Nouer un commerce intime et de tête-à-tête avec les plus grands hommes d’un grand siècle ; tenir entre ses mains les lettres originales de Louis XIV, de Louvois, de Turenne, de Condé, de Vauban, de Luxembourg et de tant d’autres, dont l’écriture semble encore fraîche, comme si elle était tracée d’hier ; démêler sans peine tous les secrets de la politique et de la guerre ; assister à la conception et à l’éclosion des événements ; surprendre l’histoire, pour ainsi dire, à l’état natif, quelle plus heureuse fortune et quelle plus grande joie ! […] — terrible à force d’expédients, qui tond et écorche impitoyablement les provinces conquises ; — un Luxembourg, tout l’opposé de Vauban pour les mœurs, tournant agréablement ses cupidités en railleries, roué, insolent, inhumain et fanfaron d’inhumanité ; et Louvois badine avec l’un, et il n’est pas révolté des exactions, des extorsions de l’autre, puisqu’elles vont au profit du roi : il semble que tout soit permis et légitime sur le territoire ennemi. […] C’est le duel éternel de tout ce qui finit et de ce qui succède, de ce qui se survit et de ce qui doit vivre ; cela s’est vu de tout temps, en grand, en petit, dans tous les genres et dans tous les ordres : César et, Pompée, Malherbe et le vieux Desportes, Descartes et Voët, Franklin et l’abbé Nollet… Le chevalier de Glerville sent désormais son maître dans celui qui fut longtemps son diacre, comme le disait plaisamment Vauban : « Il est fort chagrin contre moi, ajoutait celui-ci, quelque mine qu’il fasse ; c’est pourquoi il ne me pardonnera rien de ce qui lui aura semblé faute ; mais je loue Dieu de ce que lui et moi avons affaire à un ministre éclairé qui, en matière de fortification, ne prend point le change, et qui veut des raisons solides pour se laisser persuader et non pas des historiettes. » Une dernière rencontre a lieu entre les deux rivaux, au sujet des fortifications de Dunkerque ; elle est décisive. […] Vous savez mieux que moi qu’il n’y a que les gens qui en usent de la sorte qui soient capables de servir un maître comme il faut. » — « Je ne comprends pas, lui répond Louvois noblement susceptible et délicat à sa manière, ce que veut dire la fin de votre lettre, par laquelle il semble que vous vous excusiez de me dire la vérité avec trop de franchise. […] Les premiers n’étaient pas toujours purs et nets ; les seconds avaient bon dos, on trichait à leurs dépens, et il se faisait bien des tours de passe-passe : « Assurément, disait Vauban, s’il y avait quelque bon tour dans la filouterie que le Diable ne sût pas, il pourrait le venir apprendre ici… Il n’y a pas une telle école au reste du monde. » Mais les officiers vont plus loin ; quelques-uns, et des plus coupables, pour se blanchir, osent se plaindre des gens qu’emploie Vauban, comme s’il ne surveillait pas son monde : on semble dire que lui-même interrogé ne pourra disconvenir de certains faits.
On en sort, ce me semble (dût-on avoir souri de quelques expressions au passage), avec une profonde estime pour le jeune roi qui pense et s’exprime ainsi. […] A prendre le chemin qui semblait le plus court, « il ne fallait pas moins que déclarer la guerre à l’Espagne et passer sur le ventre de toutes les places fortes que cette couronne possédait aux Pays-Bas » ; ce qui ne faisait pas le compte de Louis XIV, au moins au début de la guerre, car il voulait, avant tout, porter la blessure au cœur de la Hollande. […] Boileau (et je ne parle pas ici du poète louant en public, mais de l’homme de sens s’épanchant dans la familiarité), Boileau était d’un tout autre avis ; il entrait, nous assure-t-on, dans une espèce d’enthousiasme lorsqu’il parlait de Louis XIV, et l’on a recueilli de ses lèvres ces propres paroles, qui renferment un si bel éloge sous forme littéraire : « C’est, disait-il, un prince qui ne parle jamais sans avoir pensé ; il construit admirablement tout ce qu’il dit ; ses moindres reparties sentent le souverain ; et quand il est dans son domestique, il semble recevoir la loi plutôt que la donner. » Ce dernier trait se rapporte à la facilité de vivre du roi dans son intérieur et à son égalité d’humeur avec tout ce qui l’entourait. Et Goethe que l’on peut citer à côté de Boileau, Goethe le grand et judicieux critique, a observé excellemment que « lorsqu’une famille s’est fait remarquer durant quelques générations par des mérites et des succès divers, elle finit souvent par produire dans le nombre de ses rejetons un individu qui réunit en lui les qualités et les défauts de tous ses ancêtres : il en est de même, ajoute-t-il, des peuples célèbres qui, la plupart, ont vu naître dans leur sein des hommes profondément empreints de la physionomie nationale, comme si la Nature les avait destinés à en offrir le modèle. » Et il cite en exemple Voltaire, le plus Français des hommes, celui que la Nature semble avoir chargé de représenter la France à l’univers. […] Un Récit authentique de ses derniers instants, écrit par un témoin et assez récemment publié, nous le montre procédant et agissant sur son lit de mort « avec une manière naturelle et simple, comme dans les actions, est-il dit, qu’il avait le plus accoutumé de faire ; ne parlant à chacun que des choses dont il convenait de lui parler, et avec une éloquence juste et précise qu’il a eue toute sa vie et qui semble s’être encore augmentée dans ses derniers moments.
L’histoire de Charles-Quint tout entière, dont Robertson semblait avoir élevé le monument définitif, a été renouvelée de nos jours par la connaissance directe des sources et des papiers d’État contenus dans les archives des divers pays, régis et gouvernés par ce puissant monarque ; l’étude des diverses branches dont se compose, en si grand nombre, ce règne étendu et complexe est devenue l’objet d’une savante émulation, et en Espagne, et à Vienne, et en Belgique surtout par les exactes et si essentielles publications de M. […] Sa complexion est flegmatique et naturellement mélancolique… » Voilà une esquisse qui n’est pas à faire pitié, ce semble, et qui peut se voir encore après le portrait du Titien, Il fallut à Charles-Quint du temps, même après sa renonciation publique, pour se décharger de tous ses titres et de toutes ses couronnes, pour « se dénuer de tout », selon son expression sincère. […] Soyons un peu juges nous-mêmes : « Un jour (nous dit dans sa Relation naïve un bon moine de Saint-Just), l’empereur étant très satisfait de sa santé et de la bonne disposition où il était, fit appeler le père Fray Juan Regia, son confesseur, et lui dit : “Fray Juan, il m’a paru à propos de faire faire les obsèques et funérailles de mes parents, ainsi que de l’impératrice, puisqu’en ce moment je me porte bien et n’éprouve aucune douleur : que vous en semble ?” […] Les obsèques de ses parents et de sa femme étant achevées, il dit au père Fray Juan Regia : “Je désirerais aussi faire faire mes propres obsèques, et les voir, et y assister vivant : que vous en semble ?” […] » Que vous en semble ?
Michel, s’il ne l’avait connu jusqu’alors, apprendrait le respect près d’elle, près de celle qui semblait s’offrir d’elle-même. […] Marie hésite ; elle semble craindre du côté du respect. […] » Il y a un jour, un jour unique où ce nuage noir de Marie semble s’être dissipé, où il lui échappe de dire qu’elle veut être aimée tout bonnement « pour tout ce que Mme Denis regrette » ; mais ce mot naturel, ce mot que Michel appelle adorable, comme elle le reprend et le retire ! […] Rêvez, rêvez alors… » Mais voici un dernier passage qui sort du ton sentimental et tendre, et qui, ce me semble, est éloquent, élevé, poétique à la fois et philosophique, tout un jet brillant de hardiesse et de libre fantaisie. […] Et maintenant qu’on sait comment Gavarni entendait le sentiment dans sa jeunesse, lorsqu’on verra ensuite tel de ses dessins, et pour n’en citer qu’un seul, cette aquarelle, par exemple, — véritable élégie, — où une châtelaine penchée au bord d’une terrasse attend impatiemment et semble appeler une lettre, apportée par le messager qui s’avance à pas lents et lourds dans un chemin couvert ; à ce moment de fièvre et de désir où elle croit distinguer le bruit de ses pas sans l’apercevoir encore, et où visiblement elle hâte de ses vœux, de son geste et comme de toute l’attitude de son corps, la marche du bonhomme qui ne se presse guère, on comprendra qu’il ne faisait que rendre là une de ces images de tout temps familières à sa fantaisie et à sa sensibilité gracieuse.
« C’est la beauté des langues, dit-il, que ces façons de parler qui semblent être sans raison, pourvu que l’usage les autorise. — La bizarrerie n’est bonne nulle part que là. » Le bon usage à ses yeux ne se distingue pas du bel usage ; il les confond. […] Or, écoutons à son tour Vaugelas ; son accent ici s’élève, car il a en lui, sur ces matières qui semblent un peu sèches ou légères, une chaleur vraie, un foyer d’ardeur et de conviction : « Je réponds, et j’avoue, dit-il, que c’est la destinée de toutes les langues vivantes d’être sujettes au changement ; mais ce changement n’arrive pas si à coup et n’est pas si notable que les auteurs qui excellent aujourd’hui en la langue ne soient encore infiniment estimés d’ici à vingt-cinq ou trente ans, comme nous en avons un exemple illustre en M. […] Et toutefois je ne demeure pas d’accord que toute leur utilité soit bornée d’un si petit espace de temps, non-seulement parce qu’il n’y a nulle proportion entre ce qui se change et ce qui demeure dans le cours de vingt-cinq ou trente années, le changement n’arrivant pas à la millième partie de ce qui demeure, mais à cause que je pose des principes qui n’auront pas moins de durée que notre langue et notre Empire. » Que vous en semble ? […] Vaugelas semble dire comme un bon professeur à l’élève brillant qui a fini ses études : « Maintenant vous savez écrire ; il ne vous reste qu’à trouver de beaux et heureux sujets, des emplois originaux à votre talent. […] ce n’est point Patru auquel il semble, en terminant, vouloir passer la parole et résigner le sceptre de la rhétorique et de l’éloquence.
Elle est de face, elle montre d’une main la couronne posée sur un coussin, elle semble dire : « Après tout, je suis reine. » Elle a également le manteau royal, une robe à grands ramages, étoffe de Lyon, soie et or. […] Il semble qu’ils se soient défiés de l’insipidité comme d’un écueil : ils ont poussé au piquant53. […] Elle semblait dédaigner ce qu’elle pleure amèrement aujourd’hui… Il faut savoir que la reine a peur des esprits. […] Moncrif y faisait des niches, et un jour qu’on feuilletait un recueil de vieilles chansons, on était tout surpris d’y rencontrer celle-ci, qui avait échappé jusque-là et qui semblait faite tout exprès pour célébrer la reine sous le nom de Sophie : Il est une Sophie, onc il n’en sera d’autre, Ravissant d’un souris mon âme, aussi la vôtre… Le refrain de ce couplet marotique était : Tenez, je vous adore ! […] Il ne reste plus, ce me semble, qu’à prendre congé de la reine dont Mme d’Armaillé nous a rafraîchi si gracieusement la mémoire, et qu’à présenter le Portrait accompli qu’a tracé d’elle Mme Du Deffand, cette fois toute bonne, toute désarmée et d’autant plus spirituelle : « Thémire a beaucoup d’esprit, le cœur sensible, l’humeur douce, la figure intéressante.
Un principe bien simple me dirige dans ces reprises d’études déjà faites tant de fois par des écrivains de talent, et qu’il peut sembler inutile de recommencer. […] À la moindre découverte d’un papier, d’un document nouveau, on se récrie, on est transporté : il semble que jusqu’ici on n’y avait rien entendu et que c’est d’à présent que la lumière se fait. […] Si l’on cherche le sens précis de cette épigramme tournée en éloge, il me semble y voir quelque chose de la même intention d’ironie qu’un inspecteur général employait un jour à l’égard d’un officier distingué qui a percé depuis, et de qui il disait en note : « Ferait un excellent préfet. ». […] Ces détails semblent minutieux ; ne les négligeons point pourtant ; il est heureux qu’on les ait. […] Ces textes, que je prends dans les Mémoires de Catinat, auraient besoin de quelque vérification, ce me semble, pour une entière exactitude.
Pour moi, j’avouerai que c’est le contraire qui me frappe : il me semble, à tout moment, reconnaître en elle, en la lisant, une Genevoise émancipée, une calviniste qui se met en fête et en frais d’imagination, une formaliste qui fait éclater son moule. […] Il semble que l’écho de la Lisette de Béranger et de tant de refrains égrillards ne soit jamais arrivé jusqu’à ces parages : ils sont venus expirer, ces refrains de guinguette, à la région élevée des pins et à ces monts sourcilleux qui font barrière. […] Sur la montagne, la verdoyante ramée des hêtres triomphait si bien du feuillage noir des sapins, elle s’étendait si lustrée, si criante, elle montait si vaillamment jusqu’à la région des pâturages, et ceux-ci commençaient à verdoyer si ferme, qu’à part la coupole de neige qui couvrait le fin sommet, on ne voyait que ce vert terrible qui semblait refouler la pensée en soi-même. » En allant chez la vieille, il y a un endroit plus élevé, un col à passer, et, si l’on s’y arrête pour jouir du spectacle, on voit en bas cette vallée se déroulant au plus loin dans sa moire verte et « d’un vert criard », mais de l’autre côté, du côté du village, au-dessus et par-delà, on voit la montagne et ses dernières pentes, mouchetées de sapins, semées de hêtres et offrant aussi des places plus riantes, car la saison y est retardée, et quand le vallon est en mai, on n’est là-haut qu’en avril : « Les vergers croissaient parmi, et comme j’avais monté pour arriver au col, je retrouvais fleuris les arbres qui, dans le vallon, avaient passé fleur. » Voilà des expressions charmantes et neuves, nées de l’observation même. […] L’une, la plus jeune, semble se dérober à l’arrière-plan ; elle a le geste furtif, la démarche hésitante ; elle glisse et se perd à chaque instant dans les ombres froides qui emplissent le fond. […] Lorsque les lèvres de la religieuse s’entrouvrent, elles laissent passer un mot court, une sorte de note monotone, comme le bruit d’une goutte d’eau qui tomberait à intervalles réguliers des parois de quelque grotte humide dans cette flaque qui n’a jamais réfléchi la lumière. » Je ne sais si l’habitude que nous autres catholiques avons des couvents m’abuse, mais il me semble qu’il y a dans cette peinture minutieuse, étonnée et un peu effrayée, de l’émerveillement naïf et un peu d’exagération.
Ils sont allés jusqu’à dire : « L’Antiquité a peut-être été faite pour être le pain des professeurs. » Que vous en semble ? […] Ils n’ont jamais assez de couleurs et de nuances pour nous les rendre ; il leur semble qu’ils n’en ont jamais assez dit, assez exprimé. « L’excès en tout est la vertu de la femme, ont-ils dit. — Trop suffit quelquefois à la femme. » Ils sont de ces critiques délicats et raffinés qui ont cette, vertu féminine : ils veulent du trop ; ils s’en contentent quelquefois. […] Dans l’eau, ridée par une botte de paille qu’un homme trempe au lavoir pour lier l’avoine, les joncs, les arbres, le ciel, se reflètent avec des solidités denses, et sous la dernière arche du vieux pont, près de moi, de l’arc de son ombre se détache la moitié d’une vache rousse, lente à boire, et qui, quand elle a bu, relevant son mufle blanc bavant de fils d’eau, regarde. » Une telle page, assurément, est ce qu’on attend le moins d’un littérateur : elle semble détachée de l’album d’un peintre, d’un Troyon consciencieux, sincère, qui ne marcherait point sans son carnet. […] On y voit le sentiment humain mêlé aux paysages, même à ceux où l’homme semble absent. […] « Il semble que, dans la création du monde et des choses, le Créateur n’ait, été ni libre ni tout-puissant.
De plus, les souvenirs des chansons de Béranger y abondent, et la Liberté de juillet elle-même, d’après Jasmin, ne semble pas très-différente de celle qui se dresse, si reconnaissable, dans les vers de M. […] Jasmin prend peut-être quelques licences de tours, ou du moins il profite en cela des habitudes introduites ; il cède un peu trop, sans y songer, à ce flot de gallicismes qui vont chaque jour s’infiltrant ; tout en observant parfaitement la grammaire locale, il ne recourt peut-être pas assez à certaines locutions par lesquelles l’idiome du Midi se distinguait du français du Nord, et qu’on pourrait sauver ; en un mot, ce n’est pas un poëte remontant du patois à la langue par l’érudition ; mais c’est un poëte pur, soigné en même temps que naturel dans l’expression, habile et curieux aux mots vifs de son vocabulaire ; rien de rocailleux, rien de louche chez lui, et, pour parler selon ses images, son clair Adour, à nos yeux, semble courir sans un flot troublé47. […] Et le vieux Te Deum des humbles mariages semblait descendre des nues, quand tout d’un coup une grande troupe de jeunes filles au teint frais, propres comme l’œil, chacune avec son fringant, viennent sur le bord du rocher entonner le même air, et là, semblables, tant elles sont voisines du ciel, à des anges riants qu’un Dieu aimable envoie pour faire leurs gambades et nous apporter l’allégresse, elles prennent leur élan, et bientôt, dévalant par la route étroite de la côte rapide, elles vont en zigzag vers Saint-Amant, et les volages, par les sentiers, comme des folles vont en criant : Les chemins devraient fleurir, Tant belle épousée va sortir, etc. […] il me semble que nous montons. » — « Eh ! […] Et le soir, un cercueil avec des fleurs passait au même chemin ; le De Profundis avait remplacé les chansons, et, dans la double rangée de jeunes filles en blanc, chacune maintenant semblait dire : Les chemins devraient gémir, Tant belle morte va sortir ; Devraient gémir, devraient pleurer, Tant belle morte va passer !
M. de Trièves, dans l’Aventure de Mlle de Saint-Alais, le définit, ce semble, merveilleusement : Voyez-vous, le monde n’a sa maison d’être qu’avec le luxe et par le luxe ; c’est une association pour le plaisir, ou ce n’est rien. […] Que dites-vous de ces réflexions sur la mimique de Mme de Guébriac : … Qu’elle se penchât vers lui d’un insensible mouvement ou se retirât un peu en arrière, il lui semblait la sentir se rapprocher ou s’éloigner comme s’il l’eût tenue dans ses bras. […] Le dilettante qui n’écrit point, qui ne rêve ni n’expérimente que pour lui-même, me semble avoir à la fois plus de fierté et plus de vraie finesse d’esprit. […] … Je m’incline donc une fois encore devant la suprême inconscience, devant la toute-puissante déraison qui semble gouverner les choses humaines… Je me résigne ; mais cette résignation me dégrade et m’abrutit : je la maudis. […] La morale des philosophes est une morale de cabinet qui ne les suit guère dehors ; tant qu’on raisonne doctoralement, inter libros ou inter pocula, c’est superbe, plein de simplicité, de grandeur et d’harmonie ; mais deux beaux yeux que l’amour fait arder ont bien vite raison de toutes les rigueurs théoriques de ces belles doctrines, lesquelles, en de certains, moments, sembleront toujours à quiconque ne les a pas inventées de simples jeux de savants.
L’entassement ne semble même pas une ruine. […] Et, sous les intempéries, parmi le sifflement des vipères et le coassement des crapauds qui semblent naître de ses mains de lucre, voici que l’enchevêtrement des fleurs tout à l’heure odorantes et des herbes de plus en plus puantes n’est qu’un tas grouillant de fumier. […] Tout ce qui est arrêté semble brutal à sa faiblesse. […] Il amenuise ces vieilleries et les brise au poids de mots dont la précision abstraite et la netteté pédante lui semblent rares. […] [Saint-Georges de Bouhélier] Saint-Georges de Bouhélier, jeune réclamiste habile, mais écrivain inférieur même à son père, le pauvre Lepelletier de l’Écho de Paris, est, comme vous savez sans doute — il s’est fait faire tant de publicité — le chef de « l’école naturiste ». « Naturisme » peut sembler aux malveillants une imitation de « naturalisme ».
Ces conversions qui semblent brusques sont toujours devancées par d’intimes mouvements qui les préparent. […] Une telle confusion semblait des plus fâcheuses à l’abbé Lacordaire ; elle lui paraissait une diminution et une dégradation du christianisme, et il crut qu’il était bon de montrer enfin à la France qu’on pouvait être fidèle à Jésus-Christ sans être inféodé au trône déchu, ce trône fût-il celui des descendants de saint Louis. […] Il fit plus pourtant que de l’entrevoir dans des conférences qu’il prêcha en 1834 au collège Stanislas, et où la jeunesse s’étonna d’entendre pour la première fois en chaire une parole vive et jeune comme elle, svelte et hardie, abordant par leurs noms les idées neuves, en prenant souvent la couleur et l’accent pour les serrer de plus près et pour les rattacher par leur partie saine à l’antique tradition qui en semblait toute rajeunie. […] Grâce à ce ton de facilité généreuse et de franchise, il a su conquérir, sur son auditoire de jeunes gens, une autorité de faveur et de sympathie ; il a pu leur donner des conseils moraux sur les sujets les plus délicats : il a fait sur la chasteté, par exemple, des conférences qui sembleraient d’une étrange audace, si cette audace n’était revêtue d’autant de candeur et servie d’un aussi prodigieux talent. […] L’abbé Lacordaire réussissait depuis deux années à Notre-Dame, lorsqu’il prit un parti qui dut sembler singulier et extrême à ses amis, même les plus religieux : il quitta brusquement cette position toute faite et s’en alla à Rome pour y étudier, disait-on, mais en réalité pour s’y préparer à prendre l’habit de dominicain, et nous revenir de là avec la robe blanche du frère prêcheur.
Avec un talent du premier ordre et tel qu’on n’en trouverait pas de supérieur en notre littérature dès l’origine, elle semble craindre que ce talent, dans son activité et dans sa puissance, ne manque de sujet, ne manque de pâture. […] Germain, grave et honnête, semblerait comme son père ou son oncle. […] L’embarras de s’orienter redouble : « Le brouillard rampait et semblait se coller à la terre humide. » On rôde autour de cette maudite Mare au diable (c’est ainsi que l’appellent les gens du pays), et, après maint effort pour s’en éloigner, on y est toujours ramené comme par un sort. […] Il s’en va bien assez vite de lui-même. » Cette fin de La Mare au diable, dans la description des noces, semble peut-être un peu longue ; mais on n’est pas fâché, malgré tout, de s’arrêter sur ces images d’abondance rurale et de copieux bonheur, qui rappellent, à leur manière, le tableau de Théocrite dans les Fêtes de Cérès, et celui de Virgile célébrant les vertus des vieux Sabins : « Casta pudicitiam servat domus ». […] Finalement la femme, qui n’a pas eu un éclair de coquetterie, et qui, jusque dans sa mise, a soin de se montrer plutôt fanée avant l’âge, ne fait que se résigner et ne semble consentir que parce que tout le monde le veut.
Il y avait toujours en lui des reflets et des parfums retrouvés de la Grèce, mais le vieux Celte aussi reparaissait plus souvent ; et, pour appliquer ici le nom d’un écrivain qu’il cite quelquefois et qui exprime l’extrême recherche dans l’extrême décadence, on dirait que, dans les parties dernières de sa composition, il soit entré du Sidoine Apollinaire, tant l’œuvre semble subtile et martelée ! […] On serait tenté un moment de le croire, et même M. de Chateaubriand va, selon moi, trop loin quand il dit : « Nous étions bien stupides sans doute, mais du moins nous avions notre rapière au vent… » Cependant je tourne la page, et je vois qu’il semble prendre fait et cause pour l’émigration : « On crie maintenant contre les émigrés, dit-il ; à l’époque dont je parle, on s’en tenait aux vieux exemples, et l’honneur comptait autant que la patrie. » Encore un coup, avons-nous affaire à l’émigré convaincu et resté croyant à son droit, ou à l’émigré qui s’appelle lui-même stupide, et qui a l’air de se moquer de tout ce qu’il a enduré alors pour la plus grande gloire de la monarchie ? […] » Un très bon juge me disait à ce sujet, et je ne puis mieux faire que de rapporter ses paroles : « Quant au fond, M. de Chateaubriand se rappelle sans doute les faits, mais il semble avoir oublié quelque peu les impressions, ou du moins il les change, il y ajoute après coup ; il surcharge. […] Elle ne se refuse aucune image rebutante et semble plutôt s’y exciter ; les images de charnier même ne lui déplaisent pas ; c’est par moments la gaieté du fossoyeur, comme dans la scène d’Hamlet. Il ne serait pas difficile, si l’on avait l’espace, de justifier ces remarques générales par un grand nombre d’exemples ; et tout à côté, pour rester dans le vrai, on citerait de ces paroles qui semblent couler d’une lèvre d’or, et qui rappellent l’antique beauté avec le sentiment moderne, c’est-à-dire le genre de beauté propre à M. de Chateaubriand, celle où il est véritablement créateur.
L’idée d’écrire des Confessions semble si naturelle à Rousseau, et si conforme à son humeur comme à son talent, qu’on ne croirait pas qu’il y ait eu besoin de la lui suggérer. […] Quant au style, il lui semble qu’il lui en faudrait inventer un aussi nouveau que son projet, et proportionné à la diversité et à la disparité des choses qu’il se propose de décrire : Si je veux faire un ouvrage écrit avec soin comme les autres, je ne me peindrai pas, je me farderais. […] Les mots de polisson, de vaurien, de gueux, de fripon, n’ont rien qui l’arrête, et il semble même qu’ils reviennent avec une certaine complaisance sous sa plume. […] L’autre espèce d’altération et de corruption qu’on peut noter en lui est plus grave, en ce qu’elle tient au sens moral : il ne semble pas se douter qu’il existe certaines choses qu’il est interdit d’exprimer, qu’il est certaines expressions ignobles, dégoûtantes, cyniques, dont l’honnête homme se passe et qu’il ignore. […] Le rêve de ce jour-là, il le réalisa quelques années après dans son séjour aux Charmettes, dans cette promenade du jour de la Saint-Louis, qu’il a décrite comme rien de pareil n’avait été peint jusque-là encore : Tout semblait conspirer, dit-il, au bonheur de cette journée.
La négligence et l’incorrection avec lesquelles avaient été imprimées jusqu’ici les œuvres de Frédéric étaient pour quelque chose dans le peu d’estime que semblaient en faire ceux qui ne sont pas accoutumés à se former un jugement par eux-mêmes en toute matière. […] Capitaine, il ne m’appartient pas de le juger ; mais, si j’ai bien compris les observations que Napoléon a faites sur les campagnes de Frédéric, et les simples récits de Frédéric lui-même, il me semble que ce n’était pas un guerrier avant tout. […] En général, on n’aperçoit dans aucune des qualités de Frédéric cette fraîcheur première qui est le signe brillant des dons singuliers de la nature et de Dieu : Tout, chez lui, semble la conquête de la volonté et de la réflexion agissant sur une capacité universelle ; qu’elles déterminent ici ou là, selon les nécessités diverses. […] Ce titre, cette qualification de roi qui ne fut donnée qu’au fils du Grand Électeur, et comme par grâce, semblait plutôt avoir diminué le nom prussien qu’elle ne l’avait rehaussé. […] Ces motifs, tous puisés dans l’intérêt de sa cause et de sa nation, n’ont rien qui semble en désaccord avec les maximes de Frédéric et avec ses idées favorites ; en tant que philosophe et écrivain.