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330. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Vandyck a fait un grand tableau de chevalet, où cet infortuné general est représenté dans la posture d’un mandiant qui tend la main devant les passans. […] Ce goût se forme en nous-mêmes et sans que nous y pensions. à force de voir des tableaux durant la jeunesse, l’idée, l’image d’une douzaine d’excellens tableaux se grave et s’imprime profondément dans notre cerveau encore tendre.

331. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Louis Wihl »

— Vous n’êtes pas tendre ! […] Tout fils qu’il est, comme nous, de cette pénétrante et éparpillante civilisation  qui tend de plus en plus à se substituer à toutes les patries, et qui éteindra un de ces jours jusqu’aux sons du cor de l’enfant des Alpes, l’auteur des Hirondelles a entendu, dans sa pensée, ce Ranz, qui n’était pas ailleurs, des montagnes de la Judée muette, et il en a mis l’écho dans des vers capables de donner le mal du pays aux âmes lâches qui ne l’éprouvent plus.

332. (1824) Épître aux muses sur les romantiques

C’était un beau jeune homme, une tête à caprices ; Son front à demi chauve, et le désordre heureux Où tout l’art d’Hippolyte avait mis ses cheveux, Son cou penché, son air tendre et mélancolique, Ses yeux à peine ouverts, et son regard oblique, Tout en lui décelait une peine de cœur, Que de son teint fleuri démentait la fraîcheur. […] Le siècle n’est pas tendre, il n’est que vaporeux ; Quand on est romantique on n’est point amoureux.

333. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

certes, on n’est pas d’une jeunesse tendre quand on a feuilleté cet ouvrage. […] Ils tendaient l’oreille, anxieux. […] Ô tendre Automne ! […] Ô tendre lueur lointaine ! […] Mais je suis certain qu’elles me tendirent de pauvres bras avec des fleurs de jacinthe au bout.

334. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

La plupart des principes philosophiques, qui tendaient à leur développement sous la Constitution de l’an III bien comprise et mieux respectée, trouvèrent un brillant organe en elle durant cette période, assez mal appréciée, de sa vie politique et littéraire. […] A Acosta, comme à Coppet, elle disait ainsi ; elle tendait plus que jamais les mains vers cette rive si prochaine63. […] Elle avait la voix forte, le visage un peu mâle, mais l’âme tendre et délicate… Elle écrivait alors son livre sur l’Allemagne et nous en lisait chaque jour une partie. […] Tous ses vœux tendaient vers l’Angleterre, elle y dut aller par Saint-Pétersbourg. […] comme, à certains moments de sévérité du faux monde et des faux moralistes, le lendemain de Lélia, comme elle fût accourue en personne, pleine de tendre effroi et d’indulgence !

335. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Elle lui parle : Quand je te retrouve, bien-aimée, ô solitude, Avec tes yeux si purs et tes cheveux légers, J’aime aller avec toi, le long des prés mouillés, Cueillir de tendres fleurs, afin de t’en orner. […] jamais la grâce du jasmin          Si délicate à la muraille qui s’effrite N’offrit mieux son parfum, presque comme le rite         D’un malade qui tend la main. […] Elle-même n’attend plus qu’une plus parfaite compréhension de la nature, une plus souple adaptation à la vie de tous les jours : Parlez-moi, bras levés, muscles tendus des chênes. […] Nous voyons des arbres tordre sous lèvent leur chair de femme, tendre leurs muscles. […] Ces chevaux, en voyant l’index se tendre et pointer, Caracolent !

336. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Elle tend à transformer, autant qu’il dépend d’elle, l’univers et l’humanité à son image… » Elle tend à devenir une règle, et le Moraliste comprend cela. […] Si l’on est tendre soi-même jusqu’à la maladie, s’agenouiller devant la sœur douloureuse et l’adorer d’être douloureuse. […] Comme toutes les créatures, elle tend à persévérer dans son être. […] Comme elle est, naturellement, héroïque à la fois et enfantine, elle souhaite la gloire ; et, comme elle est tendre, elle souhaite la, sympathie. […] Il est pessimiste et il est tendre.

337. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Quant à sa femme, elle portait dans son regard et dans les traits de sa bouche tout le cœur à la fois si tendre et si sublime de son premier mari, et tout le bonheur qu’elle devait au second. […] Horace lui raconte les tendres regards d’Agnès du haut du balcon. « Quant à l’homme qui entretient Agnès dans cette maison, ajoute-t-il, on m’en a parlé comme d’un ridicule, ne le connaissez-vous pas ?  […] » Ce délicieux passage est l’expression de l’amour le plus tendre, et nous en verrons tous les traits se développer successivement dans le cœur du Misanthrope. […] Vous êtes donc bien tendre à la tentation, Et la chair sur vos sens fait grande impression ! […] Préoccupé des précautions qu’il a prises, il croit, sans examen, qu’Agnès est aussi stupide qu’il le souhaite, et tous ses discours tendent à entretenir cette stupidité.

338. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Il m’apparaît, parmi les poètes comme Prospéro, qui sourit d’un si beau, si tendre et si mélancolique sourire à Miranda, à Rosalinde et Ariel. […] Il sauve ainsi les hommes et la nature par une rédemption toute tendre. […] Il cherche seulement à les sauver tous ensemble par l’amour et les émotions les plus tendres. […] Et la fleur du drame, au-dessus de la forêt pleine de monstres, s’épanouit enfin dans le pur séjour d’émotions tendres. […] Ici, on ne se flaire plus aux dents, au ricanement, à l’odeur du fiel et du sang : l’accueil des lèvres est baiser, salut tendre et sourire.

339. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

« Cet homme, qui faisoit de si belles lettres, dit quelque part le chevalier en parlant de Voiture, voulut être de mes amis en apparence ; je voyois qu’il disoit souvent d’excellentes choses, mais je sentois qu’il étoit plus comédien qu’honnête homme ; cela me le rendoit insupportable, et j’aimois Balzac de tout mon cœur, parce qu’il étoit tendre et plein de sentiments naturels30. » On devine, sous ces beaux mots, ce que l’amour-propre ne sait pas voir ou ne veut pas dire. […] C’est tout un petit roman finement touché, tendre et discret, un tableau peint de couleurs du temps, qui, à demi passées, font sourire et plaisent encore. […] Le meilleur moyen qui s’en présente dépend de bien lire ; il faut donc que je tâche de lui plaire en tirant la quintessence de tous les agréments qui la peuvent toucher par la meilleure manière de lire ; elle consiste à bien prononcer les mots, et d’un ton conforme au sujet du discours, que ma parole la flatte sans l’endormir, qu’elle l’éveille sans la choquer, que j’use d’inflexions pour ne la pas lasser, que je prononce tendrement et d’une voix mourante les choses tendres, mais d’une façon si tempérée, qu’elle n’y sente rien d’affecté46. […] J’avois eu tant d’attention à son discours, que j’allois le prier de continuer, quand je vis dans ses yeux une tristesse si tendre et si profonde, que je crus qu’il étoit près de s’évanouir. […] Et parce que tout le monde veut être heureux, et que c’est le but où tendent toutes les actions de la vie, j’admire que ce qu’ils appellent vice soit ordinairement doux et commode, et que la vertu mal entendue soit âpre et pesante.

340. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Mais ce prieur avait auprès de lui un neveu d’un âge tendre, nommé Julio Mosti, qui compensait autant qu’il était en lui par ses assiduités, ses entretiens, ses tendresses, la dureté de son oncle. […] Son grand nom sollicitait pour lui, il l’agrandissait encore par des vers et des chants nouveaux ajoutés à loisir à son poème ; il composait, à la requête des religieux de Monte Oliveto, un poème pieux sur l’origine de leur ordre, pour leur exprimer sa reconnaissance de leur magnifique et tendre hospitalité. […] « Au reste, si la Jérusalem a une fleur de poésie exquise, si l’on y respire l’âge tendre, l’amour et les déplaisirs du grand homme infortuné qui composa ce chef-d’œuvre dans sa jeunesse, on y sent aussi les défauts d’un âge qui n’était pas assez mûr pour la haute entreprise d’une épopée. […] Il quitta, non sans regrets cette fois, ses appartements dans le Vatican, la table des cardinaux dont il était le convive, et surtout la tendre familiarité du neveu du pape. […] « Priez Dieu pour moi, et soyez assuré que, de même que je vous ai toujours chéri et honoré dans le présent, maintenant, dans cette vie plus réelle que je vais commencer, je ferai pour vous tout ce qui me sera inspiré par la plus tendre et la plus parfaite charité du cœur ; et dans ces sentiments je recommande vous et moi à la divine miséricorde.

341. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVe entretien. Ossian fils de Fingal »

« Les enfants de Loclin en tendirent de loin le bruit de sa course impétueuse. […] Les casques volent en éclats ; le sang coule et fume dans la plaine ; les cordes résonnent sur les arcs tendus, les flèches sifflent dans l’air ; les lances agitées tracent des cercles lumineux qui dorent la face orageuse de la nuit. […] Une belle fut l’objet de son amour : elle était belle, la fille du puissant Comlo ; elle paraissait au milieu des autres femmes comme un astre éclatant : sa chevelure était noire comme l’aile du corbeau ; ses chiens étaient dressés à la chasse : elle savait tendre l’arc et faire siffler la flèche dans les forêts. […] J’exhalerai mes gémissements sur les vents, jusqu’à ce que la trace de mes pas s’efface sur la terre… Et toi, belle et tendre Bragela pleure la perte de ma renommée ; car jamais je ne retournerai vers toi : je suis vaincu !  […] Renvoie, au travers des mers, l’épée d’Orla à sa tendre épouse, afin que, les yeux trempés de larmes, elle puisse la montrer à son fils et allumer dans son cœur l’amour de la guerre.

342. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Ici je traduis aussi exactement qu’il m’est possible : « Cependant l’Amour, à travers l’air blanc, arriva invisible, aussi âpre que l’est aux tendres génisses le taon que les pasteurs appellent la mouche des bœufs ; et bien vite, sous la porte, dès le vestibule, ayant tendu son arc, il tira de son carquois une flèche toute neuve, source de gémissements. […] Et elle craignait pour lui, elle craignait que les bœufs ou qu’Éétès lui-même ne le fissent périr ; elle le pleurait comme déjà tout à fait mort ; de tendres larmes inondaient ses joues dans la violence de sa pitié, et, se lamentant faiblement, elle poussa cette plainte d’une voix frêle : « Pourquoi, malheureuse, cette angoisse me tient-elle ainsi ? […] — Rien de plus heureux, on le voit, que tout ce concert extérieur qui tend à faire de Médée le personnage nécessaire. […] Votre air étoit encore plus grand qu’il ne l’est naturellement ; votre passion brilloit dans vos yeux, et elle les rendoit plus tendres et plus perçants. […] … » Jason aurait pu dire la même chose des imprécations de Médée : elle n’a pas assez de paroles tendres pour sa mère et pour sa sœur, et en conséquence elle les quitte ; elle maudit Jason, et en conséquence elle court à lui : c’est la pure logique de la passion.

343. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Pessimisme : Il est manifeste pour quiconque conserve l’arrière-goût de ses lectures, que les romans de Flaubert tendent à donner de la vie un sentiment d’amère dérision. […] Quelquefois les rayons du soleil, traversant la jalousie, tendaient, depuis le plafond jusque sur les dalles, comme les cordes d’une lyre. […] Détestant la réalité de toute la haine d’un idéaliste qui se trouve contraint de la voir, il s’est enfui du monde moderne en un monde antique embelli ; et non content de cette évasion vers le splendide, il a sans cesse tendu et parfois réussi à échapper radicalement au réel, en substituant aux individus les types, à un récit de faits particuliers, un récit de faits allégoriques. […] La difficulté de bien faire cette sorte de phrase, la peine qu’elle lui donnait proscrivant toute prolixité, le fit condenser ses descriptions et ses analyses, en leurs points les plus significatifs, rendit son style tendu et stable. […] En fonction de cette science, il existait dans l’intelligence de Flaubert d’une part une série de données des sens et une sérié de mots qui s’accordaient avec elles et les exprimaient naturellement ; de l’autre, une série de formes verbales acquises, et développées, auxquelles correspondaient non des données sensorielles, mais de simples prolongements idéaux et qui tendaient pourtant comme les autres vocables, à être articulées.

344. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Les philosophes répondaient que ce sont des machines, sortes d’horloges qui remuent et font un bruit : « Mainte roue y tient lieu de tout l’esprit du monde ; la première y meut la seconde, une troisième suit, elle sonne à la fin. » Malebranche, si doux et si tendre, battait sa chienne, alléguant qu’elle ne sentait point, et que ses cris n’étaient que du vent poussé dans un conduit vibrant. […] Seulement il en ajoute chez nous une seconde « commune à nous et aux anges, fille du ciel, trésor à part, capable de suivre en l’air les phalanges célestes, lumière faible et tendre pendant nos premiers ans, mais qui finit par percer les ténèbres de la matière. » Ces gracieuses rêveries, imitées de Platon, vraie philosophie de poëte, peignent son sentiment plutôt que sa croyance. […] Florian a fait de la sarcelle une tendre et ingénieuse amie. […] Il choisira parmi les oiseaux, « le peuple au col changeant, au coeur tendre et fidèle », la colombe compatissante qui jette un brin d’herbe à la fourmi qui se noie, qui met la paix entre les vautours ses ennemis. Il verra le pigeon voleter avec un empressement gracieux autour de sa femelle, baisser et relever tout à tour son col flexible d’un air suppliant et tendre, attacher longuement sur elle ses yeux si doux, et se soulever à demi sur ses ailes bleuâtres pour la becqueter de son bec rosé et délicat.

345. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

. — Elle lui écrit, le 3 juillet 1846 : « Tu n’es plus là le matin pour me laisser dormir… Dès sept heures, je tends les bras à la Providence et à toi. » Et, le 7 décembre de la même année : « Je t’aime ! […] J’avais supposé bénévolement qu’un hasard ou le caprice d’une conversation tendre, les avait amenés à se révéler mutuellement la liste complète de leurs prénoms respectifs et qu’ils s’étaient réjouis entre eux d’une coïncidence dont les archives de l’état civil dérobaient le secret au public. […] Il leur eût sans doute été difficile d’être autrement : comment ne pas aimer, fût-ce en souriant un peu, cette passionnée tendre, aux propos naïfs et colorés, qui portait en elle un si grand foyer de charité et un si inépuisable trésor d’illusions, cette sainte échappée du chariot de Thespis, et que son indigence et ses habitudes de demi-bohème faisaient si particulière et pittoresque à son insu ? […] Les démarches étaient remises, et il vient ce matin. » — « J’ai couru à l’Abbaye-au-Bois ; tout ce que tu peux rêver d’affable, de tendre, de bon, de grâce, c’est Mme Récamier. […] Sainte-Beuve écrit encore à Marceline : « … Ici, du moins, il y a tout ce qui peut adoucir, élever et consoler le souvenir : cette pureté d’ange dont vous parlez, cette perfection morale dès l’âge le plus tendre, cette poésie discrète dont elle vous devait le parfum et dont elle animait modestement toute une vie de règle et de devoir, cette gravité à la fois enfantine et céleste par laquelle elle avertissait tout ce qui l’entourait du but sérieux et supérieur de la vie… » Je suis tenté de croire, — car le même sentiment s’y retrouve, et presque les mêmes expressions, — que l’admirable pièce des Consolations : Toujours je la connus pensive et sérieuse… fut inspirée à Sainte-Beuve par le souvenir de cette charmante Ondine Valmore.

346. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Cette acharnée persistance à n’user en une fois que d’un style, à ne susciter et redoubler qu’une émotion, conquiert le lecteur, l’emmène et le trouble ; perdant pied dans l’irréel, lentement dépouillé du sens de sa personnalité, il est soumis et lié, muet d’épouvante, transfixé de douleur, maniaque d’analyse, consterné de la mort d’une amante qu’il n’a pas connue, attaché par un enthousiasme froidement tendu à la démonstration d’un principe métaphysique, énorme à intégrer l’univers. […] Les particules irradiées en vertu de la première force, tendent par la seconde à rentrer dans leur état primitif d’unité. […] Le lecteur est ému en ses facultés de calculateur et d’analyste, qui ne correspondent dans son expérience à rien de passionnant ou de tendre. […] Il écrit dans une étude sur Hawthorne : « Dans toute composition, il ne devrait y avoir pas un mot d’écrit, qui ne tende directement ou indirectement au dessein préétabli. » Il débute dans son Essai sur la poésie américaine par déclarer : « L’ordre le plus élevé de l’intelligence imaginative est toujours principalement mathématique. » Les passages abondent où il proclame l’identité de la faculté calculatrice et de l’artistique. […] Le calcul esthétique et la connaissance de l’homme régissant l’élaboration de l’œuvre, chaque détail ajouté involontairement, les forces vives de l’artiste contenues, concentrées et dirigées sur le but prémédité, le trouble et les erreurs de la passion écartés, la dispense de confessions et d’étalages, à ces innovations tendent les doctrines de Poe, qui marquent aussi clairement que son œuvre l’intellectualité de son âme.

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