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809. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol et le sucre, et toute donnée complexe naît par la rencontre d’autres données plus simples dont elle dépend. […] Il en est ici d’un peuple, comme d’une plante : la même séve sous la même température et sur le même sol produit, aux divers degrés de son élaboration successive, des formations différentes, bourgeons, fleurs, fruits, semences, en telle façon que la suivante a toujours pour condition la précédente, et naît de sa mort. […] Si par exemple on admettait qu’une religion est un poëme métaphysique accompagné de croyance ; si on remarquait en outre qu’il y a certains moments, certaines races et certains milieux, où la croyance, la faculté poétique et la faculté métaphysique se déploient ensemble avec une vigueur inusitée ; si on considérait que le christianisme et le bouddhisme sont éclos à des époques de synthèses grandioses et parmi des misères semblables à l’oppression qui souleva les exaltés des Cévennes ; si d’autre part on reconnaissait que les religions primitives sont nées à l’éveil de la raison humaine, pendant la plus riche floraison de l’imagination humaine, au temps de la plus belle naïveté et de la plus grande crédulité ; si on considérait encore que le mahométisme apparut avec l’avènement de la prose poétique et la conception de l’unité nationale, chez un peuple dépourvu de science, au moment d’un soudain développement de l’esprit ; on pourrait conclure qu’une religion naît, décline, se reforme et se transforme selon que les circonstances fortifient et assemblent avec plus ou moins de justesse et d’énergie ses trois instincts générateurs, et l’on comprendrait pourquoi elle est endémique dans l’Inde, parmi des cervelles imaginatives, philosophiques, exaltées par excellence ; pourquoi elle s’épanouit si étrangement et si grandement au moyen âge, dans une société oppressive, parmi des langues et des littératures neuves ; pourquoi elle se releva au seizième siècle avec un caractère nouveau et un enthousiasme héroïque, au moment de la renaissance universelle, et à l’éveil des races germaniques ; pourquoi elle pullule en sectes bizarres dans la grossière démocratie américaine, et sous le despotisme bureaucratique de la Russie ; pourquoi enfin elle se trouve aujourd’hui répandue en Europe avec des proportions et des particularités si différentes selon les différences des races et des civilisations. […] La philosophie alexandrine ne naît qu’au contact de l’Orient.

810. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Nous étions nés là comme le figuier, la vigne et les chèvres, sans savoir qui nous avait semés. Il n’y avait jamais eu, de père en fils, d’oncle en neveu, dans la famille, ni de titre de propriété, ni division, ni partage ; nous croyions que le domaine était à nous comme la terre est aux racines du châtaignier qui nous avait vus naître, ombragés et nourris depuis le premier jour ; l’habitude de vivre et de mourir là était notre seul acte de propriété. […] le chagrin mûrit le cœur avant la saison ; quand le ver pique le fruit et que le vent secoue la branche, le fruit véreux tombe de lui-même ; ils ne savaient pas ce que c’était que de s’aimer, mais la peur de se perdre faisait qu’ils ne pouvaient pas plus se séparer en idée que deux agneaux nés de la même mère et qui ont sucé leur vie au même pis et à la même crèche. […] Le padre Hilario était le frère commissionnaire du couvent des Camaldules de San Stefano ; c’était un beau vieillard à grande barbe blanche ; une couronne de cheveux fins comme des fils de la Vierge, autour de sa tonsure, le rendait tout à fait semblable aux statues de san Francisco d’Assise, sur les murs du chœur des Franciscains de Lucques ; il était si vieux qu’il nous avait tous vus naître ; mais il n’était point cassé pour son âge, il était seulement un peu voûté par l’habitude de porter des besaces gonflées des cruches d’huile et des outres de vin du couvent, et de monter à pas mesurés les sentiers à pic de la montagne. […] Il n’était pas de nos parents, on ne savait pas même où il était  ; il y en a qui disaient qu’il avait été soldat sur les galères de Pise, prisonnier des corsaires à Tanger, échappé d’esclavage avec une Mauresque convertie sur une barque dérobée à son père ; qu’ils avaient été assaillis par une tempête, poursuivis par les pirates sur la Méditerranée, et que, dans le double danger de périr par la mer ou par la vengeance des Turcs qui allaient les engloutir ou les atteindre, ils avaient fait vœu à saint François, quoique amants, de se faire lui ermite, elle nonne, si saint François les sauvait miraculeusement du danger.

811. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Cela signifie, je crois, en langage humain, que certaines formes, certains aspects du monde physique font naître en nous certains sentiments, et que, réciproquement, ces sentiments évoquent ces visions et peuvent s’exprimer par elles. […] Bref, une poésie sans pensée, à la fois primitive et subtile, qui n’exprime point des suites d’idées liées entre elles (comme fait la poésie classique), ni le monde physique dans la rigueur de ses contours (comme fait la poésie parnassienne), mais des états d’esprit où nous ne nous distinguons pas bien des choses, où les sensations sont si étroitement unies aux sentiments, où ceux-ci naissent si rapidement et si naturellement de celles-là qu’il nous suffît de noter nos sensations au hasard et comme elles se présentent pour exprimer par là même les émotions qu’elles éveillent successivement dans notre âme… Comprenez-vous Moi non plus. […] Dans les vingt vers qui servent de préface, je lis que les hommes nés sous le signe de Saturne doivent être malheureux, Leur plan de vie étant dessiné ligne à ligne Par la logique d’une influence maligne. […] Il regrette de n’être pas du temps de Louis Racine et de Rollin, quand les hommes de lettres servaient la messe et chantaient aux offices, Quand Maintenon jetait sur la France ravie L’ombre douce et la paix de ses coiffes de lin. […] Car, en permettant d’aimer Dieu déraisonnablement, comme on aime les créatures, elle résout toutes les difficultés qui naissent dans notre esprit du spectacle de l’univers.

812. (1772) Éloge de Racine pp. -

Enfin, chez les athéniens, les spectacles donnés par les magistrats en certains temps de l’année, étaient des fêtes pompeuses et magnifiques où se signalait la brillante rivalité de tous les arts, et où les sens, séduits de toutes les manières, rendaient l’esprit des juges moins sévère et moins difficile ; ici, la satiété, qui naît d’une jouissance de tous les jours, doit ajouter beaucoup à la sévérité du spectateur, lui donner un besoin plus impérieux d’émotions fortes et nouvelles ; et de toutes ces considérations, on peut conclure que l’art des Corneille et des Racine devait être plus étendu, plus varié et plus difficile que l’art des Euripide et des Sophocle. […] Oui, je suis obligé de le dire, Corneille n’a presque jamais été le peintre des passions : il était avec beaucoup plus de force dans l’esprit que de sensibilité dans l’ame. […] Ainsi cet excellent esprit semblait pour tout ce qu’il voulait faire. […] Mais quant au premier reproche, on ne songe pas assez combien il est dur, après les sacrifices que la culture des lettres exige de l’homme pour elles, et qui les préfère à tout, de ne pas trouver dans toutes les ames la récompense qu’il trouve dans la sienne. […] Bon père et bon mari, le commerce et les caresses des grands ne le dégoûtèrent jamais des douceurs de la société domestique toujours chères à une ame bien née.

813. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Sa famille immédiate se composait de cinq êtres les plus chers : un mari, la probité et la droiture même, qui souffrait en homme de son inaction forcée, et qui ne demandait qu’emploi honnête et labeur73 ; trois enfants de rare nature, un fils en 1820, et deux filles, Ondine née vers 1822, et Inès née vers 1826. […] Ne devoir à l’art que la forme et sentir naître en soi l’inspiration sans la chercher, rien n’est plus rare, et Mme Valmore avait en elle cette merveilleuse faculté… » Telle elle était dans ses vers, telle on l’a vue dans ses pages les plus intimes, dans les lignes qu’elle ne réservait pas au public, dans sa prose la moins travaillée, dans une lettre à un ami.

814. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

en 1613155, il ne mourut qu’en 1703, à l’âge de plus de quatre-vingt-dix ans. […] Giraud le fait même naître en 1610, mais par simple supputation. […] Quesnault, sous-préfet de Coutances, a trouvé des actes de baptême desquels il résulterait que Saint-Évremond n’a pu naître avant 1614 et n’est peut-être qu’en 1616.

815. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Durant cette phase, qui est la seconde de la critique française, et qui se produit par madame de Staël, Benjamin Constant et leur école, le caractère de la critique, tout en gardant son but de théorie et son idée, devient déjà historique, elle s’enquiert et tient compte des circonstances dans lesquelles sont nées les œuvres. […] Resté célibataire par dévotion, vivant dans la solitude, éloigné de la société par l’effet de cette susceptibilité, quelquefois injuste, mais respectable, qui naît de l’attachement à un certain idéal de perfection et de simplicité du cœur qui rend l’esprit délicat et difficile ; disant chaque jour son bréviaire avec la régularité d’un prêtre ; marquant par des prières chacun des anniversaires inscrits au nécrologe de Port-Royal ; aimant Dieu comme on ne sait plus l’aimer ; ayant réduit sa vie ici-bas à ne plus être qu’une aspiration vers l’éternité : tel était ce vieillard en qui s’est éteint, il y a peu de mois, un des derniers jansénistes. » Dans ce même voyage d’Auvergne, M. […] On peut le dire, le doute et la foi vivante, l’un passager, l’autre immuable, naquirent pour lui le même jour ; comme si Dieu, en laissant l’ennemi pratiquer des brèches dans les ouvrages extérieurs, avait voulu munir le cœur de la place d’un inexpugnable rempart. » Cette belle parole, qui exprime si bien un des mystères de la vie chrétienne intérieure, peut s’appliquer avec beaucoup de vraisemblance au vrai Pascal. […] n’a-t-on pas encore affaire ici à des dieux nés pour l’ambroisie, qui sont esclaves de leur jeunesse et de leur beauté, qui n’osent compromettre leur bonheur ?

816. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Si les hommes appelés à diriger l’état n’ont point le secret de persuader les esprits, la nation ne s’éclaire point, et les individus conservent, sur toutes les affaires publiques, l’opinion que le hasard a fait naître dans leur tête. […] Il faut faire naître le désir, au lieu de commander l’obéissance ; et lors même qu’avec raison le gouvernement souhaite que telles institutions soient établies, il doit ménager assez l’opinion publique, pour avoir l’air d’accorder ce qu’il désire. […] En gagnant des batailles, on peut soumettre les ennemis de la liberté ; mais pour faire adopter dans l’intérieur les principes de cette liberté même, il faut que l’esprit militaire s’efface ; il faut que la pensée, réunie à des qualités guerrières, au courage, à l’ardeur, à la décision, fasse naître dans l’âme des hommes quelque chose de spontané, de volontaire, qui s’éteint en eux lorsqu’ils ont vu pendant longtemps le triomphe de la force. […] Cette tristesse aride qui naît de l’isolement, cette main de glace qu’appesantit sur nous le malheur, lorsque nous croyons n’exciter aucune pitié, nous en sommes du moins préservés par les écrits conservateurs des idées, des affections vertueuses.

817. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Car il est justement l’œuvre de ce public nouveau que forment alors le nouveau régime et les nouvelles mœurs : je veux dire de l’aristocratie désœuvrée par la monarchie envahissante, des gens bien nés, bien élevés, qui, écartés de l’action, se rejettent vers la conversation et occupent leur loisir à goûter tous les plaisirs sérieux ou délicats de l’esprit348. […] Entre Amyot, Rabelais, Montaigne d’un côté, et Chateaubriand, Victor Hugo, Honoré de Balzac de l’autre, naît et finit le français classique. […] « Urbanité, exactitude », ces deux mots qui naissent en même temps que l’Académie française sont l’abrégé de la réforme dont elle est l’organe et que les salons, par elle et à coté d’elle, imposent au public. […] La poésie proprement dite, celle qui tient du rêve et de la vision, ne saurait naître.

818. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

Alors naquirent les lyriques patriotes, comme Tyrtée, les lyriques philosophes, comme Orphée ou Solon, les lyriques érotiques, comme Anacréon et Sapho, les lyriques purement poétiques, comme Horace (chantant pour chanter et pour plaire) ; enfin les lyriques académiques de nos derniers siècles, comme Hafiz en Perse, Pétrarque en Italie, Dryden en Angleterre, Klopstock, Goethe, Schiller en Allemagne, Malherbe, Racine, Jean-Baptiste Rousseau, Lefranc de Pompignan et les grands chanteurs contemporains de notre pays, au sommet desquels chantait Victor Hugo, enfant, ce Benjamin de la tribu de la lyre. […] Les chefs amènent leurs fils, les premiers nés, les plus beaux, les plus forts, devant le prophète. […] Certes, si ce grand poète, au lieu de naître dans une nation vaniteuse de rhétoriciens et d’artistes, comme les Grecs, était dans une nation de pasteurs, de prêtres, de prophètes, comme les Hébreux ; s’il avait vécu la vie du berger de Bethléem, d’abord gardien de brebis dans les lieux déserts, joueur de flûte aux échos des rochers de son pays, barde d’un roi qu’il assoupissait aux sons de sa harpe, sauveur d’un peuple par sa fronde, proscrit de caverne en caverne avec une bande d’aventuriers, puis le héros populaire de sa nation, puis roi, tantôt triomphant, tantôt détrôné de l’inconstant Israël, puis couvert de cendre sur sa couche de douleur, noyé dans les larmes de sa pénitence, et n’ayant de refuge, comme les colombes dans les creux des rochers d’Engaddi, que dans la miséricorde de Jéhova qui avait exalté sa jeunesse ; si Pindare, disons-nous, avait eu toutes ces conditions inouïes du génie lyrique du fils d’Isaï, il aurait peut-être donné à la Grèce des psaumes comparables à ceux de la Judée.

819. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

En un mot, elle est artiste, et comme telle, sa personne n’est pas la mesure de son œuvre ; par cette riche faculté de représentation qu’elle possède, elle se donne des émotions que la simple affection ne ferait pas naître, et elle émeut plus qu’elle n’a elle-même d’émotion. […] Lisez la sublime demi-page sur la mort de Louvois : ce pathétique n’est pas un épanchement irrésistible de tendresse ou de sympathie sur les choses ; il naît du saisissement de lire à travers certaines formes de la réalité vivante les vérités métaphysiques devant lesquelles sa raison frissonne. […] Née dans une prison, orpheline de bonne heure, enfermée dans un couvent pour y être convertie, nourrie par charité chez des parents sans tendresse, la petite fille de D’Aubigné épouse à seize ans Scarron, un bouffon infirme, pour échapper à la misère, où le veuvage la replonge. […] Elle était née institutrice.

820. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Il a inventé, ou exploité plus qu’on n’avait fait avant lui un certain genre de pathétique : celui qui naît d’une angoisse physique, devant la souffrance physique. […] Dumas (1803-1870), à Villers-Cotterêts, fils d’un général de la Révolution, petit-fils d’un créole et d’une négresse : Henri III, 1823. […] Delavigne (1793-1843), au Havre, fit des odes classiques qu’il réunit sous le nom de Alesséniennes (1818-1819). — Édition : 4 vol. in-18, 1870, Paris, Didot. […] Ponsard (1814-1867), à Vienne (Isère). — Édition : 3 vol. in-8, C.

821. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

Au surplus, sur cette question, je me range à l’avis ancien de Charles Maurras, dont la remarque me paraît plus que jamais actuelle : « Ce mot de liberté, qui n’a, en effet, que des significations assez absurdes en morale, sinistres ou stupides en politique, me semble revêtir en art un sens particulier qui se peut recevoir. » Max Daireaux — Il ne peut y avoir, à proprement parler, renouveau ni décadence de la critique, car la critique est fonction du mouvement littéraire ; les bons livres font naître les bons critiques, les mauvais livres les tuent. […] Pour répondre, maintenant, à chacune de vos questions : 1º La critique n’est pas en décadence, à mon avis, et je suis persuadé que le jour où elle aura une doctrine, un Sainte-Beuve pourra naître, que les journaux et que le public favoriseront, car tout se tient ; 2º Mon idéal de la critique serait : un courrier des lettres quotidien, comme celui de L’Intransigeant et de L’Ère nouvelle, dans chaque journal et un feuilleton hebdomadaire ; pour les revues, des chroniques bimensuelles ; en outre, des articles de fond pour les grands livres, dans les journaux comme dans les revues ; 3º J’aimerais assez un critique dogmatique, mais a la condition qu’il fût, en même temps, indépendant et artiste. […] Max Daireaux écrit : « … Les bons livres font naître les bons critiques, les mauvais livres les tuent… Il y a plus loin de Vigny, Hugo et Baudelaire à nos poètes, il y a plus loin de Stendhal, Balzac et Flaubert à nos romanciers, que de Sainte-Beuve à nos critiques. » De tous les avis, dans ce sens, le plus net a été formulé par Mlle Henriette Charasson : « Il n’y a pas de renouveau de la critique. » Elle se hâte d’ajouter, il est vrai, que nous avons, d’ailleurs, quantité de bons critiques, mais gênés par la camaraderie et par le directeur du journal où ils écrivent. […] Deffoux, entre le dogmatisme universitaire et le goût de l’art indépendant que naît la meilleure critique.

822. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Sachez donc que mistress Clarkson, quoique plus blanche que la blanche hermine, est une femme de couleur, fille d’une esclave qu’a remarquée son maître, « née de cette remarque », et vendue par son tendre père au marché de la Nouvelle-Orléans. […] Ce qu’il faut admirer encore, c’est la patience de la duchesse de Septmonts écoutant jusqu’au bout cette confession délirante que toute femme bien née aurait coupée net à la première phrase. […] Une petite fille, qu’on nomma Lionnette, naquit de ce dégel printanier. […] Qu’y faire, puisqu’elle est née comme cela ?

823. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Et tous ces états, les normaux comme les anormaux, résultent d’une disposition physiologique héréditaire à laquelle rien ne peut être changé, si ce n’est dans une petite mesure par des circonstances fortuites, indépendantes absolument de l’individu lui-même : le milieu où il naît, l’éducation qu’il reçoit, la pénétration intellectuelle dont il dispose et qui lui permettra d’intervenir avec plus ou moins de bonheur dans sa physiologie, l’état peut-être de la science médicale contemporaine. […] Le premier effet de la croyance : — l’homme est pourvu d’un libre arbitre — est de faire naître cette autre croyance : — l’homme est responsable. […] Le Génie de l’Espèce qui les possède leur promet un bonheur hors de proportion avec tous ceux qu’ils ont pu jusqu’alors imaginer, c’est par l’appât de cette promesse qu’il les contraint à réaliser son propre vœu qui est unique : assurer la vie de l’espèce, faire naître des êtres en abondance dont le type perpétue celui des êtres de la même espèce, de ces vivants qui vont mourir et qui, s’il n’y prend garde, emporteront avec eux dans la terre, où ils vont se dissoudre, le secret de cette forme particulière que la vie, au prix de tant d’efforts, et de tâtonnements, a créée. […] On sait d’autre part avec quelle rigueur la croyance aux doubles, née chez les Egyptiens, domina les rites et les coutumes de ce peuple.

824. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

I En 1840, la Revue des Deux-Mondes publiait, dans un article signé d’un nom célèbre, des fragments littéraires laissés par un jeune homme pour la gloire et mort obscur. […] Eugénie de Guérin était née au mois de janvier 1805. […] Eugénie de Guérin, née au xixe  siècle, n’en savait guère plus long que les filles de son rang au xie . […] Les médecins, qui parlent de la puissance du soleil quand ils ne croient plus à la leur, l’envoyèrent réchauffer ses derniers frissons dans le Languedoc et mourir où il était .

825. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Nous n’y gagnons pas seulement, en métaphysique, de résoudre ou d’atténuer les contradictions que soulève la divisibilité dans l’espace, contradictions qui naissent toujours, comme nous l’avons montré, de ce qu’on ne dissocie pas les deux points de vue de l’action et de la connaissance. […] Il faudra donc, dans cette théorie, que le souvenir naisse de la répétition atténuée du phénomène cérébral qui occasionnait la perception première, et consiste simplement dans une perception affaiblie. D’où cette double thèse La mémoire n’est qu’une fonction du cerveau, et il n’y a qu’une différence d’intensité entre la perception et le souvenir. — Au contraire, si l’état cérébral n’engendrait aucunement notre perception de l’objet présent mais la continuait simplement, il pourra encore prolonger et encore faire aboutir le souvenir que nous en évoquons, mais non pas le faire naître. […] La fonction de l’entendement est de détacher de ces deux genres, extension et tension, leur contenant vide, c’est-à-dire l’espace homogène et la quantité pure, de substituer par là à des réalités souples, qui comportent des degrés, des abstractions rigides, nées des besoins de l’action, qu’on ne peut que prendre ou laisser, et de poser ainsi à la pensée réfléchie des dilemmes dont aucune alternative n’est acceptée par les choses.

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