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327. (1924) Critiques et romanciers

Le romancier peint les mœurs contemporaines. […] Il a peint de petits tableaux, où il a mis beaucoup de fraîche vérité avec beaucoup d’art. […] Il est parvenu à peindre la réalité pleine d’idées. […] Mais il peint toute la campagne, même les gens de la campagne. […] D’autres tâchent de peindre la réalité ; mais, s’ils ne font que la copier, tout est perdu.

328. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

L’art tragique n’aurait-il donc pour objet que de peindre des fous, des êtres abrutis par la plus féroce et la plus honteuse manie ? […] Racine n’était point un poète galant ; il excellait à peindre le véritable amour, qui presque toujours exclut la galanterie. […] On lui avait autrefois reproché d’avoir peint dans Bajazet des Français au lieu de Turcs ; on l’a depuis accusé d’avoir trop bien peint dans Athalie les Juifs, qui étaient les personnages de sa pièce. […] La tragédie n’est pas responsable des mœurs et des passions qu’elle peint ; il lui suffit de les bien peindre. […] Pendant qu’on les peignait, prenant bien mes. mesures, J’en ai, sans être vu, ramassé ces peignures.

329. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

— Jules de Rességuier, un poëte assez agréable et très-maniéré, a fait autrefois, dans une pièce adressée à Soumet, ce vers qui peint en un trait le défaut de celui qu’il croit louer : Et c’est peu qu’ils soient beaux, tes vers, ils sont charmants ! […] Ce mot charmant qui veut surenchérir sur le beau, peint à merveille la mignardise et le faux goût venant gâter des inspirations qui promettaient d’être belles.

330. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Victor Hugo a peint cet abus dans des vers pittoresques : La langue était l’état avant quatre-vingt-neuf : Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ; Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes, Les Méropes, ayant le décorum pour loi, Et montant à Versailles aux carrosses du roi ; Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires. […] Haute et sérieuse, elle formera à sa ressemblance les termes qui la peignent ; elle pourra appeler à soi les mots du peuple, et même de la populace : elle leur ôtera par cette élection leur grossièreté en leur laissant leur énergie.

331. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

C’est ainsi que, de nos jours, quand le retour de l’ancienne maison de France imposa l’obligation de renier, de détester tout le passé, quand ce n’était pas assez de le mettre en oubli, qu’il fallait en avoir horreur, les romans de Walter Scott, où étaient peintes des mœurs inconnues, acquirent en France une vogue inouïe et contribuèrent au grand changement qui s’opéra alors dans les idées et dans la littérature. […] Ce fut cet amour idéal qu’il peignit dans L’Astrée, durant sa retraite, se rappelant la période de son amour où il était borné aux rêves de l’espérance et du désir.

332. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

. — Ton et langage de la bonne compagnie des gens peints par Corneille, dans sa comédie de Mélite. — Ton et langage de la société dissolue a la même époque. — Distinction entre différents genres de naïveté. […] Toutefois, cet ouvrage qui, selon Corneille, peint si naïvement la conversation des honnêtes gens, et qui par ce mérite obtint tant de succès, paraîtrait aujourd’hui un peu recherché.

333. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Nulle image plus forte n’a peint l’excès des tourments qui déchirent l’orgueil écrasé. […] Voilà ce qu’il importait de bien peindre ; et dans ce tableau nous retrouvons l’âme de notre poète, si passionné pour l’humanité. […] « Rien, rien de cette scène en beautés si féconde, « Ne se peint dans ces yeux où se peignait le monde. […] Est-ce une action vive et soudaine que veut peindre Boileau dans le lutrin ? […] il a besoin de trois vers pour en peindre la lame et le fourreau qu’il nomme.

334. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Restif a peint le peuple sans arrière-pensée, il l’a souvent peint d’une façon remarquablement vraie. […] Les principaux personnages du roman sont des prêtres ; le but de l’auteur est évidemment de peindre le clergé provincial. […] Quand il a peint des scélérats, s’est-il peint lui-même ? […] « Il ne m’a pas fallu, dit-il, imaginer de roman pour peindre des familles heureuses. […] Il ne faut pas peindre ce que tu vois, car alors à quoi bon la peinture ?

335. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Les écrivains peignent chaque siècle ce concours, parce que chaque siècle il recommence. […] La Fontaine a voulu peindre tout au long ce portrait de l’hypocrite, et les grands moralistes du temps, Molière et La Bruyère, se rencontrent là-dessus avec lui. […] Où sont les mots vrais, capables de toucher et de peindre ? […] Il n’y a que ce vieux mot tout rustique qui puisse peindre une pareille hutte. […] Il a été de son temps, il a peint les hommes qui l’entouraient tels qu’ils étaient.

336. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

» Ce que le génie du Tasse avait su reproduire, Bernardin de Saint-Pierre sut le peindre et l’expliquer, et il eût pu dire aussi en contemplant la nature: Voilà mon livre ! […] S’il peint les détails, c’est pour les rapporter au tout ; s’il rapproche des faits isolés et stériles, c’est pour en faire ressortir des vérités générales et inattendues. […] C’est sous leur douce influence qu’il voudrait replacer l’homme pour le ramener à la vertu: il ne voit que leur pureté, il ne peint que leurs grâces, il n’aime que leur innocence. […] Sa figure était inexprimable au pinceau et à la langue ; il aurait fallu, pour la peindre, les yeux, les sens et comme l’âme de l’auteur de Paul et Virginie. […] Son art est de sentir ; il peint, parce qu’il ne cherche pas à peindre.

337. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Si l’on y ajoute la géographie et la description pittoresque de l’univers, c’est le monde peint par lui-même. […] Le haut, qui est un grand demi-dôme, est peint de moresques d’or et d’azur appliquées fort épais. […] Le haut, qui est aussi un grand demi-dôme, est incrusté par dehors de grands carreaux de faïence peints de moresques, et, par-dedans, tout doré et azuré. […] Ce tombeau est long de huit pieds, large de cinq et haut de six, revêtu de carreaux de faïence, peints de moresques et couvert d’un drap d’or qui tombe jusqu’en bas. […] Ceux de l’ambassadeur de Moscovie passèrent les premiers, portés par soixante-quatorze hommes, consistant en ce qui suit: une grande lanterne de cristal, peinte ; neuf petits miroirs de cristal, peints sur les bords ; cinquante martres zibelines ; vingt-six aunes de drap rouge et vert ; vingt bouteilles d’eau-de-vie de Moscovie.

338. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Les autres endroits sont peints ou de figures dont la plupart sont lascives, ou de moresques d’or et d’azur appliquées fort épais. […] Ces palais sont peints, dorés et azurés partout, excepté où les plafonds sont de rapport et où la boiserie est de senteur. […] Il n’y a point d’endroit qui ne soit peint d’or et d’azur, et orné d’une manière à exciter aux plaisirs de l’amour. […] Elles sont faites de plâtre, peintes et dorées d’une manière fort agréable. […] On voit proche de chaque bassin, sur les ailes, deux grands pavillons fort hauts, peints, dorés et azurés.

339. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Les poètes satiriques, les historiens, les dramaturges ont-ils jamais été accusés de tresser des couronnes pour les forfaits qu’ils peignent, qu’ils racontent, qu’ils produisent sur la scène ? […] Shakspeare et Molière n’ont pas chicané non plus avec le détail révoltant et l’expression quand ils ont peint l’un, son Iago, l’autre, son Tartuffe. […] Tout le monde peint bien, dit l’un, tout le monde fait bien les vers, répond l’autre. Oui, si par bien peindre et être bon poète, on peut entendre ne manquer ostensiblement à aucune règle convenue, s’exprimer couramment dans le langage de tout le monde et savoir relier habilement par des procédés connus des phrases apprises et des poncis. Tout le monde peint bien parce que tout le monde a été à l’école, a visité les musées et a la tête meublée de souvenirs.

340. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Les salons que l’auteur avait en vue n’y sont pas peints avec vérité, par la raison très simple que Beyle ne les connaissait pas. […] L’auteur veut peindre les classes et les partis d’avant 1830. […] Le tableau des partis et des cabales du temps, que l’auteur a voulu peindre, manque aussi de cette suite et de cette modération dans le développement qui peuvent seules donner idée d’un vrai tableau de mœurs. […] L’amour-passion, tel que me l’ont peint dans Médée, dans Phèdre ou dans Didon, des chantres immortels, est touchant à voir grâce à eux, et j’en admire le tableau : mais cet amour-passion, devenu systématique chez Beyle, m’impatiente ; cette espèce de maladie animale, dont Fabrice est l’idéal à la fin de sa carrière, est fort laide et n’a rien d’attrayant dans sa conclusion hébétée.

341. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Les anciens ont commencé par observer et par peindre directement la pure nature. […] Toutefois, il n’a pas complètement accepté non plus le soin de peindre la réalité avec détail et dans la vérité la plus rigoureuse : je n’en veux pour preuve qu’une tempête qu’il a pu déplacer dans les éditions successives de ses lettres, et qui figure tantôt avant l’entrée à Rio de Janeirod, tantôt après la sortie.  […] Nous n’avions pas une voile, et cependant le navire faisait trois lieues par heure, Peins-toi réunis le sifflement du vent et de la pluie, les éclats du tonnerre, le mugissement des flots qui venaient se briser avec impétuosité contre le vaisseau, et un bourdonnement sourd et continuel dans les cordages ; ajoute à tout cela l’obscurité la plus profonde et un brouillard presque solide que l’ouragan chassait avec violence, et tu auras une légère idée de ce que j’observais alors tout à mon aise. […] Nous fuyions vent arrière sous la misaine… Voilà bien, avec la précision de plus qui est propre aux modernes (quand ils s’en mêlent), voilà bien dans ses grands traits la vraie tempête telle qu’elle a été peinte plus d’une fois par Virgile, et surtout par Homère, lorsque Ulysse sentait son vaisseau se disjoindre sous la colère de Neptune et le naufrage prêt à l’ensevelir.

342. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

et tout historien, fût-ce même le plus régulier et le plus froid) « sujet à erreur », il ajoute : « Ces réserves faites, on ne peut méconnaître dans Saint-Simon une étude personnelle et persévérante des principaux personnages de la Cour de Louis XIV, et un talent merveilleux pour les peindre. » On ne peut méconnaître… mais véritablement quelle grâce on nous fait là ! […] Je sais comme vous qu’il ne faut pourtant pas que, sous prétexte de peindre, il se croie en droit d’imaginer, qu’il aille créer tout de bon et au pied de la lettre, et qu’il nous présente un roman au lieu de la réalité. […] Avouez toutefois qu’on profite grandement de lui pour connaître les personnages, même lorsqu’on ne les accepte pas tout entiers de sa main tels qu’il les fait : il vous procure de belles avances pour les peindre, même lorsqu’on ne le suit pas jusqu’au bout. […] Étant peu militaire et peu propre à discerner le côté supérieur de ce petit-fils d’Henri IV, son coup d’œil d’homme de guerre, sa décision, sa vigueur, une fois l’action engagée, il s’est attaché à le peindre sous ses pires côtés les plus apparents, dans toute la laideur ou la splendeur de ses débordements et de son cynisme : il y est magnifique d’images, d’expressions, mais c’est incomplet.

343. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Or, j’ouvre les Mémoires de Chateaubriand à l’endroit de son retour de Palestine, et je cherche vainement un détail, une révélation tendre, fût-elle un peu en désaccord avec l’Itinéraire, enfin de ces choses qui peignent au vrai un homme et un cœur dans ses contradictions, dans ses secrètes faiblesses. […] Mais encore, si charmante et si réelle à certains égards que soit la Lucile des Mémoires d’outre-tombe, il en est peut-être moins dit sur elle et sur sa plaie cachée, que dans les quelques pages où nous a été peinte l’Amélie de René. […] Quand M. de Chateaubriand essaie de nous peindre la douleur qu’il éprouva dans le temps, après avoir brisé le cœur de Charlotte, il parvient peu à nous en convaincre ; des tons faux décèlent le romancier qui arrange son tableau, et l’écrivain qui pousse sa phrase : « Attachée à mes pas par la pensée, Charlotte, gracieuse, attendrie, me suivait, en les purifiant, par les sentiers de la Sylphide… » et tout ce qui suit. […] Il s’est peint avec ses philtres et sa magie, comme aussi avec ses ardeurs, ses violences de désir et ses orages, dans les épisodes d’Atala, de Velléda, mais nulle part plus à nu que dans une lettre, une espèce de testament de René, qu’on lit dans Les Natchez.

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