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1645. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Les noms généraux par lesquels on désigne les phases diverses de l’esprit ne s’appliquent jamais d’une manière parfaitement univoque, comme disait l’école, à deux états divers. « La ligne de l’humanité, dit Herder, n’est ni droite, ni uniforme ; elle s’égare dans toutes les directions, présente toute les courbures et tous les angles. […] Une histoire de la philosophie 132, où Platon occuperait un volume, devrait, ce semble, en consacrer deux à Jésus : et pourtant ce nom n’y sera peut-être pas une fois prononcé. […] À vrai dire, ces cultes méritent à peine le nom de religions ; l’idée de révélation en est profondément absente ; c’est le naturalisme pur, exprimé dans un poétique symbolisme. Il serait convenable peut-être de réserver le nom de religions aux grandes compositions de dogmatiques de l’Asie occidentale et méridionale. […] C’est ainsi que, les récits de Jean et des synoptiques (on désigne sous ce nom collectif Matthieu, Marc et Luc) sur la dernière entrée de Jésus à Jérusalem étant inconciliables, les harmonistes supposent qu’il y entra deux fois coup sur coup.

1646. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

En un mot tout en étant un homme d’action, c’est un homme chez qui l’intelligence et le sentiment dominent, et qui est organisé de façon à pouvoir ressentir les souffrances les plus exquises. « a vostre mort estes venu et à la certaineté de vostre nom : car Tristan estes appelé, et en tristesse userez vostre vie », dit le vieux roman français. […] Le cadre général et les noms sont empruntés au poème allemand de Gottfried de Strasbourg ; mais dans plusieurs points essentiels il ne le suit pas, mais il suit au contraire les poètes français. […] Mais on aurait tort de croire qu’il attribuait à un nom une importance autre que très minime, il nous dit qu’il aurait souhaité que le monde eût bien voulu accepter ses œuvres sans nom. […] A la fin de ce même premier duo, par exemple, il y a soudainement un pianissimo et nous percevons très bien les mots qui résument, autant que cela se peut, les sensations de Tristan et d’Isolde à ce moment : « Oh désir, non illusoire, mais délicieusement conscient, de ne plus jamais nous réveiller. » II en est de même du second duo : « Ainsi nous mourûmes, pour ne vivre que pour l’amour, inséparés, unis à jamais, sans fin, sans réveil, sains crainte, sans nom dans le sein de l’amour, livrés tout à nous-mêmes »91. […] D’autres chanteurs dont le nom est plus habituellement attribué au répertoire italien même s’ils ne sont pas de nationalité italienne ont aussi défendu le répertoire wagnérien comme Maria Callas (grande Brünnhilde et somptueuse Kundry), ou Placido Domingo (Lohengrin, Walter, Tannhäuser, Tristan).

1647. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Un des épisodes qui se rattachent le plus à son nom et dont ses lettres ont consacré le souvenir, c’est le voyage qu’il fit, en 1787, jusqu’en Crimée, avec l’impératrice Catherine, son ministre Potemkine et tout le corps diplomatique, dont était M. de Ségur, représentant de la France. […] Un jour que la galère impériale passait tout près du rocher où la tradition place le sacrifice d’Iphigénie et comme on discutait ce point de mythologie historique, Catherine, se promenant sur le pont avec majesté, grâce et lenteur, étendit la main et dit : « Je vous donne, prince de Ligne, le territoire contesté. » On ajoute que le prince, se voyant assez près de terre, se jeta à l’eau comme il était, en uniforme, et alla prendre à l’instant possession du rocher, y gravant d’un côté, du côté apparent, le nom divin de Catherine, et de l’autre côté (assure-t-il), le nom tout humain de la dame de ses pensées, de la dame d’alors, car il en changeait souvent.

1648. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

On abusait de son nom, on feignait un crédit qu’on n’avait pas. […] Daru ne soit point devenu le serviteur actif d’un nouveau régime, et que dans l’avenir son nom demeure attaché à un seul et incomparable règne par le clou de diamant de l’histoire. — En parlant ainsi, il ne saurait me venir à la pensée de faire injure à la Restauration, dont j’apprécie les mérites et les hommes : je ne songe qu’à l’unité dominante qu’on aime à voir dans l’étude d’une vie, à cette lumière principale qui tombe sur un front, et si en ceci je parais sentir un peu trop l’histoire en artiste, qu’on me le pardonne. […] Deux qualifications distinctes demeurent attachées à son nom et le définissent dans sa double carrière : Daru, c’est l’historien de Venise et l’administrateur de la Grande Armée.

1649. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Elle publia, avant la fin de cette même année 1714, son livre intitulé Des causes de la corruption du goût, une des productions solides de l’ancienne critique française, et où il y a plus d’esprit qu’on ne pense : La douleur, dit-elle en commençant, de voir ce poète si indignement traité, m’a fait résoudre à le défendre, quoique cette sorte d’ouvrage soit très opposée à mon humeur, car je suis très paresseuse et très pacifique, et le seul nom de guerre me fait peur ; mais le moyen de voir dans un si pitoyable état ce qu’on aime et de ne pas courir à son secours ! […] Cette prévention, déjà vaincue en physique et dans les matières de science, subsiste encore en littérature : Homère et Aristote sont les deux grands noms, les deux idoles encore debout sur le seuil de la rhétorique et de la poétique. […]  » C’est la seule sentence que Mme Dacier sut trouver sous sa plume, un jour qu’elle était vivement pressée par un gentilhomme allemand d’écrire sur un livre déjà rempli de noms illustres, sur un album comme nous dirions.

1650. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Je sais qu’il a soin de définir le peuple ou vulgaire comme étant formé, à ses yeux, d’esprits de toutes classes, de même qu’il appelle du nom de pédants beaucoup de ceux qui ont des robes et beaucoup aussi qui n’en ont pas ; malgré ces distinctions judicieuses, on peut dire toutefois qu’il est contre le vulgaire avec excès42, et qu’il se met par là en contradiction avec son propre but, qui est avant tout de vulgariser la sagesse. […] Et Garasse continue de jouer sur ce nom de Charron et sur le chariot qu’il n’a pas su mener. […] Dès la seconde partie du xviie  siècle Charron n’était plus guère qu’un nom, et on ne le lisait qu’assez peu, j’imagine, bien que les Elzevirs en eussent multiplié les exemplaires dans les bibliothèques.

1651. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Dans l’exquis et excellent petit livre qu’il laissa échapper en 1665, et auquel est à jamais attaché son nom, il faut tenir compte de ces personnages divers, et, selon moi, n’en point presser trop uniquement aucun. […] C’est, il faut en convenir, un amour-propre très particulier et qui ne ressemble pas à ce qu’on entend communément sous ce nom. […] , non seulement un homme de grand savoir (ce qu’il était), mais d’un savoir bien digéré et élaboré (ce qu’il n’était guère), d’une critique saine et sûre et scrupuleuse (ce qu’il était encore moins) ; on en a fait même un homme de goût (il était précisément le contraire), et presque un écrivain léger et élégant ; et ce que je n’admire pas moins, c’est qu’à ce prompt travail de métamorphose ont tous concouru à l’envi, par indifférence, par entraînement, par complaisance, par égard pour une veuve éplorée et attentive, pour un fils qui avait sa carrière à faire, ceux-là précisément qui savaient le mieux comme quoi tout cela n’était pas. — Je n’ai aucune raison aujourd’hui pour ne pas mettre le nom ; Pancirole, c’est M. 

1652. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

ce pauvre Charles qui l’aime, et que par moments elle voudrait tâcher d’aimer, n’a pas l’esprit de la comprendre, de la deviner ; s’il était ambitieux du moins, s’il se souciait d’être distingué dans son art, de s’élever par l’étude, par le travail, de rendre son nom honoré, considéré ; mais rien : il n’a ni ambition, ni curiosité, aucun des mobiles qui font qu’on sort de son cercle, qu’on marche en avant, et qu’une femme est fière devant tous du nom qu’elle porte. […] Pendant quelque temps Mme Bovary est, de fait, une honnête femme, bien que son nom secret, tel qu’on le lirait déjà inscrit au dedans, soit perfidie et infidélité.

1653. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Ce qu’elle nous dit du duc d’Orléans, à ce moment et dans toute la suite, s’accorde bien, au reste, avec le jugement que les meilleurs esprits ont porté de ce déplorable prince ; Ainsi, il résulte du récit de Mme Elliott que ce soir du 12 juillet, en arrivant à Monceaux, le duc était encore très indécis ; que, deux ou trois heures après, Mme Elliott, qui était sortie à pied avec le prince Louis d’Arenberg pour juger par elle-même de la physionomie des rues de Paris et de ce qui s’y disait, revint à Monceaux, et, dans un entretien particulier qui dura jusqu’à deux heures du matin, conjura à genoux le duc de se rendre immédiatement à Versailles et de ne pas quitter le roi, afin de bien marquer par toute sa conduite qu’on abusait de son nom. […] Je lui exprimai mes regrets qu’il ne fût pas resté en Angleterre lorsqu’il y était ; il me répondit qu’il l’aurait désiré, mais qu’on n’aurait pas voulu le lui permettre… Il m’assura qu’il avait toujours envié la vie d’un gentilhomme campagnard anglais, et que, pendant que ses ennemis l’accusaient d’avoir voulu se faire roi, il aurait volontiers échangé sa position et toute sa fortune contre une petite propriété en Angleterre, avec les privilèges de ce délicieux pays, qu’il espérait revoir encore… Je lui conseillai alors de s’arracher aux mains des misérables qui l’entouraient, et de ne pas les laisser abuser de son nom pour commettre de si horribles attentats. […] Je ne suis plus le maître de mon nom ni de ma personne, et vous ne pouvez pas juger de ma position, qui n’est pas agréable, je vous assure. » « Je ne m’appartiens pas, j’obéis à ce qui m’entoure », c’est l’aveu perpétuel et le refrain à voix basse de ce triste et abandonné prince.

1654. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

C’est le nom d’une plante des marais du Nord, dont les petites baies rouges mûrissent et se colorent sous la neige. […] Elle en fait quelque chose d’essentiellement à part et qui ne ressemble pas à ce que le commun des gens entend sous ce nom : car se résigner, après tout, n’est pas si rare ni si difficile, et il n’y a pas tant de mystère ; tous les hommes y viennent plus ou moins quand la nécessité est là ; mais Mme Swetchine se méfie de ce qui est trop simple et trop commun : « Ce qui me gâte un peu la résignation, avait-elle dit, c’est de la voir si conforme aux lois du bon sens : j’aimerais encore un peu plus de surnaturel dans l’exercice de ma plus chère vertu. » En conséquence elle s’est appliquée à y introduire le plus de surnaturel possible, et elle y a réussi. […] En général les fautes d’impression abondent dans ces volumes ; les noms propres y sont particulièrement maltraités : pour Baader, le philosophe mystique ; le docteur Butigny pour Butini, de Genève ; M. 

1655. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Son réquisitoire contre Béranger, contre tout ce que ce nom recouvre et signifie à ses yeux est formel, merveilleusement dressé et motivé sur tous les points ; M.  […] Dans son beau livre sur Averroès, sur ce philosophe arabe dont le nom signifiait et représentait, bien qu’à tort, le matérialisme au Moyen-Age, il a parlé excellemment de Pétrarque, de ce prince des poëtes et des lettrés de son temps, qu’il proclame le premier des hommes modernes en ce qu’il a ressaisi et inauguré le premier le sentiment de l’antique culture, et « retrouvé le secret de cette façon noble, généreuse, libérale, de comprendre la vie, qui avait disparu du monde depuis le triomphe des barbares. » Il nous explique l’aversion que Pétrarque se sentait pour l’incrédulité matérielle des Averroïstes, comme qui dirait des d’Holbach et des Lamettrie de son temps : « Pour moi, écrivait Pétrarque cité par M.  […] Et ce serait, au nom des doctrines qui ont leur racine dans la parole de vie prêchée en tous lieux, qu’un examen, non des doctrines mêmes, mais des monuments et des textes, ne pourrait être scientifiquement entrepris et traité par la parole !

1656. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

pour qu’on s’étonne parmi eux que le nom de M.  […] Condorcet lui-même, dont le nom se présente d’abord comme celui de l’apôtre puni de son zèle et le plus cruellement déçu dans son ardente poursuite, ne s’est pas tant trompé qu’il semble, et quoiqu’il se mêlât à sa foi dans l’avenir un fanatisme que je n’aime nulle part, il n’a pas désespéré du progrès en mourant, et il a bien fait. […] Mais j’ai tort de me borner aux seuls noms éminents : le propre de ce qu’on appelle lumières est d’être répandu et de circuler.

1657. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

C’est à ce moment que Corneille, présent à la scène, aurait improvisé, pour venger la femme d’esprit qui était de ses amies, et comme parlant en son nom, les vers précédemment cités, et qui seraient tout à fait à leur place, selon M.  […] Ainsi sur Corneille : certes il mérite pour nous le nom de grand ; mais, lorsqu’il arrive, couronné de ce titre, aux yeux des Allemands, par exemple, lorsqu’un éminent critique, Lessing, s’attendant à trouver en lui, sur la foi de sa renommée, quelqu’un de rude, mais de sublime et de simple, vient à l’ouvrir à une page d’avance indiquée, que trouve-t-il ? […] Sachons-lui en quelque gré, et prenons la peine de retenir au moins son nom.

1658. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

La France le lui eût-elle pardonné alors, et ne fut-elle pas sa complice dans cette paix, grosse de périls futurs, qu’il dicta moins encore en son propre nom qu’au nom de la nation personnifiée tout entière en lui ? […] Il me paraît inconcevable que l’homme qui a une fortune aisée et un beau nom sacrifie tous ses avantages, toutes ses affections, pour intriguer, et c’est bien là le cas de M. de Stein. Jamais l’on n’a vu une plus jolie campagne que celle de Nassau, et la maison qui porte ce nom paraît être tombée en ruine tout exprès pour rendre le paysage plus pittoresque.

1659. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

À mesure que chacun des grands esprits qu’on a vus débuter avec éclat s’avance dans la vie, il rompt ses unités, multiplie ses bigarrures et ses aventures : cela, chez quelques-uns, peut s’appeler progrès ; car toute chose a deux noms. […] Selon que nous les jugeons, en effet, ces variations, à l’âge des espérances indéfinies ou à celui déjà des méfiances croissantes, nous sommes tentés de les qualifier de noms différents. […] Et comme, avant ce poëme et avant Jocelyn, les volumes du Voyage en Orientavaient été déjà, malgré d’admirables pages, une négligence trop prolongée et trop avouée, comme la préface de Jocelyn même contenait quelques assertions littéraires très-peu justifiables, qui avaient pu s’éclipser devant une charmante lecture, mais que la pratique d’aujourd’hui revient éclairer ; comme, enfin, le volume en ce moment publié sous le nom de Recueillements affiche de plus en plus ces dissipations d’un beau génie, il est temps de le dire ; au troisième chant du coq, on a droit de s’écrier, et d’avertir le poëte le plus aimé qu’il renie sa gloire.

1660. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

« L’histoire se tait, dit-il sur l’origine du vainqueur de Cæsar ; mais, d’après la conformité des noms, j’éprouve quelque plaisir à supposer que ce Marius Egnatius était un fils du préteur de Téanum, battu de verges trente ans auparavant sous les yeux de ses concitoyens. […] Il lui faut compter comme aux-premiers jours avec ces noms redoutés, les Marses, les Samnites. […] Némésis ou vendetta, qu’importent les noms ?

1661. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Ce qu’il importe de remarquer, ce sont les différences caractéristiques de la littérature grecque et de la littérature latine ; et les progrès de l’esprit humain, dans les trois époques successives de l’histoire littéraire des Romains, celle qui a précédé le règne d’Auguste, celle qui porte le nom de cet empereur, et celle qui peut se compter depuis sa mort jusqu’au règne des Antonins. […] Ils triomphaient dans les combats par leur courage, mais leur force morale consistait dans l’impression solennelle et profonde que produisait le nom romain. […] On dit que la littérature italienne a commencé par la poésie, quoique du temps de Pétrarque il y eût de mauvais prosateurs dont on pourrait objecter les noms, comme on prétend opposer Ennius, Accius et Pacuvius aux grands orateurs, aux philosophes politiques qui consacrent la gloire des premiers siècles de la république romaine.

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