Nous la transcrivons tout entière : « Il peut y avoir vingt ans, — dit l’auteur, — dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, un vieux prêtre faisait le prône à une grand’messe le dimanche ; l’auditoire était nombreux, attentif, ce qui n’empêchait pas tous les regards de se porter involontairement sur un grand jeune homme qui, debout en face de la chaire et les bras croisés, semblait suivre avec la plus grande attention tous les raisonnements du prédicateur. […] Cette physionomie si respectueuse jusque-là devint tout à coup sarcastique, le regard s’enflamma, et, le rouge lui étant monté au visage, l’inconnu s’écria, de la voix la plus forte : Ah !
Sous une chevelure qui pousse, en l’air, droite, dure et indomptable au fer, qui en la coupant souvent l’a épaissie, un front vaste et carré comme un parallélogramme, d’un lisse de marbre, mais auquel l’Effort a mis son pli rudement marqué entre les deux sourcils, yeux rentrés où le noir du crayon s’allume, joue rigide, regard attentif, la bouche presque amère, tel est l’homme de ce portrait, et c’est le poète aussi, le poète laborieux, violemment laborieux, l’ardent Puritain du Sonnet, cette pauvreté opulente, la pensée cruelle à elle-même comme la femme, la coquette martyre, dont le pied saigne dans le brodequin, dont la hanche bleuit sous la baleine, mais qui se console avec l’adage : il faut souffrir pour être belle ! […] L’autre, c’est un baptême : — au bras qui le défend Un nourrisson bégaie une note indécise ; Sa mère, lui tendant son doux sein qu’il épuise, L’embrasse tout entier d’un regard triomphant !
Dans ce portrait dont il est question, son front, qui surplombe un visage tranquillement triste, jette l’ombre de sa voûte puissante à ces yeux rêveurs qui cherchent involontairement le ciel, mais qui, dans la réalité, revenaient se tourner vers les vôtres avec des airs fins et spirituels comme nous entendons le regard, nous autres polissons de la terre ! […] je t’ai bien compris, sauvage voyageur, Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur !
Toute la fin respire le charme de l’amitié, et porte l’impression de cette mélancolie douce et tendre, qui quelquefois accompagne le génie, et qu’on retrouve en soi-même avec plaisir, soit dans ces moments, qui ne sont que trop communs, où l’on a à se plaindre de l’injustice des hommes ; soit lorsque blessée dans l’intérêt le plus cher, celui de l’amitié ou de l’amour, l’âme fuit dans la solitude pour aller vivre et converser avec elle-même ; soit quand la maladie et la langueur attaquant des organes faibles et délicats, mettent une espèce de voile entre nous et la nature ; ou lorsqu’après avoir perdu des personnes que l’on aimait, plein de la tendre émotion de sa douleur, on jette un regard languissant sur le monde, qui nous paraît alors désert, parce que, pour l’âme sensible, il n’y a d’êtres vivants que ceux qui lui répondent. […] Nos rois ne dédaigneraient pas d’honorer dans le tombeau ceux qui, en mourant, n’ont voulu quelquefois d’autre récompense qu’un de leurs regards.
En me dressant sur mes étriers, je parvenais à jeter un regard furtif sur cette maison, dans ce jardin et dans ce verger, toujours hermétiquement interdits aux pas ou aux regards des passants. […] XXIV M. de Valmont était un homme de soixante ans, d’une belle figure, mais d’un regard inquiet, fier et oblique, qui semblait toujours épier ou regarder de côté s’il n’était pas épié lui-même. […] Ce n’est pas contre des enfants comme vous que ce mur a été élevé au-dessus de la portée du regard des hommes, et que ces fenêtres et cette porte se sont fermées ; c’est contre les hommes curieux, calomniateurs ou méchants, qui vous persécutent quand vous habitez au milieu d’eux et qui vous haïssent quand vous vous retirez de leur société. […] Ce visage pâle, triste et doux comme une apparition au clair de lune, s’imprima d’un seul regard dans ma mémoire.
Nulle part, en effet, on ne sait où pouvoir y reposer le regard. […] Comme à nous, quand nos regards tombent sur le nôtre, il vous rappellera à la fois de tristes, mais aussi de touchants souvenirs. […] Un regard de lui est son repos, sa joie intérieure car jamais sur ce froid visage n’apparaît un signe de satisfaction. […] Il offre brutalement au regard les contours tels qu’ils sont. […] Leur dernier regard est un regard de convoitise.
Il y a longtemps qu’on l’a dit, et on le dira malgré vous longtemps encore, la province a des sourires qui sont bien tendres, et ses regards sont de doux regards. Laissez-moi donc rechercher ses sourires et ses regards. […] Maître Jean Monteil suivait d’un regard indigné ces jeux sanglants de la fortune insolente. […] Régner par le regard et par le toucher : visu et tactu ! […] — Et l’œil, et le regard, et le port ; — moins que cela, l’odeur errante autour de ce corps bien ou mal vêtu !
Il a fait imprimer en regard sur deux colonnes les palinodies de Janin sur tous les sujets.
Ceux-ci, par défiance, par rigidité, avec un instinct de combattants et un prompt regard jeté sur la règle, se replient naturellement sur eux-mêmes, et dans l’enceinte close où ils s’enferment, ils ne sentent plus les sollicitations ni les contradictions de leurs alentours. […] « Elle part avec des regards empressés, en toute hâte. […] Le mot anglais est plus vrai et plus frappant : peasantly regard. […] If in less noble and almost mechanick arts he is not esteemed to deserve the name of a compleat architect, an excellent painter, or the like, that bears not a generous mind above the peasantly regard of wages and hire, much more must we think him a most imperfect and incompleat Divine, who is so far from being a contemner of filthy lucre, that his whole Divinity is moulded and bred up in the beggarly and brutish hopes of a fat prebendary, deanery, or bishoprick. […] Man hath his daily work of body or mind Appointed, which declares his dignity And the regard of Heaven on all his ways, While other animals inactive range, And of their doings God takes no account.
comme son regard pourtant m’eût rassurée ! […] Ne permettez fascher celle que vous avez conservée jusques ici sans rides, et sans pas un poil blanc ; et n’ostez, à l’appétit de quelque colère, le plaisir d’entre les hommes. » L’arrêt de Jupiter qui remet l’affaire à huitaine, c’est-à-dire à trois fois sept fois neuf siècles, et qui provisoirement commande à Folie de guider Amour, clôt à l’amiable le débat : « Et sur la restitution des yeux, après en avoir parlé aux Parques, en sera ordonné. » Cet excellent dialogue, élégant, spirituel et facile, mis en regard des vers de Louise Labé, est un exemple de plus (cela nous coûte un peu à dire) qu’en français la prose a eu de tout temps une avance marquée sur la poésie. […] Elle se présente à lui comme la fille d’Otrée, roi opulent de toute la Phrygie, et comme une fiancée qui lui est destinée : « C’est une femme troyenne qui a été ma nourrice, lui dit-elle par un ingénieux mensonge, et elle m’a appris, tout enfant, à bien parler ta langue. » Anchise, au premier regard, est pris du désir, et il lui répond : « S’il est bien vrai que tu sois une mortelle, que tu aies une femme pour mère, et qu’Otrée soit ton illustre père, comme tu le dis, si tu viens à moi par l’ordre de l’immortel messager, Mercure, et si tu dois être à jamais appelée du nom de mon épouse ; dans ce cas, nul des mortels ni des Dieux ne saurait m’empêcher ici de te parler d’amour à l’instant même ; non, quand Apollon, le grand archer en personne, au-devant de moi, me lancerait de son arc d’argent ses flèches gémissantes, même à ce prix, je voudrais, ô femme pareille aux déesses, toucher du pied ta couche, dussé-je n’en sortir que pour être plongé dans la demeure sombre de Pluton ! […] On trouverait d’ailleurs dans ce même volume d’Odes, d’Olivier de Magny, au livre IV, quelques pièces, d’un tout autre ton, ardentes, respectueuses, où il se dit amoureux d’une Loyse (page 131, 143) ; dans une ode à Du Bellay (page 133), il décrit les grâces et perfections d’une maîtresse qui, entre autres mérites, a celui de faire des vers aussi bien que Saint-Gelais, ce qui ne saurait s’appliquer qu’à un petit nombre ; il parle, en une chanson (page 137), d’une beauté qui unit dans ses regards Mars à Vénus, ce qui peut s’entendre de notre guerrière ; enfin, dans une pièce à Maurice Sève, où il se représente comme ayant quitté Lyon et absent de s’amie depuis un mois, il s’écrie (page 149) : Rivages, monts, arbres et plaines, Rivières, rochers et fontaines, Antres, forêts, herbes et prez, Voisins du séjour de la belle, Et vous petits jardins secrets, Je me meurs pour l’absence d’Elle, Et vous vous égayez auprez !
Mais chez toi la pudeur de l’adolescence, qui avait trop aisément cédé par le côté sensuel, s’était comme infiltrée et développée outre mesure dans l’esprit, et, au lieu de la mâle assurance virile qui charme et qui subjugue, au lieu de ces rapides étincelles du regard, Qui d’un désir craintif font rougir la beauté77, elle s’était changée avec l’âge en défiance de toi-même, en répugnance à oser, en promptitude à se décourager et à se troubler devant la beauté superbe. […] « Thérèse, que la nature fit belle en vain, plus ravie de dominer que d’aimer ; pour qui la beauté n’est qu’une puissance, comme le courage et le génie ; « Thérèse, qui vous amusez aux lueurs de votre esprit ; qui rêvez d’amour comme un autre de combats et de gloire, l’œil fier et jamais humide ; « Thérèse, dont le regard, dans le cercle qui vous entoure de ses hommages, ne cherche personne ; que nul penser secret ne vient distraire, que nul espoir n’excite, que nul regret n’abat ; « Thérèse, pour longtemps adieu ! […] « 19 juin. — Hélène se tut, mais ses joues se couvrirent de rougeur ; elle lança sur Ghérard un regard plein de dédain, tandis que ses lèvres se contractaient, agitées par la colère. […] Pour nous, tâchons seulement qu’elle soit belle et digne d’arrêter les regards.
Ses cheveux blond-cendré étaient longs et soyeux ; son front haut et un peu bombé venait se joindre aux tempes par ces courbes qui donnent tant de délicatesse et tant de sensibilité à ce siège de la pensée ou de l’âme chez les femmes ; les yeux de ce bleu clair qui rappelle le ciel du Nord ou l’eau du Danube ; le nez aquilin, les narines bien ouvertes et légèrement renflées, où les émotions palpitaient, signe du courage ; une bouche grande, des dents éclatantes, des lèvres autrichiennes, c’est-à-dire saillantes et découpées ; le tour du visage ovale, la physionomie mobile, expressive, passionnée ; sur l’ensemble de ces traits, cet éclat qui ne se peut décrire, qui jaillit du regard, de l’ombre, des reflets du visage, qui l’enveloppe d’un rayonnement semblable à la vapeur chaude et colorée où nagent les objets frappés du soleil : dernière expression de la beauté qui lui donne l’idéal, qui la rend vivante et qui la change en attrait. […] Je reconnais que j’avais été, non pas coupable, mais téméraire et malheureux dans ce regard jeté sur l’intérieur de cette jeune reine. […] Son front était serein, son regard assuré, sa bouche grave et un peu triste ; les pensées sévères de l’antiquité se fondaient dans sa physionomie avec les sourires et l’insouciance de la première jeunesse. […] Son premier regard, son premier mot mettait une distance entre l’homme et l’orateur.
Certes, M. de Ruder eût été son Lamartine en peinture ; un habile burin lui aurait rendu cette figure qui n’a besoin ni de couleurs, ni de tons, ni de nuances pour passionner le regard. […] Il tourne les épaules à la forêt sacrée pour chercher du regard le ciel du côté où la lune en illumine l’avenue. […] Les traits sont beaux comme l’homme qu’on a rêvé, mais jamais vu, — l’Antinoüs mystique. — Son regard perce la nuit et porte à son Père toutes les supplications de la terre ; le vent de la miséricorde, qui souffle à lui, fait onduler sa barbe et ses cheveux comme la sainte ferveur de l’invocation ; le corps s’affaisse sous la force dépensée de la prière, ses pieds crispés prient comme ses mains, ses genoux à demi renversés cherchent en vain leur aplomb parmi les dalles concassées, effondrées, soulevées sur le sol par le récent tremblement de terre ; toute la nature, quoique maintenant sereine et attentive, est dans l’expectative de sa prochaine convulsion. […] Un mot, un regard à chacun, une question sur leur famille, leur vie, leur contrée, nous mènerait à l’infini ; il vaut mieux faire ma prière ici devant ma fenêtre, devant l’infinité du ciel. » XXIX Le 22 août.
La scène est cruelle, un peu forcée peut-être ; elle nous fait haïr cette Célimène, glacée et glaciale, qui fait la morte pour faire reculer l’amour, et qui distille par ses regards, par ses paroles, par ses gestes, par l’indifférence insultante de toute sa personne, le froid poison qui glace les illusions et perce le coeur. […] » dit la marquise, qui la parcourt d’un regard distrait. […] voilà un homme en parfaite santé qui contrefait le mourant, et dont le premier regard soupçonneux peut démasquer le faciès funèbre. […] L’escroc reste seul avec Navarette, muette et pensive ; et déjà il peut lire la trahison dans son froid regard.
Je ne sais quel lointain y baigne toute chose, Ainsi que le regard l’oreille s’y repose, On entend dans l’éther glisser le moindre vol ; C’est le pied de l’oiseau sur le rameau qui penche, Ou la chute d’un fruit détaché de la branche Qui tombe du poids sur le sol. […] On ne monte plus et l’on ne descend pas encore ; on plonge à son gré ses regards, selon qu’on se retourne au levant ou au couchant, sur l’immense plaine du Mâconnais, de la Bresse et de la Saône, ou sur les noires et profondes vallées de Saint-Point, sur les cimes entrecroisées, les pentes ardues et les défilés rocheux, arides ou boisés, qui s’amoncellent ou glissent vers le creux du pays. […] À la gauche, on descend du regard, de chalets en chalets et de bocage en chaume, jusqu’au fond d’une vallée un peu sinueuse, au milieu de laquelle on aperçoit sur un mamelon entouré de prés, voilées d’ombres, adossées à des bois, isolées des villages, baignées d’un ruisseau, deux tours jaunâtres, dorées du soleil : c’est mon toit. […] J’avais douze ans, j’en avais vingt, j’en avais trente ; regards de ma mère, voix de mon père, jeux de mes sœurs, entretiens de mes amis, premières ivresses de ma vie, aboiements de mes chiens, hennissements de mes chevaux, expansions ou recueillements de mon âme tour à tour répandue ou enfermée dans ses extases, matinées de printemps, journées à l’ombre, soirées d’automne au foyer de famille, premières lectures, bégayements poétiques, vagues mélodies : tout se levait de nouveau, tout rayonnait, tout murmurait, tout chantait en moi comme ce chant de résurrection, comme l’Alleluia trompeur qu’entend Marguerite à l’église le jour de Pâques dans le drame de Gœthe.
Nous citerons ces strophes : ……………………………………………… Les chiens déconcertés renoncent à la piste : Voici l’heure paisible où finissent les jours ; Libre vers son refuge, il monte grave et triste… À l’horizon lointain expirent les abois, Sur les chênes dormants la nuit remet son voile… Lui qui ne verra plus l’aurore dans les bois, Donne un dernier regard à la première étoile… C’est un sentiment profond de la nature qui donne de tels accents et qui fait que le lecteur croit voir le tableau que le poète a tracé.
Aussi nous faut-il considérer comme la modalité normale de la vie cette contrariété selon laquelle, sous le regard de la conscience, toutes les choses se conçoivent autres qu’elles ne sont.