/ 2404
372. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

La nature, les arbres, les eaux, le clair soleil, lui donnaient du plaisir, et sous ses grandes phrases on sent la sincérité de la jouissance : il a vraiment aimé la campagne, il l’a préférée à la société. […] Balzac fut l’instituteur de la société polie. […] Par malheur, il manquait ou de netteté ou de courage dans l’esprit ; il se laissait donner des admirations ou des dégoûts par la société où il vivait, et par les patrons qui le pensionnaient. […] Mais c’est déjà beaucoup que de voir s’ébaucher chez ce flatteur de Marino, cet ami de Voiture, ce docteur en titre de la société précieuse, chez l’auteur, pour tout dire, de la Pucelle, c’est beaucoup d’y voir s’ébaucher la formule de l’idéal classique, dans le rapprochement des deux termes qui la composent : souveraineté de la raison, et respect de l’antiquité. […] Mais il est comme la conscience de son siècle : j’aperçois chez lui nettement ce qu’il faudrait beaucoup de peine et de temps pour analyser dans la société et dans la littérature du temps ; il révèle certains dessous, qui expliquent les caractères apparents.

373. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Il en fit donc beaucoup à propos de Pascal, et ce genre d’examen l’ayant initié à des manuscrits du xviie  siècle, il en vint un jour à prendre flamme sur Mme de Longueville et sur toutes ces autres dames de la société polie de ce temps-là, dont il nous a rendu des portraits flattés, de brillantes et un peu solennelles histoires. […] C’était une personne des plus distinguées et des plus rares de l’ancienne société, et qui n’avait cessé de rester en relation et en communication d’esprit avec la société nouvelle. […] Malgré sa santé très-affaiblie, elle avait conservé son goût de la société, sa curiosité du spectacle politique, son entière rectitude et fermeté d’esprit. […] Il y aurait trop à dire sur ces dissidences poussées jusqu’à l’aversion et que ne dissimulaient qu’à peine les rapprochements de société ; je pourrai, un jour, en conter plus long à ce sujet. — Lorsque M. 

374. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Il me semble toutefois qu’une société qui de fait n’encourage qu’une misérable littérature, où tout est réduit à une affaire d’aunage et de charpentage, qu’une société, qui ne voit pas de milieu entre l’absence d’idées morales et une religion qu’elle a préalablement désossée pour se la rendre plus acceptable, qu’une telle société, dis-je, est loin des sentiments vrais et grands de l’humanité. […] Il est singulier que les deux classes qui se partagent aujourd’hui la société française se jettent réciproquement l’accusation de matérialisme. […] L’erreur de l’école néo-féodale est de ne pas s’apercevoir que les défauts de la société moderne sont nécessaires à titre de transition, que ces défauts viennent d’une tendance parfaitement légitime, s’exerçant sous une forme partielle et exclusive.

375. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Maintenant, je le sais, la poésie semble être exilée de la société : tôt ou tard elle rentrera dans son domaine, tôt ou tard nous redeviendrons attentifs aux sons échappés de la lyre des poètes. […] Dieu et ses attributs, l’homme et ses facultés resteront toujours des objets mystérieux ; les bases de toute société échapperont également au flambeau indiscret de la raison humaine. […] Notre littérature du siècle de Louis XIV a cessé d’être l’expression de la société ; elle commence donc à être déjà pour nous, en quelque sorte, comme nous l’avons dit, une littérature ancienne, de l’archéologie. […] Cette économie des desseins de la Providence, dévoilée avec la prévision d’un prophète ; cette pensée divine gouvernant les hommes depuis le commencement jusqu’à la fin ; toutes les annales des peuples, renfermées dans le cadre magnifique d’une imposante unité ; ces royaumes de la terre, qui relèvent de Dieu ; ces trônes des rois, qui ne sont que de la poussière ; et ensuite ces grandes vicissitudes dans les rangs les plus élevés de la société ; ces leçons terribles données aux nations, et aux chefs des nations ; ces royales douleurs ; ces gémissements dans les palais des maîtres du monde ; ces derniers soupirs de héros, plus grands sur le lit de mort du chrétien, qu’au milieu des triomphes du champ de bataille ; enfin l’illustre orateur, interprète de tant d’éclatantes misères, osant parler de ses propres amertumes, osant montrer ses cheveux blancs, signe vénérable d’une longue carrière honorée par de si nobles travaux, et laissant tomber du haut de la chaire de vérité des larmes plus éloquentes encore que ses discours : tel est le Bossuet de nos habitudes classiques, de notre admiration traditionnelle. […] Oui, continuant de m’associer aux idées du temps, aux pensées des hommes qui vivent en ce moment, aux nouveaux errements de la société ; oui, je trouve dans Bossuet je ne sais quoi de plus vieux que l’antiquité, je ne sais quoi de trop imposant pour nos imaginations qui ne veulent plus de joug.

376. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

Jamais la misanthropie d’Alceste, qui n’est après tout qu’une boutade de salon laquelle n’a jamais crevé le plafond, jamais celle de La Rochefoucauld, qui n’est que de l’égoïsme aux caillots biliaires dans le ventre, ni celle de La Bruyère qui n’est qu’un chagrin d’homme vieilli, faisant payer au monde le regret caché de n’être plus jeune, ni celle de Rousseau qui n’est que la révolte d’un laquais contre sa livrée, ni celle plus cruelle de Chamfort qui hachait, avec les couteaux à dessert des soupers qu’il faisait chez les grands seigneurs de son temps, la gorge d’une société assez bête pour la lui tendre, comme il se la hacha à lui-même avec son rasoir pour s’éviter l’échafaud, ni enfin aucune des misanthropies célèbres qui ont laissé leur empreinte sur notre littérature et l’ont marquée ou du sillon brûlant de la colère ou du sillon froid du mépris, n’ont l’étoffe, l’étendue, le complet, et, qu’on me permette ce mot ! le radicalisme intégral de cette misanthropie, qui ne tombe plus ici maigrement sur une société ou sur l’homme d’une société, mais sur l’humanité tout entière, et que dis-je ? […] On invente des sociétés idéales et l’on écrit des pages charmantes, mais charmantes comme la femme qui caresse sa chimère. […] Dans le monde trop rare qu’on a inventé, dans cette bergerie céleste où du moins on voudrait un loup, on introduit les deux choses les plus rares, et qu’on voit le moins présentement dans ce monde qu’on méprise et qu’on a raison de mépriser, — le stoïcisme, qui est le christianisme de ceux qui ne sont pas chrétiens, et l’amour, qui n’existe plus que de nom dans une société athée à tout, jusqu’à l’amour !

377. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Sa préférence si naturelle pour l’industrie agricole sur l’industrie manufacturière, son aversion et sa méfiance d’un gouvernement central dont l’Europe lui avait appris les abus, et que les fédéralistes voulaient installer fortement, le rôle d’opposition qu’il soutint contre eux peur la cause de la moralité politique, tout cela le conduisit à repousser avec une sévérité absolue des institutions et des entreprises qui, bien que mêlées en naissant à beaucoup d’imprudence et de licence, semblent pourtant liées de plus en plus au développement des sociétés modernes. […] Cette période de dix-neuf années, au terme de laquelle une révision et peut-être une réorganisation totale auraient lieu dans la société, est le thème favori de Jefferson : il y revient en maint endroit, tant un respect profond et religieux pour la liberté de ceux qui naîtront se mêle à toutes ses pensées. […] En 1823, octogénaire, écrivant au général La Fayette avec un poignet perclus, il lui exprime cette forte pensée : « Des alliances saintes ou infernales, dit-il, peuvent se former et retarder l’époque de la délivrance ; elles peuvent gonfler les ruisseaux de sang qui doivent encore couler ; mais leur chute doit terminer ce drame, et laisser au genre humain le droit de se gouverner lui-même. » Comme nous ne voulons rien céler de l’opinion de l’illustre vieillard, et que son autorité ne saurait jamais avoir d’effet accablant pour nous, nous transcrirons ce qu’il ajoute : « Je doutais, vous le savez, dans le temps où je vivais avec vous, si l’état de la société en Europe comportait un gouvernement républicain, et j’en doute encore. […] Condorcet, dans son bel éloge de Franklin, où perce toutefois une velléité de réticence, n’a pu s’empêcher de dire de ce dernier : « Il croyait à une morale fondée sur la nature de l’homme, indépendante de toutes les opinions spéculatives, antérieure à toutes les conventions ; il pensait que nos âmes reçoivent dans une autre vie la récompense de leurs vertus et de leurs fautes ; il croyait à l’existence d’un Dieu bienfaisant et juste, à qui il rendait dans le secret de sa conscience un hommage libre et pur. » Tel fut aussi Jefferson, tel Washington ; tels ont dû être, en effet, sur cette terre d’Amérique, en présence de cette vaste nature à demi défrichée, au sein d’une société récente, probe, industrieuse, où les sectes contraires se neutralisaient, tels ont dû être ces grands et stables personnages, nourris à l’aise, au large, sous un ciel aéré, loin du bagage des traditions, hors des encombrements de l’histoire, et dont pour quelques-uns, comme pour Washington, par exemple, l’éducation première s’était bornée à la lecture, l’écriture et l’arithmétique élémentaire, à laquelle plus tard il avait ajouté l’arpentage.

378. (1900) Molière pp. -283

Eh bien, ce genre de conception du monde et de la société, Molière l’a eu et l’a rendu, parce qu’il l’avait sous les yeux. […] On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. […] Ce sont précisément ces combinaisons qui varient et qui changent selon le degré de culture, selon le progrès et la décadence des institutions, selon la direction imprimée à une société par les grands esprits, selon l’idée même qu’on se fait des devoirs de la famille et de la société. […] Il a dégagé, si je puis ainsi dire, et mis hors d’entraves la vie de société ; d’abord en rappelant au naturel la langue des salons, en délivrant la conversation du clinquant des précieuses ; il a surtout rendu un grand service à la vie de société par sa guerre contre tous les genres de pédantisme. […] Il sera curieux et profitable pour nous, messieurs, d’apprécier à cette mesure la société de l’ancien régime.

379. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

s’il n’y a pas de société ? […] Théâtre de société, et d’une société choisie. […] De la société tout court. […] Pour refaire l’art dramatique, faudra-t-il refaire la société ? […] De société proprement dite, il n’en est plus guère aujourd’hui.

380. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

La société. Comment la société exprime-t-elle ses rapports ? […] L’homme, sous le rapport religieux et politique, appartient à une société domestique et à une société publique. […] La société est religieuse ou politique, domestique ou publique ; L’état purement domestique de la société religieuse s’appelle religion naturelle, L’état purement domestique de la société politique s’appelle famille. […] Une pareille vue de la société mènerait à des conséquences funestes.

381. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Il consiste dans cette remarque qu’une société humaine, surtout une société moderne, est une chose vaste et compliquée. […] La religion est la société des hommes et de Dieu. […] Imaginez-vous une société sans pouvoirs ? […] Une société humaine, surtout une société moderne, est une chose vaste et compliquée. […] C’est un droit de la société sur l’homme, au contraire.

382. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Pour les connaître bien, il faut considérer un homme avant l’établissement des sociétés. […] « Chaque société particulière vient à sentir sa force, ce qui produit un état de guerre de nation à nation. Les particuliers, dans chaque société, commencent à sentir leur force ; ils cherchent à tourner en leur faveur les principaux avantages de cette société, ce qui fait entre eux un état de guerre. […] « Outre le droit des gens, qui regarde toutes les sociétés, il y a un droit politique pour chacune. Une société ne saurait subsister sans un gouvernement. 

383. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

On peut se demander comment une société qu’on se figure si délicate et si polie, a pris plaisir à de telles œuvres : mais qu’on lise Tallemant, on ne s’étonnera plus. […] la lourdeur du provincial, l’ignorance pédante des médecins, que d’autres détails encore sont pris dans le vif de la société contemporaine ! […] On pourrait dire que la limite de la légitimité des instincts résulte de la société humaine, et que la morale de Molière est éminement sociable ou sociale. […] Les actes qui n’ont pas de conséquences pour la société sont indifférents et licites. […] Mais ici l’observateur internent, et dit que ce respect de la vérité est rare dans le monde que même la société ne saurait subsister, s’il était universel.

384. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Analyser de cette façon les origines du romantisme est une tâche ardue : l’époque a été peu fouillée, bien qu’elle renferme plus de documents sociaux que ne soupçonnent les historiens ; et que leur étude permet de comprendre l’évolution politique, philosophique, religieuse, littéraire et artistique de la société bourgeoise. […] Parmi les écrits modernes qui m’ont aidé dans ce travail, je dois citer l’Histoire de la société française pendant la Révolution et le Directoire, de Ed. et J.  […] Chateaubriand dit plus poétiquement « de rapetisser sa vie pour la mettre au niveau de la société ». […] L’égoïsme qui se manifeste dans les relations sexuelles, que le dévergondage sentimental du romantisme a pour mission de voiler, est une conséquence fatale de l’égoïsme féroce imposé à l’homme civilisé par la lutte pour la vie dans le milieu économique de la société capitaliste. […] L’égoïsme est demeuré la vertu bourgeoise par excellence : il est le produit nécessaire du système économique et de la libre concurrence, qui déchaînent et entretiennent dans la société capitaliste la guerre de tous contre tous sans trêve ni merci.

385. (1914) Boulevard et coulisses

Définir les conditions dans lesquelles débutent les écrivains, c’est un peu définir une société. Ou ne débute pas dans une société aristocratique comme dans une société démocratique ; on ne débute pas dans une société ordonnée et régulière comme dans une société qui se décompose ou qui se refait. […] Nous aimions à flétrir les hommes politiques et, en général, l’ensemble de la société. […] Chez ceux-là, elle représente la société, et l’art chez celui-ci. […] L’état des sociétés actuelles les irrite, le passé leur fait horreur.

386. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

Si la société agit sur elle, elle réagit à son tour sur la société. […] Toute société, avant d’être réalisée, existe à l’état de rêve, de conception, de désir ; et cela devient de plus en plus vrai à mesure que les peuples prennent d’eux-mêmes et de leurs besoins une conscience plus claire.

387. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Argument » pp. 93-99

. — Chez eux, les seuls contrats étaient ceux de cens territorial ; point de contrats de société, point de mandataires. […] Les sociétés politiques sont nées toutes de certains principes éternels des fiefs. […] Corollaire : c’est la divine Providence qui règle les sociétés, et qui a ordonné le droit naturel des gens.

388. (1887) Essais sur l’école romantique

Mais alors, du moins, deux grandes disciplines gouvernaient la société. […] Ce n’est pas que le roman soit immoral de propos délibéré, ni qu’il veuille séduire la société par les moyens qu’on prend pour séduire une femme. […] Sauf cette petite partie de mensonge, inévitable dans une société civilisée, et dont on n’était dupe de part ni d’autre, tout était loyal entre la critique et l’auteur. […] — Ils ont remué à fond toute notre société ; ils en ont vu tous les vices, énuméré tous les embarras. — Croit-il en savoir un peu plus sur cette société, et se sent-il plus expérimenté, plus sûr, plus garanti, après leurs renseignements qu’avant ? […] Ce n’est point par la tête, c’est par les entrailles qu’une société et ses écrivains éminents se prennent et se lient.

/ 2404