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1001. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Ses plus profondes impressions, lui-même s’en fait gloire, datent d’alors et donnent le sens vrai de son talent. […] Mais laissons parler là-dessus un témoin bien grave et hautement autorisé en toute matière, M. le duc de Broglie, qui, dans la Revue française de janvier 1830, venant constater, à propos de l’Othello de M. de Vigny, la révolution sensible qui s’opérait dans le goût du public, écrivait : « Chacun peut se rappeler les murmures qui interrompirent, lors de la première représentation du Cid d’Andalousie, cette scène charmante94 où le héros de la pièce, tranquillement assis aux pieds de sa bien-aimée, sans desseins, sans inquiétude, uniquement possédé de l’idée de son prochain bonheur, dans un profond oubli et du monde, et des hommes, et de toutes choses, l’entretenait doucement des progrès de leur amour mutuel, et lui rappelait, en vers pleins de délicatesse et de grâce, les premiers traits furtifs de leur muette intelligence. […] Et nous lisions Homère ; et, dès la blonde aurore, Je sentais, vers la mer l’œil fixé tout le jour, Pour l’eau bleue et profonde un indicible amour, Et j’écoutais le vent sonore. […] délivrez-moi de ces angoisses, et emportez-moi jusque vers les profonds abîmes de l’Océan où vous allez ; que mon malheur vous touche, et puissiez-vous me conduire en toute hâte à cette vallée de tristesse où les maudites du sort, où les infortunées sont ensevelies ! 

1002. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Le plus profond des écrits de Diderot est une conversation de Mlle de l’Espinasse avec d’Alembert et Bordeu454. […] Aucun des dons par lesquels on peut frapper et retenir l’attention ne manque à ce style, ni l’imagination grandiose, ni le sentiment profond, ni la vivacité du trait, ni la délicatesse des nuances, ni la précision vigoureuse, ni la grâce enjouée, ni le burlesque imprévu, ni la variété de la mise en scène. […] Il aime les caricatures, il charge les traits des visages, il met en scène des grotesques473, il les promène en tous sens comme des marionnettes, il n’est jamais las de les reprendre et de les faire danser sous de nouveaux costumes ; au plus fort de sa philosophie, de sa propagande et de sa polémique, il installe en plein vent son théâtre de poche, ses fantoches, un bachelier, un moine, un inquisiteur, Maupertuis, Pompignan, Nonotte, Fréron, le roi David, et tant d’autres qui viennent devant nous pirouetter et gesticuler en habit de scaramouche et d’arlequin. — Quand le talent de la farce s’ajoute ainsi au besoin de la vérité, la plaisanterie devient toute-puissante ; car elle donne satisfaction à des instincts universels et profonds de la nature humaine, à la curiosité maligne, à l’esprit de dénigrement, à l’aversion pour la gêne, à ce fonds de mauvaise humeur que laissent en nous la convention, l’étiquette et l’obligation sociale de porter le lourd manteau de la décence et du respect ; il y a des moments dans la vie où le plus sage n’est pas fâché de le rejeter à demi et même tout à fait […] Dans quels bas-fonds de garde-robe la politique et la religion vont-elles cacher leur linge sale   De tout cela il faut rire pour ne pas pleurer, et encore, sous ce rire, il y a des larmes ; il finit en ricanement ; il recouvre la tristesse profonde, la pitié douloureuse.

1003. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Ils demeurent gens de théâtre par une innocente exagération de langage et par de petites déformations avantageuses de la réalité. « À vingt ans, dit Marceline, des peines profondes m’obligèrent de renoncer au chant, parce que ma voix me faisait pleurer. » L’explication est charmante ; mais la vérité, c’est qu’elle perdit la voix à la suite de ses couches, et qu’elle avait alors vingt-trois ans, et non pas vingt. […] Au fond, cette absence de jalousie signifie que Marceline a eu pour son jeune mari une tendresse très sincère et très profonde, et la plus candide admiration, mais qu’elle a toujours aimé « l’autre », le séducteur, l’ingrat, et qu’elle n’a jamais aimé que lui, au sens entier et redoutable du mot. […] Après quoi notre vie a été si grave, si isolée… que je n’ai pas, je te l’avoue, donné une attention bien profonde à la confection de ces livres que notre sort nous a fait une obligation de vendre. […] Il resterait à définir la profonde et l’originale piété de Marceline ; puis à caractériser sa poésie, — poésie d’ignorante géniale, poésie admirablement passionnée et spontanée (parmi quelque naïf fatras) essentiellement musicale, et qui tantôt fait ressouvenir de Lamartine, tantôt fait présager Verlaine.

1004. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Il n’a pas eu la chance de Virgile, dont l’immortalité est entretenue par deux contresens sublimes et par un mot profond qu’il n’a peut-être pas dit. […] Cinq ou six fois du moins, Vigny a su inventer, pour les idées les plus profondes et les plus tristes, les plus beaux symboles et les mythes les plus émouvants, et fondre de telle sorte la pensée et l’image que les objets sensibles sont, chez lui, tout imprégnés d’âme, que la forme précise et rare y est suggestive de rêves infinis, et que ses vers, signifiant toujours au-delà de ce qu’ils expriment, retentissent en nous longuement et délicieusement, y parachèvent leur sens et s’y égrènent en échos lents à mourir… Et c’est, comme vous savez, une poésie de cette espèce, plus libre seulement et plus fluide, mais pareillement évocatrice, que poursuivent les derniers venus de nos joueurs de flûte. […] Et ces livres ont à la fois un sourire à fleur de phrase et, gonflé jusqu’à déborder souvent au travers, un profond réservoir de pitié et de tendresse humaine. […] Mais cela nous a valu des pages d’une couleur vibrante et d’une émotion profonde.

1005. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Tout dans ces vieux prêtres était honnête, sensé, empreint d’un profond sentiment de droiture professionnelle. […] Le Hir un élève qui, héritier de son vaste savoir, y joignit la connaissance des travaux modernes et, avec une sincérité qu’expliquait sa foi profonde, ne dissimula rien de la largeur de la plaie. […] Le Hir venait surtout de sa profonde connaissance de l’exégèse et de la théologie allemandes. […] Le Hir, produisait une profonde paix intérieure, aboutit chez moi à d’étranges explosions.

1006. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

Se tournant vers son voisin de droite, et le regardant avec l’œil perçant et profond des grands diagnostiqueurs, il lui disait : « Toi, tu mourras de ça, et comme ça », lui détaillant longuement et presque méchamment, les souffrances de sa fin. […] La vieille femme a d’abord parlé de son mari malade, disant que depuis trois mois elle couchait sur le paillasson, et que lui, ne voulait pas aller à la consultation, parce que les médecins ne lui ôteraient pas le mal qu’il avait dans le corps, — et se courbant, et imitant une toux au plus profond de l’être, elle a ajouté : « C’est comme cela toute la nuit ! […] * * * — Un mot profond de femme à un homme, parlant de l’impossibilité de se faire aimer avec des cheveux blancs : « Les femmes ne regardent pas ou du moins ne voient pas les hommes qu’elles aiment. » Aujourd’hui à l’aquarium de l’Exposition, je suis resté une heure, devant les truites. J’étudiais ce poisson à l’œil carnassier, j’étudiais ses immobilités mortes au profond de l’eau, le ventre sur la grève, puis tout à coup les frottements de côté de ses flancs sur les cailloux : frottements fous et comme électriquement voluptueux, qui, à chaque contact du corps du poisson avec le fond, le fait remonter deux ou trois pieds en l’air.

1007. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Nous l’avons dit, dans la profonde et mystérieuse querelle entre les dieux célestes et les dieux terrestres, guerre intestine du paganisme, Eschyle était terrestre. […] Voilà un mot que ne dit pas Jupiter » ; — et où Géronte c’est l’Océan. « Sembler fou, dit l’Océan à Prométhée, c’est le secret du sage. » Mot profond comme la mer. […] Le profond désespoir du destin est dans Eschyle. […] Aristophane, qui n’est pas encore jugé, tenait pour les mystères, pour la poésie cécropienne, pour Eleusis, pour Dodone, pour le crépuscule asiatique, pour le profond rêve pensif.

1008. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

La Révolution française, en effet, n’avait pas été, comme tant d’autres, la substitution d’une dynastie à une autre dynastie, et la modification plus ou moins profonde de quelques institutions ; elle avait complètement renouvelé le pays. […] Le sentiment qu’ils inspiraient n’était pas celui d’une haine vive et passionnée que leurs actes n’auraient pas justifiée, mais d’une aversion profonde, mêlée de dédain et de dérision.

1009. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

C’est à ce point de son enseignement qu’on a pu s’attaquer depuis pour lui reprocher d’avoir emprunté aux Allemands et à Hégel ; mais ces emprunts n’avaient rien de profond et n’étaient en quelque sorte que de rencontre. […] Dans la vie si au hasard que je mène depuis des années et où j’obéis aux nécessités de chaque jour, j’ai gardé du moins et réservé un coin de ma vie antérieure : c’est une appréciation profonde et encore plus juste que reconnaissante des personnes si distinguées, si à part, que j’ai eu le bonheur de connaître et qui m’ont honoré de leur bonté en même temps qu’élevé par leur commerce.

1010. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

Il est attentif à ne pas laisser passer vainement ces plaintes, ces allégresses, ces terreurs, qui sortent tour à tour d’une âme profonde, ces échos fréquents par lesquels elle répond aux grands événements du dehors. […] Elle donne la meilleure et la plus profonde réponse à cette question souvent débattue : si les grands poètes qui nous émeuvent et rendent de tels sons au monde ont en partage ce qu’ils expriment ; si les grands talents ont quelque chose d’indépendant de la conviction et de la pratique morale ; si les œuvres ressemblent nécessairement à l’homme ; si Bernardin de Saint-Pierre était effectivement tendre et évangélique ; quelle était la moralité de Byron et de tant d’autres, etc., etc. ?

1011. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Ce qui me frappe surtout dans les amours de Casanova, dans les premières comme dans celles qui viendront plus tard, dans ses passions les plus vraies et les plus profondes au moment où il les a, dans ce qui n’est ni pur caprice ni désœuvrement, ni débauche, dans sa liaison avec dona Lucrezia, avec Bellino-Thérèse, avec madame F., avec la jeune comtesse A. […] De toutes les beautés dont Casanova nous entretient dans ces premiers volumes, celle qui est reine évidemment, celle qui lui a laissé la plus profonde empreinte, et pour laquelle il démentirait le plus volontiers sa définition un peu outrageuse de l’amour que, ce n’est qu’une curiosité plus ou moins vive, jointe au penchant que la nature a mis en nous de veiller à la conservation de l’espèce ; cette femme mystérieuse, appelée Henriette, qu’il rencontre la première fois en habit d’officier, et qui se trouve être une noble personne française, ne diffère pas notablement, par le caractère, de dona Lucrezia, ni de tous ces cœurs d’amantes voluptueux, passionnés, non jaloux et capables de séparation.

1012. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Des tragédies de Shakespeare41 Les Anglais ont pour Shakespeare l’enthousiasme le plus profond qu’aucun peuple ait jamais ressenti pour un écrivain. […] Les modernes, et surtout Shakespeare, trouvent de plus profondes sources d’émotions dans la nécessité philosophique.

1013. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Il y a dans cet inventeur des rustiques figulines un philosophe qui jette des vues profondes auxquelles nul ne fait attention, et que la postérité s’étonnera de rencontrer chez lui, quand le progrès de la science y aura lentement ramené les hommes : ainsi cette grande idée, liée à tout un système de la nature, en même temps qu’elle est la base de l’agriculture scientifique, cette idée que, les plantes empruntant au sol les aliments qui les accroissent, pour entretenir la fécondité de la terre, il faut lui rendre l’équivalent de ce que les récoltes lui enlèvent. Il y a aussi dans Palissy un observateur sans illusions comme sans amertume, qui, par sa chimie morale, isole les éléments simples des âmes, et ces principes constitutifs qui sont les passions égoïstes : il y a même en lui un poète sensible aux impressions de la nature, aux formes des choses, et qui mêle aimablement dans son amour de la campagne un profond sentiment d’intime moralité et de paix domestique.

1014. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Il laisse les graves poètes et les penseurs profonds ; Aristote. […] Homère, Aristophane, Théocrite, Bion et Moschus, Callimaque, Anacréon, l’Anthologie, ceux des Latins ou des Italiens qui ont exprimé ces parties exquises et peu profondes de l’hellénisme, c’était ce qui convenait à Chénier pour représenter sa propre nature.

1015. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Le poète a voulu rendre l’impression profonde de cette heure immobile et brûlante sous les climats méridionaux, par exemple, dans la campagne romaine. […] Ce poète impersonnel, qui s’est appliqué avec un héroïque entêtement à rester absent de son œuvre, comme Dieu de la création, qui n’a jamais soufflé mot de lui-même et de ce qui l’entoure, qui a voulu taire son âme et qui, cachant son propre secret, rêva d’exprimer celui du monde, qui a fait parler les dieux, les vierges et les héros de tous les âges et de tous les temps, en s’efforçant de les maintenir dans leur passé profond, qui montre tour à tour, joyeux et fier de l’étrangeté de leur forme et de leur âme, Bhagavat, Cunacepa, Hy-pathie, Niobé, Tiphaine et Komor, Naboth, Quai’n, Néféroura, le barde de Temrah, Angantyr, Hialmar, Sigurd, Gudrune, Velléda, Nurmahal, Djihan-Ara, dom Guy, Mouça-el-Kébyr, Kenwarc’h, Mohâmed-ben-Amar-al-Mançour, l’abbé Hieronymus, la Xiraéna, les pirates malais et le condor des Cordillères, et le jaguar des pampas, et le colibri des collines, et les chiens du Cap, et les requins de l’Atlantique, ce poète, finalement, ne peint que lui, ne montre que sa propre pensée, et, seul présent dans son œuvre, ne révèle sous toutes ces formes qu’une chose : l’âme de Leconte de Lisle.

1016. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Premières tentatives sur Jérusalem. »

Le mépris des Hiérosolymites pour les Galiléens rendait la séparation encore plus profonde. […] C’était un proverbe populaire : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth 595. » La profonde sécheresse de la nature aux environs de Jérusalem devait ajouter au déplaisir de Jésus.

1017. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Un peuple a non seulement ses maladies comme un individu ; mais sa constitution, suivant la manière dont il vit, peut se modifier de façon profonde. […] Je veux bien que la masse de la nation demeure indemne, que la manie d’imitation ne descende pas jusqu’aux couches profondes.

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