Je ne puis faire ici le tableau de la Renaissance italienne : je dois me borner à rappeler brièvement ce qui explique le soudain agrandissement de notre littérature. […] Ils furent pris par tous les sens et par tout l’esprit : une conception nouvelle de la vie s’éveilla en eux, et ils commencèrent à transporter chez eux tout ce qui les avait ravis la-bas : ils voulurent avoir des palais, des jardins, des tableaux, des statues, des habits, des bijoux, des parfums, des livres, des poètes, des savants, des animaux rares, de la science, de l’esprit, comme en avaient les Médicis, les ducs d’Urbin ou de Ferrare ; quand ils revinrent en France, toute la Renaissance y entra avec eux, un peu pêle-mêle, dans leurs cervelles comme dans leurs fourgons. […] Leur esprit plus ouvert veut qu’on l’amuse avec le jeu étincelant des idées, non plus avec le cliquetis baroque des mots ; et ils demandent aux lettres la même sensation de nette et lumineuse élégance, que leurs nouveaux palais, leurs tableaux, leurs habits même et leurs armes leur donnent. […] Il suffit que le mouvement général soit justement indiqué ; on devra du reste se reporter aux tableaux chronologiques pour comprendre et la légitimité essentielle et les exceptions nécessaires de nos divisions.
Cette verve est inconcevable, et elle serait réputée impossible, si les preuves n’étaient pas là, sous forme d’une œuvre immense, collection innombrable de vignettes, longue série d’albums comiques, enfin d’une telle quantité de personnages, de situations, de physionomies, de tableaux grotesques, que la mémoire de l’observateur s’y perd ; le grotesque coule incessamment et inévitablement de la pointe de Cruikshank, comme les rimes riches de la plume des poëtes naturels. […] Pourtant il a, même à cette époque, fait de grandes lithographies très-importantes, entre autres des courses de taureaux pleines de foule et de fourmillement, planches admirables, vastes tableaux en miniature, — preuves nouvelles à l’appui de cette loi singulière qui préside à la destinée des grands artistes, et qui veut que, la vie se gouvernant à l’inverse de l’intelligence, ils gagnent d’un côté ce qu’ils perdent de l’autre, et qu’ils aillent ainsi, suivant une jeunesse progressive, se renforçant, se ragaillardissant, et croissant en audace jusqu’au bord de la tombe. […] Les tableaux de Bassan qui représentent le carnaval de Venise nous en donnent une juste idée. […] Dans les tableaux fantastiques de Brueghel le Drôle se montre toute la puissance de l’hallucination.
Cette pièce, d’un comique aimable, se compose de tableaux vrais empruntés à la société de nos jours ; deux familles y sont en présence : l’une toute mondaine, dans laquelle la discorde et le désordre se sont glissés, ne sert qu’à faire ressortir les mœurs unies et simples d’une autre famille toute laborieuse et restée patriarcale : deux jeunes cœurs purs, épris d’une passion mutuelle, sont le lien de l’une à l’autre. […] Cette honnêteté, qui se produit sans emphase, qui brille dans le caractère des personnages et dans toutes leurs paroles, semble couler naturellement de l’âme de l’auteur ; une versification nette, correcte, élégante, y sert d’ornement ; quelques personnages assez gais et plus actifs, jetés dans ce monde d’honnêtes gens, relèvent la douceur des tableaux. […] Puisque, dans les représentations scéniques qui sont plus particulièrement à l’usage du peuple, dans cette suite de tableaux compliqués et vastes où il se dépense souvent tant d’artifice et de talent, les auteurs ne visent point à cette reproduction entière et profonde de la nature, qui est le suprême de l’art, puisqu’ils font des sacrifices à l’appareil, à l’émotion, et, pour tout dire, à l’effet, il est tout simple qu’on leur demande plus ouvertement de pousser au bien plutôt qu’au mal, et à la vertu plutôt qu’au vice.
Quand Le Guide et Le Dominiquin eurent fait chacun leur tableau dans une petite église dédiée à saint André, et bâtie dans le jardin du monastere de saint Gregoire du Mont-Coelius , Annibal Carache leur maître fut pressé de prononcer qui de ces deux éleves méritoit le prix. Le tableau de Guide représente saint André à genoux devant la croix, et celui du Dominiquin représente la flagellation de cet apôtre. […] Véritablement on voit des fautes dans le tableau du Dominiquin, que Le Guide n’a pas faites dans le sien ; mais on y voit aussi des traits qui ne sont pas dans celui de son rival.
Composition simple & fiere, tableaux vrais & touchans, diction noble & facile, qui dédaigne ce vain luxe de métaphores, & ces tours apprêtés qui ne séduisent que les esprits sans goût. […] Sa maniere est plutôt d’attacher par les peintures, que par le raisonnement ; & l’on sent que l’élévation & le courage des pensées, la noblesse & l’énergie des expressions, la vigueur & la vérité des tableaux sont très-capables d’y suppléer.
Pourvu qu’on choisisse bien son sujet, qu’on en regle ingénieusement l’economie, qu’on distribue ses personnages avec choix, que les situations forment des tableaux, pourvu que la fable soit susceptible d’incidens extraordinaires, de divertissemens délicatement variés & tirés du fond même de l’intrigue, de décorations pompeuses ou agréables, on sera toujours sûr de remplir l’objet de cette partie de nos spectacles, & de la sauver des dégoûts d’une ennuyeuse monotonie. […] Des sentimens nobles & fermes, l’amour de la Patrie, le triomphe des Arts, le danger du vice, le tableau des vertus, la terreur du crime, l’amour de l’humanité, &c. ne sont-ils pas des sujets capables d’occuper comme d’embellir la Scene ?
Vous savez que je n’ai jamais approuvé le mélange des êtres réels et des êtres allégoriques ; et le tableau qui a pour sujet la publication de la paix en 1749 ne m’a pas fait changer d’avis. […] Le contraste de ces figures antiques et modernes ferait croire que le tableau est un composé de deux pièces rapportées, l’une d’aujourd’hui et l’autre qui fut peinte il y a quelque mille ans ; et l’abbé Galliani vous séparerait cela avec des ciseaux qui [laisseraient] d’un côté tout le plat et tout le ridicule, et de l’autre tout l’antique qui serait supportable et que chacun interpréterait à sa fantaisie.
Pag. 92. lig. 5. ces tableaux ; mettez ses tableaux.
Bachelier Vous n’imagineriez jamais que les Amusements de l’enfance de Bachelier, c’est cet énorme tableau qui a dix pieds de hauteur, sur vingt pieds de long. […] C’est un grand tableau en encaustique qu’il a réduit et mis à l’huile.
Sylvain Bailly descendait d’une famille d’artistes et de peintres, originaire du Berry, et où l’on était de père en fils garde des tableaux du roi, au Louvre ; lui-même il eut ce titre, qui se joignait à ceux de membre de trois académies. Le Catalogue ou Inventaire de Bailly, très connu sous ce nom des amateurs de tableaux, et auquel on se réfère souvent, a été dressé par le grand-père de Bailly, peintre et graveur. […] On voit cependant qu’il n’aura rien d’austère, qu’il est de l’école scientifique fleurie qui se rattache à Fontenelle et à Mairan ; et, sans aller jusqu’à dire qu’il y a du petit goût dans Bailly, ce que son Histoire de l’astronomie démentirait, j’oserai affirmer (car on peut parler avec lui la langue des tableaux) qu’il y a un peu de mollesse dans ses couches de fond, et que, dans certaines vues de développement et de lointain qu’offre ce bel ouvrage, il y a des parties qui, à les presser, se trouveront plutôt élégantes et spécieuses que solides. […] Lémontey veut y voir un tableau du genre de ceux, que Bailly s’était accoutumé à contempler dans les galeries du Louvre. […] qui ne chérit pas les tableaux riants qu’elle a laissés dans le souvenir.
Le poème est divisé en huit livres ; il ne faut pas y chercher une composition bien exacte et bien méthodique : tel livre pourrait aussi bien et presque indifféremment précéder ou suivre l’autre ; c’est une suite de tableaux, de petits cadres, avec des effusions de sentiment et même des digressions morales. […] Lucrèce n’a pas traité des champs en particulier ; mais, dans son tableau de l’origine du monde et des premiers âges des sociétés (au livre Ve), il a cueilli les plus vastes images, il a tracé les plus larges cadres de l’époque rurale primitive, du bonheur naturel et des ébats champêtres auxquels se livraient les innocents agriculteurs au retour des printemps : Sæpe itaque inter se prostrati in gramme molli, Propter aquæ rivum, sub ramis arboris altæ, Non magnis opibus jucunde corpora habebant, Præsertim cum tempestas ridebat, et anni Tempora pingebant viridantes floribus herbas… Quelle ampleur de peinture et de langage ! […] Je n’ai que l’embarras du choix entre les tableaux et les frais paysages, entre les scènes de labourage, de semailles, de fauchaison et de fenaison, de récolte et de vendange, entre les charmants hasards du parc naturel, confinant au bois et à la forêt, et le monde bruyant de la basse-cour ; car tout cela est diversement peint, et presque toujours avec un rare bonheur dû à une extrême vérité. […] Bien entendu que les sacrifices que je demande à l’auteur seraient plus que compensés par de nouveaux tableaux qui lui viendraient et lui souriraient dans l’intervalle. Il ne saurait trop faire de tableaux ; il ne saurait trop éviter les digressions économiques, antisocialistes, et même religieuses : la vraie religion d’un poème est dans l’esprit même qui y est répandu partout.
Le tableau de la salle où se réunissent les prétendants est d’une réalité parfois repoussante. […] Plus d’un tableau du temps est composé de petits ensembles fragmentaires et peut se couper presque impunément en triptyques ou en diptyques. […] Que peut être, par exemple, le tableau de la bataille d’Arbelles ? […] Marivaux a touché de son pinceau léger ce que Mercier a peint à la brosse dans le Tableau de Paris. […] Il est regrettable que dans la littérature il porte le nom de « Naturalisme » : car un tableau de Courbet et un roman de M.
On y désirerait plus de variété, une ordonnance plus imposante, des épisodes plus touchants et mieux conçus ; mais on y trouve de la gravité, de l’élégance, de l’harmonie, d’énergiques tableaux. [Tableau historique de l’état et des progrès de la littérature française depuis 1789 (édit. de 1834).]
Dans ces tableaux secs & arides qu'on nous présentoit, l'Abbé Vély a senti, plus que tout autre, que l'Histoire doit être un cours d'instruction, où les plus petits détails ne sont point déplacés, quand ils peuvent contribuer à intéresser le cœur & à augmenter les connoissances. […] Peut-être a-t-on eu raison de lui reprocher trop de penchant à la critique, trop d'affectation à combattre certaines traditions accréditées par la multitude & le poids des témoignages, trop de facilité à tourner les textes à l'appui de ses idées, trop de complaisance dans les tableaux qu'il trace des abus qui lui déplaisent, trop d'amertume dans les censures ; mais en convenant de quelques-uns de ces défauts, il n'en est pas moins vrai, que si une plus longue carriere lui eût permis d'exécuter l'Ouvrage en entier, il auroit eu la gloire de nous avoir laissé une Histoire aussi estimable par la recherche des faits, leur ordonnance & leur variété, que par le mérite du style, qui est simple, aisé, naturel, & piquant, sans jamais s'éloigner de l'élégance & de la pureté, qui sont le partage d'un excellent Ecrivain.
Quel remarquable tableau de mœurs que le tableau de l’intérieur de la maison du cousin Raynouard, chez lequel Fernand vient occuper un modeste emploi en arrivant à Paris. […] Elle y est à sa place et ne fait pas ombre dans un tableau où il n’y a que des ombres. […] Il fait jouer au lecteur le rôle que jouent les vieillards dans le tableau de la chaste Suzanne. […] C’est un peintre, il est à son tableau. […] Et pourtant ces bourgeois, ces imbéciles, ces butors, ont refusé mon tableau !
Tel nous le montre son Discours ou Tableau de la Littérature française au xviiie siècle, ouvrage conçu durant ces années et qui parut pour la première fois en 1809. […] Cette nouvelle destination, qui lui procurait solitude et loisir au fond du Bas-Poitou, lui convenait ; c’est à ce moment qu’il recueillit ses idées sur la littérature du xviiie siècle et en rédigea le tableau. […] Il me semble étrange que des gens qui achèteraient au poids de l’or une douzaine de portraits originaux de cette époque pour orner une galerie, ne jettent jamais les yeux sur tant de tableaux mouvants de la vie, des actions, des mœurs et des pensées de leurs ancêtres, peints sur place, avec de simples, mais fortes couleurs. » En France, Saint-Palaye déjà l’avait rappelé à l’attention des érudits ; M. de Barante le mit en valeur pour tous15. […] Dans les derniers volumes, on l’a remarqué, les tableaux se resserrent ; il est conduit à laisser moins aisément courir sa plume à la suite des vieux chroniqueurs. […] Sa critique diffère essentiellement de celle de Chénier, dans la même forme concise du tableau, en ce que Chénier résume d’un trait le caractère littéraire d’un talent, et que M. de Barante résume d’un mot l’idée de ce talent.
Formule générale et tableau d’une époque § I. — Supposons que nous soyons arrivés au terme d’une longue et multiple enquête à laquelle nous aurions soumis, sinon toutes les œuvres littéraires d’une époque, du moins la grande majorité d’entre elles ; que nous ayons relevé leurs principaux caractères et les rapports de tout genre qui existent entre ces expressions de l’esprit national et ce qui de loin ou de près entre en contact avec elles ; que nous ayons enfin réuni, en un tableau soigneusement dressé, les résultats obtenus. […] Quand vient à mourir un prince, une princesse, un homme de haut parage, on tapisse une église de tentures superbes ; on dresse au milieu de la nef un catafalque qui cache l’autel ; on expose des tableaux qui racontent les hauts faits du personnage et de sa famille ; on construit des estrades où s’entassent marquises, duchesses et grands seigneurs ; on fait en un mot de la cérémonie funéraire une pompe théâtrale capable d’effacer les plus belles décorations des ballets royaux. […] La Fontaine, avec sa grâce nonchalante, sa naïveté malicieuse, son talent de composer de vivants tableaux, a besoin que Molière se porte garant de son mérite. […] Elle ne saurait dispenser d’un tableau artistique où l’époque étudiée retrouve le mouvement et la vie. […] Mais encore une fois, le tableau d’une époque peut être présenté de mille façons diverses et je me reprocherais la seule apparence de vouloir enfermer en un plan uniforme la libre inspiration de l’artiste que doit être l’historien digne de ce nom.