. — On voit la liaison de ces deux caractères du nom ; il est général parce qu’il est abstrait ; il convient à toute la classe parce que l’objet désigné, n’étant qu’un morceau, peut se retrouver dans tous les individus de la classe, lesquels, semblables à ce point de vue, restent néanmoins dissemblables à d’autres points de vue. […] le gros sens populaire ; la tendance qui aboutit au nom ne correspond guère qu’à ce caractère-là. — Mais voici qu’un naturaliste m’ouvre un chat et me fait voir cette poche qu’on appelle l’estomac, ces petits tubes infiniment ramifiés qu’on nomme les veines et les artères, ce paquet de tuyaux lisses qui sont les intestins, ces bâtons, ces cages, ces cerceaux, ces boîtes ou demi-boîtes solides qui s’emmanchent les unes dans les autres et qui sont les os. — Je resterais là pendant six mois que je verrais toujours des choses nouvelles ; si je prends un microscope, ma vie n’y suffira pas ; et, à parler exactement, aucune vie ni série de vies ne peut y suffire ; par-delà les propriétés observées, il en restera toujours d’autres, matière illimitée de la science illimitée.
Il avait eu la chance devenir à point : on lui savait un gré infini d’avoir été si amusant contre les juges du chancelier Maupeou, et les nouveaux Conseils en restèrent absolument déconsidérés. […] Beaumarchais a si vigoureusement manifesté dans sa comédie le mécontentement général et son indisciplinable individualité, qu’elle est restée dressée contre tous les gouvernements, à l’usage de toutes les oppositions. […] Elle restera comme un patron, sur lequel les écrivains postérieurs tailleront leurs conceptions.
Comme il n’en est pas ainsi, la théologie et le sacerdoce survivent à ce qui aurait dû les tuer ; ils restent une spécialité entre beaucoup d’autres. […] La critique, au contraire, ne sait pas digérer ; les morceaux restent entiers ; on voit trop bien les différences. […] Si l’on suppose que les cordelles, tout en restant distinctes, soient ensuite entrelacées pour former une corde, on aura la synthèse, qui diffère du syncrétisme primitif en ce que les individualités, bien que nouées en unité, y restent distinctes.
Il leur était resté, de la date de leur naissance, je ne sais quelle tache originelle. […] Tout cela dit, et cette noble inspiration agissant, il restera toujours dans la pratique une difficulté très grande, celle d’aborder ainsi sur une foule de sujets, et sans avoir l’air de professer, des intelligences peu préparées et qui n’ont pas reçu une première couche régulière de connaissances. […] On n’oublierait pas, à côté des gens de talent sortis du peuple, ceux qui y sont restés, qui, tout en ayant un génie et un don, n’ont pas cessé de pratiquer un métier.
En 1819, il désira de faire partie du Conseil des prisons : « Vous savez mes desseins relativement aux prisonniers, écrivait-il à un de ses amis ; j’ai dans la tête un Petit Carême à leur usage, et une voix intérieure me dit que je ferai en ce genre ce qu’on n’a jamais fait, de vraies conversions au bien. » Ce Petit Carême qu’il avait dans la tête resta, comme tant d’autres de ses idées, à l’état de projet. […] Si l’on ne composait ces notices que pour les lire devant des confrères et des connaisseurs, gens du métier, on pourrait s’en tenir aux traits simples et rester dans un parfait accord avec le sujet ; mais les séances publiques amènent le désir et le besoin des applaudissements, et les applaudissements s’obtiennent rarement par des traits fins et justes, par des nuances bien saisies, ou même par des vues simplement élevées. […] La parfumerie se remplissait de livres ; il resta toujours un peu de cette parfumerie aux écrits de Pariset.
Parmi les anciens, les deux Pline sont restés des plus présents et des plus récents au souvenir. […] Pour moi, les lettres de Pline, quoique recueillies, composées et refaites à loisir, comme a fait depuis Balzac, comme on nous dit que Courier, de nos jours, recomposait les siennes, restent une lecture d’une douceur infinie et d’un grand charme. […] Il nous parle de tous les hommes de lettres célèbres de son temps, il correspond avec eux, il écrit à Quintilien, à Suétone, à Tacite : mais, c’est à ce dernier surtout que son souvenir est resté tendrement et intimement uni.
Si quelque chose doit affliger, c’est l’accès qu’on leur donne, et le tort qu’ils font à la cause de ceux qui les accueillent avec tant de légèreté ; il n’est pas un révolutionnaire qui ne doive rester tel, en apprenant de quelle indigne manière sont traités ceux qui ont défendu avec le plus de constance et de courage les intérêts de la maison de Bourbon. […] Il ne lui restait plus, s’il voulait encore parler au public, qu’à sortir du continent, car il n’y avait plus un lieu où il pût imprimer en sûreté une ligne contre le Directoire : Je n’ai été toléré ici, écrivait-il de Fribourg-en-Brisgau à l’abbé de Pradt, que sous la promesse d’y garder le silence. […] C’est un livre qui restera, je le crois, comme celui de l’un des meilleurs médecins consultants dans les crises sociales69.
Il est bon de temps en temps de repasser et de se redire ce que signifient ces gloires consacrées : il n’est jamais sans intérêt de ressaisir et de se représenter au naturel l’homme autrefois célèbre qui n’est plus resté pour nous qu’à l’état de nom et d’image. […] Patru, en lisant L’Astrée de d’Urfé et en l’admirant, n’y avait pas puisé, ce semble, la constance ni l’élévation romanesque en matière d’amour ; il était resté de la pure lignée de nos aïeux, peu platonique et médiocrement fidèle, un enfant de la Cité. […] Cette lettre de Patru à d’Ablancourt, où se lit cet agréable récit, est restée dans le souvenir et vaut mieux pour nous aujourd’hui que tout le gros de ses œuvres.
Pendant les dangers de l’invasion, en 1814-1815, il se retira quelque temps dans la montagne, chez un curé parent ou ami de sa famille, et y resta à étudier. […] Il fut ordonné prêtre en 1822, en même temps que l’abbé de Salinis, dont il est resté depuis l’inséparable ami. […] En 1838, affecté d’une maladie de larynx, il partit pour Rome, et, se croyant toujours près d’en revenir, il y resta jusqu’en 1848.
Pourtant il lui en restera le sentiment vif de l’amour, de ses charmes et de ses tendresses, et, jusqu’en ses plus grandes gaietés, il aura de ces vers tout riants de fraîcheur : La jeunesse toujours eut des droits sur les belles ; L’Amour est un enfant qui badine avec elles… Regnard n’a que vingt-six ans. […] est resté proverbial, et dans bien d’autres portraits qu’il introduit incidemment, Regnard a peint les anoblis, les enrichis, les fats de toutes sortes qui vont être bientôt le monde de la Régence. […] Cette charmante pièce des Folies amoureuses, restée si jeune au théâtre, est d’une verve continuelle et toujours recommençante.
Mérimée écrivait cela dans la préface de la Chronique du règne de Charles IX, il a bien étendu et développé son point de vue, et à la fois il est resté fidèle à son premier goût. […] » Plus d’un vieux Moscovite, en songeant à la vieille race de ses tsars, à ce lugubre massacre d’Ouglitch, à ce dernier prince enfant enlevé par une mort soudaine et restée mystérieuse, devait se redire en idée, comme Abner dans Athalie, mais un peu moins harmonieusement, on peut le croire : Ce roi fils de David, où le chercherons-nous ? […] En effet, lorsqu’une haute et jeune destinée a subi de ces catastrophes soudaines et qui sont restées par quelque côté mystérieuses, lorsqu’un prince a disparu de manière à toucher les imaginations et à laisser quelque jour à l’incertitude, bien des têtes travaillent à l’envi sur ce thème émouvant ; les romanesques y rêvent, se bercent et attendent ; les plus faibles et ceux qui sont déjà malades peuvent sérieusement s’éprendre et finir par revêtir avec sincérité un rôle qui les flatte, et où trouve à se loger leur coin d’orgueilleuse manie ; quelques audacieux, en même temps, sont tentés d’y chercher une occasion d’usurper la fortune et de mentir impudemment au monde.
« Il faut rester soi », disait-il. […] D’ailleurs ses vues n’avaient jamais qu’un certain degré de généralité, et restaient toujours suspendues à peu de distance des faits et de l’expérience. […] « Il ne restait plus qu’à choisir, disait-il, entre des maux inévitables ; la question n’était pas de savoir si l’on pouvait obtenir l’aristocratie ouladémocratie, mais si l’on aurait une société démocratique sans poésie et sans grandeur, mais avec ordre et moralité, ou une société démocratique désordonnée et dépravée, livrée à des fureurs frénétiques ou courbée sous un joug plus lourd que tous ceux qui ont pesé sur les hommes depuis la chute de l’empire romain. » Au reste, M. de Tocqueville, quand il propose et indique les remèdes qui lui paraissent nécessaires, se contente des indications les plus générales et n’entre pas dans les détails particuliers.
Bans le siècle de la prose même, dans le siècle le plus didactique qui fut jamais, des prosateurs comme Montesquieu et Rousseau touchèrent à la poésie, — maladroitement, il est vrai, mais ils y touchèrent… Ils touchèrent à cette reine, bienfaisante et non pas dangereuse, qui ne fait pas mourir, comme la reine de l’ancienne étiquette espagnole, ceux qui l’ont touchée ; et à tous les deux, Montesquieu et Rousseau, il est resté quelque chose de ce contact éphémère : à l’un, dans le brillant diamanté de sa phrase, travaillée comme un vers, à l’autre, dans la passion malade de son accent et son harmonieuse mélancolie. […] Il fallait se rappeler encore — et surtout — l’art profond de ce créateur du roman historique qu’il est de mode présentement d’abaisser, mais qui restera immortellement ce qu’il est : le premier des hommes après Shakespeare, et, comme lui, se bien garder de mettre sur le premier plan une histoire connue et sur laquelle la Rêverie, comme la Curiosité, s’est épuisée ; mais la donner pour fond, dans la vapeur féconde des distances et l’adoucissement des lointains, à une autre histoire inventée, celle-là, avec ses séries d’incidents et son cortège de personnages ! […] Alfred de Vigny restera donc à présent, dans la pensée de tous, ce qu’il n’était que dans la sienne : un désespéré qui avait apprivoisé le désespoir, qui l’avait rendu doux et aimable, qui, comme Androclès, se faisait suivre par ce lion… Il apparaîtra plus grand que les poètes de ce temps, qui ne sont que des poètes ; car il fera l’effet d’une poésie, — la poésie de ce désespoir silencieux qui ne se mettait pas de cendres sur la tête, mais qui en avait dans le cœur !
Elle est restée dans un coin, amie de la littérature, divorcée des sciences, au lieu d’être comme les philosophies précédentes, la science gouvernante et rénovatrice. Sa doctrine métaphysique des forces est restée sur l’arrière-plan, à peine esquissée par M. de Biran et M. […] Ces signes voyaient pour la première fois la lumière ; à peine gravés on les avait enfouis sous le ciment ; ils n’avaient point servi, ils n’avaient point parlé, ils étaient restés obscurs, collés contre leurs voisins obscurs ; et toute la cité était ainsi.
Certes M. de Maistre, par le fond habituel de sa pensée, restera toujours un écrivain profondément sérieux ; mais pourtant on n’a pas fait en lui la part de ce qui très-souvent dans le détail n’est que gai. […] Les militaires firent leur devoir et restèrent à leur poste, fidèles à leurs serments. […] Restez vous-même, ô Bacon ! […] Hic jacet, voilà ce qui va bientôt me rester de tous les biens de ce monde. […] Il n’y a plus de religion sur la terre, le genre humain ne peut rester en cet état….
Car nous fûmes son ami et le restons de loin. […] Notre hôte fit honneur surtout à la soupe et, pendant le repas resté plutôt taciturne, ne répondant que peu à Cros, qui peut-être ce premier soir-là se montrait un peu bien interrogeant, aussi ! […] un maître-vocable tout battant neuf, sur lequel je m’exprimais ainsi dans une biographie d’Anatole Baju à paraître incessamment, les Hommes d’Aujourd’hui, de notre sage et temporisateur ami Vanier « Décadisme est un mot de génie, une trouvaille amusante et qui restera dans l’histoire littéraire ; ce barbarisme est une miraculeuse enseigne. […] C’est que les poètes savent d’intuition que la critique, même faite par eux, doit toujours, crainte d’accident, rester à sa place, qui est en bas. […] Jamais Victor Hugo ne s’était élevé à cette sérénité dans l’auguste, jamais il n’avait aussi splendidement et souverainement affirmé les doctrines d’amour, d’union et de fraternité, sans lesquelles les idées de liberté restent fatalement incomplètes et dérisoires.
L’interne nous en découvre un, resté là. […] Le lieutenant, lui, était resté immobile à côté du premier mort, tranquille comme un homme qui méditerait dans un jardin. […] Ces hommes ont une pâleur particulière, avec un regard vague qui m’est resté dans la mémoire. […] La caserne, les magasins effondrés, le Château-d’Eau, sens dessus dessous, avec un lion resté debout, et dont un boulet, passant entre ses crocs, a fait un lion rugissant. […] Il est resté le même : — littérateur avant tout.