Il en résulta, en effet, un peu de chimère et d’illusion, une sorte d’optimisme, mêlé aux pensées de réforme qui animèrent les généreux esprits du xviiie siècle. […] Les lumières proprement dites, dans l’idée desquelles entre la pensée du bien public, de l’amélioration de l’homme en société, d’une constitution plus juste, d’une manière de penser plus saine et plus naturelle, ne vinrent que peu à peu, et d’abord à l’état de vœu, de rêve et un peu de chimère. […] La pensée de Bossuet est fausse, parce que, tout singulier que cela puisse paraître, ce grand orateur ne l’a obtenue que moyennant un escamotage. […] Au reste, je le répète, le germe de cette pensée est dans Tertullien que Bossuet lisait beaucoup et dont il a tiré plus d’une pensée saillante ou d’une image. […] Bossuet avait déjà fait usage de cette argutie théologique dans un de ses sermons de jeunesse (sermon pour le neuvième dimanche après la Pentecôte), et il y essayait d’une manière encore enveloppée la pensée qu’il devait reprendre plus tard et placer, comme on l’a vu, en si belle occasion, et en l’offrant sous un jour si spécieux.
Cet esprit si fort de pensée, si ferme et si rigoureux de doctrine, se trouve être l’âme la plus douce et la plus tendre dans le cercle du foyer. […] Il ne modifie nullement sa manière selon les lieux et les milieux ; il lui est presque indifférent d’écrire ici ou là : c’est la même philosophie, ce sont les applications diverses, les divers aspects d’une même pensée, ce sont les fragments d’un même tout qu’il distribue toujours. […] La pensée est sortie un jour de leur cerveau tout armée comme Minerve, et d’un coup de hache comme elle. […] S’il a interrogé (et il aime à le faire), ç’a été d’une manière pressée, avec suite et dans un but, pour répondre à la pensée qu’il avait déjà. […] Taine, quand on a le plaisir de le connaître personnellement après l’avoir lu, a un charme à lui, particulier, qui le distingue entre ces jeunes stoïciens de l’étude et de la pensée : à toutes ses maturités précoces, il a su joindre une vraie candeur de cœur, une certaine innocence morale conservée.
Si je comprends bien cette pensée, César encore devançait en ceci les temps. […] Noël des Vergers, a publié un Essai 57 qui a du neuf sur quelques points, qui aussi a donné lieu à de nouvelles lectures des Pensées de Marc-Aurèle, et chacun en a profité. […] Mais c’est Marc-Aurèle lui-même qui s’est peint le mieux dans son livre de Pensées. […] En ce qui est de Marc-Aurèle en particulier, une remarque ressort de l’étude de sa vie et de la lecture de ses Pensées : il ne faut pas être trop sage pour réussir en ce monde et pour enlever le genre humain. […] Toutes ces pensées et bien d’autres naissent à l’esprit, en lisant les chapitres nourris et sérieux de M.
Les idées religieuses ne sont point contraires à la philosophie, puisqu’elles sont d’accord avec la raison ; le maintien des principes qui font la base de l’ordre social ne peut être contraire à la philosophie, puisque ces principes sont d’accord avec la raison ; mais les défenseurs des préjugés, c’est-à-dire, des droits injustes, des doctrines superstitieuses, des privilèges oppressifs, essaient de faire naître une opposition apparente entre la raison et la philosophie, afin de pouvoir soutenir qu’il existe des raisonnements qui interdisent le raisonnement, des vérités auxquelles il faut croire sans les approfondir, des principes qu’il faut admettre en se gardant de les analyser, enfin une sorte d’exercice de la pensée qui doit servir uniquement à convaincre de l’inutilité de la pensée. […] Si l’imagination, justement frappée des crimes dont nous avons été témoins, les attribue à quelques causes abstraites, ou devient passionné contre des principes, comme on pourrait l’être contre des individus ; et cette vaste prévention, dont un principe peut être l’objet, s’étend à toutes les pensées qui en dépendent par les rapports les plus éloignés. […] Considérons donc quelle sera cette carrière, seul avenir qui soutienne encore la pensée prête à s’abîmer dans la douloureuse contemplation du passé. […] La force est une combinaison du hasard, destructive de tout ce qui tient à la pensée et au raisonnement ; car l’exercice de l’une et de l’autre suppose toujours la liberté. […] Les dévots portent le scrupule au fond de leurs pensées les plus intimes ; ils finissent par se faire un crime de ces incertitudes passagères qui traversent quelquefois leur esprit.
Cet homme, sur lequel les documents historiques nous ont renseigné, n’est pas un être isolé : ses actions, ses sentiments et ses pensées ont des causes en dehors de lui, qui sont « certaines façons générales de penser et de sentir ». […] Mais avec la méthode historique et psychologique, le problème est tout autre : il s’agit de rattacher le cours à quelque idée générale, de s’en servir pour arriver à la démonstration de quelqu’une de ces lois que la pensée moderne s’efforce de préciser, ou tout au moins pour suivre dans ses diverses phases un grand mouvement intellectuel. […] Vous allez me permettre de préciser ma pensée. […] Et aujourd’hui encore, quand nous réussissons à nous transporter par la pensée dans ce lointain Moyen-Âge, nous y trouvons une source d’admiration. […] Le développement de la littérature moderne, en effet, quelque vaste qu’il soit, n’est qu’une phase du développement de la pensée humaine ; et l’histoire de la pensée elle-même rentre dans l’histoire générale de la vie sociale.
L’ombre n’avait pas entendu, car elle répétait avec complaisance sa banale pensée : — La courbe d’une destinée est une hyperbole. ? […] Paul Bourget n’a eu qu’une fois l’avilissant bonheur de renouveler en sentiment bas et personnel une pensée qui est basse et bête depuis des siècles. […] Il est vraiment impossible à quelqu’un d’impartial, à quelqu’un qui fait profession d’hostilité et contre les catholiques et contre les libres-penseurs de troupeau, à quelqu’un qui vit en dehors des temps et qui refuse de se mêler aux laideurs des luttes pratiques, de confondre l’orthodoxie de la pensée avec sa puissance ou avec sa faiblesse. […] C’est Zola qu’il y attaque et la pensée de ce « Bacon de table d’hôte », de ce « Messie de la tinette et du torche-cul », de ce « Christophe Colomb du Lieu-Commun », est, en effet, assez faible pour qu’on puisse, sans injustice excessive, proclamer son néant. […] Je relève seulement une pensée à laquelle l’auteur doit tenir puisque, après l’avoir exprimée page 46, il la répète page 116 : Dreyfus est innocent du crime pour lequel on le condamna ; mais son supplice expie quelque autre faute inconnue.
« Nous sommes comme les rivières, qui conservent leur nom, mais dont les eaux changent toujours. » C’est le grand Frédéric qui écrivait cela à d’Alembert, pour lui exprimer le changement qu’opère le temps dans les sentiments et dans les pensées de chaque individu. […] Son front semblait s’être élargi sous la nudité de ses cheveux noirs effilés à demi tombés sous la moiteur d’une pensée continue. […] On eût dit que sa tête, naturellement petite, s’était agrandie pour laisser plus librement rouler entre ses tempes les rouages et les combinaisons d’une âme dont chaque pensée était un empire. […] Dans un style ordinaire, réfléchi et raisonnable, que de pensées ainsi resteraient grandes ou charmantes ! […] Ce sont là de belles et justes pensées, admirablement exprimées.
La voici : Toute la pensée de Ruskin, tous ses efforts, toute sa doctrine, son idéal esthétique et social sont orientés vers le passé. […] Robert de la Sizeranne, commentant la pensée esthétique de Ruskin. […] La pensée de Ruskin va à rencontre du monde moderne. […] En nous ralliant à cette pensée, nous dirons que cet art de spiritualisation doit disparaître à mesure que la conception qui le soutient, s’ensevelit dans le passé. […] de même pour tous ceux qui se refuseront à conclure le loyal pacte définitif, l’alliance sacrée qui défie les défaites, entre l’intelligence, la fantaisie, la pensée de l’homme et la réalité de la nature.
On regrette seulement de la voir paralysée dans son essor par le peu de valeur de la pensée qu’elle contient. […] Ce qui surtout nous fait insister sur cette pensée c’est l’impression ressentie par tout le monde après la lecture du volume. […] Rien de plus vrai que ces phrases coupées brusquement, que ces pensées qui se heurtent et qu’un abîme pourtant sépare. […] Toutes les entraves que la loi impose encore à la pensée des partis ont cessé d’entourer les œuvres de l’imagination. […] Mais, au fond, qui peut mettre en doute la douceur et les mœurs bienveillantes d’hommes habitués de longtemps au travail pacifique de la pensée ?
C’est que Renan avait connu la pensée germanique très tard, et qu’il restait ébloui par un caractère de cette pensée, très nouveau pour lui : la complexité. […] Suivons-la, cette pensée. […] Comment fonctionne cette pensée à cet instant ? […] La pensée française est irréductible à la pensée germanique, et toutes deux irréductibles à la pensée russe ou à la pensée anglaise. […] Reportons-nous en pensée au siècle des Antonins.
Un philosophe écrivant pour des philosophes, un archéologue écrivant pour des archéologues, un savant écrivant pour des savants, n’ont qu’à appliquer aux choses les termes techniques de leur science spéciale : ils ne veulent pas être compris de tout le monde, et il leur suffit d’être entendus de ceux qui connaissent ces vocabulaires particuliers, et plus ils mettront de rigueur dans cet emploi des mots techniques, plus ils préciseront leur pensée et éclairciront leur sujet. […] On doit s’efforcer de rendre sa pensée avec toute l’exactitude possible, au moyen des mots de la langue commune à tous les métiers, à toutes les classes. La précision vient ici non pas de ce que l’auteur emploie, mais de ce qu’il connaît les termes techniques, et, les ayant dans la pensée, leur choisit des équivalents intelligibles à tous, qui ne laissent rien perdre de leur sens. […] Mais l’écrivain peut en outre en évoquer d’autres, purement techniques, s’il le juge nécessaire à la précision de sa pensée.
Peut-être cet Auteur s’est-il persuadé que l’obscurité dans les pensées & dans le style seroit propre à donner du prix à ses Productions ? […] Les Pensées sur l’interprétation de la Nature appartiennent en grande partie à Bacon, ce dont l’Auteur ne s’est nullement mis en peine de nous avertir. Il est vrai que les pensées du Chancelier d’Angleterre deviennent méconnoissables par la maniere étrange dont elles sont travesties : c’est un corps robuste duquel on n’a fait qu’un squelette, sans y laisser la moindre apparence de nerfs & de muscles ; tout y est en germe, tout y est si recondit & si obscur, qu’on peut regarder cette Interprétation comme beaucoup plus inintelligible que le texte. […] Ce n’est pas l’obscurité qu’on peut reprocher à ses Pensées Philosophiques ; elles sont très-claires.
Exprimer l’humanité dans une espèce d’œuvre cyclique ; la peindre successivement et simultanément sous tous ses aspects, histoire, fable, philosophie, religion, science, lesquels se résument en un seul et immense mouvement d’ascension vers la lumière ; faire apparaître, dans une sorte de miroir sombre et clair ― que l’interruption naturelle des travaux terrestres brisera probablement avant qu’il ait la dimension rêvée par l’auteur ― cette grande figure une et multiple, lugubre et rayonnante, fatale et sacrée, l’Homme ; voilà de quelle pensée, de quelle ambition, si l’on veut, est sortie la Légende des Siècles. […] Du reste, ces poëmes, divers par le sujet, mais inspirés par la même pensée, n’ont entre eux d’autre nœud qu’un fil, ce fil qui s’atténue quelquefois au point de devenir invisible, mais qui ne casse jamais, le grand fil mystérieux du labyrinthe humain, le Progrès. […] Qu’on ne conclue pas de cette dernière ligne ― disons-le en passant ― qu’il puisse entrer dans la pensée de l’auteur d’amoindrir la haute valeur de l’enseignement historique. […] Quant au mode de formation de plusieurs des autres poëmes dans la pensée de l’auteur, on pourra s’en faire une idée en lisant les quelques lignes placées en note à la page 126 du tome II, lignes d’où est sortie la pièce intitulée : les Raisons du Momotombo.
C’est ici que la seconde forme de la pensée religieuse entre en conflit avec la première. La forme sociale de la pensée religieuse est l’orthodoxie ; sa forme individualisée est l’hérésie. […] Les apôtres de la sociabilité, un Comte, un Guyau, ont fort bien vu ce côté antisocial de la pensée religieuse.
Ce n’est pas une comparaison que j’établis entre deux ordres profondément distincts et parfaitement inégaux, mais c’est un rapprochement qui rendra plus saillante ma pensée. […] On est aussi honoré, considéré pour cela, et bien plus, que si l’on avait tenté un beau roman, un beau poème, les chemins de la vraie invention, les routes élevées de la pensée. […] Je ne crains pas de varier les exemples, les rapprochements, et de choisir ceux qui vous associeront le mieux à ma pensée. […] Si je loue l’art dans les Provinciales, je ne louerai, chez ce même Pascal, que la force et l’énergie morale dans les Pensées. […] Quand je parlerai de Boileau, je ne louerai que modérément la poésie ou la pensée de ses satires, et même la pensée de ses épîtres ; nous verrons pourtant bien au net sa qualité rare, à titre de poète, dans quelques épîtres et dans Le Lutrin ; mais surtout je vous le montrerai tout plein de sens, de jugement, de probité, de mots sains et piquants et dits à propos, souvent avec courage, — caractère armé de raison et revêtu d’honneur, et méritant par là, autant que par le talent toute l’autorité qu’il exerça, même à deux pas de Louis XIV.
J’ai noté les inexpériences inévitables au début, même de la part d’une pensée si ferme et si nourrie : ce qui n’empêche pas ce petit écrit d’être supérieur et de rester à beaucoup d’égards excellent. […] On voit que de bonne heure tous les cadres dans lesquels avait à s’exercer une pensée si pleine d’avenir étaient trouvés. […] Lui et M hiers, d’ailleurs, ils arrivaient à Paris avec une pensée arrêtée en politique, avec une opinion déjà faite, qui aidait beaucoup à la résolution de leur marche et qui simplifiait leur conduite. […] Et en général, c’est quand un personnage s’identifie avec une idée, avec un système et une des faces de la pensée publique, que M.Mignet s’y arrête le plus heureusement et excelle à le peindre. […] La figure intellectuelle de Sieyès paraît avoir eu de tout temps un attrait singulier pour la pensée de M.Mignet, et nul certainement plus que lui n’aura contribué à faire apprécier des générations héritières et de l’avenir les quelques idées immortelles de ce génie solitaire et taciturne.
Une bourgeoise hérédité de sens pratique l’empêcha pourtant de se repaître de fumée, et tourna ses pensées vers les solides acquisitions. […] Le prince, qui s’est fait traduire Wolf en français pour le lire, met volontiers la philosophie sur le tapis : il donne à Voltaire l’exemple de la libre pensée. […] La première édition du livre a paru à Berlin en 1751 : la première pensée en apparaît dans une lettre de 1732. […] Ainsi se compléta le dessein primitif du Siècle de Louis XIV, par l’accession de deux pensées : une pensée satirique fut peut-être l’occasion réelle du livre, et, à coup sûr, dut en être la conclusion secrètement, sourdement insinuée. […] Ces remaniements correspondent à une grave et déjà ancienne modification de la pensée philosophique de Voltaire.