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1232. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Il ne parle que de son Homère et de son Ossian. […] Parle-t-il du roman ? […] Ses préjugés parlent. […] Elles vivront autant que vivra la langue que nous parlons. […] Je ne parle que pour le pays de France.

1233. (1874) Premiers lundis. Tome I « Fenimore Cooper : Le Corsaire Rouge »

Le fleuve, si l’on peut parler ainsi, n’est pas là pour couler et suivre sa pente ; le propriétaire veut en faire quelque chose, et s’en sert comme d’un moyen pour un but. […] Nous voudrions encore, dussions-nous sembler bien exigeant, que le tailleur Homespun parlât un peu moins de ses cinq longues et sanglantes guerres, et que l’excellent Richard Fid farcît un peu moins sa conversation d’expressions nautiques ; l’auteur, en voulant être vrai, a renchéri sur la nature : les marins, les tailleurs et les gens de métier parlent aussi comme les autres hommes.

1234. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIX. Réflexions morales sur la maladie du journal » pp. 232-240

IX De très antiques confrères parlaient de sacerdoce. […] Parlez de principes et de cause à qui vous voudrez de nos directeurs, il vous demandera de quelle province vous arrivez. […] XVI Quand on ne faisait point rédiger les journaux par des littérateurs bien connus, un financier parlait de la bourse ; un économiste, des tarifs ; un boulevardier, des petites femmes ; et un écrivain, des livres.

1235. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

On plaide toujours avec gêne devant des juges prévenus, surtout lorsque l’on diffère de langage avec eux ; on voudrait vaincre des répugnances, faire des concessions pour être écouté avec moins de défaveur, s’accommoder aux temps et aux lieux ; couvrir, s’il est permis de parler ainsi, par le néologisme du langage, l’archaïsme des idées et des sentiments. […] L’éloquence, comme on sait, n’est pas seulement dans l’orateur qui parle ; elle est aussi dans ceux qui écoutent. […] Dans l’assemblée dont nous parlions tout à l’heure on voyait deux choses à la fois : certains dogmes de la société ancienne, à moitié admis, à moitié rejetés par ceux qui les professaient encore, ou qui voulaient encore les professer ; certains dogmes de la société nouvelle, qu’on avait le dessein d’admettre sans conviction, et par la seule nécessité des circonstances.

1236. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

On ne parla d’autre chose pendant tout le souper : chacun dit son sentiment sur la tragédie, et on se trouva plus disposé à la critique qu’à la louange. […] Il commence par parler de la comtesse de Rochefort, qu’il distingue des autres femmes, et particulièrement d’avec la comtesse de Boufflers : « Son intelligence est juste et délicate, avec une finesse d’esprit qui est le résultat de la réflexion. […] M. de Maurepas, son beau-frère, l’avait évalué d’une manière peu favorable, puisqu’il n’avait pas voulu qu’il eût même les apparences du crédit et qu’il lui parlât d’autres choses que de frivolités littéraires. […] Ne croyez pas que j’aille parler de La Fontaine, mais Nivernais est incomparablement au-dessous de Florian. […] [NdA] C’est l’éloge qui revient invariablement sous la plume quand on parle de lui.

1237. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Le doute à cette époque est ce port dont parle Lucrèce, d’où il y a tant de douceur à contempler le péril d’autrui. […] Les écrits du temps parlent des convictions extraordinaires qu’il produisit. […] Qu’est-ce qu’on entend par une personne naturelle, sinon une personne dont tous les mouvements sont réglés, qui est vraie et judicieuse, qui parle et agit selon la vérité et la raison ? […] S’il disparaît complètement, comme fait Descartes, nous ne voyons plus que la vérité toute seule ; c’est elle qui nous parle directement, et qui nous persuade. […] La première chose d’ailleurs impliquait la seconde ; car comment concevoir la perfection d’une langue sans la parfaite conformité des idées qu’elle exprime avec le génie du pays qui la parle ?

1238. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Louis XII lui rendit son franc parler, que lui ôta de nouveau la Sorbonne, sous le règne de François Ier. […] Il faisait, pour la première fois, parler son cœur encore ému de souvenirs personnels, et déjà le poète savait choisir entre les sentiments qu’avait éprouvés l’homme. […] L’histoire littéraire du temps parle de sujets essayés par lui, puis rejetés après une première ébauche. […] Plus tard, ses héros parlèrent comme Benserade. […] Il y avait à faire parler la femme dans une langue aimable, où l’on sentît l’exquise délicatesse de sa nature jusque dans l’emportement de ses passions.

1239. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

votre théologie à vous, qui est-ce qui en parle ? […] Dès qu’on parle ou qu’on écrit, on cherche fatalement le succès. […] Il avait peu d’égards pour le bonhomme Hanique et n’aimait pas qu’on parlât de lui avec admiration. […] Gottofrey me parlait très rarement, mais il m’observait attentivement avec une très grande curiosité. […] Je ne parlai pas de cette ouverture à M. 

1240. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Je veux parler de la pornographie littéraire. […] Il convient de parler d’abord ici du renouveau extraordinaire de l’influence de Balzac. […] L’idée « du passé opprimant le présent » est le principe qui anime les Morts qui parlent. […] Hirsch, etc., mais on en a parlé surtout à propos des romans de M.  […] Mais je ne puis oublier que je songeais à parler de féminisme littéraire.

1241. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Pour parler pertinemment de ces deux mille pages, rudes à traverser, nous vous en répondons ! […] Ce n’est pas tout que d’être insolent, — quoique l’insolence soit souvent une justice, quand on parle de tels et tels, nous le savons bien !  […] … Si, en notre qualité de critique, nous voulions donner dans un mot ridée de cette indigeste composition politique, anecdotique et littéraire, il faudrait parler le langage de Proudhon. […] Il les tient au courant de ses travaux et des développements de sa pensée, et s’il leur parle de ses misères, c’est qu’elles nuisent à sa vie de penseur. […] Proudhon lui fit l’effet de Goethe, et il en parle, dans une description qu’il a publiée, comme d’un Phidias aveuglé, — car Proudhon était laid et louche.

1242. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

J’omets les scandales ; il y a des choses qu’aujourd’hui on n’ose plus écrire, et il faut être Saint-Simon, duc et pair, historien secret, pour parler de M. de Brissac, du chevalier de Lorraine et de madame de Valentinois. […] « J’acceptai ces sacs, parce que je sentis que cela ferait ma cour après tout le bruit qui s’était fait. » Soldat, il voulait bien obéir en soldat ; courtisan, il voulait bien parler en courtisan. Écoutez ce style : « Je dis au roi que je n’avais pas pu vivre davantage dans sa disgrâce, sans me hasarder à chercher à apprendre par où j’y étais tombé... ; qu’ayant été quatre ans durant de tous les voyages de Marly, la privation m’en avait été une marque qui m’avait été très-sensible, et par la disgrâce et par la privation de ces temps longs de l’honneur de lui faire ma cour... ; que j’avais grand soin de ne parler mal de personne ; que pour Sa Majesté j’aimerais mieux être mort (en le regardant avec feu entre deux yeux). Je lui parlai aussi de la longue absence que j’avais faite, de douleur de me trouver mal avec lui, d’où je pris occasion de me répandre moins en respects qu’en choses affectueuses sur mon attachement à sa personne et mon désir de lui plaire en tout, que je poussai avec une sorte de familiarité et d’épanchement… Je le suppliai même de daigner me faire avertir s’il lui revenait quelque chose de moi qui pût lui déplaire, qu’il en saurait aussitôt la vérité, ou pour pardonner à mon ignorance, ou pour mon instruction, ou pour voir si je n’étais pas en faute. » On parlait au roi comme à un Dieu, comme à un père, comme à une maîtresse ; lorsqu’un homme d’esprit attrapait ce style, il était difficile de le renvoyer chez lui. […] Le papier est muet sous l’effort d’une passion vulgaire ; pour qu’il parle, il faut que l’artiste ait crié.

1243. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Si Corneille en personne se fût adressé à Voltaire, il n’eût pas, certes, plus dignement parlé que Le Brun ne l’a fait en son nom. […] Nous dirons un mot des élégies de Le Brun, parce que c’est pour nous une occasion de parler d’André Chénier, dont le nom est sur nos lèvres depuis le commencement de cet article, et auquel nous aspirons, comme à une source vive et fraîche dans la brûlante aridité du désert. En 1763, Le Brun, âgé de trente-quatre ans, adressait à l’Académie de La Rochelle un discours sur Tibulle, où on lit ce passage : « Peut-être qu’au moment où j’écris, tel auteur, vraiment animé du désir de la gloire et dédaignant de se prêter à des succès frivoles, compose dans le silence de son cabinet un de ces ouvrages qui deviennent immortels, parce qu’ils ne sont pas assez ridiculement jolis pour faire le charme des toilettes et des alcôves, et dont tout l’avenir parlera, parce que les grands du jour n’en diront rien à leurs petits soupers. » André Chénier fut cet homme ; il était né en 1762, un an précisément avant la prédiction de Le Brun. […] Les amours de Le Brun avec la femme qu’il a célébrée sous le nom d’Adélaïde se rapportent précisément au temps dont nous parlons. […] Mais Le Brun, qui survécut treize années à son jeune ami, n’en a parlé depuis en aucun endroit ; il n’a pas daigné consacrer un seul vers à sa mémoire, tandis que chaque jour, à chaque heure, il aurait dû s’écrier avec larmes : « J’ai connu un poëte, et il est mort, et vous l’avez laissé tuer, et vous l’oubliez ! 

1244. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

Je n’appris son arrivée qu’après son départ, et je fus très-affligé d’entendre dire à plusieurs personnes qu’il étoit parti avec l’opinion que j’avois évité à dessein de lui parler et de le voir. […] Je ne parlerai point de sa conduite, ni d’une action criminelle dont il s’est rendu coupable à Londres ; cela ne me regarde point. […] Remarquez bien que l’exact Berlinois n’a gardé d’en parler, tandis qu’il s’étend sur les mérites scientifiques et métaphysiques de l’abbé Prevost, et sur un livre soi-disant sérieux dont on ne sait même plus s’il a jamais été achevé. […] Collé, au tome III de son Journal (décembre 1763), annonçant la mort du grand romancier, s’exprime sur son compte en termes bien durs, bien flétrissants ; mais il en parle d’après d’anciens ouï-dire et en homme qui ne paraît point l’avoir personnellement connu. Il suffirait, pour combattre le mauvais effet des paroles de Collé, et pour prouver que Prevost resta digne jusqu’à la fin de la société des honnêtes gens, d’opposer le témoignage de Jean-Jacques, qui, dans ses Confessions (partie II, livre VIII), parle de l’abbé qu’il avait beaucoup vu, comme d’un homme très-aimable, très-simple ; Jean-Jacques seulement ajoute qu’on ne retrouvait pas dans sa conversation le coloris de ses ouvrages.

1245. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

D’autres sans inquiétudes sur eux-mêmes, mais ne voulant point blesser les souvenirs de quelques-uns de leurs auditeurs, n’osaient parler avec enthousiasme de la justice et de l’équité ; ils essayaient de présenter la morale avec détour, de lui donner la forme de l’utilité politique, de voiler les principes, de transiger à la fois avec l’orgueil et les remords qui s’avertissent mutuellement de leurs irritables intérêts. […] Les barrières imposées par des convenances respectables servent, comme je l’ai dit, aux succès mêmes de l’éloquence ; mais lorsque, par condescendance pour l’injustice ou l’égoïsme, l’on est obligé de réprimer les mouvements d’une âme élevée, lorsque ce sont non seulement les faits et leur application qu’il faut éviter, mais jusqu’aux considérations générales qui pourraient offrir à la pensée tout l’ensemble des idées vraies, toute l’énergie des sentiments honnêtes, aucun homme soumis à de telles contraintes ne peut être éloquent, et l’orateur encore estimable, qui doit parler dans de telles circonstances, choisira naturellement les phrases usées, celles sur lesquelles l’expérience des passions a été déjà faite, celles qui, reconnues inoffensives, passent à travers toutes les fureurs sans les exciter. […] Parler dans le sens du pouvoir injuste, c’est s’imposer la servitude la plus détaillée. […] Si vous parlez au nom de la puissance, ils vous écouteront avec respect, quel que soit votre langage ; mais si vous réclamez pour le faible, si votre nature généreuse vous fait préférer la cause délaissée par la faveur et recueillie par l’humanité, vous n’exciterez que le ressentiment de la faction dominante. […] Sans doute quand vous vous adressez à quelques individus réunis par le lien d’un intérêt commun, ou d’une crainte commune, aucun talent ne peut agir sur eux ; ils ont depuis longtemps tari dans leurs cœurs la source naturelle qui peut sortir du rocher même à la voix d’un prophète divin ; mais quand vous êtes entourés d’une multitude qui contient tous les éléments divers, les hommes impartiaux, les hommes sensibles, les hommes faibles qui se rassurent à côté des hommes forts ; si vous parlez à la nature humaine, elle vous répondra ; si vous savez donner cette commotion électrique dont l’être moral contient aussi le principe, ne craignez plus ni le sang-froid de l’insouciant, ni la moquerie du perfide, ni le calcul de l’égoïste, ni l’amour-propre de l’envieux ; toute cette multitude est à vous.

1246. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Quand les écoliers ont appris et répété les déclinaisons, les conjugaisons, la syntaxe de l’ancien français, quand ils ont mené jusqu’au bout un cours de grammaire historique, il ne leur en reste qu’un grand ennui, beaucoup de confusion dans l’esprit, et un peu plus de penchant à faire des fautes d’orthographe : quant à lire vingt vers de la Chanson de Roland dans le texte après un an de ce labeur, il n’en faut pas parler. […] Enfin je voudrais ouvrir largement le xixe  siècle aux jeunes gens, sans exclure aucun genre et sans craindre d’accueillir des œuvres que la postérité ne recueillera pas ; ils y trouveront, sous une forme nouvelle et appropriée à leur façon de sentir, de penser et de parler, la plupart des idées qu’ils auront précédemment tirées des anciens, des étrangers et des classiques. […] Et s’il vous faut jamais en parler, vous ne le ferez point avec puérilité — Racine vous en sauvera — ni avec banalité — vous y échapperez par le sentiment personnel. […] On pourra parler de l’homme : on ne sera jamais pris au dépourvu sur ce chapitre. […] Vous venez de lire le Misanthrope : vous ne sauriez que dire, si on vous demandait d’en parler.

1247. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

« Les interruptions, les repos, les sections, dit excellemment Buffon, ne devraient être d’usage que quand on traite des sujets différents, ou lorsque, ayant à parler de choses grandes, épineuses et disparates, la marche du génie se trouve interrompue par la multiplicité des obstacles, et contrainte par la nécessité des circonstances : autrement, le grand nombre de divisions, loin de rendre un ouvrage plus solide, en détruit l’assemblage ; le livre paraît plus clair aux yeux, mais le dessein de l’auteur demeure obscur ; il ne peut faire impression sur l’esprit du lecteur, il ne peut même se faire sentir que par la continuité du fil, par la dépendance harmonique des idées, par un développement successif, une gradation soutenue, un mouvement uniforme, que toute interruption détruit et fait languir. » La constitution essentielle du sujet marque à l’écrivain les reposoirs naturels, où il peut reprendre haleine, et son lecteur avec lui ; elle délimite les portions où le regard peut successivement s’arrêter, quand le champ total est trop vaste et ne se laisse pas embrasser d’une seule vue. […] Je ne parle point ici de l’obligation où l’on peut être de répéter plusieurs fois de suite, en un même passage, la même idée, sous des formes diverses, pour la faire mieux saisir du public et l’enfoncer dans les esprits. […] Voici comment il parle : « Amis, Romains, compatriotes, prêtez-moi l’oreille. […] Maintenant, avec la permission de Brutus et des autres (car Brutus est un homme honorable, et ils sont tous des hommes honorables), je suis venu pour parler aux funérailles de César. […] Je ne parle pas pour contester ce qu’a déclaré Brutus, mais je suis ici pour dire ce que je sais.

1248. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

S’il parle, son geste est impérieux, son propos énergique et court. […] C’est le théologien qui avait parlé, et voilà la tête que le marbre exposé dans un temple avait à montrer à l’adorateur prosterné. […] Si notre religion n’était pas une triste et plate métaphysique ; si nos peintres et nos statuaires étaient des hommes à comparer aux peintres et aux statuaires anciens : j’entends les bons, car vraisemblablement ils en ont eu de mauvais et plus que nous, comme l’Italie est le lieu où l’on fait le plus de bonne et de mauvaise musique ; si nos prêtres n’étaient pas de stupides bigots ; si cet abominable christianisme ne s’était pas établi par le meurtre et par le sang ; si les joies de notre paradis ne se réduisaient pas à une impertinente vision béatifique de je ne sais quoi qu’on ne comprend ni n’entend ; si notre enfer offrait autre chose que des gouffres de feux, des démons hideux et gothiques, des hurlements et des grincements de dents ; si nos tableaux pouvaient être autre chose que des scènes d’atrocités, un écorché, un pendu, un rôti, un grillé, une dégoûtante boucherie ; si tous nos saints et nos saintes n’étaient pas voilés jusqu’au bout du nez ; si nos idées de pudeur et de modestie n’avaient proscrit la vue des bras, des cuisses, des tétons, des épaules, toute nudité ; si l’esprit de mortification n’avait flétri ces tétons, amolli ces cuisses, décharné ces bras, déchiré ces épaules ; si nos artistes n’étaient pas enchaînés et nos poètes contenus par les mots effrayants de sacrilège et de profanation ; si la Vierge Marie avait été la mère du plaisir ; ou bien, mère de Dieu, si c’eût été ses beaux yeux, ses beaux tétons, ses belles fesses qui eussent attiré l’Esprit Saint sur elle, et que cela fût écrit dans le livre de son histoire ; si l’ange Gabriel y était vanté par ses belles épaules ; si la Magdelaine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si aux noces de Cana le Christ entre deux vins, un peu non-conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noces et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires ; de quel ton nous parlerions de ces charmes qui joueraient un si grand et si merveilleux rôle dans l’histoire de notre religion et de notre Dieu, et de quel œil nous regarderions la beauté à laquelle nous devrions la naissance, l’incarnation du Sauveur, et la grâce de notre rédemption. […] Je ne parle ici que des peintres de ruines. […] C’est que la divinité ne parle pas dans le tumulte des villes ; elle aime le silence et la solitude.

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