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1439. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [Note de l’auteur] » pp. 422-425

Un seigneur aussi grand en esprit qu’en naissance en est l’auteur. Mais ni son esprit ni sa grandeur n’ont pu empêcher qu’on n’en ait fait des jugements bien différents. […] Quoi qu’il en soit, il y a tant d’esprit dans cet ouvrage et une si grande pénétration pour connaître le véritable état de l’homme, à ne regarder que sa nature, que toutes les personnes de bon sens y trouveront une infinité de choses qu’ils (sic) auraient peut-être ignorées toute leur vie, si cet auteur ne les avait tirées du chaos du cœur de l’homme pour les mettre dans un jour où quasi tout le monde peut les voir et les comprendre sans peine. » En envoyant ce projet d’article à M. de La Rochefoucauld, Mme de Sablé y joignait le petit billet suivant, daté du 18 février 1665 : Je vous envoie ce que j’ai pu tirer de ma tête pour mettre dans le Journal des savants. […] Cousin, s’emparant du sujet de Mme de Sablé comme c’était son droit, mais ayant soin d’oublier que j’avais été l’un des premiers à puiser dans le fonds des portefeuilles de Valant, affectant d’ignorer que j’avais à y revenir et à parler nécessairement et en détail de Mme de Sablé dans mon ouvrage de Port-Royal qui importunait, je ne sais pourquoi, ce grand esprit, M.  […] Cousin laissent subsister tous les éloges qui sont dus à son merveilleux esprit et à son grand talent ; mais on est affranchi désormais envers lui d’une admiration par trop respectueuse.

1440. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. de Falloux » pp. 311-316

Si, par hasard, des esprits oisifs et mécontents étaient venus à cette séance académique, où la plus belle société s’était donné rendez-vous, avec l’intention de chercher et d’applaudir quelques-uns de ces traits plus politiques que littéraires, sur lesquels on a trop compté en d’autres temps, ils auraient été désappointés. […] Il s’agissait de louer M. le comte Molé, que remplaçait M. de Falloux, et M. de Falloux, qu’une telle succession honore, surtout si l’on songe qu’elle a été presque une désignation, ou du moins un désir du mourant, a compris que c’était l’éloge de cet homme d’État illustre et de cet homme d’esprit aimable qui devait remplir tout son discours. […] Il connut ensuite pour lui et pour les siens la détresse et la misère ; il racontait, de ces années laborieuses, de précis et de touchants détails qu’on aurait pu rappeler sans inconvénientac, parce que de telles épreuves eurent une profonde influence sur son esprit et sur sa manière de juger les événements et sans doute les gouvernements. […] Son second ministère, le ministère dit du 15 avril, se dessine à présent et restera dans l’histoire comme le moment le plus serein et le plus calme des dix-huit années ; et lorsqu’on vient à se rappeler à combien d’attaques, à combien de violences cet honorable ministère fut en butte de divers côtés, combien on l’accusait tout haut d’être un ministère d’abaissement, on rougit aujourd’hui, on devrait rougir, et sentir une bonne fois ce que valent ces coalitions où les meilleures intentions se faussent, où les meilleurs esprits s’aveuglent. […] Molé qui n’avait contribué en rien à la chute du dernier régime, se fit remarquer par son bon sens net et son merveilleux courage d’esprit.

1441. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

Harel est un homme d’esprit, c’est la qualification invariablement attachée à son nom. […] Sa réputation d’esprit n’y a pas perdu. […] Le côté habile, les procédés de direction et d’exploitation d’esprit public, le chef de parti et l’homme d’affaires dans Voltaire y sont très-bien démêlés, assure-t-on, autant qu’on en peut juger par des fragments de lecture. […] Il nous revient à l’esprit deux exemples de ce genre de défaut systématique, dont les traducteurs, peu versés sans doute dans la langue et la littérature grecques, paraissent avoir été dupes eux-mêmes. […] On y voit avec douleur combien M. de Chateaubriand, malgré son grand nom et ses talents, est dupe des hommes d’esprit et des meneurs de son parti.

1442. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Des avantages attachés à la profession de révolutionnaire. » pp. 200-207

L’esprit révolutionnaire a ceci de commode, qu’il délie de tout scrupule à l’égard des idées. […] En pratique, il croit que l’obstacle à la réalisation de cet idéal est, non point dans la nature humaine elle-même, partout mauvaise ou fort mêlée, mais dans l’égoïsme, la dureté, la cupidité, les vices, les crimes volontaires et prémédités d’une seule classe sociale. — Comme les héros des chansons de gestes voyaient le monde divisé en deux camps : les chrétiens, qui sont les bons, et les païens, qui sont les méchants ; ou comme saint Ignace, dans un de ses « exercices », partage l’humanité en deux armées : celle du bien et celle du mal, ou celle des amis des Jésuites et celle de leurs ennemis, ainsi pour l’esprit révolutionnaire la nation se divise exactement en prolétaires et en bourgeois. […] Par suite, l’esprit révolutionnaire délivre aussi de tout scrupule quant aux actes. […] Que son idéal social, prêché d’une certaine façon aux intéressés, ne caresse en réalité que leurs instincts et leurs appétits et les pousse à des révoltes qui, même justes à l’origine, se corrompent chemin faisant, leur deviennent rapidement désastreuses et les laissent à la fois moins bons et plus misérables, l’esprit révolutionnaire n’en a point souci. […] * * * Et voici la merveille : en retour de ces avantages, l’esprit dont je parle n’impose à ceux qui en sont animés aucune vertu ni aucun sacrifice particulièrement difficile.

1443. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Il n’a eu, du pays où il est né, ni la langue, ni l’esprit. […] Cette nouvelle me mit l’esprit à l’envers. […] Aussi le volume ne donne-t-il aucune idée de mon tour d’esprit. […] Cet Esprit, c’était la nature primitive, le simple esprit de vie qui fait fleurir les fleurs et qui fait jouer les enfants. […] À cette seule condition, elle peut valoir pour tous les temps et pour tous les esprits.

1444. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

Il en a usé avec beaucoup de grâce et d’esprit. […] Notez que tout cet esprit de Sophie n’a pas une ride. […] Sur la filiation de Denise dans l’esprit de M.  […] Car, et c’est là son second « signe particulier », il a de l’esprit, il a tout l’esprit de M.  […] Le plus fol esprit d’entreprise est dans cet homme.

1445. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Je le crois, sans doute, surtout un esprit abstrait ; mais je le crois en même temps un esprit qui a besoin de voir la métaphysique en tableaux pour se satisfaire pleinement. […] Elles sont abstraites en notre esprit, mais elles sont réelles et vivantes en l’esprit de Dieu. […] Faites donc cette épreuve dans un esprit, s’il est possible, de liberté d’esprit chercheur et avec un commencement d’indifférence hautaine. […] Il n’y a pas d’esprit stérile, très probablement ; seulement il y a des esprits paresseux. […] L’esprit de justice, c’est de respecter le droit d’autrui.

1446. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

— jusque dans l’Esprit des Lois. […] Mais ce sont là les chefs-d’œuvre de l’esprit précieux, non pas de l’esprit classique, et ce n’est pas la même chose. […] L’esprit précieux, c’est un esprit de mesure et de politesse qui dégénère trop vite en un esprit d’étroitesse et d’affectation. […] Le véritable esprit français, tel que nos vraiment grands écrivains l’ont su représenter, s’est efforcé d’accommoder ensemble les justes libertés de l’esprit gaulois et les justes scrupules de l’esprit précieux. […] ni tant d’esprit, ni tant de caustique.

1447. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « César Cantu »

Son traducteur français, qui est certainement un des esprits les plus nets sous la forme la plus brillamment concentrée, a fait disparaître, d’une main adroite et réglée, bien des contradictions de ce livre, qui en auraient été le déshonneur. […] parmi les causes désolantes du succès des mauvais livres, l’esprit de parti a le droit d’être bien bête sans aucun danger, mais il est bête en répétant la même bêtise, en poussant son lecteur ou en le frappant à la même place, en se faisant une espèce de logique avec les passions ou les lieux communs de son parti. Mais Cantu, dans son histoire, n’a pas même d’esprit de parti : il n’est d’aucune opinion, pas même de la sienne ; il va d’une idée à une autre, avec le mouvement animal d’une intelligence qui se prend à tout comme celle d’un enfant. […] Esprit médiocre, tête inconsistante, réputation exagérée comme une hyperbole italienne, Cantu pouvait-il juger Napoléon ?

1448. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Préface »

Préface Je ne sache, pour mon compte, aucun livre où l’on ait défini nettement et de manière à satisfaire les esprits difficiles, cette chose mystérieuse et puissante qu’on a si souvent l’occasion de nommer : — la Poésie. […] Cependant, pour les esprits réfléchis ou chercheurs, il y aura peut-être toute une poétique à dégager de ce premier volume sur les Poètes du xixe  siècle. […] Elle est en toutes choses ; — en toutes choses, si abjectes soient-elles ou paraissent-elles l’être aux esprits prosaïques ou vulgaires. […] ce sont ces esprits frappeurs, dans l’ordre littéraire, qui viennent à leur place aujourd’hui dans la vaste composition que nous avons entreprise des Œuvres et des Hommes au xixe  siècle.

1449. (1902) Propos littéraires. Première série

Ils le sont extrêmement ; et cette disposition de leur esprit m’étonne. […] France a bien de l’esprit. […] Derrière ces choses, je vois des êtres, des esprits, ou des lois que je m’imagine très facilement comme des esprits. […] Esprit très sérieux et méditatif, M.  […] Comme penseur, il est un des plus faibles esprits de l’Europe.

1450. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Un homme ou un million d’hommes, il n’importe ; c’est l’esprit de liberté qu’il faut répandre. […] Avec ces sentiments concentrés et tragiques, il avait l’esprit classique. […] Chez lui, l’esprit moderne déborde avec calcul du vase étroit où par calcul il semble s’enfermer. […] Sa sorcière, ses esprits, son Ahrimane ne sont que des dieux de théâtre. […] L’ange des saintes amours, l’ange de l’Océan, les chœurs des esprits bienheureux.

1451. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Et voilà ce que des hommes d’esprit ont regardé comme définitif ; voilà ce qu’ils ont paré du langage mystique du constitutionalisme ! […] Était-ce donc pour-que l’Humanité aboutît à ce que tout homme fût seul en esprit sur la terre ? […] Aussi parcourez dans votre esprit les siècles de Christianisme : des deux commentaires de S.  […] L’esprit humain ne peut pas concevoir le présent sans avenir : donc il délaissera l’idolâtrie du présent pour chercher l’avenir. L’esprit humain ne peut pas concevoir la réalité sans idéal : donc il reviendra à l’idéal.

1452. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Malherbe, homme de forme, de style, esprit caustique, cynique même, comme M. de Buffon l’était dans l’intervalle de ses nobles phrases, Malherbe, esprit fort au fond, n’a de chrétien dans ses odes que les dehors ; mais le génie de Corneille, du père de Polyeucte et de Pauline, est déjà profondément chrétien. […] Riccoboni a eu le bon esprit de sentir que le génie de Molière ne souffrait pas de ces nombreux butins. […] C’est ce que n’ont pas senti beaucoup d’esprits de goût, Voltaire, Vauvenargues et autres, dans l’appréciation de ce qu’on a appelé les dernières farces de Molière. […] Je me servis pour cela de toutes les forces de mon esprit ; j’appelai à mon secours tout ce qui pouvoit contribuer à ma consolation. […] Enfin il rendit l’esprit entre les bras de ces deux bonnes sœurs ; le sang qui sortoit par sa bouche en abondance l’étouffa.

1453. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Elle a de l’enjouement, de l’esprit ; elle est sensible au plaisir de le faire valoir ; tout cela m’ombrage malgré moi. […] La contention continuelle de votre esprit, l’agitation continuelle de vos poumons sur votre théâtre, tout enfin devrait vous déterminer à renoncer à la représentation. […] Enfin, il rendit l’esprit entre les bras de ces deux bonnes sœurs ; le sang qui sortait par sa bouche en abondance l’étouffa. […] Il songe à inspirer de la crainte, du respect ; il oublie d’inspirer de l’amour ; il veut intimider l’esprit et ne sait pas gagner le cœur. […] En écoutant ce discours, on rit également et de l’abus qu’Arnolphe fait de son esprit et du peu d’effet qu’il produit.

1454. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Cela est dangereux d’ailleurs et ne peut agir que sur des esprits philosophiques. […] L’air du siècle est mauvais aux esprits ulcérés. […] Mais il a fourni à tous les esprits ses inventions. […] qu’il a éclaté aux esprits ! […] Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits.

1455. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Goethe ne cacha pas la grande supériorité de l’Anglais pour l’esprit, la connaissance du monde et la puissance de production. […] Ordinairement ces personnes n’ont pas joui du bonheur de l’amour, et elles cherchent un dédommagement du côté de l’esprit. […] dit Goethe, et n’a-t-il pas traité son sujet avec une liberté d’esprit complète ?  […] Diderot et des esprits analogues au sien ont déjà, avant la révolution, cherché à ouvrir cette voie. […] L’esprit lui éclipsait le génie.

1456. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Cet effacement est plus ou moins grand, selon les divers esprits, et c’est ce qu’on exprime en disant que les hommes ont plus ou moins de mémoire. […] Le joueur d’échecs dont j’ai parlé m’écrit encore : « Je ne songe jamais à établir une différence entre l’échiquier qui est dans mon esprit et l’autre. […] Cette personne, étant d’un esprit supérieur et connaissant la cause des illusions, n’en prit aucune inquiétude, quoiqu’elle en fût souvent hantée. […] « D…, âgé de soixante-quinze ans, sain d’esprit, rentre un jour chez lui, effrayé de mille visions qui le poursuivent. […] Stewart, Philosophie de l’esprit humain, I, 107.

1457. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Une tendance très caractéristique des déséquilibrés, c’est un sentiment de malaise, de souffrance vague avec des élancements douloureux, qui, chez les esprits, propres à la généralisation, peut aller jusqu’au pessimisme. […] La preuve de l’impuissance d’esprit, c’est justement cette puissance du mot qui frappe par sa sonorité, non par l’enchaînement et la coordination avec les idées307. […] D’autres, enfin, ont fait consister la décadence dans le triomphe de l’esprit critique et analyste venant paralyser l’élan du génie créateur. […] Et c’est pour cela qu’il n’y a pas seulement affaiblissement de l’esprit, mais perversion. […] Vous accordez trop à l’esprit, à la combinaison.

1458. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

Antony Deschamps, esprit dantesque de notre âge ; celle de M.  […] Tel est ce premier chant, qui laisse l’esprit dans le demi-jour des allusions. […] « En sorte », dit-il, « que je fus le sixième parmi ces grands esprits. » Puis la confusion de l’imagination du poète jette la confusion dans ses tableaux. […] Mais, après que j’eus compris que ces esprits célestes me témoignaient par leur accent une plus tendre compassion que s’ils avaient dit : “Ô dame, pourquoi le gourmandes-tu ainsi ? […] Ce sont les esprits habitants du troisième ciel ; il faudrait une clef historique à chaque nom pour comprendre ce que ces esprits disent au Dante.

1459. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Le sphinx redoutable de 1815, en proposant de nouveau la ténébreuse question, acheva de confirmer la réponse dans l’esprit du sage. 1814 ou 1815 fut véritablement pour M. […] L’esprit révolutionnaire, en pénétrant un esprit très-bien fait et un cœur excellent, a produit un ouvrage hybride qui ne saurait contenter en général les hommes décidés d’un parti ou de l’autre. […] Ballanche ont fait le plus de chemin par le monde, et qu’elles ont remué le plus d’esprits religieux et penseurs dans la jeunesse. […] Ballanche a été lente, mais réelle, croissante, et très-active même dans une certaine classe d’esprits distingués. […] Témoin de l’effet produit par cette lecture sur quelques-uns des plus vigoureux esprits de l’école, je puis affirmer combien cela fut direct et prompt.

1460. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Les littérateurs de sensation qui, pour une volupté d’esprit, brûleraient la vérité comme Néron brûla Rome, sont incapables de juger sévèrement M.  […] Michelet a-t-il réellement dans ses œuvres la valeur de forme que certains esprits veulent y voir ? […] Pour cette sorte d’esprits, Richelieu coudoie de son bras droit Louis XI, et du gauche, Robespierre. […] Égalitaire battu par les lois même de sa pensée, il ne peut pas les trouver égales devant la loi de son esprit. […] Michelet veut dire qu’elle était restée bourgeoise d’esprit et de cœur — ce qui est faux !

1461. (1739) Vie de Molière

Il ne laissa qu’une fille, qui avait beaucoup d’esprit. […] L’esprit de raison s’est introduit dans toutes les sciences, et la politesse dans toutes les conditions. […] Mais c’était un ouvrage plus fait pour les gens d’esprit que pour la multitude, et plus propre encore à être lu, qu’à être joué. […] Quelque peine qu’il y eût prise, les plus grands efforts d’un homme d’esprit ne remplacent jamais le génie. […] Un homme supérieur, quand il badine, ne peut s’empêcher de badiner avec esprit.

1462. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

On n’y entend que le bruit des feuilles qui tombent ; rien n’y distrait l’oreille, les yeux, l’esprit ; cela force à penser. […] Canning avait une fille unique, douée d’autant de beauté que d’agréments d’esprit. […] Jamais esprit plus délié dans une situation plus délicate : — entre M.  […] Les Talleyrand, les Foy, les orateurs, étaient opposés par esprit de parti à la guerre d’Espagne ; M. de Montmorency, M. de Chateaubriand, seuls la voulaient, avec les amis des Bourbons. […] Le caractère de ce livre, c’est la jeunesse, c’est l’ivresse, c’est la fête du cœur et de l’esprit.

1463. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

À côté des tableaux dont nous sommes frappés, nous pouvons suivre dans ces romans une analyse compréhensive et serrée de l’âme et de l’esprit militaires. […] Il lui devenait aisé de donner une forte unité à son œuvre, du jour où le respect de la tradition s’imposait à son esprit et à son cœur. […] L’esprit social et traditionaliste a inspiré une autre œuvre encore à M. de Vogüé. […] Dans un cadre joliment tracé, divertissant par la causticité même de son exactitude, il a mis en présence le vieil esprit poétique et tendre jadis en honneur au pays de Schiller et l’esprit prosaïque, commercial, militariste à outrance qui s’est, peu à peu, substitué au premier. […] Les plus autorisées d’entre celles qui écrivent, loin de cacher cet esprit, le proclament et s’en font gloire.

1464. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

En restant dans le monde des esprits passablement organisés, il n’y a guère que M.  […] reviennent envahir l’esprit éperdu et perdu du poète. […] L’exil a fasciné leur générosité naturelle, et leur esprit, le calme de leur esprit, a été perturbé par la chevalerie de leur cœur. […] L’ange devint l’esprit, et l’esprit devint l’homme. […] Son esprit met le poing de Han d’Islande sur ces cristaux et sur ces fleurs.

1465. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

C’est un esprit intéressant, d’ailleurs, plus volontaire qu’inspiré, qui se développe dans des efforts très laborieux. […] … Il y reconnaîtrait peut-être un esprit de son ordre, digne aussi d’être catholique. […] Taine, était un esprit essentiellement moderne. […] De tendance naturaliste, il inclinait vers Darwin et les autres animaliers de l’Esprit humain. […] La popularité est faite de deux bassesses, — la bassesse de qui l’a et la bassesse de qui la fait, — et c’était un esprit élevé.

1466. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

il faut que nous soyons bien profonds ou bien superficiels, pour qu’un second coup porté sur nos esprits et sur nos âmes retentisse sur ce timbre sonore et sensible aussi fort que le premier, et même davantage. […] Que de choses un esprit qui pense invente-t-il et met-il sous ce titre-là ! […] L’esprit du lecteur est plus facile à rompre ou à faire grimacer que ce fil de la Vierge auquel j’ai comparé le vers de Victor Hugo, et toutes les énormités que ce vers merveilleux porte légèrement, l’esprit du lecteur les rejettera de fatigue et de peur d’en être écrasé. […] La grenouille s’enflait pour atteindre au bœuf, mais Victor Hugo a dans l’esprit un éléphant auquel il n’atteindra jamais. […] Il n’est pas besoin d’être un observateur, ou un penseur, ou un esprit politique de premier ordre, pour savoir qu’en Franco il y a une sentimentalité niaise dans laquelle flotte la majorité des esprits comme dans leur atmosphère naturelle.

1467. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847. »

Les expéditions de Charles VIII et de Louis XII avaient rapporté les germes et sourdement mûri les esprits ; mais rien jusque-là n’éclatait. […] Son bienfait essentiel consiste moins dans telle ou telle fondation particulière, que dans l’esprit même dont il était animé et qu’il versa abondamment autour de lui. […] Mais, dans aucun cas, il n’y aurait à en tirer de conclusion sévère et maussade contre les charmants esprits de ces rois et reines, amateurs des Muses. […] Il les a rendues avec esprit, avec liberté et naturel, mais textuellement. […] Les Marguerites poétiques, tirées des plus fameux poëtes françois, tant anciens que modernes, par Esprit Aubert, 1613.

1468. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

… Le temps n’est ni aux esprits ni aux œuvres mâles. Pour un génie synthétique, qui sait généraliser sa pensée et qui échappe par sa grandeur même, vous avez la multitude des esprits qui analysent et qui se complaisent dans les finesses du détail. Or, c’est à ce genre d’esprits femelles qu’appartient le succès dans tous les genres. […] C’est à peu près tout le talent d’Octave Feuillet, esprit mince, flexible, bien élevé, qui plaît au public honnête comme les petits jeunes gens bien sages plaisent aux vieilles femmes. […] Il n’a pas fait comme beaucoup d’esprits moins délicats que lui, qui se sont laissé aller et corrompre aux Écoles nouvelles.

1469. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

C’est l’énumération des détails, qui procède évidemment d’un effort de l’esprit ; ou bien c’est le rêve qui s’étend et qui ouvre son aile. […] Vous avez tous présente à l’esprit cette fable très simple qui fait le fond du roman. […] Je consens que Dominique soit automnal, œuvre d’un esprit souffrant et inquiet. […] Vous étiez un artiste complet, un esprit haut, inquiet, une âme dont l’accès devait être difficile et le commerce très sûr. […] Aujourd’hui, le monde plus large ouvert des esprits cultivés le sent et vous remercie.

1470. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Pour eux, l’esprit humain, c’est leur esprit, l’esprit classique. […] Selon l’idéologie nouvelle, tout esprit est à la portée de toute vérité. […] À proprement parler, l’homme est fou, comme le corps est malade, par nature ; la santé de notre esprit, comme la santé de nos organes, n’est qu’une réussite fréquente et un bel accident. […] Là-dessus, dès à présent, il suffit de voir chez nos philosophes, chez nos politiques, l’idylle en vogue  Si tels sont les esprits supérieurs, que dirons-nous de la foule, du peuple, des cerveaux bruts et demi-bruts ? […] Selon le nouveau législateur, « rien n’est plus contraire que le christianisme à l’esprit social… : une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d’hommes. » Car « la patrie du chrétien n’est pas de ce monde ».

1471. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Grossièreté des farces, leur esprit. […] En effet, quelque profane qu’apparaisse souvent l’esprit des mystères, ils n’en sont pas moins le produit d’une intention pieuse et destinés à l’édification. […] La farce n’est pas « de la littérature » : c’est un genre entièrement populaire, et que l’esprit du peuple a créé à son image. […] Mais la fondamentale préoccupation de son esprit, c’est sa femme, parce qu’en elle sont ramassées toutes les possibilités désagréables qu’il envisage. […] C’est le type inférieur de l’esprit français dans sa pure vulgarité.

1472. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Dans la comparaison qu’on serait tenté d’établir entre lui et les deux grands esprits précédemment cités, il reprendra ses avantages du moins par la précision de son attaque et par son courage. […] … Et quand la société dure depuis assez longtemps pour que tout cela soit dans tous une habitude innée et soit devenu une sorte de religion, je dirais presque de superstition, certes alors un pays a le meilleur esprit public qu’il puisse avoir. […] André Chénier, dans cet Avis aux Français, s’efforce de susciter les sentiments capables de créer un tel esprit. […] Ce mot de brouillons revient perpétuellement dans sa bouche pour flétrir ses adversaires : c’est le stigmate imprimé par un esprit juste et ferme au genre de défaut qui lui est le plus antipathique et qui le fait le plus souffrir. […] André Chénier, d’ailleurs, ne jugeait point Marie-Joseph et ses tragédies révolutionnaires avec la sévérité qu’on pourrait supposer d’après l’esprit modéré de l’ensemble de ses doctrines.

1473. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Je connais bien des gens qui allient comme vous, monsieur, à un goût sûr une raison libre de tout esprit de parti. […] Ce sont des esprits nés avancés et qui ont toujours eu l’âge de raison, que ces petits abbés de Pons. […] S’il était besoin d’expliquer d’ailleurs cette indignation d’un homme d’esprit et philosophe envers un si misérable adversaire, et la forme sous laquelle elle se produisit, il faut se rappeler que le livre de Gacon avait paru avec l’approbation d’un censeur, l’abbé Couture, approbation donnée dans les termes ordinaires : « J’ai lu par ordre de Mgr le chancelier, etc. […] De ces deux sentiments naissent la langueur et le découragement de son esprit ; c’est ce que nous appelons ennui. […] Rigault a eu raison de louer (page 470) en les entendant redites de nos jours et retrouvées avec grâce par un homme de beaucoup d’esprit qu’il compare à M. de Tréville.

1474. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Il dit qu’il avait l’esprit de gouvernement, et c’est ce qu’il y aurait à prouver. […] Je n’ai nulle envie de diminuer un esprit éminent, ni de dénigrer un homme dont le caractère, malgré ses fragilités fréquentes, laissait voir au fond l’humanité et même la débonnaireté. […] Benjamin Constant était tout à fait, après le 18 fructidor, dans l’esprit et le sens du Directoire. […] Je définirai l’un, un sceptique qui avait une haute imagination et le sentiment de l’honneur ; l’autre, un sceptique qui avait des lumières, le sentiment de l’opinion publique et prodigieusement d’esprit ; — trop d’esprit, comme l’autre avait trop d’imagination. […] Préface de l’Esprit de conquête.

1475. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Il n’était plus de mise chez les gens d’esprit, ni à la Renaissance ni au XVIIe siècle. […] La création de l’Institut qui assemblait dans un même lien toutes les branches de l’esprit humain, tous les ordres de savoir et de talents, consacra le fait en principe ; mais qu’il restait encore à faire en pratique et dans la réalité ! […] Si on allait au fond de cet esprit observateur, un peu triste, un peu silencieux dans l’habitude, il se pourrait qu’en touchant ce luxe, cette élégance, cette poésie de costume, ce gai mensonge d’une heure, on fît vibrer la corde la plus sensible. […] Gavarni, crayon et légende à part, est un esprit fin, silencieux, nourri de solitude et de méditation, qui ne donne pas exactement la note de sa valeur dans le monde ; mais ce qu’il dit compte et ressemble par le tour et la qualité au meilleur de son talent. Je lui ai entendu faire sur Balzac cette observation fine et juste : « Il va des gens qui ont peu d’esprit en leur nom ; — ainsi…, ; — ainsi Balzac lui-même : ils ont besoin, pour avoir tout leur esprit et toute leur valeur, d’être dans la peau d’un autre, d’être un autre31.

1476. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Les plus habiles même croyaient devoir s’y apprêter à l’avance, et, sans être un M. de Buffon, on n’y venait pas sans quelque toilette, au moins une toilette d’esprit. […] Les œuvres et productions de l’esprit, quand elles n’éclatent point au théâtre par de grandes et vivantes créations, quand elles se tiennent plus près de la pensée et dans les régions intermédiaires, sont d’une appréciation infiniment plus discrète et plus voilée, plus incertaine et plus douteuse aussi dans ses nuances, et elles exigent, pour être senties convenablement, des esprits plus avertis de longue main et plus préparés. […] La température morale n’est plus la même ; le climat des esprits est en train de changer. […] Havet, un des maîtres accomplis, un des esprits les plus nets et les plus fermes de ce temps, a eu et a gardé sur lui une grande influence. […] C’est un excellent vulgarisateur, sans prétention, et qui se plaît à parler moins en son nom qu’avec l’esprit et les paroles des autres.

1477. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Se servir de Raynal comme on le fit en cette circonstance, c’était donc le compromettre sans résultat et l’exposer immanquablement à être traité par la démocratie irritée de bonhomme qui radote et d’esprit qui baisse. […] Madame Élisabeth, qui avait plus d’esprit de fermeté que son frère, participait à ce triste défaut ; et, chose encore plus singulière, la reine, qui ne manquait ni d’esprit ni de décision, était sur ce point-là à l’unisson avec le roi et sa belle-sœur. […] L’histoire de sa vie, en ces années de l’Empire, est dévolue à son digne petit-fils, qui saura s’acquitter de cette pieuse tâche dans un esprit de vérité et avec mesure. […] Decrès, homme d’esprit, mais malveillant et cynique : « Dès la troisième année (de ma gestion à Anvers) nous dit-il, les magasins, les cales, les principaux ateliers étaient terminés ; nous avions en construction sept vaisseaux de ligne, une frégate et deux corvettes. […] Vous ne lui laisserez pas ignorer que je suis mécontent de voir qu’après avoir coopéré à la ruine de l’ancienne monarchie, il continue, à son âge, par inconduite et folie d’esprit, à se mêler encore d’intrigues qui ne peuvent avoir aucun résultat, et qui montrent seulement que les hommes sont incorrigibles.

1478. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Sans avoir eu à se mesurer à ces conjonctures tout à fait extrêmes, les deux frères Ségur, le comte et le vicomte, avec les nuances particulières qui les distinguaient, surent garder, eux aussi, leur bonne grâce et toutes leurs qualités d’esprit, plume en main, dans l’adversité. […] Les études sérieuses et positives auxquelles dut se livrer à l’instant le jeune colonel devenu diplomate, témoignaient des ressources de son esprit et marquèrent pour lui l’entrée des années laborieuses. […] Le moment était arrivé où dans ce déchaînement de passions violentes et de préventions aveugles, il n’y avait certes aucun déshonneur pour les hommes sages, pour les esprits modérés, à se sentir inhabiles, et impuissants. […] Son esprit n’avait jamais plus de vivacité que quand il servait son cœur. […] Son frère le vicomte, avec moins de fond, avait plus de trait et de pointe : M. de Ségur est plutôt un esprit uni, orné, nuancé ; il ne sort pas des tons adoucis.

1479. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Si elle n’a pas l’éternité du métal, elle n’en a pas non plus le poids ; l’esprit et les sens du vulgaire la supportent avec moins d’effort. […] Retirée à Thonon, dans un couvent d’Ursulines, elle entretenait avec le père Lacombe des relations extatiques qui maintenaient son empire sur son esprit faible, asservi et charmé. […] Il n’en faut parler que dans le secret de la confidence avec ses directeurs spirituels. » La sourde conspiration des esprits sévères couva ainsi contre Fénelon longtemps avant d’éclater. […] Il traita les visions de madame Guyon comme les erreurs d’un esprit malade ; il reçut avec indulgence les explications de cette femme célèbre et ses regrets des troubles qu’elle excitait involontairement dans les âmes. […] Il conserve une entière liberté d’esprit.

1480. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

Il y a des groupes dissidents : protestants, jansénistes, israélites, quelques esprits forts. […] D’une part, très chrétiennement, il distingue de façon radicale la substance pensante et la substance étendue, l’esprit et la matière. […] Conformément à cette tournure d’esprit, il définit l’homme un être qui pense — c’est-à-dire qu’il sacrifie en lui le corps à l’âme, et, disons plus, à une âme incomplète, mutilée. […] Les exceptions que nous avons constatées, chemin faisant, les rapports que nous avons établis avec ce qui précède ou ce qui suit, nous font aussi discerner différents groupes d’esprits. […] Reproduire cette division traditionnelle peut être en pareille occurrence une façon de mieux faire saisir l’esprit du moment.

1481. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Ce Saint-Lambert est un esprit froid, fade et faux ; il croit regorger d’idées, et c’est la stérilité même ; et sans les roseaux, les ruisseaux, les ormeaux et leurs rameaux, il aurait bien peu de choses à dire. […] » — « Ce qui lui manque, c’est une âme qui se tourmente, un esprit violent, une imagination forte et bouillante, une lyre qui ait plus de cordes ; la sienne n’en a pas assez… Oh ! […] Il avait beaucoup d’esprit et un sens exquis, un tact exquis, dans l’acception où le prenait la société de son temps : c’est l’éloge que lui accordent ceux même qui le jugeaient d’ailleurs le plus sévèrement. […] L’auteur, dans ce second chapitre, fait parler en un dialogue le médecin philosophe Bernier et Ninon de Lenclos : « J’avais besoin d’une femme d’esprit qui n’eût pas conservé cette retenue et cette dissimulation que les mœurs imposent à son sexe ; il me fallait une femme qui eût beaucoup pensé, beaucoup vu, et qui osât tout dire. » Et, en effet, il s’y dit froidement beaucoup de choses qui rappellent la conversation des dîners de Mlle Quinault. […] L’esprit qui réclame un divertissement nécessaire devrait se tourner vers les écrivains d’une plus solide qualité, dont les traits bien ménagés et le style classique donnent à la vérité un lustre et font sourire la sagesse.

1482. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Il n’a point assez d’injures dans son vocabulaire pour le flétrir : c’est « un misérable dont le cœur est aussi mal fait que l’esprit » ; c’est « le chien de Diogène qui est attaqué de la rage. » Dans une lettre à M.  […] Il y a particulièrement un endroit qui donne tristement à réfléchir sur la faiblesse du cœur humain chez les plus grands esprits. […] Voltaire avait certainement tout l’esprit nécessaire pour être ministre ; mais il ne s’agit pas tant, en politique, d’avoir quantité d’idées que d’avoir la bonne idée de chaque moment et de s’y tenir. […] Alphonse François, fort au-dessus par son esprit et par son goût de ce travail d’annotateur, a montré qu’il en était plus que capable dans des notes spirituelles et fines toutes les lois qu’il s’agissait de théâtre et de comédie. […] Et c’est ainsi que lorsqu’il s’est agi d’une introduction pour le présent recueil, il est allé tout droit dans sa modestie vers l’écrivain qui peut paraître, au meilleur titre, concilier en lui ces deux filiations, ce double mérite de la haute critique et de la gentillesse de parole et d’esprit ; il s’est donc adressé à M. 

1483. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

On le croyait à la veille d’une disgrâce dans l’esprit du roi et sous la menace d’une chute profonde. […] On peut donc s’imaginer quels furent l’étonnement et la joie d’un esprit studieux et véritablement historique lorsqu’il se vit introduit tout à coup au milieu et au centre de toutes les informations les plus copieuses, les plus précises, les plus lumineuses, au cœur même de l’œuvre de Louvois. […] Cette histoire, telle qu’il a su l’établir et la bâtir, est tout à fait le contraire de ces histoires générales, systématiques, où l’auteur prête de ses intentions et de son parti pris aux personnages et aux événements eux-mêmes, tellement qu’en les lisant le vulgaire des esprits qui aime à être mené croit tout comprendre et se déclare charmé, tandis que tout esprit politique et qui a tâté des affaires humaines sent aussitôt que ce n’est pas ainsi que les choses ont dû se passer. […] Rousset, le seul point où son excellent esprit me paraît avoir cédé à la prévention, est celui-ci, et j’ai peine à comprendre qu’au moment où il nous produit tant de preuves directes et nouvelles de l’élévation de sentiments, de la magnanimité et du bon esprit du jeune monarque, il soit si attentif à nous le présenter sous l’aspect le plus saillant de ses défauts. […] Il n’a pas seulement contre lui, dans l’armée, l’orgueil nobiliaire, la vanité, les prétentions et la routine, il a les honnêtes gens revêches, les esprits étroits et récalcitrants comme le marquis de Bellefonds ; il a Turenne mal disposé, et bien d’autres.

1484. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame, secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. »

L’abbé Legendre était un homme de lettres et un homme d’esprit ; il fut sinon secrétaire à proprement parler, du moins de l’intimité et au service de l’archevêque de Paris, M. de Harlay de Champvallon, le beau, l’habile et l’éloquent prélat, qui administra et conduisit non seulement son diocèse, mais l’Église de France sous Louis XIV ; il nous aide à le mieux connaître. […] Il arrive, au contraire, deux maux : l’un, que les pasteurs muets ou qui parlent sans talent sont peu estimés ; l’autre, que la fonction de prédicateur volontaire attire dans cet emploi je ne sais combien d’esprits vains et ambitieux… A quel propos tant de prédicateurs jeunes, sans expérience, sans science, sans sainteté ?  […] On sentait, même sous le personnage d’apparat, l’homme d’esprit à l’aise et qui jouait de ses talents. […] Il ne les obtint pas ; on craignait son trop de crédit et son esprit d’insinuation auprès du roi, et l’on fit entendre au monarque qu’il paraîtrait moins régner seul s’il appelait dans son Conseil un ministre de tant de montre. […] L’idée du scandale attaché à son nom a pu en détourner jusqu’ici, je le conçois, les esprits sérieux ; on aurait tort pourtant de trop céder à ce scrupule.

1485. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Elle n’avait pas besoin de parler pour qu’on lui soupçonnât de l’esprit, mais aucune femme que j’aie entendue ne parlait avec plus de pureté et d’élégance. […] Elle réunissait à ces dons, déjà si rares, beaucoup d’esprit naturel, des connaissances étendues en littérature et en économie politique. […] Esprit, bon sens, propriété d’expression, raison piquante, grâce naïve, tout cela coulait sans étude entre des dents d’ivoire et des lèvres rosées : force était de s’y résigner. » Le portrait est brillanté, mais convenez qu’il est des plus jolis. […] J’ai eu occasion de passer quelques jours avec elle en 1791 ; cette femme, il faut en convenir, joignait un esprit supérieur à toutes les grâces de son sexe ; elle avait tout l’art nécessaire pour faire croire que tout chez elle était l’ouvrage de la nature. […] Dumont de Genève, dans ses Souvenirs sur la Révolution, a parlé d’elle très pertinemment aussi, avec bien de la discrétion et une incontestable justesse ; il regrettait de l’avoir moins connue qu’il ne l’aurait pu, et il nous en dit la raison : « Mme Roland, à tous les agréments personnels, joignait tout le mérite du caractère et de l’esprit.

1486. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Les esprits dont la qualité principale est le bon sens ont cela d’heureux ou de malheureux, mais d’irrésistible, que lorsqu’ils sont en présence d’actes ou de projets démesurés, imprudents, déraisonnables, rien n’y fait, ni affection ni intérêt ; un peu plus tôt, un peu plus tard, ils ne peuvent s’empêcher de désapprouver. S’ils ont de plus l’esprit et la raillerie à leur service, ils se privent difficilement de faire des mots piquants. […] C’est à une solution dans ce dernier sens que tendaient le bon esprit et la politique comme les intérêts personnels de Talleyrand. […] » Voilà certes ce qui peut s’appeler une revanche de l’esprit sur le génie. […] Comme ce n’est point de l’histoire sévère que j’écris en ce moment, et que je ne vise qu’à mettre en lumière quelques traits essentiels d’un haut et curieux personnage, je veux marquer encore par un contraste sensible ce qu’il avait de supérieur en son genre et en quoi, par exemple, il l’emportait incomparablement pour la tenue, pour le secret, l’esprit de conduite et une dignité naturelle sur des acolytes, gens de beaucoup d’esprit, mais légers, intempérants, et qui ne venaient que bien loin à sa suite dans l’ordre de la politique et de l’intrigue.

1487. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Arnould Fremy, qui se porte aujourd’hui pour juge absolu du véritable esprit de la poésie grecque et de la simplicité antique, a commencé, il y a une quinzaine d’années, sous des auspices bien différents. […] atin, qui tous les jours, dans son Cours de poésie latine, éclaire le rôle de Catulle ou d’Horace chez les Latins par celui de Chénier parmi nous, tous ces esprits supérieurs ou délicats ont fait fausse route à cet endroit. […] remy de meilleures pages, de plus dignes des études si méritoires auxquelles il s’est livré ; l’autre jour, par exemple95, il défendait avec esprit et goût la mémoire de Charles Nodier, insultée par un pamphlétaire ; sa plume devenait excellente. […] » Les critiques difficultueux peuvent se demander si, en procédant ainsi, en se livrant à ces délices de poésie qui d’ordinaire suivent les grands siècles, il se montrait rigoureusement fidèle à l’esprit de ces grands siècles eux-mêmes. […] remy n’hésite pas ; pour dernier mot, il conclut que « la place d’André Chénier ne sera jamais celle des écrivains classiques dignes d’être proposés comme modèles, sans restriction, aux étrangers et aux jeunes esprits dont le goût n’est pas entièrement formé. » Chénier aurait pris certainement son parti de cette sentence ; jamais poëte digne de ce nom ne s’est proposé un tel but ni de pareils honneurs scholaires.

1488. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Est-ce que vous voulez vous priver d’avoir commerce avec une personne d’esprit et de mérite, et qui peut vous entretenir sur toutes sortes de matières ? […] En tout, l’esprit de Mme des Ursins est un esprit naturellement élevé au-dessus des petites choses, et qui ne prend jamais les affaires par leurs petits côtés ni par les minuties. […] Mais, en avançant, le désaccord qui naît du fond des situations et des caractères est plus fort que le goût qui vient purement de l’esprit. […] Le bon et judicieux esprit de cette dernière reprend ici tous ses avantages ; ce n’est jamais elle dont la modestie eût conçu une telle ambition si hors de mesure, et dont la justesse eût commis une telle faute si hors de propos. […] C’est bien là le genre d’agrément le plus habituel de ce rare esprit, de même que son défaut serait dans un tour d’ironie trop fréquente et de raillerie trop prolongée.

1489. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Ils offrent l’image la plus fidèle et la plus naïve d’une âme de courtisan, une confession presque ingénue à force de simplicité et d’abandon dans l’esprit de servitude. […] Il n’en faut pas tant pour faire impression sur l’esprit faible d’un enfant ; pareils discours en auraient fait une considérable sur l’esprit d’un homme même raisonnable. […] D’Antin, n’étant pas aussi appuyé qu’il l’avait espéré, ne faisait que redoubler de zèle et d’industrie : « Il était beau, l’esprit vif, et gascon sur le tout : on n’est pas honteux avec ces qualités-là », a dit de lui l’abbé de Choisy. […] On parle souvent de la différence d’esprit qui règne entre les différents siècles. […] D’Antin, qui saisissait par l’esprit et même par le cœur bien des lueurs de sagesse et de vérité, avait l’âme muable, facile, ouverte et abandonnée à toutes les choses qui passent, et y reprenant sans cesse.

1490. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Son esprit, à angles aigus plus qu’ouverts, n’a jamais su sourire. […] Une lamentable lacune s’est produite dans sa conscience et dans son esprit. […] … De leur ignorance… de cette petitesse d’esprit qui borne leur activité aux tracas domestiques… Pleurez moins, ô mes chères contemporaines ! […] Mme Stern ne nous croira pas : avec son esprit plus haut que ses idées, avec son style très travaillé, trop travaillé, hélas ! […] Parce qu’elle est devenue maigre, elle a cru peut-être devenir homme, mais elle n’a été qu’une femme maigre, sans fraîcheur d’esprit et sans contours !

1491. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Ernest Renan »

Renan n’est point de la famille de ces Esprits de feu. […] Je connais des gens d’esprit qui tremblent devant la science de Renan, mais de cette science, moi, je me moque très bien tout le temps que je n’en ai pas les preuves, et vraiment je ne les ai pas ! […] Stat crux dura volvitur orbis… Les quatre témoignages peuvent se discuter, comme tout ce qui est écrit par la main des hommes ; mais l’Église est la Lettre et l’Esprit tout ensemble. […] Rien dans l’histoire de l’esprit humain et des institutions du monde connu ne peut être comparé à l’Église. […] Mais l’esprit de Renan a échappé à ce renversement.

1492. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

C’est un esprit vigoureux, très-vigoureux, puisque avec ce style il n’est pas devenu imbécile. […] Mais il y a des gens qui fabriquent une philosophie pour traduire au dehors leur genre d’esprit et se faire plaisir ; considérez ces solitaires : M. de Biran en était. […] Leur doctrine porte l’empreinte de leurs facultés ; leur méthode manifeste leur genre d’esprit. Si leur esprit a un défaut, leur système a un défaut. Ils sont comme des miroirs courbes et prêtent leur courbure aux objets ; l’esprit de M. de Biran en avait une.

1493. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

Dès ce moment (à quoi tiennent les directions des esprits ?) […] Le jour, je me promène sous des hêtres pareils à ceux que Saint-Amant dépeint dans sa Solitude ; et depuis six heures du soir que la nuit vient, jusqu’à minuit qui est l’heure où je me couche, je suis tout seul dans une grosse tour, à plus de deux cents pas d’aucune créature vivante : je crois que vous aurez peur des esprits en lisant seulement cette peinture de la vie que je mène. […] c’est l’élément des bons esprits, il ne l’a pas suffisamment prouvé, et il a plutôt fait une solitude moitié naturelle, moitié de fantaisie, dans laquelle les objets ont tant soit peu dansé devant sa vue, et où si d’un côté il ôtait le masque à la nature, il lui en mettait un à l’autre joue. […] Et sans être un Poussin en gravité, Saint-Évremond, cet esprit délicat, n’a-t-il pas dit dans un écrit sur la vraie et la fausse beauté des ouvrages d’esprit, et en traitant de l’honnêteté des expressions : Je m’avise peut-être trop tard de faire ces réflexions ; mais c’est ordinairement lorsque l’on est arrivé où l’on voulait aller, et que l’on parle du chemin que l’on a fait et de la route que l’on a tenue, que l’on s’aperçoit de ses égarements. […] Scarron a de l’esprit, de la gaieté, mais du prosaïsme, de la platitude, et une facilité banale qui lui a procuré auprès de la bourgeoisie de son temps les honneurs du genre.

1494. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « M. de Pontmartin. Les Jeudis de Madame Charbonneau » pp. 35-55

Mais j’étais loin du compte, et, au moment où j’estimais avoir fixé mon jugement et mes idées sur un talent et un esprit fait, cet esprit changeait de direction et allait se montrer sous un aspect tout nouveau. […] Il n’y a d’un peu engageant vraiment que le début ; il y montre avec esprit (ce n’est pas ce qui y manque), et en se faisant plus neuf, plus ingénu qu’il ne l’a jamais été, ses étonnements, ses premiers faux pas dès son entrée dans la vie parisienne sous les auspices de M.  […] Que M. de Pontmartin ait montré de l’esprit dans divers portraits qu’il a tracés, ce n’est pas la question en ce moment. […] Ceci me mène à caractériser l’esprit, le genre, l’espèce de talent. […] J’ai peur que M. le soi-disant maire de Gigondas, malgré tout son esprit, n’ait suivi ce procédé d’une détestable hygiène morale.

1495. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

D’autres se sont intitulés bourgeois de Paris, et je ne prétends pas disputer à ces gens d’esprit et de haute notoriété leur qualification, leur personnalité saillante et reconnaissable ; il y a place pour plus d’un dans la grande ville. […] Delécluze, — ou comme on l’a fait récemment dans le Journal des Débats, son journal et sa maison depuis quarante ans, c’est-à-dire avec un esprit de famille, d’affection, et sans le discuter ; — ou bien comme on le peut faire quand on voit en M. Delécluze un témoin très-attentif, un chroniqueur très-sincère, sinon toujours exact, des idées et des goûts de notre époque, un juge des hommes et des esprits d’autant plus à considérer et à contrôler qu’il ne se donne le plus souvent que pour un narrateur et un rapporteur impartial. […] Delécluze, mais dont l’esprit ferme et sain ne demande grâce à personne et peut supporter la contradiction. […] non pas : Étienne, bien qu’un peu romanesque par tournure d’esprit (il nous l’assure), était trop sage pour se permettre de ces audaces ou de ces impertinences.

1496. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Mais bientôt, s’échappant de ces combinaisons avortées et sans issue, il s’élançait par un autre mouvement bien naturel vers les souvenirs les plus frais, les plus purs, et son esprit s’envolait sur les cimes dorées de la jeunesse. […] Son esprit, tous orages apaisés, avait pris naturellement son niveau. Rien n’indique mieux ce niveau naturel d’un esprit que les lectures auxquelles on se complaît. […] Quand on est lettré soi-même, on sourit involontairement d’abord de voir la critique de Napoléon s’appliquer à l’examen de chacune de ces campagnes fameuses dans l’histoire comme on procéderait au jugement d’une œuvre d’esprit, d’une épopée, d’une tragédie : mais n’est-ce pas une œuvre de génie également ? […] Que ne puis-je détacher ces trois pages de résumé admirable sur le caractère de Napoléon (p. 710-713), depuis ces mots : Napoléon était né avec un esprit juste, … jusqu’à ceux-ci : Telle fut cette nature extraordinaire !

1497. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

qui donc suscitera cet héroïque esprit, et, s’élançant des rives de l’Eurotas, te réveillera du fond de la tombe ? — Esprit de liberté ! […] Esprit vigoureux et positif, M.  […] Il y a, me dit-on, en Italie à cette heure, à défaut d’un grand ministre dirigeant, une épidémie de bon sens et de sens commun dans toute ]a nation : heureuse et vraiment merveilleuse affection des esprits, qui suppose un peuple de rare qualité et déjà mûr ! […] L’Europe est distraite, elle l’est de bien d’autres qu’elle en ce moment : l’Europe ne peut avoir dans l’esprit qu’un seul grand intérêt à la fois.

1498. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Alquier, homme d’esprit et d’une finesse piquante, put se flatter à un moment de prendre quelque ascendant sur elle et de l’arracher à la politique qui la perdit. […] Il est impossible d’allier plus d’esprit, plus de modestie et de cette urbanité qui jette sur la science un vernis si aimable. […] Lefebvre a retenu l’esprit, les idées et les expressions de notre causerie ; il arrive rarement que nos vues soient aussi bien saisies par un étranger avec lequel nous nous entretenons pour la première fois. […] Sa santé altérée et sa fin prochaine l’empêchèrent d’exécuter ce beau dessein ; mais il laissa à son fils des notes nombreuses, des souvenirs vivants, l’esprit même de la tradition. […] Armand Lefebvre avait une forme d’esprit essentiellement tournée à la considération des causes et des effets, à la suite et à l’enchaînement des questions.

1499. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

L’Académie, en un mot, répond parfaitement à un certain changement d’âge dans les esprits littéraires. […] M. de Sainte-Aulaire, en homme d’esprit et de ressource, ne manqua pas de le lui dire : « Pouvaient-elles mieux s’acquitter (les Lettres) de ce qu’elles devaient elles-mêmes à cette femme incomparable, dont le nom, qui s’est perdu dans votre maison, fut encore moins fameux par les grands hommes qui l’ont porté…, que par les deux chefs-d’œuvre immortels ? […] Un des hommes qui ont caché et enterré le plus d’esprit sous le plus d’érudition, Gabriel Naudé, assistant à la fondation des Académies d’Italie et de France, a dit qu’elles étaient des bals, que les bons esprits y allaient comme les belles femmes au bal, pour y passer leur temps agréablement et pour s’y montrer. […] Molé est un de ceux avec qui il a le plus causé, et de tout ; car ce que Napoléon avait peut-être encore de plus remarquable, c’était l’esprit, l’audace et la verve de l’esprit. […] Cette pièce est d’ailleurs des plus piquantes pour l’esprit.

1500. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Toute son œuvre le montre trop faible de talent et d’esprit pour se hausser à un tel machiavélisme : je crois qu’il prenait de bonne foi ses héros pour des artistes, sur nature et dans son livre, et qu’il pensait leurs déclamations de brasserie et de mansarde. […] La bohème est une tare d’esprit et une dégradation de caractère ; la bohème n’est imposée à aucun être par les circonstances. […] Il n’y a dans la bohème aucun esprit de renoncement et de désintéressement artistique. […] Le bohème est avant tout un esprit faux ; il emprunte à l’indépendance d’esprit de l’art et des théories anarchistes la fainéantise et la plénière indulgence morale. […] Il semble qu’ils aient cru à l’esprit corporatif des artistes nécessitant une tenue particulière, un uniforme.

1501. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Maurice du Plessys, esprit ferme et lucide, toujours en quête de beaux modèles, venait de quitter La Fontaine pour s’engager à l’école de Jean-Baptiste Rousseau, dernier dépositaire de la lyre d’Alcée. […] Les esprits ne s’échauffèrent qu’au dessert, au moment des vers. […] Ils méprisent leur fierté et ne veulent voir dans leur opposition systématique qu’un vulgaire esprit de contradiction. […] C’est la ressource des esprits grossiers et dépourvus de jugement. […] C’est une tactique d’esprit froid.

1502. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Je me contenterai donc de dire à leur sujet que l’inventeur fait ordinairement un mauvais usage de son esprit, quand il l’occupe à donner le jour à de pareils êtres. […] Mais le défaut d’aimer trop à faire usage du brillant de l’imagination qu’on appelle communement l’esprit, est un défaut general à tous les hommes, qui les fait s’égarer souvent, même en des professions bien plus serieuses que la peinture. Rien ne fait dire, rien ne fait faire autant de sottises, que le desir de montrer de l’esprit. […] Des veritez, ausquelles nous ne sçaurions penser sans terreur et sans humiliation, ne doivent pas être peintes avec tant d’esprit ni répresentées sous l’emblême d’une allegorie ingenieuse inventée à plaisir. […] Je crois voir trop d’esprit dans la répresentation d’un sujet aussi terrible.

1503. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

M. de Sacy, sans en faire son occupation principale, l’a toujours aimée, cultivée, et y a su trouver, à chaque intervalle de loisir, ses plus chères délices : le loisir augmentant, et plus même qu’il n’aurait voulu, elle est devenue sa consolation et presque tout son bonheur dans l’ordre de l’esprit. […] Il aime les livres ; il en a réuni depuis des années une fort belle et riche collection qui, si l’on y jetait seulement les yeux, permettrait d’apprécier l’esprit du collecteur ; — chose rare ! […] Je regrette qu’au lieu de ranger ses articles sous des divisions un peu arbitraires, il ne les ait pas tout bonnement laissés dans l’ordre chronologique naturel selon lequel il les avait d’abord écrits : on y suivrait mieux le progrès des saisons, dans un même esprit judicieux et constant. […] Je suis bien de son avis sur la simplicité de Fénelon, laquelle n’est pas une simplicité primitive, mais plutôt celle d’une grâce exquise et peut-être d’une coquetterie accomplie ; mais je ne saurais admettre que le Télémaque soit le comble et le chef-d’œuvre de l’esprit. […] Voilà une indisposition à la Despréaux, qui lui fait honneur, et qui prouve sinon la force de ses nerfs, du moins la santé de son esprit.

1504. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Mais le propre de cette aimable société de la caserne et de Feuillancour, c’est que la distinction, l’élégance, le goût de l’esprit surnageaient toujours jusque dans le vin et les plaisirs. […] J’insiste sur ce travers de notre goût, sur cette gloriole de notre esprit. Que ceux qui arrivent à conquérir et à admirer ces fortes choses à la sueur de leur front, en aient la satisfaction et l’orgueil, je ne trouve rien de mieux ; mais que des esprits médiocres et moyens se donnent les airs d’aimer et de préférer par choix ce qu’ils n’eussent jamais eu l’idée de toucher et d’effleurer en d’autres temps, voilà ce qui me fait sourire. […] Ce qui me console, c’est que les gens d’esprit de ces doctes générations assurent que cette voie est la meilleure, en définitive pour en revenir à apprécier tout ce qui rentre dans le génie de la France, et ce qui exprime le goût français. […] Aristote a beau nous dire que le corps est dans toute sa force de trente à trente-cinq ans, et que l’esprit atteint à son meilleur point dans l’année qui précède la cinquantaine.

1505. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite.) »

Vers ce même temps (1755), arriva à Pétersbourg, en qualité d’ambassadeur d’Angleterre, sir Charles Hanbury Williams, amenant à sa suite le jeune Poniatowsky : cet Anglais, homme d’esprit et de hardiesse, d’une conversation amusante, encouragea la grande-duchesse dans son esprit d’émancipation, et elle noua même avec lui, à ce début de la guerre de Sept Ans, une intrigue politique dans le sens de l’Angleterre et aussi de la Prusse contre la France. […] Avec une pareille disposition d’esprit, j’étais née et douée d’une très-grande sensibilité, d’une figure au moins fort intéressante, qui plaisait dès le premier abord sans art ni recherche. Mon esprit était, de son naturel, tellement conciliant, que jamais personne ne s’est trouvé avec moi un quart d’heure sans qu’on ne fût dans la conversation à son aise, causant avec moi comme si l’on m’eût connue depuis longtemps. […] Si j’ose me servir de cette expression, je prends la liberté d’avancer sur mon compte que j’étais un franc et loyal chevalier, dont l’esprit était plus mâle que femelle ; mais je n’étais, avec cela, rien moins qu’hommasse, et on trouvait en moi, joints à l’esprit et au caractère d’un homme, les agréments d’une femme très-aimable : qu’on me pardonne cette expression en faveur de la vérité de l’aveu que fait mon amour-propre sans se couvrir d’une fausse modestie. Au reste, cet écrit même doit prouver ce que je dis de mon esprit, de mon cœur et de mon caractère.

1506. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Si c’est avec un esprit borné qu’on veut atteindre à une place élevée, est-il un état plus pénible que ces avertissements continuels donnés par l’intérêt à l’amour propre ? […] Enfin, il faut qu’il évite sans cesse tous les genres de démonstration du vrai ; mais aussi agité qu’un coupable qui craint la révélation de son secret, il sait qu’un homme d’un esprit fin peut découvrir dans le silence de la gravité, l’ignorance qui se compose, et dans l’enthousiasme de la flatterie, la froideur qui s’exalte. […] On ne brave pas impunément ses propres qualités ; et celui que son ambition entraîne à soutenir à la tribune une opinion que sa fierté repousse, que son humanité condamne, que la justesse de son esprit rejette, celui-là éprouve alors un sentiment pénible, indépendant encore de la réflexion qui peut l’absoudre ou le blâmer. […] L’orgueil, ou la paresse, la défiance, ou l’aveuglement, naissent de la possession continue de la puissance ; cette situation où la modération est aussi nécessaire que l’esprit de conquête, exige une réunion presque impossible ; et l’âme qui se fatigue ou s’inquiète, s’enivre ou s’épouvante, perd la force nécessaire pour se maintenir. […] Pour obtenir, pour conserver quelques moments le pouvoir dans une révolution, il ne faut écouter ni son âme, ni son esprit même.

1507. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre III. Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés » pp. 55-71

. — Théories fausses sur l’esprit pur. — Le représentant mental que nous appelons idée pure n’est jamais qu’un nom prononcé, entendu ou imaginé. — Les noms sont une classe d’images. — Les lois des idées se ramènent aux lois des images. […] Nous ne remplaçons plus tout d’abord par un mot le caractère abstrait et général du groupe mis en expérience, car le groupe en question ne peut être mis avec succès en expérience ; trente-six pions, posés ensemble sur une table, ne nous donneraient qu’une impression de masse et d’ensemble, sans distinction énumérative des individus. — Nous allons plus lentement ; nous prenons d’abord un très petit groupe, proportionné à l’amplitude bornée de notre esprit, et capable d’éveiller en nous une tendance et un nom.  […] Si nous cherchons son sens, nous ne trouvons qu’un nom, celui du chiffre inférieur auquel on ajoute l’unité ; la même chose arrive à celui-ci, et ainsi de suite ; c’est seulement à la fin de ce long retour en arrière, qu’ayant descendu trente, cinquante, cent, mille, dix mille marches, nous touchons de nouveau notre expérience. — Et cependant ce nom remplace une expérience, une autre expérience que nous n’avons pas faite, que nous ne pouvons pas faire, qui est au-dessus de l’homme, mais qui en soi est possible, et qu’un esprit plus compréhensif pourrait faire. 36 désigne la qualité commune à tous les groupes de trente-six individus, qualité qui, présente devant nous, n’excite point en nous de tendance précise, et qu’un esprit capable de maintenir ensemble devant soi trente-six objets ou faits à l’état distinct pourrait seul éprouver. — Par cet artifice, nous atteignons au même effet qu’une créature douée d’une mémoire et d’une imagination indéfiniment plus nettes et plus vastes que les nôtres. […] Ici encore, comme tout à l’heure, les mathématiciens ne font que reprendre, étendre ou retourner un procédé spontané de l’esprit. — Direct ou renversé, le procédé s’explique de même. […] Nous la comparons à quelque chose d’aérien, d’inétendu, d’incorporel ; nous supposons un être dont elle soit l’action ; il nous semble aussi pur et aussi éthéré qu’elle ; nous l’appelons esprit, et nous disons que notre esprit, par-delà toutes les images, se représente et combine les qualités abstraites des choses.

1508. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

Ainsi quelquefois en donnant à notre visage un aspect de gaieté forcée, nous en venons à rasséréner notre esprit. […] nous conduisons l’esprit vers une région d’idées sérieuses. […] Mais appliqué aux divers motifs de mon propre esprit, le mot « liberté de choix » n’a pas de sens. […] Il est ce qu’il prétend être dans sa généralité — une histoire naturelle de l’esprit. […] Bain est d’une grande valeur C’est la meilleure histoire naturelle de l’esprit humain qui ait encore été produite, c’est la plus précieuse collection de matériaux bien élaborés.

1509. (1761) Apologie de l’étude

Quoi qu’il en soit, ceux qui ont décrié la culture de l’esprit comme un grand mal, désiraient apparemment que leur zèle ne fût pas sans fruit, car ce serait perdre des paroles que de prêcher contre un abus qu’on n’espère pas de détruire : or, dans cette persuasion, je m’étonne qu’ils aient cru porter aux lettres la plus mortelle atteinte, en leur attribuant la dépravation des mœurs. […] Il m’est revenu dans l’esprit, après tant de lectures inutiles et fatigantes, qu’il y avait des livres qu’on appelle journaux, destinés à recueillir ce qu’il y a de meilleur dans les autres. […] En repliant votre esprit sur lui-même, sans avoir besoin d’interroger celui des autres, vous auriez senti qu’en métaphysique ce qu’on ne peut pas s’apprendre par ses propres réflexions, ne s’apprend point par la lecture ; et que ce qui ne peut pas être rendu clair pour les esprits les plus communs, est obscur pour les plus profonds. […] Vos regards allaient se perdre sur des objets placés trop loin de vous : ramenez-les sur tant de merveilles qui vous environnent, et que vous n’avez pas voulu voir ; et l’esprit humain vous étonnera également par son étendue et par ses bornes. […] Vous vous plaignez des critiques ; mais savez-vous que se faire imprimer, est une manière tacite et modeste d’annoncer aux autres hommes, souvent très mal à propos, qu’on croit avoir plus d’esprit qu’eux ; et deviez-vous vous flatter de ne point essuyer là-dessus de contradiction ?

1510. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Pour qui consent à réfléchir, la Critique est le jugement d’un esprit ferme et sagace sur les œuvres de l’esprit, d’après la connaissance des lois qui le régissent et les principes qui en découlent. Or, Jules Janin, tête sans métaphysique supérieure, ayant le bon sens et le discernement mais sans haute portée et sans grande profondeur, se vengeant de cette médiocrité par une imagination adorablement colorée et par la plus vive sensibilité d’écrivain, n’avait ni cette fermeté de jugement, ni cette connaissance des lois de l’esprit, ni ces principes qui constituent la Critique et son mâle génie. […] Il en était bien plutôt le fou, — le fou du Roi, avec son esprit mi-parti de brillant et de sérieux, car les fous du Roi avaient, sous leurs joyeuses folies, quelquefois un grand bon sens et disaient juste ; et c’est ce qu’avait Jules Janin. […] Les Nymphes latines ne l’y dévorèrent point… de caresses, et après une longue accointance elles nous le renvoyèrent, l’esprit troublé, latinisant toujours, ne voulant pas démordre de ce diable de latin, radotant du latin, comme Panurge, dans ce français qu’il parlait si bien et qui suffisait à sa gloire… C’est là le seul échec de la partie qu’il joua contre la vie, cette horrible joueuse qui nous triche ! […] il me plaît tant, cet homme de lettres et d’esprit, et d’esprit français, que j’ai essayé de replacer aujourd’hui dans la lumière de son mérite, qui est immense et qui est charmant, et dont la nature est de passer, — de n’être pas plus immortel que les fleurs qui passent, — il me plaît tant que j’arrête ici mon chapitre !

1511. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Cette sorte d’esprits inamovibles constitue le gros de l’opinion. […] Et il arrive finalement ceci, que la parcelle de vérité qui avait germé dans l’esprit de l’homme d’élite disparaît bientôt sous l’instinctive poussée de nationalisme et d’optimisme légendaire, inséparables du nom de Français. […] Il faut changer quelques institutions     « Tout bon esprit ne sait-il pas que notre système d’héritage est néfaste ? […] Qui avait pu en douter d’ailleurs, si ce n’est de mauvais esprits, indignes d’appartenir à la nation généreuse ?‌ […] Le goût bourgeois résiste à l’esprit universel.

1512. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

L’esprit de parti lui a élevé des statues, le zèle religieux les a brisées. […] Cette disposition était l’effet naturel de la fermentation des esprits, des malheurs des peuples, des grands intérêts politiques et religieux ; enfin de ce système des génies, imaginé ou puisé chez les Chaldéens par Platon, et renouvelé alors avec le plus grand succès. Telle était la situation des esprits, lorsque Julien parut. […] On le voit ; l’idée que la divinité pouvait se communiquer à l’homme, idée si analogue d’ailleurs à son siècle et aux idées générales qui occupaient alors l’univers, tourmentait et agitait son esprit. […] La critique qu’on fait ici du caractère de Julien, a quelque rapport avec celle qui en a été faite dans un ouvrage très estimable, plein de connaissances, de vues et d’esprit, qui a paru depuis peu, et qui est intitulé : De la félicité publique.

1513. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

» Mais comme cet éloquent confrère est le même qui nous propose d’admirer en 1860 les romans de Mlle de Scudéry, peut-il trouver étonnant qu’à de tels caprices rétrospectifs le public oppose ses caprices présents, qu’il y ait des représailles bien légitimes de l’esprit moderne plus positif, et qu’aux fades abstractions quintessenciées on préfère les réalités, fussent-elles un peu fortes ? […] C’est à peu près en ces termes qu’un homme d’esprit et de plume (M. de Pontmartin) aime depuis lors à me recommander à ses lecteurs. […] Baudelaire est un des plus anciens parmi ceux que j’appelle mes jeunes amis : il sait le cas que je fais de son esprit fin, de son talent habile et curieux. […] Vous accordez trop à l’esprit, à la combinaison. […] Enfin, dans la dernière partie où intervient et domine la figure de l’artiste enthousiaste à la fois et un peu misanthrope, Marcel, il se révèle une qualité que la vigueur du romancier avait pu dissimuler quelquefois et qui finit par éclater à son tour ; il y a de l’esprit.

1514. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

Troplong applique au plus grand des historiens latins cette sévère méthode d’examen et d’analyse qui est un des instruments familiers de l’esprit moderne, et que nul ne dirige d’une main plus savante et plus ferme. […] « Tacite est celui de tous sur lequel on pourrait le plus compter, à cause de la trempe de son esprit sévèrement critique. […] Je sais que la loi des XII Tables avait laissé de grands souvenirs dans l’esprit des Romains ; ils y voyaient la source de leur droit, avec une rédaction simple et précise, qui contrastait avec le désordre des lois grecques. […] Son portrait de Lucain est sévère et juste : il caractérise l’ensemble de ce poëme de la Pharsale avec l’impatience que ces enflures et ces ambitions de pensée donnent à tout esprit net et sain. […] est trop humain, il est trop chrétien par l’esprit, trop nourri des idées épurées de justice pour accepter jamais, même à deux mille ans de distance, une telle solution.

1515. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Je me figure que le conte ou le drame philosophique serait le genre le plus usité dans cette cité idéale des esprits que M.  […] Métius, qui représente l’aristocratie, tout en reconnaissant l’intelligence et la vertu d’Antistius, le blâme par esprit de conservation et par patriotisme, un noble étant intéressé plus qu’un autre au maintien des coutumes et au salut de la cité. […] Arrive une députation des Aquicoles : il s’agit de donner une nouvelle constitution à leur cité. « Toutes les victimes nécessaires pour obtenir l’assistance des dieux, nous les fournirons  Consultez l’esprit des pères, répond Antistius ; pratiquez la justice et respectez les droits des hommes  Hé ! […] » Même après que l’étroitesse d’esprit et la grossièreté de ses compatriotes l’ont dépouillé de ses illusions, il croit encore : « Ne serait-il pas mieux de les laisser suivre leur sort et de les abandonner aux erreurs qu’ils aiment ? […] S’il est divers jusqu’à la contradiction, c’est qu’il a l’esprit merveilleusement riche.

1516. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Mais  et c’est ici que commence le paradoxe du Lys rouge, — la comtesse Martin et surtout Jacques Dechartre nous sont donnés comme des êtres de choix, singulièrement conscients, et d’un esprit tout à fait supérieur. […] Elle a l’esprit philosophique et libre. […] On a vu depuis quelques années croître magnifiquement ce que des théologiens appelleraient son esprit de malice et son impiété. […] Un bon nihiliste aime naturellement les saints ; car la foi religieuse implique une part de révolte contre la société terrestre, contre ses injustices et ses atroces ou ridicules conventions, et elle peut agréer par là aux plus audacieux esprits. […] Puis, c’est un phénomène connu, que les esprits très compliqués adorent souvent les âmes simples… Toutefois, cette préoccupation impie et affectueuse de la vie mystique commence à devenir singulière, chez M. 

1517. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Jamais l’homme, en possession d’une idée claire, ne s’est amusé à la revêtir de symboles : c’est le plus souvent à la suite de longues réflexions, et par l’impossibilité où est l’esprit humain de se résigner à l’absurde, qu’on cherche des idées sous les vieilles images mystiques dont le sens est perdu. […] Défenseurs de l’ancien esprit démocratique, ennemis des riches, opposés à toute organisation politique et à ce qui eût engagé Israël dans les voies des autres nations, ils furent les vrais instruments de la primauté religieuse du peuple juif. […] De nouveaux textes, prétendant représenter la vraie loi de Moïse, tels que le Deutéronome, se produisirent et inaugurèrent en réalité un esprit fort différent de celui des vieux nomades. Un grand fanatisme fut le trait dominant de cet esprit. […] Le développement de l’esprit piétiste, depuis Esdras et Néhémie, amena une conception beaucoup plus ferme et plus logique.

1518. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

quand on l’a dépouillé des pourpres volées un peu partout dont il drape la gueuserie de son esprit et l’infamie de son âme, on se trouve en présence d’une brute conquérante ou d’un animal de chasse. […] Mais supposez que Virgile ne soit pas une âme profonde et un esprit délicat : malgré tous ses efforts, l’imitation tournerait à la parodie et il ferait sans le savoir un Homère travesti. […] Après bien des agitations, bien des mouvements contradictoires, le flot pousse sur la terre de vérité cet esprit inquiet et troublé, épave enfin sauvée peut-être. […] Sous le choc du drame, un effrayant travail de désagrégation commence dans l’esprit de Suzanne. […] Tantôt il allègue la doctrine psychologique de l’influence contraire du temps et des circonstances sur l’esprit féminin et sur l’esprit masculin.

1519. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

De Brosses a analysé avec une admirable sagacité les fonctions de l’instrument vocal ; il a pris rang, pour cette prodigieuse analyse, parmi les esprits du premier ordre : mais enfin il n’a défini et expliqué que l’instrument, et non la faculté. […] J’avais signalé, toujours dans cet ordre d’idées, un phénomène que je croyais être le caractère métaphysique, le signe le plus énergique de l’époque actuelle, de l’âge où nous sommes de l’esprit humain. […] Par une transformation opérée en vertu des lois merveilleuses de l’analogie, l’on s’est servi de ces mêmes sons vocaux pour représenter soit nos perceptions intellectuelles, soit les rapports intellectuels, les volontés, les actes de l’esprit, que faisaient naître nos sensations et nos besoins. L’abbé Morellet, dans son Traité de l’imitation musicale, a parfaitement développé la marche de l’esprit humain dans l’emploi de ces modes analogiques. […] La lettre tue et l’esprit vivifie ; c’est là toute la doctrine de l’affranchissement de la pensée.

1520. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »

De notre temps, elle est la seule femme d’un esprit consistant et d’une instruction déterminée, qui ait eu, avec Mme Daniel Stern, la prétention d’écrire l’histoire. […] que la fausse métaphysique d’un esprit gâté par les philosophies allemandes, et qui lutta toute sa vie contre les deux impossibilités pour les femmes, la métaphysique et l’histoire. […] Un grand esprit, dont on ne parle plus mais dont on reparlera, le profond et axiomatique Bonald a donné, avec une brièveté et une simplicité sublimes, la formule de cette loi que les femmes méconnaissent. […] Elle ne rit pas, elle ne sourit même pas, Mlle Clarisse Bader, dans cette histoire de la supériorité de la femme, prise au sérieux par un esprit sérieux, qui parle des mérites de la femme comme saint Just portait les mérites de son visage. […] Même les femmes qui, d’origine, étaient des esprits aimables, en entrant dans la science, entrent dans une gaine… La femme y disparaît pour ne plus montrer que sa tête.

1521. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

Elle est donc toujours un mystère… non pas un simple mystère à ténèbres dans lesquelles l’œil cherche sans voir, mais un mystère à éblouissements qui brise la lumière sous les feux luttants des contradictions… Avec un pareil peuple, qui semble échapper au jugement même, avec ce sphinx retors qui a remplacé l’énigme par le mensonge et auprès de qui tous les sphinx de l’Egypte sont des niais à la lèvre pendante, n’y a-t-il pas toujours moyen, si on ne met pas la main sur le flambeau de la vérité, de faire partir, en frottant son esprit contre tant de récits, les allumettes du paradoxe, et d’agir ainsi, fût-ce en la déconcertant, sur l’Imagination prévenue, qui s’attend à tout, excepté à l’ennui, quand on lui parle de la Chine et des Chinois ? […] Nous aurions voulu qu’on eût répondu une fois pour toutes aux esprits les plus forts, les plus imposants, qui ont regardé sans rire ce pays qui semble exciter je ne sais quelle méprisante gaîté, et qu’on eût renversé, par exemple, pour ne plus le voir jamais debout, ce jugement terrible d’un de ces grands esprits qui ont, dans les choses de l’histoire, l’infaillibilité de leurs instincts : « Quand on m’aura montré des sociétés aussi fortes que la judaïque et que la chrétienne (si c’est la chinoise, montrez-le !) […]  » Nous aurions voulu, enfin, que les historiens apologistes de ce pavs ainsi incriminé, ainsi accusé, et dans son histoire, et dans ses mœurs, et dans son esprit, et dans tout son être, eussent pénétré partout où l’accusation a enfoncé son atteinte, et qu’ils nous l’eussent montré non seulement dans son histoire politique, mais qu’ils fussent descendus au fond des mœurs pour les laver et qu’ils eussent tâté de leurs savantes mains ce crâne arrondi de la race jaune, rasé par les conquérants tartares, pour nous dire au juste ce que, dans cette boîte osseuse, si déformée par la corruption et par l’esclavage. […] Comme mœurs politiques et sociales, nos deux historiens nous développent, sans trop savoir ce que prouve contre les peuples l’empire de telles dominations, l’effroyable et perpétuelle domination des Eunuques et les formes de cette polygamie, de cette lèpre dont la famille est rongée ; car, quoique mutilée, abaissée, la famille, dont l’esprit peut tout sauver et tout éterniser, subsiste, en Chine, dans le respect porté aux ancêtres, — et voilà, sans nul doute, ce qui a empêché cet empire de laque de complètement se dissoudre. Enfin, comme intelligence de la race, ils prennent la mesure du plus fort cerveau chinois qui ait jamais existé, ils nous peignent en pied ce Confucius (Koung-fou-Tseu) qu’ils comparent, on ne sait trop pourquoi, à notre glorieux cardinal de Richelieu, lequel n’a pas grand’chose, pourtant, de ce quaker Oriental, dont la haute philosophie ressemble à une Civilité puérile et honnête… Et c’est ainsi qu’ils confirment, au lieu de la détruire, cette grande accusation portée contre la Chine par des esprits sévères auxquels des potiches et des porcelaines, et une originalité grotesque dans les arts et dans la vie, n’ont pas tout fait pardonner !

1522. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

En effet, de toutes les spécialités d’intelligence, l’esprit militaire (s’en étonnera-t-on ?) […] Les lions ne sont pas plus des métaphysiciens que des peintres, et voilà pourquoi les arpenteurs de l’esprit humain, qui sont orfèvres, monsieur Josse, ont mesuré si étroitement (à part le métier) les capacités militaires. Madame de Staël ne disait-elle pas un jour, avec cette ineffable impertinence de l’esprit qui tachait la bonté de son cœur, que, « hors les batailles, lord Wellington n’avait pas une idée » ? […] tant l’esprit humain se fait un magnifique bonnet d’une sottise ! […] Nous ne mettons rien au-dessus de cette force sociale qui recommencerait les sociétés, si les sociétés périssaient, parce que l’esprit de l’armée, c’est le sacrifice.

1523. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Avant de légiférer pour son propre compte et en son privé nom, il nous a donné, en abrégé, l’histoire du duel en France, et cette histoire démontre, à toute page, l’inanité des législations quand il s’agit de changer et de modifier des mœurs toujours victorieuses d’elles… L’esprit moderne, dont la manie est de croire aux constitutions, qui sont les créations de son orgueil et que le vent de cette girouette a bientôt emporté, l’esprit moderne, qui méprise si outrageusement et si sottement le passé, apprend ici, une fois de plus, que tout dans l’histoire ne se fait pas de main d’homme, et que les coutumes ne s’arrachent pas du fond des peuples comme une touffe de gazon du sol… Saint-Thomas, dont le bon sens (heureusement pour lui) ne me fait point l’effet d’être dévoré par l’esprit moderne, semble l’avoir compris. […] Il y avait encore cette disposition contradictoire et indisciplinée de l’esprit d’une nation qui aime à se moquer de tout pouvoir établi, et qui fait de la France le pays de la terre le plus facilement anarchique. […] on se battra comme eux longtemps encore, malgré les progrès, philosophique, philanthropique et patriotique, et, ce qui est une meilleure raison pour ne plus se battre que le dévouement de tout son être à la République, malgré l’affaiblissement de l’esprit militaire, depuis si longtemps insulté, et la décadence même physique de la race, visible maintenant à tous les yeux. […] Le livre de Verger de Saint-Thomas, qui n’a point visé à l’extraction du duel, n’est que l’effort courageux d’un excellent esprit pour atténuer les férocités de cette coutume qui fut souvent féroce, et pour diminuer la fatalité des conséquences qu’elle peut avoir. […] « Ce ne sont pas les épées et les balles qui tuent, ce sont les témoins. » Cette phrase à la Montesquieu résume, en effet, tout le livre du comte de Saint-Thomas, et donne l’esprit des lois qu’il a écrites dans son Code du Duel.

1524. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

 » L’idée, pour lui comme pour Platon, « c’est le résultat, l’esprit, l’essence des pensées. […] Son esprit n’a point d’ailes, ou, s’il en a, elles sont fort courtes et ne lui servent qu’à marcher plus vite et mieux. […] Optimiste, il l’était plus que Platon lui-même et jusqu’à m’impatienter, moi qui ne croyais pas à la solution de ce problème, résolu maintenant : rester un esprit adorable et être optimiste comme un niais ! […] Que la Critique ne l’oublie pas : malgré les encharmements de la Correspondance de Joubert, sa supériorité distinctive, absolue et qu’il porte jusque dans cette Correspondance, c’est la pensée, l’intuition, l’aperçu sur toutes choses, le fruit qui tombe du tronc caché, la lueur qui filtre comme d’une étoile de cet esprit haut, sans vapeur, et qui a jusque dans la rêverie la clarté du jour. […] Mais supposez le Christianisme venu dans son temps, il eût renoncé, comme Joubert, à ce roman de l’esprit humain.

1525. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Et il l’est tellement qu’il ne s’aperçoit pas combien la bêtise d’Eckermann est compromettante, combien la fidélité naïve des souvenirs de ce ramasseur de mots du grand Goethe est imprudente et dommageable à l’esprit du maître qu’il s’était donné. […] Par conséquent, si elles ratent, ce n’est ni à Eckermann, ni à ceci ni à cela, qu’il faut s’en prendre, mais au métal même de l’esprit de Gœthe, qui a fait vent par la culasse et auquel il faut le reprocher. […] C’est un esprit clairvoyant, calme, mais ferme, (le mais est-il de Gœthe ?) […] Quand il lisait les premières élucubrations du jeune Ampère, alors à la fleur de son printemps : « Ampère, — dit-il page 158, — tellement supérieur que les préjugés nationaux, que les appréhensions de l’esprit borné d’un grand nombre de ses compatriotes sont bien loin derrière lui et « que par son génie il est cosmopolite… » II crut, à la force qu’il vit en ces élucubrations de M.  […] Ce livre, qui n’est qu’un recueil de maximes, d’aperçus et de pensées de Gœthe, empruntés à ses œuvres complètes, donne une idée plus nette et plus riche de lui que les Entretiens d’Eckermann, et on le conçoit bien, pour peu qu’on se rappelle la nature spéciale de son esprit.

1526. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

Quand on vient de lire l’incroyable volume d’Auguste Vacquerie, on se demande à quelle classe d’esprits appartient l’auteur de ces pages… amusantes, car elles le sont ; mais à quel prix ? […] C’est un esprit brave. […] Or, ce volume, qui n’est peut-être pas le plus mauvais de la collection et qui en est certainement le plus gai : Pasquin a plus d’esprit que Valère ou Cléante ! […] Ce qui fait parfois l’unique mérite d’Auguste Vacquerie, c’est la contradiction, esprit qui risque tout et gagne parfois, comme tous les risque-tout de la terre. […] C’est une lettre, — une longue lettre à un neveu qu’on endoctrine, et dans laquelle le vaste esprit de Vacquerie peut attaquer tous les sujets et se permettre tous les détails.

1527. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Mais quant à ce qu’on appelle un succès littéraire, — un violent retentissement de publicité, — j’en suis moins sûr que d’un succès intime, avec l’abaissement universel de nos esprits et de nos mœurs. […] … Les voluptueuses fatigues d’André Chénier lui-même, en ses sensuelles Elégies, ne sont pas des rêveries comme celles que Lamartine apprit à la France… L’auteur d’Armelle dut boire avec délices de cette rosée céleste, et son esprit, qui était fait pour elle, n’a pas cessé, par tous ses pores, de l’exhaler. […] c’est cette prétendue disproportion qui choque tout ce que Pontmartin a de raison et de… prosaïsme dans l’esprit, et qui lui paraît d’une exagération difforme ! Une pareille opinion, dont il m’est impossible de ne pas m’étonner venant de la plume qui l’exprime, aurait peut-être sa valeur si le poème d’Armelle, au lieu de s’adresser aux âmes, une à une, dans l’intimité de chacune d’elles, était une œuvre dramatique, s’adressant à un public en masse, c’est-à-dire à cette moyenne d’esprits qui ne regardent comme vraisemblables et touchants que les sentiments dont ils sont capables. […] Elle y échappe par sa passion même… et c’est là justement ce qui fait la poésie d’Armelle et ce qui la rend incompréhensible aux esprits désorientés dans l’horizon où cette poésie aurait toute sa puissance… « Ce n’est pas sur mon bras perdu qu’il faut pleurer, — disait Saint-Hilaire à son fils, au coup de canon qui, avec son bras, emportait Turenne, — c’est sur ce grand homme qui n’est plus ! 

1528. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Honoré de Balzac » pp. 1-15

Esprit à grandes lignes, mais à lignes arides et qui avait porté le poids du jour, M.  […] C’est en effet le caractère particulier de l’esprit de cet homme plus étonnant que son œuvre, quoique son œuvre soit un monument, de toujours s’élever, de toujours s’accroître, et par cela même d’avoir plus besoin du temps que personne. […] L’esprit de Balzac, par exemple, s’en doute-t-il ? […] Voilà le critique, exécuteur de ses hautes œuvres littéraires, qu’elle a chargé de décapiter, à froid et après la mort, un grand homme d’esprit qu’elle n’aurait pas touché vivant. […] Buloz, dont la grossièreté d’esprit se croit parfois de la finesse, qui ait pu le prendre pour un critique, et un critique utile, parce qu’il était avocat général.

1529. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Impersonnel et désintéressé de tout, excepté de la perfection dont l’idée est à l’état d’étoile fixe dans son esprit, l’auteur du Marquis des Saffras est un artiste d’une sérénité infinie, que le temps n’a pas rendu spectateur comme le vieux Goethe, car il est jeune, mais qui est né contemplateur. […] Placé sur la frontière des deux mondes, Espérit (nous aimons ce nom presque symbolique), est, de fait, l’esprit même, l’intuition, le pressentiment, la vie plus haut, l’art et ses divinations. […] Pour ces populations auxquelles il est mêlé, pour ces gens de la plaine et de la montagne, c’est un sorcier, si ce n’est pas un fou, c’est un timbré, comme on dit parfois, quand l’esprit a frappé trop fort sur le cerveau d’un homme. Ils l’appellent l’esprit de la lune, l’espérit des ciales, et même l’évêque des cigales, les jours où ils l’aiment davantage, car ils l’aiment, cet homme qui en sait plus long qu’eux, par les seules forces mystérieuses de sa pensée, sans avoir comme eux rien appris ! […] M. de La Madelène est un de ces esprits qui n’ont pas besoin de l’amour, cette tyrannie des imaginations françaises, pour se montrer moraliste profond et peintre dramatique passionné.

1530. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

Tel doit être l’esprit du critique par rapport au jugement du public. […] L’époque devient grossière, elle n’estime que le gros qu’elle prend pour le grand ; elle se prend à l’étiquette, à la montre, à ce qui peut faire du bruit ou être utile positivement : l’esprit littéraire véritable est tout le contraire de cela. […] L’esprit (je l’entends au sens le plus fin) est une des choses dont on se passe le plus aisément entre soi dans la jeunesse : on a l’imagination, la sensibilité, le mouvement. […] Ou encore, comme un poëte devenu critique le disait : Jeune, on se passe très-aisément d’esprit dans la beauté qu’on aime et dé bon sens dans les talents qu’on admire. […] J’ai l’esprit assez bien fait pour comprendre que je n’ai pas le droit d’être mécontent, et je me sens le cœur trop large pour le croire rempli.

1531. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Cette sorte de conjuration instinctive et intéressée de tous les hommes de bon sens et d’esprit contre l’homme d’un génie supérieur n’apparaît peut-être dans aucun cas particulier avec plus d’évidence que dans les relations de Diderot avec ses contemporains. […] En vain les grands esprits de l’époque, Montesquieu, Buffon, Rousseau, tentèrent de s’élever à de hautes théories morales ou scientifiques ; ou bien ils s’égaraient dans de pleines chimères, dans des utopies de rêveurs sublimes, ou bien, infidèles à leur dessein, ils retombaient malgré eux, à tout moment, sous l’empire du fait, et le discutaient, le battaient en brèche, au lieu de rien construire. […] Il n’en fut pas ainsi de Diderot, qui, n’ayant pas cette tournure d’esprit critique, et ne pouvant prendre sur lui de s’isoler comme Buffon et Rousseau, demeura presque toute sa vie dais une position fausse, dans une distraction permanente, et dispersa ses immenses facultés sous toutes les formes et par tous les pores. […] Elle fait mon bonheur aujourd’hui, demain elle fera mon bonheur, et après-demain, et après-demain encore et toujours, parce qu’elle ne changera pas, parce que les dieux lui ont donné le bon esprit, la droiture, la sensibilité, la franchise, la vertu, la vérité qui ne change point. […] Leroy, homme d’esprit et philosophe, capitaine des chasses, amateur du sexe et ami de Diderot : « Si vous saviez combien je l’aime, écrit ce dernier, vous sauriez aussi combien il m’a été doux de le voir.

1532. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

Le jour où elle passe dans les faits, c’est qu’elle est déjà presque entièrement accomplie dans les esprits. […] L’esprit de la Renaissance, avant de rayonner et de resplendir avec la Pléiade, perce discrètement dans Marot et s’allie étrangement dans Rabelais aux contes gras et aux copieux lazzi du moyen âge. […] Toutefois, dans le cours de ces soixante-quinze ans si pleins d’ardeur, d’élan, de foi en l’avenir, animés d’un si vif désir de changer les bases de la société existante, il y a un instant où les esprits conçoivent des pensées nouvelles et les cœurs des sentiments nouveaux. […] C’est l’instant où va se produire un schisme parmi les philosophes, où Rousseau va disputer à Voltaire la royauté des intelligences, où la sensibilité va s’opposer à la raison, où le courant négatif en matière religieuse va entrer en lutte avec un courant positif qui ramène les esprits vers le christianisme et les doctrines spiritualistes. […] On pourrait dire encore que ces périodes, considérables pour la courte durée d’une vie humaine, se divisent en deux moitiés et que, tous les quinze ou vingt ans, comme le prouvent les révolutions du xixe  siècle, il est possible de constater une orientation nouvelle des esprits.

1533. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

… Le succès à faux finit par avoir l’air si bête que tôt ou tard l’esprit et la justice sont vengés de cette mortelle impertinence. […] Or cinq pensées, tombées de l’esprit d’un homme ou du sein d’une femme et nouées ensemble, c’est là un bouquet bien fragile, qui peut être vite écrasé et disparaître sous les mille pieds de l’animal aux têtes frivoles, comme dit La Fontaine. […] nous savions bien que l’esprit guérit tout, que c’est le dictame qu’il faut s’appliquer sur le cœur lorsque ce malheureux blessé saigne ; nous savions bien que l’esprit prend son parti de tout, mais l’avoir prouvé une fois de plus avec cette grâce, avoir fait tenir tant de sanglot étouffé dans tant de sourire, avoir fait si divinement trembler la voix en disant des choses si légères, voilà le mérite et l’originalité de M.  […] … La gloire de de Musset ce sillon rose dans l’air que le temps n’efface pas et qui traînera longtemps encore derrière ce jeune homme, lient autant à la légèreté de son esprit qu’à sa passion et à son éclat ; et, pour mon compte, je suis persuadé qu’un livre moderne, plein des choses modernes, qui aurait le bonheur d’être écrit avec la légèreté perdue des Mémoires du chevalier de Grammont, par exemple, nous paraîtrait un phénomène et nous tournerait la tête à tous, graves caboches du dix-neuvième siècle ! […] Ainsi, dans La Famille Percier il y a certainement de l’inattendu, de l’intelligence dramatique, une préoccupation assez brusque du fond sur la forme, ce qui n’est pas l’habitude des esprits du temps, et enfin, comme dans Le Mariage de Caroline, un dialogue plein de naturel.

1534. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Sous le titre de Précis de l’histoire de la Philosophie, MM. de Salinis et de Scorbiac, directeurs du collège de Juilly, viennent de publier un manuel fort plein de science et de faits, non-seulement à l’usage de leur établissement, mais encore à celui du grand nombre des enseignements philosophiques dans les collèges, et même d’une utilité applicable à tous les lecteurs amis de cette haute faculté de l’esprit humain. […] Les temps modernes, qui forment la cinquième et dernière période, à partir de Bacon et Descartes, et qui constituent pour un grand nombre d’enseignements le principal de l’histoire de la philosophie, n’obtiennent pas ici tout le développement qui conviendrait peut-être ; mais c’est la partie la plus abordable, celle à laquelle les discussions habituelles du dehors initieront assez tôt les jeunes esprits, et il était plus utile de leur faire apprécier tous ces immenses travaux précédents qu’on a trop de hâte d’oublier dans la plupart des débats modernes. […] Dans son premier grand ouvrage sur la Philosophie de l’esprit humain, Dugald Stewart envisageait principalement l’homme comme être intelligent, et s’attachait à analyser surtout cette partie de notre nature qu’on appelle entendement, marchant sur les traces de Reid et redressant Locke. […] C’est ainsi que Dugald Stewart, après sa Philosophie de l’esprit humain, a publié sa Philosophie des facultés actives et morales. […] Damiron s’interdit peut-être un peu trop dans sa manière actuelle, plus scientifique et plus sobre qu’autrefois, les développements et applications historiques ou littéraires dont le bon Dugald Stewart orne et quelquefois recouvre son chemin ; mais nulle lecture n’est plus saine à l’âme, plus doucement pénétrante et persuasive, plus satisfaisante à tout esprit honnête et reposé que ce volume de M. 

1535. (1911) La valeur de la science « Introduction »

Que l’esprit du mathématicien ressemble peu à celui du physicien ou à celui du naturaliste, tout le monde en conviendra ; mais les mathématiciens eux-mêmes ne se ressemblent pas entre eux ; les uns ne connaissent que l’implacable logique, les autres font appel à l’intuition et voient en elle la source unique de la découverte. […] À des esprits si dissemblables, les théorèmes mathématiques eux-mêmes pourront-ils apparaître sous le même jour ? […] L’analyse mathématique, dont l’étude de ces cadres vides est l’objet principal, n’est-elle donc qu’un vain jeu de l’esprit ? […] La meilleure expression de cette harmonie, c’est la Loi ; la Loi est une des conquêtes les plus récentes de l’esprit humain ; il y a encore des peuples qui vivent dans un miracle perpétuel et qui ne s’en étonnent pas. […] Non, sans doute, une réalité complètement indépendante de l’esprit qui la conçoit, la voit ou la sent, c’est une impossibilité.

1536. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

Au Xe siècle, dans les premières chansons de geste, qui sont un miroir si parfait de l’esprit du temps, tous les habitants de la France sont des Français. […] Le roi de France, qui est, si j’ose le dire, le type idéal d’un cristallisateur séculaire ; le roi de France, qui a fait la plus parfaite unité nationale qu’il y ait ; le roi de France, vu de trop près, a perdu son prestige ; la nation qu’il avait formée l’a maudit, et, aujourd’hui, il n’y a que les esprits cultivés qui sachent ce qu’il valait et ce qu’il a fait. […] Tantôt l’unité a été réalisée par une dynastie, comme c’est le cas pour la France ; tantôt elle l’a été par la volonté directe des provinces, comme c’est le cas pour la Hollande, la Suisse, la Belgique ; tantôt par un esprit général, tardivement vainqueur des caprices de la féodalité, comme c’est le cas pour l’Italie et l’Allemagne. […] Voilà des points sur lesquels un esprit réfléchi tient à être fixé, pour se mettre d’accord avec lui-même. Les affaires du monde ne se règlent guère par ces sortes de raisonnements ; mais les hommes appliqués veulent porter en ces matières quelque raison et démêler les confusions où s’embrouillent les esprits superficiels.

1537. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XII » pp. 100-108

Pour bien saisir cette opposition d’esprit et de mœurs, il est nécessaire de se faire une idée juste des trois partis opposés, à commencer par celui de la cour et de la Fronde qui servirent de modèle à la multitude ; viendra ensuite l’étude de la société d’élite ; et enfin celle des précieuses. […] C’était la guerre de la Fronde : guerre singulière, assez mal observée et fort mal caractérisée par les historiens, qui n’y ont vu qu’un soulèvement à l’occasion d’un accroissement d’impôts, ou une suite de l’esprit de révolte dont la Ligue avait fait une habitude. Entre les éléments de cette guerre, ils auraient dû reconnaître l’esprit de galanterie corrompue, c’est-à-dire, d’incontinence, de vanité et d’intrigue, qui régnait en France et avait fait des gens de cour un assemblage d’intrigants et de brouillons ? […] L’esprit de révolte était héréditaire dans la maison de Condé. […] La reine et le cardinal, au milieu de l’enivrement général, ne négligeaient pas de diriger l’esprit et les premières affections du jeune roi.

1538. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 124-134

Mais ne doit-on pas convenir qu’il a trop abusé de cette réputation, en voulant établir dans les Lettres certains paradoxes qui tendent à dénaturer les genres, & que l’esprit géométrique, si nous entendons par ce mot la justesse des idées, auroit dû être le premier à réprouver ? […] Assujettir les fictions, les images, la hardiesse, les écarts de la Poésie au ton lourd & pénible de la vérité, c’est ôter à l’esprit humain ces charmes séducteurs qui l’attachent, le captivent & lui font goûter le vrai qu’ils ont embelli. […] Evremont ne sont pas supportables, quoiqu’ils fourmillent de pensées ; tandis qu’un seul trait, un seul tour, une seule image échappée au Génie poétique, attache l’esprit, échauffe le cœur, & y laisse des impressions profondes. […] Nous ne rougirions plus alors de voir subsister parmi nous ces rivalités malignes, ces basses jalousies, ces cabales iniques, qui avilissent les talens & révoltent l’honnêteté ; on verroit s’anéantir l’esprit particulier, qui n’admet que ce qu’il approuve, qui n’approuve que ce qui le flatte ; chaque Littérateur trouveroit des amis dans les compagnons de sa carriere, & le Génie indigent n’auroit pas besoin de chercher des protecteurs, en rampant. On proscriroit sur-tout ces Bureaux d’esprit où l’on anathématise les meilleurs Ouvrages, quoiqu’on ne puisse s’en dissimuler le mérite ; où l’on encense la médiocrité, parce qu’elle est en état de protéger ou de nuire ; où l’on n’admet tant d’adorateurs stupides, que pour en faire des écho, dont la voix ira d’oreille en oreille déifier tous les Membres du tyrannique Sénat, & promulguer ses intrépides Arrêts ; nous aurions la douce joie de voir couler le lait & le miel à côté de l’Hipocrene, de pouvoir cueillir les fruits du sacré Vallon, sans redouter ceux de la Discorde, de dormir sur le Parnasse sans craindre de réveils fâcheux ; nous verrions renaître en un mot l’âge d’or de la Poésie, & le Monde savant retraceroit le modele de cette République, dont M.

1539. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Voiture surtout aime l’esprit & les concetti, s’épuise à dire de jolies choses. […] Son rival d’esprit & de bonnes fortunes, Benserade, étoit encore plus fait que lui pour être à la mode & pour parvenir. […] L’usage qu’il avoit du monde, & du plus grand monde, sa présence d’esprit, sa gaîté, ses saillies, le rendoient charmant. […] Cet esprit de division gagna tout le monde. […] Son épitaphe par Ménage est fameuse* :             Les graces d’Etrurie,             Les muses d’Ibérie, La syrene Latine & l’Apollon François, L’enjoûment, les amours & la plaisanterie, Les ris, les jeux, l’esprit, tout ce qu’on vit jamais D’agrémens inspirés par la galanterie,         Au même tombeau descendu,         Avec Voiture a disparu.

1540. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Une philosophie modérée, une morale froide et sérieuse conviennent à la Muse de l’histoire ; mais cet esprit de sévérité, transporté à l’Épopée, est peut-être un contresens. […] Si les discours des Ligueurs respirent l’esprit du temps, ne pourrait-on pas se permettre de penser que c’étaient les actions des personnages, encore plus que leurs paroles, qui devaient déceler cet esprit ? […] De qui la Gaule tiendrait-elle ses troubadours, son esprit naïf et son penchant aux grâces, si ce n’était du chant pastoral, de l’innocence et de la beauté de sa patronne ? […] On peut douter que l’auteur de La Henriade ait eu autant de génie que Racine ; mais il avait peut-être un esprit plus varié et une imagination plus flexible.

1541. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Rien n’est plus admirable, disent-ils, que les découvertes de Spallanzani, de Lavoisier, de Lagrange ; mais ce qui perd tout, ce sont les conséquences que des esprits faux prétendent en tirer. […] Une autre observation a fortifié chez les esprits timides le dégoût des études philosophiques. […] Soit préjugé d’éducation, soit habitude d’errer dans les déserts, et de n’apporter que notre cœur à l’étude de la nature, nous avouons qu’il nous fait quelque peine de voir l’esprit d’analyse et de classification dominer dans les sciences aimables, où l’on ne devrait rechercher que la beauté et la bonté de la Divinité. […] L’Église ne pouvait donc prendre, dans une question qui a partagé la terre, que le parti même qu’elle a pris : retenir ou lâcher les rênes, selon l’esprit des choses et des temps ; opposer la morale à l’abus que l’homme fait des lumières, et tâcher de lui conserver, pour son bonheur, un cœur simple et une humble pensée. […] Les unes appartiennent à l’esprit, les autres au cœur ; or, il se faut donner de garde de cultiver le premier à l’exclusion du second, et de sacrifier la partie qui aime à celle qui raisonne.

1542. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 7, que les genies sont limitez » pp. 67-77

On n’apperçoit plus alors en eux cette vigueur d’esprit, ni cette intelligence qu’ils montrent, dès qu’il s’agit des choses pour lesquelles ils sont nez. […] Nous avons vû plusieurs peintres hollandois, doüez d’un talent merveilleux pour imiter les effets du clair-obscur dans un petit espace renfermé, talent, dont ils avoient l’obligation à une patience d’esprit singuliere, laquelle leur permettoit de se clouer long-temps sur un même ouvrage sans être dégoûtez par ce dépit qui s’excite dans les hommes d’un temperamment plus vif, quand ils voïent leurs efforts avorter plusieurs fois de suite. […] Or ce qui fait la difference des esprits, tant que l’ame demeure unie avec le corps, n’est pas moins réel que ce qui fait la difference des voix et des visages. Tous les philosophes, de quelque secte qu’ils soient, tombent d’accord que le caractere des esprits vient de la conformation de ceux des organes du cerveau qui servent à l’ame spirituelle à faire ses fonctions. […] Les esprits ne deviennent donc semblables, à force de se regarder les uns les autres, que comme les voix et les visages peuvent devenir semblables.

1543. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 3, de la musique organique ou instrumentale » pp. 42-53

Aristides Quintilianus, en parlant de plusieurs divisions que les anciens faisoient de la musique considerée sous differens égards, dit que le chant, que la musique par rapport à l’esprit dans lequel elle a été composée, et à l’effet qu’on a voulu lui faire produire, se peut partager en musique qui nous porte à l’affliction, en musique qui nous rend gais, et nous anime, et en musique qui nous calme en appaisant nos agitations. […] Dira-t’on que c’est par un pur effet du hazard que dans les festes, certaines symphonies échauffent l’imagination en mettant les esprits en mouvement, et que d’autres symphonies les appaisent et les calment ! […] Puisqu’on ne sçauroit produire les symphonies des anciens, perduës par l’injure des temps, nous ne sçaurions juger du merite de ces symphonies, que sur le rapport de ceux qui les entendoient tous les jours, qui voïoient l’effet qu’elles produisoient, et qui sçavoient encore dans quel esprit elles avoient été composées. […] Elles nous calment, elles nous soulagent même dans les maladies du corps. " comme il arrive quelquefois que les maladies du corps sont causées par les agitations de l’esprit, il n’est pas surprenant que la musique en soulageant les maux de l’esprit, ait soulagé et même qu’elle ait gueri en certaines circonstances les maladies du corps.

1544. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XVII » pp. 70-73

Et Alexandre Dumas, et ce talent réel, mais presque physique ; cet esprit qui semble résider dans les esprits animaux, comme on disait autrefois ! Insistez, vous, croyant et historien d’un pays moral, sur cet épicuréisme pratique d’ici qui n’a produit qu’un bon moment de jeunesse, mais passé lequel, tous plus ou moins, nous sommes sur les dents, sur le flanc : chacun a été bourreau de son esprit. […] Mais le malade guéri s’est trouvé baissé d’esprit et de moral, ce à quoi, dans le traitement, on n’avait nullement songé.

1545. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 122-127

Il est vrai que la Langue seroit restée dans une barbarie ridicule, si son style avoit servi de modele à ceux qui l'ont suivi ; mais on trouve dans ses Ouvrages une verve qui étonne, & des traits d'esprit, qui, revêtus d'expressions moins baroques, feroient honneur aux meilleurs Poëtes de ce Siecle. L'envie de dominer les Esprits de son temps, de devenir le Législateur du Parnasse, prétention absurde qui ne manque pas d'exemples actuels, le jeta dans le galimatias ; mais les bornes du bon goût sont fixées, & ce ne sont pas des idées particulieres qui décideront les suffrages présens & à venir. […] Ce n'est pas tout, Ronsard égara une foule d'Imitateurs, qui crurent, d'après son exemple, ne pouvoir mériter le suffrage des Lecteurs, qu'en entassant des mots barbares, qu'en étalant une folle érudition, & qu'en s'enveloppant dans un entortillage de pensées ; abus ridicule dont on ne tarda pas à revenir, & que tout esprit censé auroit rejeté avec indignation. […] Ronsard, pour le peindre en deux mots, avoit les principales qualités qui font les grands Poëtes, la force & le brillant de l'imagination, la fécondité de l'esprit, les agrémens de la fiction, cette invention heureuse, l'ame de la Poésie.

1546. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 387-391

Si la réputation des Littérateurs estimables dépendoit du caprice & du ressentiment d’un esprit satirique, aucun mérite ne seroit à l’épreuve d’une Epigramme ingénieusement tournée, & les Railleurs deviendroient eux-mêmes la victime des armes qu’ils auroient aiguisées contre leurs ennemis ; mais le vrai talent triomphe toujours de ces injustes attaques. […] Palissot a réparé depuis cette injustice, en convenant, dans la derniere édition de ses Œuvres, que M. l’Abbé Trublet ne manquoit ni d’esprit ni même d’une certaine finesse ; & que, si au lieu de marquer du respect pour la Religion & les mœurs, il se fût jeté dans le parti de la nouvelle Philosophie, il eût eu son Brevet de célébrité comme tant d’autres ; peut-être même, ajoute-t-il, en eût-on fait un homme de génie. […] Nous l’inviterons enfin à purger son style d’une infinité d’expressions grossieres, dures, virulentes, qui révoltent les esprits les moins délicats, telles que celles-ci prises dans le tome VI & dernier de la Collection de ses Œuvres. […] A quoi sert donc d’avoir cultivé son esprit & sa raison, quand on tombe dans un pareil avilissement ?

1547. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre V. Moralistes. — La Bruyère. »

Il faudrait peut-être d’après ces exemples, être un peu moins prompt à avancer qu’il n’y a que de petits esprits qui puissent être chrétiens. […] Il croirait sans doute que les nouveaux esprits forts sont des hommes très supérieurs aux écrivains qui les ont précédés, et que devant eux, Pascal, Bossuet, Fénélon, Racine, sont des auteurs sans génie. […] Nous croyons le voir s’attendant à trouver à chaque ligne quelque grande découverte de l’esprit humain, quelque haute pensée, peut-être même quelque fait historique auparavant inconnu, qui prouve invinciblement la fausseté du christianisme. […] Surtout dans le chapitre des Esprits forts.

1548. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Heureusement pour lui, son observation, toujours vraie, reste franche et d’esprit bien français. […] L’esprit humain n’a pas satisfait qui est avide de connaître, mais il lui a ouvert les espaces où il va pouvoir interroger les esprits qu’il pense devoir le rapprocher de Dieu, et que Victor Hugo présente sous des formes étranges. […] L’Esprit d’Alphonse Karr. — 1891. […] Sa parole, forte et assurée, était relevée par un esprit vif et piquant. […] Jamais l’esprit de M. 

1549. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Il a d’autres ressources en son esprit. […] Jean Jaurès, comme dans l’esprit conservateur de M.  […] La jalousie le torture, lui tenaille l’esprit et le corps. […] … Et son esprit ! […] son esprit !

1550. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Un écrivain catholique de l’esprit le plus éclatant, M.  […] Renan partage, avec les esprits angéliques, le privilège d’être infatigable. […] Oreille tiraillée de vieux docteur sadducéen possédé de l’esprit de dispute et à moitié sourd. […] Elle a été prodigieusement absente et l’esprit religieux est resté au même vestiaire. […] L’ESPRIT MILITAIRE, VOILÀ L’ENNEMI !

1551. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Nous avons vu l’esprit des citations précédentes. […] Il s’absorbe dans les travaux les plus divers ; il fréquente les personnalités aux esprits les plus disparates. […] Faut-il ne voir dans ces descriptions que les jeux d’esprit d’un versificateur habile, séduit par le pittoresque oriental ? […] Les personnages parlants ou agissants ne sont pas les seuls qui gravent dans l’esprit du spectateur la fidèle empreinte des faits. […] Le réalisme, contrebalancé et contenu, n’a même présenté que ce résultat favorable de pondérer un esprit enclin à l’outrance.

1552. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » p. 119

Cet Auteur paroît avoir oublié son propre esprit, pour ne s’occuper que de l’esprit des autres ; il n’a jamais donné que des Esprits étrangers, celui de St.

1553. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Il n’y a pas en France d’autre esprit parisien que l’esprit français. […] Le talent public est en danger parce qu’on veut le remplacer par l’esprit et que l’esprit ne remplace rien. L’esprit parisien ! […] On ne vit qu’avec l’esprit, on n’écrit plus qu’avec de l’esprit. […] Vous accordez trop à l’esprit, à la combinaison.

1554. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Le Père Bouhours publie ses Dialogues sur la manière de bien penser dans les ouvrages de l’esprit. […] Des préoccupations nouvelles commencent de hanter les esprits. […] Il eût encore mieux parlé, s’il eût dit qu’on y met plus de brillant ou de clinquant que d’esprit. […] Le Sage a de l’esprit, beaucoup d’esprit, et il a fait de bonnes humanités, dont il aime à faire un peu parade. […] C’est pourquoi cette pensée d’une part, et de l’autre cette langue, deviennent la plus ressemblante image qu’il y ait de l’esprit français, si cet esprit, comme nous avons tâché de le montrer, est surtout un esprit de « sociabilité ».

1555. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pottecher, Maurice (1867-1960) »

. — La Peine de l’Esprit, drame philosophique (1891). — Le Chemin du Mensonge, légendes, nouvelles et contes (1896, réédité 1898). — Le Diable marchand de goutte, pièce en trois actes (1895). — Morteville, drame en trois actes (1896). — Le Sotrè de Noël, farce rustique en trois actes, en collaboration avec Richard Auvray (1897). — Liberté, drame en trois parties. — Le Lundi de la Pentecôte, comédie en un acte (1898). — Chacun cherche son trésor, comédie en trois actes, en vers et en prose, musique de Lucien Michelot (1899). — Le Théâtre du Peuple, renaissance et destinée du théâtre populaire (1899). — L’Exil d’Aristide, conte (1899). — Le Chemin du repos, poèmes (1890-1900) [1900]. […] Émile Faguet C’est un poème encore, quoique écrit presque entièrement en prose, que la Peine de l’esprit, par M.  […] La Peine de l’esprit, c’est notre histoire à tous, l’histoire de l’homme entre les séductions de l’idéal et les attractions de la réalité. […] Henry Gauthier-Villars La Peine de l’esprit raconte le tourment d’un Faust contemporain, et c’est un bonheur que le mal du Rêve soit incurable.

1556. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 527-532

Un ton noble & mesuré dans l’exorde, des gradations bien amenées dans le cours du discours, une chaleur qui naît de la force des raisons, des réflexions vives & pénétrantes, un pathétique qui acheve, dans la péroraison, de subjuguer le cœur, après avoir captivé l’esprit, sont des ressorts qu’il manie toujours avec un succès, fruit du génie, de l’art de le modérer & de lui donner l’essor à propos. […] S’appliquer de bonne heure à la lecture des Historiens & des Philosophes, pour apprendre des premiers l’origine & l’usage des loix, des seconds, la maniere de penser & de raisonner ; tels furent les moyens qu’il jugea propres à le mettre en état de fournir une carriere où l’esprit ne sauroit se soutenir lui seul. […] L’esprit frivole de notre siecle y regne comme par-tout ailleurs. […] Ce n’est pas certainement ainsi qu’auroient répondu nos petits esprits si pleins d’eux-mêmes, eux qui croient tout tenir de leur propre fonds, & qui ne peuvent réellement s’approprier que le ridicule de leurs prétentions.

1557. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 532-537

Les Philosophes ont bien pu tenter de le décrier dans le Public, parce qu’il a dédaigné leurs suffrages & s’est élevé contre leur cabale ; ils ont pu, au mépris de la tolérance & de l’honnêteté qu’ils ne cessent de recommander, l’accabler de leurs Brochures ; M. de Voltaire, entre autres, a pu venir à bout, par ses Diatribes quelquefois plaisantes & souvent abjectes, d en imposer aux Beaux-Esprits de Province & aux petits Esprits de la Capitale ; il n’en sera pas moins vrai que M. de Pompignan est un de ces hommes qui font le plus d’honneur à notre Littérature, par leurs talens & par leurs mœurs. […] Tels on vit les Romains, dans leurs jours lumineux, Du second des Césars dégrader l’âge heureux, Ensevelir Horace & déterrer Lucile, Préférer la Pharsale aux beaux Vers de Virgile, Vanter l’esprit guindé du Maître de Néron, Et bâiller sans pudeur en lisant Cicéron. […] Racine le fils, sur les Tragédies de son pere ; sa Traduction des Dialogues de Lucien, celle des Tragédies d’Eschyle sur-tout, sont autant de travaux qui déposeront en faveur de son génie, de son savoir, de ses lumieres, de son zele pour le progrès des Arts, contre les esprits jaloux qui l’ont attaqué sans le valoir ; contre les esprits superficiels qui l’ont jugé sans le connoître ; contre les Philosophes qui l’ont décrié sans pouvoir lui nuire ; ils prouveront encore, avec ses autres Ouvrages, l’énorme différence qu’il y a entre l’Honnête homme qui sait faire un noble usage de ses talens, & l’Ecrivain dangereux qui en abuse pour dépriser ceux de ses Rivaux.

1558. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Le père Bouhours, et Barbier d’Aucour. » pp. 290-296

Cette critique est à la fois l’ouvrage de l’esprit & du goût, & celui d’un mouvement de vengeance contre les jésuites. […] Il mit le comble à sa gloire, par la manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit ; livre très-utile aux jeunes gens, pour leur former le goût, & leur apprendre à fuir l’enflure, l’obscurité, les pensées fausses & recherchées. […] Tout ce qu’on peut exiger d’un observateur rigide & judicieux s’y trouve réuni, esprit de sagacité, finesse de goût, jugement sûr, nuances saisies avec force & clarté, très-bonne plaisanterie. […] Si l’on veut de l’esprit, de l’élégance, de l’agrément, on en trouvera beaucoup dans cette apologie : mais elle manque de justesse & de raisonnement.

1559. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IX. Application des principes établis dans les chapitres précédents. Caractère de Satan. »

Il t’apporte un esprit que ni temps ni lieux ne changeront jamais… Du moins ici nous serons libres, ici nous régnerons : régner même aux enfers, est digne de mon ambition75. » Quelle manière de prendre possession des gouffres de l’enfer ! […] Quelle honte pour moi devant les esprits de l’abîme ! […] Quiconque a quelque critique et un bon sens pour l’histoire, pourra reconnaître que Milton a fait entrer dans le caractère de son Satan les perversités de ces hommes qui, vers le commencement du dix-septième siècle, couvrirent l’Angleterre de deuil : on y sent la même obstination, le même enthousiasme, le même orgueil, le même esprit de rébellion et d’indépendance ; on retrouve dans le monarque infernal ces fameux niveleurs qui, se séparant de la religion de leur pays, avaient secoué le joug de tout gouvernement légitime, et s’étaient révoltés à la fois contre Dieu et contre les hommes. Milton lui-même avait partagé cet esprit de perdition ; et, pour imaginer un Satan aussi détestable, il fallait que le poète en eût vu l’image dans ces réprouvés, qui firent si longtemps de leur patrie le vrai séjour des démons.

1560. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Alcide Dusolier »

Son livre atteste une sensibilité littéraire des plus rares et qui n’a peut-être pas longtemps à attendre pour devenir exquise, et une justesse de sens très ferme, sous tous les sourires de l’esprit. Avec de pareilles qualités, le critique existe déjà, — mais il ne sera tout à fait venu que quand Dusolier y ajoutera ces principes sans lesquels la critique n’est jamais que les préférences de l’esprit d’un monsieur quelconque, plus ou moins bien doué… Le critique qui doit juger les autres ne peut avoir de scepticisme, car la première qualité du juge, c’est la plus inébranlable certitude qu’il est dans le droit. […] Il y a, dans les Propos littéraires et pittoresques d’Alcide Dusolier26, trois sortes d’esprits, dont j’augure fort bien, et qui, plus tard, donneront des œuvres. […] mais des originalités d’un homme ayant son indépendance et sa manière de voir, — très lisible, au fond, à travers son ironie rieuse, — ce qu’il est présentement et ce qui ne changera pas, c’est un esprit qui a horreur de la vulgarité, du bourgeois, du mesquin, de toutes les choses qui règnent en ce monde.

1561. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — I »

Je me déclare incapable d’exprimer avec convenance l’admiration que m’inspire cette incomparable imagination philosophique, et surtout de retracer avec l’ordonnance nécessaire le développement de cet esprit volontaire qui voua un culte si fiévreux à la logique.‌ […] Après avoir satisfait les esprits les plus novateurs, après avoir été celui de qui s’autorisaient les contempteurs de la vieille morale, de la vieille religion, de la vieille société, après avoir passé pour un « révolutionnaire », M.  […] Les sectaires, et même beaucoup d’esprits modernes, mais simplistes, y voulurent voir une défection. […] Et de là son horreur pour ce qu’il a appelé l’esprit jacobin, pour la prétention d’imposer un état de choses à un peuple avant qu’il y fût parvenu naturellement.

1562. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

Et à supposer qu’il faille distinguer, en chacun de nous, l’esprit et le corps, on ne peut rien connaître ni du corps, ni de l’esprit, ni du rapport qu’ils soutiennent entre eux. […] Par là on éliminerait de la matière toute virtualité, toute puissance cachée, et les phénomènes de l’esprit auraient une réalité indépendante. […] Si donc l’esprit est une réalité, c’est ici, dans le phénomène de la mémoire, que nous devons le toucher expérimentalement. […] Mais par là même s’éclaircirait peut-être en partie la nature de ce qu’on appelle l’esprit, et la possibilité pour l’esprit et la matière d’agir l’un sur l’autre. […] Et c’est au cas où nous trouverions dans cette étude la confirmation de notre hypothèse que nous n’hésiterions pas à aller plus loin, à envisager en lui-même le travail élémentaire de l’esprit, et à compléter ainsi la théorie que nous aurons esquissée des rapports de l’esprit avec la matière.

1563. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Thiers historien aborde un ordre de choses, un régime social tout différent, et chaque fois il est tellement entré dans l’esprit de chaque régime qu’il a semblé en être un historien spécial et presque partial, tandis qu’il n’en était qu’un interprète et un explicateur souverainement intelligent. […] Esprit marseillais et grec, du plus fin et du plus léger, il excelle à sentir le génie des temps. […] Je veux pourtant donner cette page où respire l’esprit nouveau à sa naissance, où s’élève comme le premier souffle de cet air public qui va circuler et se développer durant plus de trente ans avec toutes les variations de sérénité et de tempête. […] C’était dans l’émigration la portion instruite, acceptant la Charte par nécessité, mais ayant pour les choses de l’esprit un goût aussi ancien que la noblesse française ; c’étaient, parmi les amis de la liberté, des hommes nouveaux, acceptant les Bourbons comme les autres la Charte, par nécessité, mais très disposés à recevoir la liberté de leurs mains, et résolus à leur être fidèles s’ils étaient sincères ; c’étaient, dans les partis mécontents, les révolutionnaires, les militaires, les partisans de l’Empire, se déguisant en amis de la liberté, et le devenant sans s’en apercevoir. […] le temps de le satisfaire… Il fallait désormais d’autres tableaux à son patriotisme et à son esprit.

1564. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Virgile et Constantin le Grand par M. J.-P. Rossignol. »

« A mesure qu’on a plus d’esprit ; a dit Pascal, on trouve qu’il y a plus d’hommes originaux. » A mesure qu’on a plus de science et de sagacité dans l’érudition, on trouve qu’il y a plus de questions à se faire, et, là où un autre aurait passé outre sans se douter qu’il y a lieu à difficulté, on insiste, on creuse, et parfois on fait jaillir une source imprévue. […] Dès le second siècle du Christianisme, des esprits plus fervents qu’éclairés se complurent à cette confusion bizarre qui, au moyen de quelques centons alambiqués, à la faveur même de misérables acrostiches, mariait ensemble les deux cultes, et contre laquelle devait tonner saint Jérôme. […] Rossignol ; la fureur de ces jeux d’esprit redoublera, entretenue par la superstition et le faux goût ; et l’écrivain sur qui ce zèle extravagant s’exercera de prédilection, c’est Virgile. » Le critique suit dans tout son cours la nouvelle destinée que fit au poëte l’illusion superstitieuse. […] Esprit tout à fait français pour la netteté et la fermeté, M.  […] J’ai oublié de dire que le volume est dédié à M. le comte Arthur Beugnot ; il y a des noms qui portent avec eux des garanties de bon esprit, de critique exacte et saine, exempte de toute déclamation.

1565. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

Fiévée fidèle à son rôle d’infatigable observateur politique ; le voilà après ces brusques événements qui ont ébranlé bien des esprits réputés solides, et déconcerté quelques rares intelligences ; le voilà avec la même netteté de vue, la même finesse pénétrante que devant ; toujours oblique, prenant les questions de côté avec des solutions détournées, imprévues, mais vraies ; d’une ironie mordante quoique un peu froide ; paradoxal et positif ; logique au fond et décousu dans la forme ; faisant volontiers aboutir une idée générale à une anecdote qu’il aiguise ; visant au bon sens, aux chiffres, et malgré cela, spirituel par moments jusqu’à la subtilité. […] Fiévée ; mais au fond il est essentiellement logique ; il pénètre dans les choses, et durant sa vie politique, déjà longue et passablement variée, il a eu occasion de faire en si grand nombre d’observations de détail fines et vraies, qu’en les rejoignait sans effort, il saisit parfaitement aujourd’hui l’ensemble et l’esprit de la révolution qui vient de s’achever. […] Son esprit est progressif. […] La royauté s’est perdue dans les esprits par son isolement, et c’est par un enfant qu’on espère lui rendre de l’ascendant ! […] Sainte-Beuve signale en ces termes son ancien article que nous allons reproduire : « Comme il m’est arrivé de parler bien des fois des mêmes hommes et que c’est par suite de ce commerce réitéré que je me hasarde ainsi à les juger en définitive, j’indiquerai encore quelques lignes de moi sur la nature de talent et d’esprit de M. 

1566. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XII. Mme la Princesse de Belgiojoso »

Grand sujet de curiosité pour les utopistes de tous les genres, — et, dans ce temps-là, le catholicisme n’en manquait pas, — une révolution à Rome, une révolution qui allait, croyait-elle, jeter la barque de saint Pierre dans les aventures, fit lever et rallia, comme le coup de trompette du Josaphat des vivants, tous les fous superbes de l’univers, tous les bohèmes de la fortune, de l’esprit et de la beauté pour les rasseoir, il est vrai, un peu rudement, quand la machine chargée par Lamennais, Gioberti et tant d’autres, éclata, mais montrant, à travers ses débris, Rossi poignardé, le Pape en fuite et Mazzini régnant dans Rome assiégée. […] L’esprit et la science peuvent n’en pas tenir un grand compte, mais toute âme vivante et mourante encore plus, comprendra qu’il y a ici un charme secret, une intime originalité. […] Cette cosmopolite qui n’est bien nulle part, pas même dans cette Asie, ce climat-palais où elle s’est retirée, cette cosmopolite qui n’est plus folle du Cosmos maintenant, et qui souffre de cette goutte d’infini que nous avons tous dans la poitrine et que tout un monde ne contiendrait pas, oublierait l’Europe sans les contrastes qui la lui rappellent ; et proscrite de tout, même de la sphère de l’esprit, dans son livre, s’y résigne avec une facilité plus rare et plus charmante que l’esprit même, tant celui qu’elle avait autrefois, elle y vise peu maintenant, et l’a peut-être, en Europe, oublié ! Et veut-on la preuve de ce renoncement au rôle littéraire, à la recherche de l’esprit, à la vue du penseur, l’ambition actuelle de tant de bandeaux qui feraient bien mieux de se lisser, prenez la plus grosse question qui soit dans ce livre sur l’Asie Mineure et sur la Syrie. […] L’humanité, depuis qu’elle existe, a toujours roulé entre trois systèmes et l’esprit humain n’en conçoit pas un quatrième : la polyandrie, le plus mauvais de tous, car il crée l’amazonat sous toutes les formes, le massacre des enfants et la pulvérisation sociale ; la polygamie, qui ruinerait l’État, si le sabre de Mahomet n’y mettait ordre, et enfin la monogamie, ce diamant divin d’une eau si pure, qui est l’exclusion de tous les inconvénients, qui agrandit la tête, épure le cœur et équilibre toutes les facultés.

1567. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet »

Avec les besoins de plus en plus marqués de précision et d’exactitude qui tendent à devenir le fond même de l’esprit moderne, l’historien, pour bien comprendre l’histoire et la ressusciter en la peignant, doit vivre là où elle a vécu et s’est faite. […] Sans beaucoup de peine et d’efforts, et en restant dans les travaux de toute sa vie, il pouvait conquérir littérairement le nom d’Asiatique et se faire une gloire éclatante et facile, à une époque où l’esprit d’aberration philosophique qui mène le monde s’est engoué de l’Asie, et poétiquement, scientifiquement, politiquement, — de toutes les manières enfin, — en a monstrueusement exagéré la grandeur. […] L’abbé Huc, dont les yeux sont froids et dont l’esprit, fait pour l’histoire, n’a aucune des illusions du prosélytisme, ne laisse sur ce point aucun doute. […] III Le livre de l’abbé Huc, qui ne parle que du passé du Christianisme à la Chine, n’avait point à indiquer ces choses ; mais il les soulève fatalement dans l’esprit du lecteur, selon cette parole, vraie pour le coup, d’un esprit célèbre, qui fut trop souvent dans le faux : « Le passé est gros de l’avenir. » Nous le répétons, ce qui nous a frappé et comme accablé dans la lecture de ces deux volumes, c’est la grandeur de la vie et de la mort des missionnaires, ces héros de l’Église romaine ; c’est aussi la grandeur des moyens employés par eux pour fonder quelque chose de vaste et de solide, et cependant la petitesse des résultats qu’ils ont obtenus ! […] Quand un homme de génie comme le Père Ricci subjuguait l’esprit curieux d’un empereur chinois et se l’asservissait par l’admiration, tout allait bien dans les chrétientés le temps que cela durait, mais tout dépendait de la vie d’un homme.

1568. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

L’histoire est pleine de favoritismes de tous les genres… On sait comment Alberoni s’y prit pour se concilier la faveur du duc de Vendôme, mais sans être immonde comme cet homme d’esprit, un sot, oui ! […] II Et c’étaient cependant de mâles esprits, et on le voit même dans cette Correspondance de si peu d’intérêt par elle-même et qui n’apprend rien à l’Histoire ! Mais ces mâles esprits faisaient une fonction dans laquelle la personnalité, quand on en a, expire et s’efface. […] Et encore, Byron et nous, nous n’y avons perdu, lui, que du génie, dont il y a assez dans ses œuvres pour lui faire une gloire immortelle, et nous, que des plaisirs, chers à l’épicuréisme de nos esprits. […] … de la grandeur intégrale de leur moralité et de leur esprit.

1569. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

Prescott, malgré l’autorité de ses traducteurs et de ses éditeurs, payés pour le trouver un grand esprit, n’est, en somme, qu’un historien de peu de portée. […] C’est un esprit moderne, qui a remplacé toutes les religions par la religion de la civilisation, dont le Dieu est l’homme. […] Prescott a dans l’esprit une fermeté qui lui permet de rester calme dans un sujet déconcertant pour les esprits faibles et les imaginations sensibles, et qui leur campe des convulsions. […] Cette difficile histoire ne peut être écrite que par un esprit à la Joseph de Maistre, et nous l’attendrons peut-être bien longtemps encore. Mais l’histoire de Prescott disposera les esprits hostiles et rebelles à cette grande et future histoire, qui les fera taire et qui les contraindra à admirer.

1570. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

Esprits, du reste, tous les deux, qui sont des exemples et qui nous font dire, — et ce serait avec désespoir, si nous croyions à cette grande vanité de la philosophie, — qu’il n’y aura pas de gloire qui s’appelle en France, au dix-neuvième siècle, la gloire philosophique ! […] Si, selon lui, le Dieu philosophique n’est pas compréhensible même aux plus grands génies philosophiques, et si le Dieu de la révélation n’est pas digne d’occuper ces immenses esprits qui ne peuvent établir le leur par le raisonnement, eh bien ! […] Si cette idée était nouvelle, peut-être faudrait-il l’exposer dans ses menus détails, car toute nouveauté pour les esprits faibles est un charme, mais elle est décrépite, et M.  […] Elle ne brise pas non plus, sous une difficulté épaisse et accablante, l’esprit qui aime la clarté dans un petit espace. […] L’ennui n’est pas une garantie, et n’avoir pas de talent du tout en voulant qu’il n’y ait plus du tout de religion, est un moyen d’agir sur la reconnaissance des hommes, et c’est la seule chose d’esprit peut-être dont on puisse, dans son système, louer M. 

1571. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Il n’a pas craint de se placer aussi près de l’esprit que du cœur, aussi près des choses contemporaines que de celles de l’éternité en parlant à celui que nous pouvons appeler l’Homme du Temps. […] Les événements qui se sont accomplis dans le monde moderne ont été si puissants et si terribles, les esprits et les âmes ont été remués à de telles profondeurs que le prêtre lui-même, le prêtre qui vit dans un écart sublime et dans l’impassible lumière du sanctuaire, en a ressenti le contrecoup. […] Gratry, un des esprits les plus aptes à la lutte, dans la grande bataille philosophique qui n’est pas finie. […] Ventura avait pour la Critique l’intérêt d’un esprit de l’ordre le plus élevé qui, jusque-là, s’était illustré dans de très puissantes polémiques, mais que l’événement et le choix de l’Empereur mettaient en demeure de se montrer fécond et net dans sa fécondité et de dire enfin le mot suprême que, sur toutes les questions, le christianisme, s’il rencontre un homme de génie, n’a jamais manqué de prononcer ! […] Ventura, il n’y a véritablement pas là d’inspiration réelle et efficace dont on puisse affirmer que ceci n’est pas le bien de tous, la généralité catholique dans son ampleur flottante et détachée, mais la propriété exclusive et positive d’un esprit meilleur que les autres, parce que le christianisme l’a plus profondément éclairé !

1572. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Or, grâce à Dieu et à son excellent esprit, Francis Lacombe n’est pas un économiste. […] Chaque jurande, pour être individuellement constituée, n’en participait pas moins dans la sphère de son activité au mouvement de progression universelle… » L’esprit qui animait cette organisation était cet esprit catholique qui fit la force du Moyen Âge, et qui refera la nôtre quand il recommencera de souffler en nous. […] Pourquoi donc n’essaierait-on pas d’adapter à notre époque une institution de liberté, mais de liberté organisée, qui se recommande aux hommes de sens jusque par sa ruine ; car elle est due à l’esprit faux des économistes ? […] Profondément catholique, préservé par une étude supérieure de l’abaissement général des esprits, l’auteur de l’Organisation générale du travail ne devait-il pas nettement repousser, au nom même de la transmission du sang humain, au nom de la famille et de la propriété, les théories de ces penseurs qui agitent le monde à cette heure avec leurs chimères, et qui croyaient le féconder ? […] Le spectacle qu’il offre à l’esprit, c’est le mouvement continu et en avant.

1573. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Il est des badauds ou des railleurs qui appellent cela donner une idée de la marche de l’esprit humain. […] Ce n’est pas cependant littérairement un Masséna ni rien qui y ressemble, un de ces esprits obligés à se battre en lion pour conquérir dans la littérature une place d’où l’on ne descend plus. […] Il a publié un volume qu’il intitule, avec assez de fatuité : Poésies complètes 18, et dans lequel l’esprit de l’auteur et ses forces vives se sentent mieux. […] … Telle est la question que nous ne craignons pas de poser devant sa jeune gloire… Comme les diverses manifestations de l’esprit n’en changent jamais la nature, la place d’Augier dans la poésie lyrique et élégiaque nous semble devoir être identiquement la même que dans la poésie dramatique, — moins les retentissements d’un succès, toujours plus sonores à la scène qu’ailleurs ! […] L’imitation fatale ou libre, mais l’imitation, qui est la débilité de l’esprit poétique, et pourtant une des qualités de sa faiblesse, place ce volume à côté de ceux d’Émile Augier et de Louis Bouilhet, et ce qui l’en sépare n’est que la différence des poètes qu’ils imitent.

1574. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Il est de ces esprits qui ont le bénéfice d’avoir duré sans avoir le mal d’avoir vieilli. […] Mais il y a plus heureux qu’Achille, et ce sont ces esprits qui auront pu vivre longtemps sans paraître pour cela moins jeunes aux yeux de la Postérité. Virgile est de ces esprits parmi les anciens, et parmi nous, modernes, M. de Vigny. […] C’est un observateur, c’est un moraliste, c’est un inventeur à tout autre titre qu’au titre de poète, c’est un historien, c’est un romancier, c’est enfin un de ces esprits marqués du caractère essentiellement moderne, qui ont fait vibrer sous leur main un grand nombre de faits, de sentiments et d’idées, et chez qui l’imagination est devenue encyclopédique comme la mémoire. […] C’est le sublime de la bonté conçue, presque égal à celui de la bonté de l’action… Seulement, comme un palais qui serait taillé dans une perle, il faut voir les détails de cette création inexprimable à tout autre qu’au poète qui a su en faire trois chants, qu’on n’oubliera plus tant qu’il y aura un cœur tendre et un esprit poétique dans l’univers, mais qui n’en sont pas moins trop purs et trop beaux pour cette grossièreté de lumière, de bruit et d’éclat qu’on appelle la Gloire !

1575. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Banville. Les Odes funambulesques. »

Avec son volume d’aujourd’hui, il a prouvé que la notion des livres bien faits existait encore dans certains esprits, malgré le train et l’effacé du siècle, et que l’éditeur, après l’écrivain, après le poète, pouvait être un habile artiste à son tour. […] Jannet, — lequel, par parenthèse, respecte sa fonction d’éditeur et la fait respecter, — nous n’avons guère, en fait de livres, que des choses laides et fragiles, contre lesquelles la Critique, au nom même de l’esprit, doit s’élever avec vigilance. […] La vérité étant toujours dans un extrême (l’extrême opposé à l’erreur), les esprits à outrance, quand ils ne sont pas dans la vérité, sont si bien dans l’erreur qu’on les y voit tout de suite et qu’il est impossible de s’y tromper ! […] La sienne, à lui, est, obscure et secrète comme un chiffre qui n’a point de clef ; trente personnes peut-être dans Paris ont le sens de cette gaîté logogriphique, mais, à partir de la banlieue, tous les hommes d’esprit de la terre peuvent se mettre à plusieurs pour comprendre, ils ne seront pas plus heureux que les bourgeois de Hambourg qui se cotisaient pour entendre les mots de Rivarol ! […] Mais sous ce morceau de paillon que l’auteur des Odes funambulesques attache à l’épaule de sa Muse, il y a bien plus important qu’un poète, fût-il charmant dans le passé et eût-il pu devenir grand dans l’avenir : il y a la poésie, — la poésie telle qu’elle est acceptée, saluée et malheureusement comprise par beaucoup d’esprits de ce temps.

1576. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Que ce soit par un fait d’organisation ou de prudence, il est des esprits qui ont des ailes à contre-sens, et qui au lieu d’être attirés vers les choses grandes, élevées, poétiques, descendent, croyant monter, vers les choses mesquines, prosaïques ou abjectes, s’imaginant, comme je l’ai dit déjà, que tout est plus vrai dans la vie à proportion que tout est moins beau. […] On peut y reconnaître la dernière lie de cet esprit gaulois, déjà entaché de grossièreté vulgaire dans son plus beau temps, de cet esprit sensé et ironique qui s’étend, croit-il, à la pratique de la vie, et dont Molière fut la coupe pleine et Béranger la dernière gouttelette, car La Fontaine eut beau être Gaulois, il aima l’idéal, le divin bonhomme, et plus que Louis Tieck, il a du bleu autour de la pensée. Seulement, si cet esprit gaulois, qui n’est pas le premier, allez ! […] toute la vigueur d’esprit de M.  […] Certainement, dans l’état actuel de leurs deux esprits, l’auteur de Madame Bovary est supérieur de facultés à l’auteur du Malheur d’Henriette Gérard, et il le serait encore par cela seul qu’il a vécu davantage, mais ils se ressemblent même par leurs défauts.

1577. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Les territoires bornés dans lesquels se resserrent les aristocraties pour la facilité du gouvernement, sont étendus par l’esprit conquérant de la démocratie ; puis viennent les monarchies, qui sont plus belles et plus magnifiques à proportion de leur grandeur. […] Par un effet du même esprit, toutes les personnes qui paraissaient au forum, étaient distinguées par des masques ou emblèmes particuliers (personæ). […] S’il est certain qu’il y eut des lois avant qu’il existât des philosophes, on doit en inférer que le spectacle des citoyens d’Athènes s’unissant par l’acte de la législation dans l’idée d’un intérêt égal qui fût commun à tous, aida Socrate à former les genres intelligibles, ou les universaux abstraits, au moyen de l’induction, opération de l’esprit qui recueille les particularités uniformes capables de composer un genre sous le rapport de leur uniformité. Ensuite Platon remarqua que, dans ces assemblées, les esprits des individus, passionnés chacun pour son intérêt, se réunissaient dans l’idée non passionnée de l’utilité commune. […] C’est ainsi qu’il en vint à méditer les idées intelligibles et parfaites des esprits (idées distinctes de ces esprits, et qui ne peuvent se trouver qu’en Dieu même), et s’éleva jusqu’à la conception du héros de la philosophie, qui commande avec plaisir aux passions.

1578. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Un esprit peut toujours s’arrêter à mi-chemin de sa pensée. […] Je vois en esprit les quatre ou cinq livres qu’il eût composés ainsi. […] Ils ont, l’un et l’autre, trop d’esprit, de cet esprit agile, lucide et désabusé que nulle extase n’étourdit, que nulle douleur ne paralyse. […] La science de l’esprit a une formule très précise pour cet état singulier. […] Ne croyez pas que ce Henri Heine n’ait pas autant d’esprit que l’autre, seulement c’est de l’esprit trempé de larmes et baigné de rêve.

1579. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

L’analyse des idées et des faits se complique, tandis que se complique dans l’esprit le nombre même des idées et des faits. […] A des esprits préparés sa doctrine fut le geste décisif : la France et le monde n’ont plus entièrement cessé, depuis, être cartésiens. […] L’âme crée ses idées : les idées résultent des volitions, et les volitions des motifs de plaisir qui dominent dans l’esprit. […] La conception, comme toujours, est superbe s la rencontre de deux jeunes esprits princiers, qui renoncent la sagesse pour l’or, et l’or pour l’amour. […] Les termes ne sont plus des images, dans notre esprit, mais suggèrent, au plus, de lointains fantômes d’images.

1580. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Pourtant, comme il avait au fond l’esprit pratique, il ne fut pas sans reconnaître que ces soins d’intérêt, de fortune et d’avancement, qui étaient tout aux yeux de la plupart, avaient aussi quelque fondement, et qu’il ne s’agissait que de les mettre à leur place, de les réduire à leur valeur. […] Mon esprit s’était fixé sur des principes absolus ; et, quand je fus dans l’Assemblée nationale, j’en poursuivis toutes les conséquences, j’en voulus toutes les applications, avec toute la rigidité d’une logique opiniâtre, qui est, je crois, une des qualités de mon esprit, et peut-être avec la roideur qui est dans mon caractère… L’année précédente (1787), il avait publié un écrit d’un intérêt plus local, ce semble, mais d’une importance toute française, concernant Le Reculement des barrières. […] En écrivant cela, il prévoyait déjà ce que de faux esprits et de prestigieux talents devaient en faire. […] Nous le verrons sortir de sa retraite tout à fait mûri, dévoué à la restauration de l’esprit public et de l’ordre social, sans abjuration de rien d’essentiel. […] Je laisse à d’autres le soin de résoudre cette petite difficulté que j’indique par esprit de scrupule.

1581. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Il se montre toutefois plus tolérant pour les systèmes élevés qu’il n’est ordinaire aux sceptiques et aux empiriques ; dans ces divers systèmes imaginés par les Leibniz, les Malebranche et autres, il n’en est aucun qui n’ait des obscurités et qui n’implique contradiction dans certains endroits : Toutefois, dit Frédéric, il est agréable de connaître et de suivre toutes les routes que l’esprit humain s’est frayées pour parvenir à des vérités qu’il n’a pu découvrir. […] On ne saurait, certes, traiter un lieu commun avec plus de nouveauté et le relever avec plus d’esprit. […] Il avait l’esprit plus orné que ne l’ont la plupart des gens du monde ; enfin, mon cher frère, je voyais en lui un prince qui soutiendrait la gloire de la maison. […] Cet amour-propre chatouilleux qu’il avait pour lui l’avertissait de ce qu’il fallait ménager et toucher à point chez les autres ; il était poli, il était adroit et insinuant ; il était coquet d’esprit ; il savait plaire. […] [1re éd.] « Le système merveilleux répugne à la simplicité de mon esprit »

1582. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Il faut cependant, pour vivre avec tous ces gens-là, un grand fonds de connaissances qui ne satisfont ni le cœur ni l’esprit, et qui prennent tout le temps de la jeunesse. […] avez-vous oublié qu’il est un pays où vous trouveriez les mêmes plaisirs avec plus de variété, sans quitter le soin de votre fortune, ni celui de cultiver votre esprit, et sans séparer, comme vous faites, les objets de vos passions ? […] — Est-ce qu’il n’y en a pas ailleurs, qui, avec autant de beauté, ont plus de délicatesse, plus de monde, plus de tour, plus de raffinement dans l’esprit, et dont le commerce vous serait aussi avantageux qu’agréable ? […] décidez-vous ; vous avez trop d’esprit pour tuer le temps. […] Vauvenargues, causant avec Saint-Vincens, était sans doute plus à l’aise pour certaines délicatesses du cœur ; mais, une fois la glace brisée avec Mirabeau, c’est encore avec celui-ci qu’il osera en dire davantage sur toutes les choses de l’esprit et des passions, sur les idées et sur la vie.

1583. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

La Beaumelle répliqua par un petit volume de lettres, qui sont, de l’aveu du même La Harpe, le meilleur ouvrage polémique qu’on ait jamais publié contre Voltaire : « Elles sont pleines d’esprit et de sel. […] La Beaumelle convient de tous les avantages de M. de Voltaire, et il attaque très malignement les faiblesses et les travers dont il n’y a point de grand homme qui ne soit susceptible, mais qui, présentés par une main ennemie, forment un tableau de ridicule. » Il ne lui conteste point que ses ouvrages ne soient d’un très bel esprit, il s’attache à y relever les traits de petit esprit. « Naître avec de l’esprit, dit-il quelque part, c’est naître avec de beaux yeux. […] Il est gâté, nous le verrons, par quelque vice d’esprit. […] Toutefois il y a aussi, par endroits, bien de l’esprit dans l’altération, et les plus avisés, s’ils n’étaient prévenus, pourraient s’y laisser prendre, et dire à quelques passages : « Voyez comme ce Frédéric pense noblement, royalement !  […] Ce ne sont point là des supercheries innocentes, et l’on ne saurait y voir de simples jeux de l’esprit.

1584. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Sans doute, depuis Adrienne Le Couvreur, les comédiennes d’esprit et de talent avaient fait un pas et avaient conquis un point essentiel dans la considération : elles voyaient ce qu’il y avait de mieux en hommes ; mais les femmes ne les voyaient pas. […] Cinq ans après, en 1827-1828, lorsqu’une nouvelle troupe anglaise revint à la charge pour représenter Shakspeare, un grand progrès s’était accompli dans l’intervalle chez les esprits cultivés ; les idées du journal le Globe avaient fait leur chemin dans la jeunesse. […] Il y a de l’esprit de reste en France, mais la vraie sensibilité y est beaucoup plus rare, et c’est là un de vos domaines. […] Tel était alors le suffrage des bons esprits classiques, et je n’en fais pas fi quand il est à sa place et en son lieu. […] Tu sais que nous avons eu les missionnaires, et le mauvais esprit de parti qui cherche toujours quelque prétexte pour faire du tapage s’est assemblé devant les églises pour crier : À bas les prêtres !

1585. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Ici, dans ces Œuvres, c’est l’homme au contraire qu’on saisit, c’est la nature et la qualité de l’esprit encore plus que celle du talent, c’est la personne morale. […] Dès les premiers jours, il se fit remarquer dans l’Assemblée par la clarté et la netteté de son esprit et de sa parole, et il prit rang avec faveur. […] Une circonstance assez frappante dut agir sur son esprit dès l’enfance. […] Mais, là encore, l’habitude de son esprit se décèle dans sa tournure grave. […] Combien d’esprit dans les individus, combien de courage dans la masse ; mais combien peu de caractère réel, de force calme, et surtout de véritable vertu !

1586. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Il en développa d’autant plus sa faculté de tout voir par les yeux de l’esprit, de tout se figurer par une contemplation attentive. […] On sait la réponse qu’il fit un jour au chimiste Guyton de Morveau, qui voulait passer au creuset un corps, pour s’assurer d’un fait que Buffon déduisait de la théorie : « Le meilleur creuset, c’est l’esprit », lui répondit Buffon. […] Son Esprit des lois paraissait en même temps que les premiers tomes de Buffon. […] après un travail d’un si grand nombre d’heures par jour, et une application si constante de l’esprit qui avait porté et soutenu tant de choses, il avait besoin de se détendre, et la parole allait alors en famille et entre amis comme elle pouvait. […] Un esprit riche de tant de connaissances et de tant d’idées ne pouvait être commun que par oubli50.

1587. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 465

Les Ouvrages de celui-ci sont pleins d’esprit & de légéreté, mais de cet esprit recherché, qui, bien loin de donner du prix aux bonnes choses, ne fait que les déprécier. […] L’esprit ne plaît qu’autant qu’il assaisonne la raison, sans chercher à se montrer.

1588. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

On ne comprend guère comment ce jeune homme, au lieu de débuter, comme nous débutons tous, par un excès d’enthousiasme, débute par un excès de licence d’esprit. […] Mais malheur aux célébrités qui éclatent par un scandale d’esprit ! […] L’esprit rapetisse tout, même le génie. […] Quel contre-sens qu’un corps qui jouit pendant que l’esprit agonise ? […] Sont-ce là tes soupirs, noir Esprit des ruines ?

1589. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Edgar Quinet, l’Esprit nouveau, Paris 1875. — V. […] Nul au moyen âge n’eut une vue plus claire de ce qui manquait à l’antiquité et une intuition plus nette des développemens futurs de l’esprit humain. […] Telle est sur ce point l’argumentation d’un esprit d’une rare vigueur, M.  […] Il a dû surtout s’inspirer de l’esprit général de la méthode hippocratique, qui est une méthode d’observation. […] Le dernier grand savant de l’antiquité classique, Galien, est tout pénétré de l’esprit aristotélicien.

1590. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

Et si les chefs révérés, si les guides dont la voix nous est connue se mettaient à nous délaisser avant le terme, s’ils se couchaient en travers du chemin en nous criant de faire halte et qu’au-delà tout est confusion et ténèbres, un tel spectacle serait assurément bien propre à jeter du trouble dans l’esprit même des plus ardents et à déconcerter les espérances. […] Dès les premiers mots, il était clair à tout le monde que M. de Lamartine possédait les plus beaux dons de l’esprit. […] Il a parlé des premières Méditations avec esprit, mais sécheresse. […] En somme, la nomination de M. de Lamartine est une précieuse conquête de l’opinion publique sur l’esprit de notre premier Corps littéraire. […] Une poignée d’hommes médiocres ou usés, libéraux à ce qu’on dit, mais obéissant à un triste esprit de rancune littéraire ou philosophique, et s’accordant fort bien dans leurs petites haines avec leurs adversaires religieux et politiques, seraient à la veille de laisser encore une fois le génie sur le seuil, pour s’attacher à je ne sais quel candidat bénin et banal qui fait des visites depuis quinze ans18.

1591. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

En philosophie, en littérature, en critique, elle modifia efficacement les esprits ; en politique proprement dite, elle fut moins ferme et d’une allure plus honnête qu’entraînante. […] Quant au jeune groupe dont nous voulons parler, et qui se comporta, sinon plus sagement, du moins avec plus d’esprit et de décence, le fait principal qui le concerne, c’est qu’il se dispersa à l’instant, et que l’ensemble des idées qui avaient l’air de se tenir pour un bon nombre d’années encore, s’éparpilla en un clin d’œil comme le plus vain des nuages. […] Les coups qu’il a portés, non pas au talent éminent de ces hommes, mais à l’influence prolongée, à l’importance absolue de leurs doctrines, n’ont pas été perdus pour beaucoup d’esprits et ont hâté le désabusement de plusieurs, en même temps que la vieille admiration des autres s’en est émue. […] Quand on entend les hommes renommés par l’étendue de leur savoir et de leur esprit épuiser les sophismes de la logique et mille fausses lueurs détournées de l’histoire, au service d’une négation cynique de tout progrès social, il y a plaisir à contempler un esprit ardent qui, l’œil sur un but magnifique et lointain, ne ménage aucune étude, aucune indication empruntée aux philosophies et aux révolutions du passé, pour diminuer l’intervalle qui reste à franchir, pour tenter d’ajouter une arche de plus à ce pont majestueux où l’humanité s’avance.

1592. (1890) L’avenir de la science « XIV »

L’Angleterre, d’ailleurs, ne réalise ces grandes choses que par l’association, c’est-à-dire par de petites sociétés dans la grande, et je trouve pour ma part l’organisation française, issue de notre Révolution, bien plus conforme à l’esprit moderne. […] Certains ordres religieux qui appliquaient à l’étude cette tranquillité d’esprit, l’un des meilleurs fruits de la vie monastique, réalisaient autrefois ces grands ateliers de travail scientifique, dont la disparition est profondément à regretter. […] Un million vaut un ou deux hommes de génie, en ce sens qu’avec un million bien employé on peut faire autant pour le progrès de l’esprit humain que feraient un ou deux hommes de premier ordre, réduits aux seules forces de l’esprit. […] L’homme spirituel ne vit jamais de l’esprit.

1593. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Comme tous les poètes qui méditent et qui superposent constamment leur esprit à l’univers, il laisserait rayonner, à travers toutes ses créations, poëmes ou drames, la splendeur de la création de Dieu. […] Et ce que ferait ainsi, dans l’ensemble de son œuvre, avec tous ses drames, avec toutes ses poésies, avec toutes ses pensées amoncelées, ce poëte, ce philosophe, cet esprit, ce serait, disons-le ici, la grande épopée mystérieuse dont nous avons tous chacun un chant en nous-mêmes, dont Milton a écrit le prologue et Byron l’épilogue : le Poëme de l’Homme. […] À chaque ouvrage nouveau qu’il met au jour, il soulève un coin du voile qui cache sa pensée et déjà peut-être les esprits attentifs aperçoivent-ils quelque unité dans cette collection d’œuvres au premier aspect isolées et divergentes. […] C’est cette enfance qui a fait son esprit ce qu’il est. […] L’esprit de l’homme a trois clefs qui ouvrent tout : le chiffre, la lettre, la note.

1594. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Il ne fit depuis qu’entretenir ce beau feu par tout ce qui nourrit & fortifie l’esprit des hommes, la lecture, la réflexion, les voyages, l’habitude d’écrire. […] Il avoit observé que son esprit produisoit dans une saison plus heureusement que dans une autre. […] Cet écrivain, naturellement audacieux & républicain, échauffé par l’esprit du temps & la fureur des guerres civiles, composa son livre sur le Droit des rois & des magistrats. […] Quoique tous les livres en faveur des parlementaires rebèles eussent été composés par des écrivains plus factieux encore, & que l’esprit seul qui dictoit ces ouvrages dût les rendre méprisables, ils ne laissoient pas de faire des impressions profondes dans les têtes même les mieux organisées. […] Buchanan, esprit altier, audacieux & plus républicain encore que Milton, avoit ébranlé, par d’horribles libèles, les fondemens de l’autorité royale.

1595. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Selon l’âge et les circonstances, ces trois mobiles varient et prennent dans l’esprit de l’auteur la première ou la dernière place ; mais ils n’en subsistent pas moins. […] Si l’on personnifie, en Voltaire, la Raison critique, indépendante, saine, la logique et l’ironie, l’esprit de réforme contenu dans le culte du goût, de tradition légitime et de nécessité, le respect de la langue, il deviendra facile d’identifier Rousseau à cet esprit de révolte, d’instinct brutal, de mépris pour la forme, de lyrisme hors de propos, d’orgueil maladroit qui semble nous dominer aujourd’hui. […] Jean Carrère s’écrie : « Peut-être que demain l’âme hellène, venue à nous par les flots qui baignent Marseille, réveillant au passage les mânes assoupis des vieux consuls d’Arles, et définitivement épanouie dans la maison blanche de Maillane, aux pieds du Parnasse resplendissant des Alpilles, va remplir de nouveau l’Europe rajeunie pour la plus grande joie du monde et le relèvement des nobles esprits » (Revue Encyclopédique, 31 juillet 1897). […] Ils sont assez nobles pour satisfaire tous les esprits libres.

1596. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Le mauvais goût, quand il est incorrigible, est une fausseté de jugement, un biais naturel dans les idées ; or, comme l’esprit agit sur le cœur, il est difficile que les voies du second soient droites, quand celles du premier ne le sont pas. […] Nécessairement encore l’incrédulité introduit l’esprit raisonneur, les définitions abstraites, le style scientifique, et avec lui le néologisme, choses mortelles au goût et à l’éloquence. […] Si l’homme religieux aime sa patrie, c’est que son esprit est simple, et que les sentiments naturels qui nous attachent aux champs de nos aïeux sont comme le fond et l’habitude de son cœur. […] Pour garder aussi bien les convenances, pour n’être jamais ni trop haut ni trop bas, il faut avoir soi-même beaucoup de mesure dans l’esprit et dans la conduite. […] L’Esprit des Lois et les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains, et de leur décadence, vivront aussi longtemps que la langue dans laquelle ils sont écrits.

1597. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Elle a été le tremplin d’où ce robuste esprit s’est élancé à une hauteur dont s’étonneront certainement ceux-là qui ne sont pas capables de la mesurer. […] Car c’est un esprit de feu, composé de foi et d’enthousiasme, que ce Léon Bloy inconnu, qui ne peut plus l’être longtemps après le livre qu’il vient de publier… Pour ma part, parmi les écrivains catholiques de l’heure présente, je ne connais personne de cette ardeur, de cette violence d’amour, de ce fanatisme pour la vérité. […] Dans une époque où le génie de la concession qui gouverne le monde va jusqu’à lâcher tout, un esprit de cet absolu et de cette rigueur a épouvanté ceux-là même qu’il aurait le mieux servis. […] Otez, en effet, par la pensée, la personnalité de Christophe Colomb de la synthèse du monde, que, seule, l’Église embrasse, et que seule elle explique, et il ne sera plus qu’un homme à la mesure de la grandeur humaine ; mais avec l’Église et faisant corps avec elle, il devient immédiatement le grand homme providentiel, le bras charnel et visible de Dieu, prévu dès l’origine du monde par les prophètes des premiers temps… Les raisons de cette situation miraculeuse dans l’économie de la création, irréfragables pour tout chrétien qui ne veut pas tomber dans l’abîme de l’inconséquence, ne peuvent pas, je le sais, être acceptées par les esprits qui chassent en ce moment systématiquement Dieu de partout ; mais l’expression de la vérité, qu’ils prennent pour une erreur, est si grande ici, qu’ils seront tenus de l’admirer. […] Les hommes de ce temps liront-ils ce livre, trop pesant pour leurs faibles mains et leurs faibles esprits ?

1598. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

Elle avait pour frère le marquis de Cœuvres, depuis maréchal d’Estrées, esprit des plus fins, des plus déliés, et des plus habilement intrigants à la Cour, et qui fit souche de guerriers et de négociateurs illustres. […] Gabrielle était entre les deux ; elle paraît n’avoir pas eu tout l’esprit de son frère, et elle n’eut pas non plus (tant s’en faut) le dérèglement de cette sœur. […] D’un esprit gentil et gracieux, elle avait surtout un naturel parfait, rien de savant ; le seul livre qu’on ait trouvé dans sa bibliothèque était son livre d’Heures71. […] » Sully fait l’étonné et n’a garde de deviner ; il n’a pas assez d’esprit pour cela, assure-t-il. — « Ô la fine bête que vous êtes ! […] Il faut avoir l’esprit singulièrement fait pour voir dans cette parole de prudente et prévoyante observation de Sully l’indice qu’il pourrait bien avoir trempé dans l’empoisonnement supposé de Gabrielle, et il y aurait lieu, vraiment, de répéter ici avec Dreux du Radier : « C’est un soupçon punissable. » On sait le reste.

1599. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

D’Aubigné combine cet esprit de secte avec son admiration pour Henri IV, car il nous a peint le roi de Navarre bien plus que le roi de France ; il ne touche que de loin à ce dernier. […] L’unité du livre de d’Aubigné, l’esprit et l’âme de sa composition, si on la cherche, est là, dans cette impression générale qui se marque en avançant. […] Le baron des Adrets répond à tout en homme d’esprit, à qui les raisons spécieuses ne manquent pas ; mais quand il est pressé sur la troisième demande. […] La reine mère, « soupçonnant le vigoureux esprit et le corps laborieux de son gendre », l’avait entouré de gardes vigilantes et l’amusait d’amourettes. […] Le conseil fut suivi aussitôt, et, le rideau ouvert, voici les propos que ce prince entendit : Sire, disait d’Aubigné, est-il donc vrai que l’esprit de Dieu travaille et habile encore en vous ?

1600. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

L’Académie française, il faut lui rendre cette justice, n’a pas été des dernières à appeler les esprits dans cette voie plus libre et à la proclamer ouverte désormais. […] C’est à ce moment que Corneille, présent à la scène, aurait improvisé, pour venger la femme d’esprit qui était de ses amies, et comme parlant en son nom, les vers précédemment cités, et qui seraient tout à fait à leur place, selon M.  […] Mais, malgré tout, le fond des cœurs et des esprits allemands n’a jamais pu être gagné à cette forme de tragédie symétrique, antithétique. […] Les Anglais, plus faits pour nous comprendre, et qui entrent mieux dans l’esprit de détail de notre littérature, sont loin pourtant d’accepter tous nos jugements : l’un des plus bienveillants et des plus judicieux, Hallam, parlant très-pertinemment et avec beaucoup d’équité de Corneille, ne le place pas dans le premier ordre des génies. […] Il soutient là-bas, non pas en soldat détaché, mais en esprit libre et comme un auxiliaire de bonne volonté, le drapeau de notre littérature.

1601. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Le même étranger que je viens de citer pour son mot heureux d’une invasion de barbares dirigée par Orphée ajoutait avec cet esprit positif qui est bien celui d’un Anglais : « Mais les chœurs se payent bien cher ; trente sous par jour pour chaque choriste ! […] Il a manqué aux idées et à l’esprit de M. de Girardin l’épreuve décisive du pouvoir, cette épreuve qui vous met en présence de difficultés que la logique seule et la science ne résolvent pas. […] Ma principale dissidence avec M. de Girardin porte, en définitive, sur un seul point : c’est qu’il est plus confiant que moi dans la logique, dans la rectitude et le bon esprit de tous. […] Dans ces questions toutes politiques et qui ne sont pas de notre ressort, nous le louerons seulement d’une chose : c’est d’avoir désintéressé le principe même du Gouvernement impérial ; c’est, lorsqu’il contredisait, de l’avoir fait sans aucune arrière-pensée maligne, sans aucun esprit de dénigrement et sans un soupçon de venin. […] On dirait qu’il a mis quelque chose de son esprit d’administrateur au service de sa logique et de sa polémique.

1602. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

« Puisque l’orthographe du mot, dit-il, résulte de son étymologie, la changer, ce serait lui enlever ses titres de noblesse. » Telle cependant n’a pas été et n’est point l’opinion de beaucoup d’hommes instruits et d’esprits philosophiques depuis le xvie  siècle jusqu’à nos jours. […] Le grand poète n’était pas un esprit pratique. […] D’autres esprits plus précis et plus fermes étaient écoutés : Dumarsais, Duclos, — n’oublions pas un de leurs prédécesseurs, le Père Buffier, un jésuite doué de l’esprit philosophique, — l’abbé Girard, — mais Voltaire, surtout, Voltaire le grand simplificateur, qui allait en tout au plus pressé, et qui, en matière d’orthographe, sut se borner à ne demander qu’une réforme sur un point essentiel, une seule : en la réclamant sans cesse et en prêchant d’exemple, il finit par l’obtenir et par l’imposer. […] Ne nous le dissimulons pas : il s’est fait depuis quelques années, et pour bien des causes, une sorte d’intimidation générale de l’esprit humain sur toute la ligne. […] Viguier, cet esprit distingué et délicat, ce maître du bon temps, celui même dont j’ai fait ici, il y a quelques mois, un éloge funèbre63, écrivait au sujet de Chateaubriand dans une lettre à M. 

1603. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Il semblait que l’esprit français, pareil à une terre fertile, après s’être reposé forcément durant quelques années, redemandait avec avidité toutes les cultures. […] On comprend toutefois, même sans entrer dans le vif des matières, que lorsqu’en 1824, l’abbé Gerbet eut fondé, de concert avec M. de Salinis, un recueil religieux mensuel intitulé Le Mémorial catholique, et qu’il eut commencé à y développer ses idées avec modération, avec modestie, et pourtant avec ce premier feu et cette confiance que donne la jeunesse, il y eut là, pour ne parler que de la forme extérieure des questions, quelque chose de ce qui signala en littérature la lutte d’un esprit nouveau contre l’esprit stationnaire ou retardataire. […] Ici, toutefois, ils avaient affaire dans l’abbé Gerbet à un homme qui connaissait les Pères, qui les lisait et les possédait à fond selon l’esprit, et ne manquait pas à son tour de textes puisés aux sources pour appuyer cette méthode plus libre et plus généreuse. […] La vie de l’abbé Gerbet est toute simple, tout unie, et elle n’eut qu’un seul épisode considérable : ce fut sa liaison avec l’abbé de Lamennais, auquel il s’était prêté et comme donné durant des années, avec un dévouement affectueux qui n’eut pour limite et pour terme que la révolte finale de ce grand esprit immodéré. […] L’abbé Gerbet, comme Fléchier que j’ai nommé à son sujet, a un esprit de société plein de charme, de douceur et d’invention.

1604. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Nous sommes bien éloigné de nier la tendance organique et sainte du progrès en toute chose, cette force centrifuge de l’esprit humain. […] Le mouvement et le progrès sont donc deux choses dans le ciel : n’en serait-il pas de même dans l’esprit humain ? […] J’ai noté ce fragment de charité universelle, et je le citerai bientôt dans ces archives des beautés de l’esprit humain. […] L’Inde m’avait révélé une plus large charité de l’esprit humain, la charité envers la nature entière. […] et le nuage de ton esprit, qui ne vient que d’ignorance, est-il dissipé ? 

1605. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

L’esprit est à chaque page de ce livre. […] Conrart, ou de toute autre personne, d’un esprit souple, liant et avisé ? […] Ne croyez point que ce soit timidité d’esprit : rien n’étonne l’audace de ma pensée. […] Il n’est pas d’ailleurs dans l’esprit de la race anglo-saxonne de s’en préoccuper. […] Il en est de même de l’esprit humain : il luy faut du relâche.

1606. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

C’est une comédie où on n’oublie pas l’heure du dîner, où un amant éconduit, sans se tuer ni perdre l’esprit, s’en va faire un tour de six mois en Italie. […] Elle n’est jamais littéraire ; elle n’est jamais l’esprit de mots. […] Ces bourgeois et ces nobles sont des vaniteux, des orgueilleux, des sots, des habiles, des méchants, des égoïstes, ou au contraire des cœurs droits, de solides esprits. […] Héritier de l’esprit de Rabelais et de Montaigne, ami, dit-on, de quelques libertins comme Bernier, il estime la nature toute bonne et toute-puissante. […] Il y a pourtant une limite, celle que peut fixer un esprit qui estime infiniment et cherche passionnément le vrai.

1607. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Son esprit a plongé dans l’infiniment grand et dans l’infiniment petit, et partout il a rencontré Dieu. […] Mais cette œuvre, qui se commence maintenant, n’était pas même soupçonnée du plus grand nombre des esprits supérieurs il y a dix ans. […] Ainsi s’explique la tendance rétrograde de beaucoup de grands esprits de notre temps, tels que De Maistre, Lamennais, Chateaubriand, Ballanche, Lamartine, Victor Hugo. […] On s’humilie par grandeur même d’esprit, autant que par lassitude de chercher et d’attendre. […] On repousse de son esprit tous les grands progrès faits depuis les Pères de l’Église ; on voudrait presque s’en tenir à leur physique, à leur astronomie.

1608. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

Cet esprit, le plus contraire à celui de la grande et intelligente poésie, produit des jugements systématiques, engouement et anathème, mais le tout se passant le plus souvent entre soi, entre artistes et gens du métier : le public même celui qui s’occupe volontiers des lettres sérieuses, reste indifférent et regarde ailleurs. L’ancienne tradition s’étant rompue, la nouvelle n’ayant pris ni le temps ni le soin de s’établir, il en résulte une grande incertitude dans les jugements : une très belle œuvre, neuve et émouvante, saisirait sans doute et réunirait les esprits, mais de simples vers où il y a du talent n’ont plus ce pouvoir. […] Cet autre esprit d’un ordre élevé, M. de Vigny, depuis des années aussi, et par une préoccupation de chasteté trop idéale qu’il vaincra enfin, nous l’espérons toujours, se tient à l’écart dans un recueillement mystérieux qui a passé en proverbe. […] Encore une fois, je puis le certifier à M. du Camp avec toute l’impartialité d’un homme qui a très peu l’esprit de corps, — à cet endroit où il parle de l’Académie, il frappe fort, mais il frappe à côté. […] Étudions l’antiquité comme tous les âges antérieurs au nôtre, pénétrons-nous de son esprit pour la comprendre et l’admirer dans le vrai sens ; mais tâchons dans nos œuvres d’exprimer, ne serait-ce que par un coin, l’esprit de notre siècle, de dire à notre heure ce qui n’a pas été dit encore, ou de redire, s’il le faut, les mêmes choses d’une manière et d’un accent qui ne soit qu’à nous.

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