Le clergé accepta les avances, y répondit par des phrases, et se tint sur la défensive. […] Ils tiennent par une parenté trop évidente à la vieille tragédie. […] Le paysage, on le comprend, tient une large place dans ce volume. […] Mignet, au lieu de s’en tenir à une admiration légitime, mais stérile, indiquât cette nuance. […] Tant il est vrai que tout se tient dans la longue chaine des erreurs humaines !
Si votre lecteur ignore le sens du mot dont vous vous servez, si ce mot n’évoque pas en autrui l’idée qui pour vous lui tient par un rapport nécessaire et universel, la propriété de votre expression ne lui donne pas la clarté, et dans ce cas, trop de justesse nuit : on se fait mieux entendre en parlant improprement, Ovide exilé parmi les Scythes disait : « C’est moi qui suis le barbare ici, puisque je ne me fais pas comprendre. » La plus belle harangue en beau langage latin ne valait pas alors pour lui trois mots de jargon scythe tant bien que mal assemblés, plus ou moins écorchés. […] Là, il n’y a pas de propriété qui tienne : comme il faut être compris avant tout, l’expression ne peut être choisie que parmi les mots connus et compris du public auquel on s’adresse.
Eh bien, chers élèves, il ne tient pas à vous d’être de grands savants, de grands écrivains, ni même, pour commencer, d’emporter tous les prix du Lycée ; mais il ne tient qu’à vous d’avoir du courage, de la loyauté, de la bonté.
Je le tiens pour le Ronsard du symbolisme. […] Il en porte la destinée, et on lui saura gré de l’excellente influence qu’il a prise sur ses disciples et dont je tiens à nommer au moins M.
Et aucun ne tient une plume. […] Ainsi le journal disparaîtra : un bon prospectus en tiendra l’office.
Cependant le roi et madame de Montespan se tiennent encore à distance, et ne se voient que dans les grands appartements. […] Une lettre de madame de Sévigné, du 6 novembre, raconte avec sa grâce ordinaire comment le roi, sous le nom d’un certain Langlée, espèce d’aventurier qui tenait un jeu à la cour, lui donna la plus belle robe dont on eut jamais eu l’idée : « M. de Langlée a donné à madame de Montespan une robe d’or sur or, rebrodé d’or, rebordé d’or, et par-dessus un or frisé, rebroché d’un or mêlé avec un certain or qui fait la plus divine étoffe qui ait jamais été imaginée : ce sont les fées qui ont fait cet ouvrage en secret.
Arrivée là, elle déposa graisse et boyaux dans un grand canari, car elle ne se sentait pas le courage de manger de l’animal qu’elle avait élevé et à qui elle avait tant tenu. […] Celle-ci, déchue de son rang, n’eut plus que la situation des femmes ordinaires, de celles qui ne doivent jamais se tenir, sans ordre exprès, au côté de leur mari.
C’est un analyste qui examine l’organe et qui dit : « Étant donné l’ensemble, il est tout naturel, il est nécessaire que la partie ait ce vice ; l’animal en pourra crever, mais nous aurons compris la nécessité de sa fâcheuse aventure. » Taine n’est pas parfait, mais il a une intelligence indépendante ; ses enfants tiennent directement de son tempérament et non point d’une politique adoptée pour obtenir soit la popularité, soit les faveurs du pouvoir. […] » A ces tissus, il impose une forme et prescrit une œuvre ; par suite, sur chaque organe, il applique du dehors et d’en haut ses ligatures, ses appareils mécaniques de direction et de compression, de beaux cadres systématiques et rigides ; tous ces cadres prohibitifs et préventifs, il les maintient en place ; partant, sous prétexte de conduire le travail organique, il le dévie ou l’enraye ; à force d’ingérence, de refoulements et de tiraillements, il parvient à fabriquer des organes artificiels et médiocres qui tiennent la place des bons et empêchent les bons de repousser.
Assurément je vous tiens de plus près qu’à personne par l’amitié et, malgré vous, par le respect ; mais, s’il y a incompatibilité, les premiers engagements sont les plus forts, à moins que Ginguené ne me chasse. […] Le 5 juin 1796, par exemple, Roederer écrivait, sous forme de « Lettre à une dame », une réponse à une question qu’on lui avait adressée : « De quelques livres bons à emporter à la campagne ». — Il faisait plus, il prenait les initiales d’une femme de ses amis, en imprimant un opuscule : Conseils d’une mère à ses filles (1796) ; il s’autorisait du déguisement et tenait assez bien la gageure dans ses préceptes maternels d’une raison modeste et solide. […] Elle était touchée et lui répondait : « Croyez que je vous aime de reconnaissance, de haute opinion et d’attrait. » Cette relation de Roederer et de Mme de Staël fut donc assez vive, de la part du moins de cette dernière ; mais elle s’interrompit bientôt et ne tint pas. […] Talleyrand était l’intermédiaire qui concertait les démarches à faire et la conduite à tenir. […] Bref, les services rendus furent tels qu’à la seconde ou troisième séance que tinrent les consuls provisoires au Luxembourg, Bonaparte fit appeler, par une lettre du secrétaire des consuls, Talleyrand, Volney et Roederer : M. de Talleyrand et moi, dit ce dernier, nous fûmes fort étonnés de nous y rencontrer avec M. de Volney, que nous ne savions pas avoir participé en rien aux opérations du 18 Brumaire.
Revenu d’Italie en France en 1686, Lassay trouva des ennuis domestiques : il avait une fille du premier lit qu’il avait confiée en partant à Mme de La Fayette ; celle-ci qui écrivait de si agréables romans, mais qui n’entendait pas moins bien les affaires positives, jugea que cette pupille était un bon parti pour son fils, et elle était près d’arranger ce mariage contre le gré du père qu’elle cherchait à tenir éloigné. […] Le jour, je me promène sous des hêtres pareils à ceux que Saint-Amant dépeint dans sa Solitude ; et, depuis six heures du soir que la nuit vient, jusqu’à minuit qui est l’heure où je me couche, je suis tout seul dans une grosse tour, à plus de deux cents pas d’aucune créature vivante : je crois que vous aurez peur des esprits en lisant seulement cette peinture de la vie que je mène… Les circonstances qui précédèrent et suivirent ce mariage furent assez singulières, et achevèrent de donner à Lassay, de lui confirmer aux yeux du monde le caractère de bizarrerie et d’excentricité qui tenait plus aux personnes auxquelles il s’était lié, qu’à lui-même. […] Esclave des gens qui sont en faveur, tyran de ceux qui dépendent de lui, il tremble devant les premiers et persécute sans cesse les autres… Souvent il est agité par une espèce de fureur qui tient fort de la folie : ce ne sont quasi jamais les choses qui en valent la peine, mais les plus petites, qui lui causent cette fureur : cela dépend de la situation où se trouve son esprit ; et cela vient aussi de ce qu’il n’est point louché de ce qui est véritablement mal ; si bien qu’il ne regarde jamais les choses, mais simplement les personnes qui les ont faites ; et, si c’est quelqu’un qui lui déplaise, il grossit des bagatelles et en fait une affaire importante : cependant il est si faible et si léger que tout cela s’évanouit, et il ressemble assez aux enfants qui font des huiles de savon. […] Lassay était de ces esprits tempérés, bien faits et polis, que l’usage du monde a perfectionnés en les usant, qui ont peu d’imagination, qui n’ajoutent rien aux choses, et qui prisent avant tout une observation juste, une pensée nette dans un tour vif et concis : « Un grand sens, disait-il, et quelque chose de bien vrai renfermé en peu de paroles qui l’expriment parfaitement, est ce qui touche le plus mon goût dans les ouvrages d’esprit, soit en vers, soit en prose. » Il n’allait pas pourtant jusqu’à la sécheresse, et il tenait à rester dans le naturel ; il croyait que les choses qu’on dit ont quasi toujours chance de plaire quand elles sont plutôt senties que pensées : « Il y a des gens qui ne pensent qu’à proportion de ce qu’ils sentent, observait-il ; et il semble que leur esprit ne sert qu’à démêler ce qui se passe dans leur cœur : ces gens-là, qui sont toujours vrais, ont quelque chose de naturel qui plaît à tout le monde. » Chamfort, qui prête quelquefois de son âcreté aux autres et qui est homme à la glisser sous leur nom, a écrit dans ses notes : « M. de Lassay, homme très doux, mais qui avait une grande connaissance de la société, disait qu’il faudrait avaler un crapaud tous les matins pour ne trouver plus rien de dégoûtant le reste de la journée quand on devait la passer dans le monde. » On ne voit rien ou presque rien dans ce que dit et dans ce qu’écrit Lassay qui soit en rapport avec une si amère parole54. […] Je tiens ce détail d’un homme de ce temps-là et du nôtre, plein de littérature et de bons souvenirs, M.
Saint-Simon, à qui il n’a pas tenu de faire de Villars un personnage burlesque et de comédie, nous a mis au courant de tous ces propos de la malveillance. […] Catinat, chargé de former et de commander un corps d’armée en état de tenir tête au prince Louis de Bade sur cette frontière, et qui d’ailleurs ne fut instruit par sa cour de l’alliance avec la Bavière qu’au dernier moment et lorsqu’elle fut déclarée, se trouva trop faible dès le début pour s’opposer au siège de Landau, qui était alors à la France, et se résigna tout d’abord à la perte de cette place. […] Catinat tient bon et ne démord pas de son dire : « Cela ne se peut pas. » Il voit des difficultés partout, il a réponse à tout ; le meilleur parti à ses yeux, dans le cas présent, n’est que le moins mauvais, et il persiste dans sa méthode expectante, qui doit tout bonnement aboutir à une marche rétrograde raisonnée sous Strasbourg : « Voilà, Sire, quel est mon sentiment. […] Après avoir rejoint Catinat, Villars diffère encore d’opinion avec lui dans la supposition d’une retraite prochaine : quand l’ennemi ferait un mouvement dans la Haute-Alsace, il est d’avis qu’on n’abandonne pas Saverne, et qu’on se poste vers la montagne, assurant sa communication avec la Lorraine ; au lieu que Catinat, qui craint pour le pays plat d’Alsace, veut tenir sur le Rhin. […] Je serai plus circonspect à l’avenir, et je ressens une vive douleur de m’en être écarté… Quand on lit la suite de ses lettres, il semble toutefois que les bonnes raisons pour la conduite qu’il tint alors ne lui ont pas tout à fait manqué.
À propos du clinquant qu’il avait reproché au Tasse, Boileau avait été blâmé par un traducteur du Tasse et déclaré plus poète que critique : contrairement à ces sentences du nouveau siècle, Marais tient ferme et reste dans les termes de sa première admiration : « Je dis que Despréaux était grand critique, qu’il l’a montré par ses Satires qui sont des critiques en vers, et que son Art poétique est un des plus beaux ouvrages de critique que nous ayons, aussi bien que ses Réflexions sur Longin. » Le président Bouhier, dans une dissertation savante, avait parlé un peu légèrement de Despréaux et de Bayle, les deux cultes de Marais ; celui-ci, après avoir lu la pièce manuscrite que lui avait communiquée l’auteur, le supplie (et il y revient avec instance) de modifier ce qu’il a dit d’eux et d’adoucir un peu ses expressions ; et il en donne, en définitive, une touchante et haute raison, tirée de Cicéron même, cette source de toute belle pensée et de toute littérature : « Multum parcendum est caritati hominum, ne offendas eos qui diliguntur. […] Auquel des deux tenait-il le plus ? […] Il le tenait au courant des nouveautés, des bruits de tout genre. Quand des lettres de Catinat couraient en Hollande et que Bayle voulait savoir si les Parisiens les tenaient pour authentiques, c’était à Marais qu’il s’adressait. […] On ne tire de lui rien de précis ; il ajourne, il est malade, il ne sait quand il travaillera ; « enfin, c’est un sot homme. » On voit par les lettres de Marais et du président Bouhier en quelle médiocre estime le tenaient ces vrais savants : lui, il n’était qu’un courtier de savants.
Voilà près d’un demi-siècle, voilà quarante-quatre années du moins que M. de Chateaubriand a inauguré notre âge par Atala, par le Génie du Christianisme, et s’est placé du premier coup à la tête de la littérature de son temps : il n’a cessé d’y demeurer depuis ; les générations se sont succédé, et, se proclamant ses filles, sont venues se ranger sous sa gloire ; presque tout ce qui s’est tenté d’un peu grand dans le champ de l’imagination et de la poésie procède de lui, je veux dire de la veine littéraire qu’il a ouverte, de la source d’inspiration qu’il a remise en honneur ; ce qu’on a, dans l’intervalle, applaudi de plus harmonieux et de plus brillant est apparu comme pour tenir ses promesses et pour vérifier ses augures ; il a eu des héritiers, des continuateurs, à leur tour illustres, il n’a pas été surpassé ; et aujourd’hui, quand beaucoup sont las, quand les meilleurs se dissipent, se ralentissent ou se taisent, c’est encore lui qui vient apporter à la curiosité, à l’intérêt de tous, un volume impatiemment attendu, et qui n’a, si l’on peut dire, qu’à le vouloir pour être la fleur de mai, la primeur de la saison. […] Avant le moment de sa conversion, Rancé fut député du second ordre à l’Assemblée générale du Clergé qui se tint dans les années 1655-1657 ; il y eut un rôle assez actif et même d’opposition à la Cour, au moins en ce qui concernait les intérêts du cardinal de Retz, son ami, qu’on voulait déposséder. […] Déjà, dans un séjour qu’il y avait fait en 1662, il avait dû purger les lieux de la présence des anciens religieux, au nombre de six, qui n’en avaient plus que le nom et qui y vivaient en toutes sortes de désordres ; menacé par eux et au risque d’être poignardé ou jeté dans les étangs, il avait tenu bon, refusant même l’assistance que lui offrait M. de Saint-Louis, un colonel de cavalerie du voisinage, digne militaire dont Saint-Simon nous a transmis les traits. […] La princesse Palatine le consultait et suivait ses directions ; le roi d’Angleterre, pour se consoler de la perte d’un trône, revenait l’entretenir de Dieu chaque année ; la duchesse de Guise (fille de Gaston d’Orléans) faisait des stations à la Trappe deux et trois fois l’an et se logeait dans les dehors ; le maréchal de Bellefonds se tenait toujours à portée et avait une maison dans le voisinage. […] On fit courir dans le temps divers bruits contradictoires, et quelques personnes prétendaient qu’il avait redoublé de frayeur aux approches suprêmes : « S’il a eu, comme on vous l’a dit (écrivait Bossuet à la sœur Cornuau), de grandes frayeurs des redoutables jugements de Dieu, et qu’elles l’aient suivi jusqu’à la mort, tenez, ma fille, pour certain que la constance a surnagé, ou plutôt qu’elle a fait le fond de cet état. » Peu de temps après cette mort, le même Bossuet, qu’on ne se lasse pas de citer et dont on n’a cesse de se couvrir en telle matière, posait ainsi les règles à suivre et traçait sa marche à l’historien d’alors, tel qu’il le concevait : « Je dirai mon sentiment sur la Trappe avec beaucoup de franchise, comme un homme qui n’ai d’autre vue que celle que Dieu soit glorifié dans la plus sainte maison qui soit dans l’Église, et dans la vie du plus parfait directeur des âmes dans la vie monastique qu’on ait connu depuis saint Bernard.
Pendant que M hiers entrait au Constitutionnel par M tienne, M ignet arrivait par Châtelain au Courrier, et y prenait rang d’abord dans des articles sur la politique extérieure qui eurent l’honneur d’être remarqués de M e Talleyrand. […] Ces deux jeunes esprits entraient dans la lutte bien persuadés que la dynastie (par suite de toutes sortes de raisons et de circonstances générales ou individuelles dont ils n’étaient pas embarrassés de rendre compte) ne se résignerait jamais à subir le gouvernement représentatif ainsi entendu, et dès lors ils tenaient pour certaine l’analogie essentielle qui se reproduirait jusqu’à la fin entre la révolution française et la révolution d’Angleterre, et qui amènerait pour nous au dernier acte un changement de dynastie. […] Ces chapitres, dans lesquels le drame romanesque de Perez rejoint et traverse les grands intérêts de l’histoire, et où les deux ressorts se confondent, sont d’un suprême intérêt ; et en tout, dans le cours de cette publication épisodique, M.Mignet a su combiner le genre de piquant qui tient à une destinée individuelle et aventurière, avec la gravité habituelle qu’il aime dans les conclusions. […] M.Mignet, on l’a vu, distingue dans l’histoire deux portions, l’une plus fixe et comme infaillible, qui tient aux lois des choses, et l’autre plus mobile, plus ondoyante, qui tient aux hommes : or on peut observer que souvent il exprime bien fortement la première et lui subordonne trop strictement la seconde ; et cette inégalité n’a pas lieu seulement (comme il serait naturel de l’admettre) dans la conception et l’ordonnance générale du tableau, mais elle se poursuit dans le détail, elle se traduit et se prononce dans la marche du style et jusque dans la forme de la phrase.
Il resterait toujours à savoir si ce procédé attentif et curieux, employé à l’exclusion de tout autre, est dramatique dans le sens absolu du mot ; et pour notre part nous ne le croyons pas : mais il suffisait, convenons-en, à la société d’alors, qui, dans son oisiveté polie, ne réclamait pas un drame plus agité, plus orageux, plus transportant, pour parler comme madame de Sévigné, et qui s’en tenait volontiers à Bérénice, en attendant Phèdre, le chef-d’œuvre du genre. […] Un régulier lui disputa ce prieuré ; un procès s’ensuivit, auquel personne n’entendit rien ; et Racine ennuyé se désista, en se vengeant des juges par la comédie des Plaideurs qu’on dirait écrite par Molière, admirable farce dont la manière décèle un coin inaperçu du poëte, et fait ressouvenir qu’il lisait Rabelais, Marot, même Scarron, et tenait sa place au cabaret entre Chapelle et La Fontaine. […] Corneille aussi essaya pendant quelques années de renoncer au théâtre ; mais, quoique déjà sur le déclin, il n’y put tenir, et rentra bientôt dans l’arène. […] Nourri des livres sacrés, partageant les croyances du peuple de Dieu, il se tient strictement au récit de l’Écriture, ne se croit pas obligé de mêler l’autorité d’Aristote à l’action, ni surtout de placer au cœur de son drame une intrigue amoureuse (et l’amour est de toutes les choses humaines celle qui, s’appuyant sur une base éternelle, varie le plus dans ses formes selon les temps, et par conséquent induit le plus en erreur le poëte). […] Mais je m’en tiens au brûlé de plus de feux : c’est une fort jolie trouvaille.
Il ne s’est engagé qu’à cette condition ; il n’est tenu de respecter les lois que parce qu’il a contribué à les faire, et d’obéir aux magistrats que parce qu’il a contribué à les élire. […] De là en lui un fonds persistant de brutalité, de férocité, d’instincts violents et destructeurs, auxquels s’ajoutent, s’il est Français, la gaieté, le rire, et le plus étrange besoin de gambader, de polissonner au milieu des dégâts qu’il fait ; on le verra à l’œuvre. — En second lieu, dès l’origine, sa condition l’a jeté nu et dépourvu sur une terre ingrate où la subsistance est difficile, où, sous peine de mort, il est tenu de faire des provisions et des épargnes. […] S’il ne tient pas les enfants, il n’aura pas les adultes. […] Il ne peut pas être zélé pour l’État et il est tenu en conscience de supporter les tyrans. […] Neuvième époque), on se vit obligé de renoncer à cette politique astucieuse et fausse qui, oubliant que les hommes tiennent des droits égaux de leur nature même, voulait tantôt mesurer l’étendue de ceux qu’il fallait leur laisser sur la grandeur du territoire, sur la température du climat, sur le caractère national, sur la richesse du peuple, sur le degré de perfection du commerce et de l’industrie, et tantôt partager avec inégalité les mêmes droits entre diverses classes d’hommes, en accorder à la naissance, à la richesse, à la profession, et créer ainsi des intérêts contraires, des pouvoirs opposés, pour établir ensuite entre eux un équilibre que ces institutions seules ont rendu nécessaire et qui n’en corrige même pas les influences dangereuses. » 430.
Le paupérisme, et l’inégalité des biens, la nature du pouvoir royal, l’origine de l’État et des pouvoirs publics, la justice, l’instinct, la nature du mal, l’origine de la société, de la propriété, du mariage, le conflit du clergé séculier et du clergé régulier, des mendiants et de l’Université, l’œuvre de création et de destruction incessantes de la nature, les rapports de la nature et de l’art, la notion de la liberté et son conflit avec le dogme et la prescience divine, l’origine du mal et du péché, l’homme dans la nature, et son désordre dans l’ordre universel, toutes sortes d’observations, de discussions, de démonstrations sur l’arc-en-ciel, les miroirs, les erreurs des sens, les visions, les hallucinations, la sorcellerie et jusque sur certain phénomène de dédoublement de la personnalité, voilà un sommaire aperçu des questions que traite Jean de Meung, outre tous les développements de morale et de satire qui tiennent plus directement à l’action du roman, etje ne sais combien de contes mythologiques extraits d’Ovide ou de Virgile, tels que les amours de Didon et l’histoire de Pygmalion. […] En bon bourgeois aussi, le collaborateur indigne de Guillaume de Lorris méprise les femmes : et de ce mépris brutal et profond naît pour lui l’impossibilité de comprendre l’amour courtois : comment peut-on perdre temps en propos ingénieux, en grimaces dévotes, avec cet être fragile, vicieux, bavard, menteur, et qui ne sert pour un prud’homme qu’à tenir le ménage et donner des enfants ? […] Au reste quiconque, en toute chose, ramènerait sa pensée et conformerait ses actes aux commandements de cette toute bonne et puissante nature, celui-là serait assuré de tenir et le vrai et le bien. […] L’Évangile est sa règle, il s’y tient, il le défend : il dispute contre ceux qui lui semblent s’en éloigner, il se fait le champion de l’ancienne foi contre les nouveautés de l’Évangile éternel, et c’est pour purifier la religion, qu’il fait une si rude guerre à la corruption de l’Église, aux vices des ordres monastiques. […] Reportons, avant de terminer, notre pensée vers le bon sénéchal de Champagne, qui bientôt allait recueillir ses souvenirs du saint roi Louis IX : Joinville et Jean de Meung, tout le xiiie siècle tient en ces deux noms, avec l’opposition de deux classes, le contraste de deux esprits.