/ 1550
560. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Il est l’insupportable méridional au gros rire bruyant, aux gestes familiers, aux précisions déplaisantes. […] C’est le vers libre classique, celui qui sourit, rit et ricane dans Amphytrion ; celui qui dans Psyché donne à la vieillesse de Corneille des accents si délicieusement frais et jeunes ; celui qui dans La Fontaine exprime toute la gamme des sentiments humains, depuis les plus gais jusqu’aux plus profondément tristes. […] S’il est platonicien, c’est comme on le fut à Alexandrie ; mais beaucoup de ses paroles et de ses gestes et de ses rires scandaliseraient les jardins d’Académus.

561. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Rabelais, ce grand rieur qui se permettait tout, cet Homère-Priape sans feuille de vigne ; Rabelais, l’auteur de Gargantua, a un jour raconté la bataille des Cervelas et des Andouilles, mais il riait au-dessus de sa plantureuse et folle Épopée. […] Émile Zola ne rit point, lui. […] Elles n’étaient que de la fantaisie, — grossière, il est vrai, — la fantaisie d’un esprit sans goût, mais non pas sans calcul, qui bravait le dégoût et le rire et qui les inspirait tous les deux.

562. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Et, ― au fond de son ennui, il songe au plaisir simple d’être d’accord, de rire avec naïveté, de sourire d’un air discret, de s’émouvoir aux longues commotions. […] Non pas rire ; cela est vulgaire ; sourire : de tout, de tous, de soi-même. Il faut être très heureux pour ne jamais rire. […] Ou, si je l’admets, ce sera comme jeu ; or, l’art ne joue pas ; il est grave, même quand il rit, même quand il danse. […] Il se donne à croire des choses dont la stupidité ferait rire une gardeuse d’oies ; il se salit l’esprit et les mains des contacts où hésiteraient des manouvriers, mais c’est, pour dire : Voyez comme je suis supérieur aux gentils.

563. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Un disciple de Heine, qui vient de mourir à Paris, a été le spirituel et déplorable modèle de cette jeunesse infatuée de mauvais rire allemand. […] la pire des corruptions, c’est celle qui rit d’elle-même. […] Et toi, crâne vide, qui parais rire de mes aspirations, ton ricanement veut-il me dire que l’esprit qui l’habitait s’est jadis fourvoyé comme le mien ? […] Méphistophélès rit et raille.

564. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Ne rions pas de ces natures de modestie et d’abnégation, surtout quand elles nous apportent à pleines mains des présents de roi. […] Je le voyais de nouveau, le soir, avec son étoile sur son habit noir, dans son salon brillamment éclairé, plaisanter au milieu de son cercle, rire et causer gaiement. […] La soirée me plut ; partout régnaient l’aisance et la liberté : on se tenait debout, on s’asseyait, on plaisantait, on riait, on parlait avec l’un, avec l’autre, chacun suivant sa fantaisie. […] — Oui, dis-je, j’irai au théâtre ; il me semble que ce soir il vaut mieux pour moi que je rie.

565. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Le peuple, qui a un instinct très délicat du comique, en rira. […] Et pourtant je souffrais quand j’entendais des hommes honnêtes déverser le rire, le mépris ou la colère sur ces lamentables folies ; je m’irritais quand j’entendais applaudir à de sanglantes vengeances ou regretter qu’on n’en eût pas fait assez. […] Ceux qui rient cruellement de ces folies m’irritent ; car ces folies sont, en partie, leur ouvrage. […] Ils n’ont pas d’éclat extérieur, ils ne flattent pas, ils sont sérieux et sévères, ils ne rient pas, ils parlent un langage difficile et que la multitude n’entend pas, celui de la raison.

566. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

On rit beaucoup aux dépens de ce dernier, qui, plein de honte & de rage d’avoir été trompé, se vengea contre Muret, en lui reprochant, dans un distique*, ses mœurs & le bucher où des accusations horribles pensèrent le conduire à Toulouse. […] On rit, pendant longtemps, de la bonne opinion que Saint-Sorlin avoit de lui-même ; mais, pour que toute plaisanterie cessât, il eut l’adresse de faire de ses intérêts ceux de la France, d’opposer ses grands hommes à tous ceux d’Athènes & de Rome. […] Il se permit seulement quelques vers dans lesquels il avertissoit Perrault d’être sur ses gardes, & il représentoit :             Junon, Jupiter, Mars,         Apollon le dieu des beaux-arts, Les ris mêmes, les jeux, les graces & leur mère,         Et tous les dieux, enfans d’Homère,         Résolus de venger leur père. […] Cependant les auteurs de la querelle avoient envie de la faire cesser : ils étoient las de prêter si longtemps à rire au public : des amis communs s’employèrent pour cela.

567. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Leur vue excita un rire inextinguible chez les gens de bonne humeur et de la colère chez les grincheux, qui se fâchent quand ils croient qu’on veut se moquer d’eux. […] La damoiselle bénie rit, après sa mort, au comble de la plus haute félicité, dans un palais d’or, à la face de Dieu et de la Sainte Vierge. […] honte de leurs ineptes rires, et devant cet homme que ces rires n’arrachaient pas à la sérénité de son silence méditatif, les rires se sont tus, à leur tour subissant la divine contagion du silence. […] Mais écoutez-le rire ! […] » demande Adrien Remacle ; « nous en avons ri, tous, toujours ; c’est ce qui l’a monté à la gloire ! 

568. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

« Tout cela est très joli, disait-il des incrédulités fanfaronnes, quand on n’entend pas la cloche des agonisants. » Personne n’a mieux parlé que lui du principe de l’irréligion chez Voltaire, « de ce désir d’être neuf, piquant et cité, de rire et de faire rire, d’être ce qu’on appelait alors un écrivain hardi », toutes choses qui, selon lui, avaient plus animé Voltaire qu’aucune conviction positive.

569. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Au même moment, d’autres champions de tout caractère et de taille diverse entraient en scène, et la mêlée devint générale : il y avait la vraie jeunesse du temps, les malins et les espiègles armés à la légère, comme l’abbé de Pons, comme Marivaux ; il y avait ceux qui ne riaient pas et les esprits rectilignes comme l’abbé Terrasson, membre de l’Académie des sciences. […] Le public rit et applaudit à M. de La Motte ; car il faut convenir qu’il a l’esprit aimable et léger : son dernier ouvrage a plu infiniment ; on le lit, on le cite.

570. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

En un mot, dans toute sa première partie, Charron taquine l’homme et lui fait échec sur tous les points, mais sans rire comme Montaigne, avec gravité, en s’appesantissant ; et tout cela pour arriver à le relever ensuite et le restaurer moyennant la construction de sa lente et artificielle sagesse. […] C’est-à-dire que, de ces hommes plus sages, les uns rient, et les autres pleurent : les uns se moquent et prennent tout par le ridicule, les autres penchent du côté de la plainte ou de la crainte, n’osent parler que bas et à demi-bouche ; ils déguisent leur langage ; ils mêlent et étouffent leur pensée ; ils ne parlent pas sec, distinctement, clairement : Je viens après eux et au-dessous d’eux, ajoute Charron ; mais je dis de bonne foi ce que j’en pense et en crois, clairement et nettement.

571. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Mais qu’un peu de pitié console enfin tes mânes ; Que, déchiré longtemps par des rires profanes, Ton nom, d’abord fameux, recouvre un peu d’honneur ; Qu’on dise : il osa trop, mais l’audace était belle ; Il lassa, sans la vaincre, une langue rebelle, Et de moins grands depuis eurent plus de bonheur. […] Rabelais après Villon était venu, et avait fait sa parodie bouffonne, dont le rire au loin retentissait.

572. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

En vérité, Mme de Maintenon rirait bien si elle savait tous les détails de ma charge. […] Elle plaisante avec esprit, avec agrément, mais avec froideur ; elle flatte et caresse de même : on sent l’artifice et le rire qui n’est que des dents et des lèvres, et que tout est factice dans la personne.

573. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Il n’est pas extraordinaire, quand on a tant de goût et de facilité à tracer de malins portraits et quand on se sent si en train d’y réussir, que l’on s’en amuse un peu tout le premier et qu’on rie aux éclats, au moins par instants. […] Lorsqu’on sut que l’Académie songeait à lui encore plus qu’il ne songeait à elle, ce furent des cris d’indignation, des rires ironiques ; on parut croire que c’était impossible.

574. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

Je la vois fort rire, quand j’ai l’honneur d’être avec elle. […] Elle est belle comme le jour, grasse, fraîche : elle dort, elle mange, elle rit : il faut finir là… » Le roi est jaloux d’une façon étrange ; et ceci, ce n’est point la marquise, c’est le marquis de Villars qui nous l’apprend dans sa Relation.

575. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Considérez notre littérature depuis le Moyen-Age, rappelez-vous l’esprit et la licence des fabliaux, l’audace satirique et cynique du Roman de Renart, du Roman de la Rose dans sa seconde partie, la poésie si mêlée de cet enfant des ruisseaux de Paris, Villon, la farce friponne de Patelin, les gausseries de Louis XI, les saletés splendides de Rabelais, les aveux effrontément naïfs de Régnier ; écoutez dans le déshabillé Henri IV, ce roi si français (et vous aurez bientôt un Journal de médecin domestique, qui vous le rendra tout entier, ce diable à quatre, dans son libertinage habituel) ; lisez La Fontaine dans une moitié de son œuvre ; à tout cela je dis qu’il a fallu pour pendant et contrepoids, pour former au complet la langue, le génie et la littérature que nous savons, l’héroïsme trop tôt perdu de certains grands poëmes chevaleresques, Villehardouin, le premier historien épique, la veine et l’orgueil du sang français qui court et se transmet en vaillants récits de Roland à Du Guesclin, la grandeur de cœur qui a inspiré le Combat des Trente ; il a fallu bien plus tard que Malherbe contrebalançât par la noblesse et la fierté de ses odes sa propre gaudriole à lui-même et le grivois de ses propos journaliers, que Corneille nous apprît la magnanimité romaine et l’emphase espagnole et les naturalisât dans son siècle, que Bossuet nous donnât dans son œuvre épiscopale majestueuse, et pourtant si française, la contrepartie de La Fontaine ; et si nous descendons le fleuve au siècle suivant, le même parallélisme, le même antagonisme nécessaire s’y dessine dans toute la longueur de son cours : nous opposons, nous avons besoin d’opposer à Chaulieu Montesquieu, à Piron Buffon, à Voltaire Jean-Jacques ; si nous osions fouiller jusque dans la Terreur, nous aurions en face de Camille Desmoulins, qui badine et gambade jusque sous la lanterne et sous le couteau, Saint-Just, lui, qui ne rit jamais ; nous avons contre Béranger Lamartine et Royer-Collard, deux contre un ; et croyez que ce n’est pas trop, à tout instant, de tous ces contrepoids pour corriger en France et pour tempérer l’esprit gaulois dont tout le monde est si aisément complice ; sans quoi nous verserions, nous abonderions dans un seul sens, nous nous abandonnerions à cœur-joie, nous nous gaudirions ; nous serions, selon les temps et les moments, selon les degrés et les qualités des esprits (car il y a des degrés), nous serions tour à tour — et ne l’avons-nous pas été en effet ? […] L’article lu, je me disais : C’est égal, après tous les grands efforts et tous les grands systèmes en France, il n’est, pour voir clair et juste et remettre tout à sa place, que de se dérider et de se déroidir un peu ; donnez-moi de temps en temps des gens qui sachent rire à propos et égayer le bon sens.

576. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Vous riez de cette religion sous cloche ; mais, pour plus d’un esprit jusque-là fermé à cet ordre de vues et de perspectives, la démonstration de l’importance de la chose religieuse n’en était pas moins donnée. […] Il vient de parler des diverses hymnes et proses célèbres de la liturgie, le Dies iræ, le Vexilla, le Stabal, et il en a défini l’impression profonde avec largeur et vérité : « Je sais que beaucoup, dit-il, qui n’ont peut-être jamais mis le pied dans une église pour prier, qui n’ont jamais ressenti dans leur cœur la pieuse ferveur de la foi, riront de mon enthousiasme et de mon admiration ; mais je dois leur dire que depuis sept ans j’ai manqué peu de représentations au Théâtre-Italien, que j’ai suivi assidûment les concerts du Conservatoire, que Beethoven m’a donné la fièvre de plaisir, que Rossini m’a remué jusqu’au fond de l’âme, que Mme Malibran et Mlle Sontag ont été pour moi de bienfaisantes divinités ; que pendant près de deux ans je n’ai eu d’autre religion, d’autre espérance, d’autre bonheur, d’autre joie que la musique ; que, par conséquent, ils ne peuvent me regarder comme un trappiste qui ne connaît que ténèbres et matines ; mais il faut qu’ils sachent aussi que celui qui leur parle, et qui aujourd’hui est bien loin de la foi chrétienne, a été pendant cinq ans catholique fervent, qu’il s’est nourri de l’Évangile, de l’Imitation ; qu’élevé dans un séminaire, il y a entendu des chœurs de deux cents jeunes gens faire résonner sous une voûte retentissantel’In exitu.

/ 1550