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787. (1888) Études sur le XIXe siècle

Pour que ces circonstances aient amené Leopardi à juger tout autrement la vie et les choses, pour qu’elles l’aient conduit à la négation raisonnée du bonheur, il fallait qu’elles trouvassent en lui une nature particulière : les mêmes coups, frappés avec la même force par le même marteau, ne produisent-ils pas des sons différents selon la matière qu’ils font vibrer ? […] Sans doute, il faudra du temps pour que cette analyse puisse s’exercer sainement et justement : nous sommes encore trop près de la montagne pour pouvoir juger de ses proportions exactes. […] L’esthétique élaborée en commun, il l’a perfectionnée à lui tout seul, inconsciemment, par la seule force de son génie ; tandis que ses compagnons, Théophile Gautier, par exemple, demeuraient sagement dans les limites du raisonnable, il a su commettre des excès, assez pour que l’attention se porte sur lui tout entière, pas assez pour compromettre son œuvre. […] Ailleurs, il a solennellement ramené toute la question sociale à trois problèmes qu’il appelle : « La dégradation de l’homme par le prolétariat ; la déchéance de la femme par la faim ; l’atrophie de l’enfant par la nuit43. » Que ces trois questions soient connexes et inséparables, il ne semble pas s’en douter : et il est persuadé qu’il suffirait d’abolir le prolétariat pour que les hommes devinssent parfaits, de supprimer la misère pour que la prostitution disparût, et de diminuer l’ignorance pour que l’enfant se développât sainement. […] Pour qu’il se sente à l’aise, pour qu’il puisse développer librement ses qualités, il lui faut des cadres plus animés, plus vivants que les vastes horizons de l’Orient ou de l’Afrique.

788. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

IX Shakespeare est trop grand pour que l’on puisse définir son génie par un trait. […] de belles têtes vides, à qui le poète avare n’a mesuré que la dose d’intelligence strictement nécessaire pour que les spectateurs puissent savoir au juste qui elles sont et ce qu’elles veulent215. […] Pour que la véritable action tragique soit possible, il est nécessaire que déjà le principe de la liberté et de l’indépendance individuelle se soit éveillé. […] Cette conscience de la libre personnalité et de ses droits doit s’être manifestée à un plus haut degré encore pour que la comédie puisse apparaître.

789. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

et, une fois dissoute, comment la recomposer pour qu’elle préserve à la fois le territoire et la liberté ?  […] Si nous avions passé le premier degré de latitude nord, il ne me resterait plus qu’à me jeter à l’eau. — Faut-il que j’aie du bonheur, pour que cette enfant-là m’ait rappelé la grande coquine de lettre ! […] et aussi pour qu’on ménage toujours sa santé. — Tenez, ajouta-t-il plus bas, j’ai à vous dire qu’elle est très délicate ; elle a souvent la poitrine affectée jusqu’à s’évanouir plusieurs fois par jour ; il faut qu’elle se couvre bien toujours. […] Mais, académiquement, vous êtes trop fier de votre néant, pour que je puisse vous répondre par des critiques.

790. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Celui-là trouvera dans le fleuve une mort honteuse. » Quand le chapelain du Roi vit Hagene briser le navire, il lui adressa de nouveau la parole de l’autre rive: « Assassin sans loyauté, que vous ai-je fait pour que vous vouliez ainsi me noyer, moi, innocent de tout crime ?  […] Dites-moi, que m’apportez-vous de Worms d’outre-Rhin, pour que vous soyez tellement le bien-venu pour moi ? […] Il se fit un effort plus grand encore pour que personne ne frappât plus. […] Les peuples qui viennent de passer brillamment par trois grandes phases de philosophie dans le dix-huitième siècle, d’action militaire dans le dix-neuvième et de pensée éloquente dans notre dernière période de la restauration en France, sont-ils donc comme les individus qui se lassent à moitié route et qui déposent leur fardeau pour que d’autres plus jeunes et moins découragés les reprennent et les portent plus loin sur le chemin de l’avenir ?

791. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Car je ne l’ai pas écrit et je n’ai pas le temps de le lire. » Il avait fallu cette plaisante aventure pour qu’il en prît connaissance, en effet, et songeât, un peu tard, à solder les honoraires de son « anonyme ». […] Mais le contact avec un vrai public, complet, humain, hommes et femmes, bourgeois et peuple, est peut-être nécessaire à nos romanciers pour qu’ils fassent œuvre vraiment populaire (au meilleur sens du mot) et sociale. […] Pour que nous ayons une littérature nationale, il faut que par le rapprochement de nos classes trop divisées, trop éloignées les unes des autres, se reconstitue une nation qui ait une âme à exprimer. […] Seulement, la condition primordiale pour que son public le suive, c’est qu’il l’intéresse, qu’il le prenne dès les premières lignes, c’est-à-dire qu’il soit avant tout un bon feuilletoniste.

792. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

Cela suffit pour que nous nous tenions pour avertis de la possibilité de semblables héritages. […] Mais jusqu’à ce que j’aie vu quelqu’un semer des Haricots pendant une vingtaine de générations successives, assez tôt pour qu’une grande partie des semences soient détruites par la gelée, recueillir ensuite les graines du petit nombre des survivants avec assez de soin pour prévenir les croisements accidentels, les réserver encore, et recueillir les graines de ce semis avec la même précaution, je ne puis considérer l’expérience comme ayant seulement été tentée. […] Après douze générations, la proportion du sang mêlé entre les deux lignes d’ancêtres est seulement de 1 à 2, 048 ; et cependant l’on admet généralement et l’on a constaté qu’il suffit de cette petite part de sang étranger pour qu’il se manifeste encore des tendances de réversion. […] On peut supposer cependant qu’une fleur qui produit deux sortes de graines de différentes formes a double chance pour que les unes ou les autres parviennent à se ressemer et à germer sur un sol déjà occupé par les tiges, les feuilles et les détritus de beaucoup d’autres plantes ; et plus ces deux sortes de graines sont différentes, plus ces chances heureuses augmentent pour l’espèce qui les produit.

793. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Les esclaves sont noires et moitié plus petites que leurs maîtres, qui sont de couleur rouge, de sorte que le contraste est trop grand pour qu’aucune méprise soit possible. […] Pour que les Abeilles aient réussi à laisser subsister des cloisons planes entre les bassins des deux côtés opposés de la couche de cire colorée, il faut qu’elles aient toutes travaillé fort à peu près avec la même vitesse à les ronger circulairement et à les creuser, de manière à suspendre leur travail dès qu’elles arrivaient d’un côté ou de l’autre au plan imaginaire d’intersection qui devait séparer les deux bassins115. […] Mais supposons que cette dernière circonstance seulement détermine, comme cela doit arriver souvent, le nombre de Bourdons qui peuvent vivre en une contrée quelconque ; supposons encore, contrairement, il est vrai, aux faits observés dans nos contrées, que la communauté hiverne, et conséquemment qu’elle ait besoin d’une ample provision de miel : on ne peut douter qu’en pareil cas toute modification d’instinct qui amènerait nos Bourdons à construire leurs cellules assez près les unes des autres pour que leurs contours sphériques interfèrent un peu, leur serait de grand avantage, en ce qu’une cloison mitoyenne entre deux cellules contiguës leur épargnerait un peu de cire. […] Ces quelques faits suffiraient à prouver que l’Abeille ou même la Guêpe bâtit bien d’instinct et volontairement des hexagones et non des sphères ; car, une fois cette habitude devenue héréditaire chez l’espèce, il faudrait de nouvelles variations et de nouveaux progrès pour que ces insectes parvinssent à donner la forme sphérique, seulement aux cellules extérieures et libres de leurs rayons, ce qui serait une économie de cire.

794. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Mais pour que cette satisfaction soit aussi pure et aussi entière qu’il est possible, il est important pour nous d’avoir affaire à des juges assez désintéressés pour ne point nous déprimer par des motifs de rivalité ou de passion, assez éclairés pour que nous puissions supposer qu’ils ne prononcent pas sans examen, et en même temps assez superficiels pour que nous n’ayons point à craindre de leur part un jugement trop sévère. […] Les hommes ne pouvant être égaux, il est nécessaire pour que la différence entre les uns et les autres soit assurée et paisible, qu’elle soit appuyée sur des avantages qui ne puissent être ni disputés ni niés ; or c’est ce qu’on trouve dans la naissance et dans la fortune.

795. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Il faut donc, pour conclure, autre chose que cette production qu’a Féval comme tout le monde et qui n’est plus un mérite, pour que la Critique vienne à lui en attendant la gloire. […] Quand il est parisien dans ses œuvres, car il vit à Paris depuis des années et il a été trop magnétisé par cette drôlesse de Paris pour qu’avec son esprit gai et narquois, et si bon enfant dans la narquoiserie, il ne soit pas devenu parisien jusqu’aux ongles, et il l’est ; seulement alors, quand il l’est, il n’est plus que cela (un parisien) dans la littérature française, et nous en avons tant de parisiens !!! […] Si les ennemis du surnaturel ne sentent pas, en lisant cette histoire, le vent de l’aile de l’Archange qui y passe, ils y sentiront du moins le vent d’une plume assez formidable pour qu’on la prenne pour cette aile. […] Un journal catholique, qu’il n’est pas besoin de nommer pour que tout le monde le reconnaisse, saluant, justement à propos de ces Merveilles du Mont Saint-Michel, la bienvenue du grand romancier dans l’histoire, par la plume sans autorité d’un de ces rédacteurs impersonnels qui ne sont pas plus que des soldats dans le rang et qui n’en sortent jamais, faisait, sous des formes impertinemment protectrices, une petite leçon rogue au nouveau converti, tout en le félicitant d’un livre qui — celui-là ! 

796. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Encore une fois, je ne veux point déprécier l’abbé Delille : tous ceux qui l’ont connu l’ont trop aimé, l’ont trop goûté et applaudi pour qu’il ne dût pas y avoir en lui bien des grâces et une magie de talent : il y a certainement dans le poème de L’Homme des champs, dans celui de L’Imagination (plus que dans Les Jardins), des morceaux qui méritaient tout leur succès quand ce gentil et vif esprit les soutenait de sa présence et de son débit, et quand il les récitait dans les cercles pour qui il les avait composés. […] Ces sonnets, qui sont trop flatteurs pour que je les cite, m’en ont rappelé un du poète Keats qui exprime bien le même sentiment d’idéal, de vie intérieure et d’amitié, charme et honneur de la muse anglaise :   Sonnet imité de Keats, en s’en revenant un soir de novembre Piquante est la bouffée à travers la nuit claire, Dans les buissons séchés la bise va sifflant ; Les étoiles au ciel font froid en scintillant, Et j’ai, pour arriver, bien du chemin à faire.

797. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Parlant de cette patrie excellente de Voiture : « Il n’est rien, disait-il, qui sente mieux le sel attique ou l’urbanité romaine. » Girac allait plus loin, il voyait dans quelques-unes des lettres de Voiture un caractère moral assez marqué pour qu’on pût se représenter une image de l’âme de l’auteur, de ses mœurs, de son esprit plaisant et doux, de son agréable liberté de parole ; il citait comme exemple quelques-unes des lettres adressées à M. d’Avaux, et celle entre autres où il parlait de la duchesse de Longueville faisant diversion et lumière au milieu des graves envoyés germaniques au congrès de Munster. […] C’est, en effet, la meilleure critique et la plus décisive : on ne contrefait dans les écrivains que la manière, on ne contrefait pas la pensée, et chez tous deux, pour qu’on les pût imiter si bien et à s’y méprendre, c’était évidemment la pensée qui faisait faute.

798. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Il est touchant de voir combien Frédéric prend de précautions pour que l’État périclite le moins possible après lui, comme il multiplie les mesures pour parer aux divers conflits, particulièrement du côté de Joseph II, « quoiqu’il sache très bien, dit-il philosophiquement, qu’aucun homme ne peut prévoir ce qui se fera quinze jours après son trépas ». […] Comment peut-il faire, et quels sont les moyens pour que le corps de l’État se conserve, si la tête en est faible ?

799. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Villars recevait en même temps la nouvelle que le roi lui envoyait le maréchal de Bouflers pour être à côté de lui en cas d’accident, et pour que l’armée ne restât point sans général en chef. […] Pour moi, je sais que des armées aussi considérables ne sont jamais assez défaites pour que la plus grande partie de la mienne ne pût se retirer sur la Somme.

800. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Il fallut que bien des révolutions s’accomplissent pour que ce miracle devînt possible ; mais, par cela même qu’il dura, le salon de Mme Swetchine se renouvela souvent, et, dans les dix ou douze dernières années notamment, il fît d’intéressantes recrues, il acquit un certain nombre de jeunes amis et de fidèles qui avaient du mouvement, du liant, beaucoup d’entregent, le goût de la publicité, le talent de l’oraison funèbre, et qui lui ont fait sa réputation posthume. […] M. de Chateaubriand était trop le dieu présent et régnant dans unlieu, pour qu’on ne trouvât pas étrange que M. de Maistre parût le premier des grands écrivains modernes dans l’autre.

801. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Une de ces aventures, pour qu’il n’y manquât rien, se rapportait à une veille de Toussaint ; c’est ainsi que le prélat se préparait aux bonnes fêtes. […] Le chancelier Séguier étant mort au commencement de l’année suivante (1672), M. de Harlay fut, auprès de Louis XIV, l’interprète du vœu de l’Académie pour que le roi en personne voulût bien agréer dorénavant le titre de son Protecteur.

802. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Je regrette que vous ne les voyiez pas d’assez près pour qu’ils vous réconcilient à eux. […] Sans doute elle ne se liera qu’avec des gens qui sachent bien le français, car pour qu’elle mette ses pensées en italien, elle, c’est impossible.

803. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Il a fallu en venir à Mlle Rachel pour que tombât cette dernière barrière et pour que non seulement des femmes du monde, mais des jeunes filles de la plus haute condition, aspirassent à l’amitié d’une femme de théâtre.

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