/ 3963
17. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Envisagés ensuite dans leur multiplicité, ils se déroulent dans le temps, ils constituent la durée. […] De là l’idée de faire durer les choses comme nous durons, et de mettre le temps dans l’espace. […] L’erreur de Kant a été de prendre le temps pour un milieu homogène. […] Ainsi la distinction même qu’il établit entre l’espace et le temps revient, au fond, à confondre le temps avec l’espace, et la représentation symbolique du moi avec le moi lui-même. […] Le temps et l’espace ne seraient donc pas plus en nous qu’en dehors de nous ; mais la distinction même du dehors et du dedans serait l’œuvre du temps et de l’espace.

18. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

Aux temps de la seconde barbarie (celle du moyen âge), les représailles particulières durèrent jusqu’au temps de Barthole. […] Ce respect inflexible de la parole dans les temps héroïques montre bien qu’Agamemnon ne pouvait rompre le vœu téméraire qu’il avait fait d’immoler Iphigénie. […] Dans les temps barbares, on doit trouver une jurisprudence rigoureusement attachée aux paroles ; c’est proprement le droit des gens, fas gentium. […] C’est que l’étude des mœurs du temps est l’école des princes. […] Toutes les choses dont nous avons parlé se sont pratiquées dans trois sectes de temps, sectæ temporum, dans le langage des jurisconsultes : celle des temps religieux pendant lesquels régnèrent les gouvernements divins ; celle des temps où les hommes étaient irritables et susceptibles, tels qu’Achille dans l’antiquité, et les duellistes au moyen âge ; celle des temps civilisés, où règne la modération, celle des temps du droit naturel des nations humaines, jus naturale gentium humanorum (Ulpien).

19. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Les Femmes et la société au temps d’Auguste Blaze de Bury, Les Femmes et la société au temps d’Auguste. […] L’auteur des Femmes au temps d’Auguste a écrit, avec beaucoup de notions de plus, comme on pouvait écrire du temps d’Auguste, et c’est en raison de ces notions de plus que nous le préférons à un ancien de ce temps-là. […] Blaze de Bury s’est rajeuni en écrivant ses Femmes au temps d’Auguste. […] Et cependant, il faut être juste, l’auteur des Femmes au temps d’Auguste n’est pas uniquement un romancier. […] L’historien des femmes sous Auguste sera lu par les femmes de ce temps sans Auguste.

20. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Toute forme occupe ainsi de l’espace comme elle occupe du temps. […] Mais de quel temps s’agit-il ? […] L’opération n’exige donc pas un temps déterminé, et même, théoriquement, elle n’exige aucun temps. […] Le temps d’invention ne fait qu’un ici avec l’invention même. […] Et c’est ce rien qui prend du temps.

21. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 37, des défauts que nous croïons voir dans les poëmes des anciens » pp. 537-553

Il a dû y jetter le merveilleux compatible avec la vraisemblance, suivant la religion de son temps. […] Mais on étoit encore en habitude de son temps de regarder les poesies comme des monumens historiques. […] Cependant il n’y a qu’un petit nombre d’usages, et même un petit nombre de vices et de vertus qui aïent été loüez ou blâmez dans tous les temps et dans tous les païs. […] La profession du poete est de bien décrire ceux que les hommes de son temps sçavent faire. […] Ce qui étoit ordinaire de leur temps, ce qui est commun dans leur patrie, peut paroître blesser la vraisemblance et la raison, à des censeurs qui ne connoissent que leur temps et leur païs.

22. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Il mourut en juin 1703, sans avoir eu le temps de les retoucher ni de les gâter. […] Mais j’anticipe sur les temps. […] L’argent étant venu quelque temps après, il s’en alla. […] À l’école d’un si bon maître, Gourville, devenu receveur général des tailles en Guyenne, réalisa en peu de temps de grandes richesses. […] Si la Fronde avait duré, en temps de désordre, il aurait continué de se permettre bien des choses illicites qui auraient gâté sa nature.

23. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

De là résulte, par conséquent, l’inutilité des castes, ou d’institutions analogues, dans les temps nouveaux. […] Ce qu’il y a de pernicieux pour la société, dans tous les temps, c’est le demi-savoir ou l’apparence du savoir. […] N’oublions pas cependant : comme du temps de Bossuet la lice fut ouverte à toutes les opinions au sujet des points contestés. […] Nous ne pouvons assez le remarquer, le symptôme effrayant des temps où nous vivons c’est l’activité dévorante des esprits qui est hors de proportion avec la mesure du temps. Le temps est toujours sur le point de nous manquer.

24. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Les institutions des peuples sont filles du temps ; et le temps, qui fonde et qui détruit, le temps, ce grand et irrévocable interprète de la Divinité, le temps achève à peine, au milieu de nous, l’ouvrage de la destruction : voilà qu’il va commencer à fonder. […] Mais cela est devenu nécessaire, parce que le marteau des hommes s’est uni au marteau du temps. […] Je ne pouvais m’empêcher de remarquer ces temples chrétiens élevés sur les débris de temples païens, et atteints, à leur tour, par l’infatigable faux du temps. […] Mais ne cherchons point ici l’analogie que d’autres ont cru trouver : les rapports qui peuvent exister entre les temps où s’établit le christianisme, et les temps où nous vivons, ne sont que des rapports d’apparences grossières : nous aurons plus d’une fois occasion de remarquer les différences réelles et intimes. […] La faute, selon moi, tient, au contraire, à ce qu’on a enlevé des digues qui doivent subsister en tout temps ; car, en tout temps, il faut que les peuples soient gouvernés.

25. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Je l’ai dit, et avec assez d’insistance, c’est un esprit très politique et très moderne, et l’histoire du temps de Philippe II n’est pas que politique ; elle est, avant tout, religieuse. […] — fut un temps affreux. […] … L’Historien catholique, qui n’est pas venu, s’il était venu et s’il eût écrit une histoire du temps de Philippe II, était seul capable d’avoir cette plume-là. […] Dans l’Histoire, le génie militaire arrive toujours à l’heure nécessaire pour finir les Démocraties… S’il n’avait fait que cela du temps d’Henri IV ! Mais ce que les politiques du temps, et même de ce temps-ci, prennent pour une transaction, fut pour le Catholicisme une défaite.

26. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 9, des obstacles qui retardent le progrès des jeunes artisans » pp. 93-109

Le seul temps de la vie qui soit bien propre à faire acquerir leur perfection à l’oeil et à la main, est le temps où nos organes tant interieurs qu’exterieurs achevent de se former. C’est le temps qui s’écoule depuis l’âge de quinze ans jusques à l’âge de trente ans. […] Elle fait perdre beaucoup de temps, et met encore un jeune artisan hors d’état de faire un bon usage de celui qu’elle lui laisse. […] On doit pardonner la comparaison à la passion demesurée des seigneurs de ce temps-là pour leurs écuries : la mode l’autorisoit. […] Il faut qu’il se repose durant un temps.

27. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre X. De la chronologie poétique » pp. 235-238

Ce Saturne, qui chez les Latins tira son nom à satis, des semences, et qui fut appelé par les Grecs Κρόνος de Χρόνος, le temps, doit nous faire comprendre que les premières nations, toutes composées d’agriculteurs, commencèrent à compter les années par les récoltes de froment. […] Usant d’abord du langage muet, ils montrèrent autant d’épis ou de brins de paille, ou bien encore firent autant de fois le geste de moissonner, qu’ils voulaient indiquer d’années… Dans la chronologie ordinaire, on peut remarquer quatre espèces d’anachronismes. 1º Temps vides de faits, qui devraient en être remplis ; tels que l’âge des dieux, dans lequel nous avons trouvé les origines de tout ce qui touche la société, et que pourtant le savant Varron place dans ce qu’il appelle le temps obscur. 2º Temps remplis de faits, et qui devaient en être vides, tels que l’âge des héros, où l’on place tous les événements de l’âge des dieux, dans la supposition que toutes les fables ont été l’invention des poètes héroïques, et surtout d’Homère. 3º Temps unis, qu’on devait diviser ; pendant la vie du seul Orphée, par exemple, les Grecs, d’abord semblables aux bêtes sauvages, atteignent toute la civilisation qu’on trouve chez eux à l’époque de la guerre de Troie. 4º Temps divisés qui devaient être unis ; ainsi on place ordinairement la fondation des colonies grecques dans la Sicile et dans l’Italie, plus de trois siècles après les courses errantes des héros qui durent en être l’occasion. […] Ainsi chez les Latins, il s’écoule plus de neuf cents ans depuis le siècle d’or du Latium, depuis l’âge de Saturne jusqu’au temps où Ancus Martius vient sur les bords de la mer s’emparer d’Ostie. — L’âge héroïque qui vient ensuite, comprend deux cents années pendant lesquelles nous voyons d’abord les courses de Minos, l’expédition des Argonautes, la guerre de Troie et les longs voyages des héros qui ont détruit cette ville. […] Déjà elle est célèbre par la navigation et par les colonies qu’elle a fondées sur les côtes de la Méditerranée et même au-delà du détroit, avant les temps héroïques de la Grèce. […] Conformément à l’axiome 106, elle part du point même où commence le sujet qu’elle traite : elle part de χρόνος, le temps, ou Saturne, ainsi appelé a satis, parce que l’on comptait les années par les récoltes ; d’Uranie, la muse qui contemple le ciel pour prendre les augures ; de Zoroastre, contemplateur des astres, qui rend des oracles d’après la direction des étoiles tombantes.

28. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Sans doute des mots bizarres, des tours forcés, des locutions étranges, furent hasardés dans les premiers temps ; mais qu’importe ? […] Oui, avant 1661, avant les beaux temps de Boileau, de Racine, de Bossuet, les genres étaient démêlés dans notre littérature. […] De notre temps (de notre temps qui, selon les uns fait époque, et selon les autres lacune dans la littérature française) on pense que les genres en se démêlant se sont appauvris, que les tons en se soutenant se sont affaiblis. […] On pourrait croire que l’unité de ton était, au moins pour notre théâtre, la conséquence nécessaire de cette loi de l’art qui établissait l’unité de lieu, de temps, d’action : Qu’en un lieu, qu’en un temps, un seul fait accompli Tienne, jusqu’à la fin, le théâtre rempli. […] Vomir des injures, qui est du même temps, était aussi réprouvé.

29. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

— Et l’on ne voit pas que cette double question revient toujours à celle-ci : le temps est-il de l’espace ? […] Mais le temps n’est pas une ligne sur laquelle on repasse. […] Mais qu’est-ce que réduire un intervalle de temps, sinon vider ou appauvrir les états de conscience qui s’y succèdent ? […] » — A quoi nous répondons : oui, s’il s’agit du temps écoulé ; non, si vous parlez du temps qui s’écoule. Or l’acte libre se produit dans le temps qui s’écoule, et non pas dans le temps écoulé.

30. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Dans ce rien méprisé par l’histoire des temps passés, dans ce rien, chiffon, poussière, jouet du vent ! […] Quelle lumière dans la nuit du temps ! […] Elle groupera, autour de cette figure choisie, le temps qui l’aura entourée. […] Il aura à feuilleter les histoires du temps, les dépositions personnelles, les historiographes, les mémorialistes. […] Nous voulons exposer les mœurs de ce temps qui n’a eu d’autres lois que ses mœurs.

31. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

Car si S est en repos absolu, et tous autres systèmes en mouvement absolu, la théorie de la Relativité impliquera effectivement l’existence de Temps multiples, tous sur le même plan et tous réels. […] Les considérations sur le temps et la simultanéité appartenaient à la théorie de la Relativité « restreinte », et celle-ci ne concernait que le mouvement uniforme. […] Mais il faut ajouter que, dans l’hypothèse de la Relativité, le système de référence sera lui-même immobile pendant tout le temps qu’on l’emploiera à référer. […] Et elle peut avoir de grands avantages pour le philosophe, qui cherchera par exemple dans quelle mesure les Temps d’Einstein sont des Temps réels, et qui sera obligé pour cela de poster des observateurs en chair et en os, des êtres conscients, en tous les points du système de référence où il y a des « horloges ». […] Ajoutons qu’on ne s’est guère davantage préoccupé de la nature du temps lui-même.

32. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Cela serait trop humiliant pour nous et pour tous, qu’il y eût un critique en ce temps-ci qui ait eu toujours raison. […] J’ai quelquefois entendu dire que certains grands esprits de nos jours n’avaient rien de leur temps, M.  […] Ingres, est encore de ce temps-ci, ne serait-ce que par le soin perpétuel de s’en garantir. […] On touche encore à son temps, et très fort même quand on le repousse. […] La manie et la gageure de tous les René, de tous les Chatterton de notre temps, c’était d’être grand poète ou de mourir.

33. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

Mais, dites-moi, pourra-t-il se figurer qu’il se passe un temps double du temps réel, triple, quadruple, cent fois plus considérable ? […] Quand on dit que l’imagination du spectateur se figure qu’il se passe le temps nécessaire pour les événements que l’on représente sur la scène, on n’entend pas que l’illusion du spectateur aille au point de croire tout ce temps réellement écoulé. Le fait est que le spectateur entraîné par l’action, n’est choqué de rien ; il ne songe nullement au temps écoulé. […] C’est que même votre spectateur parisien est accoutumé à voir le temps marcher d’un pas différent sur la scène et dans la salle. […] Supposons que Talma se présente sur la scène, et joue Manlius avec les cheveux poudrés à blanc et arrangés en ailes de pigeon, nous ne ferons que rire tout le temps du spectacle.

/ 3963