout ne pensa point précisément à ces Mémoires d’une femme de chambre, qui auraient si bien trouvé la place d’un chef-d’œuvre de plus parmi les chefs-d’œuvre de La Comédie humaine, et il nous a laissé, à nous qui vivons après lui, l’occasion de bénéficier, si nous pouvons, de cette distraction de son génie. […] Je ne discuterai pas la question, pour ne pas être impertinent envers mon époque et ses lumières… On vivait alors sur les vieux reliefs de la société féodale, et il ne faut pas trop prendre au sérieux les valets de la comédie.

1106. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Par malheur, il a regardé vivre les autres, il n’a pas vécu lui-même. […] Elle ne cessera pas jusqu’à l’heure suprême de penser au jugement inexorable, et de vivre dans le respect et l’étude de la vérité. […] Pour ceux qui se contentent de vivre et de passer sans laisser de traces, toute voie, quelle qu’elle soit, est bonne et prospère. […] Faut-il donc vivre seul avec mon génie ? […] dans quel pays vivent les reines de cette trempe ?

1107. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Degron, Henri (18..-19..) »

Henri Degron appartient à cette génération de poètes en qui vivent des espoirs nouveaux.

1108. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Peyrat, Napoléon (1809-1881) »

L’atteindre ainsi du premier coup et dans sa perfection était certes la preuve d’un talent et d’une intelligence peu ordinaires ; et c’est pourquoi nous avons tenu à recueillir, parmi les chefs-d’œuvre de cette époque, cette épave d’un poète qui ne vivait plus, depuis longtemps, que dans la mémoire des dilettantes.

1109. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 262-263

Son extravagance & la folie se sont peintes dans ses Sermons & dans ses Ecrits de Religion, comme dans ses Productions littéraires ; ce qui lui valut un séjour de quelques années à Saint Lazare, d’où il sortit pour aller mourir dans sa patrie, à peu près comme il avoit vécu, c’est-à-dire, au milieu de la plaisanterie & du sarcasme.

1110. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Tout ce qui a vécu d’une vie sociale un peu compliquée à son esprit à soi, son génie léger, qui disparaît avec les groupes qu’il anime. […] Le monde même où il vivait, et contre lequel il était en garde, dut, ce me semble, l’aider en ce travail de modération plus que l’éminent jeune homme ne le crut peut-être. […] L’article fit du bruit, et même un peu de scandale, dans les cercles où vivait le jeune auteur. […] Dans le grand nombre des nécessités politiques qu’impose le temps où nous vivons, il n’y en a guère qui aient échappé à sa pénétration, hors la nécessité d’être juste. […] Royer-Collard me fit l’honneur une fois de me parler de M. de Serre, son ami, « le seul homme, disait-il, avec qui il ait vécu durant des années en intimité et en communication parfaite, profonde.

1111. (1925) La fin de l’art

Le fait est que, s’il pensa selon la doctrine d’Épicure, il vécut une vie fort peu épicurienne. […] Les malheureux réduits à vivre dans ces étouffoirs seront les premiers de son avis, mais ils lui feront observer que ce n’est pas tout à fait leur faute et qu’ils préféreraient même posséder un hôtel entre cour et jardin ou même une simple villa dans les environs. […] Il faudrait ne pas vivre. […] En voici le thème, qui a été fourni par une pièce de théâtre : « Si l’on vous annonçait mais péremptoirement, que vous n’avez plus que cinq ou six ans à vivre, que feriez-vous, comment prendriez-vous la chose ?  […] Cette œuvre est d’une telle nature, si précise et si pénétrante, qu’elle instruit même les vieux provinciaux, passionnés de leur pays, et qu’elle leur révèle des aspects nouveaux de la région où ils vivent et d’où ils n’ont jamais détourné les yeux.

1112. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

diversement mouvant de tous ces noms révérés joints à ceux de maints antérieurs comme de quelques-uns qui vivent ? […] Il s’appelle tantôt Jean M…, tantôt Charles G…, tantôt Francis J…, et parfois il a un nom tout à fait inconnu ; mais je ne puis imaginer un instant qu’il ait vécu en un autre temps que le mien. […] Laissant de côté la séduisante erreur romantique, dont l’esprit latin commence à se délivrer avec peine, je salue la noble figure du poète Écouchard Lebrun qui fut le maître et l’inspirateur d’André Chénier et qui vécut assez pour conduire les Muses grecques à la cour de Bonaparte. […] Mais je suis en fait bien libre, et il vivrait encore, que c’est Hugo que je vous nommerais. […] J’ai attendu, jusqu’à la dernière heure, pour vous adresser ma réponse dans l’éventualité — non dans le désir — que fût dans cet extrême délai, par un imprévu trépas, rayé du nombre des vivants, l’un de mes plus chers parmi les poètes qu’afflige encore le mal de vivre.

1113. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Morice, Charles (1861-1919) »

. — Le Rêve de vivre, poèmes (1900).

1114. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Venancourt, Daniel de (1873-1950) »

« Le devoir suprême, dit une phrase de la lettre-préface, c’est de vivre, c’est de réaliser la fraternité par des actes, c’est de s’employer pour la cause des ignorants et des abusés. » Et les vers disent ensuite : Ceux-là seuls ont vaincu la mort Qui, meurtris et vaillants quand même Et grands jusqu’à l’oubli du sort, Poursuivaient leur devoir suprême !

1115. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 482-483

Cet Auteur ne travailloit que pour vivre, & la faim ne donne ni le tact nécessaire pour sentir les beautés, ni le temps de les perfectionner.

1116. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 111-112

Nous ne croyons pas aggraver, par cette expression, le sort de cette triste famille, destinée à vivre peu de temps, étant le fruit d’une Muse froide, foible & décharnée, dont la postérité ne pouvoit être qu’éphémere.

1117. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 161-162

Les Gens de Lettres doivent lui savoir gré de les avoir si complétement vengés, dans ses Plaidoyers & ses Mémoires, de l’oppression de ces tyrans typographiques qu’ils font vivre par leur esprit.

1118. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 400-401

Des personnes qui ont vécu familiérement avec lui, nous ont assuré qu’il avoit un talent singulier pour la Poésie ; mais qu’il eut la sagesse de sacrifier la gloire qu’il auroit pu acquérir sur le Parnasse, à la gloire plus solide d’instruire ses Diocésains, conformément aux devoirs de l’Episcopat.

1119. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 402-403

Pour vivre indépendans croyez-vous être nés ?

1120. (1890) Nouvelles questions de critique

En cette foi je veux vivre et mourir. […] Voilà l’objet propre de la critique : interpréter les œuvres, et à mesure qu’elles vivent plus longtemps, trouver des raisons plus profondes pour expliquer cette vitalité. […] d’une incapacité de vivre davantage ? […] Il entendait par là, que non seulement l’artiste ne doit rien mettre de sa personne dans l’œuvre, mais qu’encore il doit se retrancher jusqu’aux sympathies qu’à force de vivre avec eux il serait tenté d’éprouver pour ses propres personnages. […] D’autres ont mieux chanté l’amour, comme Lamartine ; ou la passion, comme Musset ; ou la nature et la joie de vivre.

1121. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Sans doute, chaque cellule animale dépense à vivre une bonne partie de l’énergie dont elle dispose, souvent même toute cette énergie ; mais l’ensemble de l’organisme voudrait en attirer le plus possible sur les points où s’accomplissent les mouvements de locomotion. […] Par là, il conserve, entretient et soutient l’organisme où le système nerveux est inséré et sur lequel les éléments nerveux doivent vivre. […] C’est dans cette torpeur que vivent, aujourd’hui encore, les Échinodermes et même les Mollusques. […] Elle eût vécu dans un état de somnambulisme, extérieurement à elle-même, hypnotisée sur son travail. […]   Un aveugle-né qui aurait vécu parmi des aveugles-nés n’admettrait pas qu’il fût possible de percevoir un objet distant sans avoir passé par la perception de tous les objets intermédiaires.

1122. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

S’il nous est dur de survivre à ceux que nous avons aimés, vivons du moins, comme hommes, pour nos concitoyens, mais, comme magistrat, vivons pour le prince et pour la justice, car              La Justice, le glaive en main. […] Évidemment, pour les générations qui viennent, la question est de vivre : primum vivere. […] Ce n’est pas tout, et il y a plus encore à dire de Fontenelle, qui devait vivre, comme l’on sait, jusqu’en 1757. […] Le plaisir ou la joie de vivre en leur temps y circule, pour ainsi dire, et l’on sent qu’ils se savent gré à eux-mêmes d’être si heureusement nés. […] Elle respire le plaisir ou la douceur de vivre.

1123. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vaucaire, Maurice (1866-1918) »

. — Est-ce vivre ?

1124. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 289-290

Il y a plus de cent cinquante ans que ces vers sont faits : mais tel a toujours été l’empire du sentiment ; il fait vivre les Ouvrages, comme il nourrit, anime & embellit la Société.

1125. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Mézeray l’embrasse dans son ensemble ; il la décrit au naturel dans tout son cours, et, quand on l’a parcourue avec lui d’un bout à l’autre, on peut dire véritablement qu’on a vécu avec ces hommes du xvie  siècle, qu’on les a vus au juste point, ni trop loin ni trop près, qu’on les a entendus parler, qu’on a eu la saveur de leurs propos, qu’on a conçu la suite des événements dans leur exacte proportion, avec mille particularités de mœurs qui les animent et qui en sortent d’elles-mêmes. […] Il est dommage que sa dernière manière de vivre soit allée si fort jusqu’à la manie : car on conçoit un philosophe, un sage un peu marqué d’humeur, ayant écrit ces libres Histoires et se taisant désormais, renonçant au bruit, à la gloire, pour la plus grande indépendance, et se cachant pour bien finir. Il n’est pas mal, après un temps de vogue et de renom, de s’écouler dans la foule, d’être de ceux qui aiment à vivre et à mourir aussi près de terre que possible.

1126. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Hors de là, dans le monde, quand il y allait par rencontre ; à Bâville, quand il y passait quelques jours ; à la maison professe des Jésuites rue Saint-Antoine où il vivait, c’était un homme « d’un esprit charmant et d’une facilité fort aimable », d’une rare bonté et d’un parfait agrément dans le commerce ; très gai, et se plaisant avant tout à une amitié sans contrainte. […] La foi avec tous ses motifs n’y ferait plus rien : dégagés que nous serions de ce souvenir de la mort, qui, comme un maître sévère, nous retient dans l’ordre, nous nous ferions un point de sagesse de vivre au gré de nos désirs, nous compterions pour réel et pour vrai tout ce que le monde a de faux et de brillant ; et notre raison, prenant parti contre nous-même, commencerait à s’accorder et à être d’intelligence avec la passion. […] Bourdaloue, c’est l’orateur qu’il faut être quand on veut prêcher trente-quatre ans de suite et être utile : il ne s’agit pas de tout dissiper d’abord, de s’illustrer par des exploits, d’avoir des saillies qui étonnent, qui ravissent et auxquelles on applaudit, mais de durer, d’édifier avec sûreté, de recommencer sans cesse, d’être avec son talent comme avec une armée qui n’a pas seulement à gagner une ou deux batailles, mais à s’établir au cœur du pays ennemi et à y vivre.

1127. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

C’est l’oubli qui est le plus cruel des jugements pour ces morts qui, du temps qu’ils vivaient, n’avaient que ce monde en vue. […] Il était loin de regretter ces temps de trouble et d’agitation féodale où les ambitions avaient toute carrière et où les facultés énergiques luttaient à nu : « Le repos, les plaisirs, dit-il en parlant de ces époques de ligue ou de fronde, avaient fait place au tumulte, à la méfiance, à la terreur, à tout ce que la fureur des conjurations, des cabales, peut inspirer de plus atroce. » Il se félicitait donc de vivre sous un régime qui avait mis fin à ce qui-vive perpétuel, et depuis que tout était réglé par l’autorité d’un maître : Cet état de choses (il écrivait cela aux derniers beaux jours de Louis XVI, en 1784) n’est pas favorable aux grandes pensées, mais il procure un calme sans lequel il n’y a point de bonheur. […] Pour moi, je bénis le ciel de m’avoir fait vivre sous le règne de Louis XV et sous celui-ci.

1128. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Il vivait sans se contraindre, selon ses veines et ses boutades de nature. […] On a dit que la Révolution, s’il avait assez vécu pour en être témoin, l’aurait désolé ; ce qui est bien certain, c’est que les excès et les horreurs qui se mêlèrent dès l’abord aux utiles réformes ne l’auraient en rien surpris. […] Mais il dut bientôt à la protection du duc de Choiseul de vivre plus rassuré, et alors il se livra avec une incroyable ardeur au plaisir de bâtir, de planter, de peupler ses environs, d’y établir des industries et des fabriques de montres, d’y introduire la joie, la santé et l’aisance.

1129. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

Voici une correspondance comme je les aime, qui nous initie à toutes les circonstances et au train journalier d’une société délicate et polie, et qui nous y fait vivre durant des années, en quelques heures de lecture. […] Au fond, je ne suis pas aimable ; aussi n’étais-je pas fait pour vivre dans le monde : des circonstances que je n’ai pas cherchées m’ont arraché de mon cabinet, où j’avais vécu longtemps, connu d’un petit nombre d’amis, infiniment heureux parce que j’avais la passion du travail, et que des succès assez flatteurs, dans mon genre, m’en promettaient de plus grands encore.

1130. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Les trois ou quatre années que Guérin vécut à Paris, et où il vécut de cette vie de privations et de lutte, d’études et de monde, de relations diverses, ne sont nullement des années à mépriser ni à voiler. […] Ces deux volumes qu’on donne aujourd’hui le feront vivre ; et par une juste compensation d’une destinée si cruellement tranchée, ce qui est épars, ce qui n’était écrit et noté que pour lui seul, ce qu’il n’a pas eu le temps de tresser et de transformer selon l’art, devient sa plus belle couronne, et qui ne se flétrira point, si je ne m’abuse 3.

1131. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

Boileau (et je ne parle pas ici du poète louant en public, mais de l’homme de sens s’épanchant dans la familiarité), Boileau était d’un tout autre avis ; il entrait, nous assure-t-on, dans une espèce d’enthousiasme lorsqu’il parlait de Louis XIV, et l’on a recueilli de ses lèvres ces propres paroles, qui renferment un si bel éloge sous forme littéraire : « C’est, disait-il, un prince qui ne parle jamais sans avoir pensé ; il construit admirablement tout ce qu’il dit ; ses moindres reparties sentent le souverain ; et quand il est dans son domestique, il semble recevoir la loi plutôt que la donner. » Ce dernier trait se rapporte à la facilité de vivre du roi dans son intérieur et à son égalité d’humeur avec tout ce qui l’entourait. […] Il est mort comme il avait vécu, en vue de tous et en toute lumière, conservant jusqu’à la fin sa noblesse de sentiments, sa droiture d’esprit, sa langue parfaite et royale. […] Mais nous n’embrassons encore, à cette fin du second volume, que la première partie de la grande carrière de Louvois ; la seconde va commencer ; il a encore douze ans à vivre, à gouverner, à être premier ministre autant qu’on peut l’être sans le titre, sous un roi aussi travailleur.

1132. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Issu d’une ancienne famille noble, assez peu aisée, qui vivait dans le Midi au château du Cayla, du côté d’Alby ; élevé dans une maison religieuse à Toulouse, puis au collège Stanislas, abrité quelque temps à La Chesnarye en Bretagne, dans le petit monde de M. de Lamennais au moment critique et alors que ce grand et violent esprit couvait déjà « sa séparation » d’avec l’Église, revenu bientôt à Paris et se livrant à la littérature, il mourut avant d’avoir rien publié de remarqué ni d’important. […] Je vivais de mouvement, et ne connaissais pas de borne à mes pas. […] Moi, je vivrais d’aimer : soit père, frères, sœur, il me faut quelque chose. » Ce Journal même où elle s’écoule, et qui ne laisse pas de lui donner, de temps en temps, de petits scrupules à cause du plaisir qu’elle y prend, ne lui suffit pas.

1133. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Gavarni, en ses années de jeunesse, était comme le centre d’un tourbillon ; il vivait dans un monde d’artistes, de joyeux amis ; — joyeux, entendons-nous bien, et n’exagérons pas. […] Je l’ai connu, celui-là : il s’appelait Fayolle, un menu littérateur, un auteur de petits vers sous le premier Empire ; il s’était ruiné avec ce qu’on appelait alors les Nymphes de l’Opéra, et il vivait sur la fin à Sainte-Périne, où il est mort. […] Et il y vivait depuis des années, l’embellissant, l’ornant à plaisir, y plantant des arbres rares, ifs d’Irlande, genévriers, cyprès, cèdres du Liban, et le Thuya filiformis, et le Wellingtonia gigantea, et que sais-je encore ?

1134. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’Audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. »

Il en parle avec modestie, mais aussi avec la conscience de ce qu’il a tâché d’y mettre, lui, jouissant de tant d’avantages et de commodités pour cela, comme d’avoir vécu « depuis trente-cinq ou quarante ans » au sein de la Cour, « d’avoir fait dès sa tendre jeunesse son apprentissage en notre langue auprès du grand cardinal Du Perron et de M.  […] Il en est un peu d’ailleurs des mots comme des costumes, et de l’usage comme de la mode ; et il leur citerait volontiers ces vers, s’ils avaient été faits de son temps : La mode est un tyran dont rien ne vous délivre ; A son bizarre goût il faut s’accommoder ; Mais sous ses folles lois étant forcé de vivre, Le sage n’est jamais le premier à les suivre, Ni le dernier à les garder. […] « Ce sont des maximes, ajoute-t-il en parlant des siennes, à ne jamais changer, et qui pourront servir à la postérité, de même qu’à ceux qui vivent aujourd’hui ; et quand on changera quelque chose de l’usage que j’ai remarqué, ce sera encore selon ces mêmes Remarques que l’on parlera et que l’on écrira autrement que ces Remarques ne portent.

1135. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Pendant les dix années qu’il vécut encore, il habita dans la capitale ; mais il changea bien des fois de logement, et l’on a noté jusqu’à sept de ses déménagements successifs. […] Le temps est court, l’agonie s’accroît, l’espérance diminue, et avec tout cela je vis, parce que je veux vivre assez de temps pour baiser les pieds de Votre Excellence, et peut-être que la joie de la revoir en bonne santé, de retour en Espagne, me rendrait la vie. […] Cervantes, malgré toute sa gaieté, a vécu et est mort en bon chrétien et en catholique exemplaire.

1136. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

Un fils ne m’eût pas appartenu ; elle sera toujours auprès de moi, elle m’aidera à vivre, me consolera dans mes peines, et nous serons heureuses à deux. […] Elle vivait, elle plaisait, elle se jouait aux enchantements de la vie : on n’écrit pas les riens, les mille inventions fugitives, les dissipations, les plaisirs. […] On ne se serait pas confié à Mirabeau, même s’il avait vécu.

1137. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Au retour du printemps, dès que la terre ne suffisait plus à ceux qui en vivaient, dès que la famille humaine devenait trop nombreuse, un essaim de jeunesse prenait son essor et s’envolait à la découverte, à l’aventure, vers des pays ou le soleil s’annonçait plus beau. […] Ceux qui ont vécu dans les montagnes, au voisinage des glaciers, savent que chaque chose a son nom ; les habitants du pays ou, à leur défaut, les savants, ont tout observé, tout nommé. […] Ils en vivent comme saint Jean-Baptiste au désert.

1138. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

On assiste à tous les détails de l’enfance et des fiançailles de la jeune Élisabeth, à ses ruses innocentes parmi ses compagnes pour se mortifier à leur insu et prier, à ses premières joies si courtes et qu’on sent qui vont s’évanouir : « Ainsi Dieu, dit l’auteur, donne à sa créature cette rosée matinale, pour qu’elle sache résister ensuite au poids et à la chaleur du jour. » — « Élisabeth, » raconte-t-il plus tard en un endroit, « aimait à porter elle-même aux pauvres, à la dérobée, non-seulement l’argent, mais encore les vivres et les autres objets qu’elle leur destinait. […] Quoique j’aie beaucoup vécu au temps de ma jeunesse à côté de M. de Montalembert et dans quelques-unes des mêmes sociétés, je n’ai jamais contracté avec lui de liaison particulière et encore moins d’amitié véritable : c’était assez de le côtoyer sans le coudoyer. […] Il est faux que je me sois réfugié en Belgique ; ce qui est vrai, c’est que sans fortune, ayant donné ma démission d’une place de bibliothécaire, je suis allé, au mois d’octobre 1848, c’est-à-dire sept ou huit mois après le 24 février, professer à l’Université de Liege et y vivre de ma littérature, puisque pour le moment cette littérature n’avait plus cours en France.

1139. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

A force d’or et de diamants, prodigués par la famille et les amis du dehors à l’un des geôliers, il était parvenu à s’évader et vivait dans une cachette sûre ; mais quelqu’un raconta devant lui que son avocat venait d’être arrêté comme soupçonné de lui donner asile : M. de Flahaut, pour justifier l’innocent, quitta sa retraite dès six heures du matin, et se rendit à la Commune où il se dénonça lui-même ; il fut peu de jours après guillotiné. […] Mme de Flahaut, qui était jeune quand le siècle mourut, en garda cette même portion d’héritage, tout en la modifiant avec goût et en l’accommodant à la nouvelle cour où elle dut vivre. […] Mme de Nançay a vécu aussi, contrariante et bonne, et qu’avec un peu d’adresse on menait sans qu’elle s’en doutât : « Mme de Nançay rentra chez elle disposée à gronder tout le monde ; elle n’ignorait pas qu’elle était un peu susceptible, car dans la vie on a eu plus d’une affaire avec soi-même, et si l’on ne se connaît pas parfaitement, on se doute bien au moins de quelque chose. » Eugénie et Mathilde, que nous avons déjà beaucoup cité, est le plus long et le plus soutenu des ouvrages de l’auteur, toujours Eugène et Adèle à part.

1140. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

La forme dans laquelle s’enserre alors la société humaine est construite sous les exigences du danger incessant et proche, en vue de la défense locale, par la subordination de tous les intérêts au besoin de vivre, de façon à sauvegarder le sol en attachant au sol, par la propriété et la jouissance, une troupe de braves sous un brave chef. […] Arthur Young ajoute : « Il y a ici des gentilshommes qui vivent pour 6 000 ou 8 000 livres avec deux domestiques, deux servantes, trois chevaux et un cabriolet ». […] « Selon mes amis du Rouergue, dit-il encore, je pourrais vivre à Milhau avec ma famille dans la plus grande abondance pour 100 louis ; il y a là des familles nobles vivant d’un revenu de 50 et même de 25 louis. » Aujourd’hui à Milhau les prix sont triplés et même quadruplés. — À Paris, telle maison dans la rue Saint-Honoré, louée 6 000 francs en 1789, est louée 16 000 fr. aujourd’hui.

1141. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Un historien qui n’aura vécu que dans les bibliothèques fera des livres, mais jamais une histoire ; ses personnages seront des rôles, jamais des hommes. […] VIII Pour l’époque du monde où nous vivons, Tacite est évidemment l’Homère, le Platon et le Cicéron de l’histoire. […] Il laisse transpirer, plutôt qu’il ne le témoigne, son mépris intérieur contre un peuple assez vil pour regretter son tyran : « La vile multitude, dit-il, celle qui assiège le cirque et les théâtres gratuits, et la lie des esclaves, et tous ceux qui, ayant dévoré leur patrimoine, vivaient des honteuses munificences de Néron, se montraient tristes et avides de nouvelles.

1142. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

Le théâtre du moyen âge vivait donc toujours ; il agonisait, mais enfin il n’était pas dépossédé. Il cessa de vivre en 1599, quand les Confrères de la Passion se résolurent à cesser d’exploiter eux-mêmes leur privilège, et louèrent leur salle aux comédiens. […] Ceux-ci se piquent de style et d’esprit ; ils portent au théâtre le goût des pointes, des inventions romanesques, des fanfaronnades épiques : c’est avec eux que, sans négliger les Italiens, notre théâtre se met à vivre aux frais du répertoire espagnol.

1143. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Pauvre, sensible, nerveux, pétri d’amour-propre, assez difficile à vivre, abondant en idées, et se dégoûtant dans l’exécution aussi vite qu’il s’était enflammé dans la conception, il créa des journaux d’observation morale qui ne vécurent pas, il écrivit des romans qui n’eurent pas de fin. […] Nivelle de la Chaussée, né à Paris en 4691 ou 1692, d’une famille de financiers, fit imprimer en 1719 une critique anonyme des Fables de La Motte ; ruiné par le système de Law, il eut pourtant de quoi vivre dans l’aisance.

1144. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Femmes du peuple qui peinez tant, voulez-vous oublier la mansarde où il fait froid et où l’on n’a pas toujours du pain, le loyer qui n’est pas payé, le mari qui vous bat quand il est ivre, les enfants morts ou mal portants, toute la douleur de vivre ? […] Une fois les lourds battants feutrés retombés derrière vous, tout est fini, rien de tout cela n’existe plus : vous entrez dans un monde nouveau, dans un lieu de mystère où vous pouvez croire que la vie est un vague et mauvais rêve allégé par des trêves bienfaisantes qui font pressentir le réveil ailleurs ; et vous sortirez avec une douceur dans l’âme et une résignation un peu moins inutile que la révolte. « Venez, vous qui peinez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. » Mais, au lieu de gueux et de claque-patins, des messieurs, qui ont toutes sortes de raisons pour se consoler de vivre, viennent occuper les places d’abonnés, les stalles de velours en face de la chaire. […] Il faut étouffer, si l’on veut vivre encore, l’honnêteté de ses bons instincts, le saint amour du bien, et chercher l’oubli dans l’ivresse continue de l’iniquité.

1145. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Napoléon écrivait à son frère Joseph, alors roi de Naples, qui aimait fort les gens de lettres : « Vous vivez trop avec des lettrés et des savants. […] Ils ne vivent plus, ils nous arrivent épars, morcelés ; ils se laissent régenter et discipliner à volonté, quand une main capable s’étend pour les dresser et les reconstruire. […] Les personnages ne vivent pas d’une vie à eux ; l’historien les prend, les saisit, il en détache le profil en cuivre.

1146. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Elle avait besoin d’être singulièrement distinguée et admirée de ceux auprès de qui elle vivait, quels qu’ils fussent, et qu’on dît d’elle : C’est une personne unique. […] Mme de Maintenon, une fois qu’elle a un pied à la Cour, fait semblant de n’être pas faite pour y vivre et de n’y rester qu’à son corps défendant. […] Je ne puis mieux la comparer, dans ses projets perpétuels et ses menaces de retraite, qu’à M. de Chateaubriand, qui voulait toujours, comme on sait, fuir le monde pour un ermitage et s’en retourner chez les sauvages américains : « Je retournerais en Amérique, disait Mme de Maintenon, si l’on ne me disait sans cesse que Dieu me veut où je suis. » Elle avait un confesseur, l’abbé Gobelin, qui sut lui dire de très bonne heure, en lui montrant la place (place encore sans nom et nullement vacante, car la reine vivait) qu’il y avait à occuper auprès de Louis XIV : Dieu vous veut là !

1147. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Il y a certainement des coins du génie russe que Rulhière n’a point pénétrés ni appréciés ; n’ayant vécu qu’à Saint-Pétersbourg et dans le grand monde, il a vu surtout dans ce peuple plein de disparates les mœurs d’un Bas-Empire, il a cru y voir une sorte d’Empire grec finissant, et il n’a pas assez signalé, sous ce vernis de civilisation avancée, un peuple jeune qui commence. […] Rulhière, de retour de ses voyages dans le Nord, vivait donc à Paris sur le meilleur pied, très goûté pour des opuscules qu’on regardait comme une faveur de pouvoir entendre, pour de jolis vers tels que L’À-propos, Le Don du contre-temps, qu’il récitait avec des applaudissements sûrs, pour des épigrammes très mordantes qu’il laissait courir et qu’il n’avouait pas, mais dont il avait tout l’honneur. […] Homme du monde, il vivait dans toutes les compagnies et était initié dans ce qu’il y avait de mieux à la Cour.

1148. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Vous qui vivez dans le monde des faits, dans celui de l’histoire et de la politique, vous croyez peut-être qu’on ne tourne plus depuis longtemps de rondeaux ni de triolets ; vous n’êtes pas au courant de la civilisation poétique du jour. […] laissez donc chaque être ; Laissez-le vivre en paix aux lieux qui l’ont vu naître ! […] Quand le plomb l’atteignit tout sautillant et vif, De son gosier saignant un petit cri plaintif Sortit ; quelque duvet vola de sa poitrine ; Puis fermant ses yeux clairs, quittant la branche fine, Dans les touffes de buis de son meurtre souillés, Lui, si content de vivre, il mourut à mes pieds.

1149. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Qu’aurait-il fait s’il avait vécu, s’il avait assisté au triomphe de sa cause, de ce qui paraissait sa cause ? […] Qu’aurait été Carrel à l’œuvre, et s’il lui avait été donné enfin d’agir et de se produire au grand soleil, comme cela serait arrivé s’il avait vécu douze années de plus ? […] Il fait plus, il remonte aux heures qui ont précédé ; il suit le malheureux dans ses derniers instants, dans ses lents préparatifs ; il nous fait assister à la lutte et à l’agonie qui a dû précéder l’acte désespéré ; il y a là une scène de réalité secrète, admirablement ressaisie : Quand on a bien connu ce faible et excellent jeune homme, on se le figure hésitant jusqu’à sa dernière minute, demandant grâce encore à sa destinée, même après avoir écrit quinze fois qu’il s’est condamné, et qu’il ne peut plus vivre.

1150. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Un fils qu’il avait eu de son second mariage n’avait pas vécu ; mais il avait une fille qu’il aimait tendrement, nommée du nom d’Eugénie, et que tout annonce avoir été charmante. […] Sorti encore une fois de France et réfugié à Hambourg pendant les années suivantes, il y vécut dans la détresse jusqu’au point (me dit M. de Loménie) de devoir ménager une allumette et en réserver la moitié pour le lendemain. […] Tout homme qui a fait du bruit dans le monde a deux réputations : il faut consulter ceux qui ont vécu avec lui, pour savoir quelle est la bonne et la véritable.

1151. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Il n’en reste que la base, sur laquelle j’ai écrit avec un crayon : Lugete, Veneres Cupidinesque, et les morceaux dispersés qui feraient mourir de douleur Mengs et Winckelmann, s’ils avaient eu le malheur de vivre assez longtemps pour voir ce spectacle. […] Il vit dans ces beaux lieux, il s’y naturalise, il s’y oublie ; et, dès qu’il a quitté son « harnais », comme il dit, et laissé son vil métier, il retourne y vivre et y passer les dernières années de la sécurité et du loisir (1810-1812). […] Ce que rêve Courier à cette date, ce n’est pas de noyer tout le genre humain, quoique détestable, mais de faire une arche de quelques personnes d’élite et d’y vivre entre soi.

1152. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Le succès rapide de la première édition de ce livret, comme il l’appelle, l’obligea à retoucher la seconde : « J’ai ajouté, disait-il, beaucoup de petites chosettes, selon les désirs que plusieurs dignes juges m’ont témoigné d’en avoir, et toujours regardant les gens qui vivent en la presse du monde. » C’est cette appropriation parfaite de ce premier ouvrage de saint François de Sales aux gens du monde, qui en fait le cachet. […] Ce qu’il disait à Mme de Chantal, il l’aurait dit également à toute âme : « Tenez voire cœur au large, ma fille ; et, pourvu que l’amour de Dieu soit votre désir, et sa gloire votre prétention, vivez toujours joyeuse et courageuse. » Si l’on ne voyait chez lui que quelques images de mauvais goût et quelques abus d’esprit, de sucre, de miel et de fleurs, on pourrait croire qu’il amollit et qu’il effémine la dévotion : en allant plus au fond et en dégageant sa pensée, les meilleurs juges ont trouvé qu’il n’en était rien, et qu’il est resté fidèle au véritable et sérieux esprit chrétien. […] Saint François de Sales y énumère toutes les petites formes de partialité et d’injustice par lesquelles nous tirons à nous, dans la pratique de la vie, du côté de notre intérêt et de notre passion, sans vouloir l’avouer ni en avoir l’air, et sans nous croire moins honnêtes gens ; il fait toucher au doigt en quoi consistent ces défauts de raison et de charité, lesquels, au bout du compte, ne sont que de mesquines tricheries : « Car on ne perd rien, dit-il, à vivre généreusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur royal, égal et raisonnable. » Par ce seul chapitre, où respire dans le moindre détail la vraie loi de charité, saint François de Sales s’élève en morale bien au-dessus du Montaigne et du Franklin.

1153. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Si la vie a de la valeur pour l’homme, c’est que l’homme est un être vivant et qu’il est dans la nature du vivant de vivre. […] Vivre, c’est, avant tout, agir, agir sans compter, pour le plaisir d’agir. […] A ces moments, il est vrai, cette vie plus haute est vécue avec une telle intensité et d’une manière tellement exclusive qu’elle tient presque toute la place dans les consciences, qu’elle en chasse plus ou moins complètement les préoccupations égoïstes et vulgaires.

1154. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes »

Service de nuit) ; mais le feu n’est pas leur essence même et ils ne vivent pas en lui comme dans un élément indispensable à leur existence74. […] Il y a chez les guinné comme chez les humains, pour ceux du moins qui vivent en société, une hiérarchie constituée. […] La durée de la vie des guinné n’est pas indéfinie, leur existence est longue et leur croissance lente et dès qu’ils ont atteint un âge avancé ils meurent pour recommencer à vivre.

1155. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

et qui déchira les entrailles de l’Europe après se les être déchirées à elle-même de ses propres mains, ni les conséquences de ce Protestantisme pulvérisateur qu’il détestait, et qui fait lever maintenant des atomes de poussière là où il y avait autrefois du ciment, n’arrachèrent à Joseph de Maistre, tout le temps qu’il vécut, sa foi profonde en une unité supérieure, qui, tôt ou tard, devait se reconstituer. […] Ce n’est pas Calvin qui eût écrit cette phrase : « Il n’y a pas d’homme qu’on ne puisse gagner avec des opinions mesurées. » Et encore : « Les vertus poussées à l’excès deviennent des défauts. » Et encore — (si Calvin avait eu le triste avantage de vivre après la Révolution française) : « De quoi pourriez-vous vous plaindre ? […] Quoique, par le titre qu’ils portent, les Quatre chapitres puissent donner à penser que l’auteur avait eu l’intention d’écrire une histoire de cette Russie dans laquelle il avait vécu et qu’il connaissait bien, ce ne sont pourtant que des lettres confidentielles à un haut fonctionnaire russe, sur des questions qui importaient alors à la prospérité et à la force de l’Empire.

1156. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

On avait bien le café et le thé, des excitants dont a parlé Balzac comme Balzac a parlé de tout, c’est-à-dire en grand maître, même quand il gausse, le Rabelaisien dont Rabelais serait fier comme d’un fils, s’il vivait, et s’il n’en était pas jaloux ! […] Je n’ai guères parlé jusqu’ici que de celui qui appartient plus particulièrement à Baudelaire : le livre qui traite du haschisch ; l’autre, qui traite de l’opium et dont le paradis est bien inférieur au paradis du premier, a été traduit ou du moins très inspiré de Quincey, un vieux mangeur d’opium qui fut poète dans le temps en Angleterre, et qui n’avait pas assez de sa poésie, sans doute, pour s’enivrer et se sentir vivre. […] Comme tout est ironique en ces diaboliques histoires, Quincey vécut soixante-quinze ans de ce qui aurait dû le tuer soixante-quinze fois.

1157. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Un nombre considérable d’individus peuvent vivre ensemble sur un même territoire, et agir de façons très diverses les uns sur les autres, sans former, forcément, une société unifiée. […] Sa force n’aura d’effets sociaux que si elle repose elle-même sur une sorte de consentement public, c’est-à-dire si les individus qu’elle prétend soumettre la même loi ont bien la volonté de vivre ensemble. […] Et peut-être le succès de cette notion, qui avait pris « la consistance et la chaleur d’une passion politique », s’explique-t-il par le spectacle de la centralisation croissante au milieu de laquelle on vivait. — Ainsi l’unification des sociétés aurait en elle de quoi incliner les esprits vers ce rationalisme, épris des idées générales et des règles universelles, qui conduit à l’égalitarisme.

1158. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Marsolleau, Louis (1864-1935) »

— Scènes vécues (1894). — La Revue automobile (1896). — Mais quelqu’un troubla la fête (1900).

1159. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Morhardt, Mathias (1863-1939) »

Le poète s’est émerveillé de vivre en mots qui le confessent délicat et doux, ayant la pudeur de sa joie, la reconnaissance d’aimer ; ce livre est une parole basse, dite pour une seule et dont le hasard d’une surprise involontaire nous a fait le confident indulgent.

1160. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Plessis, Frédéric (1851-1942) »

S’il eût vécu à Rome, à la jolie époque, j’imagine volontiers, comme la chose la plus naturelle du monde, qu’il eut été le confident de

1161. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 113

Abeille, arrivant à Paris, D’abord pour vivre vous chantâtes Quelques Messes à juste prix ; Puis au Théatre vous lassâtes Les sifflets par vous renchéris ; Quelque temps après, fatigâtes De Mars l’un des grands* favoris, Chez qui pourtant vous engraissâtes : Enfin, digne Aspirant, entrâtes Chez les quarante Beaux-Esprits, Et sur eux-mêmes l’emportâtes A forger d’ennuyeux Ecrits.

1162. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 479-480

Quoique d’une complexion foible, il vécut quatre-vingts ans, & conserva jusqu’à la fin de sa vie tous les charmes de la jeunesse, & cette bonté de cœur si désirable dans l’amitié ; c’est l’éloge qu’en fait Mademoiselle de Lenclos, dans une Lettre qu’elle écrit à S.

1163. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — VI. Le canari merveilleux. »

Or ces petits canaris blancs n’étaient autres que des aigrettes qui, à chaque jour de marché, se changeaient en canaris pour vivre un peu au milieu des hommes.

1164. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Et Daudet reprend que, pendant toutes ces années, il n’a rien fait, qu’il n’y avait alors chez lui, qu’un besoin de vivre, de vivre, activement, violemment, bruyamment, un besoin de chanter, de faire de la musique, de courir les bois avec une pointe de vin dans la tête, d’attraper des torgnoles. […] Je me sens le besoin de vivre jusqu’à l’heure du spectacle, avec des gens qui m’aiment. […] Quand je faisais des romans, que je créais des personnages, ma création me tenait compagnie, faisait ma société, peuplait ma solitude ; je vivais avec les bonshommes et les bonnes femmes de mon bouquin. […] Enfin la femme n’avait plus que quelques jours à vivre. […] Une heureuse jeunesse appartenant tout entière au bonheur sensuel de vivre, en cette contrée de lumière, d’amour et de vin du Château des Papes, et où, dans la cervelle du romancier futur, ne s’était point encore glissé le souci littéraire.

1165. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Le Barillier, Berthe-Corinne (1868-1927) »

Gaston Boissier, il a vécu de la vie romaine et s’est promené avec savoir et curiosité à travers les cités mortes et les siècles révolus.

1166. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 283-284

Selon toute apparence, M. de Méhégan auroit réformé ses jugemens, s’il eût vécu davantage.

1167. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 295-296

Mercier a aussi exercé sa plume à des Eloges historiques, tels que ceux de Charles V & de Descartes ; à des Réflexions sur l’Art dramatique, où, parmi plusieurs hérésies littéraires, on trouve des idées neuves & vraiment instructives ; à des Songes philosophiques, propres à donner une idée de ce qu’il pourroit faire de bon, avec l’esprit & la facilité de penser qu’il a reçus de la Nature, s’il vouloit s’appliquer à être simple, naturel, & donner à son style cette chaleur qui suppose de l’ame, & fait vivre les Productions.

1168. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  De Machy  » p. 151

et qui est-ce qui peut se promettre de vivre dix ans, qu’on emploiera à l’achever ?

1169. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Raspail était allé passer ses années de bannissement en Belgique ; il y jouissait de l’espace retrouvé, de la nature, du soleil ; il y vivait à la campagne et s’amusait à rédiger un journal de médecine, une Revue où il parlait de tout à son gré, et dont il était le seul rédacteur. […] Raspail, qui avait continué de vivre en Belgique, à la nouvelle de cette mort, ait écrit cinq jours après au fils de la chère défunte cette lettre pathétique et grave, qui mérite de rester attachée à sa mémoire comme la suprême oraison funèbre : « Monsieur, j’ai lu et relu, les yeux remplis de larmes, votre pieuse lettre ; c’est le dernier adieu que votre illustre mère vous a chargé de me transmettre, vous, le légataire universel de ses souvenirs, de ses affections et de ses grandes qualités.

1170. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Tancrède expire alors qu’il eût souhaité de vivre, et néanmoins il meurt avec un sentiment plus doux. […]  » Arie dit à Petus en lui remettant le poignard : « Tiens, cela ne fait point de mal. » Bossuet, en faisant l’éloge de Charles Ier dans l’Oraison funèbre de sa femme, s’arrête, et dit en montrant son cercueil : « Ce cœur, qui n’a jamais vécu que pour lui, se réveille, tout poudre qu’il est, et devient sensible, même sous ce drap mortuaire, au nom d’un époux si cher. » Émile, prêt à se venger de sa maîtresse, s’écrie : « Malheureux !

1171. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Ses personnages inventés ne vivent pas. Les héros de sa taille qu’il embrasse ou combat dans la boue politique ne vivent plus en nous que grâce à des souvenirs anciens et tenaces.

1172. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

On cite même victorieusement, à ce propos, ces lignes de Louis Veuillot : « La page raturée, refaite, recopiée, est la bonne ; la page tracée d’un seul jet, sans point ni virgule, sans rature, est l’excellente. » Ceci est peut-être vrai d’un article de journal, où l’excès du travail risque parfois d’atténuer la force d’un premier jet ; mais Louis Veuillot connaissait bien la valeur de la retouche et l’importance du travail, lui qui écrivait aussi ces lignes, que je recommande également à mes adversaires bruxellois : « Aujourd’hui, on est écrivain pour vivre. […] Le plaisir d’écrire, c’était de vivre avec une pensée, de la mûrir, de la vêtir, de la faire forte et belle … Autrefois, on faisait un livre comme on élève un enfant, avec diligence, avec patience 28. » Quoi qu’on dise, Louis Veuillot n’eût donc pas désapprouvé une méthode comme la nôtre, qui enseigne, comme il en exprimait le désir, à méditer, à corriger, à produire avec labeur, avec diligence, avec patience. ‌

1173. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

Craven raconte bien moins la vie des siens qu’ils ne la vivent et ne la parlent eux-mêmes devant nous. […] Les romans de Mme Craven ne sont point destinés à vivre, tandis que le Récit d’une sœur est destiné à ne pas périr… La vérité, qu’elle n’a pas faite, est plus puissante et plus durable que les pauvres fictions qu’elle a inventées… Mme Craven a trouvé presque la gloire sans la chercher, le jour où elle a rassemblé des souvenirs qui méritaient d’être immortels ; mais à présent qu’elle la cherche opiniâtrement et dans des voies où la vanité littéraire la promène, elle ne la trouvera plus.

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