…dans chaque tragédie ?
Hugo ne ressemble à aucun autre : à son air de prétention et d’apparat, on croirait voir une sorte de miles gloriosus, un vrai Bayard de tragédie.
Nos tragédies classiques — je parle des chefs-d’œuvre — ne présentent guère que des séries de causes et d’effets, qui sont à leur tour des causes, qui enfin aboutissent à un acte nécessaire, par où le drame est conclu.
La tragédie d’Horace présente trois actions : l’une, nationale et sublime, la victoire d’Horace sur les Curiaces, de Rome sur Albe : l’autre, domestique et brutale, le meurtre de Camille par son frère ; la troisième, judiciaire et froide, le procès du meurtrier.
A l’école de son oncle Thomas, il apprit à écrire facilement et médiocrement dans tous les genres : il fit des vers, une tragédie, des opéras, des pastorales, des lettres galantes ; il avait une sécheresse glacée et spirituelle, une pointe aiguë de style, aucun naturel, aucune spontanéité.
Guizot, qui raconte qu’un jour, en l’entendant réciter une phrase de Chateaubriand, Mme de Staël, s’avisant, se mit à crier qu’il jouerait supérieurement la tragédie, ce qui est comique, et lui proposa le rôle de Pyrrhus ou d’Oreste dans Andromaque, ce qui aurait été bien plus comique encore, s’il avait accepté !
Voilà, en aussi peu de mots que possible, le sujet touché par Blaze de Bury, la tragédie mise par lui en camée et à laquelle il fallait laisser ses colossales proportions.
Il aura été saisi par l’intérêt poignant de cette tragédie, dans laquelle, hélas !
Ainsi se renouvelle de distance en distance le champ de la tragédie, de la comédie, de l’épopée, de la fable, de l’éloquence, ou politique, ou religieuse.
Alexandre, passionné pour la poésie, comme pour toutes les grandes choses, avait recueilli les tragédies d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide, toutes les œuvres des grands poëtes du même âge ; mais il ne leur faisait pas naître de rivaux.
Elles sont la poésie du péché comme Phèdre était la tragédie du péché. […] Alors je comprends que le Mauvais Vitrier vous paraisse une mystification, mais la tragédie où on ne prouvait rien était aussi une mystification pour le géomètre, et probablement, lorsque l’auteur du livre sur l’évolution de la tragédie parlait de la faillite de la science, voyait-il dans la géométrie une mystification transcendante. […] Plus généralement, on trouve dans Dominique quelque chose de la tragédie française, de même qu’on verrait au fond de Madame Bovary et de l’Éducation le comique triste de Molière. Comme dans la tragédie du dix-septième siècle, tout est réduit à des personnages essentiels et significatifs. […] Il a voulu mettre face à face Madeleine et Dominique (l’homme du monde qu’est M. de Nièvres est réduit à la grisaille d’une utilité) dans la pure atmosphère d’une tragédie d’amour.
Quoique la tragédie et la comédie ne soient pas exactement conformes à la définition qu’en donne M. […] A-t-il écrit, depuis onze ans, une comédie ou une tragédie ? […] Hugo, une tragédie ou une comédie. […] Hugo qui nous le dit, un drame, une comédie et une tragédie, ni plus ni moins. […] Hugo veut bien nous apprendre que nous y trouverons, à notre gré, un drame, une comédie ou une tragédie.
Classer, c’est comme ils disent, donner des rangs, distribuer des prix, mettre Balzac au-dessus de Flaubert, ou une tragédie de Racine au-dessus d’un vaudeville de Labiche ; et cette occupation est justement à leurs yeux le comble même du ridicule. […] De quelle tragédie sommes-nous les acteurs ? […] Et, sans doute, il n’importe guère à la valeur d’une tragédie que le sujet en soit authentique en son fond. […] Ni notre tragédie classique, en un siècle et demi, n’en a produit autant, ni le roman anglais en cent ans. […] On ne veut plus de parties tragiques dans la comédie, ni dans la tragédie de parties comiques ou grotesques.
Maeterlinck nous dévoile les simples et pures tragédies. […] Aux uns les mouvements du vulgaire semblent négligeables, peut-être parce qu’ils manquent de cet esprit de généralisation philosophique qui élève à la hauteur d’une tragédie l’aventure la plus humble. […] Il y a dans un roman de Balzac1 un rapide épisode, et confus, qui rappellerait cette tragédie aux généalogistes des idées. […] c’est tiré des singulières Poésies : « Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dans l’ordre physique ou moral, l’esprit de négation, les abrutissements, les hallucinations servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les insatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui est inattendu, ce qu’il ne faut pas faire, les singularités chimiques du vautour mystérieux qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l’orgueil, l’inoculation des stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies, les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence, le spleen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteur préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes par lesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, l’absence de sincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires que les meurtres, les passions, le clan des romanciers de cour d’assises, les tragédies, les odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes, les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère, noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque, anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène d’aquarium et femme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, les âcretés, les monstres, les syllogismes démoralisateurs, les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme l’enfant, la désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancres parfumés, les cuisses des camélias, la culpabilité d’un écrivain qui roule sur la pente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiomes sacrés, la vermine et ses chatouillements insinuants, les préfaces insensées comme celles de Cromwell, de Mademoiselle de Maupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les blasphèmes, les asphyxies, les étouffements, les rages, — devant ces charniers immondes, que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe souverainement. » Maldoror (ou Lautréamont) semble s’être jugé lui-même en se faisant apostropher ainsi par son énigmatique Crapaud : « Ton esprit est tellement malade qu’il ne s’en aperçoit pas, et que tu crois être dans ton naturel chaque fois qu’il sort de ta bouche des paroles insensées, quoique pleines d’une infernale grandeur. » Tristan Corbière Laforgue, au courant d’une lecture, crayonna sur Corbière des notes qui, non rédigées, sont tout de même définitives ; parmi : « Bohème de l’Océan — picaresque et falot — cassant, concis, cinglant le vers à la cravache — strident comme le cri des mouettes et comme elles jamais las — sans esthétisme — pas de la poésie et pas du vers, à peine de la littérature — sensuel, il ne montre jamais la chair — voyou et byronien — toujours le mot net — il n’est un autre artiste en vers plus dégagé que lui du langage poétique — il a un métier sans intérêt plastique — l’intérêt, l’effet est dans le cinglé, la pointe-sèche, le calembour, la fringance, le haché romantique — il veut être indéfinissable, incatalogable, pas être aimé, pas être haï ; bref, déclassé detoutes les latitudes, de toutes les mœurs, en deçà et au-delà des Pyrénées. » Ceci est sans doute la vérité : Corbière fut toute sa vie dominé et mené par le démon de la contradiction. […] Bourget, nous apparaît d’une conception aussi surannée que le poème épique ou la tragédie.
Car aucun ne chantait vraiment des chants nouveaux, aucun ne venait traduire l’intime renouvellement des cœurs, aussi bien les prosateurs estimables dont nous avons parlé que tous les poètes asservis aux anciennes formes d’ode ou d’élégie, enchaînés à la tragédie, inféodés au poème didactique et qui tous pensaient, composaient, rimaient comme en 1788. […] Ce n’est plus le faux Quintilien, tel que La Harpe ou Geoffroy, peseur de mots et de diphtongues, pointilleux, inquisiteur d’une syntaxe factice, gardien jaloux de la poétique de Batteux et de la tragédie de Campistron. […] Il avait encore ébauché d’autres tragédies, parmi lesquelles une Médée. […] Ce n’était pas Delavigne, avec ses cantates pompeuses et saccadées, ni Béranger, avec ses chansons au souffle aisé mais restreint, pas même Soumet, avec son vers de tragédie et d’épopée qui parle à l’imagination, mais résonne rarement dans le cœur. […] Il a créé le drame dans notre pays et formulé un art tragique indépendant de ses prédécesseurs, qui lui appartient, comme la trilogie à Eschyle, la tragédie de la Renaissance à Shakespeare, la tragi-comédie à Corneille, la tragédie classique à Racine.
En assistant à tant de catastrophes inévitables, en voyant passer et s’accomplir sous ses yeux ce grand drame de la Révolution, où la fatalité plane comme dans une tragédie d’Eschyle, toute âme honnête se plaît, dans le calme de la raison et de la conscience, à imaginer un rôle de conciliation, de justice et de miséricorde, rôle inutile et sublime, que nul n’à rempli, que nul ne pouvait remplir, mais dont à cette distance et par une illusion bien permise on ose se croire capable, si les destins recommençaient.
Or, au temps même où il travaillait ses strophes éloquentes, un des plus négligents faiseurs de vers qu’il y ait eu, un des plus grossiers adeptes de la théorie du naturel facile, un barbouilleur qu’on ose à peine nommer un écrivain, et qui, dans les rares moments où les doctrines littéraires le préoccupaient, ne jurait que par Ronsard ; Alexandre Hardy, fournissait à l’esprit classique cette forme nécessaire que Malherbe ne savait pas découvrir, et fondait la tragédie.