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405. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Les deux formes, la glorieuse et la triviale, ont pourtant cela de commun aujourd’hui d’être également mortes ; l’une l’est d’hier ou d’avant hier, l’autre l’est d’il y a trois siècles : peu importe, elles n’en sont pas moins expirées comme genre actuel et vivant. […] » Et Marie est censée répondre : « J’ai vu le sépulcre du Christ vivant et de ressuscité dans sa gloire… » et tout ce qui suit. […] Il y a eu incontestablement en ces siècles reculés une première époque assez simple et sévère, fervente, se suffisant à elle-même, et dont on peut retrouver à certain degré le sentiment, l’esprit d’édification et d’adoration, en se replaçant par la pensée en présence de cette liturgie vivante, à distance respectueuse de l’autel, au vrai point de vue des fidèles d’alors et des célébrants.

406. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

Au dedans, cette œuvre est une image plus ou moins vague, celle d’une ligne élancée, puis épanouie ; au dehors, elle est l’attitude et le geste imitatif du corps ; dans le langage primitif, chez les peuples enfants, à l’origine de la parole, elle est une autre imitation poétique et figurative, dont nous retrouvons çà et là des fragments ; aujourd’hui, elle est un simple mot appris, pure notation, reste desséché du petit drame symbolique et de la mimique vivante par laquelle les premiers inventeurs, véritables artistes, traduisaient leurs impressions. […] Si j’ai remarqué suffisamment cette structure intérieure, à l’aspect du squelette blanc, comme à l’aspect du corps vivant vêtu de son poil, je prononcerai sans me tromper le mot chat. […] Le nom est devenu l’équivalent des caractères communs aux divers squelettes de l’espèce, comme des caractères communs aux divers individus vivants de l’espèce ; sa présence, qui auparavant ne réveillait que les images de certaines formes velues, animées, bondissantes, réveille en outre maintenant les images de certaines charpentes osseuses et inanimées. — Elle peut réveiller bien d’autres images, celles de toutes les particularités mécaniques, physiques, chimiques, anatomiques, vitales, morales, qu’un naturaliste ou un moraliste peut remarquer dans l’espèce des chats ; elle les rassemble sous elle en même temps que les noms par lesquels on les désigne ; elle est le substitut de toute cette troupe.

407. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Rabelais aime la vie, non par système et abstraitement, mais d’instinct, par tous ses sens et toute son âme, non une idée de la vie, non certaines formes de la vie, mais la vie concrète et sensible, la vie des vivants, la vie de la chair et la vie de l’esprit, toutes les formes, belles ou laides, tous les actes, nobles ou vulgaires, où s’exprime la vie. […] Ou plutôt écartons les mots qui immobilisent l’être, fût-ce pour un moment : d’un bout à l’autre de ses quatre livres, grouillent des formes vivantes, agissantes, gesticulantes, parlantes, chacune selon l’impulsion de son appétit intérieur : les unes fugitives, à peine entrevues dans la cohue qui les presse, d’autres dominantes et débordantes à qui ni la durée ni l’espace ne sont mesurés : toutes aussi sérieusement, profondément, objectivement vivantes et individuelles et qui ne sauraient s’effacer ni se confondre, Janotus de Bragmardo, Bridoye, Dindenaut, ou bien Pantagruel, Frère Jean des Entommeures, Panurge.

408. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Il y séjourna deux ans, de 1862 à 1864, vivant chichement des leçons de français qu’il donnait çà et là. […] En mots vivants, précis, diaphanes, exacts et lumineux, en phrases limpides comme le cristal, d’une voix un peu sourde… sans fatigue ni trêve, il déroulait, trésor infini, ses nobles paradoxes. […] C’est un rêveur qui, dans son rêve unique, met le sang de ses veines et son souvenir vivant de la terre.

409. (1890) L’avenir de la science « XVI »

L’homme primitif ne divise pas ; il voit les choses dans leur état naturel, c’est-à-dire organique et vivant 150. Pour lui rien n’est abstrait ; car l’abstraction, c’est le morcellement de la vie ; tout est concret et vivant. […] L’humanité ne sera savante que quand la science aura tout exploré jusqu’au dernier détail et reconstruit l’être vivant après l’avoir disséqué.

410. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

La diversité de ses ouvrages et de sa conduite, la politique où elle a trempé, les satires, les accusations perfides qui l’ont poursuivie et qu’elle s’est peut-être plus d’une fois permises à son tour, n’ont pas contribué, même de son vivant, à lui donner une physionomie bien distincte pour ceux qui ne la voyaient pas de très près. […] Tous ces goûts, tous ces talents divers, tous ces arts d’agrément, tous ces métiers (car elle n’omettait pas même les métiers), faisaient d’elle une Encyclopédie vivante qui se piquait d’être la rivale et l’antagoniste de l’autre Encyclopédie ; mais ce qui donnait l’âme et le mouvement à cette multitude d’emplois, c’était une vocation qui les embrassait, les ordonnait et les appliquait dans un certain sens déterminé. […] Elle les mit sans tarder aux langues vivantes, aux connaissances usuelles, aux choses du corps et de l’esprit, menant le tout concurremment.

411. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

On résolut, pour plus de simplicité, de s’adresser à quelques auteurs vivants qui fourniraient des citations et extraits de leurs propres ouvrages : Nous sommes convenus que pour ta part, écrit Patru à Maucroix, non seulement tu ferais la même chose pour tes propres ouvrages, mais de plus (garde-toi de dire non) pour tout Balzac. […] Richelet est sûr de cinq ou six auteurs vivants qui, pour avoir le plaisir et l’honneur d’être cités eux-mêmes, fourniront d’autres extraits par-dessus le marché ; et chacun gardera le silence pour mettre sa petite vanité à l’abri, comme de raison. […] Il a eu son rôle, qui a fini même de son vivant ; mais de loin il n’est pas difficile de reconnaître, de saluer et même de goûter en lui l’alliance d’un jugement sévère, d’une probité souriante et d’une familiarité aimable.

412. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Et ce moi d’emprunt, vivant d’une vie plus riche que le moi proprement dit, c’est encore nous-mêmes. […] Il n’est pas très vivant, comme on dit, mais il est comme s’il avait choisi une fois pour toutes entre le vivant et l’éternel, et c’est l’éternel qu’il a choisi.

413. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

V Cela dit, je me rabattrai sur les détails, qui sont nombreux et vivants. […] C’est au xxe  siècle que l’on appréciera ces récits vivants, ces memoranda du xixe . […] Madame de Cadignan (dans Les Secrets de la princesse de Cadignan), mademoiselle de La Môle (dans Le Rouge et Noir), sont de ces types inouïs et sans modèle, inventés par des hommes qui n’étaient pas du monde que ces types expriment avec un si vivant relief.

414. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « [Avertissement de l'auteur] » p. 1

[Avertissement de l'auteur] Il a semblé plus commode et même assez piquant de ranger de suite et de réunir en un même volume les divers portraits de femmes qui étaient disséminés dans les cinq tomes des Critiques et Portraits ; on y a ajouté trois ou quatre articles, avec le soin d’excepter toujours les vivants.

415. (1759) Salon de 1759 « Salon de 1759 — Boucher » p. 103

Il me prend toujours envie d’imaginer une flèche à la place de cet épi ; et puis des têtes d’anges plus animées, plus gaies, plus vivantes ; le nouveau-né le plus joli.

416. (1763) Salon de 1763 « Sculptures et gravures — Mignot » p. 253

Ils prennent sur un modèle vivant, les pieds, les mains, les épaules en plâtre.

417. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Aucun regard vivant ne profane ces musées cryptiques. […] Le monde vivant contemplait, ébloui et ravi, ce monde immobile. […] Comme l’avare des légendes enterré vivant dans sa cave, elle meurt de faim sur ses mines d’or. […] Mort ou vivant, nul ne le prend au sérieux. […] Mensonge vivant, elle s’harmonise avec tous les mensonges de la toilette et de la parure.

418. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Ils disaient, en levant leurs bras, qu’il était un auteur vivant. […] Les anciens, toujours vivants, nous enseignent encore. […] Ce Saint-Augustin est certes très vivant.. […] Ce peut être une passion intellectuelle, un amour des idées ou du beau, non des créatures vivantes. […] Peut-être le symbolisme, encore plus vivant qu’on ne croit, selon la juste remarque de M. 

419. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Blaze de Bury, Henri (1813-1888) »

[Poètes vivants (1847).]

420. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

C’est un homme qui a plus de bonheur à admirer les autres qu’à être admiré lui-même ; qui demande pardon de son mérite à ceux qui en ont souvent moins que de prétention, et qui, ne briguant aucun renom pour lui, forme ce milieu anonyme, atmosphère vivante de ceux qui parlent ou écrivent, la galerie qui applaudit, la critique, le parterre des lettres, sans lequel il n’y aurait point de lettres dans un pays, le nom collectif, un des noms de ce public d’élite enfin qui n’affecte aucune gloire, mais qui la donne à une nation, dont la première gloire est d’aimer ceux qui d’une part de leurs noms lui font un surnom national et immortel. […] Le duc de Rivière était, comme M. de Polignac, un de ces monuments de fidélité chevaleresque, que Louis XVIII et le comte d’Artois étaient heureux de montrer à la jeunesse royaliste de 1825 dans les grandes places, comme des preuves vivantes de la mémoire des princes restaurés. […] XVI Il passa dans l’étude de ces langues mortes et vivantes de l’Orient trois années à Constantinople ; c’est là qu’il acheva véritablement son éducation classique, pendant les loisirs que la diplomatie, muette en Orient, laisse à ceux qui servent attentivement, mais presque en silence, leur pays. […] Elle dit adieu à l’Europe, et s’ensevelit toute vivante en Asie ! […] On cherche un désert en Asie pour passer en vivant entre les pensées de Dieu et l’oubli des hommes.

421. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Cicéron vivant fut égorgé par ses ennemis politiques ; Voltaire mort fut assassiné dans sa mémoire et traîné mille fois par son nom aux gémonies des ennemis de la philosophie et de la renommée ; ce sont encore deux ressemblances entre les deux destinées de ces deux grands hommes. […] Il y avait alors à la Haye une femme de lettres et d’intrigues, madame Dunoyer, vivant de libelles et d’aventures ; cette femme avait plusieurs filles d’une extrême jeunesse et d’une naissante beauté. […] Mais à peine avait-il écrit ces lignes impies qu’il rougissait de les avoir écrites et qu’il s’en vengeait en écrivant d’une main plus ferme les pages les plus solides de pensée et les plus magnifiques d’expression sur l’existence de Dieu dans ses œuvres, sur la conscience, ce code vivant de la morale une et éternelle, sur la moralité ou sur l’immoralité des actes humains, moralité ou immoralité qui suppose une peine ou une rémunération finale, et par conséquent une immortalité. […] C’était le fantôme d’un autre siècle reparaissant hors de saison parmi les vivants. […] Cette influence de Voltaire resta vivante, mais inerte, sous le gouvernement de la maison d’Orléans, dont on redoutait moins l’alliance avec le clergé.

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