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898. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

L’Aurore elle-même, un beau matin, ne vint-elle pas se jeter à sa tête ? […] Ainsi, lorsque Rodrigue vient lui offrir sa tête, cette tête qu’elle demande au Roi de faire tomber, en désirant de ne rien obtenir, elle lui répond : Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau : Si tu m’offres ta tête, est-ce à moi de la prendre ? […] Puisque je lui apporte la tête de Rodrigue, il est juste, par la convention proclamée, que Chimène soit ma femme. Mais, si sa rigueur me refuse cette récompense, avec mon épée elle peut trancher elle-même cette tête ; la voici. […] Le grand arbre eût poussé sans gêne et sans contrainte ses racines dans notre sol et sa tête dans notre ciel.

899. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

La vue d’une corde, d’une courroie, d’un cordon leur met immédiatement en tête la pensée de pendre quelqu’un, un mari, une femme, surtout un roi. […] Ils marchent et vont à cheval le plus vite qu’ils peuvent, la tête penchée en avant, comme s’ils étaient pressés par quelque affaire urgente. […] Pendant des siècles, on marche à travers les ténèbres et l’horreur, la tête dans le brouillard et les pieds dans le sang. […] Le cœur était aussi doux et aussi clément que la tête était vive et emportée. […] C’était un jeu à perdre la tête, un édit royal très sévère ordonnant l’arrestation de tout agent de recrutement.

900. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

La cervèle se prend aussi pour l’esprit, le jugement ; ô la belle tête ! […] Au contraire, quand on dit, c’est un home de tête, c’est une bone tête, on veut dire que celui dont on parle, est un habile home, un home de jugement. la tête lui a tourné, c’est-à-dire, qu’il a perdu le bon sens, la présence d’esprit. avoir de la tête, se dit aussi figurément d’un opiniatre : tête de fer, se dit d’un home apliqué sans relâche, et encore d’un entêté. […] Ainsi la tête se prend quelquefois pour tout l’home : c’est ainsi qu’on dit comunément, on a payé tant par tête, c’est-à-dire, tant pour chaque persone ; une tête si chère, c’est-à-dire, une persone si précieuse, si fort aimée.

901. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Chez lui les paradoxes sont posés en principe ; le bon sens prend la forme de l’absurde : on est comme transporté dans un monde inconnu dont les habitants marchent la tête en bas, les pieds en l’air, en habits d’arlequins, de grands seigneurs et de maniaques, avec des contorsions, des soubresauts et des cris ; on est étourdi douloureusement de ces sons excessifs et discordants ; on a envie de se boucher les oreilles, on a mal à la tête, on est obligé de déchiffrer une nouvelle langue. […] Si vous ne jetez pas le livre de colère et de fatigue, vous perdez le jugement ; vos idées s’en vont, le cauchemar vous prend ; un carnaval de figures contractées et féroces tourbillonne dans votre tête ; vous entendez des hurlements d’insurrection, des acclamations de guerre ; vous êtes malade : vous ressemblez à ces auditeurs des covenantaires que la prophétie remplissait de dégoût ou d’enthousiasme, et qui cassaient la tête au prophète, s’ils ne le prenaient pour général. […] Ces quelques points subsistent seuls, comme les têtes des plus hauts rocs dans un continent submergé. […] Il y a une règle fixe pour transposer, c’est-à-dire pour convertir les unes dans les autres les idées d’un positiviste, d’un panthéiste, d’un spiritualiste, d’un mystique, d’un poëte, d’une tête à images et d’une tête à formules. […] Pour bâtir le temple d’Éphèse, il avait fallu le travail de bien des têtes sages et de bien des bras robustes, pendant des vies entières ; et ce même temple a pu être détruit par un fou en une heure. » Voilà d’assez gros mots ; nous n’en emploierons pas de pareils.

902. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Un compliment adressé à ce ministre et d’un heureux tour avait singulièrement réussi : « Tous les dépôts, disait Duclos, m’ont été ouverts par les ordres de M. le comte de Maurepas, à qui le roi a confié le département des lettres, des sciences et des arts, comme s’il eût consulté ceux qui les cultivent. » Ces jolis mots ont toujours faveur en France, et, mis en tête même d’un livre grave, ils contribuent à sa fortune. […] Pour arriver à la conclusion de la paix générale, il est convenu que les deux couronnes de France et d’Espagne ne seront jamais réunies sur une seule tête. […] J’étais cadet, je tenais tête à mon frère, ils ont eu peur des suites, ils m’ont anéanti ; on ne m’a rien appris qu’à jouer et à chasser, et ils ont réussi à faire de moi un sot et une bête, incapable de tout. […] Ils ne pensent qu’à eux et ne s’inquiètent ni de votre repos ni de votre santé : voilà ce qui m’intéresse, moi, et ce qui doit intéresser tout le royaume. — Tu fais bien, mon enfant, reprit le roi en secouant la tête ; j’ai envie de faire comme toi. — Faites donc, Sire, dit-elle ; au diable toutes ces querelles de prêtres !

903. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il lisait toutes sortes de livres anciens et nouveaux : c’était une nourriture qui lui était nécessaire. « Les jeunes gens surtout, disaii-il, devraient se mettre en tête cette maxime bien véritable, que plus on lit plus on a d’esprit… Celui qui a lu aurait encore plus d’esprit s’il avait lu davantage. » Il lisait toutes les nouveautés, et notait l’impression qu’il en recevait ; il n’était pas de ces dédaîgneurs (comme il les appelle) qui déclaraient d’un livre à première vue que cela ne valait rien ; il lisait jusqu’au bout le livre une fois commencé, biographies, mélanges, anecdotes, même les ana, même les contes de fées ; il les prenait par leur bon côté et y trouvait presque toujours sujet à quelque réflexion, à quelque plaisir : « Je dis à nos amis ordinaires : Que je vous plains de toujours critiquer ! […] quels objets relevés et excellents ont occupé cette tête jusqu’à une extrême vieillesse ! […] Lui, il était plutôt un adversaire de la noblesse, bien que la sienne fût bonne, et il n’entrait pas dans les doléances qu’il entendait faire autour de lui : « Les gentilshommes, disait-il, qui se plaignent en leur qualité de n’être pas assez accommodés des biens de la fortune, sont de pauvres brochets de l’étang qui n’ont pas assez de carpes à manger ; non, il n’y a à plaindre que ceux qui manquent selon la nature. » D’Argenson aimait à la fois la royauté et le peuple ; il voulait le bien du public, sans être pour cela républicain : « Les républiques n’ont point de tête ; les monarchies n’ont bientôt plus de bras, car la tête les énerve.

904. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

C’est là que parurent successivement sa Dissertation sur les langues en général, et sur la langue française en particulier, en tête du numéro de mars 1717 ; ses Réflexions sur l’éloquence, en tête du numéro de mai 1718 ; son Nouveau Système d’éducation, en tête du numéro de juillet, même année : notre auteur, toutes les fois qu’il y écrit, a de droit la place d’honneur dans le Mercure. […] Je résumerai rapidement ses idées, qu’il développera encore dans ses Réflexions sur l’éloquence ; car dans la tête de l’abbé de Pons tout s’enchaîne, et s’il est exclusif, il reste du moins parfaitement conséquent.

905. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

À la tête des plus spirituels entre les mauvais sujets, il usa et abusa de toutes les licences de son quartier et de son temps. […] Qu’on s’imagine sur la tête d’un homme l’effet de cinq années d’un exil aggravé par la misère et suivi d’une longue et dure prison. […] Après une nuit passée, en dépit de la cloche du couvre-feu, dans quelque taverne du voisinage, la tête encore lourde de l’orgie de la veille, ne lui était-il jamais arrivé sur le seuil de se sentir renaître au souffle matinal qui lui arrivait, tout frais, à la figure, de ces champs de blé, de ces vergers et de ces pampres échelonnés le long de la pente qui regardait Gentilly, Fontenay et Meudon ! Plus tard enfin, banni de Paris, lorsque, chevauchant sans croix ni pile par tous les chemins de France et de Navarre, il promenait son exil et sa misère d’une frontière à l’autre, méditant déjà dans sa tête et dans son cœur les confessions et les plaintes douloureuses du Grand Testament, l’arbre et le buisson de la route ne lui avaient-ils donc jamais parlé et fait oublier un instant ses douleurs, comme ils devaient un jour, plus d’une fois, calmer celles de Jean-Jacques vagabond ?

906. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Dans le drame espagnol, cette même infante qui a commencé par chausser à Rodrigue les éperons de chevalier, cette princesse tant respectée et admirée de lui, et qui lui voudrait un peu moins de respect avec un peu plus de tendresse, a une existence bien distincte, bien définie ; elle passe par des péripéties frappantes et qui intéressent ; elle sauve Rodrigue et le protège quand on le poursuit après la mort du comte ; elle a le temps de renaître à l’espérance lorsque lui-même, partant pour combattre les Maures à la tête de ses cinq cents amis, il la salue galamment à ce balcon de sa maison de plaisance, d’où elle l’a reconnu. […] Il y avait dix ans que les têtes de Boutteville et de Des Chapelles étaient tombées pour pareil délit. […] Quand il a fini, elle plaide au long contre lui devant lui-même : « Je ne t’accuse point, je pleure mes malheurs… Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi… » Lui-même il accepte son arrêt, il se met à genoux et lui tend la tête. C’est alors à elle de la refuser : « Si tu m’offres ta tête, est-ce à moi de la prendre ?’

907. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

Louis XV ne devait paraître de sa personne et se mettre à la tête des troupes que lorsqu’on lui aurait tout disposé pour une affaire royale, à laquelle il mettrait la main. […] Il lui en touchait un mot dès l’année 1746, puis encore dans ses lettres du 10 janvier et du 10 mars 1767, et il lui en parle en des termes qui ne sont point parfaitement d’accord avec ce que dit l’auteur de la Notice sur la Vie de Favart en tête des Mémoires de ce dernier. […] L’automne où il mourut, il venait d’avoir une visite d’une élite de femmes de la Cour, une princesse du sang, Mademoiselle de Sens, à leur tête. […] On le saigna coup sur coup ; la tête se prit : on appela de Paris le médecin Senac, trop tard.

908. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Mably sont morts avant d’avoir vu fructifier les germes qu’ils avaient semés dans les esprits : vous vivez, vous qui avez avec eux préparé les voies de la liberté ; et, comme dans ces associations ingénieuses où les vieillards qui survivent héritent de toute la fortune de leurs confrères morts, on se plaisait à voir accumuler sur votre tête le tribut de reconnaissance et d’hommages que l’on ne peut plus offrir qu’à leur cendre… » L’abbé Raynal, devenu homme de génie à l’ancienneté, en héritant successivement des morts, et par le mouvement naturel de la tontine des réputations, un homme de génie par survivance, c’était bien cela ! […] Il n’était pas éloigné de croire, par exemple, que si la retraite de Louis xvi auprès de M. de Bouillé avait réussi, et que si le roi était redevenu libre à la tête de cette armée, lui, Malouet, aurait pu réussir comme porteur de paroles au nom de l’Assemblée, et de la part de la gauche modérée ; qu’il eût pu être le fondé de pouvoirs et le médiateur d’une conciliation constitutionnelle. […] La Constituante close et dissoute sans réélection possible de ses membres, Malouet, « la tête épuisée de travaux, dit-il, et le cœur flétri », assiste en spectateur du dehors à la Législative. […] Jay sur Raynal, qui est en tête de la dernière édition de l’Histoire philosophique des deux Indes, Notice vague et générale comme on les faisait en ce temps-là, ne contient qu’une seule anecdote neuve tirée d’une lettre de M. de Lally au comte Portalis : on y voit l’abbé Raynal et M. de Lally au naturel, tous deux gens à démonstrations, à grands sentiments et à embrassades.

909. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

Les érudits en retrouvent aujourd’hui et en embrassent des parties ; mais personne n’a plus dans la tête cet ensemble d’organisation. […] A chaque génération, il se fait un naufrage d’idées vives ; une sorte d’ignorance recommence ; une bonne partie du savoir et de l’esprit de chaque année périt avec elle ; une autre portion s’entasse en de savants depôts, et ne s’en tire qu’en se dispersant dans quelques têtes de plus en plus singulières. […] On a cru volontiers jusqu’ici que les gazettes étaient nées au xvie  siècle seulement, et les journaux littéraires au xviie . « C’est une des plus heureuses inventions du règne de Louis le Grand, » dit solennellement Camusat en tête de son ébauche d’histoire. […] Je suis tenté vainement de citer le nom de Tournemine comme se rattachant le plus en tête à la rédaction des Mémoires de Trévoux ; Tournemine a-t-il obtenu ou gardé quelque chose qui ressemble à de la gloire ?

910. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Mme de Krüdner s’inquiète ; les heures s’avancent, l’orage ne cesse pas ; sa tête se monte : elle se figure le sentier qui longe la Brenta envahi par les eaux, son mari luttant avec le péril ; elle veut l’en arracher. […] J’ai vu en tête d’une édition des Lettres portugaises un portrait de M. de Chamilly, devenu maréchal de France, qui représentait bien ce grand et gros homme dont parle Saint-Simon : M. de Chamilly était certes, à cette époque, aussi peu romanesque d’apparence, aussi peu ressemblant au jeune lui-même d’autrefois que dut le paraître le général de Frégeville à M.  […] Mais vers le milieu de la nuit sa tête se prit ; il eut un accès de délire, durant lequel il proféra quelques mots sans suite, qui semblaient se rapporter aux propos de la veille : « Fermez la porte ! […] La tête commençait, le cœur après entrait en jeu.

911. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Pour ceux qui, soit meilleur goût, soit prévention contre le poète, pensaient que la France pouvait attendre encore, et qu’il valait mieux passer pour n’avoir pas la tête épique que de se tenir pour content de la Henriade, à grand’peine s’empêchait-on de les appeler mauvais citoyens. […] Le couteau de 1793 n’a pas tranché une tête plus noble que celle d’André Chénier. […] Amené en France à l’âge de deux ans, le beau soleil du Languedoc conserva et fixa dans sa tête enfantine les images flottantes du pays natal. […] Après ces deux années d’une douce vie passée en compagnie de deux amis dignes de lui, c’est-à-dire en compagnie plus intime avec lui-même, il revint à Paris, la tête débordant de poèmes, de plans, d’esquisses, où sont mêlées la science, la politique, la Bible, l’Amérique ; ambitieux de tout sentir et de tout rendre, de faire de la poésie l’organe inspiré de toutes les idées modernes, l’écho du passé et du présent, la voix prophétique de l’avenir.

912. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Ce serait là une lourde accusation, que j’ignorerais cependant, si y répondre n’était, du même coup, éclairer bien des choses. « Question wagnérienne et question personnelle », ai-je mis en tête de cet article ; et mes lecteurs comprendront que ma propre sécurité doit être la garantie, pour eux, de ma franchise et de mon exactitude absolue. […] La Vie Parisienne du 7 mai : grande gravure, « les wagnériennes de France et celles d’Allemagne. » Le Grelot du 8 : gravure de tête, dyptique, « l’oubli des injures : Paris vaincu est outragé par Wagner — Paris acclame le Lohengrin de Wagner. » Le Triboulet du 8 et du 15 : croquis. […] La Jeune Garde : gravure de tête, « Représailles », coup de balai enveloppant parmi les choses allemandes de Paris Lohengrin. […] Lamoureux lui offrent un banquet, à l’Hôtel Continental, au prix de 12 francs 50 par tête.

913. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Une figure aimable, une tournure élégante, un port de tête assuré, soutenu d’une facilité rare d’élocution, d’une originalité fine et d’une urbanité piquante, lui valurent la faveur des salons et cette première attention du monde que le talent attend quelquefois de longues années sans l’obtenir. […] À Paris, on n’en était pas dupe : « En vain les trompettes de la Renommée ont proclamé telle prose ou tels vers ; il y a toujours dans cette capitale, disait Rivarol, trente ou quarante têtes incorruptibles qui se taisent ; ce silence des gens de goût sert de conscience aux mauvais écrivains et les tourmente le reste de leur vie. » Mais, en province, on était dupe : « Il serait temps enfin, conseillait-il, que plus d’un journal changeât de maxime : il faudrait mettre dans la louange la sobriété que la nature observe dans la production des grands talents, et cesser de tendre des pièges à l’innocence des provinces. » C’est cette pensée de haute police qui fit que Rivarol, un matin, s’avisa de publier son Petit almanach de nos grands hommes pour l’année 1788, où tous les auteurs éphémères et imperceptibles sont rangés par ordre alphabétique, avec accompagnement d’un éloge ironique. […] On a supprimé les dates, les divisions des articles ; on a même supprimé des transitions ; on a supprimé enfin les épigraphes que chaque morceau portait en tête, et qui, empruntées d’Horace, de Virgile, de Lucain, attestaient jusque dans la polémique un esprit éminemment orné : Rivarol, même en donnant des coups d’épée, tenait à ce que la poignée laissât voir quelques diamants. […] S’adressant aux législateurs si empressés d’afficher en tête de leur Constitution les Droits de l’homme : Législateurs, s’écrie-t-il, fondateurs d’un nouvel ordre de choses, vous voulez faire marcher devant vous cette métaphysique que les anciens législateurs ont toujours eu la sagesse de cacher dans les fondements de leurs édifices.

914. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Mais cet homme, si nous le renversons, nous alarmerons toutes les têtes couronnées comme lui : car la royauté chez nous est sœur de toutes les royautés européennes. […] Carrel n’approuvait pas cette manifestation ; il en donne les raisons en homme mûr : « L’ordre n’a peut-être rien à en craindre, comme cela a paru aujourd’hui, dit-il ; mais, pour qu’une chose soit raisonnable, il ne suffit pas qu’elle ne soit point dangereuse. » Il parle de cette démonstration de jeunes gens (dont nous étions nous-même) avec cette autorité qu’a un homme qui a risqué sa tête et qui apprécie son passé : Bien souvent, dit-il, entre hommes de bonne foi et qui avions couru comme eux la chance de porter nos têtes en place de Grève, nous nous sommes entretenus d’eux depuis huit ans, et, si nos souvenirs ne nous trompent point, c’était bien plutôt pour déplorer leur inutile trépas, que pour en glorifier notre cause. […] On le voit d’ici, de taille au-dessus de la moyenne et bien proportionnée, avec cette maigreur nerveuse qui est le signe de la force, d’une tête singulière, ombragée de cheveux bruns assez touffus, au profil marqué et comme emporté dans l’acier, le sourcil aisément noueux, les traits heurtés, la bouche grande, mince, et qui ne souriait qu’à demi à cause de quelques dents de côté qu’il n’aimait pas à montrer, avec un visage comme fouillé et formé de plans successifs ; l’ensemble de sa physionomie exprimait l’énergie, quelque chose d’éprouvé et de résolu.

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