/ 1730
42. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

Précisément que toute recherche expérimentale a la plupart du temps pour point de départ une observation fortuite. […] Assurément il faut observer les faits sans idée préconçue, autrement on ne verrait que ce qu’on voudrait voir ; mais cette première observation, dégagée de l’hypothèse, suggère elle-même une hypothèse, et c’est cette hypothèse qui provoque l’expérience et qui la conduit. […] Si l’hypothèse précède l’observation, celle-ci risque d’être fausse et infidèle ; si elle ne la suit pas, elle est stérile. […] « Il n’y a pas de règles à fixer, nous dit-il, pour faire naître à propos d’une observation donnée une idée juste et féconde : cette idée une fois émise, on peut la soumettre à des préceptes et à des règles ; mais son apparition a été toute spontanée, et sa nature esttout individuelle. […] Il arrive même qu’un fait ou une observation reste longtemps devant les yeux d’un savant sans lui rien inspirer ; puis tout à coup vient un trait de lumière. — L’idée neuve apparaît avec la rapidité de l’éclair comme une révélation subite. — La méthode expérimentale ne donnera donc pas des idées vraies et fécondes à ceux qui n’en ont pas ; elle servira seulement à diriger les idées chez ceux qui en ont. » Au reste, il est encore juste de reconnaître que ces réclamations en faveur de l’hypothèse dans les sciences expérimentales ne sont pas absolument neuves, et que les philosophes ont sur ce point précédé les savants.

43. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Quelles que soient les idées générales auxquelles l’auteur de ce livre spécial rattache ses curieuses observations de détail, c’est, après tout, un écrivain de race et d’étude. […] D’Arpentigny, qui ne répète point les observations des autres s’il en répète les procédés, a pris la main comme l’expression résumante de l’homme tout entier ; mais avec les ressources variées de son esprit, avec le sentiment des analogies, qui est en lui à une haute puissance, il aurait pu tout aussi bien prendre le pied, et pas de doute qu’il ne nous eût dit, à propos du pied comme à propos de la main, une foule de choses vraies et charmantes. […] Évidemment il croit à la série des observations qu’il a généralisées, mais il y croit avec les réserves d’un esprit qui prévoit très bien contre quelle objection fondamentale son château de cartes d’analogies peut se heurter et s’écrouler. […] Cet homme de civilisation raffinée et de littérature volontaire, qui, précisément dans le livre où il a cristallisé laborieusement toutes ses études, toutes ses observations, toutes ses pensées, montre, à dix reprises différentes, le mépris philosophique d’un membre du Congrès de la paix pour cette grande chose qui s’appelle la guerre, a très probablement essayé de donner à sa pensée des formes plus savantes, plus littéraires, plus mandarines ; mais il est resté, quoi qu’il ait pu faire, timbré du casque de soldat. […] Dans ces portraits de tous les genres que d’Arpentigny fait passer devant nous et où nous retrouvons cette touche particulière qu’il n’aurait point si sa main n’avait pas fait longtemps siffler une cravache ou une épée, dans ces portraits s’attestent avec éloquence toutes les qualités qui créent les grands portraitistes : la finesse des nuances, l’observation concentrée, et ce magique sentiment des analogies dont on est obligé de parler beaucoup quand on parle du capitaine d’Arpentigny, car les défauts de son esprit comme les plus brillants avantages de son talent viennent de ce sentiment puissant et dangereux : « Chopin — dit d’Arpentigny — n’était pas de ceux-là qui ont les nerfs en harmonie avec leur tempérament.

44. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Ces inventeurs, sans réflexion, n’ont pas vu ou n’ont pas voulu voir que, dans toute critique digne de ce nom, se trouvait précisément l’emploi des deux facultés à l’aide desquelles l’esprit invente : l’observation qui cherche et l’intuition qui devine. […] Mais à part les vers qui s’y sont mis, comme dirait Rivarol, ce poème n’est, au fond, qu’un petit roman d’observation pénétrante et raffinée, d’un détail très pur et d’une émouvante simplicité. […] Louvet n’a jamais rien observé que ce qui fait baisser les yeux à un honnête homme, et le nom qu’il mérite ne peut s’écrire en littérature, tandis que Monselet, qui a sans doute pour Louvet l’indulgence d’un biographe de Rétif de la Bretonne, ne manque point d’observation réfléchie, et « la bonne humeur » dont il nous parle aussi dans sa préface et dont nous aurions souhaité qu’il eût voilé quelques éclats, est de cette bonne humeur à la façon des satiriques, qui ont une manière de rire à eux, comme rirent, de leur temps, Johnstone et Le Sage… Monselet s’est calomnié gratuitement en se comparant au plat et indécent auteur de Faublas. […] En effet, malgré les quelques mièvreries libertines de son Monsieur de Cupidon, le dessein de ce livre est sérieux, — ou, du moins, il révèle des facultés d’observation qui peuvent un jour faire la fortune intellectuelle de leur auteur. […] Encore une fois, nous ne tenons pas grand état d’une pareille donnée, inspirée plus par les études et les préoccupations littéraires de l’auteur que par son propre génie ; mais ce que nous estimons infiniment, ce sont deux ou trois courants d’aperçus, d’observations et de pensées, qui se rencontrent, se croisent et se mêlent dans ce livre, taillé trop à facettes et à pans coupés, et que nous eussions voulu plus large et plus simple.

45. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

Parmi les productions d’une littérature de copiage, parmi tous ces romans, issus plus ou moins de Balzac ou de Stendhal — les seuls romanciers d’invention et d’observation de ce siècle, — un livre qui avait de l’accent, de l’originalité, une manière tranchée — tranchée même jusqu’à la dureté — devait frapper les connaisseurs, et telle a été l’histoire — l’histoire instantanée de la Madame Bovary de M.  […] Gustave Flaubert dans le milieu de la vie, A la vigueur de son observation, on sent qu’il s’est attendu, cette chose héroïque dans un temps où tout le monde est si pressé. […] Ce n’est pas un roman, comme nous en faisons toujours dans la première partie de notre vie, car le roman étant le plus souvent de l’observation personnelle appliquée aux choses de sentiment, nous voulons tous avoir plus ou moins l’expérience des choses du cœur. […] Son style a, comme son observation, le sentiment le plus étonnant du détail, mais de ce détail menu, imperceptible, que tout le monde oublie, et qu’il aperçoit, lui, par une singulière conformation microscopique de son œil. […] Tant de subtiles observations finissent par donner des bluettes !

46. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

Que si, au contraire, ce titre d’Aventures parisiennes donné à un livre d’observation d’intérieur, de coin du feu, de sentiment raffiné, est une ironie détournée contre cette société devenue si uniformément plate à force de civilisation, et dans laquelle chacun de nous n’a plus d’autres aventures à courir que dans les deux pouces cachés de son propre cœur, elle est vraiment trop détournée, cette ironie ; c’est là une intention qui ne sera pas aperçue, et l’auteur aura manqué son trait, comme le joueur au billard manque la bille pour avoir voulu la prendre trop fin. […] L’homme qui a écrit La Famille Percier, — cette tragédie domestique qui n’est pas du tout un mélodrame, — et Le Mariage de Caroline, où l’observation a tant de regard, — est bien capable d’acquérir en les développant ces qualités de profondeur, de couleur et de sensibilité qu’il a en germe, et dont nous ne pouvons pas nous passer au dix-neuvième siècle. […] Dans l’une et l’autre de ces nouvelles, il y a une étude de vieille fille, de ce type toujours très-fécond quand il sera bien attaqué, qui fait vraiment honneur à l’observation de M.  […] Quand on est jeune, l’imagination aime assez la passion pour vouloir toujours la peindre belle et irrésistible, mais la montrer rapetissée, humiliée sous les habitudes de la vie, sacrifiée à la tyrannie de ces habitudes, et la prose de la réalité venant à bout de la dernière poésie de nos cœurs, suppose un désintéressement d’observation qui ne se voit guère que chez les hommes qui ont vécu et qui savent comme la vie est faite.

47. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

A-t-il mieux compris le roman psychologique et le roman d’observation sans excès ? […] N’est-ce pas manquer d’observation que de vouloir borner Inobservation ? […] Ce n’est pas de la photographie instantanée, c’est de l’observation évoquée. […] Il y a là évidemment une manière très haute de comprendre l’observation. […] C’est toujours de l’observation après coup et de l’analyse évoquée.

48. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Puissance de l’observation et justesse de l’expression. — 4. […] Le comique et la vérité se tirent du même fonds, c’est-à-dire de l’observation des types humains. […] Parcourons toute la comédie de Molière : du haut en bas, nous trouverons toujours la même dose d’observation vraie. […] Une chose fait ressortir la profondeur de l’observation du poète : c’est que parfois sa comédie semble devancer les mœurs. […] S’il part d’une idée juste, d’une observation vraie, il se hâte de la fausser, pour forcer le rire.

49. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Seulement, l’observation directe étant impossible ici, il y a suppléé par l’étude des documents qui permettaient de reconstituer la réalité disparue. […] Sa doctrine lui disait — et son tempérament ne protestait pas contre sa doctrine — que l’observation scientifique est extérieure, non intérieure. […] Zola a mis dans ces deux romans plus de vérité, une observation plus serrée et plus précise que dans les autres : là aussi, plus de sincérité, je crois, et moins d’artifice verbal. […] Une fois formé, au gré de son maître, Maupassant se mit à écrire des nouvelles et des romans remarquables par la précision de l’observation et par la simplicité vigoureuse du style. […] Deux romanciers qui ont circonscrit leur observation, sont arrivés à rendre supérieurement certains milieux particuliers, avec les espèces morales qui s’y développent : M. 

50. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

Pour bien comprendre la question, il ne faut pas oublier qu’il y a deux sortes de sciences : les sciences d’observation et les sciences d’expérimentation. […] Les secondes sont celles où le savant passe de l’observation à l’expérience, produit lui-même les phénomènes qu’il veut étudier, en change les conditions, les isole, les combine, les reproduit à volonté, et par là obtient sur la nature une puissance bien plus grande que ne peut en avoir le simple contemplateur. […] L’expérience est ingénieusement définie « une observation provoquée ». La question est maintenant de savoir si la physiologie est une science d’observation ou une science d’expérience, si elle peut agir artificiellement sur les phénomènes et se fournir à elle-même des sujets d’observation, ou si elle doit les attendre, comme l’astronomie qui ne peut rien changer au système planétaire, et qui en contemple immobile les révolutions. […] Ils tombent sous l’observation, mais non pas sous l’expérience.

51. (1884) Articles. Revue des deux mondes

A côté des hypothèses téméraires, des généralisations sans mesure, apparaît déjà, timidement il est vrai, la véritable observation. […] Il a dû surtout s’inspirer de l’esprit général de la méthode hippocratique, qui est une méthode d’observation. Mais cette observation semble être restée à la surface du corps humain. […] Il apprécie l’utilité de la vivisection et lui doit des observations délicates sur les mouvemens des muscles intercostaux du caméléon. […] Il ne cesse de recommander l’alliance étroite de l’observation et du raisonnement ; faute de cadavres humains, il dissèque des singes et un assez grand nombre d’animaux.

52. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IX : Insuffisance des documents géologiques »

Il est encore une observation qui mérite de prendre place ici. […] Aussi, plus d’un paléontologiste a-t-il fait l’observation que les dépôts les plus puissants sont communément très pauvres en fossiles, excepté vers leur limite inférieure ou supérieure. […] Cependant si l’observation n’eût révélé ce fait remarquable, qui aurait pu soupçonner quelle immense suite de siècles était représentée par quelques strates superposées ? […] Il ne sera pas inutile de résumer les observations précédentes sur les causes de l’insuffisance des documents géologiques, au moyen d’un exemple supposé. […] Je puis rappeler ici une observation déjà faite : c’est qu’il doit falloir une longue succession d’âges pour adapter une organisation à des habitudes de vie entièrement nouvelles, telles que celle du vol aérien, par exemple.

53. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Il en a une, mais qui n’est pas le résultat de l’analyse et de l’observation, qu’il n’a exposée nulle part avec précision, et qu’il emprunte en grande partie aux préjugés de notre temps. […] À cet argument, qui a d’abord tous les inconvénients des preuves analogiques, je me contente d’opposer deux observations : 1° La plus grande partie des faits cités sont des faits de mémoire, d’imagination ou de sensation. […] Avant de discuter ces quatre propositions, je ferai d’abord une observation préliminaire sur l’emploi de l’histoire et de la biographie en médecine. […] On peut, sans doute, confirmer par des fails historiques bien attestés certaines lois démontrées déjà par l’observation et par l’expérience, mais établir des lois médicales sur de simples anecdotes historiques me paraît un procédé des moins rigoureux. […] C’est ce qu’il me paraît absolument impossible de découvrir, c’est du moins ce qui demanderait des observations si longues et si délicates, que je ne crois pas que la science puisse encore rien avancer de sérieux sur un pareil sujet.

54. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

La méthode qu’il appliqua est la méthode d’observation. […] Il y a deux manières d’observer en politique, — l’observation directe des choses présentes et l’étude du passé, c’est-à-dire l’histoire. […] Il n’emploie que la première méthode, l’observation directe, et le manque absolu de comparaisons historiques est l’une des lacunes de son ouvrage. […] Ce fut cette impartialité d’observation qui étonna et séduisit à la fois dans le livre de la Démocratie en Amérique. […] Tocqueville est le premier qui, regardant la démocratie comme bonne en elle-même et inévitable, ait su voir qu’elle pouvait conduire au despotisme aussi bien qu’à la liberté : observation vulgaire chez tous les publicistes de l’antiquité, et cent fois vérifiée dans les petites républiques de la Grèce, mais qui, appliquée à toute la surface du monde civilisé, inspire à l’entendement et à l’imagination une singulière impression de religieux effroi.

55. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 108

L’Abbé Desfontaines appeloit M. l’Abbé Lebeuf, le Pausanias, le Suidas du Siecle, & comparoit ses Observations historiques aux Observations physiques de Galilée, de Malpighi, & de Newton.

56. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Tant qu’une révélation reste à faire, et lorsque l’époque en est venue, le seul grand psychologiste possible, le seul psychologiste capable de tirer directement de l’observation individuelle l’avenir de l’humanité, c’est le révélateur lui-même ; car déjà l’humanité transformée vit en lui et remplit son moi ; mais ce révélateur alors ne s’amuse jamais à faire une psychologie, il fonde une religion. […] Vous supposez dès le début que l’homme est condamné à chercher ici-bas la vérité, seul, par lui-même, à la sueur de son front ; et tout cet effort infatigable de l’humanité pendant des siècles, ce sang, ces larmes répandues à travers ses diverses servitudes, ces joies quand elle se repose et se développe harmonieusement, ces religions qui fondent, ces philosophies qui préparent ou détruisent, cette loi de perfectibilité infinie et d’association croissante, tout cela n’aura abouti pour vous qu’à la conception mélancolique et glacée d’un ensemble d’êtres rationnels avant tout, destinés à s’observer, à se connaître, s’ils en ont la capacité et le loisir, à chercher concurremment ce qu’aucun ne sait, ce qu’aucun ne saura ; honnêtes gens tristes et solitaires, sortis d’un christianisme philosophique d’où la foi et la vie ont disparu, ayant besoin d’espérer, s’essayant à croire, oubliant et rapprenant la psychologie tous les ans, pour s’assurer qu’ils ne se sont pas trompés, et pour vérifier sans cesse les résultats probables de leur observation personnelle. […] Toutes nos observations pourtant subsistent, et nous les maintenons. […] Il a professé d’abord que, sur la foi de l’observation du passé, il croyait fermement au progrès, et au progrès en tout, en politique, en art, en philosophie, etc., etc. ; puis il a vivement, et par d’énergiques exemples, étalé l’anarchie présente qui se manifeste sur tous les points. […] Jouffroy va s’efforcer d’y arriver à l’aide de l’observation psychologique et de l’induction ; car, dit-il, ce sont les idées qui gouvernent les individus, ce sont les idées qui gouvernent également les nations ; c’est par conséquent dans les idées du moi et dans la raison individuelle qu’on peut seulement trouver la solution du problème social.

57. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

Voici donc pourquoi l’observation du « soi-même » est forcément vivante. […] Longtemps avant sa mort, il avait d’ailleurs projeté de publier son authentique observation, complétée de traits empruntés à ceux qu’il appelait ses « sosies de douleur » : H. […] Observation β. […] Nous voici donc arrivé, par une marche logique, à une issue de chapitre exactement inverse de la précédente : l’observation objective, en s’épurant, atteignait, nous l’avons vu, le stade involontaire ; l’observation subjective, en s’exagérant, aboutit, au contraire, à la Consciente expérimentation.

58. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Ou bien on se presse trop de généraliser ; par légèreté, par impatience, on ne se donne pas la peine de ramasser un grand nombre d’observations, et sur deux ou trois exemples, sur un seul parfois, et qu’on n’étudie pas à fond, on pose une règle générale qui se trouve fausse. […] Claude Bernard s’est étendu là-dessus dans son Introduction à la médecine expérimentale ; c’est pour lui la grande cause d’erreur, et il ne se lasse pas de recommander aux savants d’être toujours prêts à abandonner l’idée préconçue qui leur a fait entreprendre une observation ou instituer une expérience. […] Je n’ai point vu de roman anglais ou russe, en dépit de l’impartiale observation des auteurs, où l’on donnât d’un Français autre chose qu’une charge ; et l’on peut croire que nous agissons de même à l’égard des étrangers. […] Mais cette règle n’est pas encore générale, et l’observation vient de nouveau la rectifier. […] Comme contre-épreuve de cette série d’observations, on regarde non plus l’œuvre, mais l’auteur, et l’on voit que chez tous les grands artistes, dans ce qu’on appelle inspiration ou génie, se rencontre toujours une impression originale fournie par un caractère de l’objet, « la vive sensation spontanée qui groupe autour de soi le cortège des idées accessoires, les remanie, les façonne, les métamorphose, et s’en sert pour se manifester ».

59. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre premier. Table chronologique, ou préparation des matières. que doit mettre en œuvre la science nouvelle » pp. 5-23

Mais les Chaldéens ont été jusqu’à prétendre qu’ils avaient conservé des observations astronomiques d’environ vingt-huit mille ans. Josèphe17 a cru à ces observations antédiluviennes, et a prétendu qu’elles avaient été inscrites sur deux colonnes, l’une de marbre, l’autre de brique, qui devaient les préserver du déluge ou du l’embrasement du monde. […] Des nations civilisées ou barbares, il n’en est aucune, selon l’observation de Diodore, qui ne se regarde comme la plus ancienne, et qui ne fasse remonter ses annales jusqu’à l’origine du monde. […]   D’après toutes les observations que nous avons faites sur cette table, on voit que tout ce qui nous est parvenu de l’antiquité païenne jusqu’au temps où nous nous arrêtons, n’est qu’incertitude et obscurité. […] … Ce sont peut-être de semblables observations qui ont fait conjecturer à Cicéron, dans son livre sur la Nature des Dieux, qu’Orphée n’a jamais existé.

60. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

» et qui lui articule les raisons de son mépris, qui sont très bonnes, — et tout cela est excellent de vérité, d’observation, de connaissance de ces bourgeoises qui se donnent au premier aristocrate venu, je ne dis pas de naissance, mais de high life, de chevaux, d’élégance, de luxe et de célébrité. […] Ce mondain, qui nous raconte Un mariage dans le monde, s’est trouvé d’observation, de style et de taille, avec ce sujet d’une réalité si commune, et nous avons eu un livre vrai. […] Ce n’est pas le talent qui lui manque, ni l’observation, ni l’imagination, ni même le style, mais c’est la force, le mordant, et la profondeur dans tout cela. […] Tous ces livres de Feuillet, manqués aux yeux de la critique exigeante, ne sont que des effleurements d’observation ou d’idées, mais ils ne choquent personne et paraissent charmants à la majorité des esprits, qui ne veulent pas qu’on les remue trop fort. […] La passion n’y a pas plus de profondeur que l’observation, et la peinture plus de profondeur non plus que la passion et l’observation, et enfin la morale — car ce roman veut être moral — plus de profondeur à son tour que la passion, l’observation et la peinture.

61. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Envoyés, en 1831, aux États-Unis avec mission d’observer le régime pénitentiaire, MM. de Tocqueville et de Beaumont s’acquittèrent avec conscience et talent de ce travail intéressant de législation criminelle ; de nombreux documents de statistique et un bon livre sur le Système pénitentiaire aux États-Unis, attestèrent au gouvernement et au public les résultats de leur observation. Mais à travers cette occupation spéciale, une autre idée d’observation plus étendue ne les avait pas quittés ; ils s’étaient attachés à étudier les divers ressorts du grand ensemble qu’ils avaient sous les yeux, et leur tâche officielle dignement remplie, ils viennent de nous reproduire la double face de la civilisation américaine tout entière, l’un, M. de Beaumont, la société civile et les mœurs dans le roman de Marie ; l’autre, M. de Tocqueville, la société politique et les lois, dans l’ouvrage que nous annonçons. […] Il n’est pas un des chapitres de ce livre qui n’atteste un des meilleurs et des plus fermes esprits, un des plus propres à l’observation politique, dans cette carrière où l’on compte si peu de pas éclatants et solides depuis l’incomparable monument de Montesquieu. […] Il faudrait remonter fort loin pour trouver parmi nous un livre de science et d’observation politique, qui ait à ce point éveillé et satisfait l’attention des penseurs.

62. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

Crébillon Elle était bien malade, dès le jour où elle perdit Racine : par un effort de génie qui ne sera pas renouvelé, il avait su pousser son observation bien au-dessous de la surface polie des mœurs actuelles jusqu’aux explosions immorales, douloureuses, brutales, des passions naturelles. […] Or, en même temps, la condition des gens de lettres se relève ; la considération dont ils jouissent les introduit et les enferme dans le monde ; leur champ d’observation se trouve par là singulièrement restreint, et le rideau des bienséances sociales s’interpose entre leur œil et la nature. L’objet, le don, le goût de l’observation psychologique s’évanouissent également ; et cette connaissance de l’homme qui avait fait l’intérêt de la tragédie au siècle précédent disparaît sans laisser de traces. […] Puis, pour remplir l’idée qu’il se faisait de la tragédie, l’essentiel lui fit défaut, la pratique de l’observation psychologique, ou la puissance de l’imagination psychologique.

63. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

Ne serait-ce pas plutôt une forme ingénieuse toute trouvée pour un petit et joli livre de morale dans les nuances mondaines, un prétexte, un honnête prétexte pour esquisser, d’une plume qui ne manque ni de sagacité, ni de raison, ni même de grâce, quelques observations bien faites ? […] Rivarol disait, avec la belle voix d’or de son esprit : « La grandeur de nos facultés dépend de Dieu, mais de nous dépend leur harmonie. » Quel que soit donc celui des trois systèmes sur la nature humaine que l’on adopte, il est d’observation indéniable qu’il y a au fond de nous-mêmes une tendance prononcée à nous croire le centre de tout, à ne juger les choses que par rapport à nous, à traverser incessamment et dans tous les sens le plan de l’ordre avec mépris, et même les armes à la main. […] madame d’Alonville n’a que l’empirisme de ses observations personnelles pour faire une sagesse à son fils. […] C’est un moraliste de petit salon, qui épingle des observations assez fines, sur le métier à dentelles d’une femme… La femme, avec sa simplicité, sa raison dans les petites choses, son expression fluide et gracieuse, a été assez bien jouée par lui.

64. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Mais nous avons appris tout à coup que MM. de Goncourt devenaient romanciers, et romanciers contemporains, romanciers du dix-neuvième siècle, et qu’ils quittaient leur vieux vestiaire du dix-huitième siècle pour l’observation présente, la vie vivante, la réalité ! […] Pour peu qu’on y joigne de l’observation bien faite, on est un romancier de pied en cap. Malheureusement, c’est l’observation large, profonde, impersonnelle, et sans laquelle le romancier n’existe pas, qui manque à MM. de Goncourt, ces talents costumiers qui croient que le costume est l’homme, et qui nous donnent aujourd’hui ce qui doit dans cent ans être la défroque du dix-neuvième siècle, — comme ils nous ont donné celle du dix-huitième siècle, ravaudeurs éternels ! […] Cependant, il faut bien l’avouer, comme ce dix-neuvième siècle-là est dans l’autre, — dans le sérieux, l’honnête, l’élevé, — nous n’avons pas le bégueulisme de l’interdire au romancier qui veut l’aborder et le peindre : la règle, pour nous, de toute poétique, de toute observation, de toute étude et même de toute langue, étant que tout ce qui est doit être exprimé, MM. de Goncourt pouvaient donc préférer à l’autre ce dix-neuvième siècle.

65. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Ici c’est un contour plus ferme, plus fini, sur un sujet plus désintéressé ; l’observation du monde y tient plus de place, sans que l’attendrissement y fasse faute ; l’affection et l’ironie s’y balancent par des demi-teintes savamment ménagées. […] Si jamais l’auteur a marié quelque part l’observation du moraliste avec l’animation du peintre, s’il a élevé le roman jusqu’au poëme, c’est dans Eugène de Rothelin qu’il l’a fait. […] Pourtant, dans celui d’Eugénie, au moment de la dispersion des communautés par la Révolution, il y a des scènes éloquentes ; et cette prieure décharnée, qui profite avec joie de la retraite d’Eugénie pour gouverner la maison, ne fût-ce qu’un jour, est une figure d’une observation profonde. La Comtesse de Fargy se compose de deux parties entremêlées, la partie d’observation, d’obstacle et d’expérience, menée par Mme de Nançay et par son vieil ami M. d’Entrague, et l’histoire sentimentale du marquis de Fargy et de son père. Cette dernière me plaît moins ; en général, à part Eugène de Rothelin et Adèle de Sénange, le développement sentimental est moins neuf dans les romans de Mme de Souza que ne le sont les observations morales et les piquantes causeries.

66. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Là où d’autres, en vieillissant, abondent en anecdotes, en noms propres et en souvenirs, en scènes où leur imagination se plaît à retrouver des couleurs et à ranimer les personnages, eux ils s’appliquent à dégager la substance de leur observation, et à disposer leur trésor moral comme un blé mûr ou comme un fruit qu’on réserve. […] La Bruyère et La Rochefoucauld ont eu leur métaphysique, au fond et au-dessus de leur morale ; cette métaphysique seulement, ils ne l’ont pas dite ; ils ont jugé plus prudent de la sous-entendre, ou de ne la laisser voir, comme La Bruyère, que sous un jour qui n’est peut-être pas le plus en accord avec l’ensemble de leur observation pratique. […] … Le seul livre que j’aie constamment médité est celui qui est ouvert à tous, c’est-à-dire l’homme agissant sous les influences qui le dominent sans cesse, ses intérêts et ses passions ; et si quelquefois j’ai jeté un coup d’œil rapide sur La Bruyère et sur La Rochefoucauld, je ne l’ai fait que pour être certain de ne pas laisser de simples réminiscences se glisser parmi mes propres observations. » De cette manière de composer il est résulté quelquefois, en effet, que le lecteur, familier avec les écrits soit de Sénèque, soit de La Rochefoucauld et de La Bruyère, soit de Massillon, de Montesquieu et du comte de Maistre, sent se réveiller en lui des traces de pensées connues, en lisant tel passage de M. de Latena.

67. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 30, de la vrai-semblance en peinture, et des égards que les peintres doivent aux traditions reçuës » pp. 255-265

La vrai-semblance poëtique consiste encore dans l’observation des regles que nous comprenons, ainsi que les italiens, sous le mot de costumé : observation qui donne un si grand merite aux tableaux du Poussin. […] L’observation de la vrai-semblance me paroît donc après le choix du sujet la chose la plus importante dans le projet d’un poëme ou d’un tableau.

68. (1915) La philosophie française « II »

Ceux mêmes des philosophes français qui se sont voués pendant le dernier siècle à l’observation intérieure ont éprouvé le besoin de chercher en dehors d’eux, dans la physiologie, dans la pathologie mentale, etc., quelque chose qui les assurât qu’ils ne se livraient pas à un simple jeu d’idées, à une manipulation de concepts abstraits : la tendance est déjà visible chez le grand initiateur de la méthode d’introspection profonde, Maine de Biran. […] Un trait moins particulier, mais bien frappant encore, est le goût des philosophes français pour la psychologie, leur penchant à l’observation intérieure. […] Remarquons que la méthode de ces psychologues, — celle qui a valu à la psychologie, en somme, ses plus importantes découvertes, — n’est qu’une extension de la méthode d’observation intérieure.

69. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Cette erreur d’observation nous explique, sans la justifier, celle qu’il a commise au sujet de l’écriture intérieure. […] II, § 6 et 11 ; ch. 111. § 11] ; Damiron lui reproche, non pas d’employer mal ce procédé très légitime, mais de le substituer à l’observation de conscience : l’auteur des Recherches philosophiques, dit-il, « ne se fie pas au sens psychologique ; c’est dans les mots qu’il veut tout voir et tout apprendre ; … ce serait d’une analyse verbale qu’il tirerait toute la psychologie. » La critique est fondée ; mais Damiron n’a pas vu que la valeur du procédé reposait, dans la doctrine de Bonald, sur certains rapports du langage et de la pensée, dont quelques-uns avaient été reconnus par une observation psychologique directe et n’étaient nullement chimériques. […] En d’autres termes, l’observation n’est qu’un cas particulier de la méditation. […] Le cerveau et la pensée (1867), p. 136-137. — Depuis lors, la question a été examinée dans plusieurs observations, et quelquefois résolue : signalons comme un chef-d’œuvre de description médicale et de pénétration psychologique l’observation due au docteur Mesnet : le malade avait conservé la faculté de lire et d’écrire avec facilité et correction ; la parole intérieure était donc intacte (Annales médico-psychologiques, mai 1877). […] Il publie en 1877 un petit mémoire De l’alphasie, observation d’hémiplégie gauche avec perte absolue de la parole, guérison.

70. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

S’en tenir uniquement aux faits sensibles qui tombent sous notre observation, et ne pas remonter plus haut pour les mieux comprendre, lui semble une aberration et presque un sacrilège. […] Il s’appuie d’abord sur ce fait d’observation évidente, à savoir qu’il y a dans le monde des choses qui se meuvent et d’autres qui ne se meuvent pas. […] C’est la loi de la pesanteur universelle poursuivie sous toutes ses faces dans les corps innombrables qui peuplent l’espace, et dont les principaux sont accessibles à notre observation et soumis à nos calculs. […] En conséquence de cette observation, quelques personnes entrelacent le bas de la ruche, de manière que les abeilles seules puissent y entrer, tandis que les bourdons sont arrêtés par leur grosseur. […] « Dans le monde matériel tout entier, quelque beau, quelque régulier qu’il soit, l’observation la plus attentive ne rencontre rien qui puisse nous donner la moindre idée de la loi morale.

71. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 407-409

Sa maniere & son style ont su faire goûter aux esprits les plus frivoles une science d’observations, qui n’avoit été négligée, que parce que ses prédécesseurs n’avoient pas eu, comme lui, le talent de la rendre piquante & de l’embellir. […] Nous ne prétendons pas garantir la justesse de toutes les observations de ce sublime Historien ; il a reconnu lui-même qu’il s’étoit égaré quelquefois ; mais on ne peut disconvenir de sa supériorité sur presque tous nos Ecrivains les plus célebres, qui ont trop négligé les graces de l’élocution, pour s’attacher à l’appareil du raisonnement.

72. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Son idéalisme, ce qu’il y a de vérité et d’observation chez elle. […] Il y a de tout dans le roman de Senancour ; mais la traditionnelle observation de psychologie s’y produit sous le sentiment et la métaphysique. […] Elle ne se pique pas d’observation scientifique : Mme Sand a su éviter toutes les poses littéraires ; elle a fait simplement, avec bonhomie, son œuvre d’écrivain, sans plus d’embarras que si elle eût raccommodé du linge. […] L’art est analogue à l’observation : un art flou, souple, insinuant, enveloppant surtout, où l’expression à chaque instant diffuse ou entortillée finit par donner le sentiment des plus fines nuances. […] Stendhal l’employait comme un instrument d’observation psychologique.

73. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

La grande erreur commise jusqu’ici a été, ou bien de ne s’occuper que des données de la conscience et de l’observation interne, comme les métaphysiciens ; ou bien de se borner, comme les biologistes, à combiner les données de l’observation interne avec l’interprétation du phénomène nerveux. […] L’observation la plus patiente des astres ne révélera pas plus le secret de leurs mouvements, que l’observation la plus attentive des états de conscience ne découvrira leurs lois. Non seulement des siècles d’une pareille observation resteraient insuffisants ; mais nous savons maintenant que même des faits élémentaires resteraient hors de notre connaissance, nous échapperaient pour toujours, si l’observation ne recevait quelque secours d’ailleurs. […] « Il est, certes, plus philosophique de considérer la vie comme un fait ultime, comme l’une des grandes révélations de l’Inconnaissable, comme l’un des nombreux mystères qui nous environnent… Ne substituons plus les fictions de notre imagination à la place d’une observation respectueuse. […] Et si l’observation et l’induction patientes nous ont permis de découvrir quelque chose dans l’ordre de la nature, dans la cristallisation et les marées, sans l’aide de la métaphysique ; elles peuvent aussi nous permettre de comprendre quelque chose aux lois de la vie244. » III La théorie de la conscience, dont nous abordons l’étude, est originale à divers égards.

74. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Sans doute, cette analyse n’exclut pas nécessairement toute observation. […] Ce qui existe, ce qui seul est donné à l’observation, ce sont des sociétés particulières qui naissent, se développent, meurent indépendamment les unes des autres. […] Elle se présente, en effet, comme l’expression d’un fait immédiatement visible et que l’observation suffit à constater, puisqu’elle est formulée dès le début de la science comme un axiome. […] Mais pour que les faits ainsi définis pussent être assignés, en tant que choses, à l’observation du savant, il faudrait tout au moins que l’on pût indiquer à quel signe il est possible de reconnaître ceux qui satisfont à cette condition. […] Est chose, en effet, tout ce qui est donné, tout ce qui s’offre ou, plutôt, s’impose à l’observation.

75. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Théodore Leclercq a eu ce singulier bonheur pour un écrivain moraliste et dramatique, d’avoir rattaché son observation et sa fine moquerie à une époque distincte et à un moment de l’histoire : tellement que, pour faire bien comprendre ce que l’historien ne dit qu’en courant et ce qu’il ne peut que noter sans le peindre, il n’y a rien de mieux que de renvoyer à quelques-uns de ses jolis proverbes comme pièces à l’appui. […] Théodore Leclercq était dès lors mieux occupé en se tournant tout entier du côté de la société et des observations amusantes qu’elle offre à celui qui sait les saisir. […] Théodore Leclercq l’avait accompagné en Angleterre en 1802 ; il l’accompagna également dans sa préfecture de la Nièvre (1813-1815) ; et partout, à l’étranger, en province, tandis qu’auprès de lui on faisait de l’observation politique et de l’administration, il s’amusa à observer la société et à la prendre dans le sens gai et facile, à y voir des sujets de proverbes, et, dès qu’il y avait moyen, à en jouer. […] Un tel genre d’observation minutieuse et subtilement moqueuse semblait être réservé aux femmes ; M.  […] Il vivra dans la série de nos comiques, comme l’expression fidèle des mœurs et de la société d’un moment ; plus près, je le crois, de Picard que de Carmontelle, et donnant encore mieux l’idée d’un La Bruyère, mais d’un La Bruyère féminin et adouci, lequel, assis dans son fauteuil, se serait amusé, sans tant d’application et de peine, à détendre ses savants portraits, à mettre de côté son chevalet et ses pinceaux, et à laisser courir ses observations faciles en scènes de babil déliées et légères.

76. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

On a de lui non pas seulement des rapports sur les travaux des autres, mais des observations directes d’histoire naturelle, lues en novembre 1721. […] L’auteur annonçait qu’il n’attachait point à ces observations et à ces expériences une importance plus grande qu’elles n’en méritaient : « C’est le fruit de l’oisiveté de la campagne. […] Celui qui ne saura pas faire un système comme Newton fera une observation avec laquelle il mettra à la torture ce grand philosophe. […] Il rendra ailleurs plus de justice aux observations quand il en dira « qu’elles sont l’histoire de la physique, et que les systèmes en sont la fable ». — Ainsi Montesquieu, à ses débuts, s’occupait de sciences comme le fera Buffon, comme Goethe le fera plus tard ; il fournissait les fonds d’un prix d’anatomie, et semblait ne viser qu’à des succès tout sérieux, d’accord avec la gravité de son état. […] Toute cette partie sensuelle est sèche, et marque que Montesquieu n’avait toute son imagination que dans l’ordre de l’observation historique et morale.

77. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

Dans la manie chronique, il a fait la même observation pour la moitié des cas. […] Je crois ces corrections excellentes, mais elles sont dues à une observation psychologique plus exacte, et ne découlent ni de la physiologie, ni de la pathologie. […] Guislain, l’Esquirol de la Belgique, dans son ouvrage sur les phrénopathies, aussi remarquable par la finesse de l’observation que par la circonspection du jugement, par la richesse des descriptions et des analyses que par la clarté et l’élégance du langage, a inventé un système de classification très savant et très compliqué, dont le point de départ est emprunté à l’observation psychologique de l’état normal.

78. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Lui qui a écrit, selon M. de Blignières, ou du moins qui a professé qu’une science n’était jamais que l’étude propre d’une classe de phénomènes dont l’analogie a été saisie, prétend cependant, partout, que l’observation est seule scientifique et décompose l’art d’observer en trois modes irréductibles « l’observation pure, — l’expérimentation, — et la comparaison », ce qui est exclusif de toute analogie, comme preuve, et fait de la méthode soi-disant nouvelle de M. Comte quelque chose d’aussi vieux et d’aussi borné que la première méthode venue d’observation, pratiquée dans les sciences physiques ! […] en restant dans l’observation et dans le connaissable, — comme il dit en gallois, sans doute, — on peut l’en défier et conclure que les petites boîtes numérotées ont mystifié l’escamoteur.

79. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Édouard Gourdon et Antoine Gandon » pp. 79-94

II De donnée, du reste, le livre est si simple que j’incline vers le souvenir personnel, ou, du moins, vers une de ces observations faites sur le vif à côté de soi. […] Quand il parle ou qu’il peint l’amour, c’est d’une plume positive et consciente qui rappelle Alexandre Dumas fils, ce travailleur à l’emporte-pièce, sobre, mordant et sec, chez qui l’observation ne monte jamais jusqu’à l’idéal, — qui n’est cependant qu’une observation supérieure. […] Que nous importerait quand ce serait un conte, si ce conte était vrai de nature, d’observation, d’accent ?

80. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 397-399

Il est vrai qu’il y regne beaucoup de méthode, beaucoup d’érudition, beaucoup de citations, beaucoup d’observations ; mais les Ouvrages didactiques, surtout de cette espece, exigent encore du goût, de la critique, des vûes bien présentées, & principalement une élocution soignée, propre à animer les préceptes que l’Auteur veut faire goûter. […] Il est aisé d’y remarquer encore un talent singulier pour l’analyse, des réflexions saines & judicieuses, ainsi que dans ses Observations sur le Traité des Etudes, où M.

81. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Par la forme même de son livre, par la disposition typographique qui, isolant chaque pensée, nous la présente comme souverainement importante et nous la propose pour sujet de méditation, l’auteur semble prendre envers nous cet engagement que chacun de ces brefs alinéas supposera et résumera une masse considérable d’observations particulières, en contiendra tout le suc, sera l’équivalent d’un roman, d’une comédie, tout au moins d’un sermon ou d’une chronique. […] Il est donc furieusement honorable pour notre temps qu’un genre si difficile y fleurisse : apparemment, si nous écrivons tant de Pensées, c’est que, tard venus dans le monde et à une époque où l’observation est plus et mieux pratiquée qu’elle ne l’a jamais été, nous sommes un tas de moralistes très forts qui avons fait le tour des choses, qui sommes allés partout, et qui en revenons surchargés d’expérience… Mais je me méfie, comme dit M.  […] Un genre épuisé ; car ce ne sont jamais que des observations plus ou moins générales, des remarques explicatives sur des collections de faits. […] Et ces observations générales, il y a beau temps qu’elles ont été faites : on ne peut qu’en varier la forme (il est vrai qu’on le peut indéfiniment et qu’on y peut mettre sa marque personnelle). […] On a tort, car, à le bien prendre, ce qui est intéressant, c’est ce qu’elles suppriment et sous-entendent, c’est le particulier, ce sont les observations spéciales que le moraliste est censé avoir faites sur des réalités concrètes et bien vivantes.

82. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « J.-J. Weiss  »

tant d’observations, de vues en tout sens et sur toutes choses ! […] Il s’insurge à la fois contre leur observation sans entrailles et contre l’immoralité de leur morale qui inflige au vice, froidement et sans un mot de plainte, un châtiment fatal comme lui. […] Delpit, préférant dans un drame, pourvu qu’il ait quelque vie et quelque envolée, l’absence d’observation à l’observation triste. […] Weiss n’aime pas (encore qu’il l’estime fort dans quelques-unes de ses parties) la littérature positiviste et brutale des trente dernières années, l’observation désenchantée et sèche, la conception fataliste de la vie et des passions humaines.

83. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Son originalité, c’est d’unir étroitement l’observation et la fantaisie, de dégager du vrai tout ce qu’il contient d’invraisemblable et de surprenant, de contenter du même coup les lecteurs de M.  […] Le moins qu’ils risquent, c’est de refaire toujours le même livre, car le champ de leurs observations, si tant y a qu’ils aient besoin d’observer, est vite parcouru ; le nombre de leurs effets est extrêmement limité ; et rien ne ressemble plus à une… oaristys vue par le côté qu’ils aiment, qu’une autre oaristys vue par le même côté. […] Alphonse Daudet, s’y insinue encore çà et là, mêle de l’émotion à l’exactitude des peintures et impose à l’observation un choix de détails si rare et si délicat que, sans autre artifice, elle fait jaillir à chaque instant la fantaisie de la réalité même. […] Le cœur est remué, quoi qu’il fasse, comme dans les romans les plus « touchants » d’autrefois ; en même temps l’observation est aussi exacte et la forme aussi travaillée que dans tels romans d’aujourd’hui : c’est aussi bien « fait » que si ce n’était pas attendrissant ; on peut se laisser émouvoir sans vergogne. […] Alphonse Daudet l’a certes vu et entendu ; mais sur l’observation exquise court, ainsi qu’une flamme légère, la fantaisie du petit Chose.

84. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Que le roman soit d’abord une œuvre d’observation, personne n’y contredira. […] Car, c’est une observation qui fait honneur à l’instinct de la jeunesse : les jeunes filles de vingt ans dédaignent les livres qu’elles ont dévorés en sortant de pension. […] Cette observation m’amène tout naturellement à en formuler une autre. […] Il y aura là, pour un esprit avisé, mille observations à faire et mille comparaisons à établir. […] Ces observations, ces rapprochements que j’indique ici rapidement, et qui sont du domaine de la critique élémentaire, un lecteur véritable doit les faire, et un livre de mérite doit les provoquer.

85. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1823 »

Il est permis peut-être aujourd’hui à l’auteur d’ajouter à ce peu de lignes quelques autres observations sur le but qu’il s’est proposé en composant ces Odes. […] Nous arrêterons ici ces observations préliminaires qui exigeraient un volume de développements, et auxquelles on ne fera peut-être pas attention ; mais il faut toujours parler comme si l’on devait être entendu, écrire comme si l’on devait être lu, et penser comme si l’on devait être médité.

86. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

Ce principe est une conséquence nécessaire de la seule application directe de la méthode positive à la question même des classifications, qui, comme toute autre, doit être traitée par observation, au lieu d’être résolue par des considérations a priori. […] Ainsi, la physique sociale doit être fondée sur un corps d’observations directes qui lui Soit propre, tout en ayant égard, comme il convient, à son intime relation nécessaire avec la physiologie proprement dite. […] Telle est l’intime relation générale que la véritable observation philosophique, convenablement employée, et non de vaines distinctions arbitraires, nous conduit à établir entre les diverses sciences fondamentales. […] Cette observation, qui est si frappante dans l’étude effective des sciences, et qui a souvent donné lieu à des espérances chimériques ou à d’injustes comparaisons, se trouve donc complètement expliquée par l’ordre encyclopédique que j’ai établi. […] Ainsi, par exemple, dans certaines branches de la philosophie, c’est l’observation proprement dite ; dans d’autres, c’est l’expérience, et telle ou telle nature d’expériences, qui constitue le principal moyen d’exploration.

87. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Le Comme il vous plaira de Shakspeare, cueilli au tronc de ce grand chêne, est devenu, aux mains de M. de Musset, la tige gracieuse et féconde de tout un petit genre de proverbes dramatiques, mêlés d’observation et de folie, de mélancolie et de sourire, d’imagination et d’humeur 74 ; nous avons eu par lui un aimable essaim de jeunes sœurs françaises de Rosalinde. […] Ces trois endroits, d’une effrayante vigueur, accusent dans l’écrivain de vingt-cinq ans75 une observation désespérément profonde ; malgré la crudité de l’exposition, les aveux y sont si réels et si sérieux que je n’y blâmerai pas le cynisme, comme en d’autres passages où l’auteur ne l’a pas évité. […] M. de Musset, qui a tant de couleur et de fraîcheur dans l’imagination, tant de nerf dans le trait, tant de mordantes observations amassées, doit désormais viser à la composition d’un ensemble. […] A ne prendre que les observations et maximes morales qui abondent dans ce livre, on ferait un petit recueil de pensées isolées, sans transition, un chapitre à la façon de La Rochefoucauld, qui classerait ce romancier de vingt-cinq ans parmi les moralistes les plus scrutateurs.

88. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre II. La mesure du temps. »

Je n’ai qu’une observation à ajouter. […] En fait, les meilleures horloges doivent être corrigées de temps en temps, et les corrections se font à l’aide des observations astronomiques ; on s’arrange pour que l’horloge sidérale marque la même heure quand la même étoile passe au méridien. […] Ils disent ensuite que l’accélération séculaire de la lune, calculée d’après la loi de Newton, serait plus petite que celle qui est déduite des observations, si on ne faisait la correction relative au ralentissement de la rotation terrestre. […] Mais, pour être rigoureux, il faudrait faire encore une petite correction par un calcul compliqué ; on ne la fait pas dans la pratique, parce qu’elle serait beaucoup plus faible que les erreurs d’observation ; sa nécessité théorique n’en subsiste pas moins à notre point de vue, qui est celui d’une définition rigoureuse.

89. (1883) Le roman naturaliste

Ces observations de détail ne laissent peut-être pas d’avoir ici leur intérêt. […] le roman d’observation et d’expérimentation, si l’on tient à ce mot mal appliqué ? […] Si l’observation de M.  […] En même temps aussi vous y reconnaissez le signe d’une prodigieuse puissance d’observation. […] Peut-on se faire une plus fausse idée des conditions de l’observation ?

90. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Tout ce qui tient au détail des observations des faits particuliers, et aux souvenirs de l’antiquité classique, source éternelle d’instruction et de vie, est concentré dans des notes placées à la fin de chaque volume. […] Dans le premier volume nous avons exposé, sous la forme d’un vaste tableau de la nature, ce que la science, fondée sur des observations rigoureuses et dégagée de fausses apparences, nous a appris à connaître des phénomènes et des lois de l’univers. […] Ces exemples se rattachent aux trois classes signalées plus haut, au genre descriptif inspiré par une contemplation intelligente de la nature, à la peinture de paysage, enfin à l’observation directe des grandes formes du règne végétal. […] Les écrits de Cicéron prouvent la vérité de cette observation. […] C’est surtout dans la partie aride et montagneuse de la Palestine que le climat est de nature à provoquer ces observations.

91. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Elle se manifeste, dès le début, par deux méthodes d’observation bien différentes. […] Tout autre est le genre d’observation d’où naît la comédie. C’est une observation extérieure. […] C’est donc sur les autres hommes que cette observation s’exercera. […] Voilà pourquoi l’observation comique va d’instinct au général.

92. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Ainsi se marquent les grandes scènes guerrières des Souvenirs de Sébastopol et de la Guerre et la Paix, dont l’exactitude prodigieusement nouvelle, le singulier et menu relief prennent l’attention, sans que rien d’oratoire, de stylé, les recommande, sans qu’ils importent par autre chose qu’une observation, une imagination, une expression aussi proche de la vérité qu’on peut la concevoir. […] Tolstoï est au nombre des plus grands créateurs d’hommes littéraires, et par les dons mêmes d’observation véridique qui le font représenter la vie intérieure et extérieure de ses personnages avec une exactitude plus originale, plus minutieuse que ses devanciers, et par l’intuition peut-être inconsciente, mais profonde et marquée de deux des principaux caractères de toute vie organique et de toute existence : l’abondance des manifestations, le maintien d’un équilibre défini entre sa variabilité et sa permanence. […] L’œuvre de Tolstoï présente des individus reproduits avec leur caractère essentiel d’êtres uniques, qui n’ont ni ne sont des modèles et des pareils ; saisis ainsi par de merveilleux dons d’observation directe dans ce qu’ils ont de différent et de particulier, ils sont rendus de même et excellemment dans les caractères généraux par lesquels ils participent à la vie, le nombre infini des manifestations, les variations de ces manifestations selon le temps et l’occasion. […] Et en effet, le penchant à ne représenter de l’homme que ses tendances morales, le désir de ne susciter l’approbation que pour ces inclinaisons presque futures et d’ériger en héros des personnages qui trouvent aux problèmes de la destinée ces pauvres solutions, portent le romancier russe, en dépit de son réalisme et de l’étendue de son observation, à laisser de singulières lacunes dans sa description de l’humanité. […] Cet excellence présuppose chez l’auteur de merveilleux dons d’observation, d’imagination et de souvenir.

93. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Ce sont des artistes fort peu artificieux et qui malgré la place que l’observation tient dans leur œuvre, s’y mettent tout entiers. […] Il n’en est pas moins vrai que l’observation artistique ne saurait se passer de cet élément et se distingue, précisément parce qu’elle est accompagnée d’émotions, de sympathies et d’antipathies dictées par le tempérament, de l’observation scientifique qui est purement perceptive et intellectuelle, partant plus complète et meilleure, mais sans contenu émotionnel, c’est-à-dire sans caractère artistique. […] Ceux de Tolstoï le déterminèrent à abandonner l’observation d’un monde qui le froissait sans cesse et perdirent ainsi, artistiquement, un des plus puissants génie de ce temps. […] Mais celles-ci étaient de force à résister : le don de l’observation ôtait d’une délicatesse et d’une perspicacité merveilleuses ; de plus il était élagé de véritables facultés de penseur, nourri de toutes les spéculations allemandes, connaissant et admettant les théories de la science moderne. […] Il est en bon renom auprès de tous les organes supérieurs de la presse française ; il faut donc croire que le mélange de bonté attristée, d’observation délicate et de haute méditation qui le caractérisent sont compris et partagés par un groupe notable de lecteurs qu’il faut chercher dans la bourgeoisie riche des trente dernières années.

94. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Dans l’astronomie, la suite des calculs et des observations qui, de Newton à Laplace, transforment la science en un problème de mécanique, expliquent et prédisent tous les mouvements des planètes et de leurs satellites, indiquent l’origine et la formation de notre système solaire, et débordent au-delà par les découvertes d’Herschel, jusqu’à nous faire entrevoir la distribution des archipels stellaires et les grandes lignes de l’architecture des cieux. — Dans la physique, la décomposition du rayon lumineux et les principes de l’optique trouvés par Newton, la vitesse du son, la forme de ses ondulations, et, depuis Sauveur jusqu’à Chladni, depuis Newton jusqu’à Bernoulli et Lagrange, les lois expérimentales et les théorèmes principaux de l’acoustique, les premières lois de la chaleur rayonnante par Newton, Kraft et Lambert, la théorie de la chaleur latente par Black, la mesure du calorique par Lavoisier et Laplace, les premières idées vraies sur l’essence du feu et de la chaleur, les expériences, les lois, les machines par lesquelles Dufay, Nollet, Franklin et surtout Coulomb expliquent, manient et utilisent pour la première fois l’électricité. — En chimie, tous les fondements de la science, l’oxygène, l’azote, l’hydrogène isolés, la composition de l’eau, la théorie de la combustion, la nomenclature chimique, l’analyse quantitative, l’indestructibilité de la matière et du poids, bref les découvertes de Scheele, de Priestley, de Cavendish et de Stahl, couronnées par la théorie et la langue définitives de Lavoisier. — En minéralogie, le goniomètre, la fixité des angles et les premières lois de dérivation par Romé de Lisle, puis la découverte des types et la déduction mathématique des formes secondaires par Haüy. — En géologie, les suites et la vérification de la théorie de Newton, la figure exacte de la terre, l’aplatissement des pôles, le renflement de l’équateur328, la cause et la loi des marées, la fluidité primitive de la planète, la persistance de la chaleur centrale ; puis, avec Buffon, Desmarets, Hutton, Werner, l’origine aqueuse ou ignée des roches, la stratification des terrains, la structure fossile des couches, le séjour prolongé et répété de la mer sur les continents, le lent dépôt des débris animaux et végétaux, la prodigieuse antiquité de la vie, les dénudations, les cassures, les transformations graduelles du relief terrestre329, et à la fin le tableau grandiose où Buffon trace en traits approximatifs l’histoire entière de notre globe, depuis le moment où il n’était qu’une masse de lave ardente jusqu’à l’époque où notre espèce, après tant d’autres espèces détruites ou survivantes, a pu l’habiter  Sur cette science de la matière brute, on voit en même temps s’élever la science de la matière organisée. […] Dans l’autre camp, parmi les cartésiens qui vont finir, Fontenelle est un mathématicien excellent, le biographe compétent de tous les savants illustres, le secrétaire autorisé et le véritable représentant de l’Académie des Sciences. — Ailleurs, à l’Académie de Bordeaux, Montesquieu lit des discours sur le mécanisme de l’écho, sur l’usage des glandes rénales ; il dissèque des grenouilles, essaye l’effet du chaud et du froid sur les tissus vivants, publie des observations sur les plantes et sur les insectes. — Rousseau, le moins instruit de tous, suit les cours du chimiste Rouelle, herborise, et s’approprie, pour écrire son Émile, tous les éléments des connaissances humaines. — Diderot a enseigné les mathématiques, dévoré toute science, tout art et jusqu’aux procédés techniques des industries. […] La religion leur fournissait une théorie achevée du monde moral ; d’après cette théorie latente ou expresse, ils décrivaient l’homme et accommodaient leurs observations au type préconçu. Les écrivains du dix-huitième siècle renversent ce procédé : c’est de l’homme qu’ils partent, de l’homme observable et de ses alentours à leurs yeux, les conclusions sur l’âme, sur son origine, sur sa destinée, ne doivent venir qu’ensuite, et dépendent tout entières, non de ce que la révélation, mais de ce que l’observation aura fourni. […] Cherchons donc s’il n’est pas le fil dont toute notre trame mentale est tissée, et si le déroulement spontané qui le noue maille à maille n’aboutit pas à fabriquer le réseau entier de nos pensées et de nos passions  Sur cette idée, un esprit d’une précision et d’une lucidité incomparables, Condillac donne à presque toutes les grandes questions les réponses que le préjugé théologique renaissant et l’importation de la métaphysique allemande devaient discréditer chez nous au commencement du dix-neuvième siècle, mais que l’observation renouvelée, la pathologie mentale instituée et les vivisections multipliées viennent aujourd’hui ranimer, justifier et compléter346.

95. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Le premier est la traduction exacte : c’est celle que la doctrine de Condillac explique ; le second est la traduction complète ; c’est celle que donnent les progrès de l’observation. […] L’observation directe, telle que la fait le vulgaire, leur fournit très-peu de faits. […] Réduite à l’observation directe, la psychologie ne peut pas découvrir de vérités importantes et nouvelles. […] Si la psychologie est une science, son objet est de découvrir des faits inconnus, inaccessibles à l’observation directe ; et si on la dédaigne, c’est qu’elle n’en découvre pas. […] Elle remplace cet instrument, lorsqu’à l’observation directe employée par Reid, elle substitue l’étude des signes qui précèdent la perception ou qui la suivent, et qui tiennent lieu de réactifs indicateurs.

96. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alphonse Karr. Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre, Geneviève. »

Il a des portions d’une finesse et d’une raillerie d’observations délicieuses ; tout le début, qui nous déroule l’intrigue galante de madame Lauter avec M.  […] J’achevais de le lire mercredi matin, tandis que se faisait aux faubourgs populeux cette descente anniversaire qui, d’un seul flot, refoule notre humanité perfectible aux beaux jours de l’antique Sardanapale, et je me disais, en entendant ces échos lointains : « N’est-ce donc pas une débauche aussi que tant de grâce, de sensibilité, d’esprit fin et d’observation morale, s’employant et s’affichant uniquement pour mettre du noir sur du blanc, comme on dit, et pour vider l’écritoire ?

97. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Ces temps sont si rapprochés, qu’on pourrait en confondre les dates ; mais l’esprit général de la littérature latine, avant et depuis la perte de la liberté, offre à l’observation des différences remarquables. […] On a fait trop souvent la comparaison du siècle de Louis XIV avec celui d’Auguste, pour qu’il soit possible de la recommencer ici ; mais je développerai seulement une observation importante pour le système de perfectibilité que je soutiens. […] C’est l’homme tel qu’on le voit, tel qu’il se montre ; ce sont les fortes couleurs, les beaux contrastes du vice et de la vertu ; mais on ne trouve dans l’histoire ancienne, ni l’analyse philosophique des impressions morales, ni l’observation approfondie des caractères, ni les symptômes inaperçus des affections de l’âme.

98. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Marcel Prévost et Paul Margueritte »

Paul Margueritte est chaste, absolument chaste  sans que cette réserve coûte rien à la belle franchise de l’observation.) […] Ils le voyaient à l’évidence, comme ils voyaient cette mer bleue qui les entourait… » Ainsi le récit patient, d’observation minutieuse, se trouve soulevé, vers la fin, par un souffle de vaillance et d’énergique espoir ; et il nous plaît de retrouver et de reconnaître chez l’artiste raffiné, chez l’auteur de Pierrot assassin de sa femme, un peu de l’âme du soldat excellent dont il est le fils. […] Et pourtant j’ai aujourd’hui cette impression qu’à aucune époque de notre littérature il ne s’est trouvé, dans les livres d’écrivains encore jeunes, tant de sérieux, d’intelligence, de sagesse, d’observation curieuse, une science déjà si avancée de la vie et des hommes, et tant de compassion, une vue si sereine et si indulgente de la destinée6.

99. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 239-252

Nous ne pousserons pas plus loin cet Article, quoique nous nous fussions proposé d’y prouver encore, contre l’Auteur des Observations critiques, non seulement que le Poëme de l’Abbé Marsy est très-didactique, mais encore qu’il n’est pas impossible d’en faire un sur le même sujet, dans notre Langue, dont la lecture soit intéressante. […] Observations critiques sur différens Poëmes de la Peinture, pag.  […] Observations critiques, pag. 

100. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 8-23

Je l’avoue ; mais que conclure de là contre ma derniere observation ? […] Une observation qui a échappé aux Critiques, c’est que, dans tous les siecles littéraires, la marche de l’esprit humain a toujours été la même dans tous les genres. […] A cette sage conduite, il joignit la plus grande docilité à profiter des critiques de ses amis, à se régler sur leurs observations, & à bannir de ses Tragédies les défauts qu’ils y reprenoient.

101. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et l’abbé Desfontaines. » pp. 59-72

Vers le commencement de l’année 1735, il obtint un privilège du roi pour faire des observations sur les écrits modernes. […] Des observations justes & impartiales ne lui auroient pas attiré tant de brocards & de libèles diffamatoires, & l’on n’eût pas dit de lui : Il n’a point de vertus, il n’a que des talens. […] Cet excès de vengeance ne fut, dit-on, qu’une réponse au Préservatif ou Critique des Observations sur les écrits modernes.

102. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

Et voilà pourquoi, dans son livre, il s’est forgé une plaisanterie qu’un esprit gai, quoique de moindre valeur que le sien peut-être par l’observation et même par la force comique, aurait trouvée, pour ainsi dire, à fleur de peau des choses, — sans tant la chercher ! […] Le Traité du Prince et L’Esprit des Lois, dépassés, jugés, presque méprisés, dans leur fond, à cette heure, grâce à notre éducation et à notre expérience politiques, sont encore vivants par leur forme, qui, si elle n’est pas immortelle, mettra du moins plus de temps à mourir… Et s’il en est ainsi pour les œuvres de Machiavel et de Montesquieu, qui eurent leur jour de nouveauté et de profondeur dans la pensée, à plus forte raison pour un livre inférieur à ceux-là, pour un recueil, écrit au jour le jour, d’observations piquantes, — je le veux bien !  […] III En effet, ces observations, qu’Henri Rochefort, victime des exigences de la Chronique, nous donne trop en petits paquets, que seraient-elles, je vous le demande, sans la plaisanterie qui les accompagne, et sans son sel ranimant et conservateur ?

103. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre IV. Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé. Observations sur la comédie et la tragédie » pp. 264-267

Observations sur la comédie et la tragédie L’absence de toute philosophie que nous avons remarquée dans Homère, et nos découvertes sur sa patrie et sur l’âge où il a vécu, nous font soupçonner fortement qu’il pourrait bien n’avoir été qu’un homme tout à fait vulgaire. À l’appui de ce soupçon viennent deux observations.

104. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

Galilée et d’autres conçurent l’idée de ne plus s’en tenir à la simple observation, aux classifications superficielles et aux lois empiriques qui en résultent. […] Nous proclamons hautement notre entière adhésion à ces vues simples et fécondes qui dérivent de la méthode d’observation bien entendue. […] Ce jugement, il est vrai, a l’air de devancer l’expérience, mais en réalité il la suit ; car toute sa force repose en dernière analyse sur l’observation que les corps non soutenus tombent. […] Il y a d’abord des principes qui sont appelés à juste titre à priori, puisqu’ils n’ont pas leur fondement dans l’observation, mais où se mêle néanmoins un élément que l’observation a donné ; tel est ce principe : tout changement a nécessairement une cause. […] Les premières sont les sciences de pure observation : observer, classer, généraliser, voilà toute la part de l’esprit dans leur formation.

105. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Surtout quel théâtre, quel champ d’observations que cet hôtel de Condé, que ce Chantilly, où tout ce qui comptait en France défilait devant les yeux du philosophe et du peintre ! […] De plus, avec le chapitre du Souverain, placé au milieu du volume, il est destiné à désarmer les pouvoirs temporel et spirituel, à servir de passeport pour l’indépendante franchise de l’observation dans le reste des Caractères. […] Rien en somme ne manque que ce qui s’est trouvé en dehors de son observation : la province, sur laquelle il n’a qu’une page, injuste et insuffisante ; le peuple des villes, qu’il ne soupçonne pas ; le paysan, dont il devine la dure condition, parce qu’il en a aperçu la silhouette courbée sur la terre, et dont il ne pénètre pas le caractère, parce qu’il n’a pas eu de contact, parce qu’il n’a pas vécu avec lui. Plus la matière de l’observation est, pour ainsi dire, à fleur de sol, plus elle s’éloigne de l’idéale abstraction et s’approche de la réalité concrète et sensible, et mieux La Bruyère sait voir et rendre. […] L’auteur a cherché à prévenir la fatigue qui pouvait résulter du décousu de ses observations par la surprise de la forme incessamment renouvelée : maximes, énumérations, silhouettes, portraits, dialogues, récits, apostrophes, tableaux, s’entremêlent et réveillent la curiosité.

106. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Cette méthode, c’est tout bonnement l’observation, l’expérience. […] Il préfère les plus tragiques horreurs à certaines cruautés d’observation. […] Tandis qu’il se récrie de pudeur pour quelque brutalité d’observation, il lui arrive d’opposer aux générosités de l’auteur dramatique une résistance entêtée de pharisien. […] Souvent, dans une pièce absurde, sans observation et sans style, s’il découvre d’aventure quelque artifice ingénieux, quelque bout de scène qui sente « l’homme de théâtre », il se récrie d’admiration. […] Mais il leur faut ou beaucoup de poésie ou beaucoup d’observation ou beaucoup d’esprit.

107. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Pauvre, sensible, nerveux, pétri d’amour-propre, assez difficile à vivre, abondant en idées, et se dégoûtant dans l’exécution aussi vite qu’il s’était enflammé dans la conception, il créa des journaux d’observation morale qui ne vécurent pas, il écrivit des romans qui n’eurent pas de fin. […] Marivaux est le premier qui apporte une observation originale et personnelle, qui isole l’amour, et en fasse toute sa comédie. […] La définition de la comédie conduisit naturellement Marivaux à circonscrire son observation au premier de ces moments. […] Mais alors l’observation psychologique disparaît : la sensibilité commande certaines façons de voir et d’expliquer l’homme. […] Il fut ruiné par le système de Law, et tenta de publier des journaux d’observation morale, le Spectateur français, 1700-23 ; l’Indigent philosophe, 1728 ; le Cabinet du philosophe, 1734.

108. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Ces fines observations, ces exactes analyses se traduisent grossièrement en littérature par cette notion : il n’y a dans l’homme que des sensations et des instincts : tout le reste est mensonge, sottise, spiritualisme, indigne de l’attention d’un savant. Puis — comme, pour obtenir le grossissement des faits sans lequels l’observation, partant l’explication auraient été impossibles, Taine recueillait les cas anormaux, singuliers, extrêmes, somnambulisme, hypnotisme, hallucination, aliénation mentale, — nos littérateurs ont estimé que le propre objet du roman sérieux était le moi détraqué, jamais le moi normal, et qu’il n’y avait point de psychologie sans névrose. […] Cette critique procède de sa philosophie : elle en fait même partie intégrante ; toutes les études littéraires de Taine sont des « observations » de psychologie scientifique. […] Il a retenu ses idées a priori à titre d’hypothèses directrices ; et, à son insu, elles ont déterminé ses observations.

109. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

Mais, pour l’auteur, ce n’est pas un début, dans la vie de l’observation et de la fantaisie. […] C’est une richesse, mais c’est une richesse qui nuit à l’unité du roman, et qui éparpille et disperse l’intérêt que l’art aurait été de concentrer… La femme du monde experte qu’est madame de Molènes, cette observatrice qui a des observations de rechange toujours à son service, s’est trop souvenue des femmes qui ont passé devant elle, et elle en a mis trois autour de son orpheline, qui, sans être orphelines, ont plus de charme que celle qui l’est, et même, sur les trois, il en est une — Hélène — qui, selon moi, en a beaucoup plus ! […] Depuis la première page jusqu’à la dernière de son livre, cette moraliste aimable, qui voit tout et qui sourit de tout, — car elle ne va pas jusqu’au rire, cette délicate, — cette fine femme, assez fine pour être profonde si elle voulait enfoncer l’aiguille de son observation un peu plus, n’a pas oublié du mariage un seul de ces faits qui paraissent n’être rien et qui sont tout, puisque, immanquablement, dans un temps donné, ils tuent l’amour. […] Qu’elle entre plus ou moins bien dans les combinaisons plus ou moins usées du théâtre, elle n’en a pas moins pour moi l’observation, l’imagination et le style avec lesquels, quand l’art du théâtre subsistait encore, on faisait la comédie autrefois !

110. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « J.-J. Ampère ; A. Regnault ; Édouard Salvador »

Ampère était-il encore, par-dessus le marché, un de ces voyageurs au niveau, par l’observation et par l’intelligence, de la difficulté nouvelle que l’on trouve maintenant à faire un livre de voyage ? […] Le mérite et la distinction de l’auteur, c’est de s’oublier au profit de l’observation et des faits. […] Il les juge un peu à la vapeur, mais aussi bien qu’un esprit attentif puisse faire dans ce lancé de locomotive ou de steamer que l’on appelle maintenant voyager, et en attendant la découverte d’un moyen d’observation supérieure en rapport avec la rapidité des voyages ; car la vapeur, qui nous donne la vitesse des aigles, ne nous en donne pas le regard… Quoi qu’il en soit, des notions exactes en bien des choses, mêlées à des souvenirs classiques dont nous aimerons toujours l’écho, un style animé, qui a quelquefois, il est vrai, comme une éruption d’épithètes, — mais certaines marques ne nuisent pas à certains visages expressifs, — telles sont tes qualités d’un livre sans prétentions et dont l’auteur, d’un goût parfait, ne s’exagère pas d’ailleurs la portée : « J’ai vu — dit-il — Athènes avec bonheur, Constantinople avec étonnement, le Caire avec une vive curiosité.

111. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Une observation vient à l’appui de cette idée, c’est que les libertins qui vieillissent, et qui sentent les forces naturelles leur manquer, deviennent ordinairement religieux. […] Ils donnent le nom de théologie naturelle à la métaphysique, dans laquelle ils étudient cet attribut de Dieu, et ils appuient leurs raisonnements d’observations tirées du monde matériel ; mais c’était surtout dans l’économie du monde civil qu’ils auraient dû chercher les preuves de la Providence… La Science nouvelle sera, pour ainsi parler, une démonstration de fait, une démonstration historique de la Providence, puisqu’elle doit être une histoire des décrets par lesquels cette Providence a gouverné, à l’insu des hommes, et souvent malgré eux, la grande cité du genre humain. […] Enfin cette explication de leur nature se confirmera par l’observation des propriétés éternelles qu’elles conservent ; lesquelles propriétés ne peuvent résulter que de ce qu’elles sont nées dans tel temps, dans tel lieu et de telle manière, en d’autres termes, de ce qu’elles ont une telle nature (axiomes 14, 15.)

112. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre III. Du temps où vécut Homère » pp. 260-263

Les héros contractent mariage avec des étrangères ; les bâtards succèdent au trône ; observation importante qui prouverait qu’Homère a paru à l’époque où le droit héroïque tombait en désuétude dans la Grèce, pour faire place à la liberté populaire. En réunissant toutes ces observations, recueillies pour la plupart dans l’Odyssée, ouvrage de la vieillesse d’Homère au sentiment de Longin, nous partageons l’opinion de ceux qui placent l’âge d’Homère longtemps après la guerre de Troie, à une distance de quatre siècles et demi, et nous le croyons contemporain de Numa.

113. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Aussi ceux qui n’ont parlé de l’attention que d’après l’observation intérieure sont restés muets sur son mécanisme et se sont bornés à célébrer sa puissance. […] A la vérité, ce document est unique, mais une bonne observation vaut mieux que cent médiocres42. […] Tartini, Condorcet, Voltaire, Franklin, Burdach, Coleridge  et bien d’autres ont rapporté des observations personnelles assez connues pour que je me borne à les rappeler. […] Mais nous avons aussi noté incidemment ce fait d’observation vulgaire que, dans l’état de fatigue, d’épuisement, l’attention est très difficile, souvent impossible, toujours sans durée. […] Griesinger, mém. cité  Pour comprendre la vraie valeur de l’observation, il faut remarquer qu’il s’agit d’un métaphysicien malgré lui.

114. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Il observait ce qui se passait autour de lui ; mais son observation était si sérieuse en face des objets, qu’elle ressemblait à l’abstraction du géomètre, à la rêverie du fabuliste. […] Après le sel un peu gros, mais franc, du Cocu imaginaire, et l’essai pâle et noble de Don Garcie, l’École des Maris revient à cette large voie d’observation et de vérité dans la gaieté. […] Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l’art soient les plus grands mystères du monde, et cependant ce ne sont que quelques observations aisées que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes de poëmes ; et le même bon sens, qui a fait autrefois ces observations, les fait aisément tous les jours sans le secours d’Horace et d’Aristote…. […] Qu’il ait été en progrès dans l’observation morale et ce qu’on appelle le haut comique, celui du Misanthrope, du Tartufe et des Femmes savantes, le fait est trop évident, et je n’y insiste pas ; mais autour, au travers de ce développement, où la raison de plus en plus ferme, l’observation de plus en plus mûre, ont leur part, il faut admirer ce surcroît toujours montant et bouillonnant de verve comique, très-folle, très-riche, très-inépuisable, que je distingue fort, quoique la limite soit malaisée à définir, de la farce un peu bouffonne et de la lie un peu scarronesque où Molière trempa au début. […] La Bruyère et les peintres critiques font des portraits, patiemment, ingénieusement, ils collationnent les observations, et, en face d’un ou de plusieurs modèles, ils reportent sans cesse sur leur toile un détail à côté d’un autre.

115. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre IV. Pourquoi les Français n’ont que des mémoires. »

Là, sans quitter le théâtre, il rapporte ses observations, toujours fines et quelquefois profondes. […] Contraints alors de généraliser nos observations, nous tombons dans l’esprit de système.

116. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

L’observation géologique nous sollicite au contraire à croire que presque tous nos continents ont été brisés en îles pendant la dernière époque tertiaire. […] Forbes a pu faire encore les mêmes observations en draguant le littoral océanique. […] Ainsi, dans la famille des Écureuils, nous trouvons la série la plus parfaite, depuis les espèces à queue légèrement aplatie, ou qui ont seulement, d’après les observations de sir J. […] On peut appuyer ces observations de quelques exemples. […] Il n’en résulte pas pour cela que cet organe soit absolument parfait, et l’observation de M. 

117. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Son observation est pénétrante, mais il ne parvient pas à en tirer les conclusions rigoureusement exactes. […] Nietzsche formule, à ce propos, une observation fort intéressante. […] Il lui consacre, dans Par-delà le Bien et le Mal, une page qui contient plus d’une observation vraiment pénétrante. […] Wagner raconte une piquante anecdote qui corrobore cette observation. […] » À ces lignes se rattache une autre observation précieuse.

118. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Si en effet quelques traits de style et de pinceau, aux endroits particulièrement descriptifs et littéraires, dénotent plus de fermeté et d’habitude qu’il n’est naturel d’en accorder à une femme toute seule, dans un premier essai d’aussi longue haleine, une foule d’observations fines et profondes, de nuances intérieures, de sensations progressives ; l’analyse du cœur d’Indiana, de ses flétrissants ennuis, de son attente morne, fiévreuse et désespérée, pauvre esclave ! […] Ses premiers mécomptes, la manière naturelle et facile dont Raymon les répare, dont il la fascine et l’enchante ; l’éclair sinistre qu’un mot de sir Ralph sur l’aventure de Noun jette dans l’esprit d’Indiana, le coup qu’elle en reçoit et qu’elle rend à Raymon ; sa croyance en lui, malgré la découverte, sa résolution de fuir avec lui, de se réfugier chez lui, plutôt que de suivre son mari au départ ; cet abandon immense, généreux, inébranlable, sans souci de l’opinion, sans remords, et mêlé pourtant d’un superstitieux refus ; toute cette analyse vivante est d’une vérité, d’une observation profonde et irrécusable, qu’on ne saurait assez louer. […] L’auteur d’Indiana, depuis son roman, a donné à une Revue une nouvelle intitulée Melchior, où se retrouvent dans un moindre espace les mérites d’observation et de passion que nous venons de signaler.

119. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Virgile et Constantin le Grand par M. J.-P. Rossignol. »

Je ne suis pas un si fervent adorateur de Théocrite que l’était Huet, qui nous apprend lui-même que, dans sa jeunesse, chaque année au printemps, il relisait le poëte de Sicile ; j’ai pourtant fait plus d’une fois le charmant pèlerinage, et chaque fois, après avoir admiré la vivacité spirituelle et ingénue des personnages, la grâce piquante et naïve du dialogue, la vérité des peintures, je me suis préoccupé de la construction du vers, de ces ressorts cachés que le poëte met en jeu pour produire plusieurs de ses effets. » Le résultat de ces observations multipliées et patientes, c’est que le dactyle peut s’appeler l’âme de la poésie bucolique , et que, sans parler du cinquième pied où il est de rigueur, les deux autres places qu’il affectionne dans le vers pastoral sont le troisième pied et le quatrième, avec cette circonstance que le dactyle du quatrième pied termine ordinairement un mot, comme pour être plus saillant et pour mieux détacher sa cadence. […] Rossignol y a ajouté quelque chose, et l’observation du dactyle au troisième pied est de lui. […] Ces observations techniques, que nous ne pouvons qu’effleurer, et dans lesquelles M.

120. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

X Je ne demande plus aux hommes qu’une chose : c’est de me laisser beaucoup de temps à moi, beaucoup de solitude, et pourtant de se prêter quelquefois encore à mon observation. […] Aujourd’hui, l’histoire littéraire se fait comme l’histoire naturelle, par des observations et par des collections. XXII On a besoin de renouveler, de rafraîchir perpétuellement son observation et sa vue des hommes, même de ceux qu’on connaît le mieux et qu’on a peints, sans quoi l’on court risque de les oublier en partie et de les imaginer en se ressouvenant. — Nul n’a droit de dire : « Je connais les hommes. » Tout ce qu’on peut dire de juste, c’est : « Je suis en train de les connaître. » XXIII Assembler, soutenir et mettre en jeu à la fois dans un instant donné le plus de rapports, agir en masse et avec concert, c’est là le difficile et le grand art, qu’on soit général d’armée, orateur ou écrivain.

121. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Il a voulu, par exemple, appliquer à l’étude de la langue des Mexicains le même génie d’observation qui lui a fait imaginer sa grande échelle des hauteurs atmosphériques, d’après la végétation des plantes spontanées. […] Jones sont donc dans une analogie parfaite ; le génie de l’observation est donc appelé à faire désormais le même genre de découvertes à la fois dans le monde physique et dans le monde moral. […] Je ne sais si je suis parvenu à me faire comprendre : une courte observation sur la musique achèvera peut-être de rendre sensible le phénomène nouveau de l’intelligence humaine.

122. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

L’observation des lois divines a continué de s’appeler religion. Ces lois doivent être observées, en suivant certaines formules inaltérables de paroles consacrées et de cérémonies solennelles. — Cette observation sévère des lois est l’essence de l’aristocratie. […] Une observation a échappé aux grammairiens, aux politiques et aux jurisconsultes, c’est que dans la lutte des plébéiens contre les patriciens pour obtenir le consulat, ces derniers voulant satisfaire le peuple sans établir de précédents relativement au partage de l’empire, créèrent des tribuns militaires en partie plébéiens, cum consulari potestate, et non point cum imperio consulari.

123. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

D’après les empiriques, l’observation est tout. […] C’est ce que nous atteste l’observation immédiate par la conscience. […] L’observation de Müller n’a donc pas de portée. […] On a souvent discuté sur la distinction de l’observation et de l’expérimentation. […] L’expérimentation est une observation destinée à prouver une hypothèse préalable.

124. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Si, en les lisant aujourd’hui, on est frappé de l’excessive importance accordée à des particularités accidentelles et passagères, à de purs détails de costume, on n’est pas moins frappé de la partie durable, de celle qui tient à l’observation humaine de tous les temps ; et cette dernière partie est beaucoup plus considérable qu’on ne le croirait d’après un premier coup d’œil superficiel. […] Quand il vint la dernière fois à Paris en 1741, M. de Fontenelle ayant remarqué dans sa prononciation quelque chose de l’accent de Normandie, lui en fit l’observation, et lui demanda s’il n’avait pas d’abord appris notre langue d’une personne de cette province ; ce qui était vrai en effet. […] Montesquieu, après la publication de L’Esprit des lois, écrivait à l’abbé de Guasco, qui était alors en Angleterre : « Dites à milord Chesterfield que rien ne me flatte tant que son approbation, mais que, puisqu’il me lit pour la troisième fois, il ne sera que plus en état de me dire ce qu’il y a à corriger et à rectifier dans mon ouvrage : rien ne m’instruirait mieux que ses observations et sa critique. » C’est Chesterfield qui, parlant un jour à Montesquieu de la promptitude des Français pour les révolutions et de leur impatience pour les lentes réformes, disait ce mot qui résume toute notre histoire : « Vous autres Français, vous savez faire des barricades, mais vous n’élèverez jamais de barrières. » Lord Chesterfield goûtait certes Voltaire ; il disait à propos du Siècle de Louis XIV : « Lord Bolingbroke m’avait appris comment on doit lire l’histoire, Voltaire m’apprend comment il faut l’écrire. » Mais en même temps, avec ce sens pratique qui n’abandonne guère les gens d’esprit de l’autre côté du détroit, il sentait les imprudences de Voltaire et les désapprouvait. […] Sans l’observation directe et l’expérience, ils seraient inutiles et même induiraient en erreur autant qu’une carte géographique pourrait le faire, si l’on voulait y chercher une connaissance complète des villes et des provinces. […] On n’en peut lire une page sans avoir à en retenir quelque observation heureuse.

125. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Les recueils d’expériences et d’observations sont donc les seuls livres qui puissent augmenter nos connaissances. […] En plein été il travaillait dans un cabinet très élevé, et dont la voûte ressemblait à celle des églises et des anciennes chapelles : « M. de Buffon, dit Mme Necker, pense mieux et plus facilement dans la grande élévation de sa tour, à Montbard, où l’air est plus pur ; c’est une observation qu’il a faite souvent. » Là, dans une salle nue, devant un secrétaire de bois, il méditait, il écrivait. […] On a les Observations critiques que ces volumes firent écrire à M. de Malesherbes. […] Pour en finir sur ce chapitre, qui ne saurait être le nôtre, je dirai que ce ne fut qu’après un assez grand nombre de volumes que Buffon, instruit peu à peu par la pratique et par les descriptions auxiliaires de Daubenton, en vint à former des classifications plus réelles et plus fondées sur l’observation comparée des êtres en eux-mêmes. […] Lorsqu’il en venait à l’homme, ces explications tant soit peu mystérieuses se relevaient par des observations aussi sensées que fines sur les divers âges d’enfance, de puberté, de virilité et de vieillesse, sur les acquisitions et la sphère d’action des divers sens.

126. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Il y a pourtant d’assez belles scènes et très vraies d’observation et d’analyse quand ce jeune homme, à qui l’on a caché sa naissance, paraît pour la première fois dans la maison de sa bienfaitrice, et que celle-ci l’observe avec amour, jalousie et honte, tandis que le père, debout et respectueux, placé derrière, le regarde avec fierté. […] Les premières parties de ces notes sont pleines, d’ailleurs, d’excellentes observations et d’aperçus dont un chef d’État pouvait faire son profit. […] Tel est le sens général des observations que M.  […] Sur ce chapitre du ridicule il a des observations fines et qui sont d’un vrai moraliste. […] Par penchant et par habitude, il était encore plus homme de presse qu’il ne l’avait été de consultation et de cabinet : « Comme écrivain, disait-il, entre m’adresser au public ou à un souverain, fût-il dix fois plus élevé que la colonne de la place Vendôme, je n’hésiterai jamais à préférer le public ; c’est lui qui est notre véritable maître. » En laissant dans l’ombre les côtés faibles et ce qui n’est pas du domaine du souvenir, et à le considérer dans son ensemble et sa forme d’esprit, je le trouve ainsi défini par moi-même dans une note écrite il n’y a pas moins de quinze ans : Fiévée, publiciste, moraliste, observateur, écrivain froid, aiguisé et mordant, très distingué ; une Pauline de Meulan en homme (moins la valeur morale) ; sans fraîcheur d’imagination, mais avec une sorte de grâce quelquefois à force d’esprit fin ; — de ces hommes secondaires qui ont de l’influence, conseillers nés mêlés à bien des choses, à trop de choses, meilleurs que leur réputation, échappant au mal trop grand et à la corruption extrême par l’amour de l’indépendance, une certaine modération relative de désirs, et de la paresse ; — travaillant aux journaux plutôt par goût que par besoin, aimant à avoir action sur l’opinion, même sans qu’on le sache ; — Machiavels modérés, dignes de ce nom pourtant par leur vue froide, ferme et fine ; assez libéraux dans leurs résultats plutôt que généreux dans leurs principes ; — sentant à merveille la société moderne, l’éducation moderne par la société, non par les livres ; n’ayant rien des anciens, ni les études classiques, ni le goût de la forme, de la beauté dans le style, ni la morale grandiose, ni le souci de la gloire, rien de cela, mais l’entente des choses, la vue nette, précise, positive, l’observation sensée, utile et piquante, le tour d’idées spirituel et applicable ; non l’amour du vrai, mais une certaine justesse et un plaisir à voir les choses comme elles sont et à en faire part ; un coup d’œil prompt et sûr à saisir en toute conjoncture la mesure du possible ; une facilité désintéressée à entrer dans l’esprit d’une situation et à en indiquer les inconvénients et les ressources ; gens précieux, avec qui tout gouvernement devrait aimer causer ou correspondre pour entendre leur avis après ou avant chaque crise.

127. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Le nihilisme dans Terres vierges est traité en phénomène social, sans plaidoyers et sans polémique, et ainsi, étant véritablement un romancier réaliste que ne trouble dans ses observations aucune thèse, qui ne s’applique qu’à recréer dans ses livres des hommes aussi vivants, individualises, différenciés que dans la vie réelle, Tourguénef formule dans ses livres de véritables observations psychologiques, étudie de véritables cas, avec une impartialité et une profondeur qui surprennent. […] Il sait les hommes particuliers, chaque homme parmi ceux qu’il a notés, et à force d’observations individuelles, faites sans préjugés, il est parvenu à voir le microcosme de demi-vertus et de fractions de défauts, de petitesses, de médiocrités, les transfigurations momentanées, les rechutes, les abandons et les élans qui font de toute âme un alliage bizarre et unique. […] Tourguénef, par la constitution même de son esprit, par son aptitude à l’observation minutieuse, sa répugnance à généraliser, s’est exclu de la seule solution de ce dilemme que l’on puisse opposer avec quelque chance au pessimisme, en dehors de toute théologie. […] Si ses dons de styliste gracieux ne pouvaient lui en suggérer de par le pouvoir des mots ; le trop de minutie diffuse de ses observations ne les rendait pas propres non plus à cette systématisation ; les pensées dernières lui répugnaient comme les visions lucides.

128. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Il n’est pas la dépendance et le produit de l’observation ; il est le guide et le gouverneur de l’observation. […] Mais d’autre part, en vertu de l’axiome que la fin absolue d’un être est appropriée à sa nature, et en vertu de cette observation que notre fin présente n’est pas appropriée à notre nature, il est nécessaire qu’à notre vie soient ajoutées une ou plusieurs vies, telles que nos penchants primitifs puissent y recevoir un contentement parfait. […] Cet axiome ressemble à ceux de la géométrie et ne dépend pas de l’observation. […] Il donna pour but à la psychologie la psychologie, et ne permit pas aux questions métaphysiques de diriger sourdement ses recherches, et de pervertir par degrés ses observations.

129. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Ce curieux voyage est le sujet d’un volume publié en 1789, sous le privilège, comme on disait, de l’Académie des sciences, et sous le titre d’Observations faites dans les Pyrénées, pour servir de suite à celles que l’auteur avait déjà faites sur les Alpes dix années auparavant. […] Je n’ai qu’à découper une de ces pages, qui s’intitulerait bien la Famille pastorale en marche, et il en est comme cela une centaine dans les deux ouvrages de description et de science qui recommandent avec originalité son nom (Observations sur les Pyrénées, 1789 ; et Voyages au Mont-Perdu, 1801). […] L’ouvrage de Ramond où elles se trouvent, ces Observations sur les Pyrénées parurent en 1789, c’est-à-dire au moment de la Révolution, et n’eurent pas le temps d’avoir leur succès ; venues quelques années plus tôt, elles auraient sans doute obtenu la vogue, elles auraient peut-être même déterminé un courant de l’opinion et entraîné des flots d’élégants visiteurs par-delà Campan et Bagnères, du côté des hautes vallées des Pyrénées, comme cela s’était vu dans les vallées de la Suisse et des Alpes. […] Mais en même temps et en attendant que cette épopée encore à naître fut venue, Ramond, vers 1807, savait fort bien déterminer le caractère littéraire d’un siècle qui était le sien et qui a aussi sa force et son originalité : On le dépréciera tant qu’on voudra ce siècle, disait-il, mais il faut le suivre ; et, après tout, il a bien aussi ses titres de gloire : il présentera moins souvent peut-être l’application des bonnes études à des ouvrages de pure imagination, mais on verra plus souvent des travaux importants, enrichis du mérite littéraire… Nos plus savants hommes marchent au rang de nos meilleurs écrivains, et si le caractère de ce siècle tant calomnié est d’avoir consacré plus particulièrement aux sciences d’observation la force et l’agrément que l’expression de la pensée reçoit d’un bon style, on conviendra sans peine qu’une alliance aussi heureuse de l’agréable et de l’utile nous assure une place assez distinguée dans les fastes de la bonne littérature.

130. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

L’homme, il faut le savoir, peut s’élever très haut par la culture, par l’effet continu et sans cesse agissant de la civilisation ; mais, en fait, le point de départ, dans quelque doctrine qu’on se place, et que l’on se reporte au dogme mystérieux de la Chute, ou que l’on se tienne à l’observation naturelle directe, le point de départ a été très bas et infime. […] M. de Tocqueville posait un peu pour l’observation méthodique, profonde et raisonnée… » Il ne posait pas, c’était l’attitude naturelle de son esprit, de toute sa personne ; mais il faisait un peu cet effet aux militaires, à ceux qui ont l’esprit prompt, l’observation facile et nette, et même brusque : ce sont des familles d’esprits différentes et même opposées ; il n’y a rien d’étonnant que quelque antipathie se prononce. […] Il est évident qu’il arrivait là avec son cadre de questions toutes dressées, avec son moule tout prêt ; la réalité n’y répond pas, et les choses ne se prêtent pas à y entrer : mais il apprend en revanche quantité d’autres choses imprévues, il fait mainte autre observation chemin faisant.

131. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

  Si maintenant, après l’esprit, nous considérons la nature, nous dépassons aussi, dès le premier pas, le point de vue de l’observation ordinaire. […] On possède beaucoup d’observations faites sur des personnes attaquées de maladies mentales ; mais les autobiographies, les lettres écrites par ces personnes, les sténographies de leurs conversations ou de leurs discours, comme en a publié Leuret4, sont en trop petit nombre. […] Des observations minutieuses et suivies jour par jour, comme celle de la cataleptique magnétisée involontairement par le docteur Puel, seraient du plus vif intérêt5. — Deux points surtout sont importants : l’un est la prépondérance du roman intérieur, suggéré ou spontané, qui se déroule dans le patient sans répression possible et avec le même ascendant qu’auraient des perceptions vraies ; l’autre est l’abolition isolée ou l’exaltation isolée d’un sens ou d’une faculté (sensation de la douleur, du son, sens tactile et musculaire, appréciation de la durée, talent de discourir, d’écrire en vers, de dessiner, et parfois divinations de diverses sortes dont nous ne pouvons encore fixer la limite). […] Mémoire sur la catalepsie, par le Dr Puel (prix Civrieux), observations sur Mme D.

132. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

De son siècle, de l’esprit rationaliste et scientifique qui prévalait alors, il tient son goût de vérité exacte, son observation précise et serrée, sa curieuse recherche et sa sûre connaissance de la vie morale et des passions humaines. […] Je me contenterai donc d’ajouter quelques observations complémentaires, et d’appeler l’attention sur quelques points importants. […] Ils y ont vu des préceptes, quand ce sont ordinairement des observations : ils ont cru que le poète réglait, quand il constatait ; ils ont pris des lois expérimentales pour des commandements catégoriques. […] On estimait l’ample et profonde vérité de son observation.

133. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Ses livres, chaque chapitre de ses livres, plusieurs paragraphes de chaque chapitre sont constitués par le récit de faits positifs, précis, particularisés, par des observations, des anecdotes, un geste, une physionomie, une mine, une locution, une attitude ou un incident. […] Et grâce à son habitude d’accorder le pas à ses observations sur ses idées générales, à ne point plaider de cause et à ne pas émettre de considérations sur la vie, M. de Goncourt a pu se tenir à égale distance de ces philosophies nuisibles à toute vue exacte de la vie, et antiscientifiques : l’optimisme et le pessimisme. […] Ce penchant réagit sur le choix de ses documents humains, de ses sujets, de ses personnages ; ce souci de l’exactitude le pousse à donner des visions nettes de mouvements et de jolités ; l’habitude de l’observation, son ouverture d’esprit à tous les phénomènes de la vie, le garde de tomber dans la mièvrerie ou le pessimisme : la recherche d’émotions délicates le préserve habituellement de s’appliquer à l’étude des choses basses, des personnages laids ou nuls, limite sa vision des phénomènes psychologiques, l’éloigne de concevoir des caractères uns, individuels et constants, colore et énerve sa langue, atténue ses fabulations, rend ses livres excitants et fragmentaires. […] Enfin le possesseur de cette curieuse intelligence, il faut le figurer jeté dès sa jeunesse, avec son frère et son semblable, dans les remous de la vie parisienne, promenant l’aigu de son observation, la délicate nervosité de son humeur, dans le monde des petits journaux, des cafés littéraires, des ateliers, dans les grands salons de l’empire, habitant aujourd’hui une maison constellée de kakémonos et rosée de sanguines, le cerveau nourri par une immense et diverse lecture : à la fois érudit, artiste et voyageur, au fait de l’esprit des boulevards, de celui de Heine et de celui de Rivarol, instruit des très hautes spéculations de la science, l’on aura ainsi la vision peut-être exacte, en ses parties et son tout, de cet artiste divers, fuyant exquis, spirituel, poignant, solide  l’auteur des livres les plus excitants et les plus suggestifs de cette fin de siècle.

134. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

« Métisses, cent fois métisses », c’est ainsi que Gobineau 40 qualifie les sociétés européennes, et l’observation apporte chaque jour les preuves de cet universel croisement qu’un simple calcul pouvait faire prévoir. […] Afin que la propagation d’une idée dans un milieu se laisse comprendre, il faut des raisons tirées de l’observation de ce milieu même. […] L’observation réunirait alors toutes les conditions nécessaires à une induction, et nous pourrions affirmer qu’un rapport constant unit la centralisation à l’égalitarisme. […] Mais au moins, dira-t-on, pour que vous puissiez induire les tendances et les influences qui ont contribué à l’expansion des idées égalitaires, vous faudra-t-il avoir quelques cas à comparer : or, en délimitant votre champ d’observation, ne l’avez-vous pas réduit à un cas unique ?

135. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

Nous pourrions maintenant chercher dans le sujet d’Iphigénie, traité par Racine, les traits du pinceau chrétien ; mais le lecteur est sur la voie de ces études, et il peut la suivre : nous ne nous arrêterons plus que pour faire une observation. […] L’observation est bonne en soi ; mais ce que le Père Brumoy n’a pas vu, c’est que l’Iphigénie moderne est la fille chrétienne.

136. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Mercier » pp. 1-6

Or, la postérité est restée, à propos du Tableau de Paris, sous l’empire d’un mot cruel prononcé par un esprit séducteur : « C’est un livre — disait Rivarol — pensé dans la rue et écrit sur la borne », comme si la rue n’était pas un théâtre d’observation tout comme un autre, quand il s’agit des mœurs d’une grande ville, et même meilleur qu’un autre, quand il s’agit de ses monuments ! […] Il ne manque ni de perçant dans l’observation, ni de nerf dans le style.

137. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Furetière »

« Le Roman bourgeois — dit avec raison Asselineau — est le premier roman d’observation qu’ait produit la littérature française. » La manière de l’auteur, ce vieux raillard, comme parlerait Rabelais (le père à tous de ces observateurs ricanants de la nature humaine et du monde), la manière de l’auteur, incisive, colorée, gauloise, étreignant la réalité, et quelquefois jusqu’au cynisme, est caractérisée avec beaucoup de bonheur par Charles Asselineau. […] La seule réserve que nous voulions faire contre ce morceau distingué, où toutes les influences qui durent modifier le talent et l’observation de l’auteur du Roman bourgeois sont discernées et indiquées, est l’intention de caricature et d’épigramme prêtée beaucoup trop, selon nous, à Furetière, lequel a peint la bourgeoisie de son temps bien plus comme il la voyait et comme elle était qu’autrement.

138. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

Pour écrire une scène, un paysage, un caractère, une description, il faut, avons-nous dit, peindre d’après nature, c’est-à-dire, autant qu’on le peut, copier sur place, s’inspirer d’un modèle ; en d’autres termes, il faut faire de l’observation directe. […] Tout le reste est peut-être absurde… S’il est parfois utile de rédiger une description historique, on ne voit pas, loin des romans-feuilletons, la place d’un faux naufrage et d’un faux déraillement… »‌ Oui, sans aucun doute, il serait préférable de ne jamais « raconter que ce qu’on a vu de ses propres yeux », et voilà pourquoi nous ne cachons pas notre prédilection pour la méthode d’observation directe. […] Il a fait, comme nous le voulons, de l’observation évoquée ; il a, comme nous le conseillons, « spécialisé, individualisé, particularisé » sa description ; il l’a traitée d’après nature et, lui aussi, il a « appliqué à une chose artificielle des procédés de facture vraie ».

139. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Jolies têtes d’épingle noire, d’or ou d’ambre ; fines pointes d’aiguille, mailles d’un tricot perdues et rattrapées, Dieu sait avec quel mouvement languissant ou rapide, toutes ces observations sont femmes. […] L’expression, qu’elle a parfois très belle, et qu’elle ajoute au piquant ou à la force de l’observation quand l’observation la darde ou la secoue, suffit-elle pour faire croire à un talent littéraire, n’existant plus par petites places, mais organisé, articulé, vivant ?

140. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

La curiosité se déplace ; et de la connaissance ou de la méditation des œuvres des anciens elle se porte tout entière vers l’observation des choses voisines, réelles, et contemporaines. […] Il nous l’a dit en propres termes, dans un endroit bien curieux de son livre, qui n’est pas un livre, mais un recueil d’observations, d’observations directes et d’observations précises sur ses contemporains. […] Mais, d’une telle comédie, quelle qu’en soit d’autre part la valeur littéraire, l’agrément en est donc fait, comme celui des Caractères, de la fidélité de l’observation. […] Huet, Sur l’origine des Romans.] — Qu’elle a d’autre part habitué l’esprit français à traiter trop légèrement les choses sérieuses ; — et, en le réduisant à l’observation du beau monde, elle l’a détourné d’une observation plus large et plus sincère de la réalité. […] — Parce que l’on croyait alors qu’il existe une relation nécessaire entre la perfection des œuvres et l’observation des règles ou des lois des genres dont elles relèvent.

141. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Il y fut nommé presque aussitôt commissaire pour la confection du catalogue des livres nationaux : il vit dans cette humble fonction une occasion d’être utile, si petite qu’elle fût : Ma besogne bibliographique a été reçue et approuvée au Comité d’instruction publique, sauf quelques observations… C’est une pitié que cette besogne-là, ajoutait-il, et cependant il a fallu m’y donner comme si elle était importante et profitable pour mon esprit. […] Malgré cela on me laissa lire jusqu’au bout, et le professeur ne me répondit que par des assertions et des raisons collatérales, de manière que mes trois observations restent encore dans leur entier, et je puis dire qu’il s’y trouve des bases neuves que je n’aurais pas eues sans cette circonstance. […] Ces observations parvinrent aux autorités, et on ne le porta plus depuis sur la liste. […] M. de Chateaubriand, par exemple, qu’il eut occasion de voir vers l’époque d’Atala et du Génie du christianisme, et à qui il adressa de belles observations critiques dans son Ministère de l’homme-esprit (observations que M. de Chateaubriand ne lut jamais), n’avait gardé de Saint-Martin qu’un souvenir inexact et infidèle ; il lui est arrivé de travestir étrangement, dans un passage des Mémoires, la rencontre qu’il eut avec lui ; et lorsqu’il eut été averti par moi-même que Saint-Martin avait parlé précisément de cette rencontre et en des termes bien différents, il ne répara qu’à demi une légèreté dont il ne s’apercevait pas au degré où elle saute aujourd’hui à tous les yeux.

142. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Mais l’observation était un peu sujette à caution, car elle émanait de psychologues à moitié endormis. […] J’ai cherché des observations plus approfondies, et surtout d’une authenticité plus certaine ; je n’en ai pas trouvé d’autre que celle du romancier anglais Stevenson. […] Vous connaissez l’observation d’Alfred Maury 10 : elle est restée classique, et, quoi qu’on en ait dit dans ces derniers temps, je la tiens pour vraisemblable, car j’ai trouvé des récits analogues dans la littérature du rêve. […] Telles sont les observations que je voulais vous présenter au sujet des rêves. […] Je ne m’aventurerai pas sur ce terrain ; je ne puis cependant m’empêcher d’attacher quelque importance aux observations recueillies avec un si infatigable zèle par la Society for psychical Research.

143. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XII » pp. 47-52

Je le lis, c’est du plus haut intérêt, philosophique, systématique et à la fois nourri d’observations physiques et microscopiques. […] Mais il y a de l’esprit, de l’observation, des indiscrétions, de l’agrément enfin et du profit.

144. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre III. De la comédie grecque » pp. 113-119

Les caractères tragiques doivent avoir entre eux une certaine ressemblance qui exclut la finesse des observations ; et les modèles de l’histoire héroïque tracent d’avance la route qu’il faut suivre. […] Les comédies de Ménandre et les caractères de Théophraste ont fait faire des progrès, l’un dans la décence théâtrale, l’autre dans l’observation du cœur humain ; parce que ces deux écrivains avaient sur Aristophane l’avantage d’un siècle de plus ; mais, en général, les auteurs se laissent aisément séduire dans les démocraties, par l’irrésistible attrait des applaudissements populaires.

145. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Est-ce indifférence pour ce gros à peu près d’observation qu’on appelle l’étude de mœurs ? […] Nous entrons dans le domaine de l’observation pure. […] Il est indispensable de préciser ce terme d’observation, qui paraît d’abord si simple. […] La préoccupation constante de Tourguéniev fut d’introduire de plus en plus l’observation exacte dans le roman. […] Les romanciers d’observation sont donc logiques en décrivant avec minutie tout le décor, en apparence indifférent, de l’existence.

146. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

. — Observations sur les enfants. — Analogie de l’invention enfantine et de l’invention scientifique. — En quoi l’intelligence humaine se distingue de l’intelligence animale […] — Comment, chez l’enfant, les noms transmis deviennent des noms significatifs. — Indications fournies par ses barbarismes. — Observations du Dr Lieber. — L’enfant reçoit les mots, mais crée leur sens. […] Mais il est clair que les caractères propres au corps humain sont infiniment plus nombreux ; une telle notion en représente cinq ou six, et des plus extérieurs ; accroissons-la de tous ceux que l’observation prolongée et variée pourra découvrir. — L’anatomiste arrive avec l’envie de voir le détail et le dedans ; il dissèque, note, décrit et dessine. […] Les planètes semblent décrire une ellipse ; l’observation et le calcul de leurs perturbations prouvent que cette ellipse n’est pas exacte. — Bref, quand nous comparons l’œuvre de la nature et l’œuvre de l’esprit, nous vérifions que leur conformité n’est pas entière ; la première se rapproche de la seconde ; rien de plus. […] Autant que nous en pouvons juger par l’observation, il n’y a pas de parcelle de matière en repos ou en mouvement qui, prise en elle-même, et abstraction faite des sollicitations perturbatrices, ne s’adapte à cette conception.

147. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Il qualifie quelque part cette peinture des Italiens modernes d’un seul mot : « On dirait de la peinture d’ennuyés. » Ici il en cherche la cause : J’y ai cependant fait une observation que je ne peux m’empêcher de vous communiquer, celle de n’y avoir trouvé aucun tableau un peu original : tous ne sont que de faibles réminiscences des ouvrages anciens et modernes, et rien de véritablement senti sur la nature. […] La nature offre bien plus facilement ces dernières qualités que les premières : au moins pour moi, elles me paraissent bien plus faciles à voir, et c’est une observation que j’ai faite depuis longtemps. […] Il n’y a que les ouvrages de Michel-Ange qui se distinguent d’une manière particulière ; mais son génie était si supérieur qu’il a presque inventé la représentation d’une force, d’un caractère et d’une énergie qu’il n’a pu trouver dans la nature qu’avec de grandes difficultés et une observation continuelle. […] Accroissons le plus possible le nombre de ces livres naturels, où des esprits et des cœurs vivants se montrent avec sincérité et apportent une expérience de plus dans le trésor de l’observation humaine.

148. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Charles Bonnet, philosophe chrétien, psychologue et naturaliste éminent, homme d’observation et de principes, eut à entreprendre cette cure délicate sur l’esprit du jeune Bonstetten que l’enthousiasme de Rousseau avait saisi, qui prenait hautement parti pour lui, pour sa profession de foi condamnée à Genève ; qui, dans les troubles de cette petite république, penchait pour les démagogues (ô scandale !) […] Il essaya aussi, mais infructueusement, de le ramener du déisme au christianisme positif ; le résultat le plus net de tous ses efforts fut de lui donner le goût de l’observation intérieure et de lui transmettre quelque chose de ses procédés ingénieux pour cette fine analyse des phénomènes de l’imagination et de la sensibilité, où il était maître. […] Malgré les observations que lui adressa Bonnet et les garanties qu’offrait ce sage curateur, lui faisant remarquer que « Genève avait ses propres antidotes et offrait le remède à côté du mal », il résolut de le rappeler et de le transplanter (1766). […] Croissez, comme j’ai vu ce palmier de Latone, Alors qu’ayant des yeux je traversai les flots ; Car jadis, abordant à la sainte Délos, Je vis près d’Apollon, à son autel de pierre, Un palmier, don du ciel, merveille de la terre : Vous croîtrez comme lui… Après avoir tenté inutilement de l’acclimater à Berne, le trésorier de Bonstetten permit à son fils de se rendre en Hollande à l’université de Leyde, mais sous la condition expresse qu’il n’y étudierait pas la philosophie : il craignait que ce regard aux choses du dedans ne nuisît à l’observation des faits du dehors ; mais Bonstetten était assez éveillé pour suffire aux deux sortes de vue.

149. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

C’est un fait attesté par l’observation, que, dans cette même conscience où il n’y a que des phénomènes, il se trouve des notions dont le développement régulier dépasse les limites de la conscience et atteint des existences. […] Plus que jamais, fidèle à la méthode psychologique, au lieu de sortir de l’observation, je m’y enfonçai davantage, et c’est par l’observation que, dans l’intimité de la conscience et à un degré où Kant n’avait pas pénétré, sous la relativité et la subjectivité apparentes des principes nécessaires, j’atteignis et démêlai le fait instantané, mais réel, de l’aperception spontanée de la vérité, aperception qui, ne se réfléchissant point elle-même, passe inaperçue dans les profondeurs de la conscience, mais y est la base véritable de ce qui, plus tard, sous une forme logique et entre les mains de la réflexion, devient une conception nécessaire. […] Cet amour passionné de la démonstration pure qui fait le philosophe, ce scrupule inquiet sur le sens des mots, ces habitudes algébriques, ce retour incessant sur soi-même, ce doute inné qui l’empêche de se faire illusion et le porte à mesurer perpétuellement le degré de probabilité de ce que les autres appellent certitude, ce mépris du sens commun, cette haine pour les arguments du cœur, cette foi absolue en l’observation et en la preuve, ce besoin éternel de vérifications nouvelles, voilà les qualités qui seraient des défauts dans un orateur.

150. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Vaugelas m’a promis de ne pas lui être contraire, quand nous solliciterons pour lui. » En 1647, Vaugelas donna ses Remarques sur la langue française, qui étaient comme le registre de ses observations. […] I de ses Oeuvres) ; Dupleix, la Liberté de la langue française dans sa pureté, in-4, 1651 ; Ménage, Observations sur la langue française, in-12, Paris, 1673 ; Bouhours, Doutes sur la langue française, in-12, Paris, 1674 ; Th. Corneille, Observations sur les remarques de M. de Vaugelas, 2 vol. in-12, Paris, 1705 ; Opuscules sur la litt. fr. par divers Académiciens (Dangeau, Choisy), in-12, Paris, 1754. — Pour la suite du travail académique au xviiie  siècle, Régnier-Desmarais, d’Olivet, Duclos.

151. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Ils exercèrent sur le xixe  siècle les facultés d’observation qu’ils avaient développées sur le xviiie . […] Une fausseté naturelle, une dissimulation acquise, un regard à volonté, une physionomie maîtrisée, un mensonge sans effort de tout l’être, une observation profonde, un coup d’œil pénétrant, la domination des sens, une curiosité, un désir de science, qui ne leur laissaient voir dans l’amour que des faits à méditer et à recueillir, c’étaient à des facultés et à des qualités si redoutables que ces femmes avaient dû, dès leur jeunesse, des talents et une politique capables de faire la réputation d’un ministre. […] Ils auraient peut-être tort maintenant… Dans ce temps-là, ni l’un ni l’autre de ces Goncourt qui ont écrit le livre de La Femme au xviiie  siècle n’eût voulu descendre de cette conception littéraire, qui repousse l’ordure, l’observation, l’étude de l’ordure, comme indigne de l’esprit humain, et n’aurait voulu écrire La Fille Élisa !

152. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexis de Tocqueville »

Ce n’est pas par les faits étudiés, ce n’est pas par l’observation et la quantité des observations que le livre de la Démocratie défaille, c’est par la tenue des idées, le sens résolu, le parti pris en toutes choses et gardé, c’est enfin par tout ce qui fait un livre fort et grand. […] Les meilleures lettres qu’on ait de lui ne peuvent valoir, par le détail de l’observation (son seul mérite réel), les livres qu’elles rappellent par leur langage raisonnable, tranquille et d’une pâle élégance, quand il est le mieux réussi.

153. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

Ce bonheur-là, je l’ai eu un jour, si on se le rappelle, quand je signalai l’un des premiers, si ce n’est le premier, le livre d’un inconnu (Revelière), intitulé magnifiquement : Les Ruines de la Monarchie française, sous lesquelles, par parenthèse, il pourrait bien rester enseveli… Eh bien, je vais avoir ce bonheur encore en parlant d’un autre livre, non moins substantiel, non moins fort d’observation et de raison que celui de Revelière, et aussi non moins ignoré… Ce livre s’appelle : Les Philosophes et la Philosophie, et il est d’un écrivain à peu près aussi inconnu que Revelière, c’est M.  […] Athanase Renard, qui signe : le docteur Athanase Renard, est un médecin qui a mêlé la Philosophie à l’observation physiologique… non pour tuer l’une par l’autre, comme tant de physiologistes, mais pour sauver l’une de l’autre, qui, en ce moment, veut la tuer. […] À partir de sa thèse « inaugurale », pour parler comme lui, il a toujours poussé dans le même sens ses observations et ses idées.

154. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Mais les alchimistes, s’en tenant à l’observation immédiate, se sont trompés sur le simple et le composé. […] Elle se réclame uniquement de l’observation et de l’expérience. […] Par l’observation même, il arrive à l’apriorisme. […] Il se rapproche toutefois de la tendance nouvelle en concevant l’observation d’une manière qui réunit l’observation externe et l’observation interne. […] L’observation et la raison ont fourni les principes, la méthode mathématique tire les conséquences.

155. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

Il est impossible de séparer ces observations, lorsqu’elles ont la France pour objet, des effets déjà produits par la révolution même : ces effets, l’on doit en convenir, sont au détriment des mœurs, des lettres et de la philosophie. […] Mes conjectures sur l’avenir seront le résultat de mes observations sur le passé.

156. (1842) Discours sur l’esprit positif

À peine y a-t-il trois siècles que, chez l’élite de l’Humanité, les espérances astrologiques et alchimiques, dernier vestige scientifique de cet esprit primordial, ont réellement cessé de servir à l’accumulation journalière des observations correspondantes, comme Kepler et Berthollet l’ont respectivement indiqué. […] Ce n’est plus alors la pure imagination qui domine, et ce n’est pas encore la véritable observation ; mais le raisonnement y acquiert beaucoup d’extension, et se prépare confusément à l’exercice vraiment scientifique. […] Dans chaque ordre de phénomènes, il en existe, sans doute, quelques-uns assez simples et assez familiers pour que leur observation spontanée ait toujours suggéré le sentiment confus et incohérent d’une certaine régularité secondaire ; en sorte que le point de vue purement théologique n’a jamais pu être rigoureusement universel. […] Sous l’aspect dogmatique, elle professe d’ailleurs que les conceptions quelconques de notre imagination, quand leur nature les rend nécessairement inaccessibles à toute observation, ne sont pas plus susceptibles dès lors de négation que d’affirmation vraiment décisives. […] Le sentiment élémentaire de l’ordre est, en un mot, naturellement inséparable de toutes les spéculations positives, constamment dirigées vers la découverte des moyens de liaison entre des observations dont la principale valeur résulte de leur systématisation.

157. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Il n’y a pas de danger qu’on se méprenne sur ce mot Éloge : il ne saurait s’appliquer qu’au grand écrivain toujours debout et subsistant ; l’homme et le caractère sont dorénavant trop connus, trop percés et mis à jour pour que l’éloge puisse y prendre pied décidément, et quoique les appréciations de ce genre soient sujettes à de perpétuelles vicissitudes, quoiqu’il semble qu’en littérature et en morale les choses ne se passent point comme dans la science proprement dite et que ce soit toujours à recommencer, je pense toutefois qu’il y a, dans cet ordre d’observations aussi, de certaines conclusions acquises et démontrées sur lesquelles il n’y a pas lieu pour les bons esprits à revenir. […] Mais, quand il n’est plus, il faut bien s’arrêter, sous peine d’erreur, dans cette observation dont l’objet se dérobe, et alors on fait comme pour un procès : on rassemble toutes les preuves, toutes les dépositions, et on règle, au moins dans ses articles principaux, un jugement, un Arrêt. […] Villemain et aux autres maîtres antérieurs n’ont daigné soupçonner, c’est cet ensemble d’observations et de directions positives que je vais tâcher d’indiquer brièvement.

158. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes d’Amérique » pp. 95-110

Si, comme on devait naturellement le croire d’après son titre, ce livre sur les femmes d’Amérique n’avait été que de l’observation consciencieuse et exacte, nous n’avons jamais assez aimé, dans les lointains où elle nous apparaît, la société américaine, pour nous irriter contre un daguerréotype impassible et cruel, qui nous montre les femmes de New-York ou de Philadelphie dans leur effroyable réalité. […] Toute la philosophie sociale de ce formidable penseur, qui a pour la pauvre Europe l’insolence d’un homme repu pour un affamé, et qui nous revient d’Amérique enrichi du moins d’une pacotille d’idées générales et d’observations individuelles, — marchandises mêlées dont nous voulons vous montrer les échantillons ; — toute la philosophie sociale de Bellegarrigue, comme il le dit lui-même en un langage digne des mendiants de Callot, consiste « dans la recherche de la monnaie » (textuel). […] … Souffriront-ils patiemment qu’on les pose dans le monde et dans les sentiments de leurs femmes comme de simples éléments de rentes, eux si vite cabrés autrefois pour une observation de mistress Trollope ou une plaisanterie de Charles Dickens ?

159. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

Travaux, livres, observations, mouvement d’idées, tout chez lui fut mis en branle par les voyages. Dans son Asie centrale, dans son Voyage aux régions équinoxiales, dans son Atlas géographique et physique et son Examen critique de l’histoire de la géographie du nouveau continent aux xve et xvie  siècles, dans ses Vues des Cordillières et ses Plantes équinoxiales, dans son Essai politique sur Cuba et son Tableau de la Nature, etc., même dans ses ouvrages d’observation particulièrement botanique, il ne fut jamais qu’un voyageur, parlant passionnément de ses voyages, et à ce point qu’on peut se demander ce qu’il aurait eu à nous dire s’il n’avait pas voyagé, et pensé s’il n’avait pas vu ? […] Ici ou là, c’est toujours le même curieux, le même frétillant d’observation, le même assembleur de faits imperceptibles qu’il épingle, et qui se compose des herbiers avec tout et même avec des autographes !

160. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

Travaux, livres, observations, mouvement d’idées, tout chez lui fut mis en branle par les voyages. Dans son Asie centrale, dans son Voyage aux régions équinoxiales, dans son Atlas géographique et physique, et son Examen critique de l’histoire de la géographie du Nouveau continent aux quinzième et seizième siècles, dans ses Vues des Cordillières et ses Plantes équinoxales, dans son Essai politique sur Cuba et son Tableau de la nature, etc., même dans ses ouvrages d’observation particulièrement botanique, il ne fut jamais qu’un voyageur, parlant passionnément de ses voyages, et à ce point qu’on peut se demander ce qu’il aurait eu à nous dire, s’il n’avait pas voyagé, et pensé, s’il n’avait pas vu ? […] Ici ou là, c’est toujours le même curieux, le même frétillant d’observation, le même rassembleur de faits imperceptibles qu’il épingle et qui se compose des herbiers avec tout, et même avec des autographes !

161. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Ils appartenaient à ces idées…, mais ils appartenaient aussi, et par leur destinée et par les premières observations de la vie pensante, qui forment, pièce à pièce, la mosaïque intérieure de notre génie, à ce peuple dont ils avaient à traduire les sentiments, le langage et les inspirations ! […] Bourgeois de fausses lumières et d’éducation intellectuelle, peuple par l’instinct et par la fermeté de l’observation, ils se fendaient au centre même de leur être, et leur ouvrage porta l’empreinte de ce déchirement de leur esprit. […] Il reprend son ouvrage en sous-œuvre et il le refait dans le fondement même… Et de ce qui était faible de langage et immoral de sentiment et de tendance, il tire un livre parsemé d’aperçus, vivant de drame, abondant, familier, terrible, à pleine main dans l’observation et dans la vie, profond lorsqu’il paraît trivial, sévèrement écrit, d’un style pur, et pourtant ardent, comme du fer passé dans la flamme ; beau livre, enfin, moral et chrétien, comme Diderot aurait pu l’écrire, s’il n’eût pas été l’athée Diderot !

162. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

L’auteur de Christian 35 est, à la vérité, également apte aux choses de l’imagination et de l’observation humaines et à celles de l’érudition et de l’observation littéraires ; mais jusqu’ici, dans le bruit et les hasards de sa renommée, ce sont ces dernières qui l’ont emporté. […] Cette correspondance entre les deux jeunes filles, cette correspondance qui dure trop peu et qui, si elle avait été la forme intégrale du roman, en eût certainement fait un chef-d’œuvre, est d’un maître en observation ou en divination humaine.

163. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Théophile Gautier donne au Moniteur, sa plume brillante sait résumer et figurer avec une précision d’artiste bien des observations et des études que d’autres développeraient et étendraient en analyse. […] Je vous avouerai, cher ami, qu’en faisant ces observations, je ne pouvais m’empêcher de trouver l’immortel Raphaël bien au-dessous de la nature, et il me semble qu’avec son sentiment sublime, il aurait frappé bien plus fort s’il eût donné à tous ses sujets juifs tout le caractère que la nature offre. […] Les uns, qui ont la promptitude de l’observation, se font les moyens prompts de la rendre ; ceux au contraire qui, comme Ingres, vont chercher dans le cœur les expressions qui animent leurs figures, mettent plus de lenteur ; ils cherchent ce qu’ils sentent, mais qu’ils ne voient pas. […] S’étant laissé aller un jour, comme il aimait à le faire dans les dernières années, à entretenir un ami de ses espérances religieuses et de sa confiance en une vie future, en l’immortalité, il se reprenait tout d’un coup, mais pour y appuyer davantage : Je fais la réflexion que ce sujet que je traite si volontiers est bien délicat, et qu’il vaudrait mieux garder pour soi les observations qu’on peut faire et en montrer le résultat par ses œuvres.

164. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Dans les premières Observations, publiées en 1789, je signalerai deux grands endroits. […] Un autre très bel endroit de ces premières Observations est le moment qu’il choisit pour exposer son système général des montagnes, et en particulier des Pyrénées. […] Les Observations faites dans les Pyrénées, en paraissant en 1789, portaient bien d’ailleurs l’empreinte de cette date ; c’est un livre jeune, en ce sens que l’auteur y déborde encore et exprime volontiers, chemin faisant, ses opinions sur tout sujet civil ou politique, philosophique ou philanthropique. […] Dans ce pays d’Auvergne, du pied de cette montagne illustrée par les expériences de Pascal, Ramond nota les variations du baromètre, multiplia les observations et les mesures en tous sens, et perfectionna cette branche de la physique avec une patience et un besoin d’exactitude rigoureuse qui s’alliait en lui à l’imagination la plus brillante.

165. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Il est à croire qu’il aura observé de ses yeux quelque chose de semblable, ou du moins il a aimé à condenser dans ce tableau étroitement lié et à y reporter le résultat de ses observations diverses, sur un fonds général d’amertume et d’ironie. […] Toutes ces bizarreries, ces inconséquences de la nature féminine sont d’une observation excellente. […] Voilà mes objections à un livre dont je prise très haut d’ailleurs les mérites, observation, style (sauf quelques taches), dessin et composition. […] Car en bien des endroits, et sous des formes diverses, je crois reconnaître des signes littéraires nouveaux : science, esprit d’observation, maturité, force, un peu de dureté.

166. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Il est encore certaines Observations morales d’un anonyme qu’il aurait pu faire tirer à part, s’il l’avait voulu, et ne pas joindre à l’édition : c’est appeler la confrontation avec le maître du genre et compliquer le rôle d’éditeur. […] il avait devant lui la matière la plus riche pour l’observation, et il venait d’acquérir dans la maison de Condé, en s’y abritant, ce que d’autres y auraient perdu, l’indépendance. […] Il s’y sentit bientôt si goûté, si à l’aise, si en plein dans son élément et dans sa veine d’observation, qu’il est venu jusqu’à nous des témoignages et comme des échos de ses joies. […] Lorsqu’on s’est une fois familiarisé avec lui et avec sa manière, on l’aime bien mieux, ce me semble, hors de ces morceaux de montre et d’apprêt, dans les esquisses plus particulières d’originaux, surtout dans les remarques soudaines, dans les traits vifs et courts, dans les observations pénétrantes qu’il a logées partout et qui sortent de tous les coins de son œuvre.

167. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Quoique les Romains se soient moins livrés que les Grecs à la littérature, ils leur sont supérieurs par la sagacité et l’étendue dans les observations morales et philosophiques. […] Sa philosophie est composée de préceptes, et non d’observations. […] Si l’on trouve ces observations trop multipliées, je demande qu’on se souvienne qu’elles sont écrites en réponse à une attaque qui exigeait une réfutation. […] Il serait hasardé de vouloir garantir qu’il ne se trouverait pas dans des recherches pareilles une exception à la règle générale ; mais une observation de ce genre se fonde sur un très grand nombre d’exemples ; et il est certainement très probable que les Romains du temps de la république n’ont point encouragé les tragédies qui avaient pour sujet les propres événements de leur histoire.

168. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre II : Variations des espèces à l’état de nature »

Mais ces exemples sont assurément nombreux, au contraire, si l’on suit d’autres règles d’observation. […] S’il multiplie beaucoup ses observations, il deviendra capable à la fin de déterminer à peu près ce qu’il doit appeler variété ou espèce ; mais il n’y parviendra qu’à la condition d’admettre dans les formes spécifiques une grande variabilité qui sera souvent contestée par d’autres naturalistes. […] Il suit de ces observations, que je ne considère le terme d’espèce que comme arbitrairement appliqué pour plus de commodité à un ensemble d’individus ayant entre eux de grandes ressemblances, mais qu’il ne diffère pas essentiellement du terme de variété donné à des formes moins distinctes et plus variables. […] Ces observations sur la prédominance des espèces ne s’appliquent, on doit le comprendre, qu’aux formes organiques qui entrent en concurrence les unes avec les autres, et plus particulièrement aux représentants du même genre et de la même classe qui ont à peu près les mêmes habitudes de vie.

169. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

L’expérimentation peut ici venir en aide à l’observation. […] Les observations de M.  […] Egger, Observations et réflexions sur le développement de l’intelligence et du langage chez les enfants (2e édition, 1880), dernières pages de la 2e partie ; — Terrien-Poncel, Du langage (Franck, 1867), chap.  […] Voir sur ce sujet notre Observation sur le sommeil, dans les Annales de la Faculté des lettres de Bordeaux, juillet 1879. — Ajoutons que la parole d’autrui, entendue pendant l’état de sommeil, est ou un vain bruit ou comprise de travers. […] Observations personnelles.

170. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Introduction »

À mon retour, en 1837, il me vint à l’esprit qu’on pourrait peut-être faire avancer cette question en accumulant, pour les méditer, les observations de toutes sortes qui pourraient avoir quelque rapport à sa solution. […] Personne ne sent plus vivement que moi la nécessité de publier plus tard toutes les observations et tous les renseignements sur lesquels ces conclusions se fondent, et j’espère le faire prochainement ; car je sais parfaitement qu’il est à peine une seule des opinions discutées dans ce volume, à laquelle on ne puisse opposer des arguments conduisant, en apparence, à des conclusions directement opposées.

171. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième faculté d’une Université. Faculté de droit. » pp. 506-510

non, mais bien au temps qui lui manque par les observations et les conseils de tous les habiles gens répandus dans les différentes contrées de l’Europe. […] Cette dernière observation peut être ajoutée à un feuillet que j’ai laissé à Sa Majesté Impériale sur les moyens de rendre les ambassadeurs bons à quelque chose98.

172. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Comme poëte, comme artiste, comme écrivain, on a souvent rabaissé sa qualité de sentiment, sa manière de faire ; il a eu peine à se pousser, à se classer plus haut que la vogue, et malgré son talent redoublé, malgré ses merveilleuses délicatesses d’observation, à monter dans l’estime de plusieurs jusqu’à un certain rang sérieux. […] Il a fallu que j’arrivasse à trente ans, que mes observations se soient mûries et condensées, qu’un jet de lumière les ait même encore éclairées, pour que je pusse comprendre toute la portée des phénomènes dont j’ai été le témoin ignorant. » Il fallut peut-être à M. de Balzac, pour éveiller et ressusciter cet ancien Lambert enseveli en lui, qu’un éclair lui vînt, tombé du front d’Hébal, ce noble frère de la même famille. […] Il est vrai que M. de Balzac ne procède pas à coup sûr, et que dans ses productions nombreuses, dont quelques-unes nous semblent presque admirables, touchantes du moins et délicieuses, ou piquantes et d’un fin comique d’observation, il y a un pêle-mêle effrayant. […] Enfin, il y a en grammaire une faute insoutenable qu’il pratique constamment et par système ; au rebours des écrivains d’aujourd’hui qui ont mis le son, sa, ses, partout, qui disent à propos d’un fait et d’une observation lui et elle, M. de Balzac ne connaît que le en : ainsi, dans les Célibataires, toutes les fois que l’abbé Birotteau était entré chez le chanoine Chapeloud il en avait admiré l’appartement et les meubles. […] Quel mélange singulier et contradictoire dans le romancier que nous voudrions juger ici, sans faire notre parole plus sévère que notre pensée, — quel mélange d’observation souvent maligne, de réalité prise sur le fait comme par un clin d’œil de malin Tourangeau, de gaieté de bon aloi et digne de Chinon, — quel mélange de tout cela, et encore de situations domestiques si fréquemment attendrissantes, avec tant d’écarts divagants et d’incroyables fantaisies !

173. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville Après avoir exposé les doctrines de M. de Tocqueville et en avoir fait, je l’espère, ressortir la véritable portée, qu’il me soit permis de présenter quelques observations qui ne changent pas essentiellement le fond de sa pensée, mais qui la complètent. […] Au reste, cette critique n’est que secondaire et ne tombe pas précisément sur le fond des choses, car M. de Tocqueville ne méconnaît et n’ignore aucune des différences qui distinguent l’Europe de l’Amérique, et il est toujours possible, quoique avec un peu d’effort, de faire, en le lisant, le partage qu’il n’a pas fait ; mais voici une observation d’un ordre bien plus important. […] L’immensité et l’obscurité du tableau défieront toujours l’observation la plus pénétrante. […] Comme il n’a jamais rien pensé d’une manière commune, il nous eût laissé sur ce point des observations intéressantes et instructives9. […] La richesse et la fécondité des faits humains dépassent toute prévision, et les lois générales ne peuvent être découvertes que par les procédés mêmes des sciences naturelles, l’observation et l’expérience, avec cette différence que, dans les sciences de la nature, c’est le savant qui expérimente, tandis que, dans les sciences politiques, c’est la société qui fait elle-même les expériences pour l’instruction des savants.

174. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Telle est en effet l’apparence que présente pour une observation superficielle l’association de ces deux faits. […] Mais l’usage, c’est-à-dire l’habitude, diminue cet intervalle, et, quand l’intervalle est devenu très faible, il échappe à l’observation. […] Elles y arrivent d’autant mieux que toute invention se greffe sur des souvenirs, que, dans toute opération un peu complexe de l’esprit, les mots qui appellent des idées et les idées qui appellent des mots se suivent, s’enchaînent, se groupent, formant rapidement des composés dont la conscience ne saisit que l’ensemble et néglige les détails ; ces attentes minimes d’un mot, d’une idée, déjà peu discernables, achèvent de s’annuler en se compensant et deviennent insaisissables à toute observation. […] Cette description contient plus d’une inexactitude, et surtout elle ne correspond qu’à l’état adulte de l’intelligence ; à l’âge où l’observation psychologique est devenue possible247, les choses se passent à peu près ainsi ; elles ne peuvent se passer de même chez les enfants. […] Observations personnelles.

175. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Cette observation pourra paraître subtile. […] Mais un exemple fera mieux comprendre la portée de cette observation. […] D’ailleurs l’observation du temps exact n’est jamais nécessaire au théâtre. […] Je ne ferai pas d’autre observation en ce qui concerne la décoration et je passe au matériel figuratif. […] C’est l’aspect multiple et complexe de la vie que l’école cherche à réaliser par l’observation de cette loi.

176. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

Au point de vue de l’observation purement psychologique, la jouissance et la souffrance ainsi que la réaction de l’appétit à l’égard des sensations se distinguent nettement des sensations mêmes, en tant que présentations d’objets qui arrivent ou s’en vont devant l’œil intérieur. […] Si donc le processus interne, tel qu’il se présente à l’observation intérieure, comprend trois moments, — sensation ou changement subi et discerné, plaisir et peine, enfin appétition, — nous avons le droit de les distinguer, sans prétendre pour cela ni les séparer l’un de l’autre, ni les soustraire aux communes lois du déterminisme. […] Quelle est, d’après cela, la part de l’élément objectif et de l’élément subjectif dans l’observation psychologique ? — Le procédé de l’observation interne est, au fond, le même que celui de l’observation externe. Notre observation du moi-objet s’étend juste aussi loin que l’imagination.

177. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Hartley »

Ce fut en 1749, que Hartley, alors médecin à Londres, publia ses Observations on Man, his frame, his duty, his expectations. […] Cet opuscule contient 22 proposions qui renferment en substance toute la partie psychologique des Observations.

178. (1887) La Terre. À Émile Zola (manifeste du Figaro)

On avait des : « Peut-être aurait-il dû… », des « Ne trouvez-vous pas qu’un peu moins de… », toutes les timides observations de lévites déçus qui voudraient bien ne pas aller jusqu’au bout de leur désillusion. […] Non seulement l’observation est superficielle, les trucs démodés, la narration commune et dépourvue de caractéristiques, mais la note ordurière est exacerbée encore, descendue à des saletés si basses que, par instants, on se croirait devant un recueil de scatologie : le Maître est descendu au fond de l’immondice.

179. (1886) Le naturalisme

La critique a cessé d’être une magistrature et un pontificat, pour se changer en études et en observations incessantes. […] Chez Balzac, l’inspiration du réel est au-dessus de l’observation. […] Seulement son observation implacable démontre à chaque instant la bassesse et la nullité des desseins et des désirs de l’homme. […] Grands, non point par les dimensions, mais par la profondeur de l’observation. […] L’influence indéniable du corps sur l’âme et vice versa, lui offre un superbe trésor d’observations et d’expériences.

180. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

De temps en temps, timidement et tout en qualifiant l’auteur de grand homme, quelques critiques ont bien hasardé de craintives et respectueuses observations. […] Il est un observateur subjectif, il crée ses observations au coin de son feu. […] Ils n’ont à appliquer à leurs observations que les procédés de l’esprit dont tout cerveau richement organisé et amplement cultivé dispose. […] Ce n’est pas trop que les siècles se succèdent avec leur transmission d’observations et d’expériences incessamment réitérées, pour étendre la science et rectifier les fréquentes erreurs de ceux qui la cultivent. […] Sur une simple observation, l’idée plus rapide que l’expérience, qui ne vient toujours qu’après pour réviser, a ouvert des champs sans limite aux investigations humaines.

181. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Son faire devenait plus sûr et plus décisif en même temps que ses observations s’étendaient à d’autres travers encore qu’à ceux de la jeunesse. […] Ce furent des années toutes d’étude, de réflexion, d’observation solitaire, de production aussi, et d’un renouvellement vigoureux et fécond. […] Quand il revint en France, sur la fin de l’été de 1851, il était riche d’observations, plein de sujets, plus que jamais rompu à la science du dessinateur, capable d’oser et d’entreprendre en dehors même du champ aimable et si varié qu’on lui avait reconnu jusque là pour son domaine. […] Cela lui entre confusément, pour ainsi dire ; il se fait un travail de nutrition au-dedans, et à son heure l’invention se produit, laquelle n’est qu’une observation à la seconde puissance.

182. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

Depuis longtemps, selon la méthode ordinaire, on a distribué les sensations en classes et sous-classes, plus ou moins heureusement, d’abord d’après le genre de service qu’elles nous rendent, ensuite d’après les circonstances particulières où elles naissent et d’après l’endroit où les images associées les situent, enfin, d’après les ressemblances assez grossières que l’observation intérieure trouve en elles67. — On a fait une première famille avec celles qui dénotent les divers états du corps sain ou malade, et qui sont moins des éléments de connaissance que des stimulants d’action ; on les a nommées sensations de la vie organique, et, d’après l’appareil ou la fonction qui les provoque, on les a divisées en genres et en espèces : ici l’effort, la fatigue, et diverses douleurs déterminées par l’état des muscles, des os et des tendons ; un peu plus loin, l’épuisement nerveux et les souffrances nerveuses déterminées par l’état propre des nerfs ; ailleurs les angoisses de la soif et de la faim déterminées par l’état de la circulation et de la nutrition ; là-bas, la suffocation et un certain état tout opposé de bien-être déterminés par l’état de la respiration ; ailleurs encore, les sensations de froid et de chaud, déterminées par un état général de tous les organes ; ailleurs enfin, d’autres, comme les sensations digestives, déterminées par l’état du canal alimentaire. — À côté de cette famille, on en a formé une seconde dont les premiers genres touchent aux derniers de la précédente ; elle comprend les sensations qui ne nous renseignent point sur la santé ou sur la maladie de notre corps, et qui sont moins des stimulants d’action que des éléments de connaissance. […] En effet, intérieure ou extérieure, l’observation, à son premier stade, ne saisit que des composés ; son affaire est de les décomposer en leurs éléments, de montrer les divers groupements dont les mêmes éléments sont capables, et de construire avec eux les divers composés. Le chimiste prouve qu’en combinant, avec une molécule d’azote, une, deux, trois, quatre, cinq molécules d’oxygène, on construit le protoxyde d’azote, le deutoxyde d’azote, l’acide azoteux, l’acide hypoazotique, l’acide azotique, cinq substances qui, pour l’observation brute, n’ont rien de commun et qui pourtant ne diffèrent que par le nombre des molécules d’oxygène comprises dans chacune de leurs parcelles. […] Or il est un groupe de sensations dans lequel la réduction peut être complète ; ce sont celles de l’ouïe, et de celles-ci on peut à bon droit conclure aux autres : la solution partielle atteinte indique la solution générale qu’on atteindra. — En apparence, les espèces de sons sont fort nombreuses, et l’observation, ordinaire y démêle beaucoup de qualités qui semblent simples.

183. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Son observation est souvent vision ; son réalisme, poésie sensuelle et sombre. […] Et ce reclus, cet homme de cabinet qui s’impose des « matières » à mettre en romans, c’est lui qui vient nous parler d’observation directe, scientifique, de vérité intégrale, implacable, et autres rengaines ! […] Ainsi l’observation directe et récente des milieux fait évidemment défaut dans l’Œuvre. Vous pensez bien que vous n’y trouverez pas davantage l’observation des mouvements de l’âme, l’odieuse psychologie.

184. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

En mars 1700, Fénelon lui écrit pour régler, de concert avec lui, l’observation des lois de l’Église pour le Carême : Il m’a paru, dit le prélat, que la règle ne se rétablirait jamais, si on ne se hâtait de la renouveler après dix ans de dispense continuelle. […] Saint-Simon était doué d’un double génie qu’on unit rarement à ce degré : il avait reçu de la nature ce don de pénétration et presque d’intuition, ce don de lire dans les esprits et dans les cœurs à travers les physionomies et les visages, et d’y saisir le jeu caché des motifs et des intentions ; il portait, dans cette observation perçante des masques et des acteurs sans nombre qui se pressaient autour de lui, une verve, une ardeur de curiosité qui semble par moments insatiable et presque cruelle : l’anatomiste avide n’est pas plus prompt à ouvrir la poitrine encore palpitante, et à y fouiller en tous sens pour y étaler la plaie cachée. […] La Bruyère aussi a la faculté de l’observation pénétrante et sagace ; il remarque, il découvre toute chose et tout homme autour de lui ; il lit avec finesse leurs secrets sur tous ces fronts qui l’environnent ; puis rentré chez lui, à loisir, avec délices, avec adresse, avec lenteur, il trace ses portraits, les recommence, les retouche, les caresse, y ajoute trait sur trait jusqu’à ce qu’il les trouve exactement ressemblants. Mais il n’en est pas ainsi de Saint-Simon, qui, après ces journées de Versailles ou de Marly que j’appellerai des débauches d’observation (tant il en avait amassé de copieuses, de contraires et de diverses !)

185. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Une autre raison de la pauvreté de ce sallon-cy, c’est que plusieurs artistes de réputation ne sont plus, et que d’autres dont les bonnes et les mauvaises qualités m’auroient fourni une récolte d’observations, ne s’y sont pas montrés cette année. […] Convenez que, si vous n’êtes pas frappé de ces observations, c’est que vous n’avez pas la première teinture d’anatomie, de physiologie, la première notion de la nature. […] Par une longue observation, par une expérience consommée, par un tact exquis, par un goût, un instinct, une sorte d’inspiration donnée à quelques rares génies, peut-être par un projet naturel à un idolâtre d’élever l’homme au-dessus de sa condition, et de lui imprimer un caractère divin, un caractère exclusif de toutes les contentions de notre vie chétive, pauvre, mesquine et misérable, ils ont commencé par sentir les grandes altérations, les difformités les plus grossières, les grandes souffrances. […] Avec le tems, par une marche lente et pusillanime, par un long et pénible tâtonnement, par une notion sourde, secrette, d’analogie, acquise par une infinité d’observations successives dont la mémoire s’éteint et dont l’effet reste, la réforme s’est étendue à de moindres parties, de celles-cy à de moindres encore, et de ces dernières aux plus petites, à l’ongle, à la paupière, aux cils, aux cheveux, effaçant sans relâche et avec une circonspection étonante les altérations et difformités de nature viciée, ou dans son origine, ou par les nécessités de sa condition, s’éloignant sans cesse du portrait, de la ligne fausse, pour s’élever au vrai modèle idéal de la beauté, à la ligne vraie ; ligne vraie, modèle idéal de beauté qui n’exista nulle part que dans la tête des Agasias, des Raphaëls, des poussins, des Pugets, des Pigals, des Falconnets ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont les artistes subalternes ne puisent que des notions incorrectes, plus ou moins approchées que dans l’antique ou dans leurs ouvrages ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie que ces grands maîtres ne peuvent inspirer à leurs élèves aussi rigoureusement qu’ils la conçoivent ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie au-dessus de laquelle ils peuvent s’élancer en se jouant, pour produire le chimérique, le sphinx, le centaure, l’hippogriphe, le faune, et toutes les natures mêlées ; au-dessous de laquelle ils peuvent descendre pour produire les différents portraits de la vie, la charge, le monstre, le grotesque, selon la dose de mensonge qu’exige leur composition et l’effet qu’ils ont à produire, en sorte que c’est presque une question vuide de sens que de chercher jusqu’où il faut se tenir approché ou éloigné du modèle idéal de la beauté, de la ligne vraie ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie non traditionelle qui s’évanouit presque avec l’homme de génie, qui forme pendant un tems l’esprit, le caractère, le goût des ouvrages d’un peuple, d’un siècle, d’une école ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont l’homme de génie aura la notion la plus correcte selon le climat, le gouvernement, les loix, les circonstances qui l’auront vu naître ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie qui se corrompt, qui se perd et qui ne se retrouveroit peut-être parfaitement chez un peuple que par le retour à l’état de Barbarie ; car c’est la seule condition où les hommes convaincus de leur ignorance puissent se résoudre à la lenteur du tâtonnement ; les autres restent médiocres précisément parce qu’ils naissent, pour ainsi dire, scavants.

186. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Sa récente Physiologie mentale (1875) est un abondant répertoire d’observations, de documents, de faits peu connus de psychologie normale ou morbide. […] L’introduction de cet ouvrage qui a pour sujet « la Méthode en psychologie », est très sévère pour la métaphysique et pour l’emploi exclusif de cette méthode que les Anglais appellent introspective : (l’observation intérieure de Jouffroy et de l’école spiritualiste). […] De nombreuses observations étendues aux adultes, aux enfants, aux aliénés, aux diverses races humaines, il conclut que les modes d’expression sont les mêmes partout et qu’ils peuvent s’expliquer par trois principes fondamentaux : la loi d’association ou d’habitude ; le principe de l’antithèse ; l’action directe du système nerveux indépendamment de la volonté, — On peut se demander si Darwin a résolu la question capitale et dernière : pourquoi telle émotion agit sur tel muscle ou tel groupe de muscles plutôt que sur tel autre ; si les trois principes par lui posés sont réellement irréductibles ; si le troisième n’est pas en réalité le fondement des deux autres : l’ouvrage n’en a pas moins une grande valeur psychologique par tes résultats et par la méthode.

187. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

D’ailleurs, alors même qu’elle n’est pas immédiatement donnée à l’observation, on peut souvent la réaliser à l’aide de certains artifices de méthode ; il est même indispensable de procéder à cette opération, si l’on veut dégager le fait social de tout alliage pour l’observer à l’état de pureté. […] En effet, quand on veut connaître la façon dont une société est divisée politiquement, dont ces divisions sont composées, la fusion plus ou moins complète qui existe entre elles, ce n’est pas à l’aide d’une inspection matérielle et par des observations géographiques qu’on y peut parvenir ; car ces divisions sont morales alors même qu’elles ont quelque base dans la nature physique. […] De plus, de la définition précédente, qui n’est pas une théorie mais un simple résumé des données immédiates de l’observation, il semble bien résulter que l’imitation, non seulement n’exprime pas toujours, mais même n’exprime jamais ce qu’il y a d’essentiel et de caractéristique dans le fait social.

188. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre IV : Règles relatives à la constitution des types sociaux »

À l’appui de cette méthode, on fait remarquer qu’elle seule est recevable dans une science d’observation. […] Son rôle est de nous mettre en mains des points de repère auxquels nous puissions rattacher d’autres observations que celles qui nous ont fourni ces points de repère eux-mêmes. […] Même, dans bien des cas, ce sera assez d’une observation bien faite, de même que, souvent, une expérience bien conduite suffit à l’établissement d’une loi.

189. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Or, de cette finesse de détail on ne peut séparer les aperçus, les nouveautés de vue, le piquant des observations et des rencontres. […] De Balzac comme de Shakespeare, comme de tous les artistes plus grands qu’eux, s’il y en avait, rien un jour pourrait ne rester, si ce n’est l’observation qui transperce tout, les cris de nature bravement rugis et qui trouvent toujours le même écho dans les cœurs semblables, et enfin les vues inattendues de l’esprit, incarnées en des mots qui les rendent plus spirituelles encore. […] dans l’observation et par le coloris.

190. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

L’observation m’a appris, du reste, que cet excès de température peut durer plusieurs semaines après la section du nerf sympathique. […] Il y a huit ans que je fis pour la première fois cette observation, que les urines peuvent parfois se montrer acides chez les lapins et chez les chevaux. […] Nous avons fait cinq observations sur des suppliciés. […] Je commençai donc par faire des observations sur les conditions d’existence des êtres les plus simples. […] Dans ces conditions, l’observateur jouit d’une quiétude qu’il ne saurait avoir quand il tient plus à ses conceptions qu’à ses observations.

191. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Le célèbre auteur écossais, dans cet écrit qui présente l’ensemble complet de ses observations et de sa doctrine philosophique morale, développe ce qu’il n’avait fait qu’indiquer sommairement pour ses élèves dans ses Esquisses de philosophie morale, que M.  […] Les fines et justes observations y abondent ; l’auteur attribue quelquefois, je pense, à des vues de détail plus de valeur scientifique et de généralisation qu’elles ne comportent.

192. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 439-450

Quoique cet Auteur ait déshonoré sa plume par le mensonge & par les personnalités, depuis les dernieres éditions de notre Ouvrage ; quoique, par un raffinement de vanité, il nous ait fait un reproche d’avoir loué ses Ecrits : nous croyons devoir répéter le jugement que nous en avions d’abord porté, en nous réservant d’ajouter ensuite les observations que les égaremens dans lesquels il est tombé depuis, exigent de notre impartialité. […] J’ai fait même quelques observations qui vous prouveront l’intérêt que je prends à la réputation que vous méritez….

193. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

L’observation de Lissauer est déjà instructive à cet égard 31. […] Les faits cliniques viennent d’ailleurs confirmer ici l’observation journalière. […] Ainsi l’observation psychologique et les faits cliniques semblent s’accorder. […] Voilà ce que dit l’observation intérieure. […] MARCÉ, Mémoire sur quelques observations de physiologie pathologique (Mém. de la Soc. de Biologie,2e série, t. 

194. (1900) Molière pp. -283

Nous avons vu que son grand procédé, sa grande faculté, c’est l’observation, l’observation dépouillée de tous les accessoires que recherchent ordinairement les auteurs dramatiques. […] Toutes les comédies de Molière dédaignent la finesse qui tiendrait à des faits : la comédie pour lui est tout entière dans l’observation. […] Il est fou, au second acte, par le fait des médecins et de leurs observations froides, symétriques, systématiques. […] Ces deux dialogues témoignent d’une vive imagination portée sur une solide observation. […] Ma première pensée en entrant à Babylone a été de lui envoyer les observations des prêtres chaldéens.

195. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

D’après les observations recueillies par Heusinger, il paraîtrait que les Moutons et les Cochons blancs sont affectés par les poisons végétaux d’une autre manière que les individus d’autres couleurs. […] Je dois mentionner ici une observation souvent faite par des naturalistes : c’est que nos variétés domestiques, en redevenant sauvages, reprennent graduellement, mais constamment, les caractères de leur type originel. […] Après en avoir bien délibéré, j’ai donc choisi le groupe des Pigeons pour en faire le sujet de mes observations. […] Il faut enfin observer que les hybrides ou métis provenant de toutes les races de Pigeons domestiques sont parfaitement féconds : je puis l’affirmer d’après mes propres observations faites à dessein sur les races les plus distinctes. […] Ce n’est pas que les variétés qui diffèrent beaucoup sur quelque point ne diffèrent aucunement sur d’autres ; tel n’est, au contraire, presque jamais, ou même jamais le cas, puis-je dire, d’après de minutieuses observations.

196. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Capoulié du Félibrige Bernard, Valère (1860-1936) Il m’est difficile de répondre à votre première question, ne m’occupant exclusivement que de littérature provençale, et étant arrivé à la conviction absolue — par de longues observations — que ce que vous appelez l’esprit français, dans le sens particulier que vous paraissez donner à ce terme, n’existe nulle part en France, hors de Paris, sauf dans des milieux littéraires — et, partant, artificiels. […] La pierre est restée sauve, et sur cette pierre la France a bâti sa cathédrale, d’où notre génie gothique est sorti sain et sauf… Je vous dis bien des choses à tort et à travers ; je voulais terminer par une simple observation sur ce prétendu danger que l’abandon du latin ferait courir à la langue française. […] J’ai pu, en outre, exercer mon observation sur deux lycéens de mes proches, dont l’un préparait le baccalauréat sciences-langues, l’autre le baccalauréat latin-grec. […] Pour ce qui est de l’étude du français, certes, il y a lieu de ne pas la laisser s’affaiblir ; et c’est avec peine que je vois, dans mon entourage, des jeunes gens qui ont fait des études classiques, commettre, dans la rédaction des observations des malades, des fautes d’orthographe grossières. […] Serieyx), La Liberté (Paul Gaulot), L’Écho de Paris (Franc-Nohain), Paris-Journal (Charles Morice), le Journal des débats (Flying Jib), Le Gil-Blas (Nozière), ont également disserté sur la question et nous avons lu leurs remarques et leurs observations avec beaucoup d’intérêt.

197. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique L’observation, conduite d’après les règles qui précèdent, confond deux ordres de faits, très dissemblables par certains côtés : ceux qui sont tout ce qu’ils doivent être et ceux qui devraient être autrement qu’ils ne sont, les phénomènes normaux et les phénomènes pathologiques. […] Puisque la généralité, qui caractérise extérieurement les phénomènes normaux, est elle-même un phénomène explicable, il y a lieu, après qu’elle a été directement établie par l’observation, de chercher à l’expliquer. […] Après avoir établi par l’observation que le fait est général, il remontera aux conditions qui ont déterminé cette généralité dans le passé et cherchera ensuite si ces conditions sont encore données dans le présent ou si, au contraire, elles ont changé. […] III On est tellement habitué à trancher d’un mot ces questions difficiles et à décider rapidement, d’après des observations sommaires et à coup de syllogismes, si un fait social est normal ou non, qu’on jugera peut-être cette procédure inutilement compliquée. […] Si le désirable n’est pas objet d’observation, mais peut et doit être déterminé par une sorte de calcul mental, aucune borne, pour ainsi dire, ne peut être assignée aux libres inventions de l’imagination à la recherche du mieux.

198. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Le lion est le roi qui ne souffre pas une observation, qui ne souffre pas un reproche, une critique, et qui envoie tel ou tel homme qui n’a pas su être courtisan faire le dégoûté chez Pluton. […] Le mulet  pour moi l’observation est juste  le mulet est fat. […] Théodule Ribot, des observations extrêmement curieuses, des « observations » dans le sens médical du mot, extrêmement intéressantes à cet égard. […] Or Pascal va l’avouer, il va l’avouer par incidente, mais il l’avoue, car il n’est pas sans connaître quelques-unes des observations qu’on a faites sur l’aptitude des animaux à changer leur champ d’opération selon les circonstances, ce qui suppose précisément l’invention.

199. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Si donc le naturalisme apporte réellement, ainsi qu’il l’affirme, quelque chose de nouveau et d’original, ce n’est pas, comme il le dit, ce précepte éternel et vieux comme l’art lui-même de l’observation de la réalité, c’est une certaine façon de faire cette observation, c’est une certaine méthode pour la diriger. […] Il n’est point exact, ainsi qu’il le prétend, qu’il ait le premier essayé de se mettre en face de l’humanité réelle et vivante ; mais ce qui est exact, et il convient de lui accorder cette originalité, c’est qu’il a sa psychologie et son observation particulières, qu’il voit la vie contemporaine et s’efforce de la représenter à sa manière, avec un parti pris, brutal si l’on veut, mais décidé. […] Le cercle d’observation naturaliste s’arrête volontiers à l’enceinte des fortifications ; ses romanciers n’ont guère regardé, et le plus souvent ne paraissent même pas soupçonner, les millions d’êtres qui au-delà labourent, sèment et récoltent, et qui sont en réalité le vrai peuple français, le fond solide où sans cesse la race se renouvelle. […] C’est de ces maîtres qu’il a reçu son impulsion ; c’est d’eux qu’il tient ses curiosités et ses méthodes d’observation.

200. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

En dédiant au chevalier ses Observations sur la Langue françoise, Ménage lui disait : « Quand je vins à Paris la première fois, vous étiez un des hommes de Paris le plus à la mode. […] Comme pensée toutefois, comme coup d’œil moral, il est très-supérieur à cette respectable demoiselle, et on ne saurait se figurer, avant de l’avoir lu, ce qui se rencontre parfois chez lui de délicat comme observation et comme langue. […] Quelques jours après, je fis ces observations, où je ne voulus pas insulter ; je me contentai d’apprendre à ces dames que je n’étois pas chimérique et que je n’imposois à personne. […] Que si M. le Prince, comme vous dites, se montre un peu moins favorable à mes observations, c’est que, dès sa première enfance, il estime cet excellent génie, et que les héros ne reviennent pas aisément. […] Je soumets ces observations à la critique attentive des deux excellents biographes MM. de Monmerqué et Walckenaer, qui ont dès longtemps comme la haute main sur ce beau domaine de notre histoire littéraire.

201. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

C’est un peintre de mœurs charmant, délicat, ingénieux ; c’est un maître écrivain, qui excelle à mettre en scène, comiquement, un travers, un préjugé : mais son observation a la portée du Français à Londres de Boissy, et du Cercle de Poinsinet. […] Montesquieu, par un usage imprudent de l’induction scientifique, estime avoir le droit de généraliser sur une seule observation : il en résulte qu’il fait entrer dans la formule de ses lois toute sorte d’accidents et de localisations. Il eût mieux fait de présenter chaque observation dans sa particularité, et de n’affirmer ce qu’il voyait en Turquie que de la Turquie, ce qu’il remarquait à Rome que de Rome. […] Au point de vue scientifique, l’insuffisance de son observation, les fantaisies de sa méthode éclatent.

202. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Je le crois bien : il y a un degré d’incisif dans l’observation, de révolte dans l’impression morale, et de fougue dans le talent, qui exclut l’adresse et le ménagement politique. […] C’est ici que commence chez Saint-Simon un tableau qui surpasse tout ce qu’on peut imaginer de la sagacité d’observation et du génie d’expression en matière humaine. […] Mais, ici, l’Hippocrate ne sait pas garder son sang-froid ; il laisse échapper la joie qu’il y prend et à quel point sa curiosité se délecte ; il s’écrie, en présence de cette multitude de sujets de son observation : La promptitude des yeux à voler partout en sondant les âmes à la faveur de ce premier trouble de surprise et de dérangement subit, la combinaison de tout ce qu’on y remarque, l’étonnement de ne pas trouver ce qu’on avait cru de quelques-uns, faute de cœur ou d’assez d’esprit en eux, et plus en d’autres qu’on n’avait pensé, tout cet amas d’objets vifs et de choses si importantes forme un plaisir à qui le sait prendre, qui, tout peu solide qu’il devient, est un des plus grands dont on puisse jouir dans une cour. […] Cette longue nuit étant ainsi plus qu’à demi écoulée, chacun à bout d’émotion et de drame va se coucher enfin, et les plus affligés dorment le mieux ; mais Saint-Simon, encore enivré d’une telle orgie d’observation, dort peu.

203. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Mallet du Pan, dans son ordre de prévision et de perspicacité, n’appartient en rien à cette école ni à cette nature de Joseph de Maistre, avec lequel il ne s’est rencontré qu’un instant : c’est un appréciateur tout positif et moins sublime, ne faisant intervenir dans les choses humaines aucun autre élément que ceux qui se prêtent à l’observation, nullement prophète ni voyant : ce n’est qu’un esprit ferme et sensé, très clairvoyant et très prévoyant. Il est, dans la meilleure acception, de cette école genevoise, un peu écossaise, de l’école de l’observation précise et du sens moral. […] Mallet du Pan, évidemment, était par vocation un observateur, et de ceux qui aiment à faire part de leurs observations à tous. […] « J’ai entendu en 1788, dit quelque part Mallet, Marat lire et commenter le Contrat social, dans les promenades publiques, aux applaudissements d’un auditoire enthousiaste65. » Un Journal intime de Mallet, dont on nous donne des extraits et qui contient ses observations sur Paris, de 1785 à 1789, nous transporte au milieu des mœurs du temps et dans les scènes les plus vives de la guerre de la Cour contre les parlements.

204. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

— Avant d’aborder le sujet de ce chapitre, je dois faire quelques observations préliminaires sur la manière dont la concurrence vitale appuie le principe de sélection naturelle. […] Nous sommes induits en erreur par l’observation habituelle de nos animaux domestiques. […] Parmi les plantes, il y a une énorme destruction de graines ; mais, d’après quelques observations que j’ai faites, je crois que les jeunes plantules ont à souffrir davantage encore en ce qu’elles germent dans un sol déjà suffisamment fourni d’autres plantes plus âgées. […] Or, d’après les observations que j’ai pu faire dans l’Amérique du Sud, l’existence du bétail à l’état sauvage modifierait profondément la végétation.

205. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Je voudrais montrer que derrière des objections des uns, les railleries des autres, il y a, invisible et présente, une certaine métaphysique inconsciente d’elle-même — inconsciente et par conséquent inconsistante, inconsciente et par conséquent incapable de se remodeler sans cesse, comme doit le faire une philosophie digne de ce nom, sur l’observation et l’expérience —, que d’ailleurs cette métaphysique est naturelle, qu’elle tient en tout cas à un pli contracté depuis longtemps par l’esprit humain, qu’ainsi s’expliquent sa persistance et sa popularité. […] Sans bien se rendre compte de cette raison de leur répugnance, ils trouvent étrange qu’on ait à traiter historiquement ou judiciairement des faits qui, s’ils sont réels, obéissent sûrement à des lois, et qui devraient alors, semble-t-il, se prêter aux méthodes d’observation et d’expérimentation usitées dans les sciences de la nature. […] On s’étonne parfois que la science moderne se soit détournée des faits qui vous intéressent, alors qu’elle devrait, expérimentale, accueillir tout ce qui est matière d’observation et d’expérience. […] À prendre des procédés d’observation et d’expérimentation qu’on pratiquait déjà, et, plutôt que de les appliquer dans toutes les directions possibles, à les faire converger sur un seul point, la mesure — la mesure de telle ou telle grandeur variable qu’on soupçonnait être fonction de telles ou telles autres grandeurs variables, également à mesurer.

206. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

À des degrés inférieurs, il est encore d’honorables places à saisir ; et, quoique le talent se laisse peu conseiller à l’avance, quoiqu’il appartienne à lui seul, dans ce fonds tant de fois remué, mais non pas épuisé, de l’observation naturelle et sociale, de découvrir de nouvelles formes et des aspects imprévus, qu’on nous permette d’exprimer ce seul vœu : c’est qu’il revienne enfin et qu’il s’attache désormais à étudier une nature humaine véritable, une nature saine et non corrompue, non raffinée ou viciée à plaisir, une nature ouverte aux vraies passions, aux vraies douleurs, sujette aux ridicules sincères, malade, quand elle l’est, des maladies générales, et naturelles encore, que tous comprennent, que tous reconnaissent et doivent éviter. […] Ici l’enseignement peut être plus direct et plus en relief ; le genre vertueux, pour le nommer par son vrai nom, peut être plus décidément encouragé : mais que le talent y mêle toujours le plus d’observation réelle et de vérité possible, il agrandira et passionnera ses effets.

207. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

J’examinerai dans un des chapitres suivants par quelles raisons les Français pouvaient seuls atteindre à cette perfection de goût, de grâce, de finesse et d’observation du cœur humain, qui nous a valu les chefs-d’œuvre de Molière. […] La gaieté qui sert à faire une bonne comédie, suppose une observation très fine des caractères.

208. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Sa théorie des périodes géologiques, il la cherche dans l’observation de l’état actuel de la terre, où sont épars quelques vestiges des états antérieurs. […] Il lui suffit qu’il y ait eu à un moment donné de la matière : quels changements relient à l’état actuel le plus ancien état où puissent remonter l’observation et l’hypothèse, voilà l’objet des recherches de Buffon.

209. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

On sait bien qu’il y aura dans son prochain roman un mélange astucieux d’observation aiguë (l’observation aiguë, vous savez ?

210. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

On m’a adressé, à l’occasion de ces études, quelques observations judicieuses auxquelles je crois devoir répondre, pour bien faire comprendre l’esprit et l’objet de ce travail. […] Quant aux prétendues contradictions que semblent présenter les observations scientifiques, elles tiennent sans doute à ce que l’on considère isolément des conditions qui n’ont de valeur que par leur ensemble.

211. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Une seule observation suffira pour faire voir combien Pascal sophiste eût été inférieur à Pascal chrétien. […] Il faut placer ici une observation importante.

/ 1730