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500. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

S’il n’était question que d’éloquence et d’éclat de talent, que d’âme et de cœur, il serait facile de tomber d’accord sur les mérites du brillant dominicain qu’on a perdu ; mais avec lui il s’agit de bien plus désormais. […] J’aime ces extraits qui font voyager les pensées d’un auteur là où elles n’iraient jamais autrement, et qui sèment jusque dans les camps opposés le respect, parfois même un peu d’affection pour ceux que l’on combat ; cela civilise les guerres : « Il y a peu d’années, disait le Père Lacordaire, s’adressant à son jeune ami qu’il désigne sous le nom symbolique d’Emmanuel, les Martyrs de M. de Chateaubriand me tombèrent sous la main ; je ne les avais pas lus depuis ma première jeunesse. […] Comme le solitaire de Bethléem, il avait assisté aux révolutions des empires ; il avait vu tomber Versailles et persécuter le Christianisme ; comme lui, victime d’une mélancolie native que les événements du monde avaient nourrie, il avait cherché dans de lointains exils le remède de ses douloureuses contemplations ; la foi lui était venue de ses larmes, et, purifiant tout à coup son génie jusque-là sans règle, elle lui avait inspiré, sur les ruines de l’Église et de la monarchie, les premières pages qui eussent consolé le sang des martyrs et les tombes de Saint-Denis.

501. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Un rayon sorti de la tombe illustre était allé donner sur son front modeste et continua d’y briller. […] Comme le dit son ami Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, d’un mot expressif à la fois et indulgent, « ce jour-là et à cette heure-là, Frochot fut frappé d’une sorte d’apoplexie morale. » Il n’en revint, une demi-heure après, que par un autre mouvement excessif, et qui peint bien le désordre de sa pensée ; lorsqu’il apprit que tout ce qu’il avait cru d’abord n’était qu’une déception et qu’un rêve, quand les écailles tout à coup lui tombèrent de dessus les yeux : « Ah ! […] Le maître ne voulait que me faire tomber d’une main, et de l’autre main, suivant sa propre expression, me relever plus ou moins ; mais il a appelé pour cela trop de monde.

502. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

On en noterait, quoique ce soit l’exception, par lesquelles Homère a marqué son objet d’un seul trait, presque comme Dante : tantôt c’est un guerrier blessé qui tombe, précipité du haut d’une tour, la tête en avant, pareil à un plongeur ; tantôt c’est un autre qui, frappé au bas-ventre, tombe assis et reste gisant à terre comme un ver. […] Les Grecs et les Troyens acharnés qui se disputent la muraille du retranchement, les uns sans réussir à la forcer tout entière, les autres sans pouvoir décidément la ressaisir, ce sont « deux hommes qui disputent entre eux sur les confins d’une pièce de terre, tenant chacun la toise à la main, et ne pouvant, dans un petit espace, tomber d’accord sur l’égale mesure. » Les deux Ajax qui, ramassés l’un contre l’autre, soutiennent tout le poids de la défense, ce sont « deux bœufs noirâtres qui, dans une jachère, tirent d’un courage égal l’épaisse charrue : la sueur à flots leur ruisselle du front à la base des cornes, et le même joug poli les rassemble, creusant à fond et poussant à bout leur sillon. » Ailleurs, à un moment où les Troyens qui fuyaient s’arrêtent, se retournent soudainement à la voix d’Hector, et où les deux armées s’entre-choquent dans la poussière : « Comme quand les vents emportent çà et là les pailles à travers les aires sacrées où vannent les vanneurs, tandis que la blonde Cérès sépare, à leur souffle empressé, le grain d’avec sa dépouille légère, on voit tout alentour les paillers blanchir : de même en ce moment les Grecs deviennent tout blancs de la poussière que soulèvent du sol les pieds des chevaux et qui monte au dôme d’airain du ciel immense. » Voilà bien le contraste plein de fraîcheur au sein de la ressemblance la plus fidèle.

503. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gautier, Théophile (1811-1872) »

Il arrive même, à ce poète accusé de sensualité, de tomber en plein, tant sa mélancolie devient intense, dans la terreur catholique. […] L’artiste grandit, la critique tombe. […] Nous voulons écrire aux murs de ta tombe, Que ton clair génie eut aussi du cœur.

504. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Philarète Chasles C’était la plus étonnante créature de Dieu, la plus instinctive, la moins apte à conduire les affaires ou à juger les hommes, la mieux douée pour s’élever, planer, ne pas même savoir qu’il planait, tomber dans un abîme et un gouffre de fautes, sans avoir conscience d’être tombé ; sans vanité, car il se croyait et se voyait au-dessus de tout ; sans orgueil, car il ne doutait nullement de sa divinité et y nageait librement, naturellement ; sans principes, car, étant Dieu, il renfermait tous les principes en lui-même ; sans le moindre sentiment ridicule, car il pardonnait à tout le monde et sc pardonnait à lui-même ; un vrai miracle, une essence plutôt qu’un homme ; une étoile plutôt qu’un drapeau ; un arome plutôt qu’un poète, né pour faire couler en beaux discours, en beaux vers, même en actes charitables, en hardis essors, en spontanées tentatives, les trésors les plus faciles, les plus abondants d’éloquence, d’intelligence, de lyrisme, de formes heureuses, quoique trop fluides ; de grâces inépuisables, non pas efféminées, mais manquant de concentration, de sol et de virilité réfléchie. […] Georges Rodenbach Chaque fois qu’il a pris parole : soit sur la page blanche où tombaient ses poèmes spontanés ; soit à la tribune ; dans les rues, les jours de révolution ; à l’Académie, où son discours de réception souleva d’un élan toutes les questions du temps et de l’éternité, chaque fois, ce fut vraiment « un concert », une voix pins qu’humaine, une vaste musique rebelle aux subtilités, mais qui enveloppait toutes les âmes dans ses grands plis.

505. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Alors dans les vastes pensées d’une sublime méditation, le livre antique lui tombe des mains, le soufle inspirateur se répand dans son ame, son cœur s’échauffe ; son imagination s’allume, un frémissement délicieux coule dans ses veines, l’enthousiasme le saisit ; sur des aîles de feu, son esprit s’élance, il franchit les limites du monde, il plane au haut des Cieux : là, il contemple, il embrasse la vertu dans sa perfection, il s’enflamme pour elle jusqu’au ravissement & à l’extase, je vois son front riant tourné vers le Ciel, des larmes de joie coulent de ses yeux, l’amour sacré du genre humain pénetre son cœur d’une vive tendresse, son sang bouillonne ; la rapidité de ses esprits entraîne celles de ses idées ; c’est alors qu’il peint avec sentiment, qu’il lance les foudres d’une mâle éloquence, qu’il crée ces chefs-d’œuvres l’admiration des siécles ; il donne l’ame, la vie, ou plutôt il embrâse tout ce qu’il touche. […] Je les vois tomber dans le gouffre immense de la désolation ; j’entends les portes de l’effroyable abîme se refermer pour jamais, & je te vois un instant près du vainqueur, couronné des rayons de sa gloire, & environné de l’éclat de mille Soleils. Active imagination, tu es la source & la gardienne de nos plaisirs ; ce n’est qu’à toi que nous devons l’agréable illusion qui nous flatte ; tu sçais fournir à notre cœur les plaisirs dont il a besoin ; tu rappelles nos voluptés passées, & tu nous fais jouir de celles que l’avenir nous promet ; tu plais sur-tout à l’esprit ; c’est ta flamme subtile & légere qui colore & les Cieux & la terre & les Mers ; sans toi l’ame se refroidit, la fleur la plus précieuse de notre sensibilité tombe, se fanne, & tous les charmes de la vie disparoissent ; tu distingues dans les Arts celui qui est né avec du génie ; la pensée la plus profonde s’évanouit, si elle n’est revêtue de tes couleurs ; tu as peut-être découvert plus de vérités que la raison même, car tu joins la force à l’agrément, la persuasion à l’autorité ; tout ce qui est vif, délicat, riant est de ton ressort ; oui, tu es le miroir heureux où se peignent, se multiplient, s’embellissent tous les objets de la Nature.

506. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

Au surplus, l’incertitude et l’obscurité où sont tombées les imputations des deux parties ne laisse pas de tourner à l’avantage de notre auteur, car, s’il est impossible de prouver aujourd’hui que Furetière ait réellement prostitué sa sœur et acquis par simonie ses bénéfices, il n’est pas besoin de preuves pour reconnaître que Lorau, Charpentier, Leclerc, Barbier d’Aucourt, Regnier Desmarais et consorts, étoilent les uns des ignorants, les autres de détestables écrivains. […] 13 Ces considérations étaient nécessaires pour expliquer comment l’oubli injuste où Furetière est tombé peut n’être pas un argument contre sa valeur comme écrivain, et même comme romancier. […] On sait quelle indignation éprouvant Saint-Simon à voir tomber aux mains des Pontchartrain, des Le Tellier, des La Vrillière, les ministères et les charges d’état, jusque là dévolus aux ducs.

507. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

Tous les grands hommes n’ont pas que des filles à la manière d’Épaminondas… Tous les grands ministres, même ceux qui furent cardinaux, ne sont pas des moines comme Ximénès et ne sombrent pas tout entiers sous leur cilice et dans la tombe, et il est intéressant de suivre, après eux, la destinée de ces familles au sein desquelles ils ont brillé, — dont ils étaient l’âme et la puissance ; il est intéressant d’apprendre comment se sont écartées et rompues ces racines, verticales et horizontales (comme dit un écrivain allemand), qui les attachaient à la terre ! […] Devant lui Condé, le grand Condé, tombe du prince jusqu’au mousquetaire. […] Beaucoup de duperies historiques y tombent devant le renseignement inattendu.

508. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Récamier »

Eh bien, excepté quelques lettres de cet enragé de vieillir et de mourir qu’on appelle Chateaubriand, et qui est le saule pleureur d’avant sa tombe, excepté plusieurs de ces lettres, dont les meilleures furent publiées dans le Congrès de Vérone, et une ou deux venant d’autres mains, il n’y a rien qu’on puisse citer comme dépassant le niveau épistolaire de tout le monde, et c’est à se demander si c’est vraiment là la plus grande société du monde dans son intimité. […] Cette forme légère que nous avions dans l’esprit comme une peinture d’Herculanum, vient d’y tomber en poussière au souffle de ces lettres, papotage de toutes les femmes du monde qui disent : « C’est charmant !  […] Madame Lenormant n’est, en somme, que la Phlippote de la société de l’Abbaye-au-Bois, qui, comme la Phlippote de Madame Pernelle, porte la lanterne devant eux tous et les reconduit ainsi à leur dernière demeure, — la tombe.

509. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

Et, en effet, le caractère de ces lilliputiennes comédies, c’était la faculté très inattendue, dans un journal très hardi et qui, comme un postillon de noce, n’avait pas peur de verser dans toutes les ornières, de se risquer avec une grâce incomparablement audacieuse et… heureuse sur les bords les plus glissants de cet abîme de l’indécence qui fait tourner la tête aux imaginations pudiques, et de se retenir… et de n’y tomber jamais… Est-ce assez rare, cela ?… Alfred de Musset, le poète, le patricien et le dandy, lui, y serait tombé, et même il y serait tombé en faisant le beau, comme le Gladiateur antique.

510. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Tous ces panégyriques en sonnets, éternellement répétés, et éternellement oubliés, tombent les uns sur les autres, comme la poussière dans un lieu où l’on marche. […] Arrêtez, s’écrie le poète ; que de faibles larmes ne coulent pas pour lui, c’est sur la tombe de la beauté, de la jeunesse et de l’enfance qu’il faut pleurer ; c’est là qu’il faut porter vos chants funèbres ; mais Newton veut d’autres hommages. » Puis tout à coup il s’écrie : « Honneur de la Grande-Bretagne, ô grand homme ! […] tandis qu’avec la nation tu pleures un ami et un père, permets à ma muse de verser sur la tombe de Talbot des vers sortis de mon cœur et dictés par la vérité.

511. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

On ne peut pas tomber plus que cela. […] Mais dix chefs-d’œuvre auraient pu faire ripaille de publicité avec les seules miettes de gloire tombées de cette table de goujats en fête où l’on dévorait l’honneur de la France. […] Toute parole qui tombe dans la foule humaine devient une formule synthétique et oraculaire. […] Buet et nul autre qui m’est tombé sous la main. […] La société catholique, en ce temps-là, commençait déjà à tomber en déliquescence.

512. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

C’est au moment où elle tombe enfin sous les coups tardifs que lui porte le bon sens, que l’ancien poète court un vrai danger. […] Quelles dignités ne seraient pas tombées sur vous ? […] Si elles sont satiriques, méchantes, attristantes, elles ne traverseront pas l’Océan, et tomberont dans le profond oubli qu’elles méritent. […] Un courrier de Vienne venu en six jours lui dit qu’on va le transposter à Sainte-Hélène, et tombe de fatigue à ses pieds. […] Un habitant de l’île d’Elbe s’étonne ; un espion anglais achève de s’enivrer et tombe sous la table au lieu de faire son signal.

513. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

* * * — Un paysan, un ancien châtreur de cochons, tombe chez nous, pour nous acheter nos fermes des Gouttes. […] * * * — Je lis qu’il est tombé de la neige noire dans le Michigan ; — c’est bien la neige du pays de Poë. […] C’est la princesse qui tombe chez nous avec sa suite, une de ses cousines, des amis. […] Il est aux pieds du fauteuil de Sacy qui lui parle par-dessus l’épaule, et dont le mépris enjoué a l’air de tomber de haut sur ce bizarre candidat romantique. […] Puis il s’est assis dans un petit fauteuil près des jupes de la princesse, sa tête s’est abaissée, ses grosses paupières pesantes sont tombées sur ses yeux, et un lourd sommeil, aux mains pendantes en avant, semble l’incliner vers une de ces morts, dont on ramasse le décédé, le nez sur le parquet.

514. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Aussi, avec tout son orgueil, il tombe peu dans le ridicule de la vanité sotte. […] De son poids naturel la larme du Christ tombe sur le front de Satan. […] On me dit une mère, et je suis une tombe. […] Ils tombent vite dans ce qu’on peut appeler la sensibilité de romance. […] Voilà le lieu commun. « Une goutte d’eau est une perle ; tombée elle est fange.

515. (1888) Poètes et romanciers

Tomber en se taisant, c’est être plus fort que ce qui vous renverse. […] Fruit tombé de l’arbre hasard…. […] Nées d’une circonstance, elles tombent avec elle. […] Quelques gouttes de sang tombent d’une élégante et coquette blessure. […] Où elle est, où elle paraît, l’erreur tombe, le mal s’enfuit.

516. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

Lui aprirent les dogmes de la religion catholique, et lui découvrirent les erreurs de l’hérésie, s’exprime en ces termes : « tombez, tombez, voiles importuns etc. ?  […] Ceux qui cherchent trop l’ornement dans le discours tombent souvent dans ce défaut, sans s’en apercevoir ; ils se savent bon gré d’une expression qui leur paroit brillante et qui leur a couté, et se persuadent que les autres en doivent être aussi satisfaits qu’ils le sont eux mêmes. […] Pourquoi donc tombe-t-on dans la même faute dans les dictionaires latins-françois, quand il s’agit de traduire un mot latin ? […] Que si en ces ocasions nous disons plutot, retenez vos larmes, retenez votre colére, c’est que pour exprimer ce sens, nous avons recours à une métaphore prise de l’action que l’on fait quand on retient un cheval avec le frein, ou quand on empêche qu’une chose ne tombe ou ne s’échape. […] Ceux qui dans des ouvrages sérieux tombent par simplicité dans le même inconvénient que les feseurs de chansons, ne sont guère moins répréhensibles, et se rendent plus ridicules.

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