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431. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Au moment où il parlait de la sorte, il était sincère, ou il se le persuadait ; son esprit constamment nourri, à travers tout, d’études sérieuses, avait puisé ses premiers instincts politiques dans l’exemple des États-Unis d’Amérique et dans les institutions de l’Angleterre. […] Mais l’homme public en lui ne put jamais, à l’image de certains politiques célèbres de la Grande-Bretagne, se dégager, s’affermir et prendre assez le dessus pour recouvrir les faiblesses et les disparates de l’autre. […] Que si l’on a affaire à un homme politique, à l’un de ceux qui ont professé hautement la science sociale, et qui, de leur vivant, ont joui tant bien que mal des honneurs et du renom de grand citoyen, oh ! […] Aux hommes vraiment politiques, à ceux qui auraient gardé quelque chose du grand art de conduire et de gouverner les autres, il serait par trop simple et peut-être injuste de demander l’exacte moralité du particulier : ils ont la leur aussi, réglée sur la grandeur et l’utilité de l’ensemble ; mais à tous ceux qui prétendent encore à ce titre d’hommes politiques, ne fussent-ils toute leur vie que des hommes d’opposition, on a droit de demander du sérieux, et c’est là le côté faible, qui saute aux yeux d’abord, dans la considération du rôle de Benjamin Constant : une trop grande moitié y parodiait l’autre. […] On travaille à séparer le plus qu’on peut les sciences et les lettres de tout ce qui tient à la politique et à toute espèce d’idée d’organisation sociale : je ne dis rien sur ce système ; mais on agit ensuite comme si ce but était déjà atteint, et on protége les lettres, comme si elles étaient déjà dans ce bienheureux état d’indépendance de toutes les agitations humaines.

432. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Le positivisme, dites-vous, dans ses applications à la politique, n’a pas vu ses prophéties réalisées. […] La politique et la philosophie n’ont plus grand-chose à faire ensemble. […] Pour moi, je ne vois pas une théorie politique au nom de laquelle on ait le droit de jeter la première pierre aux théories vaincues. […] En politique, il suivit la règle que doit s’imposer le patriote consciencieux : il ne sollicita aucun mandat ; il n’en refusa aucun. […] L’ironie lui échappait ; il ne la comprenait pas en philosophie ; elle lui déplaisait en politique.

433. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

De ce que Romulus prit, dit-on, le bouclier des Sabins, qui était large, au lieu du petit bouclier argien dont il s’était servi jusqu’alors, Montesquieu en conclut déjà à un certain usage et à une certaine politique des Romains, qui consistait à emprunter successivement des vaincus ce que ceux-ci avaient de meilleur. […] Le chapitre vi sur la politique des Romains et sur leur conduite dans la soumission des peuples est un chef-d’œuvre où la prudence et la majesté se combinent ; la grande manière commence pour ne plus cesser. […] Les chapitres comme ceux de la Constitutionc, et principalement des mœurs politiques de l’Angleterred (livre xix, ch. 27), sont des découvertes dans le monde de l’histoire. […] J’ai dit le défaut radical que je crois à la politique de Montesquieu : il met la moyenne de l’humanité, considérée dans ses données naturelles, un peu plus haut qu’elle n’est. […] [1re éd.] et principalement sur les mœurs politiques de l’Angleterre

434. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Politiquement il semble que tout ait été dit sur lui, et que le pour et le contre soient épuisés : ce côté politique me tente peu ; mais il est une manière d’étudier M.  […] Quand on l’aura connu de cette sorte, on aura jour suffisamment sur le politique, et bien des conséquences suivront d’elles-mêmes. […] Necker, dont la fortune était faite, s’était retiré de la banque à ce moment ; il était devenu ministre de la république de Genève auprès de la cour de Versailles, et il visait plus haut : il aspirait à une carrière politique en France. […] C’est ainsi qu’il dira ailleurs, en parlant de la force de méditation nécessaire à qui veut se rendre maître des vérités de l’économie politique : « Ce n’est qu’à ce prix qu’elles (ces vérités) s’attachent à notre entendement, et deviennent comme une propriété de notre esprit. » Chez M.  […] Il écrivit d’abord sur l’administration et sur la politique ; mais bientôt, cherchant dans ses instincts méditatifs une diversion plus haute et plus vaste aux ennuis de l’inaction, il fit son livre De l’importance des idées religieuses et combattit les fausses doctrines répandues autour de lui.

435. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Il était né à Padoue, grande ville municipale, et qui avait chez elle un abrégé et une image des institutions politiques de la mère cité. […] Peu après son arrivée à Rome, on croit qu’il écrivit des dialogues sur des questions philosophiques et politiques, qui le firent connaître d’Auguste. […] Les autres qualités, les mérites plus politiques qui auraient pu se révéler à mesure qu’il aurait avancé dans son histoire (car il avait en lui, selon la remarque de Quintilien, bien des perfections diverses), ces mérites de spectateur et de peintre, capable pourtant de saisir les effets et les causes de grandeur ou de décadence, ne les lui supposons pas sans preuve, mais ne les lui dénions pas. Il est orateur sans doute, mais il est peintre aussi, il est dramatique, il est moraliste ; ce n’est pas à dire qu’avec tout cela il n’aurait point paru plus politique quand il l’aurait fallu. […] Vers 1817, âgé de cinquante ans, délicat et maladif, mêlé malgré lui aux agitations de la politique alors si ardente, Maine de Biran s’en, isolait le plus qu’il pouvait ; homme de recueillement, il habitait en lui, n’était heureux que là, les jours où la pensée lui était plus facile.

436. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Enfin toutes les forces qui devaient concourir à la défense de l’ordre religieux et politique étaient divisées : les Jansénistes tiraient sur les Jésuites, le Parlement faisait échec à la royauté ; dans ces discordes, il était rare que les philosophes n’eussent pas quelqu’un avec eux. […] L’abbé de Mably, frère de Condillac, eut une influence limitée, mais sérieuse et durable : il s’était attaché aux sciences sociales et politiques ; dépassant Rousseau qu’il avait devancé, il développe hardiment des théories communistes. […] Les misères et l’oppression du peuple, à la fin du règne de Louis XIV, avaient excité des patriotes tels que Vauban et Boisguilbert à chercher, en dehors de toute doctrine politique et de toute intention révolutionnaire, les moyens d’améliorer l’état matériel du royaume. […] Lucas-Montigoy, Mémoires biographiques, littéraires et politiques de Mirabeau, écrits par lui-même, par son père, par son oncle et par son fils adoptif, Paris, 1834, 8 vol. in-8. […] L’abbé Raynal (1713-1796): Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux Indes, 1780. 4 vol. in-8.

437. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

La prétention, en effet, des principaux chefs de cette génération qui ne relevait ni du droit divin ni d’aucun principe préconçu, et qui arrivait à la politique par l’étude des choses et de l’histoire, était de tout comprendre ; et, depuis quelque temps, ils me semblent, en vérité, ne se plus mettre en peine de cela. […] Quand nous étions jeunes et que nous entendions ceux qu’on appelait alors les hommes de l’Ancien Régime raisonner de politique, que disaient-ils ? […] M. de Lally-Tollendal et ses amis s’étaient arrêtés à un certain jour de l’Assemblée constituante ; la justice et la vérité politique se prolongeaient pour eux jusqu’à ce jour-là, et ne subsistaient pas vingt-quatre heures de plus. […] Pascal, qui avait si bien pénétré l’homme dans sa grandeur et dans sa misère, et qui, en son âme ardente, s’était représenté plus d’une fois sans doute les vives images de l’ambition politique, a écrit, comme pour s’en dégoûter : Prenez-y garde ! […] Une autre remarque plus frappante porterait sur l’espèce de conseil que le digne Marmontel donne à ses enfants en leur présentant ce triste exemple de l’ambition politique.

438. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Je tiens pourtant à montrer le philosophe et le politique américain dans ses conditions antérieures, avec son existence déjà si remplie avant son arrivée et sa faveur en France, avant qu’il embrasse Voltaire. […] La mission dont ses compatriotes le chargèrent, et qu’il ne faut pas confondre avec la seconde mission politique dont il sera chargé en 1764, était toute provinciale et particulière. […] Il sent bien que c’est là le côté faible de la démocratie et de la forme de gouvernement qui en découle ; il le redira à la fin de sa vie et quand l’Amérique se sera donné sa Constitution définitive (1789) : « Nous nous sommes mis en garde contre un mal auquel les vieux États sont très sujets, l’excès de pouvoir dans les gouvernants ; mais notre danger présent semble être le défaut d’obéissance dans les gouvernés. » Enfin, au milieu des luttes politiques déjà très vives que Franklin a à soutenir dans la Chambre et dans les élections de Philadelphie, survient la nouvelle du fameux acte du Timbre (1764). […] Il sort de Philadelphie, entouré d’une cavalcade d’honneur de trois cents concitoyens qui l’accompagnent jusqu’au port ; et, laissant derrière lui beaucoup d’amis dévoués et aussi bon nombre d’ennemis politiques, il s’embarque encore une fois pour l’Angleterre (novembre 1764). […] Cela veut dire que Franklin avait une religion politique qu’il servait ardemment.

439. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Théodore de Banville aura fait partie de cette brillante Heptarchie de poètes qui ont régné sur la France vers le milieu de ce siècle et dont on ne voit point les successeurs… Les autres ont déshonoré la Poésie dans les viletés de la politique, ou l’ont ridiculisée en devenant académiciens. […] [Entretiens politiques et littéraires (1er septembre 1890).] […] [Entretiens politiques et littéraires (1er novembre 1890).] […] [Entretiens politiques et littéraires (1er décembre 1890).] […] [Entretiens politiques et littéraires (1er décembre 1893).]

440. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

Ce n’est que depuis 1848 que M. de Montalembert, acceptant la leçon des événements, a cessé d’être un orateur de parti pour se montrer un orateur tout à fait politique. […] L’énergie gagne par la prudence ; l’éloquence plus mûre n’y perd pas, et elle donne désormais la main à la politique, qui n’est autre, le plus souvent, qu’une transaction. […] M. de Montalembert, depuis le 24 février, semble l’avoir compris, et c’est avec bonheur qu’on l’a entendu, dans ses discours sur la liberté d’enseignement, des 18 et 20 septembre 1848, consentir à prendre la religion chrétienne indépendamment du degré de foi individuelle, la considérer plus généralement au point de vue social, au point de vue politique, et accepter pour coopérateurs tous ceux qui, à l’exemple de Montesquieu, l’envisagent au même titre. […] Il y aurait eu pourtant, au point de vue politique ou même seulement logique, des observations à faire sur quelques parties de ce discours, si l’effet général n’avait tout couvert. […] Le passage du discours où le sacerdoce de la magistrature est pris et interprété au pied de la lettre, et où l’orateur le rapproche, socialement parlant, du sacerdoce du prêtre ; ce double temple qu’il importe de maintenir debout ; ce torrent des révolutions qui doit, en roulant, trouver au moins deux rives inébranlables, et se contenir entre le temple de la loi et le temple de Dieu, tout cela est à la fois de la haute éloquence et de l’éternelle politique.

441. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Elle leur convient ; car il est clair que, n’ayant pas l’individu pour substrat, ils ne peuvent en avoir d’autre que la société, soit la société politique dans son intégralité, soit quelqu’un des groupes partiels qu’elle renferme, confessions religieuses, écoles politiques, littéraires, corporations professionnelles, etc. […] Or, ce que nous disons de ces explosions passagères s’applique identiquement à ces mouvements d’opinion, plus durables, qui se produisent sans cesse autour de nous, soit dans toute l’étendue de la société, soit dans des cercles plus restreints, sur les matières religieuses, politiques, littéraires, artistiques, etc. […] Telle est l’origine et la nature des règles juridiques, morales, des aphorismes et des dictons populaires, des articles de foi où les sectes religieuses ou politiques condensent leurs croyances, des codes de goût que dressent les écoles littéraires, etc. […] La structure politique d’une société n’est que la manière dont les différents segments qui la composent ont pris l’habitude de vivre les uns avec les autres.

442. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’empire russe depuis le congrès de vienne »

L’empire russe depuis le congrès de vienne5 I Quoique l’influence des circonstances politiques meure au seuil des ouvrages de critique purement littéraire, il n’est pas moins vrai qu un livre sur la Russie publié à cette heure doit attirer vivement l’attention… En effet, solitairement et pour son propre compte, la Russie, ce colosse de neige, sort enfin de l’énigmatique immobilité qu’elle a gardée pendant quarante ans vis-à-vis de l’Europe, et qui était peut-être tout le secret de la fascination qu’elle exerçait sur les esprits. […] Otez l’opinion politique qu’on pourrait nommer, et dont il n’est pas nécessaire de démontrer ici le plus ou moins de justesse, ôtez cette opinion politique sous la tyrannie de laquelle il écrit, et vous n’avez plus rien dans ce livre sur l’empire russe. […] Beaumont-Vassy nous a raconté les faits politiques qui se sont produits en Russie, ou sous l’action de son cabinet en Europe, depuis trente-neuf ans7 ; mais le premier journaliste venu en sait autant sur tous ces faits vus par l’écorce que Beaumont-Yassy lui-même, et vraiment était-ce bien la peine d’intituler fastueusement son ouvrage : De l’Empire russe depuis le Congrès de Vienne, si ce livre qu’on appelle ainsi n’a pas plus de profondeur et de consistance que la Gazette de Leipzig ou le Journal de Francfort ? […] Et ce n’est pas seulement une raison politique (quoiqu’elle y soit pourtant) qui les empêche de se livrer à cette imitation dernière devant laquelle leur nature simiesque, pour la première fois, s’arrête court.

443. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. IXe et Xe volumes »

Chez lui, cette portion de notre histoire politique, jusqu’à présent si ténébreuse et si compliquée, s’éclaircit, se dénoue d’elle-même ; tout y devient simple et lucide ; ici encore on sent l’historien qui est toujours placé au cœur de son sujet, c’est-à-dire au cœur de la France. […] Elle avait l’air de ne pas comprendre qu’au sortir du règne violent de la Convention, on ne pouvait abolir sans danger toutes les mesures de prudence, et que les ressorts politiques se seraient brisés dans cette brusque détente. […] Signalons encore une vue large et féconde sur les deux systèmes politiques dont le duel opiniâtre a ensanglanté l’Europe. […] Saint-Marc Girardin, que le sang coulait dans Paris depuis les journées de la Révolution (Souvenirs et réflexions politiques d’un journaliste pag 8). »

444. (1874) Premiers lundis. Tome II « Quinze ans de haute police sous Napoléon. Témoignages historiques, par M. Desmarest, chef de cette partie pendant tout le Consulat et l’Empire »

Le séjour de Londres, de 1801 à 1803, durant lequel il fréquenta des hommes de pensée élevée et de civilisation, contribua sans doute aussi à agrandir ses vues et à mûrir son intelligence politique. […] Ce projet presque chevaleresque, joint aux difficultés politiques qu’opposa Moreau, explique le long retard par où périt cette conjuration, la plus forte assurément qu’ait essuyée la fortune de Bonaparte. […] Selon sa conjecture, en effet, l’empereur Alexandre, s’il fût entré à Paris accompagné du général Moreau, l’aurait investi du pouvoir, d’accord avec le Sénat et avec les chefs de l’armée ; c’était l’arrière-pensée de la politique russe qui se fût ainsi assurée à la fois contre Napoléon et contre les Bourbons. […] Les suicides de Pichegru et du capitaine Wright, que la crédulité et l’esprit de parti ont voulu transformer en assassinats politiques, obtiennent de M. 

445. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Notre critique et la leur »

C’est un bazar excessivement varié, où l’on trouve de tout, même de la politique de rechange dans cette chronique qui, pour ne pas mentir à son nom, a suivi les ondulations des ministères pendant dix-huit ans ! […] Pontmartin, lequel est un mixte négatif, qui n’est pas tout à fait Gustave Planche et qui n’est pas tout à fait Janin, composé de deux choses qui sont deux reflets : un peu de rose qui n’est qu’une nuance, et beaucoup de gris qui est à peine une couleur, aurait cependant, dans l’appréciation des œuvres littéraires et de leur moralité, le bénéfice des idées chrétiennes et la facile supériorité qu’elles donnent à tous les genres d’esprit, si les partis et les relations, la politique et la politesse, n’infirmaient jusqu’à sa raison. […] La littérature d’une nation renferme toutes ses idées religieuses et politiques, quoiqu’elle ne prenne pas de brevet pour les exposer. […] En religion, nous tenons pour l’Église ; en politique, pour la monarchie ; en littérature, pour la grande tradition du siècle de Louis XIV.

446. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « I. Saint Thomas d’Aquin »

Saint Thomas d’Aquin1 [Le Pays, 19 avril 1859] I Si l’Académie des sciences morales et politiques n’avait pas pris sur elle de mettre au concours saint Thomas d’Aquin et sa doctrine, quel livre ou quel journal, avec la superficialité de nos mœurs littéraires, eût osé jamais parler d’un tel sujet ? […] certes, il ne fallait rien moins que la prépondérance de l’Académie des sciences morales et politiques sur l’opinion pour faire de saint Thomas d’Aquin une actualité. […] Charles Jourdain eût été mis au monde par l’Académie des sciences morales et politiques, il se faisait, depuis 1854, une traduction de la Somme de saint Thomas, texte latin en regard, avec notes, commentaires, éclaircissements et toute l’armature nécessaire à un pareil vaisseau en matière de livre ; et qui l’a annoncée ? […] voilà le théologien dans l’œuvre duquel l’Académie des sciences morales et politiques, qui bat, en ce moment, le ban et l’arrière-ban de la Philosophie en détresse, a donné l’ordre d’aller chercher un philosophe, et M. 

447. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur. Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome II. »

Court de Gébelin, Olavidès, d’Eprémesnil, de Jaucourt, de Chastellux, de Choiseul-Gouffier, de La Fayette, et de bien d’autres encore, on croirait vraiment, ceci soit dit sans reproche, qu’en dépit des railleries des incrédules et même des siennes propres, M. de Ségur n’est pas complètement revenu de ce péché de jeunesse, et que son ancienne foi magnétique, non moins que sa foi politique, a résisté à la mode des conversions. […] Le prince Henri avait de grandes vertus ; ses lumières, son humanité, sa justice l’avaient popularisé en Europe, et, auprès de la gloire de Frédéric, la sienne, moins brillante, semblait incomparablement plus pure : et ce même prince, sans songer à mal, invente la plus odieuse des iniquités politiques ; à l’occasion, il en cause avec Catherine, il en cause avec son frère ; la partie s’arrange, il s’en félicite, et, dans sa retraite de philosophe, s’en berce comme d’un doux et beau souvenir ! […] Effacé à son arrivée par les ministres d’Angleterre et d’Allemagne, il dut à l’amitié du prince Potemkin et de Catherine une considération dont la faveur s’étendit jusque sur ses démarches politiques.

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