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484. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

« La beauté de Phidias s’impose à tous les êtres raisonnables », et il a écrit là-dessus un parfait chapitre d’intelligence. […] Elle n’en est pas moins parfaite. […] La cloison étanche est parfaite. […] Le temps et la peine qu’il employait à écrire une page ont été considérés comme une raison pour que cette page fût parfaite. […] Vos remarques sur l’éternel imparfait de Flaubert sont parfaites.

485. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

En d’autres termes, y a-t-il des lignes droites, des angles droits, des carrés, des cercles, des plans, des polyèdres, des corps ronds qui soient parfaits ? […] La planète décrirait une ellipse parfaite, si la proximité variable des autres corps planétaires ne venait pas altérer la régularité de sa courbe. […] En effet, nous supposons des solides parfaits, c’est-à-dire absolument durs et tels que, toutes leurs parties étant unies indissolublement, l’une ne puisse être déplacée sans déplacer toutes les autres, en sorte que jamais leur situation réciproque ne soit altérée. De même, nous admettons des liquides parfaits ou absolument fluides, tels qu’aucune de leurs parties n’ait la moindre adhérence avec sa voisine, et que toutes puissent se mouvoir avec une liberté entière les unes sur les autres.

486. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

« Enfin, si je manque à la parole que j’avais donnée à mes amis, ils doivent me le pardonner : c’est l’effet de cette variation attachée à l’esprit humain, dont personne n’est exempt, excepté ces hommes parfaits qui ne perdent pas de vue le souverain bien. […] Cet engouement et ce dédain dureront ce que durent les caprices de la postérité (car elle en a) ; puis viendra une troisième et dernière postérité qui remettra chacun à sa place, Dante au sommet des génies sublimes, mais disproportionnés, Pétrarque au sommet des génies parfaits de sensibilité, de style, d’harmonie et d’équilibre, caractère de la souveraine beauté de l’esprit. […] Sa seule occupation jusqu’à son dernier jour était l’étude de Cicéron et de Virgile ; ces deux hommes étaient, avec Homère, selon lui et selon moi, les trois plus parfaits exemplaires de l’espèce humaine, société immortelle avec laquelle il faut converser jusqu’au jour du silence, après lequel on reprendra sans doute l’entretien, l’amitié et l’amour ailleurs. — « Adieu les amis ! […] Bien que toutes les œuvres de ce beau génie soient presque parfaites et dignes de l’antiquité, comme de la postérité, sans les sonnets, qui est-ce qui se souviendrait des poèmes, des négociations, des discours, des poèmes épiques latins du poète de Vaucluse ?

487. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Il y a un écrivain de génie dans l’Étourdi, le Dépit amoureux, les Précieuses ridicules, Sganarelle ; il y a une comédie parfaite en son genre ; il y a un théâtre. […] Aucun poète, dans notre pays, n’a eu plus d’imagination, de sensibilité et de raison, ni dans une harmonie plus parfaite. […] Ce qui en a vieilli revient à la mode ; ce qui en est parfait n’a pas cessé de le paraître. […] Les gens de goût y reconnaissent l’expression la plus parfaite de l’esprit de société dans notre pays.

488. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

De tous ces modes de communiquer sa pensée à ses semblables par la parole, c’est le théâtre qui nous paraît le plus indirect, le plus compliqué d’accessoires étrangers à la pensée elle-même, et par conséquent le moins parfait. […] La raison en est simple : les peuples, avant leur âge de parfaite civilisation, n’ont ni assez de loisir, ni assez de richesse, ni assez de luxe public pour élever à leurs poètes ces édifices vastes et splendides, ces institutions de plaisir public qu’on appelle des théâtres et des scènes. […] À chaque âge son genre de poésie, mais le plus parfait, sinon le plus émouvant de ces genres, est certainement celui qui n’a pas besoin de tous ces auxiliaires et de tous ces accessoires étrangers à la poésie elle-même et qui ne demande, comme le poète épique ou le poète lyrique, qu’une goutte d’encre au bout d’une plume de roseau. […] Oui, son originalité la plus rare de toutes ne fut pas d’être neuf, elle fut d’être parfait.

489. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Nous ne pourrions donc décider, avec connaissance de cause, si le retour à ce type est ou non parfait ; et, afin de prévenir les croisements qui troubleraient l’expérience, il serait nécessaire qu’une seule variété fût rendue à la liberté de nature dans la contrée qu’elle habite actuellement. […] Secondement, quoiqu’un Messager Anglais ou un Culbutant à courte face diffère immensément à certains égards du Biset, cependant, si l’on compare les différentes sous-races de ces variétés, et plus spécialement celles qu’on a importées de contrées lointaines, il est possible de reconstituer des séries presque parfaites entre les formes les plus extrêmes. […] « C’est, dit-il, la baguette magique au moyen de laquelle il appelle à la vie quelque forme qu’il lui plaise. » Lord Somerville écrit au sujet de ce que les éleveurs ont fait à l’égard des Moutons : « Il semblerait qu’ils aient esquissé une forme parfaite, et qu’ils lui aient ensuite donné l’existence. » L’habile éleveur, sir John Sebright, avait coutume de dire des Pigeons « qu’il répondait de produire quelque plumage que ce fût en trois ans ; mais qu’il lui en fallait six pour obtenir la tête et le bec. » En Saxe, l’importance du principe de sélection à l’égard des Moutons mérinos est si pleinement reconnue, que certains individus s’en sont fait un métier. Trois fois l’année, chaque Mouton est placé sur une table pour être étudié comme un tableau par un connaisseur ; chaque fois il est marqué et classé ; et seulement les sujets les plus parfaits sont choisis pour la reproduction.

490. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Ce qu’on peut appeler l’atticisme dans notre langue ne date guère que du xviie  siècle, et on le retrouve, selon moi, avec toute sa pureté jusque dans la langue parlée de la fin du xviiie  ; je dis la langue parlée et non écrite, la langue de la conversation et non celle des livres ; là où cette langue parlée a laissé des traces et des témoignages d’elle-même, c’est-à-dire dans les correspondances, on la goûte encore en ce qu’elle a de parfait, et c’est à ce titre qu’après l’excellente et plus ample correspondance de Mme Du Deffand, les billets de Mme de Créqui ont leur prix. […] Du temps de l’hôtel Rambouillet, bien des jeunes femmes comptaient et brillaient entre les précieuses, qui plus tard et en vieillissant revinrent à la parfaite et saine justesse.

491. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Seul, sans mission réelle, jeté avec ce titre de ministre à l’extrême Nord par une royauté qui s’est réfugiée à Cagliari et qui se soucie très peu de lui, n’en recevant ni instructions ni directions, et à peine quelque traitement, n’ayant pas toujours de quoi prendre une voiture, n’ayant pas même de quoi payer un secrétaire, il a su par la noblesse de son attitude, par sa dignité naturelle, par sa probité parfaite, par l’éclat et les lumières de sa parole sitôt qu’il se montre, se faire estimer, considérer au plus haut point, pénétrer dans l’intimité des premiers personnages de l’empire, y compris l’empereur lui-même qui le goûte, qui l’écoute, qui lui demande des mémoires et des notes, et qui certainement a dû penser un moment à se l’acquérir. […] L’un est de convention et tout en compliments et en grands mots ; il ne parle que de confiance parfaite, de reconnaissance sans bornes, d’augustes amis, de hautes puissances, etc., etc. ; je sais cette langue aussi bien qu’un autre, et je la vénère comme bonne dans l’usage commun et extérieur.

492. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

Le prodige est qu’en très peu de temps la dévotion et la grâce en firent un autre homme, et changèrent tant et de si redoutables défauts en vertus parfaitement contraires… » Saint-Simon, en d’autres endroits, ajoute des détails encore plus significatifs sur les fougues et les passions du jeune prince, ses instincts précoces de libertinage, ses penchants effrénés pour toute espèce de volupté, son goût même pour le vin, son infatuation de lui-même et de ce qu’il était né, et son parfait mépris de tout ce qui l’entourait : — tout cet abîme enfin, d’où il sortit après des années un autre homme au moral, méconnaissable en bien et régénéré. […] Et une autre fois, pendant une bonne veine, lorsque le duc de Bourgogne gagnait depuis quelque temps, d’une manière sensible, en douceur, en amour des lettres, en humanité, Fénelon écrivait sa fable enchanteresse : Le Rossignol et la Fauvette, la plus exquise de ses Fables, comme le dialogue d’Horace et de Virgile est le plus parfait de ses Dialogues.

493. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

Disait-il dans la notice sur l’architecte Gondoin, après un exposé assez détaillé de ses premiers travaux et une appréciation de son premier et si parfait monument, l’École de Médecine : « Et pourtant il fut en quelque sorte le début et le coup d’essai d’un jeune homme ; M.  […] Le portrait d’un parfait secrétaire de l’Académie des Beaux-Arts, tel que je le conçois, serait à peu près celui-ci : Avoir une parole grave et agréable, sévère et ornée, même gracieuse : les beaux-arts ne se séparent jamais des grâces ; — être l’homme d’un art peut-être, mais surtout et plus encore de tous les arts ; être visité et non possédé par tous les génies : Tous les goûts à la fois sont entrés dans mon âme !

494. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Tout ce qu’il a dit à cet égard est juste : ce qu’il faut reconnaître en effet, c’est que ce sont deux œuvres parfaites, achevées, chacune dans son genre : Bernardin de Saint-Pierre, ce Grec d’imagination et de goût, s’est inspiré de l’une pour faire l’autre, et la faire un peu autrement ; il a vu, il a deviné au premier coup d’œil ce qu’il devait introduire de neuf dans la même donnée, pour inventer et réussir à la moderne ; non content de renouveler le paysage, il a renouvelé les âmes ; il les a montrées aussi naïves, aussi primitives, mais travaillées et comme perfectionnées à leur insu par l’air qu’elles ont respiré, par la nourriture qu’elles ont reçue des parents. […] Je n’insiste pas ; mais l’humanité, dans Paul et Virginie, est un touchant et parfait accompagnement de la pureté14.

495. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

Je ne demande pas une admiration excessive pour Mme d’Albany que j’aurai bientôt à définir, sous sa forme dernière, comme une personne gracieuse, distinguée et surtout sensée, comme une vraie reine de salon et une maîtresse de maison parfaite, dont la mort, en 1824, mit le deuil dans Florence et fut une perte pour la société européenne tout entière ; mais, à considérer sa vie telle qu’elle sut la réparer et la fixer, je ne vois pas qu’il y ait lieu ni prétexte contre elle, de la part d’un esprit juste, à aucun anathème. […] « Sublime miroir de pensées sincères, montre-moi en corps et en âme tel que je suis : — cheveux maintenant rares au front, et tout roux ; — longue taille, et la tête penchée vers la terre ; — un buste fin sur deux jambes minces ; — peau blanche, yeux d’azur, l’air noble ; — nez juste, belles lèvres et dents parfaites ; — plus pâle de visage qu’un roi sur le trône ; — tantôt dur, amer, tantôt pitoyable et doux ; — courroucé toujours, et méchant jamais ; — l’esprit et le cœur en lutte perpétuelle ; — le plus souvent triste, et par moments très gai ; — tantôt m’estimant Achille, et tantôt Thersite. — Homme, es-tu grand ou vil ?

496. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Ce pauvre Don Quichotte, répétant les exploits des anciens chevaliers avec une si parfaite bonne foi et une candeur si unique, donne jour à une telle variété de rencontres et d’aventures, — l’écuyer Sancho, dès la seconde sortie, accompagne et double si grotesquement son maître, avec ce perpétuel contraste de demi-bon sens et de demi-bêtise qui ne feront que s’accroître et se solidifier en avançant, — l’auteur, par des stations ménagées à propos, sait si naturellement entremêler d’autres récits et nous intéresser, chemin faisant, par les côtés passionnés et romanesques de notre nature, — il profite si justement et avec une si légitime hardiesse des instants lucides de son héros qui n’extravague que sur un point, pour le faire noblement et fermement discourir des matières que lui-même avait le plus à cœur de traiter, — tout cet ensemble vit, marche, se déduit si aisément, d’un cours si large, si abondant, et avec une telle richesse de développements imprévus et d’embranchements inépuisables, qu’on est bien réellement en plein monde, en plein spectacle, en plein air sous le ciel, qu’on nage dans un courant de curiosité humaine de tous côtés excitée et satisfaite, et que rien ne sent ni ne rappelle l’application critique et satirique née dans le cabinet. […] Cervantes a fait un chef-d’œuvre sans obscurité, d’une clarté parfaite, agréable, sensé, où la chimère n’a rien à faire que pour y être raillée, un de ces livres qu’eût goûté Horace comme le goûtait Saint-Évremond, un chef-d’œuvre pourtant sans analogue chez les Anciens, d’une étoffe toute moderne, aussi vif et aussi amusant en son genre que celui de l’Arioste dont il est le vrai pendant.

497. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Ô fleur qui n’es pas fugitive, Qui nais tard et vis longuement, Quand des beaux jours la fleur hâtive A l’existence d’un moment, Tu nous dis que l’œuvre légère De la jeunesse est passagère, Et que, dans son travail parfait, L’œuvre lente de notre automne Vit. — Loin que le temps s’en étonne, Il respecte ce qu’il a fait. […] vivrait-il, même quand il serait parfait et excellent ?

498. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

On pourrait même, si on l’étudiait avec suite, non-seulement dans ses poésies, mais dans ses articles de journaux et dans ses brochures, comme je viens de le faire rapidement, on pourrait le présenter comme un type parfait de cette première jeunesse royaliste et bourbonienne à bonne fin, amie et enthousiaste de la Restauration, de laquelle elle ne séparait pas l’idée de liberté ; datant en politique de la protestation de M.  […] Hugo. » Il y aurait lieu certainement, en choisissant bien ses points, à exécuter pour l’année 1817 une variation analogue sur le canevas et le thème où il s’est joué, et d’y observer une parfaite justesse.

499. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Les gestes, les inflexions de voix et les sinuosités du discours sont en parfaite harmonie ; les hasards naturels, les particularités journalières d’une conversation qui s’anime, se reproduisent en leur lieu. […] Le style de Racine convient à ravir au genre de drame qu’il exprime, et nous offre un composé parfait des mêmes qualités heureuses.

500. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Mais, comme nous l’avons déjà indiqué, et comme il le dit lui-même avec une élégance parfaite, il s’était accoquiné à la hantise du café Laurens ; c’était rue Dauphine, non loin du Théâtre-Français, qui de la rue Guénégaud avait passé dans celle des Fossés-Saint-Germain-des-Prés. […] Par malheur, ce qui glace aussitôt, c’est que le moderne Orphée nous raconte que … jamais sous les yeux de l’auguste Cybèle La terre ne fit naître un plus parfait modèle Entre les dieux mortels que le comte du Luc.

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