L’égalité des possibilités n’est pas faite pour effacer, mais pour mettre au contraire en relief l’inégalité des puissances.
Elle n’a pas les soudaines inspirations, les mots sublimes, les éclairs de la puissance impétueuse. […] Nous pouvons placer en tête ou à la fin de nos ouvrages un hymne à la Nature ; mais il suffira de célébrer sa puissance et sa sagesse une fois. […] Il se jette au cœur des réalités qu’il veut connaître, sort de lui-même pour mieux éprouver la puissance de l’objet, ne juge rien à un point de vue absolu, parce que les jugements absolus isolent ce qui n’est pas isolé, fixent ce qui est mobile dans un monde où tout se touche et s’enchaîne, se limite et se prolonge ; il conserve toujours, partout, ce calme et ferme esprit d’observation que rien n’étonne, qui sait rendre instructives jusqu’aux folies de nos semblables, jusqu’à leurs apparentes déviations de l’ordre et de la loi394. […] Ce fut contre une puissance moins redoutable que la noblesse, contre le mauvais goût littéraire du temps, que Molière fit ses premières armes. […] Il accepte ses formes diverses ; il n’en condamne aucune, et les décrit toutes ; il juge que l’imagination passionnée est une force aussi légitime et aussi belle que la faculté métaphysique ou que la puissance oratoire ; au lieu de la déchirer avec mépris, il la dissèque avec précaution ; il la met dans le même musée que les autres et au même rang que les autres ; il se réjouit, en la voyant, de la diversité de la nature. » Taine, Essais de critique et d’histoire.
Plus de grandeur ni de puissance ; l’air sauvage ou triste s’efface ; la monotonie et la poésie s’en vont ; la variété et la gaieté commencent. […] « Car le génie n’est rien qu’une puissance développée, et nulle puissance ne peut se développer tout entière, sinon dans le pays où elle se rencontre naturellement et chez tous, où l’éducation la nourrit, où l’exemple la fortifie, où le caractère la soutient, où le public la provoque. […] Il est à la fois aux deux extrémités, dans les sensations particulières par lesquelles l’intelligence débute, et dans les idées générales auxquelles l’intelligence aboutit, tellement qu’il en a toute l’étendue et toutes les parties, et qu’il est le plus capable, par l’ampleur et la diversité de ses puissances, de reproduire ce monde en face duquel il est placé. […] Dans sa grande franchise et netteté universitaire il passe d’un énorme degré les anticipations précautionneuses de Renan ; Renan ne donnerait pas prise à de tels reproches ; il ne donnerait pas matière à de telles critiques ; il ne donnerait pas cours à de tels ridicules : Renan n’était point travaillé de ces hypertrophies : lui-même il endossait trop bien le personnage de ses adversaires, de ses contradicteurs, de ses critiques éventuels ; toute sa forme de pensée, toute sa méthode, tous ses goûts, tout son passé, toute sa vie de travail, de mesure, de goût, de sagesse le gardaient contre de telles exagérations ; il n‘a jamais aimé les outrances, et, juste distributeur, autant et plus averti sur lui-même que sur les autres encore, il ne les aimait pas plus chez lui-même et pour lui-même qu’il ne les aimait chez les autres ; il aimait moins les outrances de Renan que les outrances des autres, peut-être parce qu’il aimait Renan plus qu’il n’aimait les autres ; comme Hellène il se méfiait des hommes, et des dieux immortels ; comme chrétien, il se méfiait du bon Dieu ; comme citoyen, il se méfiait des puissances ; et comme historien, des événements ; comme historien des dieux, et de Dieu, mieux que personne il savait comment en jouer, et quelles sont les limites du jeu ; il était un Hellène, un huitième sage ; il connaissait d’instinct que l’homme a des limites ; et qu’il ne faut point se brouiller avec de trop grands bons Dieux ; il s’était donc familièrement contenté de donner à l’humanité, à l’historien, les pouvoirs du Dieu tout connaissant ; il n’eût point mis à son temple d’homme un surfaîte orgueilleux et qui bravât la foudre. […] Il y a bien de la fabrication dans Renan, mais combien précautionneuse, attentive, religieuse, éloignée, ménagée, aménagée ; c’est une fabrication en réserve, une fabrication de rêve et d’aménagement, entourée de quels soins, de quelles attentions, délicates, maternelles ; on fabriquera ce Dieu dans un bocal, pour qu’il ne redoute pas les courants d’air ; on lui fera des conditions spéciales ; cette fabrication de Renan est vraiment une opération surhumaine, une génération surhumaine, suivie d’un enfantement surhumain ; et l’humanité de Renan, ou la surhumanité de Renan, si elle usurpe les fonctions divines, premièrement, nous l’avons dit, usurpe les fonctions de connaissance divine, les fonctions de toute connaissance, beaucoup plutôt que les fonctions de production divine, de toute création, deuxièmement, et ceci est capital, usurpe aussi, commence par usurper les qualités, les vertus divines ; cette première usurpation, cette usurpation préalable, pour nous moralistes impénitents, excuse, légitime la grande usurpation ; nous aimons qu’avant d’usurper les droits, on usurpe les devoirs, et avant la puissance, les qualités ; enfin l’accomplissement de cette usurpation est si lointain ; et les précautions dont on l’entoure, justement par ce qu’elles ont de minutieux, par tout le soin qu’elles exigent, peuvent si bien se retourner, s’entendre en précautions prises pour qu’il n’arrive pas ; une opération si lointaine, si délicate, si minutieuse, ne va point sans un nombre incalculable de risques ; Renan, grand artiste, a évidemment compté sur la sourde impression que l’attente et l’escompte de tous ces risques produiraient dans l’esprit du lecteur ; lui-même il envisage complaisamment ces risques ; ils atténuent, par un secret espoir de libération, de risque, d’aventure, et, qui sait, de cassure, disons le mot, de ratage, cette impression de servitude mortelle et d’achèvement clos ; ils effacent peut-être cette impression de servitude ; et quand même ils effaceraient cette impression glaciale ; l’auteur sans doute s’en consolerait aisément ; il ne tient pas tant que cela aux impressions qu’il fait naître ; ces risques soulagent également le lecteur et l’auteur ; par eux-mêmes Renan n’est point engagé au-delà des convenances intellectuelles et morales ; lui-même les envisage complaisamment ; dans cette institution de la Terreur intellectuelle que nous avons passée, la remettant à plus tard, « mais ne pensez-vous pas », dit Eudoxe : « Mais ne pensez-vous pas que le peuple, qui sentira grandir son maître, devinera le danger et se mettra en garde ?
Les idées, en se multipliant, ont perdu une grande partie de leur puissance. […] En général ces contes sont plutôt remarquables par la pensée que par l’exécution ; l’exécution est adroite, ingénieuse souvent, mais elle manque de puissance. […] Feuillet a dérouté son lecteur, toute la puissance de l’imprévu. […] S’il sait opérer ce miracle, le personnage qu’il aura créé jouira du privilège de l’âme, c’est-à-dire de l’immortalité et de la puissance de transformation. […] C’est dans cette puissance dramatique que consiste la principale valeur de Fromont jeune.
Ni l’un ni l’autre ils n’ont part aux accroissements des puissances temporelles. Ni l’un ni l’autre ils n’ont part aux accroissements des puissances spirituelles. […] Pour la première fois dans l’histoire du inonde les puissances spirituelles ont été toutes ensemble refoulées non point par les puissances matérielles mais par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. Et pour être juste il faut même dire : Pour la première fois dans l’histoire du monde toutes les puissances spirituelles ensemble et du même mouvement et toutes les autres puissances matérielles ensemble et d’un même mouvement qui est le même ont été refoulées par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. […] Des puissances contre des puissances.
Derrière les faits et les phénomènes que lui transmet la science, Le poète sent agir une puissance infinie. […] De fait, elle y arrive bien souvent et la monotonie même de son allure devient un élément de sa puissance évocatrice. […] Non que l’auteur ait entièrement échoué, mais sa puissance n’est pas là où il a mis son effort. […] Sa puissance, c’est-à-dire encore sa vérité, ne s’est-elle pas fait sentir à votre cœur ? […] quelles puissances d’amour ou de haine, de lutte et de victoire ?
Il fait ressortir dans ce tableau lui-même miraculeux la simplicité des moyens et la puissance de l’effet. […] À l’âge où se faisaient sa sensibilité, son idée du monde et des hommes, ses puissances d’analyse, dans ces années de collège dont on ne garde d’ordinaire que des souvenirs intellectuels, il aimait. […] Toutes les puissances féminines se dégagent âprement d’elle et de son grand regard éclatant. […] Comment concilier en une nature unique cette impuissance de rien dire au public, cette puissance illimitée de tout dire sur soi et à soi ? […] Mais nulle part mieux que sur cette impuissance nous ne verrons le reflet de la puissance divine.
Ce ne serait que Henri IV qui, descendu de Robert de France, sixième fils de Louis IX, aurait enfin fait rentrer la couronne dans la lignée directe du saint roi. » Le fait est qu’une quarantaine d’années après la mort ou la prétendue mort de ce petit roi Jean, parut en France un aventurier qui se donna pour lui, qui raconta toute une histoire romanesque à laquelle plusieurs puissances et personnages politiques d’alors ajoutèrent foi, notamment Rienzi.
Hommes de l’opposition des quinze ans, dites, n’avez-vous plus de puissance d’indignation que contre des souvenirs ?
Si l’avare, si l’égoïste sont incapables de ces retours sensibles, il est un malheur particulier à de tels caractères auquel ils ne peuvent jamais échapper ; ils craignent la mort, comme s’ils avaient su jouir de la vie : après avoir sacrifié leurs jours présents à leurs jours avenir, ils éprouvent une sorte de rage, en voyant s’approcher le terme de l’existence ; les affections du cœur augmentent le prix de la vie en diminuant l’amertume de la mort : tout ce qui est aride fait mal vivre et mal mourir : enfin, les passions personnelles sont de l’esclavage autant que celles qui mettent dans la dépendance des autres ; elles rendent également impossible l’empire sur soi-même, et c’est dans le libre et constant exercice de cette puissance qu’est le repos et ce qu’il y a de bonheur.
Souvent aussi, elle écrit en latin ce qu’elle a dit en français : aussi notre littérature ne porte-t-elle qu’un témoignage indirect de la puissance de l’Église et de la direction qu’elle imprime à la pensée humaine.
On y doit goûter d’âpres jouissances par le sentiment d’une communion parfaite avec des âmes véhémentes et frustes, par la conscience qu’on a de déchaîner et l’illusion qu’on se donne de diriger une puissance aveugle qui vous soulève, vous enveloppe et vous roule dans ses tourbillons ; — tout cela exaspéré encore par la lourde atmosphère des salles et par la brutalité même des sensations dont l’ouïe et l’odorat sont assiégés… Il y a une ivresse physique, une sorte d’hystérie dans la révolte, et qui se multiplie quand on la partage avec une foule.
La conséquence, c’est que, pour exceller dans la première partie de ce programme, le chirurgien doit avoir, avec une connaissance toujours présente de tout le corps humain, un sang-froid inaltérable, un regard lucide et sûr, une main délicate et intelligente, et comme des yeux au bout des doigts, une initiative toujours prête, la puissance d’inventer ou de modifier, à mesure, les procédés de son art, une faculté divinatoire, bref un « don », aussi rare peut-être, aussi instinctif et incommunicable que celui du grand poète ou du grand capitaine.
L’autre jour, en voyant Orphée, elle m’est revenue avec une force extraordinaire et toute cette puissance d’orage qu’elle seule à jamais eue sur moi.
Le diadème n’est rien aux yeux de l’orateur ; par lui, le pauvre est égalé au monarque, et le potentat le plus absolu du globe est obligé de s’entendre dire, devant des milliers de témoins, que ses grandeurs ne sont que vanité, que sa puissance n’est que songe, et qu’il n’est lui-même que poussière.
Il sera saisi d’une terreur d’autant plus étrange, qu’il n’en connaîtra pas l’objet ; il tremblera dans un cimetière où il aura gravé que la mort est un sommeil éternel ; et, en affectant de mépriser la puissance divine, il ira interroger la bohémienne, ou chercher ses destinées dans les bigarrures d’une carte.
Les poëtes dramatiques, on le sait, se passent difficilement du Deus ex machina, de cette puissance, visible ou cachée, personnifiée ou abstraite, qui intervient au moment décisif, coupe ou dénoue à sa guise le fil de l’intrigue, et donne satisfaction au spectateur, ou au lecteur. […] Puissance de la tradition ou puissance du personnalisme : Démétrius aurait dû choisir. […] Autran avec une puissance incomparable. […] L’union de ces deux puissances n’appartient qu’à ces temps éclairés qui sont comme l’âge viril des nations. […] Elle a fait plus : elle a accru la puissance et déterminé l’action de cette remarquable intelligence en lui donnant ce qu’elle eût difficilement trouvé pendant la période précédente : l’unité.