Laissons ces derniers qui forment un groupe naturel et considérons ce que nous avons appris sur l’art du seul lyrique que nous avons été amené à connaître. […] Barbey d’Aurevilly et de M. de l’Isle Adam, que Dona Sol et Valjcan soient moins naturels et capables d’exister que le baron Uulot de Balzac, Mme Marnoff, Nana, Gervaise et Coupeau. […] Ils sont exclus du monde des faits, de la connaissance et de l’amour des simples objets naturels, par le maléfice d’une imagination incurablement raffinée, qui dégoûte de toutes choses par de plus séducteurs idéaux et oublie qu’il manque à ces fantômes la qualité primordiale de l’existence. […] Il n’y a pas, en grande littérature d’imitation volontaire, mais seulement des ressemblances naturelles d’esprit qui peuvent conduire certains écrivains à écrire tout naturellement comme d’autres oui écrit avant eux. […] Coppée est celui qui rappelle le plus le charme naturel, l’inspiration familière enjouée ou mélancolique de la muse allemande.
Mais nous ne voyons rien là que de très naturel, puisque le mouvement est un fait indivisé ou une suite de faits indivisés, tandis que la trajectoire est indéfiniment divisible. […] Et c’est bien naturel, puisque ces symboles, toujours destinés à des mesures, ne peuvent exprimer que des distances. […] Ce n’est pas là une donnée de l’intuition immédiate ; mais ce n’est pas davantage une exigence de la science, car la science, au contraire, se propose de retrouver les articulations naturelles d’un univers que nous avons découpé artificiellement. […] Mais notre imagination, préoccupée avant tout de la commodité de l’expression et des exigences de la vie matérielle, aime mieux renverser l’ordre naturel des termes. […] Ces deux termes, perception et matière, marchent ainsi l’un vers l’autre à mesure que nous nous dépouillons davantage de ce qu’on pourrait appeler les préjugés de l’action : la sensation reconquiert l’extension, l’étendue concrète reprend sa continuité et son indivisibilité naturelles.
La prose est trop facile, et son bas naturel N’a rien qui puisse rendre un auteur immortel. […] Mme de Sévigné, cet esprit si naturel, admirait les Précieuses, et quelquefois en était. […] Et qui donc représente plus exactement que le grand Corneille lui-même les deux époques et les deux goûts, le subtil et le grand, la déclamation et le naturel, l’imitation espagnole et le pur génie français ? […] Le licencieux était le seul naturel de ces poètes, comme les subtilités du galant étaient tout leur art. […] Je ne me figure pas aisément Boileau méditant d’autres vérités, ni se servant d’une autre langue, tant il y est dans son naturel.
Rien au monde n’est plus simple, plus naturel, plus trivial si l’on veut. […] Je n’en conclus pas pour le premier une supériorité absolue ; mais je note cette circonstance comme un résultat naturel des deux procédés. […] Pour qu’une caricature soit bonne et plaisante, elle ne doit être que l’exagération logique d’un trait naturel et saisissable. […] Des Consolations au roman la transition est toute naturelle. […] L’excès d’adresse se corrige et s’efface par le naturel et l’exquise vraisemblance de la figure principale.
L’ordre naturel ne sera pas bouleversé. […] — Pourquoi cette vénération superstitieuse à l’égard de la loi naturelle ? […] Bertrin, lui, a eu cette curiosité ; mais de sa part, c’est tout naturel. […] Il est tout naturel que M. […] Il a, si je puis dire, moins de naturel dans l’affectation.
quand on a écrit une fois Le Mondain on a propension naturelle à l’écrire toujours. […] Si, pourtant, il vous était naturel ? […] Après 1830, tout change, et très rapidement ; et il n’y a rien de plus naturel. […] Il a passé du camp des menteurs naturels dans celui des menteurs par intérêt. […] D’abord c’est fondé sur des faits observés et ensuite c’est la chose du mondera plus naturelle.
Ainsi, il proclame hardiment cet homme de mérite mort à trente-deux ans, et qui n’avait été promu qu’à des charges locales et aux dignités de son quartier, il le proclame le plus grand homme, à son avis, de tout le siècle : il a connu, dit-il, bien des hommes qui ont de belles parties diverses, l’un l’esprit, l’autre le cœur, tel la conscience, tel autre la parole, celui-ci une science, celui-là une autre ; « mais de grand homme en général et ayant tant de belles pièces ensemble, ou une en tel degré d’excellence qu’on le doive admirer ou le comparer à ceux que nous honorons du temps passé, ma fortune ne m’en a fait voir nul40 ; et le plus grand que j’aie connu au vif, je dis des parties naturelles de l’âme, et le mieux né, c’était Étienne de La Boétie. […] Parlant, en un endroit, de la force de l’éducation qui va souvent jusqu’à corrompre et à changer la nature : Les semences de bien que la nature met en nous, dit-il, sont si menues et glissantes, qu’elles ne peuvent endurer le moindre heurt de la nourriture (de l’éducation) contraire ; elles ne s’entretiennent pas si aisément comme elles s’abâtardissent, se fondent et viennent à rien : ni plus ni moins que les arbres fruitiers qui ont bien tous quelque naturel à part, lequel ils gardent bien si on les laisse venir ; mais ils le laissent aussitôt, pour porter d’autres fruits étrangers et non les leurs, selon qu’on les ente. Les herbes ont chacune leur propriété, leur naturel et singularité ; mais toutefois le gel, le temps, le terroir, ou la main du jardinier y ajoutent ou diminuent beaucoup de leur vertu : la plante qu’on a vue en un endroit, on est ailleurs empêché de la reconnaître. […] L’habitude des soins, des égards, des ménagements réciproques est plus facile, plus naturelle : on croirait se manquer à soi-même si l’on était capable de s’en dispenser dans les moments même d’abandon, d’humeur, de refroidissement.
Ainsi nous avons très rarement le portrait de l’esprit humain dans sa figure naturelle : on ne nous le peint que dans un état de contorsion ; il ne va point son pas, pour ainsi dire, il a toujours une marche d’emprunt… J’arrête la pensée au moment où lui-même il va en abuser, et tandis qu’il est juste encore et qu’il est clair. […] Il désire donc simplement qu’on se nourrisse de tout ce que l’on sent de bon chez les modernes ou chez les anciens, et qu’ensuite on abandonne son esprit à son geste naturel : « Qu’on me passe ce terme, qui me paraît bien expliquer ce que je veux dire, ajoute-t-il aussitôt malicieusement ; car on a mis aujourd’hui les lecteurs sur un ton si plaisant, qu’il faut toujours s’excuser auprès d’eux d’oser exprimer vivement ce que l’on pense. » Si Marivaux n’avait jamais employé d’autres expressions plus hasardées ou plus raffinées, on aurait pu l’accuser encore de recherche (qui n’en accuse-t-on pas d’abord parmi ceux qui ont un cachet ?) […] Voilà le mauvais goût qui est partout plus ou moins répandu chez Marivaux ; voilà le précieux, voilà le Mascarille, le Trissotin et le retour au jargon de la fin de l’hôtel Rambouillet ; voilà pourquoi Marivaux n’admirait point Molière, et pourquoi, en le classant comme ils l’ont fait, ses contemporains, ceux de Lesage, de l’abbé Prévost, de Voltaire, de ces hommes d’esprit si naturels, ne se sont point, en définitive, mépris sur son compte. […] Elle se met donc à l’instant à s’en dépouiller ; mais elle s’en dépouille lentement, et, à mesure qu’elle avance, il lui vient des raisons pour retarder : elle est décidée à aller trouver le bon religieux qui l’a recommandée par mégarde au fourbe, et qui est son seul protecteur ; il faut qu’elle le voie à l’instant, et, pour cela, qu’elle garde sa robe, qu’elle reprenne même cette coiffe galante qui, se dit-elle, déposera à vue d’œil de l’intention perfide du corrupteur : enfin elle trouve bientôt un prétexte tout honnête et naturel pour reprendre au complet cet habit qu’elle venait de quitter et qu’il sera temps de rendre demain.
Par cette facilité de mœurs, semblables à de pauvres petits enfants trop corrigés et rendus timides, quoique d’un naturel excellent, nous prenons l’importance pour le mérite et la modestie pour insuffisance. […] Il y a sans doute une part à faire à la boutade dans ces notes écrites pour soi seul dans le feu d’une lecture, mais le trait fondamental est manifeste : « Je ne sais pas bien nos lois, dit-il quelque part, mais je sais mieux qu’un autre comment elles devraient être. » Il méditait lui-même un grand ouvrage dont on a les matériaux, et dont le titre devait être : Les Lois de la société en leur ordre naturel. […] Il semblera naturel, quand on juge si sévèrement Mme de Sévigné, qu’on ait un goût marqué pour l’abbé Terrasson. […] Ce qui plaît dans ces remarques manuscrites et ce qui permettrait d’en tirer avec choix et discrétion un volume tout à fait agréable et qui prendrait le lecteur, c’est le naturel franc, et aussi la manière de dire.
L’Espagne était depuis un siècle dans un accroissement de puissance et d’ascendant qui troublait les conditions d’existence et les rapports naturels des pays voisins, et menaçait tout l’occident de l’Europe ; et en même temps elle apportait dans ses conquêtes politiques un système d’oppression absolue et de machiavélisme pratique qui tendait à pervertir la morale, à nouer tout développement de l’esprit et à déformer l’humanité. […] Quant aux particularités de son naturel, il l’a extrêmement vif et si actif, que, à quoi qu’il s’adonne, il s’y met tout entier, ne faisant jamais guère qu’une seule chose à la fois. […] S’il faut, outre cela, dire quelque chose de ses mœurs, le lieu d’où il est né, sa physionomie, ses paroles, ses gestes plus militaires qu’autrement, le font soupçonner d’être léger ; et néanmoins, soit par artifice qui a corrigé la nature, soit par vraie et naturelle inclination, il n’y a rien au monde si constant que lui, si attaché à une chose de laquelle il ne déprend jamais, quand il s’y est mis, qu’elle ne soit achevée, voire jusques au blâme véritable d’opiniâtreté. […] Pour dernier coup de crayon à ce vivant et naturel portrait tracé d’une main si ferme au milieu du tumulte et en plein orage, Du Fay insiste sur un point qui n’est pas indifférent en un chef de peuple : c’est que Henri IV est heureux, heureux à la guerre, heureux en toute chose.
Si l’on avait à discuter, il y aurait à démontrer par les faits et par l’expérience que l’homme n’est pas si essentiellement raisonnable, que la société n’est pas une œuvre si naturelle, si facile, et où tout marche nécessairement de soi, qu’elle a été une création plus artificielle que ne l’imaginent des publicistes trop confiants, et que ce qui a été si pénible à construire et à élever n’est sans doute pas si simple à entretenir, tellement qu’il suffise de laisser faire et dire à tous les membres d’une nation tout ce qu’ils croient le mieux, pour que tout aille et tourne au mieux effectivement. […] Et cependant, aujourd’hui encore, si l’on avait à juger en dernier ressort Benjamin Constant, il ne serait que naturel et légitime de faire entrer la considération de sa vie privée jusque dans l’examen de sa vie publique, parce que l’une, en effet, influa sur l’autre et y pénétra sans cesse. […] Voici une de ses phrases fameuses et du petit nombre de celles qu’on retient ; il parle, dans la préface de son livre sur la Religion, contre le principe moral de l’intérêt bien entendu : « Son effet naturel, dit-il, est de faire que chaque individu soit son propre centre. […] Je crains pourtant que tous deux n’aient méprisé les hommes ; mais ce mépris chez l’un se trahissait par une bile amère et splendide qui ressemblait à de la haine, chez l’autre par une raillerie courante qui ne sortait pas d’un cercle limité ; et quand il n’était plus dans son rôle de grand citoyen, ni dans sa veine de revanche et d’ironie extrême, Benjamin Constant se retrouvait naturel, sincèrement lui-même et bon diable.
Élevé dans la cabane paternelle jusqu’à l’âge de quatorze ans, allant ramasser du bois mort et faire de l’herbe pour la vache dans la mauvaise saison, ou accompagnant l’été son père dans ses tournées pédestres, le jeune Eckermann s’était d’abord essayé au dessin, pour lequel il avait des dispositions innées assez remarquables ; il n’était venu qu’ensuite à la poésie, et à une poésie toute naturelle et de circonstance. […] Ce ne fut que plus tard qu’il se rendit bien compte de la stérilité de cette admiration : c’est qu’il n’y avait nul rapport entre leur manière et ses dispositions naturelles, à lui-même. […] Eckermann avait commencé d’instinct par être dessinateur ; l’étude des modèles lui avait fait défaut ; mais sa vocation première est ici justifiée : on voit qu’il avait le sentiment du naturel et de la vérité. — Et encore dans des tons toujours naïfs, mais avec des couleurs plus poétiques et plus idéalisées, il dira : « Sa conversation était variée comme ses œuvres. […] Et c’est justement là l’avantage des petits sujets. » Tout se tient et se complète dans cette suite de recommandations poétiques : en conseillant la poésie naturelle, Gœthe ne dit pas de copier des scènes vulgaires ; en invitant le poëte à s’écouter lui-même, il ne dit pas non plus de roucouler des sentiments et des mélodies plus ou moins connus sur des thèmes et des sujets vagues : il veut un motif, un cadre et un dessin déterminés, et il demande que tout cela soit vu, observé, pris sur le fait, inspiré par la circonstance, dans les moyens et les données de celui qui chante et qui y met son accent, sa manière de comprendre et de sentir.
Comme il a fait une pièce de vers intitulée Bon Temps, que ces mots reviennent assez souvent sous sa plume et qu’il avait pour prénom Roger, on a conjecturé que c’est de lui que vient le nom et le masque populaire de Roger Bon-Temps, ce qui reste très douteux ; car, dans le cas contraire, et en supposant que Roger Bon-Temps ait eu cours avait lui pour signifier un personnage de nul souci et de joyeuse humeur, il serait tout naturel que, s’appelant Roger, il eût fait des pièces de poésie sur le Bon Temps pour faire honneur à son prénom et pour le faire cadrer avec le terme courant que consacrait la locution vulgaire. […] Mais, jusqu’ici, je dois dire qu’elles n’ont dérangé en rien, en ce qui est de ce siècle-là, les lignes principales et les cadres de classifications naturelles premièrement indiquées. […] Ceci rappelle et l’Ode de Sapho assez bien rendue, quoi qu’on en ait dit, par Boileau, et ces vers de Catulle que Fénelon donnait comme un modèle de simplicité passionnée : « Odi et amo… J’aime et je hais à la fois, etc… » Mais ce que ce vigoureux sonnet rappelle plus nécessairement encore, c’est le tableau que Louise a tracé ailleurs des mêmes symptômes amoureux, et qui avait sa place tout indiquée dans le plaidoyer de Mercure, quand celui-ci réplique à Apollon en faveur de la Folie et de sa liaison si naturelle avec Amour. […] Le cadre qu’elle a choisi prête à l’effet ; nous l’eussions aimé peut-être moins emprunté et plus naturel.
Il me fait l’effet, à ce naturel parfait et sans mélange, d’un Gil Blas en voyage, — un Gil Blas en képi. […] Tâchons de parler d’autre chose… » Cette note humaine vibrante, qui lui est naturelle, nous la retrouvons encore. — Il part pour Constantinople, mais les Turcs ne sont pas son fait : Horace Vernet tient bon pour les Arabes, pour cette race fine et légère, il en devient même injuste pour Constantinople. […] … Plus je reviens sur les émotions qu’elle m’a fait éprouver, plus elles prennent de force, et je me sens tout jeune. » Si la verve et l’enthousiasme, si le mouvement naturel de poésie, si le coup de soleil de l’imagination n’est pas là sensible, je ne sais plus où les trouver. […] On serait payé de ses soins par de très jolies pages de littérature spontanée et naturelle.
Il faut convenir que l’épreuve est plus naturelle et plus parlante aux yeux : chez Corneille, on n’a que l’idée, — la pensée de la chose plus que la chose même. […] C’est plus naturel ; mais aussi ce que nous appelons les bienséances, — même les bienséances en matière de duel, — n’est pas observé. […] La colère, chez Chimène, est par réflexion : son mouvement naturel est à la tendresse. […] Shakspeare n’aurait pas inventé cela ; c’est trop peu naturel ; il y a trop de compartiments, de contradictions subtiles ; mais c’est beau, d’un beau qui suppose le chevaleresque et le point d’honneur du Moyen-Age.
Ce n’est point pourtant dans les Mémoires de Mme Roland que je trouverais précisément ce rapport de ressemblance entre l’art et la littérature ; ils sont trop courants, trop naturels, trop vivants ; si l’on excepte deux ou trois traits, elle s’y montre plus fille de Jean-Jacques encore que des vieux Romains. […] Effroi bien naturel après la tempête ! […] « Après ce grand caractère sont venues les dames de l’Empire, qui pleuraient dans leurs calèches au retour de Saint-Cloud, quand l’Empereur avait trouvé leurs robes de mauvais goût ; ensuite les dames de la Restauration, qui allaient entendre la messe au Sacré-Cœur pour faire leurs maris préfets ; enfin les dames du juste-milieu, modèles de naturel et d’amabilité. […] Un fort bon livre que j’ai là sous les yeux, et qui n’est qu’un cours de rhétorique naturelle et raisonnable, de rhétorique sincère par M.
Il faut dire encore que la figure et la situation de Mme de Pontivy commençaient à faire bruit ; que ce dévouement, si naturel chez elle et si simple, allait lui composer, sans qu’elle y songeât, une existence à la mode, et que Mme de Noyon, d’abord indifférente ou contrariée, s’accommodait déjà mieux, dans sa vanité de tante, d’une nièce à réputation d’Alceste. […] L’hiver, à Paris, multipliait les occasions naturelles de se voir, chez Mme de Noyon et ailleurs ; leur vie put donc s’établir sans rien choquer. […] Et je ne parle pas seulement de ce qui intéresse l’honnêteté naturelle et la justice : soyons d’accord en causant de tout, même des choses de bel-esprit, afin de mieux appuyer l’exact rapport de nos âmes. […] Elle n’eut pas à s’efforcer beaucoup ni à raffiner les ruses ; la flamme revint naturelle, où l’ardeur n’avait pas cessé.