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342. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Homere, à recueillir ses traits de ceux qui l’ont loué, étoit un homme divin. […] Mais, à mon sens, le plus grand trait de ressemblance entre les héros dont je parle, c’est la cruauté militaire. […] Si le fonds d’un discours est l’éloquence, la fin doit en être le trait le plus propre à persuader. […] Il faut donc que le poëte représente la vertu et le vice sous des traits qui justifient notre goût et notre aversion ; et ne fût-ce que pour l’intérêt de plaire, il doit être presque aussi fidéle à la bonne morale, que s’il n’avoit dessein que d’instruire. […] La vengeance et l’orgueil étoient en honneur ; il les y a laissées ; et son siécle n’étoit point choqué de les voir représenter sous des traits qui confirmoient son jugement.

343. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Les acteurs grossissent leur voix, masquent leurs traits, haussent leur stature ; ils se font géants, comme leurs rôles. […] Nous serons peut-être tout à l’heure amené par notre sujet à signaler en passant quelques traits de ce vaste tableau. […] C’est qu’il y a plus d’un rapport entre le commencement et la fin ; le coucher du soleil a quelques traits de son lever ; le vieillard redevient enfant. […] Il faut qu’à cette optique de la scène, toute figure soit ramenée à son trait le plus saillant, le plus individuel, le plus précis. […] Il semble qu’ils n’aient pas osé réunir tous les traits de ce bizarre et colossal prototype de la réforme religieuse, de la révolution politique d’Angleterre.

344. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Aucun des dons par lesquels on peut frapper et retenir l’attention ne manque à ce style, ni l’imagination grandiose, ni le sentiment profond, ni la vivacité du trait, ni la délicatesse des nuances, ni la précision vigoureuse, ni la grâce enjouée, ni le burlesque imprévu, ni la variété de la mise en scène. […] Car c’est là le trait le plus frappant de ce style, la rapidité prodigieuse, le défilé éblouissant et vertigineux de choses toujours nouvelles, idées, images, événements, paysages, récits, dialogues, petites peintures abréviatives, qui se suivent en courant comme dans une lanterne magique, presque aussitôt retirées que présentées par le magicien impatient qui en un clin d’œil fait le tour du monde, et qui, enchevêtrant coup sur coup l’histoire, la fable, la vérité, la fantaisie, le temps présent, le temps passé, encadre son œuvre tantôt dans une parade aussi saugrenue que celles de la foire, tantôt dans une féerie plus magnifique que toutes celles de l’Opéra. […] Il aime les caricatures, il charge les traits des visages, il met en scène des grotesques473, il les promène en tous sens comme des marionnettes, il n’est jamais las de les reprendre et de les faire danser sous de nouveaux costumes ; au plus fort de sa philosophie, de sa propagande et de sa polémique, il installe en plein vent son théâtre de poche, ses fantoches, un bachelier, un moine, un inquisiteur, Maupertuis, Pompignan, Nonotte, Fréron, le roi David, et tant d’autres qui viennent devant nous pirouetter et gesticuler en habit de scaramouche et d’arlequin. — Quand le talent de la farce s’ajoute ainsi au besoin de la vérité, la plaisanterie devient toute-puissante ; car elle donne satisfaction à des instincts universels et profonds de la nature humaine, à la curiosité maligne, à l’esprit de dénigrement, à l’aversion pour la gêne, à ce fonds de mauvaise humeur que laissent en nous la convention, l’étiquette et l’obligation sociale de porter le lourd manteau de la décence et du respect ; il y a des moments dans la vie où le plus sage n’est pas fâché de le rejeter à demi et même tout à fait […] Le moindre fait circonstancié, des anecdotes, des traits de mœurs, feraient bien mieux notre affaire ; c’est qu’aujourd’hui nous préférons l’éloquence précise des choses à l’éloquence lâche des mots. […] Ce qui nous semble de l’apprêt n’était alors que de la tenue ; en un siècle classique, la période parfaite et le développement soutenu sont des convenances et par suite des obligations. — Notez d’ailleurs que cette draperie littéraire qui nous cache aujourd’hui la vérité ne la cachait pas aux contemporains ; ils voyaient sous elle le trait exact, le détail sensible que nous ne voyons plus.

345. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Il n’y a pas jusqu’aux petits enfants qui, par la finesse de leurs traits, de leurs proportions et de leurs formes, n’indiquent les altérations profondes que la civilisation a fait descendre des individus dans le type. […] Ce n’est pas le nombre, mais le choix des traits qui importe. […] Ces peintures de La Fontaine, si courtes, valent les plus grands tableaux ; car tout le talent de l’artiste consiste à saisir le trait exact, qui montre dans un objet le caractère intime. […] Les traits qui le marquent chez La Fontaine sont à peine visibles, et cependant ils sont si justes, que cette esquisse imperceptible le montre tout entier. […] Que le savant n’aperçoive dans ce loup qu’un animal nuisible, le poëte, d’un esprit plus libre, y distinguera les autres traits.

346. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

La femme doit être chaste, par conséquent elle doit vivre à l’ombre ; la femme doit inspirer l’amour à un seul, le respect, la tendresse, la pitié à tous ; elle doit s’abstenir dans son intérêt même de tout ce qui sent le combat ; l’altercation, la polémique, la haine, la colère, l’émulation envieuse, l’ambition implacable qui irritent la voix, endurcissent le cœur, défigurent les traits. […] Ses yeux étaient noirs et bien ouverts, mais ils supportaient le regard avec trop de fermeté pour une jeune fille ; ses cheveux, noirs comme ses yeux, étaient naturellement bouclés, mais ils n’avaient pas cette finesse de tissu qui fait suivre mollement à la chevelure les contours du front, des joues, des épaules, et qui déplie un voile naturel sur la femme ; son front était large, carré, un peu trop haut comme celui de son père ; son nez régulier, mais large comme celui des fils de l’Helvétie, où la grasse fécondité du sol donne à la charpente du visage humain, comme à celle du bœuf de ces pâturages, un peu plus de matière et de solidité qu’il ne convient à la délicatesse des traits. […] Elle n’ouvrait pas la bouche, et cependant elle semblait parler à son tour, tant ses traits mobiles avaient d’expression ! […] Peut-être sa main débile, qui n’a pas été façonnée pour l’effort, ne peut-elle jamais parvenir à tendre assez puissamment la corde de l’arc pour que la flèche du vers atteigne le but et touche l’âme en la charmant, comme le trait invisible de l’archer qui déchire l’air en le traversant et qui résonne à l’oreille en perçant le cœur ? […] Ignorant les fatales nouvelles de ce jour épouvantable, on la força, par un barbare silence, à contempler longtemps des traits ensanglantés qu’elle reconnaissait à peine à travers l’horreur et l’effroi.

347. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Cette tempête est assez bien ; mais elle est si générale de traits et de ton que l’auteur l’a pu mettre ici ou là sans inconvénient. […] Nous fuyions vent arrière sous la misaine… Voilà bien, avec la précision de plus qui est propre aux modernes (quand ils s’en mêlent), voilà bien dans ses grands traits la vraie tempête telle qu’elle a été peinte plus d’une fois par Virgile, et surtout par Homère, lorsque Ulysse sentait son vaisseau se disjoindre sous la colère de Neptune et le naufrage prêt à l’ensevelir. […] [NdA] On m’écrit (et ce sont deux officiers d’Afrique qui se souviennent d’Horace et qui lisent au bivouac) pour me rappeler certains traits du Voyage à Brindes, qui ne sont point précisément sérieux et graves, ni même élégants : mais je n’ai entendu parler que du sérieux dans les descriptions de la nature ou dans les indications des sites. […] Rigault, dans un article sur Chapelle (18 mai 1855), me semble lui avoir beaucoup prêté quand il a dit : « Partout, dans le monde et dans l’intimité, parmi les grands seigneurs et les grands esprits, à Chantilly avec M. le prince, à Auteuil avec Roileau, Racine et Molière, Chapelle plaît à tout le monde par l’enjouement de son caractère, par l’agrément de son esprit naturel et cultivé, et par cette finesse de goût qui est peut-être la première de ses qualités, et le trait caractéristique de son mérite.

348. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

On est sûr, en le lisant, si l’affectation de l’étrange ne vous repousse pas d’abord, de trouver abondance d’esprit, de verve, des aperçus fins, des saillies heureuses, mille traits d’irrévérence et des bouffées d’impiété ; je mets le tout sur la même ligne, car se sont là autant d’éloges avec lui. […] Traçant dans une ode le portrait idéal du vertueux et du sage, il le termine par ce trait : Jésus-Christ est sa seule foi, Tels seront mes amis et moi. […] Même en prose, j’ai peine à reconnaître en lui ce trait distinctif du bon sens qu’il a trop peu dans ses vers : cette qualité-là, quand on la possède, on la porte partout. […] Gautier sur sa réhabilitation de Saint-Amant, dont il reprend en sous-œuvre et nous traduit en prose brillante et colorée les peintures, car on croirait voir des peintures sous la plume, tant il les flatte, au lieu de charges dessinées au charbon sur la muraille ; il se plaît à y saisir des traits, des reflets de ressemblance à l’infini avec nos principaux contemporains.

349. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Fremy veut voir dans cette fin un trait de badinage galant qui semble démentir le caractère de tendre tristesse répandu dans la pièce ; d’autres y auraient vu simplement un trait gracieux et de sensibilité encore. […] remy trouve sous sa plume, et qu’à notre tour nous nous permettons de souligner : « C’est en notant de pareils traits, dit-il, et beaucoup d’autres du même genre, qu’une lecture nouvelle et attentive des Poésies d’André Chénier indiquera d’elle-même que nous avons été porté à combattre ce sentiment, qui a fait placer par certaines personnes les productions de ce poëte parmi les grands monuments de l’antiquité littéraire. » Quel style, et au moment où l’on se fait juge de la grâce elle-même ! […] remy a prétendu biffer d’un trait de plume toute une moitié de l’œuvre, toute une première moitié d’où la seconde est sortie.

350. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Et en effet c’est bien là, avec les réserves que chacun fait, et deux ou trois noms comme ceux de Bossuet et de Montesquieu qu’on sous-entend, c’est là, jusqu’en 1789 environ, le caractère distinctif. le trait marquant de la littérature française entre les autres littératures d’Europe. […] Molière, La Fontaine, et Mme de Sévigné appartiennent à une génération littéraire qui précéda celle dont Racine et Boileau furent les chefs, et ils se distinguent de ces derniers par divers traits qui tiennent à la fois à la nature de leurs génies et à la date de leur venue. […] La conversation, d’ailleurs, n’était pas encore devenue, comme au dix-huitième siècle, dans les salons ouverts sous la présidence de Fontenelle, une occupation, une affaire, une prétention ; on n’y visait pas nécessairement au trait ; l’étalage géométrique, philosophique et sentimental n’y était pas de rigueur ; mais on y causait de soi, des autres, de peu ou de rien. […] Mme de Sévigné, à son tour, aimait beaucoup les champs ; elle allait faire de longs séjours à Livry chez l’abbé de Coulanges, ou à sa terre des Rochers en Bretagne ; et il est piquant de connaître sous quels traits elle a vu et a peint la nature.

351. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

J’aime moins Vernouilhet rapportant à la marquise cent mille francs qu’elle a perdus dans sa débâcle et l’amenant, grâce à ce beau trait, à demander pour lui la main de Clémence, qui est sa filleule. […] Il y a beaucoup de lieux communs et, ça et là, quelques traits heureux dans cette mercuriale qui ne conclut pas. […] Augier au cancan qui frappe la marquise, s’il l’avait fait sortir de l’organe bruyant d’un pamphlet célèbre ; mais c’est un article de modes qui lance ce trait meurtrier ! […] C’est elle qui lui souffle sa verve chaude et mordante ; c’est elle qui aiguise ses traits et qui remplit son carquois.

352. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Napoléon est plus brusque, je dirais plus sec, si de temps en temps les grands traits de son imagination ne faisaient clarté. […] Ce qui n’est que concis et ferme paraît grand ; ce qui, chez un autre, ne serait qu’un trait heureux, devient ici un éclair sublime. […] Henri IV avait eu des traits d’esprit, des saillies heureuses que répétaient Crillon et les gentilshommes ; mais, ici, il fallait une éloquence à la hauteur nouvelle des grandes opérations, à la mesure de ces armées sorties du peuple, la harangue brève, grave, familière, monumentale. […] Voici le portrait vrai, en quelques traits décisifs : Kléber était le plus bel homme de l’armée.

353. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

Car pour le talent, au milieu des veines de mauvais goût et des abus de toute sorte, comme il s’en trouve d’ailleurs dans presque tous les écrits de M. de Chateaubriand, on y sent à bien des pages le trait du maître, la griffe du vieux lion, des élévations soudaines à côté de bizarres puérilités, et des passages d’une grâce, d’une suavité magique, où se reconnaissent la touche et l’accent de l’enchanteur. […] Ainsi, pour ses articles des Débats, les belles choses restaient, et les mauvaises disparaissaient d’un trait de plume. […] On se demande, en lisant ces passages, de quel droit un homme vivant hier, et qui n’aurait pas ainsi parlé en face, s’est cru le droit de décocher ces traits sanglants aujourd’hui, uniquement parce qu’il s’est abrité derrière la tombe ? […] on est tenté ici, même en admirant les traits de talent, de s’écrier : « Mais cela n’est pas possible ainsi ! 

354. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Tout ce que l’on peut et ce que l’on doit envers une grande renommée contemporaine au moment où la mort la saisit, c’est d’indiquer en quelques traits bien marqués les mérites, les habiletés diverses, les séductions délicates et puissantes par où elle a charmé son époque et y a conquis l’influence. […] Ce n’est pas un blâme que je lui adresse, c’est un trait qui affecte et caractérise toute la littérature pittoresque de ce temps-ci. […] Il a dit quelque part d’un artiste sculpteur découragé et tombé dans la paresse : « Redevenu artiste in partibus, il avait beaucoup de succès dans les salons, il était consulté par beaucoup d’amateurs ; il passa critique comme tous les impuissants qui mentent à leurs débuts. » Ce dernier trait peut être vrai d’un artiste sculpteur ou peintre qui, au lieu de se mettre à l’œuvre, passe son temps à disserter et à raisonner ; mais, dans l’ordre de la pensée, cette parole de M. de Balzac, qui revient souvent sous la plume de toute une école de jeunes littérateurs, est à la fois (je leur en demande bien pardon) une injustice et une erreur. […] Mais c’est un homme de goût, de tact, de sens exact et rigoureux, qui, même dans l’excès de l’idée, garde la retenue et la discrétion de la manière ; qui a autant le sentiment personnel du ridicule que M. de Balzac l’avait peu, et en qui, au milieu de tout ce qu’on admire de netteté, de vigueur de trait et de précision de burin, on ne peut regretter qu’un peu de cette verve, dont l’autre avait trop.

355. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Mlle de Meulan (Mme Guizot) a apprécié en quelques traits nets et a classé à son rang ce successeur de La Rochefoucauld et de La Bruyère. […] Périclès, ayant à parler de guerriers morts pour la patrie, disait : « Une ville qui a perdu sa jeunesse, c’est comme l’année qui aurait perdu son printemps. » Vauvenargues a de ces traits d’une imagination jeune, nette et sobre, comme on se les figure chez Xénophon et chez Périclès. […] Les esprits pesants, les sophistes ne reconnaissent pas la philosophie lorsque l’éloquence la rend populaire, et qu’elle ose peindre le vrai avec des traits fiers et hardis. […] Pourtant on trouvait, dans les Pensées et Paradoxes qui venaient aussitôt après ces deux morceaux, plus d’un trait en désaccord avec la doctrine chrétienne rigoureuse ; la seule manière dont Vauvenargues y parle de la mort qui ne doit pas être, selon lui, le but final et la perspective de l’action humaine, et qui lui paraît en elle-même la plus fausse des règles pour juger d’une vie, cette façon d’envisager l’une des quatre fins de l’homme est trop opposée au point de vue de l’orthodoxie et en même temps trop essentielle chez Vauvenargues pour laisser aucun doute sur la direction véritable de ses pensées.

356. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Lacretelle, l’un des hommes qui ont le mieux connu et le mieux peint Florian par tous ses aspects, nous raconte cette anecdote, avec beaucoup d’autres traits dont nous profitons. […] On noterait encore ailleurs quelques-uns de ces traits, beaucoup trop rares chez Florian. […] Là où l’esprit et la grâce peuvent suppléer à la poésie, là où il suffit de bien conter et d’égayer le récit par un trait agréable, Florian s’en tire à merveille, comme lorsqu’il nous montre, dans la querelle entre le hibou, le chat et l’oison, ce rat arbitre, Rat savant qui rongeait des thèmes dans sa hutte ! […] Lacretelle, dans ses Dix années d’épreuves, nous a raconté plus d’un trait qui témoigne de l’effroi que commençait à ressentir Florian, et de l’altération qui en résultait dans sa nature, jusque-là si sociable et si expansive.

357. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Et élevant de plus en plus sa pensée et son cœur, réduisant sa propre souffrance à ce qu’elle est dans l’immense sein de la nature, s’y voyant non plus seulement soi, mais des royaumes entiers, comme un simple point dans l’infini, il ajoute en des termes qui rappellent d’avance Pascal, et dont celui-ci n’a pas dédaigné d’emprunter le calque et le trait : Mais qui se représente comme dans un tableau cette grande image de notre mère nature en son entière majesté : qui lit en son visage une si générale et constante variété ; qui se remarque là-dedans, et non soi, mais tout un royaume, comme un trait d’une pointe très délicate, celui-là seul estime les choses selon leur juste grandeur. […] Ce style bref, mâle, qui frappe à tout coup, qui enfonce et qui redouble le sens par le trait, ce style duquel on peut dire qu’il est une épigramme continuelle, ou une métaphore toujours renaissante, n’a été employé chez nous avec succès qu’une seule fois, et c’est sous la plume de Montaigne. Si on voulait l’imiter, même en supposant qu’on le pût et qu’on y fût disposé par nature, si l’on voulait écrire avec cette rigueur, et cette exacte correspondance, et cette continuité diverse de figures et de traits, il faudrait à tout moment forcer notre langue à être plus forte et plus complète poétiquement qu’elle ne l’est d’ordinaire et dans l’usage.

358. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Mais, après avoir ainsi conclu en un trait qui rappelle Shakespeare et qu’aurait envié Schiller, il prolonge sa pensée, et il l’aurait gâtée si elle pouvait l’être : « On connut bientôt après, ajoute-t-il, qu’un mort ne mord point, et que l’affection des hommes ne regarde point ce qui n’est plus. » Ainsi donc, il faut en prendre son parti avec Richelieu et s’attendre à du mauvais goût, à des longueurs, à des métaphores souvent heureuses et grandes, souvent aussi hasardées et désagréables. […] Mais, chez Richelieu, quand on a bien assisté aux développements substantiels qu’il aime, on sort tout d’un coup de ces lenteurs par quelque trait hardi, qui accuse l’homme d’action et de grand caractère. […] Si Luynes avait vécu, la fortune de Richelieu s’ajournait pourtant et pouvait manquer : aussi, quand Luynes disparaît, quand il est emporté d’une maladie soudaine (14 décembre 1621) au milieu de cette campagne qu’il avait entreprise sans pouvoir la mener à fin, Richelieu a pour peindre sa mort, son caractère et sa personne, des traits de couleur et de passion que Saint-Simon, un siècle après, aurait trouvés. […] Tout le portrait de Luynes est d’une extrême beauté ; il le faudrait lire en entier, et je ne puis qu’en noter quelques traits saillants qui réfléchissent sur le caractère de Richelieu lui-même.

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